BUDGET PROGRAMME OU BUDGET AXE SUR LES RESULTATS AU BURUNDI : EVOLUTION OU REVOLUTION DANS LA POLITIQUE DE BUDGETISATION ?

Abstract: 

This paper has dealt with the issue of budget-for-program which is results-based or performance-based budgeting, with in mind Burundi as case study. The results-based budgeting is not just an evolution in budgeting process, but a genuine revolution. It is a take-off from the means-based budgeting as an outcome central attention in budget process. The concept of results-based budgeting is defined and understood to demarcate its relevance for developing countries like Burundi.  Indeed, results-based budget is part of various reforms in public administration that has been issued from the New Public Management.  This goes back to the 1980s/1990s even further back to 1970s. Thus, the purpose of the New Public Management was to impart the spirit and virtues of the private sector in public administration which was charged of being too bureaucratic, so that it could be efficient, effective, fair, result oriented for the best interest of the citizens, and the common good on the whole. Ethically, budget-for-program or results-based budgeting seems to operate on the ethics of external control. Efficiency, effectiveness, performance, quantifiable results and professional values, which form external public ethics, are thought to regulate individual and collective behavior of public agents to achieve the purpose of results-based budgeting. However, results-based budgeting requires more than external public ethics. It also requires   internal public ethics as a process of humanization that brings back public agents to themselves as authentic human beings capable of ethical insights. Such an ethical intuition is key to the process of deliberation and decision-making in public affairs. Therefore, the ethics of public affairs is credited from Aristotelian perspective as the bridge between external public ethics and internal public ethics. The success of budget-for-program should bear this price tag. Otherwise, there will not be a revolution in the policy of program budgeting.

  1. Introduction

Dans son rapport, Budget Programme axé sur les performances en Afrique : Rapport d’état d’avancement 2013, CABRI observe que 80% des pays africains sont engagés et se sont engagés à introduire le système de Budget Programme axé les Performances (BPP), appelé aussi budget axé sur les résultats (BAR). Pourquoi une telle affluence engagée et engageante ? Serait-ce un fait d’une génération spontanée lié au besoin de changement ou un fait de conjoncture ? Serait-ce une réponse à un besoin interne (donc un sursaut paradigmatique) ou une pression extérieure qui exigerait de s’ajuster ?

Pour répondre à ces questions, nous tenterons de comprendre ce que c’est le budget programme, ou budget axé sur les résultats, son importance et son origine. Le point que nous voulons démarquer est que le budget programme fait partie des transformations paradigmatiques issues de la Nouvelle Gestion Publique (NGP), appelée aussi, le Nouveau Management Public (NMP). La NGP « est généralement définie comme un mouvement international de réforme des administrations publiques qui a vu le jour au début des années 1970/1980 et qui vise une augmentation de leur efficacité organisationnelle à l'aide de méthodes de gestion empruntées aux entreprises privées »(Desrochers, 2016). Le NGP a certaines valeurs qui peuvent inspirer une bonne gouvernance financière et administrative pouvant propulser le développement économique dont le Burundi a besoin. Nous soutiendrons que la réussite du budget programme dépendra de l’appropriation de l’éthique des affaires publiques. Les défenseurs de la NGP nous font croire que les comportements individuels et collectifs des agents publics sont régulés par le contrôle externe qui consiste en la déontologie du travail ou des codes d’éthique là où il y en a ou des valeurs professionnelles telles que la performance, les résultats, la création ou l’innovation(Caron & Giauque, 2005). Cette éthique externe des affaires publiques que je considère comme une « éthique des outils » ou éthique mécanique est limitée surtout dans des pays où la pauvreté matérielle s’est ouverte à l’appauvrissement morale et la perte de la densité ontologique de l’être humain ou pauvreté anthropologique. C’est pour cela que le budget axé sur la performance doit aussi prendre au sérieux le contrôle interne. Celui-ci consiste en une éthique interne comme « processus d’humanisation »(Simon, 1993) qui ramène l’être humain à lui-même[1] avec ses obligations telles que la conscience du bien et du mal, la responsabilité, ainsi que l’ouverture à la vérité et à la vertu. L’éthique qui sous-tend le budget programme se situe dans la tension entre l’éthique externe et l’éthique interne, le contrôle externe et le contrôle interne.  

  1. Comment le Budget Programme ?

En simple termes, le budget programme ou budget de programme est le résultat d’une budgétisation par programme. Le programme est « un ensemble d'actions ou d'activités coordonnées dans le temps et dans l'espace destinées à atteindre des résultats objectivement vérifiables » (Budget-programme, 2022). Le « programme » du budget programme est reconnu de par ses propres spécificités, notamment :

  • Les programmes doivent être associés à des priorités stratégiques identifiées dans la phase de planification ;
  • Un programme du budget programme doit être indépendant d’autres programmes et avoir une stratégie propre ;
  • Il doit regrouper des activités formant un tout organique et cohérent ;
  • Une chaîne de responsabilité indépendante doit être associée à chaque programme. Néanmoins, la responsabilité pour un « programme » est confié à un dirigeant sur une politique publique identifiée, au sein des compétences d’un ministère, et sur les moyens budgétaires qui lui sont globalement consacrés, pour améliorer la performance de la gestion publique et atteindre des résultats attendus.
  • L’affectation du personnel doit être exempt d’ambigüité et ne pas contredire la chaîne de responsabilité (Budget-programme, 2022, p. 2). 

Ainsi, nous parlons de budget programme pour démarquer ce type de budget du budget dit de moyens, c’est-à-dire, « le budget qui détermine les moyens que l’Etat donne à ses services pour faire leurs dépenses » (République de Côte d'Ivoire, 2021); l’accent étant mis sur les dépenses effectuées pour le bien de la population. Il faut comprendre le « bien » au sens large et englobant, à savoir le bien commun un ensemble des conditions matérielles, sociales, politiques, économiques, religieuses et spirituelles qui contribuent à l’épanouissement de l’être humain.

