LES FLUX FINANCIERS ILLICITES UN REGARD ETHIQUE QUI FAIT ATTENTION A LA QUESTION DU GENRE

Abstract: 

This paper attempts to contextualize and respond to the issue of Illicit Financial Flows (IFF) standing on both UN-ECA’s and UNCTAD’s investing reports. It addresses the problem of IFF which are the backbone of illicit financial transactions. “Illicit financial flows are financial flows that are illicit in origin, transfer or use, that reflect an exchange of value (instead of a pure money transaction); and that cross country borders” (UNCTAD 2020: 3). Simply put, IFFs are defined as money and assets that results from illegal activities (UA/CEA 2015). These IFFs come from three major revenue sources, namely: commercial activities, criminal/immoral business activities and corruption. Thus, the paper concurs with Raymond Baker who, in his Achille’s Heel, blames the global free market which operates in illicit and corrupt manner. It further concurs with UNCTAD report which claims that IFF is a problem shared between both developed and developing countries, despite imbalanced material and moral levels. After measuring the impact of IFF with particular attention to gender issues, the foundation of IFFs question is posed[u1] . Indeed, IFFs are deeply rooted in the loss of human ontological density which feeds the problem of social, political and economic governance.  Therefore, to solve IFF problem, the ethics of Ubuntu has been prompted so that the humankind revert to the “true self” as a source of good behavior and action. The United Nations Global Compact (United Nations 2000) and the Guiding Principles on Business Human Rights (United Nations 2022) are seen in the light of efforts to reconquering ontological density and, could be understood against the background of the Ethics of Ubuntu without which IFF will not be strangled if not stopped.    


 [u1]I don’t see the gender issue in this paper. Please bring it in and show where does the conflict lie between IFF and genderfor the ONLY anglophone audience.

Contextualisation de la question des Flux Financiers Illicites

En 2020, la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement, CNUCED a publié un Rapport sur le Développement Economique en Afrique. Ce Rapport porte sur Les Flux Financiers Illicites (FFI) et le Développement Durable en Afrique. Il fait deux observations qui alertent et, par conséquent, méritent une attention. La première observation est que les FFI sont un problème que partagent les pays développés et les pays en développement. Cependant dans ce partage, les plus perdants sont les pays en voie de développement particulièrement les pays africains. Selon Milan Rivié, l’Afrique est le continent le plus créancier du monde. Les bénéficiaires de ces créances sont les pays développés et, particulièrement les pays paradis-fiscaux dont les institutions financières soutiennent toujours qu’ils ont un devoir moral de garder le secret bancaire sans nécessairement se soucier de la question de savoir s’il est moral de garder des capitaux illégaux. Voici l’observation de CNUCED à ce sujet

…Tandis que l’élite des pays développés parle de meilleures écoles, des meilleurs hôpitaux, des villes moins polluées, de la montée inquiétante de l’insécurité, des dernières nouvelles des paradis fiscaux, dans les pays en développement riches en ressources minérales, notamment en Afrique, ces conversations évoquent souvent les derniers articles de presse sur les contrats injustes conclus entre le secteur extractifs et sur l’importance des FFI…(CNUCED 2020 : 3).  

Une question de l’économie morale se pose tant aux créanciers qui perdent des fonds et aux bénéficiaires qui gagnent tout en manifestant un déficit moral. Serait-ce l’essoufflement de l’humain qui devrait être perceptible dans la recherche du point de convergence entre l’économiquement raisonnable et le moralement permis ? Au fond, les pays développés et les pays en voie de développement ne partagent pas le problème des FFI, plutôt ils partagent le déficit moral et la perte de la densité ontologique qui la sous-tend.   

Le deuxième aspect souligné dans ce même rapport est que, en conséquence et concrètement, l’Afrique perd chaque année 88.6 milliards de dollars dans les FFI dont 30 à 52 milliards sont issus de la fausse facturation dans le commerce international. Le rapport de haut niveau sur les Flux Financiers Illicites de la Commission Economique Africaine avait parlé de 50 milliards que l’Afrique perd annuellement (UA/CEA 2015). S’il était recouvré, ce montant annuel faramineux (qui dépasse de loin l’aide publique au développement) permettrait à l’Afrique de financer la moitié de son déficit de financement des Objectifs du Développement Durable (CNUCED 2020 : 2). 

In his Capitalism’s Achilles’ Heel : Dirty Money and How to renew the free market System, Raymond Baker blame le libre marché mondial qui opère de manière illicite et corrompue(Baker 2005). Le problème majeur à la base de la corruption et des Flux Financiers Illicites ne serait-ce pas le renversement de l’ordre logique d’Adam Smith dont les néolibéraux réclament le patronage. En effet, Adam Smith a d’abord écrit La Théorie des Sentiments Moraux(Smith 1982) avant d’écrire La richesse des Nations(Smith [1776]1965). L’ordre économique d’aujourd’hui ferme les yeux de l’esprit et de l’intelligence des Sentiments Moraux où le spectateur impartial est humain et a un esprit de sympathie issu de la fibre la morale de sa communauté. Les deux publications d’Adam Smith prises ensemble veulent dire que l’économie ne doit  pas être divorcée de l’anthropologie dans laquelle l’humain est en jeu. Je voudrais donc ressusciter Adam Smith et sa Théorie des sentiments moraux comme un africain, spectateur impartial du phénomène des Flux Financiers Illicites en le gonflant par l’éthique d’ubuntuIl s’agit de compléter la sympathie du spectateur impartial smithien par la vertu de la compassion qui caractérise ubuntu. L’objectif est de refixer nos ressorts moraux dérèglés pour répondre au fléau de la corruption et des Flux Financiers Illicites.

Ainsi, cet article essaye de définir les FFI, repérer leurs sources et leur fondement, démarquer leurs conséquences, et tenter une réponse éthique. Notre méthode d’approche est analytico-descriptive complétée par l’aspect prescriptif. Il s’agira d’initier une fouille documentaire (desktop research) avec un questionnement éthique.

Les Flux Financiers Illicites (FFI): De quoi s’agit-il? 

