DU DROIT DES FEMMES AFRICAINES A L’EDUCATION

Abstract: 

This paper considers a three-fold character of the right to education, namely: the absolute character and the compulsory character. It argues that it is high time that the right to education be effective for women without any reference to its justification in terms of its social usefulness. Similarly, Article 26 of the Universal Declaration of Human Right states that: “Everyone has the right to education. [...] Education shall be directed to the full development of the human personality and to the strengthening of respect for human rights and fundamental freedoms [...].” While this article does not specify the sex that should claim priority to the enjoyment of this right, education has turned to be a property of males almost exclusively. Therefore, the awareness of the injustice women suffered from in this area of Human Rights has dire consequences on the flourishing of the family and the development of the society as a whole.

 

  1. Introduction

Le moment est propice pour traiter du droit à l’éducation des femmes eu égard à l’objectif de la parité entre hommes et femmes dans les instances de prise de décision sous la bannière duquel s’est placée la RD Congo lors de la célébration du cinquantenaire de son accession à l’indépendance. La parité tant clamée ne pourra, en effet, passer du stade du slogan pour devenir réalité que lorsque les hommes et les femmes rivaliseront en compétence parce que l’éducation leur sera reconnue de façon égalitaire comme un droit. La présente étude vise en outre à évaluer l’effectivité de deux des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2000. Il s’agit de l’OMD2 visant la réalisation de l’éducation primaire universelle, et de l’OMD3 qui envisage la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.

 

Même s’il existe une évolution évidente, l’on doit toutefois noter qu’une constante vérifiable par les statistiques démontre toujours que l’analphabétisme et la déscolarisation frappent plus les filles/ femmes que les garçons/ hommes sur le continent africain. Selon Marie Duru-Bellat (2005 :41), globalement, l’accès des femmes à l’éducation reste nettement inférieur à celui des hommes : 57 des 104 millions d’enfants pas du tout scolarisés sont des filles ; sur les 860 millions d’analphabètes dans le monde, les deux-tiers sont des femmes.

 

La constellation de tous ces facteurs défavorables à l’évolution des femmes n’a cessé d’interpeler les Organismes des Nations Unies tels que l’UNESCO, l’UNICEF… lesquels cherchent comment soutenir les Etats dans la recherche des solutions adéquates et durables. Mais l’on doit toutefois noter qu’en dépit de cette aide apportée aux Etats et de la sensibilisation faite aux parents en vue de scolariser tous leurs enfants sans discrimination, les acteurs ont au départ eu tendance, pour contourner les difficultés énumérées, à renoncer de promouvoir l’éducation en tant que droit, s’évertuant plus à la présenter en fonction des retombées positives qu’elle fait bénéficier à la société. Tel est notre premier point. Sans nier les avantages que procure l’éducation, n’est-il pas temps de faire volte face et de poser de façon absolue et inconditionnelle l’éducation comme un droit reconnu à toute personne (art. 26 de la déclaration Universelle des Droits de l’homme) sans qu’il ne soit besoin de justifier pourquoi l’on doit prétendre la faire bénéficier aux femmes ?

 

  1. De la justification de l’éducation des femmes

 

Justifier le bien-fondé ou les avantages qui découleraient de l’éducation des femmes a été jadis le leitmotiv des organisations internationales et ce, à travers la corrélation éducation des filles et développement socioéconomique d’une part et d’autre part, à travers le postulat selon lequel l’éducation conduirait à l’autonomisation des femmes. Loin de rayer de but en blanc la pertinence de cette vision, nous analyserons ce point afin d’en dégager les apories.

 

    1. Quelle fin destine-t-on l’éducation des femmes?

 

Le développement social et économique comme avantages à tirer de la scolarisation des filles était et est encore l’argument le plus usité par certaines organisations internationales engagées dans la lutte contre la discrimination dont sont victimes les femmes du Tiers Monde en matière de l’éducation. En effet,

 

Au cours des années 70-80, l’on commence à s’intéresser à la formation des femmes, tout particulièrement en milieu rural. Partis du constat que beaucoup de projets de développement rural échouaient parce qu’ils avaient omis de prendre en compte le fait qu’une grande part, sinon l’essentiel de la production agricole avait pour origine la main-d’œuvre féminine. Ainsi débutèrent les premiers programmes d’alphabétisation et de formation des femmes en milieu rural  (Lange 1998 : 8-9).

 

Mais l’évolution d’une telle vision a commencé à se dessiner quand on s’est confronté au leurre de la scolarisation universelle. Le coup d’envoi a été l’œuvre des Institutions internationales telles que la Banque mondiale, l’UNICEF, l’UNESCO qui, devenus des bailleurs de fonds incontournables pour l’école en Afrique dans les années 90, ont dès lors préconisé des politiques spécifiques pour la scolarisation. Toutefois,

 

Si certaines institutions comme l’UNICEF, insistent sur le droit fondamental des enfants à l’éducation, en y incluant celui des filles, d’autres raisonnent plutôt selon le schéma classique… persuadés que certains entraves au développement de l’Afrique résident dans une croissance démographique trop rapide due à une très forte fécondité des femmes qui s’expliquerait par un faible niveau d’éducation scolaire (Lange 1998 : 8-9). 