Le budget programme est axé sur les résultats en ce sens qu’il est défini par les résultats basés sur des objectifs bien déterminés avec, éventuellement, des indicateurs de vérification correspondants. Ainsi, Michel Bouvier a raison de définir le budget programme comme « un budget de résultats qui se différencie du budget de moyens dans la mesure où sont fixés des objectifs assortis d'indicateurs » (Bouvier, 2012). Mukenge-Katumba abonde dans le même sens comme nous pouvons le voir dans sa définition :

le Budget-programme est un budget basé sur les résultats précis à atteindre au bout d'une période donnée. C'est un outil de gestion et de planification qui privilégie la performance. Il combine des actions prioritaires à réaliser sous des contraintes de ressources matérielles, financières et humaines. Il vise à accroitre l'utilisation efficace et équitable de toutes les ressources publiques dans le but de promouvoir la croissance, d'améliorer le niveau des revenus et par conséquent de réduire la pauvreté (Mukenge-Katumba, 2022, p. 1329).

Le budget programme est aussi défini comme :

Un mode de présentation des crédits budgétaires consistant à regrouper les actions d'une même organisation par programme en rapprochant pour chacun d'eux les crédits de toutes natures et les résultats physiques ou financiers attendus, le tout étant complété par une projection indicative portant sur plusieurs années (Raymond & Jean, 2003, p. 80).

C’est donc en vertu des résultats avec des indicateurs de mesurage, si possible, que le budget programme est dit axé sur les performances ou sur les résultats. Selon OCDE (2007), la budgétisation axée sur les performances est un processus de budgétisation permettant d’établir un lien entre des fonds alloués d’une part et des résultats mesurables de l’autre. Robinson (2007) définit la budgétisation axée sur les performances comme un système budgétaire qui vise à améliorer l’efficacité et l’efficience des dépenses publiques en liant le financement des agences du secteur public aux résultats qu’elles fournissent(Robinson, 2007).

Le budget programme est remarquable par ses caractéristiques dont les plus saillantes retenues sont les suivantes :

  • L’accroissement de l’impact des dépenses publiques sur la croissance et la réduction de la pauvreté ;
  • Le rapprochement entre les besoins et les ressources en vue de l’adaptation au cycle budgétaire annuel ;
  • La hiérarchisation des besoins en fonction de leur degré de priorités et leur harmonisation avec les perspectives de ressources ;
  • La prévision des ressources internes et de l’aide extérieure disponible dans un cadre pluriannuel ;
  • La planification des dépenses dans une perspective à moyen terme ;
  • La définition d’un cadre de ressources cohérent et réaliste favorable à l’atteinte des objectifs fixés (création d’un environnement macroéconomique équilibré, amélioration de la couverture sanitaire, etc.) ;
  • Un système de répartition des ressources plus conforme aux priorités stratégiques et intra sectorielles dans le cadre d’une discipline budgétaire rigoureuse ;
  • La formulation d’un modèle clair et d’une logique qui lie les ressources aux résultats prévus,
  • La détermination d’une stratégie de mesure de rendement permettant de suivre les progrès ;
  • La responsabilisation des administrations gestionnaires de crédits(Budget-programme, 2022, p. 5).

Ces caractéristiques font que le budget programme peut être qualifié d’évolution-révolution dans la budgétisation, et même de changement de paradigme dans la budgétisation comme nous allons le voir dans le point suivant. Cela devrait stimuler un certain changement de mentalité dans la gestion des budgets pour mieux gouverner les finances publiques.

  1. De l’importance du budget programme

En 2000, Jean-Pierre Halbwachs, alors Contrôleur des Nations Unies disait, "La budgétisation axée sur les résultats est une évolution, non une révolution, car il ne s'agit pas de renouveler totalement le processus budgétaire, mais de mieux utiliser son potentiel ». C’est peut-être une manière simple et diplomatique de dire les choses surtout que les finances sont souvent une affaire délicate. En effet, le budget programme n’est pas simplement une évolution, mais aussi une révolution. Cela peut se voir à deux niveaux.

En premier lieu, il s’agit de toute une nouvelle culture dans la gouvernance des finances dont les racines remontent à l’éthique de gouvernance en général, et la gouvernance financière en particulier. L’éthique de la gouvernance repose sur les principes de la responsabilité, l’obligation de rendre compte ainsi que la capacité de répondre aux besoins de la population ou tout bénéficiaire des biens et des services de l’Etat. Toute nouvelle culture exige un changement de mentalités (mind-shift). Une de ces exigences est effectivement l’obligation de rendre compte, la redevabilité comme nous allons le voir plus tard. Le budget programme fait partie de l’éthique de la gouvernance en matière des finances et de l’administration. Dans cette gouvernance, les objectifs poursuivis requièrent une discipline propre à l’éthique, notamment :

  • La lisibilité de l’action publique ;
  • La transparence des documents budgétaires ;
  • Une culture de résultats qui consiste à dépenser mieux en tenant à améliorer l’efficacité de l’action publique ;
  • Une gestion renouvelée autour des responsables de programmes (Budget-programme, 2022, p. 4).

Ces quatre éléments structurent l’exigence de la redevabilité.

En deuxième lieu, le budget programme est en soi une innovation qui exige en fin de compte un changement de mentalité (mind shift) de la part des leaders du pays et des administrateurs du développement. En effet, selon le ministre des finances et du budget du Burundi, Audace Niyonzima,

les enveloppes budgétaires étaient allouées forfaitairement sans une planification préalable des programmes de développement ou des activités. La consommation du budget était faite sans tenir compte des résultats à atteindre. … dans le système budgétaire classique, les gestionnaires des crédits se préoccupaient de la consommation des crédits budgétaires au détriment de la maximation des résultats avec les ressources disponibles (Agence Burundaise de Presse, 2023).