Le concept des Flux Financiers illicites remonte dans les années 1990.  Il était utilisé dans le vocabulaire de la Banque Mondiale pour  parler de la fuite des capitaux sans toutefois faire référence à leur origine licite ou illicite.  L’expression « Flux Financiers Illicites » a été rendue familière par les organisations de la société civile dans les années 2000. La société civile attirait « l’attention  sur l’ampleur potentiellement considérable de ces flux cachés en raison de leur origine illicite ou opaque des capitaux, soit de la nature illicite des transactions »(CNUCED 2020 : 4). Ces capitaux étaient issus des ressources d’emprunts extérieurs, de l’aide publique, ainsi que des sources intérieures. La conséquence de ces fuites était que les pays en développement risquaient de ne pas s’acquitter de leurs dettes extérieures, mais aussi saper les efforts financiers d’investissement intérieur. Ainsi Epistein a tenté de définir les FFI comme étant des capitaux pris à l’étranger en cachette soit parce que c’est illégal, ou soit que le fait de les cacher va à l’encontre des normes sociales, ou, peut-être, parce que ces capitaux sont vulnérables à quelque menace économique ou politique[1](Epistein 2005: 7).

La question reste alors celle de savoir ce qui fait que ces flux financiers soient illicites et ce que « illicite » veut dire? Le concept ‘‘illicite’’ porte sur la nature des transactions des capitaux. Les capitaux peuvent être légalement gagnés, mais peuvent être illicites. L’illicéité se trouve dans le fait que les transactions peuvent être « contraires aux règles et normes établies, et notamment au bon accomplissement des obligations légales de payer l’impôt »(UA/CEA 2015 : 25).

Le terme « illicite » étant compris, nous pouvons essayer de comprendre les FFI. Deux interprétations se démarquent, à savoir l’interprétation légale et l’interprétation normative.  

La première interprétation est légale et se base plus sur les données empiriques. Selon cette interprétation, les FFI sont des capitaux gagnés, transférés ou utilisés illégalement. Les FFI sont la violation du droit à leur origine, à leur déplacement, et leur utilisation. C’est cette définition qui est largement adoptée par les Nations Unies, les Institutions Financières Mondiales ainsi que le Rapport du Groupe de Haut Niveau sur les FFI en provenance d’Afrique (UNECA 2015 : 25). L’illicéité se trouve dans le fait que, pour la plupart, ces flux de fonds sont clandestins et n’ont pas de trace écrite, et, par conséquent, contreviennent aux lois des pays d’origine tant dans leur transfert que dans leur utilisation (Banque Africaine de Développement 2017:1). Cette définition vient de Raymond Baker (Baker 2005) dans sa réflexion sur le système mondial du libre marché et ses faiblesses morales.

Les FFI ne sont pas seulement des fonds mais aussi des avoirs matériels. Dans leur définition qu’elles conçoivent comme étant une définition dénominateur commun, Musselli et Bonanomi parlent des FFI comme étant des transferts transfrontaliers d’argent ou d’avoirs liés à une quelconque activité illégale (Musselli & Bonanomi 2020 :16). Ces avoirs autres que les fonds sont notamment des biens culturels, les espèces sauvages, des pierres précieuses, du pétrole brute, etc. Je partage cette définition  de Musselli et Bonanomi tout en étant préoccupé par la question éthique.

La deuxième interprétation est normative et porte sur la (im)moralité des transactions. Elle s’appesantit plus sur les effets de FFI, particulièrement les conséquences néfastes pour le développement, mais aussi l’usage éventuel des humains comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. Les flux financiers sont illicites non seulement à raison de leurs effets sur le développement mais, aussi, parce qu’ils sont illégitimes du point de vue du consensus qui entoure le bien social du développement ou plus généralement le bien commun (Blankenburg & Kahn 2012 : 32 ; Reuter 2017: 3). Les FFI posent un problème intrinsèquement moral tant au niveau des personnes et des institutions financières impliquées dans ces transactions qu’au niveau des conséquences  de ces flux.  C’est ainsi que les pistes de lutte contre les FFI incluent et doivent inclure l’aspect éthique. Il s’agit de veiller à ce que les pratiques internes des organisations économiques et financières ainsi que le secteur privé en général respectent l’éthique (CNUCED 2020: 225).

Cependant les deux interprétations ne sont pas opposées. En fin de compte, elles se complètent. Les FFI sont fondamentalement illégaux et fondamentalement immoraux. D’abord au niveau des actes eux-mêmes. Les FFI incluent la corruption, l’évasion fiscale, la sous-facturation qui sont illégales. Les fonds des FFI viennent des actes illégaux qui sont aussi immoraux. Tels sont les cas de la fraude, trafic de la drogue, trafic humain, ou le trafic des ressources des minerais. Enfin, les FFI sont illégaux et immoraux dans leur finalité. Les fonds des FFI sont entre autre, le financement des crimes organisés et le terrorisme(The World Bank 2017).

 Quelles sont donc les sources génératrices des FFI. C’est la question discutée dans la section qui suit.

Les sources génératrices des FFI

La catégorisation des FFI est difficilement un lieu de consensus. Le rapport du CNUCED (2020), par exemple, parle de quatre grandes catégories, notamment, les pratiques fiscales et commerciales, les marchés illégaux, les activités relevant du vol et le financement du terrorisme et, enfin, la corruption. Dans sa réflexion qui aurait servi d’arrière-plan pour le rapport sur le développement mondial de 2017, Peter Reuter parle de quatre sources génératrices des FFI. Il s’agit des entreprises multinationales, des administratifs publics corrompus, des individus ou entreprises qui évitent les taxes et des impôts de manière agressive et les entrepreneurs criminels(Reuter 2017: 4-5). Cependant, un regard attentif montre que les fonds gagnés et transférés illégalement proviennent généralement de trois sources génératrices majeures(Cfr. UA/CEA 2015 : 27-35).  

 Les activités commerciales

La première source des FFI est constituée d’activités commerciales: Il s’agit des pratiques illégales telles que la fraude fiscale, l’évasion fiscale, transfert des bénéfices et la falsification ou la manipulation des prix des marchandises (importés ou exportés) et des services. Selon la CNUCED, la fausse facturation dans le commerce international à elle seule atteint environ 52 milliards de dollar. Selon certaines études, 65% des FFI sont constitués d’activités commerciales surtout les activités des entreprises multinationales.

 Les activités criminelles, marchés illégaux et économie criminelle

La deuxième source génératrice des FFI est constituée d’activités criminelles. Il s’agit du blanchiment de l’argent,  la contrebande, les trafics de drogues et des stupéfiants, la traite d’êtres humains et des migrants,  trafic d’armes et d’organes. Nous pourrions aussi ajouter le trafic des biens culturels, le commerce illégal d’espèces sauvages, l’exploitation forestière illégale, la pêche illicite, le trafic des minerais et déchets illégaux, etc.  Environ 30% des FFI sont constitués d’activités criminelles. Ces activités criminelles sont facilitées par des réseaux criminels, le secteur privé, aussi bien domestique qu’international et même des responsables publics corrompus.