 

Cette vision utilitaire de l’éducation des femmes est également ressortie dans bien de textes des Conférences internationales sur les femmes : Mexico, Nairobi et Beijing. Il en est ainsi du paragraphe 164 de la Conférence de Nairobi de 1985 qui dispose dans son dernier alinéa: «l’élévation du niveau d’instruction chez les femmes est importante pour le bien-être de la société et en raison de la relation étroite de ce niveau avec la survie des enfants et l’espacement des naissances ». Plus tard, lors de la Conférence de Beijing en 1995, l’art.69 du point B consacré à

 

L’éducation et la formation des femmes » énonce dans sa dernière partie que « l’alphabétisation des femmes est un moyen d’améliorer la santé, la nutrition et l’éducation de la famille et de permettre aux femmes de participer à la prise de décisions intéressant la société. Il s’est avéré extrêmement rentable, sur le plan tant social qu’économique d’investir dans l’éducation et la formation -de type classique ou non – des filles et des femmes : c’est donc l’un de meilleurs moyens de parvenir à un développement durable et à une croissance économique à la fois soutenue et viable.

 

En dehors des sources précitées, la perspective socio-économique de l’éducation des femmes a été également défendue par le programme « éducation pour tous » (EPT) lors de la Conférence Mondiale sur l’éducation pour tous tenue à Jomtien (Thaïlande) en mars 1990 , s’agissant des femmes, il a été fait un constat accablant selon lequel elles constituent la majorité silencieuse cataloguée comme analphabète. Le remède à cette situation a pu être envisagé à travers un questionnement sur le bien-fondé de l’éducation des femmes. Il a été convenu que :

 

La simple et légitime revendication de l’égalité de traitement, d’accès et de résultats en ce qui concerne l’éducation des filles et des femmes trouve une justification dans les preuves tangibles des avantages qui en découlent, tant pour les femmes que pour les hommes. Une vaste étude de la Banque Mondiale montre que, des investissements massifs ont été faits pour l’enseignement primaire des filles, il en est résulté des avantages pour tous avec une productivité accrue, une baisse de la mortalité infantile et maternelle, un allongement de l’espérance de vie pour les hommes comme pour les femmes et une baisse de taux de fécondité (UNESCO 1994 :20).

 

De toutes ces références, on peut en gros relevé deux points considérés comme devant justifier l’utilité de l’éducation des femmes. Il s’agit d’une part, de la quête du développement par l’accroissement de la production et de l’autre, du bien-être familial par la réduction de la taille de la famille et la baisse de la mortalité infantile. En d’autres termes, tous ces textes convergent vers un point central : l’éducation des femmes ne se décline pas en terme de droit devant être respecté comme tel mais vient plutôt en réponse à la question « à quoi peuvent bien servir les femmes éduquées?» Question à laquelle on répond en fonction du canevas préétabli pour les femmes, à savoir que l’éducation les prépare mieux à jouer leur rôle d’épouse et de mère et elle tend aussi à accroitre leur productivité.

 

Dès lors, l’impact l’éducation sur la vie maritale voudrait signifier, dans la vision africaine, que l’éducation aurait pour but d’aider les femmes à bien jouer leur rôle d’épouse en servant élégamment et agréablement le mari. C’est ce que Kitenge-Ya exprime lorsqu’il écrit :

 

Dans le domaine de l’éducation[…], l’unanimité qui se fait de plus en plus ne l’est que dans la seule mesure l’on considère qu’il y aurait quelque utilité à ce que la femme soit elle aussi instruite, étant donné, […], qu’une femme quelque peu instruite, est à même d’offrir des services plus agréables que si elle était illettrée ; qu’une teinture d’instruction vaut quand même mieux que l’ignorance crasse (Kitenge 1979:13).

 

Même si cette dimension n’a pas été abordée dans les rencontres internationales, il valait la peine qu’on la relève pour la simple raison qu’elle habite les imaginaires sociaux de beaucoup d’Africains.

 

S’agissant alors des finalités de l’éducation abordées dans les textes internationaux, spécialement celles ayant trait à la participation des femmes à l’amélioration de la productivité, on ne peut nier le rôle de plus en plus croissant joué par les femmes instruites dans la vie économique de leurs pays. Mais ce qu’on récuse, c’est le fait de vouloir promouvoir l’éducation en fonction de la productivité car une telle vision participe à faire croire que les femmes instruites sont les seules qui sont économiquement plus rentables. On corroborerait ainsi l’idée selon laquelle, ne travaillent effectivement que les femmes engagées dans le secteur formel. Un tel argument, même s’il renferme une part de vérité du fait de la rationalité dont est emprunté le travail des personnes instruites, peut être battu en brèche au regard des faits quand on voit l’implication des femmes analphabètes ou semi-lettrées dans l’économie essentiellement informelle d’un pays comme la RD Congo pendant que les administrations pléthoriques renferment un grand nombre des bureaucrates oisifs.