Niyonzima précise aussi que le budget programme introduit des changements profonds, en martelant le caractère innovant du budget programme. Il dit :

… le budget programme représente un changement profond et introduit des innovations majeures dans la gestion des finances publiques ; entre autres la primauté à la logique de la performance, un projet annuel de la performance suivie par l’exécution du projet, l’affectation effective des moyens disponibles aux priorités du gouvernement (Agence Burundaise de Presse, 2023).

En quoi donc consiste cette évolution-révolution. Comme nous l’avons déjà noté, le budget traditionnel est dit, budget de moyens. Selon Mohammad Haddad, « le budget de moyens ne fait pas ressortir les domaines d’intervention stratégiques d’un ministère donné ni les programmes d’action qui traduisent la politique publique dont il a la charge. » Il y a donc un certain floue dans le budget de moyens. L’évolution-révolution consiste à sortir de ce floue qui se situe à plusieurs niveaux que nous pouvons caractériser en termes d’« absence », notamment :

  • Absence de stratégie publique ;
  • Absence de la notion de programmes d’action ;
  • Absence d’objectifs généraux et d’objectifs spécifiques ;
  • Absence de visibilité de l’action publique ;
  • Absence d’indicateurs de mesure de la performance ;
  • Absence de transparence ;
  • Absence de l’efficience dans la dépense publique ;
  • Absence de la culture de reddition des comptes ;
  • Absence de définition des responsabilités.

La sortie du floue est l’intuition même qu’il faut remédier à cette absence et se rendre compte que le processus budgétaire a un « potentiel » qu’il faut exploiter. Le potentiel dont il est question dans le budget programme qui le démarque du budget de moyens est caractérisé par l’«absence»? Le potentiel se dévoile en reposant trois questions déjà posées par Mohammed Haddad concernant le budget de moyens, et qui ouvrent, en fin de compte, sur un évolution-révolution dans le processus de budgétisation : Pourquoi les dépenses sont-elles engagées ? Quels résultats les dépenses permettront-elles d’atteindre ? Les résultats à atteindre sont-ils au meilleur coût (cost-benefit) (Haddad, 2011). Ces trois questions appellent notre réponse, non pas individuellement mais communautairement. Elles visent à nous montrer que le budget de moyens a des limites d’une part, et d’autre part l’importance du budget programme. Je noterai un certain nombre d’aspects qui nous donnent l’importance du budget programme par rapport au budget de moyens.

La première importance est l’idée même d’objectifs. Dans le budget programme, les objectifs des interventions publiques sont établis. C’est sur base de ces objectifs que se dessinent les programmes dans les différents ministères et domaines déterminés. Ces objectifs sont aussi évalués grâce à des indicateurs qualitatifs ou quantitatifs fixés d’avance. L’implication est que l’objet de la dépense est bien précis.

La deuxième importance réside dans un problème fondamental des budgets dans les pays en développement comme le Burundi. Les budgets sont rarement suffisant. Ainsi le budget programme vise à « venir à bout des insuffisances du budget annuel traditionnel par poste d’une part, et d’autre part, résoudre la question de l’absence d’orientations sur les buts précisés à l’avance. Le budget programme peut s’échelonner sur plusieurs années aussi longtemps que les buts sont poursuivis dans la transparence et dans un esprit de redevabilité. 

La troisième importance qui va avec cette deuxième c’est la gestion optimalisée qui peut s’ajuster en fonction des contraintes qui peuvent advenir. Le budget programme permet d’assurer une gestion optimale des ressources financiers et humaines. Cependant, ces mêmes objectifs et leurs indicateurs peuvent être ajustés en fonction des contraintes. Dans tous les cas, il est possible de suivre et de mesurer les performances.

La quatrième importance du potentiel du budget programme est qu’il garantit l’obligation de rendre compte ou la redevabilité. Les autorités du gouvernement doivent assurer aux contribuables que les ressources publiques sont allouées, dépensées et gérées avec efficience et selon les objectifs pour lesquelles elles ont été votées, améliorant ainsi les résultats budgétaires.

La cinquième importance est que le budget programme permet d’améliorer l’affectation des ressources et leur gestion. Les fonctionnaires doivent assurer l’optimisation des ressources et veiller à ce que les dépenses soient effectives ;

Enfin, la sixième importante c’est le renforcement de l’efficience de la prestation de services. C’est cela que les bénéficiaires de services attendent, et même exige. La satisfaction de la population ou des bénéficiaires est la sanction morale d’une prestation des services.

Jusqu’à maintenant, nous avons établi la réalité du budget programme axé sur les résultats, ce qu’il est, sa différence par rapport au budget moyen and son importance. Comment est-on passé du budget de moyen au budget programme ? Qu’est qui a causé ce « shift » ? Dans la section qui suit, nous allons creuser pour repérer les racines du budget programme. La racine du budget programme est à repérer dans la Nouvelle Gestion Publique ou le nouveau management public.