Cependant, cette économie criminelle n’est pas si simple que cela parait. Selon le rapport sur l’Economie du commerce illicite en Afrique de l’Ouest (2018), elle est plutôt complexe à raison  des pratiques et des marchandises criminelles telles que la commercialisation de pétrole volé ou de cocaïne. Le pétrole est une marchandise légale, la vente du pétrole volé est une activité illégale générant des FFI. Cette vente réduit les recettes de l’Etat, implique la main d’œuvre dans les activités illégales et ignore la réglementation censée protégée. La cocaïne est une marchandise illégale, tout comme sa vente.  L’Etat ne peut pas réclamer de taxe sur ce commerce. Cependant elle impose des dépenses publiques parce que l’Etat doit déployer des ressources humaines et économiques pour lutter contre ce trafic. Or ces fonds dépensés devraient servir à d’autres fins. Certaines pratiques et services intangibles peuvent générer des économies criminelles et des FFI. La définition des FFI inclue aussi la criminalité sur l’internet ou la cybercriminalité qui est une pratique criminelle avec des conséquences économiques (OCDE 2018: 26). Comme pour la cocaïne et d’autres stupéfiants, pour lutter contre cette pratique criminelle, l’Etat doit déployer des ressources économiques et financières qui devraient servir à d’autres fins.

OCDE propose la typologie des économies criminelles suivantes:

 

Activités illégales

Commerce illicite en marchandises illicites

Extraction illicites de ressources naturelles

Définition

Activités ou marchandises illégales à tous égards (ou, dans le cas du trafic de drogue, elles sont illégales sauf lorsqu’elles sont utilisées à des fins spécifiques, à savoir médicales ou scientifiques); ainsi, toute association avec leur commercialisation est illégale par défaut.

Activités liées aux ressources majoritairement obtenues à l’extérieur de la région, pour lesquelles les pays d’Afrique de l’Ouest constituent une destination ou une zone de transit majeure.

Activités liées aux ressources obtenues dans la région qui sont intrinsèquement illégales, pour lesquelles un contrôle et une imposition de l’État seraient attendus dans des circonstances normales, mais qui n’ont jamais pénétré l’économie formelle, ou ont pénétré l’économie illicite à un moment donné entre origine et marché.

Exemples

Trafic de drogues

Enlèvement contre rançon

Traite des personnes

Trafic de migrants

Contrefaçon

Cybercriminalité/fraude

Piraterie maritime

Tabac illicite

Trafic d’armes

Trafic de marchandises

Extraction minière illicite

Détournement de pétrole

Criminalité  environnementale (dont pêche illicite, non déclarée et non réglementée)

 

Table 2Typologie des économies criminelles selon OCDE (OCDE 2018: 26)

 

Cette analyse de l’OCDE en Afrique de l’Ouest est très intéressante parce qu’elle pourrait nous permettre d’ouvrir les yeux et comprendre ce qui se passe ailleurs en Afrique, notamment dans la Région des Grands Lacs, en Afrique Centrale et Australe, les deux Soudan Nord et Sud, Madagascar et en Somalie, surtout dans le secteur minier et celui des autres ressources naturelles.

 La corruption 

La troisième source des FFI est la corruption: Il s’agit des ressources acquises grâce aux malversations financières, donc des vols commis par des fonctionnaires corrompus et leurs collaborateurs ainsi que des versements de pots de vin. Elle touche autant le secteur public que le secteur privé qui se nourrissent mutuellement. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), la corruption, à elle seule, fait perdre à l’Afrique environ 148 milliards de dollar. Ces fonds se retrouvent à des comptes bancaires offshores dans les paradis fiscaux ou même dans les banques des pays développés. Cela est un des signes qui montrent que la corruption est un phénomène global d’une part et d’autre part fait que les FFI sont un problème partagé entre les pays développés et les pays en développement

Environ 5% des FFI sont des effets de corruption. Ce pourcentage apparemment petit ne doit pas nous tromper puisque la corruption des agents publics favorise non seulement l’activité commerciale illicite du secteur privé, mais aussi les activités criminelles. La corruption n’est pas seulement une composante ouune des sources des FFI. Elle est aussi un contexte qui les facilite et les favorise. En effet, c’est surtout la corruption qui ouvre la grande porte aux FFI !

Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique, la corruption peut apporter une contribution importante aux Flux Financiers Illicites sans que les agents publics concernés exportent nécessairement leur richesse mal acquise à l’étranger.  En retour, les FFI accentuent la corruption. La corruption ainsi accentuée fragile la gouvernance qui s’expose à plusieurs conséquences.

La première conséquence la plus directe est que la gouvernance fragile rend plus facile la sortie de capitaux de l’Afrique(UA/CEA 2015).  Le manque de juridictions solides et des structures de police qui soient  rigoureuses et efficaces font qu’il est facile de transférer illégalement des ressources.

La deuxième conséquence porte sur l’activité économique. Un environnement de mauvaise gouvernance dans lequel se fait l’activité économique encourage les FFI. Dans une telle situation, les entreprises ou des investisseurs particuliers constatent qu’il est plus facile de gagner de l’argent par des activités illicites que par des activités commerciales légitimes(UA/CEA 2015: 43).

La troisième conséquence qui va avec cette dernière est encore décrite par le rapport de haut niveau sur les FFI :

il s’agit, par exemple, des pots de vin payés à des agents des douanes, des tentatives de séduction  des contrôleurs des impôts- notamment par des offres d’emploi - des paiements occultes à des agents de sécurité ; à des banquiers et à des juges… Le pouvoir politique est souvent utilisé pour empêcher les agents publics de faire leur devoir : Il peut s’agir notamment d’interdire à des agents publics de vérifier les exportations de produits minéraux, de fouiller des avions privés pour empêcher la sortie illégale d’espèces, et des arrangements politiques pour empêcher le ministère public de poursuivre les auteurs présumés d’infraction  relatives aux flux financiers illicites(UA/CEA 2015: 53).

Un regard attentif montrerait que la corruption va jusqu’à l’affaiblissement de l’Etat jusque dans ses structures les plus essentielles. Quand le pouvoir politique ne peut plus s’exercer pour faire valoir la justice, la conséquence n’est plus seulement l’affaiblissement de l’Etat jusque dans ses fondements.

Avant d’embrayer sur les fondements des FFI et la réponse éthique à y apporter,  il importe de noter leur impact.