 

Quant aux autres finalités données à l’éducation des femmes, elles se déclinent en termes de la réduction de la taille de la famille et du bien-être de toute la famille et spécialement celui des enfants. Une telle approche, certes pragmatique, s’avère une fois de plus réductrice car elle n’affranchit pas la femme de son rôle traditionnel de la maternité à travers lequel elle a toujours été définie sauf que l’éducation vient ici comme un moyen devant lui permettre d’assumer cette fonction de façon rationnelle et avec efficacité. Quand on y regarde de près, c’est une vision qui cache mal le néo-malthusianisme qu’on voudrait plus faire peser sur la femme que sur l’homme car même si c’est la femme qui porte le poids de la maternité, le problème de la réduction de la taille de la famille et des soins à apporter aux enfants doit relever de la responsabilité de l’homme et de la femme en tant que partenaires et non reposer sur les seules épaules de la femme.

 

Des pareilles considérations, on doit l’affirmer, laissent croire qu’en soi, les femmes n’auraient pas droit à l’épanouissement personnel que procure l’éducation si éventuellement les problèmes de surpopulation ne se posaient plus dans las pays africains. Ainsi, le fait de corréler éducation et contrôle de natalité en Afrique reviendrait une fois de plus à sous-estimer l’ampleur des problèmes inhérents à l’amélioration de la condition féminine car c’est «comme si la femme africaine n’était un problème majeur et un centre d’intérêt que dans la période , entre15 et 50 ans, son histoire génésique est un souci prioritaire pour les organismes engagés dans le contrôle de la population du Tiers-monde » (Ela 1994 :99).

 

On peut aisément comprendre cette vision utilitariste de l’éducation du fait qu’elle se justifie, pour des Organisations Internationales et des ONG à majorité issues des pays du Nord, par la démographie galopante dans une Afrique en croissante récession économique. Mais doit-on réduire l’éducation, qui ouvre sur une pluralité de choix et de perspectives à quelques effets qui d’ailleurs consolident l’image traditionnelle des femmes réduites à leur rôle d’épouse et à leur fonction des productrices et des reproductrices?

 

Cette question trouve toute sa pertinence car lorsqu’on sort du cadre socioéconomique des pays africains, l’on se rend compte que le problème du droit à l’éducation des filles en Occident n’est pas posé dans les termes identiques que dans les pays du Tiers Monde. En France par exemple, et surtout dans les pays scandinaves, les statistiques ont montré que le taux de réussite scolaire des filles est supérieur à celui des garçons et ce, jusqu’au niveau universitaire et l’on ne pense pas que les parents qui scolarisent leurs filles le font dans la perspective des contrôles de naissances ou pour des raisons de productivité (Duru-Bellat 2005).

 

C’est donc face à la prise de conscience des limites de cette vision utilitariste de l’éducation des femmes que des suggestions ont été faites au niveau de certaines Organisations Internationales en faveur d’une éducation devant conduire à l’autonomisation des femmes.

 

  1. Quel est le type éducation pour l’autonomisation des femmes ?

 

L’OMD3 préconise l’autonomisation des femmes d’ici 2015. Aussi, la corrélation entre l’éducation des femmes et leur autonomisation semble-t-il être un correctif apporté à la vision utilitaire devant justifier l’instruction des femmes. Et même dans ce cas, que peut bien signifier le terme autonomisation? Et que doivent faire les femmes pour parvenir à cette autonomisation ?

 

Pour répondre à ces questions, l’on doit considérer que le terme « autonomisation » qui a fait son apparition depuis les années 70 dans certains milieux féministes, trouve son origine dans la lutte des Noirs Américains pour les droits civiques. En effet, face à l’indifférence du pouvoir blanc en place vis-à-vis des inégalités sociales et des exclusions politico-économiques que subissaient les Afro- Américains, une mobilisation des Noirs a été lancée dans les années 60. Cette prise de conscience collective s’est inscrite sous la bannière de l’autonomisation entendue comme

 

Un appel au peuple noir de ce pays à s’unir, à reconnaître son héritage et à édifier un sens communautaire. C’est un appel au peuple noir à définir ses propres buts, à établir des liens entre ses organisations et à apporter un soutien à celles-ci (Carmichael & Hamilton 1967 :44 ; Stromquist 1995 :15)

 

La perspective féministe de l’autonomisation s’est donc rapprochée de celle des Noirs à travers deux caractéristiques : les Noirs et les femmes forment des catégories opprimées d’une part, et de l’autre, les injustices dont ces groupes sont victimes ne sont pas toujours considérées comme des priorités publiques.

 

La notion d’autonomisation, envisagée de nos jours par les Organisations internationales chargées de promouvoir l’égalité entre les sexes en matière d’éducation, repose sur quatre composantes : cognitive, psychologique, économique et politique. La dimension cognitive signifie que par l’acquisition de nouvelles connaissances, les femmes seront en mesure de mettre en cause les préjugés et les croyances ancestrales qui entourent les relations entre les sexes. La composante psychologique insiste sur la nécessité de la confiance en soi et de l’estime de soi sans lesquels les efforts entrepris par les femmes en vue des changements seront voués à l’échec. Quant à l’aspect économique, l’autonomisation implique que les femmes aient des activités productives, si minimes soient-elles, leur permettant une indépendance financière. Enfin, la composante politique est le fait pour les femmes d’avoir la capacité d’analyser les enjeux socio-politiques de leurs milieux et de se mobiliser afin de transformer l’ordre social en leur faveur (UNESCO 1995). La conjugaison de ces quatre composantes a donné lieu à une diversité de définitions de l’autonomisation des femmes chacune insistant sur l’un ou l’autre de ces aspects.