  1. Budget Programme et la nouvelle gestion publique (the new public management)

Nous ne pouvons pas parler de budget programme sans nous référer à la Nouvelle Gestion Publique (NGP). Le budget programme fait partie de la NGP. D’une part, la NGP est un modèle de gestion de l'administration publique qui remet en question le modèle de gestion bureaucratique, et d’autre part, il remet en question l’Etat-providence dont la gestion bureaucratique aurait produit des effets anti-économiques. L’ambition de la NGP est d’insuffler l’esprit d’entreprise au service public afin qu’il bénéficie des bonnes pratiques du privé, notamment l’efficience et l’efficacité(Huet, Pompignan, & Batt, 2013, p. 113). Dans ce processus, NGP a produit des transformations qui nous permettent de repérer les racines du budget programme, à savoir les transformations structurelles et les transformations organisationnelles comme le montre le tableau ci-dessous :

 

Transformations

Structurelles

Organisationnelles

Sous-traitance, privatisation et le Partenariat public-Privé (PPP)

Gestion des résultats

Décentralisation, autonomisation, et mis en compétition des unités administratives

Autonomisation et responsabilisation du personnel du secteur public

Tableau 1. Tableau adapté de François Desrochers (2016, p.14)

  1.  Coup d’œil sur les transformations issues de la NGP

Comme ce tableau le montre, au niveau des transformations structurelles, il y a une double approche. En premier lieu, il y a la sous-traitance, la privatisation et le partenariat public-privé qui ont fait des politiques de restructuration socio-économiques. Il s’agit du « transfert de responsabilités autrefois assumées par l'État vers des acteurs du secteur privé, que ce soit sous forme de ventes totales ou partielles d'actifs publics, de contrats visant la délégation de tâches ou encore de partenariats redéfinissant les responsabilités de l 'État et des acteurs privés ». Aussi a-t-on vu la création des ministères de la bonne gouvernance et de la privatisation dans beaucoup de pays africains. Aujourd’hui la politique du partenariat public-privé devient une politique publique courante dont on attend plus de fruits.

L’autre lieu de la réforme issue de la NGP est la décentralisation, l'autonomisation et la mise en compétition des unités administratives, un phénomène auquel nous sommes de plus en plus habitués. Le langage de la décentralisation et de l’autonomisation est de plus en plus courant. Au Burundi, la décentralisation du développement au profit du développement communal va de pair avec l’autonomisations des communes. Selon Steve Troupin et ses collègues, la décentralisation a deux caractéristiques, à savoir, la désagrégation et l’autonomie. La désagrégation dénote ce lien formel qui unit une administration publique à l'État. Dans la logique de la NGP, ce lien se desserre si bien que l'unité administrative tend à détenir une personnalité juridique distincte. L'autonomie, quant à elle, désigne la capacité décisionnelle propre de l'administration publique et l'absence de limitations à la mise en œuvre de cette capacité décisionnelle. Ainsi, la décentralisation du secteur public implique une délégation de pouvoirs vers des lieux géographiques ou hiérarchiques politiques inférieurs (les communes, par exemple) avec possibilités de constituer des agences publiques ou semi-publiques dotées d'une autonomie décisionnelle et opérationnelle concrète(Troupin, Verhoest, & Rommel, 2010).

C’est donc à ces niveaux qu’on peut parler de ce que le ministre burundais de l’intérieur et du développement communal appellent, des « actions valables, visibles et visitables ». Cela a des incidences dans l’orientation du budget, particulièrement sur le budget programme. En tout cas, c’est dans ces transformations structurelles que se voient aussi les transformations- organisations, notamment la gestion des résultats ainsi que l’autonomisation et la responsabilisation du personnel du secteur public qui nous concerne plus directement au niveau du budget programme au centre de notre réflexion.

Mais, tout d’abord, qu’est-ce que cette NGP qui opère des transformations que nous venons de mentionner ? La compréhension de ce que c’est le NGP nous ouvrira sur son lien avec le budget programme.

  1.  La nouvelle gestion publique : de quoi s’agit-il ?

Il n’est pas facile de cadrer le NGP dans sa dynamique historique. Selon François Xavier Merrien, la NGP trouve son origine dans les laboratoires d’idées néolibérales des années 1970 dont l’objectif était de révolutionner l’Etat-providence dans l’ordre socio-économique (Merrien, 1999, p. 95). Mais limiter l’émergence de la NGP au seul avènement de la contrerévolution néolibérale serait minimiser la complexité des mutations qui travaillent continuellement nos sociétés. Huet et ses collègues (2013) ont développé un autre argument selon lequel la NGP relève d’une rénovation de la gouvernance publique. Cette gouvernance rénovée veut recentrer l’Etat sur ses fonctions régaliennes pour renforcer la responsabilisation des acteurs publiques dans le cadre d’une gouvernance plus transparente et plus efficace. L’implication est un ensemble de réformes qui satisfont à une triple aspiration, à savoir :

  • L’aspiration de la population qui attend des services plus accessibles ;
  • L’aspiration des contribuables qui souhaitent que l’administration mette en œuvre son action au meilleur coût ;
  • L’aspiration des citoyens qui sont sensibles à l’efficacité socio-économique en termes de services publiques qui sont plus lisibles, vérifiables et plus humains (Huet, Pompignan, & Batt, 2013, p. 116).

Cet argument intéresse pour autant qu’il s’agit d’un regard introspectif à la gouvernance publique qui nous ouvre la porte sur ses implications intéressantes. Cependant, il saisit la balle au bond sans s’intéresser à ce qui le fait bondir. Ces deux arguments font partie d’autres arguments qui concourent à une meilleure compréhension de la NGP.

Nous nous situons dans l’ordre des mutations. La NGP est tout d’abord un décollage du type de l’administration publique qui prévalait jusque dans les années 1970. Ce type d’administration était basé sur le modèle hiérarchique de Max Weber, caractérisé par la bureaucratie. La NGP est venue remettre en cause ce modèle bureaucratique wébérien. L’administration bureaucratique wébérienne avait sombré dans les dysfonctionnements surtout dans les secteurs fournisseurs des services. Selon François Desrochers, cette administration bureaucratique wébérienne est remise en question sous deux angles : celui de l’efficacité et celui de l’équité.