L’impact des FFI

L’impact des FFI est lourd surtout dans les pays en développement. Nous avons déjà touché le déficit de financement des Objectifs du Développement Durable surtout le défi la cible 16.4 qui porte sur l’appui à la paix, à la justice et au renforcement des institutions. Les aspects les plus touchés sont surtout[2] :

  • la gouvernance :Quand le gouvernement n’est plus en mesure de fournir des services sociaux de base à ses  citoyens, il en résulte un malaise politique issu de la lutte entre ceux qui sont au pouvoir  et ceux qui voudrait les remplacer soit pour répondre aux attentes des citoyens, soit pour profiter eux aussi des FFI ;
  • le développement :les FFI influent négativement sur la croissance économique, la création de l’emploi, l’équilibre budgétaire. En effet, les pays en développement ont besoin de ces fonds transférés par les voies des FFI pour le développement économique ;
  • l’innovation et la transformation:En effet, les FFI découragent la création de la valeur ajoutée dans les pays d’origine. D’une part, les pays développés ont besoin de ces fonds pour financer des innovations locales. Mais ces fonds manquent à cause des FFI. D’autre part, certains produits comme les minerais et les ressources impliquées dans les FFI sortent des pays sans qu’ils soient transformés pour acquérir une valeur ajoutée ;
  • la fragilité de la réglementation  et le manque des moyens pour appliquer effectivement la loi afin de bloquer la sortie des capitaux : Les FFI fragilisent les institutions qui s’occupent de la régulation et la réglementation de l’économie ;
  • la compromission de la coopération et le partenariat international pour le développement. Les FFI sabotent non seulement les Objectifs du Développement issus des accords des forums internationaux, mais aussi la promotion du partenariat  pour l’efficacité de l’aide (pour les pays qui en ont plus besoin) et du développement.

A part ces quelques points, je voudrais me concentrer sur l’impact des FFI sur le genre qui est au centre de cette réflexion, à la  lumière du Rapport 2020 de CNUCED sur le Développement Economique en Afrique d’une part, et d’autre part à la lumière des questions qui m’ont été posées lors d’un panel sur La Corruption, Genre et les Normes Sociales à l’occasion du 3ème Symposium Académique organisé par l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC). Pourquoi cet aspect du genre particulièrement ? La problématique du genre  permet de voir l’impact des FFI d’une manière assez globale et particulière en même temps. De plus, dans les pays en développement, les FFI sont liés à la pauvreté à tous les niveaux. Les FFI sont un aspect de la « féminisation de la pauvreté »[3].

Impact des FFI sur les inégalités des genres

Le Rapport du CNUCED démarque et discute quatre lieux où l’impact des FFI touchent la question l’inégalité des genres. Passons-les brièvement en revue.

 Les FFI  retardent le financement de l’égalité des genres

Selon le rapport du CNUCED, l’évasion et la fraude fiscales pénalisent surtout les femmes, en compromettant les efforts faits pour rattraper le retard pris dans le domaine du financement de l’égalité entre les sexes. Les Etats qui subissent les chocs des FFI ne peuvent plus financer les politiques entreprises dans cette perspective (CNUCED 2020 : 183). Le haut-commissariat des Nations Unies pour les droits humains fait la même observation. Il soutient que les FFI empêchent tous les pays, mais en particulier les pays à faible revenu, de mobiliser les ressources nécessaires à un développement inclusif et équitable.

 Les FFI privent les états pauvres des recettes publiques dont les destinataires sont en majorité des femmes et des filles

En deuxième lieu, le genre est à prendre en considération dans l’examen de l’impact négatif des FFI sur les résultats en matière du développement. La fraude fiscale se solde par une perte de recettes publiques qui réduit les budgets disponibles pour financer les services publics et les opportunités socio-économiques dont les destinataires sont en majorité des femmes et des filles (CNUCED 2020: 144). Selon les statistiques du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits humains, les femmes sont plus dépendantes des services publics. La majorité des 1.5 milliards de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour sont des femmes. La plupart de ces femmes vivent dans les pays pauvres notamment en Afrique.

Les FFI sapent la productivité des femmes et leur pouvoir de transformer la société  

L’investissement public dans l’éducation des enfants peut aussi avoir des effets positifs sur la productivité et l’égalité des sexes, en permettant aux femmes, qui s’occupent du foyer, de consacrer plus de temps à une activité mieux rémunérée. En effet, selon FEMNET, culturellement et socialement les femmes gèrent un gros pourcentage des travaux de ménages, gestion de la maison, prise en charge des enfants, des malades et des personnes âgées. La plupart des fois, ces services ne sont pas rémunérés surtout dans les pays en développement. L’égalité des sexes dans l’accès à l’éducation peut aussi contribuer à l’accroissement de la productivité et à la transformation structurelle. Cette même égalité appliquée à l’enseignement supérieur peut conduire à une amélioration de la qualité des institutions et peut aussi favoriser la réduction des FFI.   

 FFI comme atteinte à l’égalité des genres par le trafic humain qui touchent plus les femmes et les filles

Le genre est aussi en prendre en considération sur le plan des infractions sources des FFI. Les FFI portent atteinte à l’effort de l’égalité des genres à travers le trafic humain.La traite des êtres humains et des migrants sont une source majeure des FFI dans le monde. Selon les rapports des Nations Unies, 72% des victimes sont des femmes et des filles. 49% des victimes de la traite des humains et du trafic illicite des migrants sont des femmes et 23% des filles. Or la traite des êtres humains ainsi que l’exploitation sexuelle et du travail associés au travail forcé, services domestiques notamment sans oublier l’extraction des organes génèrent des montants colossaux. Les organisations terroristes recourent à la traite des êtres humains pour financer leurs activités et leurs structures.

Ce sont là quelques lieux de l’impact des FFI sur le genre et l’égalité des genres. Ayant défini les FFI et analyser les sources qui les génèrent ainsi que leur impact, la question sur laquelle il convient de se pencher est celle de leur racine fondamentale. En effet, pour pouvoir traiter de la question des FFI, il faut aller à leur racine. Le point suivant se propose d’en débattre et d’y fournir les réponses idoines. 

Le problème fondamental des FFI ?

Le problème fondamental des FFI est à situer à deux niveaux complémentaires. Le premier niveau est celui de la perte de densité ontologique de l’être humain fondamentalement. Comme le signale Ntibagirirwa (2004), la question de la perte de la densité ontologique de l’être humain a été soulevée par le philosophe américain, Alasdair MacIntyre dans son livre, After Virtue publié en 1982. En substance, MacIntyre (MacIntyre 1982) notait que la caractéristique majeure de la perte de la densité ontologique de l’être humain est l’absence de boussole  ainsi décrite.