 

Mais le dénominateur commun sur lequel repose la pluralité d’approches en faveur de l’autonomisation procède du constat de la  « normalisation » des systèmes sociaux qui ont produit des canevas qui prédéfinissent le rôle et la place de chaque sexe, obligeant ainsi les femmes à se conformer aux rôles qui leur sont prédestinés. C’est ce que Nelly Stromquist exprime quand elle écrit :

 

 

Les pratiques familiales, les mythes religieux, la division sociale et sexuelle du travail, les coutumes liés au mariage, le système éducatif et les codes civils produisent un ensemble de hiérarchies, de croyances intériorisées et des attentes qui sont contraignantes, mais en même temps ’’naturalisées’’ et, partant, rarement contestées (Stromquist 1995 :15-16).

 

L’autonomisation serait donc un levier grâce auquel les femmes pourront refuser la résignation et acquérir la capacité de remettre en cause ce qui relève de la « normalité ». Cette autonomisation serait selon M. Depthnews,

 

Un processus qui permet aux femmes de maîtriser leur propre vie en connaissant et en exigeant leurs droits à tous les échelons de la société, aux niveaux international, local et personnel. L’autonomisation individuelle signifie que les femmes acquièrent leur autonomie, sont capables de définir elles-mêmes leurs buts et sont pleinement impliquées dans le processus de prise de décision économique et sociale Depthnews 8-9)

 

Il ressort de cette analyse que l’autonomisation, en même temps qu’elle comporte un aspect individuel, intègre aussi une dimension collective. Elle se réfère dans les deux cas au sens étymologique du terme autonomie issu du grec « autos » (soi-même) et « nomos » (loi, norme). Ce qui revient donc à dire que d’une part, les femmes, prises individuellement doivent être en mesure d’agir conformément aux besoins qu’elles auraient elles-mêmes déterminés. D’autre part, en tant que groupe, elles doivent faire valoir leurs droits et leur voix dans la gestion de la vie de la cité. Ainsi, l’autonomisation telle qu’elle est envisagée, est la voie par laquelle, le groupe féminin pourra s’affranchir de ce qu’on peut appeler l’ "alter- nomie " qui a toujours régi sa condition. Si l’autonomisation est envisagée comme un facteur d’émancipation des femmes, quel type d’éducation serait à même de les aider à atteindre cette finalité ?

 

Pour répondre à cette question, nous nous sommes référés à une monographie éditée en 1995 par l’Institut de l’UNESCO pour l’Education: Femmes, Education et Autonomisation : - Voies menant à l’autonomie - . A la lecture de cet ouvrage, on est frappé par les précisions avec lesquelles l’autonomisation a été définie en rapport avec les quatre composantes indiquées plus haut. Mais en ce qui concerne les « voies menant à l’autonomie », les auteurs suggèrent l’éducation non formelle comme moyen privilégié. Cette éducation qualifiée de non formelle se définit comme

 

Toute activité organisée en dehors de la structure du système éducatif formel qui vise délibérément à satisfaire les besoins d’apprentissage spécifiques des sous-groupes particuliers de la communauté (…) Cette notion est distincte de celle d’éducation ’’informelle’’, qui résulte d’un contact quotidien non organisé avec l’environnement, la famille et les amis, et de celle de l’éducation ’’formelle’’ qui est le système éducatif hautement institutionnalisé, chronologiquement gradué et hiérarchiquement structuré qui s’étend du début de l’école primaire aux échelons supérieurs de l’université (UNESCO 1994 :61).

 

Les activités organisées dans le cadre de l’éducation non formelle sont diverses ; il s’agit notamment de l’alphabétisation, de l’éducation sanitaire, de la planification familiale, de la vulgarisation agricole. Et tout cet ensemble de formes d’apprentissage étant qualifié d’éducation populaire.

 

Dans la perspective de l’autonomisation des femmes, un accent particulier a été d’abord mis l’alphabétisation, non pas celle classique qui consiste seulement à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, mais sur une alphabétisation dite fonctionnelle c'est-à-dire celle qui utiliserait à profit les bribes des connaissances acquises dans la gestion des petits projets de dévelop-pement économique.

 

De l’analyse de la monographie citée, cette alphabétisation fonctionnelle a été jugée insuffisante de par sa restriction. Aussi, dans le cadre de la recherche de l’autonomisation des femmes, une vision plus élargie a-t-elle été préconisée : celle-ci part du principe qu’une alphabétisation ne doit pas être conçue comme une fin en soi, « mais comme un moyen leur permettant de mieux maîtriser leur vie. Elle a un pouvoir d’autonomisation si elle permet aux femmes d’accéder à la mine d’informations et au savoir qui leur ont été refusés jusqu’alors » (Dighe 1994 :50).

 

L’élaboration de cette théorie étant fort intéressante, quel peut donc être le contenu de ce type d’alphabétisation qui se différencierait des précédentes approches? La monographie consacrée à l’autonomisation des femmes reste vague quant au contenu des enseignements à dispenser afin que l’alphabétisation excède la simple maîtrise de la lecture et de l’écriture pour insuffler aux apprenantes la soif d’apprendre davantage. Les auteurs se sont limités aux exemples concrets des travaux menés en ateliers autour des rapports de sexes sous des aspects économiques, psychologiques et sociopolitiques, afin d’amener les femmes à avoir confiance en elles même et arriver ainsi à prendre en main leur destinée.