Partant de l’angle de l’efficacité, Dorval Brunelle parle de Dérive globale de la bureaucratie traditionnelle en faisant trois observations critiques :

  • Le manque de contrôle démocratique sur l'administration publique, qui agit souvent selon l'intérêt et la vision des fonctionnaires et non dans le sens du bien commun.
  • L’ambition des fonctionnaires qui utilisent leur influence, leur expertise et leur savoir afin d'augmenter les budgets, leurs responsabilités et leur contrôle sur les orientations de l'État.
  • L’inefficacité et la lourdeur propre à l'administration publique qui est incapable de livrer des services de qualité ou de s'adapter aux nouvelles réalités socioéconomiques, des lacunes qui imposent un fardeau financier indu et accru aux contribuables (Brunelle, 2005, p. 40).

Michel Crozier complète et explicite ce que dit Brunelle quand il s’emporte contre la bureaucratie wébérienne comme l'une des sources principales des maux de l'État. Il accuse la rigidité procédurale de l'administration publique d'être à l'origine de gaspillages énormes de ressources, de lenteurs administratives qui se répercutent sur l'activité économique des entreprises qui doivent s'y soumettre, ainsi que de favoriser l'apparition de « cercles vicieux bureaucratiques », qui consistent en la tendance pour toute organisation bureaucratique à fonctionner en circuit fermé orienté vers sa seule reproduction (Crozier cité par Desrochers, 2016, p.28).

Le deuxième angle est celui de l’équité. Le modèle wébérien de l’administration publique est aussi critiqué sur base du déficit d’équité. Le déficit de l’équité est perçu en partant de la théorie des choix publics. Selon cette théorie, les êtres humains sont fondamentalement égoïstes et rationnels et cherchent toujours leurs propres intérêts. Selon Marc Hufty (Hufty, 1998) cité par Desrochers (Desrochers, 2016), la plupart des interventions de l'Etat pour le bien public produisent des bénéfices qui sont vite happés par les groupes d’intérêts. Ces groupes d’intérêts ne sont autres que des hauts fonctionnaires qui cherchent l’augmentation de leurs budgets de fonctionnement et leurs pouvoirs discrétionnaires sur ceux-ci. D’autres part les citoyens font pression pour obtenir des services gratuits et de qualité en exigeant un allègement de leur fardeau fiscal. Il en résulte des intérêts conflictuels difficiles à concilier (Desrochers, 2016, pp. 26-27). La NGP est donc venue répondre à ce problème d’équité en réformant ces bureaucraties publiques qui tendent à fonctionner en vase clos et à développer des intérêts contraires à leurs missions.

En critiquant le modèle de l’administration publique wébérien, on critique aussi le type d’Etat qui le porte. Pour le cas qui nous incombe, c’est l’Etat-providence. La critique radicale de la bureaucratie wébérienne était aussi la critique de l’Etat province. Tout en épousant le socle épistémologique du néolibéralisme de Von Hayek et Milton Friedman, le NGP s’écarte du Consensus de Washington qui en est résulté. Au contraire, la NGP utilise sa critique de l’administration publique pour aboutir à la nécessité d’introduire les principes du marché supposé être efficace et équitable dans les organisations de l’Etat providence. Cependant, elle ne prétend pas le remplacer comme les néolibéraux le feraient. Ainsi la NGP ne viserait pas à remplacer l’Etat-providence perçu comme le tout -Etat par le non-Etat ou l’Etat minimal comme le ferait la perspective néolibérale, mais seulement la transformer. D’ailleurs on le voit bien. Vers la fin de la décennie 1990, l’Etat que les architectes et les chantres de néolibélisme avaient congédié de la sphère de l’économie, a été réhabilité par le mouvement « bring back in the state » pour mettre en place des politiques socio-économiques et du développement. En effet, c’est dans les années 2000 que les Etats qui sortaient de plus d’une décennie de chao (surtout en Afrique rongée par des guerres) ont commencé à mettre en place des plans à moyen et à long terme, notamment, les Visions et les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Ces plans étaient inspirés par l’économie clinique de Jeffrey Sachs. 

La NGP s’est imposé plus dans les années 1980/1990 à travers une tentative d’introduire des mécanismes de l’entreprise privée au sein des institutions de l’Etat-providence afin de renforcer son efficience et son efficacité. Après les pays développés, aujourd’hui, elle séduit autant les pays émergents que les pays en développement. Le but était de réduire la taille de l’administration publique par des moyens comprenant la privatisation ou l’utilisation des mécanismes du marché dans la prestation des services publics ; la poursuite de l’efficience, de l’efficacité et de l’équité dans les services publics, y compris par voie de décentralisation, de délégation de pouvoirs, en mettant l’accent sur les performances et les résultats(CABRI, 2013). Il s’agissait de lui imputer des transformations organisationnelles qui débouchent sur la gestion des résultats, l’autonomisation et la responsabilisation du personnel du secteur public (Desrochers, 2016).

Cela a débouché à un grand objectif du NGP, celui de moderniser l’Etat, de le réinventer, de moderniser les services publics, d’améliorer la gestion des organisateurs publics, jusqu’à la réforme de l’Etat, instaurer des contrats de performance, responsabiliser, autonomiser, etc. C’est ainsi que nous pouvons dire que le NGP est né de la nécessité de réduire les dépenses publiques, de compenser l’inefficience et le déficit managérial qui caractérisait les entreprises publiques.

Ainsi, selon Bernrath, le NGP désigne un ensemble d’éléments novateurs dans la gestion des administrations publiques. Cet ensemble inclut entre autres éléments (voir Giauque, 2003) :

  • Une focalisation sur les résultats notamment financiers, plutôt que sur les moyens ;
  • Un management par objectifs sous forme de missions et de projets, non plus sous forme d’application de règles et de procédures formelles écrites ;
  • Une recherche de maximisation financière, pas uniquement d’une bonne dépense des impôts ;
  • Une utilisation des mécanismes de marché (dans les achats publics, diffusion de l’information via intranet et des plateformes, sans accompagnement ou expertise d’aide à la décision (l’individu est rationnel et saura faire son choix selon ses intérêts);
  • Une décentralisation de l’autorité et encouragement au management participatif, à l’innovation ;
  • Une séparation entre le stratégique et l’opérationnel (délégation aux organisations bureaucratiques de l’application des décisions prises);
  • Une contractualisation avec les unités administratives ;
  • Une allocation de budget non pas en fonction des missions et des projets de déploiement du secteur public, mais en fonction de la contractualisation négociée. Cette allocation est suivie de l’introduction d’indicateurs de performance et évaluation a posteriori de l’efficience organisationnelle.