  • Réaction contre l’éthique sociale et chrétienne où l’être humain est social et politique. L’individu parle et agit sans contraintes extérieures ni de la loi divine, ni de la communauté ;[4]
  • Réaction contre la tradition moralearistotélicienne: L’individu vit et se comporte comme s’il n’y avait pas de finalité dans la vie, même pas une téléologie naturelle;
  • Essor de la démocratie fondée sur le contrat social: L’individu parle et agit comme s’il n’y avait ni d’autorité  sociale, ni d’autorité morale.

L’implication est telle que l’économie de cette nouvelle conception de l’être humain met en danger le sens humain de la générosité, l’esprit de sacrifice et du don de soi. Il n’est plus possible de parler de la responsabilité pour soi-même, pour les autres et pour le bien commun. L’idée de bien commun disparait, et avec elle, la dignité humaine comme centre de tout projet social et économique. Or la dignité humaine est ce qu’elle est quand l’être humain est pleinement intégré en lui-même et dans la société.  Selon, Korten, l’argent a déplacé tout sens spirituel comme fondement de nos valeurs culturelles et morales. De fait, l’argent et le marché qui le génère ne sont pas des structures morales(Korten 1995 : 267-268).

Telle est la toile de fond contre lequel peut se comprendre la perte de la densité ontologique de l’être humain dans le contexte de l’économie actuelle. La perte de la densité ontologique de l’être humain n’est pas un problème local. Il s’agit d’un problème du phénomène humain globalement causé entre autre par la mondialisation de l’économie. C’est d’ailleurs ce qui fait que FFI est un problème partagé entre les pays riches et les pays pauvres. Les FFI ont des pays qui sont des sources et des pays qui sont des destinations comme le précise la CNUCED. Les sources des FFI sont en grande partie les pays  en voie de développement, ou les pays pauvres. Les destinations sont des pays riches qui leur offrent des moyens sécurisés comme le secret financier, la stabilité politique ainsi que des opportunités d’investissement(Reuter 2017: 16). Les FFI sont de l’argent volé des pays pauvres et cachés dans les pays riches.

C’est cette perte de la densité ontologique  de l’être humain qui fait que les grandes entreprises  disposent des « moyens énormes de se procurer les services spécialisés des meilleurs juristes, comptables, banquiers et autres spécialistes pour les aider à perpétuer leurs activités illégales et agressives ». De même, les organisations criminelles, en particulier les trafiquants internationaux de drogues et des humains dont les migrants, ont assez d’argent pour corrompre agressivement de nombreux acteurs, notamment, et en particulier, parmi les agents des gouvernements, et disposent d’une capacité à même de “capturer” des États fragiles(UA/CEA 2015 : 5).

Le deuxième niveau est celui de la gouvernance. En fait, la gouvernance pourrait être la mesure de la densité ontologique de l’être humaine dans l’ordre politique et économique. D’un point de vue pratique, le problème des FFI est un problème de gouvernance locale et mondiale. Les FFI  posent la question de gouvernance tant au niveau de sa cause qu’au niveau de son impact. Les FFI sont le résultat d’un dysfonctionnement au niveau de la gouvernance en même temps qu’ils ont un impact sur la gouvernance.

Essayons d’abord de comprendre ce que c’est la gouvernance. Le mot « gouvernance » vient du grec kubernan, qui veut dire, piloter un char ou un navire. Par après kubernan s’est transformé en un verbe latin, gubernare pour désigner le gouvernement des hommes. Au 13ème siècle, le mot gouvernance était utilisé comme l’équivalent de gouvernement, c’est-à-dire l’art ou la manière de gouverner. Sans entrer dans toute l’histoire du mot, le concept de gouvernance est entré dans le vocabulaire de la gestion politique et économique pour signifier l’art de gouverner, les outils du gouvernement, l’administration et la gestion de l’Etat au sens large(Cabane 2019: 26-27). 

Paquet abonde dans ce même sens et définit la gouvernance de manière descriptive comme : « toutes les activités des agents ou de groupes sociaux, politiques, économiques, administratifs, qui contribuent par des efforts ciblés à orienter, guider ou contrôler certains aspects ou certaines dimensions particulières d’un système ou d’une socio-économie » (Paquet 2000 : 9). Orienter, guider et contrôler supposent certains principes notamment la responsabilité, la redevabilité, la transparence, la participation et le respect des règles convenus. Selon l’Institute of Governance of Canada (IOG), à part ces principes fondamentaux, la gouvernance suppose aussi l’équité et un comportement éthique(IOG 2023). C’est d’ailleurs sur cette base que la gouvernance est jugée bonne ou mauvaise selon que ces principes sont respectés ou pas.

Ainsi donc, derrière cette description de la réalité de la gouvernance se trouve une exigence normative et éthique. En fait, nous sommes dans le champ de l’éthique politique et économique.  Et c’est cet aspect normatif  et éthique qui nous guide pour parler du lien en la qualité de la gouvernance  et les FFI.

Selon la Commission Economique Africaine,  (UA/CEA 2015: 53), les FFI sont un problème de gouvernance à raison d’une insuffisance et de la fragilité des institutions et de la règlementation. C’est ainsi que les FFI contribuent à compromettre les agents et les institutions publics. A la longue, les activités des FFI aboutissent à une impunité très ancrée et à l’institutionnalisation de la corruption. Du coté des acteurs, les FFI posent un problème de gouvernance au point de vue de la vie civique. Le civisme est la base de la bonne gouvernance politique et économique. Les FFI sont le résultat d’un manquement aux obligations civiques. En d’autres termes, dissimuler des richesses et ne pas s’acquitter de l’impôt,  c’est manquer à ses obligations civiques, et donc une manifestation de la pauvreté civique. La pauvreté civique renvoie à la perte de la densité ontologique de l’être humain.

La pauvreté civique comme une démarcation évidente de la perte de la densité ontologique de l’être dénote deux risques majeurs. Il s’agit du risque de sécurité négative d’une part et le risque de sécurité positive d’autre part. Le risque de sécurité négative, récurrent dans les Etats en faillite, consiste entre autre en des conflits, l’illégitimité de l’Etat suivi de désordre social et politique ainsi que la recherche de rente. Le risque de sécurité positive,  quant à lui, consiste en l’incapacité de l’Etat à fournir des services de base, les inégalités croissantes, des défaillances dans la représentation politique, etc. A la longue,  de cela peut résulter en désordre, notamment par la désobéissance civile ou des manifestations désordonnées.