 

C’est le cas, entre autre, de l’exemple fourni par Lucita Lazo à propos des travailleuses à domicile en zones rurales aux Philippines. Exploitées à outrance par les employeurs et les sous-traitants, ces femmes ont été prises en charge par une ONG dans le cadre des ateliers de sensibilisation et de formation en vue d’une autonomisation. Ces femmes ont pu ainsi organiser des réseaux capables d’influencer les pouvoirs publics notamment le Ministère du travail. Et l’auteur de conclure que par l’amélioration des conditions de travail, ces travailleuses à domicile ont acquis l’autonomisation (Lazo 1994).

 

Cet exemple n’épuise certes pas les résultats présentés dans le cadre des travaux sur l’autonomisation des femmes, mais dans tous les cas, on ne peut que déplorer le fait que l’autonomisation résultant des expériences d’apprentissage, de formation et d’alphabétisation se limite à des secteurs spécifiques l’éloignant ainsi de la finalité globale qui lui est assignée. Elle révèle donc l’écart qui existe entre les ambitions affichées et les réalisations fragmentées incapables de promouvoir des changements notoires de la condition féminine dans son ensemble.

 

C’est ainsi que Anita Dighe se référant à Bhasin pour traiter de la nature holistique de l’autonomisation, écrit :

 

l’autonomisation ne peut être contrainte par une approche sectorielle. On ne peut pas non plus la rattacher à une seule série d’activités ou de ressources. L’autonomisation est un terme global dans lequel toute une gamme d’activités économiques, sociales et politiques telles que l’organisation des groupes, l’agriculture et les projets générateurs de revenus, l’éducation, les soins sanitaires intégrés œuvrent en synergie pour réaliser le but commun de l’autonomisation des pauvres (Bhasin cité par Dighe 1994 :48).

 

Outre l’insuffisance des résultats concrets, il y a lieu de s’interroger sur les dispositions d’esprit et sur la disponibilité du groupe cible. Partant des dispositions de l’esprit, on en convient que les programmes de formation devant conduire à l’autonomisation sont conçus prioritairement pour,

 

Les femmes adultes et, dans le contexte de justice et de transformation sociales, à faibles revenus. Au sein de ce groupe, les comportements autoritaires des maris à la maison font des familles et des foyers un terrain propice au maintien plutôt qu’à la transformation des relations inégales entre les sexes (Stromquist : 18-19).

 

La préférence accordée à cette catégorie se justifie pleinement car, d’une part, il s’agit de donner une chance à ces femmes qui n’ont pas eu la possibilité de suivre une scolarité classique. Et d’autre part, leur statut d’adulte et de femme leur a permis de vivre des expériences de déséquilibre relationnel entre sexes.

 

Ces éléments semblent donc être a priori un atout. Mais à y voir de près, ces supposés avantages peuvent desservir les femmes quant à leur capacité de changement car même si le contenu de l’éducation qui leur est donné intègre d’une manière explicite la question de l’inégalité entre les sexes, il s’avère insuffisant pour servir de soubassement des transformations sociales attendues. Bien plus, il est demandé aux femmes adultes de fournir de grands efforts pour assimiler en peu de temps une formation dont l’objectif principal est de déraciner des coutumes et pratiques millénaires intériorisées tant par les hommes que par femmes elles-mêmes.

 

Pour illustrer ce propos, nous voulons citer un exemple donné par Sophia Mappa qui rapporte un entretien avec une femme instruite ayant fait ses études universitaires à l’étranger et qui occupe un poste de responsabilité dans la fonction publique au Congo/ Brazzaville. A la question : « quels sont vos droits à l’intérieur de la famille ? », l’interrogée répond : « Je crois que mon mari et moi on se complète déjà. Je pense que je dois donner une très bonne éducation à mes enfants et être attentive à mon mari…» A la remarque qu’elle n’énumère que ses devoirs, elle tente de rectifier en ses termes:

 

Mes droits…Moi je pense que c’est d’être toujours attentive, d’être à l’écoute de mes enfants, de mon époux. Ça fait partie des droits aussi. Les droits sont nombreux. Mon mari ne m’a jamais tapée, je suis en sécurité dans mon foyer…j’ai le droit d’aller prendre de l’argent dans la banque (Mappa 1998 :51).

 

Beaucoup de femmes africaines peuvent se retrouver dans cet exemple.

A la difficulté réelle d’un apprentissage susceptible de renverser le cours d’une histoire fondée sur des préjugés et des injustices sociales millénaires, viennent s’ajouter deux autres handicaps liés à la disponibilité des femmes à recevoir cette formation devant conduire à leur autonomie. Il s’agit de leur « pauvreté en temps ». Celle-ci résultant de leurs obligations d’épouse et de mère, est encore plus accrue dans les pays du Tiers Monde les femmes sont accaparées par une lutte permanente pour la survie à travers diverses activités.