Tous ces éléments constituent une tendance d’évolution et de transformation du secteur public qui devrait être caractérisé par une approche de gestion, une volonté d’axer la gestion sur les résultats, la performance, la réduction des coûts et la recherche de plus de qualité des biens et des services (Bernrath, 1998). Un regard de près montre que tous les éléments qui sont à la base du NGP se ramènent à trois objectifs majeurs, à savoir : l’efficacité socio-économique, la qualité de service et l’efficacité de gestion.

Selon, Jean-Michel Huet, Diane de Pompignan, Julien Batt, la philosophie du NGP se décline dans tous les domaines de la gestion des affaires publiques, selon cinq axes dont je retiens trois qui servent le sujet que nous sommes en train de traiter, à savoir :

  • La planification stratégique, qui laisse le pilotage de la politique et l’élaboration de la stratégie à l’Etat et confie la réalisation à des entités autonomes (agences) voire parfois à des entreprises privées ;
  • Le management de la qualité, concept jusqu’alors peu présent dans la fonction publique, sur les pas de l’entreprise, qui implique la création de nouveaux postes ou de nouveaux services de la qualité ;
  • La fonction de contrôle de gestion, qui substitue à la logique de moyens une approche en termes de logique de résultats, mettant en œuvre les moyens nécessaires à l’atteinte de résultats (Huet, Pompignan, & Batt, 2013, p. 113);

Ce sont ces développements de la NGP qui ont inspiré le budget programme comme nouveau paradigme dans les processus des budgets.

  1.  Le budget programme et le NGP : le noeud fondamental

Comme nous pouvons le voir, la plupart des préoccupations du budget programme sont aussi celles du NGP. Le budget programme les puisent dans le NGP qui l’englobe et l’inspire. Il fait donc partie de la NGP. Comme le précise CABRI, dans certains pays africains, « les réformes en matière de Budget Programme sont adoptées dans le cadre d’un ensemble élargi de réformes de la gestion des finances publiques » (CABRI, 2013, p. ix). Comme nous l’avons déjà noté le budget programme recherche la performance, la volonté d’axer la gestion sur les résultats, la responsabilisation, la poursuite de l’efficacité et l’efficience qui est le rapport entre le résultat obtenu et l’objectif à atteindre, la transparence dans la gestion, etc.

Cependant, le budget programme ne nécessite pas que l’Etat soit nécessairement libéral, comme semble le suggérer les grandes théories de NGP.

 

  1. Budget programme au Burundi : quelles conditions pour quels dividendes ?
  2.  Entre la volonté politique et la timidité dans l’exécution

L’idée de budget programme est nouvelle au Burundi. Elle a commencé à entrer de manière nuancée dans le vocabulaire des hautes instances du pays avec le gouvernement issu des élections 2020. Ce gouvernement pensait entrer dans la dynamique des budgets programmes dès l’exercice budgétaire 2022-2023(Présidence de la République, 2023). Ainsi, le Président de la République ne cesse de demander au gouvernement, aux institutions étatiques et aux secteurs de l’administration publique de s’approprier de la Réforme du Budget Programme afin de permettre une meilleure organisation de l’économie nationale. Il martèle que les Burundais ont certainement besoin de s’imposer une nouvelle discipline où, à travers le Budget Programme, chaque acteur est tenu à montrer les projets qu’il envisage de réaliser et a l’obligation de produire des résultats. Il s’agit, dit-il, d’une culture à développer. Cette volonté politique est accompagnée du renforcement des capacités des cadres de l’administration publique burundaise pour consolider la mise en œuvre du budget programme avec l’aide des institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement.

Cependant la feuille de route proposé par le Ministère des Finances suggérait « le basculement effectif en mode budget programme à partir de l’exercice 2025-2026 ». En fait, il suggérait de suivre un processus en trois composantes, à savoir :

  • Implantation des prémices techniques propices au développement du budget programme ;
  • Développement du budget programme et basculement progressif de son contenu dans les outils appropriés de la chaîne préparation-exécution budgétaire ;
  • Développement des outils de suivi-évaluation et basculement progressif de son contenu dans les outils appropriés de la chaîne de gestion des résultats et de la mesure de la performance(Présidence de la République, 2023).

La volonté politique d’entrer dans la dynamique du budget programme axé sur les résultats est donc manifeste. Cependant, il est évident que le Burundi n’est pas encore entré pleinement dans la pratique du budget programme. S’agit-il d’une simple question de prudence ou s’agit-il d’une question de procédure ? Y aurait-il des doutes ou des hésitations ? Y aurait-il des réticences au changement ? Répondre à ces questions nous exigerait d’entrer dans l’herméneutique des politiques budgétaires au Burundi. Tel n’est pas le but de cet article. Nous croyons que le Burundi ne peut plus se dérober de la nécessité du budget programme autant tout financement externe est aujourd’hui basé sur la performance. Par ailleurs, le développement qui est l’ambition morale de tout leader aujourd’hui exige de plus en plus la performance et la gestion des résultats. 