L’observation du Rapport du Groupe de haut niveau sur les FFI en provenance d’Afrique le précise en ces termes :

La mauvaise gouvernance contribue aussi aux flux financiers illicites. Un environnement de qualité médiocre de l’activité économique peut encourager ces flux quand les intéressés constatent qu’il est plus facile de gagner de l’argent par des activités illicites que par une activité commerciale légitime. De plus, la corruption généralisée n’est pas seulement l’une des sources des flux financiers illicites mais également un facteur qui incite à de telles activités en affaiblissant les institutions et le respect de la légalité. Une juridiction solide, des organismes de police efficaces font qu’il est difficile pour des particuliers ou des entreprises de transférer illégalement des ressources (UA/CEA 2015 : 43).

  1. Quelle éthique pour la prévention des FFI

A la racine des FFI, il sied de mentionner la perte de la densité ontologique dont nous avons décrit les différents aspects. Le type d’éthique pour répondre au problème des FFI doit être une éthique humaniste qui considère l’être humain comme une fin en soi et non un moyen. Il s’agit   de ramener l’être humain, à l’humain, à son humanité. L’ampleur des FFI est un signe du dérèglement des ressorts éthiques. Elle mesure l’essoufflement de notre humanité malgré les efforts déployés dans un cadre comme celui-ci. Il s’agit de retrouver l’éthique de l’humanité au-delà du gain et du profit, au-delà de l’égoïsme et de l’intérêt personnel qui nuisent à l’autrui, et finissent par nuire au cadre de l’économie canonique.

Les FFI ne sont pas simplement une violation du droit dans leur origine, transfert et usage, ils sont fondamentalement les violations des valeurs humaines et morales. Quand ces valeurs ne sont plus une référence, les gens deviennent incapables d’assumer véritablement leur identité. Aussi auteurs des FFI sont-ils impuissants de traiter les victimes des activités commerciales, criminelles et de la corruption comme des humains ou des fins en soi.  Or refuser le soin « care » à l’être humain et ce qui peut le promouvoir pour être plus humain, c’est perdre sa propre humanité.

Comme antidote contre le mal de FFI, nous proposons l’éthique d’Ubuntu[5] qui reconnecte l’économie, prise dans les méandres de l’égoïsme, à la sphère sociale. Concrètement, cela veut dire que les entreprises et le monde des affaires doivent prendre au sérieux l’éthique des entreprises à travers une bonne gouvernance interne et une gouvernance externe de l’entreprise. Cette reconnexion a une double implication.

La première implication est l’intégrité. L’intégrité est l’une des vertus d’ubuntu. C’est la vertu de ce qui est tout, sans division, fidèle à soi-même, préservé de la corruption, etc.  Nous ne pouvons pas parler de retrouver notre humanité dans l’ordre économique sans parler d’intégrité. Ceux qui sont impliqués de près ou de loin dans les FFI ont perdu leur intégrité et, donc, ne sont plus eux-mêmes en tant qu’humains. Ils ne sont plus préservés de la corruption et, donc manifeste une haute susceptibilité de corrompre et d’être corrompus. C’est pour cela qu’ils ont tendance à cacher ou se cacher…

L’humanité qui est la base éthique de laquelle le monde économique doit repartir ne concerne pas seulement le monde des affaires mais aussi les autorités gouvernementales.Il est plus facile et peu coûteux de faire des affaires avec des gouvernements qui ne sont pas corrompus que de faire les affaires avec ceux qui sont corrompus.

La deuxième implication est la redevabilité ou accountability en anglais. La redevabilité est la capacité à rendre compte! Rendre compte veut dire être responsable, c’est-à-dire pouvoir répondre. La redevabilité est donc un aspect de la responsabilité, pouvoir répondre. Ceux qui font les affaires sur base de l’éthique d’ubuntu rendent compte, et sont donc responsables. Le problème des FFI, est que ceux qui sont impliqués dans ce type de transactions ne sont pas redevables.  

C’est dans ce sens que, en 2000, les Nations Unies ont lancé le Pacte Mondial (UN Global Compact) pour inciter les entreprises au niveau mondial à adopter une attitude qui soit socialement responsable en s’engageant sur dix principes repris ci-après:

  1. Droits humains
  2. Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l'homme dans leur sphère d'influence ; et
  3. A veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de

violations des droits humains.

 

  1. Normes du travail
  2. Les entreprises sont invitées à respecter la liberté d'association et à reconnaître le

droit de négociation collective ;

  1. L'élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ;
  2. L'abolition effective du travail des enfants ; et
  3. L'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.

 

  1. Environnement
  2. Les entreprises sont invitées à appliquer l'approche de précaution face aux

problèmes touchant l'environnement ;

  1. A entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité

en matière d'environnement ; et

  1. A favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de

l'environnement (United Nations 2000).

 

             Lutte contre la corruptio

Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, ycompris l'extorsion de fonds et les pots-de-vin.

La souscription à ce pacte est volontaire pour montrer l’engagement à faire les affaires avec intégrité et d’en rendre compte régulièrement. Ainsi cette souscription doit être suivie d’une communication ou d’un rapport sur le progrès fait dans ses affaires. Cette approche volontariste à faire les affaires dans la transparence peut être inscrite dans l’éthique de l’ubuntu et devrait être renforcée.  

Les dix principes du Pacte Mondial des Nations Unies ont été métamorphosés en une version condensée proposée par le Professeur John Ruggie et approuvée par le Conseil des Nations Unies pour les Droits de l’Homme le 16 juin 2011. Il s’agit des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme(Nations Unies 2022). Le cadre politique de ces principes repose sur trois piliers principaux qui nous ramènent aussi à l’éthique d’ubuntu à différents niveaux, à savoir : Protéger, Respecter et Réparer.

  • Protéger : L’obligation de protéger incombant à l’Etatlorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme; ce qui suppose des politiques, des règles et des mécanismes pour le règlement des conflits ;
  • Respecter : La responsabilité des entreprises de respecter les droits humains;autrement dit, de faire preuve de diligence raisonnable pour veiller à ne pas porter atteinte aux droits d’autrui ;
  • Réparer: L’accès effectif à des mesures de réparation, tant judiciaires que non judiciaires, pour les victimes d’atteintes aux droits humains(Nations Unies 2022 : 2).

Pourquoi lier les FFI et ces codes des Nations Unies ? Les FFI sont des violations des droits humains ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels. La violation de ces droits affecte la capacité de survie, de l’éducation, de la santé etc. Les entreprises du monde entier, quelle que soit leur taille, sont invitées à prendre les mesures nécessaires pour appliquer ces principes dans toutes leurs activités et relations commerciales.           