 

Ainsi, en dépit du mérite qu’il faut reconnaitre à cette approche de l’autonomisation de par la grande ambition qu’elle suggère, sa réalisation reste sujette à divers handicaps d’ordre structurel et ceux tenant à la capacité des femmes à changer les rapports d’hégémonie masculine traduits en normes.

 

Ne serait-il pas idoine de considérer purement et simplement l’éducation en termes d’un droit à reconnaître à chaque personne?

  1. L’éducation, un droit pour toute personne

 

Poser l’éducation comme un droit c’est au fond sortir de la vision restreinte qu’on a de l’éducation des femmes afin de la promouvoir, d’une part en tant qu’un droit absolu, d’autre part en tant qu’un droit fondamental dont l’obligation incombe à tous.

 

  1. Quid du caractère absolu du droit à léducation ?

 

En dépit des termes clairs de l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui dispose  que « tout  personne a droit à l’éducation », l’on a vu que réaffirmer l’éducation comme un droit absolu n’a toujours pas semblé relever de l’évidence. En effet, un débat de fond a été soulevé, celui de savoir si, l’éducation en tant que droit humain doit garder son caractère de prérogative dont peut se prévaloir tout individu ou n’être promu qu’à travers ses résultats ? Là-dessus, il y a des divergences.

 

Pour bien d’auteurs, le droit à l’éducation tel qu’il est proclamé est autosuffisant pour que l’on recoure à ses impacts afin de justifier sa raison d’être. Et c’est avec raison que

 

Des inquiétudes ont été exprimées au sujet de la tendance qu’on observe depuis une vingtaine d’années à vouloir quantifier les avantages de l’éducation, surtout si cette quantification se fait uniquement en termes financiers. Dans l’esprit de beaucoup de ses partisans, l’affirmation de la Déclaration universelle des droit de l’homme selon laquelle « toute personne a droit à l’éducation » rendrait superflue toute analyse plus poussée des effets de l’éducation (UNESCO 1994 :25).

 

Cette prise de position intéresse notre analyse. L’approche quantitative de l’éducation, que nous avons qualifiée plus haut de « vision utilitaire », est souvent avancée quand il s’agit de l’éducation des femmes des pays du Tiers Monde.

 

C’est ce qui ressort de l’ouvrage intitulé L’école et les filles en Afrique - Scolarisation sous conditions, les auteurs s’insurgent contre cette référence systématique aux retombées socio-économiques de l’instruction des femmes. De leurs investigations, ils sont arrivés au constat selon lequel «c’est donc sous l’angle d’une utilité sociale et économique réduite, d’une utilité politique niée que naît le besoin de former le sexe féminin » (Lange 1998 :8-9).

 

Ce qui étonne plus dans ce domaine est que : des résolutions issues de la « Conférence Mondiale sur l’Education pour tous » (EPT), les participants en sont arrivés à la formulation selon laquelle «… tous ces facteurs se sont conjugués pour engendrer un contexte tel que le droit à l’éducation, sans être remis en cause, n’est plus un droit absolu mais conditionnel (UNESCO 1994 : 25). Qu’a-t-on bien voulu signifier par le caractère conditionnel du droit à l’éducation ?

 

Philosophiquement parlant, le terme « condition » signifie une « circonstance sans laquelle la chose ou le phénomène ne se produirait pas» (Russ 1996 :52). Juridiquement parlant, la condition est un événement futur mais incertain dont on va faire dépendre la naissance d’un droit (la condition suspensive) ou la disparition de celui-ci (la condition résolutoire) (Mazeaud et Chabas 1991). Ainsi, le droit conditionnel à l’éducation serait un droit éventuel, c'est-à-dire un droit que l’on peut acquérir ou perdre en fonction des circonstances. Aussi, le fait de faire dépendre le droit à l’éducation de l’aléa s’avère-t-il réducteur que la vision utilitaire de l’éducation que nous avons eu à fustiger.

 

Pour sortir de ce cercle vicieux, il nous a paru impérieux de revenir aux termes même de l’article 26 de la DUDH qui dispose que : « toute personne a droit à l’éducation » car celui-ci porte en lui une autosuffisance ne se référant à aucune autre considération. Comme tel, c’est un principe qui s’impose dans son universalité par delà les conditions de la mise en œuvre de ce droit et de ses éventuelles retombées.

 

Lorsque nous considérons d’abord le droit à l’éducation comme étant absolu, c’est en référence à l’acception philosophique de ce terme : « ce qui est en soi et par soi, indépendamment de toute autre chose. » (Russ 1996 :9). Dans ce sens, ce droit n’a pas besoin d’éléments extérieurs pour justifier sa raison d’être et son bien-fondé ne doit pas être démontré à travers ses retombées concrètes. Si nous tenons à réaffirmer que le droit à l’éducation est absolu, c’est pour dire qu’en dépit de l’étendue de ses impacts, ceux-ci ne sauraient être placés en amont pour justifier le principe qui se situerait en aval.

 

Cette prise de position est aussi dictée par la valeur qui doit être accordée à tout principe juridique par delà ses effets. Intrinsèquement, même si tout droit conduit à l’amélioration de la situation de ceux qui en jouissent, cela ne peut constituer une raison suffisante pour le subordonner en tant que principe aux attentes concrètes. L’éducation en tant que droit absolu s’impose ici sous la forme de ce qu’Emmanuel Kant a appelé l’impératif catégorique qui se définit comme « celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement» (Kant 1988).