La question qu’il faut se poser est celle de savoir si le Burundi a déjà embrassé la Nouvelle Gestion Publique qui inspire le budget programme pour que l’idée de budget-programme même ne tombe pas dans le vide. Certains rapports indiquent que le Burundi a embrassé la NGP. En 2017, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a produit un rapport d’évaluation du « Projet d’appui à la mise en œuvre du Programme National de Réforme de l’Administration Publique »(PNUD, 2017). Ce Programme National de Réforme de l’Administration Public (PNRA) avait été adopté par le Gouvernement le 25 Avril 2012 avec comme objectifs clés de rendre l’administration publique plus qualifiée, plus performante, plus responsable et orientée vers l’intérêt général et le service aux citoyens. Ces objectifs étaient récoltés en quatre axes, à savoir :

  • Renforcement des capacités de direction et de conception du gouvernement ;
  • Restaurer des principes de gestion des agents publics autour des valeurs d’équité, de transparence et de performance ;
  • La mise de la performance de l’Administration au service des citoyens et
  • La création des conditions de développement des technologies de l’information et de la communication au sein de l’Administration(PNUD, 2017, p. 12).

Cela indique donc que le Burundi a déjà embrassé la NGP bien que tardivement par rapport aux autres pays (africains). Il reste à savoir à quel degré ce programme a été mise en application concrètement.  Dans le tableau suivant (Tableau 2), les observations faites par les évaluateurs du PNUD pourraient nous donner une idée :

 

 

 

Tableau 2: Evaluation du « Programme National de Réforme de l’Administration Publique »

Axes du Projet d’appui à la mise en œuvre du PNRA

Sous-Produits

Activités proposées pour l’avenir

Observations

Axe 1 : Renforcer les capacités de direction et de conception du gouvernement 

Sous-Produit 1: les capacités de direction et de conception du gouvernement sont restaurées

Activité 1.1. : Renforcement de la coordination du travail gouvernemental

Action prévue et pratiquement achevée

Activité 1.2. : Renforcement des capacités nationales de pilotage de la réforme

Action initiée et à renforcer

Axe 2 : Restaurer les principes de gestion des agents publics autour des valeurs d’équité, de transparence et de performance

Sous - Produits 2 : Les valeurs d'équité, prenant en compte la dimension genre, de transparence et de performance dans la gestion des agents publics sont progressivement restaurées

Activité 2.1. Développement du management des performances dans l’Administration et le secteur public conformément à la politique définie dans ce domaine

Action à initier et à conduire sous le leadership de l’ENA

Activité 2.2 : Réforme du système de gestion et de rémunération de la fonction publique qui devient plus équitable et prend mieux en compte la performance

Action initiée, à poursuivre

Axe 3 : mettre la performance de l’Administration au service des citoyens 

Sous-Produit 3 : Les performances de l'Administration publique sont améliorées et mises au service des citoyens

Activité 3.1. Développement des guichets uniques provinciaux (GUPs)

Action à poursuivre à travers la généralisation dans les différentes provinces, une meilleure intégration des communes dans le dispositif et un appui institutionnel aux services gestionnaires

Activité 3.2. Simplification des procédures et de l’organisation administratives

A poursuivre dans le sens de la mise en œuvre des recommandations de l’étude réalisée sur la simplification 

Axe 4 : créer les conditions de développement des technologies de l’information et de la communication au sein de l’Administration

Sous-Produits 4 : La Culture des TIC est promue au sein de l'administration Publique

Activité 4.1. Modernisation des archives de la Fonction Publique

Action prévue et à mener

Activité 4.2. Réalisation d’un portail Internet de facilitation de l’accès aux services publics

Action en cours

Activité 4.3. Appui à la modernisation des certains services centraux 

Actions à initier et à mener auprès des administrations engagées dans le développement de la qualité des services aux citoyens

Certes, la crise de 2015 autour du prétendu troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza, soit trois ans après l’adoption du PNRA, a freiné la dynamique de la réforme. Néanmoins, un regard de près montre que le Burundi a adopté une politique de partenariat public-privé (PPP) dont les racines remontent à la NGP. Deux ans avant l’évaluation du PNUD, le Président a promulgué la loi No 1/14 du 27 Avril 2015 sur le Partenariat Public-Privé (PPP). Deux après l’évaluation, cette loi a été actualisée et mise à jour dans la loi No.1/19 du 19 Juillet 2019 sur les PPP. En 2018, une année après l’évaluation du PNRA, le Burundi a adopté le Plan de Développement du Burundi (2018-2027) qui insiste sur la composante du Partenariat Public Privé (PPP) comme nous pouvons le lire dans ce document programme :

Le Partenariat Public Privé constitue une avancée majeure par rapport à la conception classique de l’Etat-Providence pour se propulser dans une gouvernance novatrice. … le PPP se base sur les théories visant à combler les inefficacités organisationnelles (motivation, organisation) pour viser l’efficience. …le PPP se fonde sur une nouvelle approche fondée sur le Nouveau Management Public qui combine les valeurs de la gestion des services publics et le mode de gestion des entreprises privées basé sur le libre jeu de concurrence et la gestion axée sur les résultats (République du Burundi, 2018, pp. 51-52).

Ces lois sont suivies par l’élaboration de la Stratégie Nationale de PPP en cours. Tout cela montre que la trajectoire du NGP était maintenue, mais peut-être à la vitesse d’un pays en développement avec ses défis. Le budget programme ferait partie de cette révolution de la NGP.

Richard Ndayishimiye repère la NGP dans les réformes sectorielles au Burundi. En effet, dans sa thèse, Le transfert des pratiques managériales dans les systèmes de santé : Rôle des interactions des acteurs dans le cas du FBP[2] au Burundi, Ndayishimiye soutient que le NMP[3] (c’est-à-dire NGP) est bel et bien appliqué au Burundi de manière sectorielle. Il parle du cas de la pratique du financement basé sur la performance (FBP) dans le secteur de la santé (Ndayishimiye, 2021).