  1. Ethique d’ubuntu comme réponse à la question des FFI pour réduire les inégalités des genres 

L’éthique d’ubuntu proposée comme réponse aux FFI est une éthique communautaire inclusive. Adrien Ntabona a raison de dire que ubuntu, ou humanité réussie comme il le définit(Ntabona 2020, voir aussi Ntabona 2021), est la haute idée de la dimension communautaire de la personne(Ntabona 2022: 5ss). Dans toute l’Afrique-bantu, cet aspect communautaire inclusif est exprimé différemment mais concourant au même point. A titre indicatif, nous retenons les dictons retrouvés chez les Burundais : Imana igukunze iguha  abantu (Si Dieu t’aime, il te donne ou il t’entoure de gens qui te sont favorables). Ishiga rimwe ntiryakira (Pour constituer un foyer, une seule pierre ne suffit pas pour porter une marmite [il en faut trois]); Inkigi imwe ntigira inzu (Une seule colonne ne suffit pas pour soutenir toute une maison). Ce ne serait pas superflu de mentionner le principe de John Mbiti au Kenya, « Je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes donc je suis » ou encore, le dicton Zulu, « Umuntu ngumuntu ngabantu », l’être humain est une personne quand il est avec les autres[6].

Derrière  le langage, il y a toute la problématique de la socialité[7] où l’inclusion et la participation ne sont pas juste des formalités,  mais une voie incontournable de confronter les défis poignant qui nous concernent tous dans la société. Les dictons africains en disent long : « Si vous voulez aller loin, allez ensemble » ou encore, « Les bâtons dans un paquet sont incassables ».  De fait, ubuntu veut dire que nous jouissons d’une humanité commune !

Ainsi, l’agenda 2030 des Objectifs du Développement Durable parle du principe « Leave no one behind ».  FEMNET parle de « Leave no Woman or girl behind », un appel à ne laisser aucune femme ou fille derrière. L’éthique de l’humanité nous amène donc à une approche inclusive et participative dans les processus du développement économique. Non seulement les politiques de lutte contre les FFI doivent impliquer les femmes surtout en Afrique où le système patriarcal les défavorise, mais aussi les femmes elles-mêmes doivent s’impliquer davantage.

Enfin la perspective éthique doit être le fer de lance dans la localisation, la neutralisation et le recouvrement des FFI. Une bonne partie des ressources recouvrées doivent être réinvesties dans la réduction des inégalités des genres d’une part, et, d’autre part, renforcer les capacités de femmes dans la lutte contre les FFI.

            Conclusion 

Après avoir circonscrit la question des FFI, nous avons essayé de les définir et démarquer leurs sources génératrices majeures. Nous nous sommes accordé avec Raymond Baker qui, dans son oeuvre Capitalism’s Achilles’ Heel  blame le libre marché mondial qui opère de manière illicite et corrompue(Baker 2005). Vu sous cet angle, nous nous sommes basés sur le rapport du CNUCED pour affirmer que les FFI sont un problème que partagent les pays développés et les pays en développement. Si les pays en développement perdent matériellement et moralement, les pays développés gagnent matériellement en étalant au grand jour un déficit moral. Cette observation cadre bien avec la définition des FFI comme communément de l’argent des transferts  ou des biens liés à une quelconque activité illégale. Ou encore, les mouvements entre les pays d’argent et d’avoir dont la source, le transfert ou l’emploi sont illégaux.

Dans ces définitions, nous avons distingué entre l’aspect légal et l’aspect qui s’appesantit sur des données empiriques et l’aspect normatif qui dévoile leur caractère caché qui fait que les capitaux transférés et utilisés sont illicites à leur origine et dans leurs transactions. Trois sources génératrices de ces FFI ont été identifiées à savoir, les activités commerciales, les activités criminelles et la corruption.

De plus, nous avons souligné l’impact des FFI en nous appesantissant sur l’égalité des genres. Ainsi en creusant plus en profondeur, nous avons réalisé que les FFI ont un double fondement,  à savoir la perte de la densité ontologique de l’être humain ainsi que le problème de la gouvernance, qui, au fond, n’est qu’un fruit de cette perte En fait, les pays en voie de développement et les pays développés partagent le problème des FFI du fait d’abord d’un déficit moral grave qui résulte de la perte de la densité ontologique de l’être humain. L’implication est le problème de la gouvernance mondiale et locale en même temps !

La découverte du mal nous a permis de proposer un antidote conséquent, à savoir l’éthique d’Ubuntu propre au contexte africain et qui s’ouvre à l’universalisation. Il s’agit de ramener l’être humain à lui-même comme problème et solution en même temps. Ainsi notre approche a été autant analytico-descriptive que prescriptive.

Dans le prolongement de ce développement, la suggestion es*t que les solutions proposées de neutraliser, localiser, et recouvrer les FFI (UA/CEA 2015) ne peuvent suffisamment réussir sans référence à la dimension éthique de l’être humain, la référence à sa propre humanité. Il s’agit de réveiller le spectateur impartial qui a la fibre morale de sa communauté tout en le ramenant à sa densité ontologique d’être humain, donc à son humanité comme référence morale ultime(voir Smith 1982). La question de l’inégalité des genres accentuée par les FFI trouve une réponse sur cette base. La gouvernance qu’elle soit politique ou économique doit se référer à ce même ordre et la question.

 


[1]Ma traduction

[2]Voir (UA/CEA 2015 : chap.3)

[3]Selon  Hermine Naghdalyan « les femmes sont plus touchées que les hommes par la pauvreté, que leur pauvreté est plus grande que celle des hommes et qu’il y a une tendance à l’accroissement de la pauvreté des femmes »

[4]Le courant post-moderniste qui veut s’imposer  aujourd’hui cherche à comprendre aujourd’hui le fonctionnement de sociétés d’individus sans repères et sans imaginaires préétablis et surtout pas de méta-narrative   dans laquelle la société se reconnait.