 

Affirmer le droit absolu  de l’éducation milite aussi pour la promotion de l’éducation comme droit fondamental.

 

    1. Le caractère fondamental du droit à léducation

 

Qualifier l’éducation comme un droit fondamental ne doit pas faire perdre de vue que tous les droits humains sont fondamentaux. Guy Haarscher le fait remarquer en soulignant que

 

la notion spécifique de droits de l’homme se distingue des droits dont le contenu et l’opposabilité varient suivant les temps et les lieux…Mais, s’il est certains droits considérés comme essentiels à l’accomplissement de toute vie digne de ce nom, ils seront comme « attachés » à l’homme : on ne pourra mener une vie pleinement humaine sans eux… (Haarscher 1996 :168).

 

 

Le caractère fondamental de ce droit se réfère en outre à deux acceptions complémentaires. La première, juridique, définit les droits fondamentaux comme ceux qui « sont garantis pour toute personne sans discrimination primaire », c’est-à-dire des « droits attribués en principe à toutes les personnes sans distinction de leurs propriétés naturelles » comme le sexe, la race, la religion, etc (Favoreu 2000 :120). Ceci pour signifier que les droits fondamentaux transcendent toutes les particularités pour s’adresser à l’Homme pris dans son sens générique. La deuxième acception qui découle de la précédente voit dans le terme «fondamental » ce « qui est à la base; qui se rapporte à l’essentiel » (Petit Larouse). S’agissant du droit à l’éducation, il occupe une place primordiale étant donné les finalités qui lui sont assignées par rapport aux autres.

 

Pour comprendre davantage le caractère fondamental du droit à l’éducation, rappelons l’alinéa 2 de l’article 26 de la DUDH qui dispose que «l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». De la lecture de cet alinéa, on s’aperçoit une fois de plus que deux finalités complémentaires sont assignées à l’éducation: la finalité individuelle et la finalité communautaire.

 

Sur le plan individuel, l’on se rend compte que « le plein épanouissement de la personnalité humaine » qui est visée au premier chef par l’éducation ne semble pas être une priorité aux yeux de certaines Organisations Internationales surtout quand il s’agit de l’éducation dans les pays sous-développés, la preuve, on l’a déjà indiqué, étant le recours récurrent aux impacts socio-économiques qui proviendraient de l’éducation.

 

Dès lors, il va s’avérer nécessaire de préciser ce que l’on peut entendre par ce terme « épanouissement de la personnalité »? Le dictionnaire Larousse définit l’épanouissement d’une personne comme étant le fait de « se développer dans toutes ses potentialités », c'est-à-dire dans sa dimension physique, morale et intellectuelle. Et c’est cet épanouissement multidimensionnel qui est ressorti à la Conférence de Jomtien car l’article1 alinéa 1 de la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous souligne :

 

toute personne doit pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux. Ces besoins concernent aussi bien les outils d’apprentissage essentiels (lecture, écriture) que les contenus éducatifs fondamentaux (connaissances, aptitude, valeurs, attitudes) dont l’être humain a besoin pour survivre, pour développer toutes ses facultés, pour vivre et travailler dans la dignité, pour participer pleinement au développement, […] pour prendre des décisions éclairées et pour continuer à apprendre. (Education pour tous 1990).

 

On aurait pu interpréter cette prise de position comme une reconnaissance des égarements des politiques économico-éducatives précédentes et une suggestion d’une approche qui paraît nouvelle. Mais dans les faits, elle n’est que la reprise détaillée de l’alinéa 2 de l’article 26 de la DUDH d’après lequel l’éducation a d’abord pour finalité l’épanouissement de la personnalité. L’on assiste ainsi à une relecture du droit à l’éducation qui établit de nouveaux rapports entre l’individu et la société : c’est l’amélioration de la condition de la partie (individu) qui peut conduire à celle du tout (société). On voit donc que cette relecture plus fidèle à l’esprit de l’article 26 et située aux antipodes du pragmatisme examiné plus haut, a une finalité anthropocentrique : c’est-à-dire que l’éducation doit être un moyen par lequel tout individu est appelé à s’affirmer et à développer ses capacités.

 

C’est donc cette dimension anthropocentrique qui se laisse entrevoir lorsqu’on envisage le droit à l’éducation dans les pays occidentaux alors que dans les sociétés pauvres, la quête effrénée du développement laisse penser plutôt à une finalité éducative « économico-centrique ».