Pour conclure cette section, le Burundi peut difficilement échapper à un paradigme mondial porteur des innovations. Ainsi les termes propres à la NGP tels que la bonne gouvernance, la décentralisation, l’autonomisation, la gestion fondée sur la performance fusent dans les bouches un peu partout. Ils sont repris répétitivement dans les différents documents de politiques du pays. 

La volonté politique d’appliquer le budget programme dans les finances publiques du Burundi est claire malgré les hésitations et les lenteurs. Aussi reste-t-il à concrétiser effectivement cette volonté politique. Cette concrétisation doit résulter d’une bonne compréhension et appropriation de la Nouvelle Gestion Publique d’une part ; et d’autre part, elle doit être enracinée dans une culture d’éthique et d’intégrité du personnel de l’administration publique dont nous démarquons quelques idées avant de conclure.

  1. Condition éthique pour réussir le pari du budget-programme

Pour réussir le pari du budget programme, il faut une éthique des affaires publiques pour réguler les comportements individuels et collectifs des agents publics. Cette régulation peut se situer à deux niveaux de la gestion publique (Caron & Giauque, 2005). Le premier niveau est celui du contrôle externe, c’est-à-dire l’éthique externe des affaires publiques. L’éthique externe des affaires publiques comporte notamment les codes de comportement de l’administration publique, les codes d’éthique et d’intégrité, le code de déontologie d’une part, et d’autre part les valeurs professionnelles telle que la qualité du travail offert, la créativité, l’innovation, ect. Si dans certains services de l’Etat burundais, on parle de code de déontologie, beaucoup d’efforts sont à consentir quant aux codes d’éthique et d’intégrité. Quelque observation montrerait que cette éthique n’est pas tellement une grande préoccupation. En fait, il est présumé que le budget programme et la NGP qui lui sert de base théorique contiennent des principes éthiques implicites. En effet, l’effectivité, l’efficacité, l’équité, la performance, la redevabilité, la gestion des résultats et l’appréciation des citoyens comme bénéficiaires des services fournissent une base éthique.

Cependant bien que cette régulation externe des agents publics soit nécessaire, elle n’est pas suffisante en soi comme base normative. Un pays comme le Burundi qui souffre de la mal-gouvernance, de la corruption, de la pauvreté, des faibles salaires, et d’autres défis a besoin de tout un sursaut éthique. C’est l’autre niveau de contrôle, à savoir l’éthique interne des affaires publiques qui doit être le point de départ de l’éthique externe. L’éthique interne des affaires publiques consiste à développer chez les agents publics une intuition ou un esprit éthique qui leur permet de développer la faculté de délibération et de décision éthique.

L’éthique interne des affaires publiques ramène l’agent public à lui-même comme l’être humain qui a la conscience du bien et du mal. Quand l’être humain est ramené à lui-même, il donne sens moral à son agir. Ainsi, son sens de responsabilité par rapport à lui-même et par rapport à la chose publique s’en trouve renforcé. De fait, comme le dit René Simon, l’éthique de la responsabilité est non seulement une démarche, mais aussi un procès d’humanisation où l’agent public est amené à assumer lucidement les éléments d’un projet ou des décisions qu’il prend (Simon, 1993, pp. 11-14). Le processus d’humanisation nous ramène toujours à la culture de la vérité et de la vertu sous la gouvernance de l’esprit (mind) et du cœur (heart)[4]. La réussite du budget programme est à ce prix.

 

Comme cette figure le montre, le budget programme, du fait même de la NGP qui lui sert de base, suppose un contrôle externe dont les éléments font partie de l’éthique externe des affaires publiques. Cependant même si cette éthique externe est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Le budget programme doit aussi tenir compte du contrôle interne qui est fondamentalement enracinée dans l’humain et dont les éléments font partie de l’éthique interne des affaires publiques. Nous pouvons donc parler de l’éthique du budget programme comme étant dans la tension entre l’éthique externe des affaires publiques et l’éthique interne des affaires publiques. Elle est le juste milieu entre les deux.

Ainsi, la révolution qui conduit au budget programme comme processus de budgétisation axé sur la performance doit être une révolution éthique dans les esprits des agents publics.

            Conclusion

Nous venons de discuter longuement de la question du budget programme. Nous avons défini le budget programme en le démarquant de l’ancien type de budget, à savoir le budget de moyens. Nous avons démarqué les caractéristiques par lesquelles le budget programme est reconnu avant de montrer son importance. Nous avons montré que le budget programme fait partie des pratiques issues de la Nouvelle Gestion Publique, comme nouveau paradigme de l’administration publique.

Notre suggestion est que pour bien ancrer la politique du budget programme au Burundi, il est nécessaire de comprendre et s’approprier la NGP. Mais au-delà des résultats, de la performance, de l’efficience et de l’efficacité, il y a une condition plus importante pour arriver aux objectifs du budget programme : l’éthique. L’esprit d’éthique et d’intégrité ne donne pas seulement des résultats, mais des résultats fiables ; il ne donne pas seulement la performance, l’efficience et l’efficacité qui peuvent être évalué en termes de quantité, mais aussi et surtout en termes de qualité. En posant la condition de l’éthique, nous voulons éviter que le budget programme ne tombe dans de chaines de corruption qui handicapent la gouvernance et l’administration publique dans les pays en développement dont le Burundi fait partie. 

 

 


[1]L’idée de ramener l’être humain à lui-même doit nous rappeler l’idée d’ubuntu comme concept métaphysique dont l’atterrissage consiste en valeurs morales et humaines(Ntibagirirwa, 2017). 

[2]Financement basé sur la performance

[3]Nouveau Management Public

[4]Je ramène le lecteur de cette réflexion à mon approche au concept d’ubuntu(Ntibagirirwa S. , Ubuntu as a metaphysical concept, 2017)

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