[5]J’ai défini le concept d’ubuntu et l’éthique qui en découle  ailleurs. Je réfère le lecteur particulièrement aux publications suivantes :

  • Ubuntu comme concept métaphysique (Ntibagirirwa 2017), Cultural values, economic growth and development (Ntibagirirwa 2010) et A wrong way: From Being to having in the African value system (Ntibagirirwa 2001)

Cependant pour donner une idée simplifiée à ceux qui me lisent pour la première fois, je distingue entre trois aspects d’ubuntu. En premier lieu, dans le sens ordinaire, plus courant, ubuntu est utilisé pour désigner une qualité morale inhérante à une personne. Cette qualité morale comprend un ensemble de valeurs morales et humaines attendues d’une personne comme telle, un être d’humanité, un humain parmi les humains  (Voir Ntabona 2021 ; Ntabona 2022). Il s’agit des valeurs comme la générosité, l’amour, le respect, la compréhension mutuelle, la compassion, entraide, etc. Ubuntu est donc la mesure de la densité morale d’une personne. En deuxième, ubuntu est compris comme un phénomène comme une éthique (Shutte, 2001), une philosophie (Ramose, 2002), un humanisme africain (Khoza, Ubuntu as African humanism, 1994) (Khoza, Attuned Leadership: African Humanism as Compass, 2011), et même une idéologie (Samkange & Samkanga, 1980). Certains parlent d’ubuntu comme un humanisme africain. Tandis que ubuntu comme une qualité morale peut se dire de toute personne qu’il soit africain ou pas, ubuntu comme phénomène est particulier à l’Afrique surtout l’Afrique-bantu! Le troisième aspect est abstrait, métaphysique. Il s’agit d’ubuntu comme humanité ou essence de l’être humain. Ubuntu comme qualité morale et même ubuntu comme phénomène sont des atterrissages de ubuntu au sens métaphysique. L’étre humain fait des choses ou se comporte en fonction de son humanité et non comme tout autre chose. Et je peux être jugé sur cette base. Il y a une manière humaine de voir et de faire les choses. Un animal fait les choses selon son être animal.

[6]Joseph Ki-Zerbo a exprimé ce proverbe Zulu en ces termes : « Sans l’autre je n’existe pas, sans l’autre je ne suis rien, ensemble nous ne faisons qu’un »(Ki-Zerbo 2007)

[7]Ici je fais écho à une réflexion du fameux penseur de la République Démocratique du Congo, Tshamalenga  Ntumba à savoir, Langage et socialité : Primat de la bisoïté sur l’intersubjectivité (Tshamalenga 1985).

Référence Bibliographique: 

  1. Baker, R W 2005. Capitalism's Achilles Heel: Dirty Money and How to Renew the Free-Market System.Hoboken: John Wiley & Sons.
  2. Banque Africaine de Développement 2017. Politique du groupe de la banque en matiere de prevention des flux financiers illicites. Abidjan: BAD.
  3. Blankenburg, S., & Kahn, M 2012. Governance and illlicit financial flows. Dans P. Reuter, Draining development? Controlling flows of illicit funds from developing countries (pp. 21-67). Washington: The World Bank.
  4. Cabane, P 2019. Manuel de gouvernance d'entreprise: Les meilleures pratiques pour créer de la valeur (éd. 2ème). Paris: Eurolles.
  5. CNUCED 2020. Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique . Genève: Nations Unies.
  6. Epistein, G 2005. Capital Flight and Capital Controls in Developing Countries. Cheltenham: Edward Elgar.
  7. Khoza, R J 1994. Ubuntu as African humanism. Diepkloof: Paper read at Ekhaya Promotions.
  8. Khoza, R J 2011. Attuned Leadership: African Humanism as Compass. Johannesburg: Penguin.
  9. Ki-Zerbo, J 2007. Repères pour l'Afrique. Dakar: Panafrica.
  10. Korten, D C 1995. When Corporations Rule the World. San Francisco: Berret-Koehler Publications.
  11. MacIntyre, A1982. After Virtue. Indiana: University of Notre Dame Press.
  12. Musselli, I., & Bonanomi, E B 2020. Illicit Financial Flows: Concept and definition. International Development Policy, 12(1), 1-26.
  13. Nations Unies 2022. principes directeurs des nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Genève: Nations Unies.
  14. Ntabona, A 2020. L'Ubuntu (humanité réussie). Ses roses et ses épines au Burundi. Bujumbura: Editions du CRID.
  15. Ntabona, A 2021. L'Ubuntu (Humanité réussi) et sa revitalisation au Burundi. Bujumbura : Editions du CRID.
  16. Ntabona, A 2022. Les bashingantahe: Repères vivants de l'ubuntu. Bujumbura: Editions du CRID.
  17. Ntibagirirwa, S 2001). A wrong way: From Being to having in the African value system. Dans P. Giddy, Protest and Engagement: Philosophy after Apartheid at an Historically Black South African University (pp. 65-81). Washington, D.C. : The Council for Research in Values and Philosophy.
  18. Ntibagirirwa, S 2004. Repenser la finalité de l'économie à l'heure de l'économisme. Ethique et société, 1(1), 8-31.
  19. Ntibagirirwa, S 2010. Cultural values, economic growth and development. Dans G. Moore, Fairness in international trade (pp. 27-46). New York: Springer.
  20. Ntibagirirwa, S 2017. Ubuntu as a metaphysical concept. DOI 10.1007/s10790-017-9605-x, 1-21.
  21. OCDE 2018. Flux Financiers Illicites: L'économie du commerce illicite en Afrique de l'Ouest. Paris: Editions OCDE.
  22. Paquet, G 2000. La gouvernance en tant que manière de voir : le paradigme de l’apprentissage collectif. Dans L. Cardinal, & C. Andrew, La démocratie à l’épreuve de la gouvernance (pp. 9-41). Ottawa: Presses Universitaire d'Ottaw.
  23. Ramose, M B 2002. African Philosophy through Ubuntu. Harare: Mond Books.
  24. Reuter, P 2017. Illicit Financial Flows and governance: the importance of disaggragation. Background paper: Governance and law.
  25. Samkange, S., & Samkanga, T M 1980. Hunhuism or Ubuntuism: A Zimbabwe Indigenous Political Philosophy. Salisbury: Graham Publishing.
  26. Shutte, A 2001. Ubuntu: An Ethic for a New South Africa. Pietermaritzburg: Cluster Publications.
  27. Smith, A [1776]1965. An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. New York: Modern Library.
  28. Smith, A 1982. The Theory of moral sentiments. Indianapolia: Liberty Fund.
  29. The World Bank 2017, July 7. Illicit Financial Flows (IFFs). Consulté le Juillet 19, 2021, sur https://www.worldbank.org/en/topic/financialsector/ brief/illicit-financial-flows-iffs
  30. Tshamalenga, N1985. Langage et socialité: Primat de la bisoïte sur l'intersubjectivité. Dans F. C. Kinshasa, Philosophie africaine et ordre social (pp. 57-82). Kinshasa: FCK.
  31. UA/CEA 2015. Flux Financiers Illicites. Addis Abeba: UA/CEA.
  32. UNCTAD 2020. Economic Development in Africa Report 2020 Tackling Illicit Financial Flows for sustainable development in Africa. Geneva: United Nations.
  33. United Nations 2000. United Nations Global Compact: Inspiring, guiding and supporting companies to do business responsibly and take action for a more sustainable future. New York: United Nations .
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