 

L’épanouissement de la personnalité humaine grâce à l’éducation est certes une ambition noble ; mais face au taux important d’analphabètes dans le Tiers-Monde, on est amené à se demander si ces gens vivent une vie pleinement humaine. En d’autres termes, on peut se demander si leur condition existentielle est oui ou non en deçà de l’épanouissement de la personnalité ? Donner la réponse à cette question requiert qu’on puisse comparer d’une part, l’état actuel des connaissances qui sont toujours en évolution, et de l’autre, le savoir-faire endogène qui régit la vie des personnes illettrées. Par ce savoir-faire, les personnes non instruites développent certes leurs capacités mais dans un cadre limité dont les données subissent peu de transformations. Mais comparées au volume d’informations disponibles aujourd’hui qui augmentent à la vitesse lumière, et qui ne sont accessibles qu’aux lettrés, l’épanouissement grâce à l’éducation pose avec acuité pour les illettrés le problème de l’accès à la contemporanéité. Vivant à la même époque et exclus des atouts de cette même époque, on peut dire que les analphabètes se contenteraient juste de ’’survivre’’ selon les termes de Bhola:

 

Les analphabètes arrivent malgré tout à ’’survivre’’. Bien sûr, ils naissent, grandissent, jouent, chantent et se marient. Ils achètent et vendent, construisent des huttes et un foyer. Ils fabriquent de beaux objets (…) Ils acquièrent une grande intelligence de la vie. Certains dirigent et gouvernent dans des localités et des communautés. Mais il n’en demeure pas moins qu’ils soient nettement défavorisés par rapport aux deux milliards et demi d’adultes capables de lire et d’écrire…Ils sont ainsi rejetés, marginalisés puisqu’il leur est interdit de participer à la définition de leur propre monde et d’apporter leur contribution à la connaissance collective, à l’histoire et à la culture (Bhola 1995 :25).

 

Toutefois, l’on doit le préciser, la perspective anthropocentrique de l’éducation qui met en avant l’épanouissement n’est pas une fin en soi. Par delà la confiance en soi et le développement personnel, l’éducation doit viser à insérer les personnes dans une communauté plus vaste en favorisant l’adoption des valeurs positives. Et grâce à la connaissance qu’elles auront des droits fondamentaux, elles sauront œuvrer à leur effectivité comme le dispose l’aliéna 2 de l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. C’est donc une autre particularité du droit à l’éducation : c’est par elle que les autres droits peuvent être connus et prétendre à leur effectivité.

 

L’on comprend alors pourquoi, faute d’éducation, les droits des femmes majoritairement analphabètes dans les pays du Tiers-Monde sont bafoués à tous les niveaux sans que les intéressées en soient conscientes. Si l’équivoque semble être levée quant au caractère absolu et fondamental du droit à l’éducation souvent objet des restrictions quand il s’agit des femmes, il faut aussi souligner son caractère obligatoire sans lequel son effectivité ne serait qu’un leurre

 

    1. Le caractère obligatoire du droit à l’éducation

 

Si l’on s’en tenait à l’adoption de la DUDH en 1948, on n’aurait jamais parlé du caractère obligatoire des droits humains car il s’est agi « à l’origine d’une résolution de l’Assemblée Générale dépourvue de caractère obligatoire. Mais les références constantes qui y sont faites dans les traités, la pratique législative et la jurisprudence interne ou internationale ont finalement transformé les règles et principes qu’elle contient en « obligations erga omnes », c’est-à-dire qui s’imposent à tous. De ce fait, le droit à l’éducation, à l’instar des autres droits humains, est censé aussi s’imposer à tous.

 

Précisons la teneur du caractère obligatoire dont il est question. Si l’on se place du côté de ceux qui sont censés être les bénéficiaires d’un droit, on ne saurait parler du caractère obligatoire car toute personne est libre d’accepter ou de refuser la jouissance d‘un droit qui lui est reconnu. La compréhension du caractère obligatoire procède du fait qu’il existe certains droits qui nécessitent pour leur réalisation l’intervention des pouvoirs publics ou de la collectivité. Le droit à l’éducation en fait partie, il en va de même du droit au travail, du droit à la santé… Cette catégorisation des "droits à…" est également désignée sous le nom "droits-créances ". Ils sont appelés ainsi car l’individu aurait en principe une créance à exiger l’effectivité de ce droit de la part des pouvoirs publics qui, en conséquence, pourraient être considérés comme débiteurs de cette obligation.

 

Le caractère obligatoire implique donc que chaque Etat puisse promouvoir l’égal droit à l’éducation entre filles et garçons et ce, par la mise en place des politiques publiques égalitaires. Mais faudrait-il aussi que les mesures étatiques trouvent un écho au sein des familles. Entre ces deux institutions, à savoir l’Etat et la famille, se placent des acteurs intermédiaires tels que : les Organisations internationales, les ONG militant pour la cause féminine… Toutes ces instances étant appelés à travailler en synergie et non de manière dispersée. Convient-il dès lors de préciser la part de chacune d’entre elles.

 

Pour mettre en exergue le rôle des pouvoirs publics, partons de l’idée d’Albert Jacquard selon laquelle : « le rôle premier de chaque société est de faire participer ses membres à la construction des personnes, chacun devenant ce qu’il choisit d’être, grâce aux liens qu’il tisse avec les autres, cela s’appelle l’éducation… » (Jacquard 1998 :54).

 

Ce passage, choisi à dessein, a retenu notre attention à double titre. D’abord, il fait ressortir clairement la dimension anthropocentrique mise en évidence dans la réaffirmation de l’éducation en tant que droit fondamental. Ensuite, si l’individu est le premier bénéficiaire de l’éducation, Jacquard met l’accent sur le devoir qui incombe à la société dans «la construction» de ses membres. Si tel est le rôle de la « société », que pouvons-nous entendre par celle-ci ?

 

Au premier plan, la politique éducative doit reposer sur l’Etat comme premier acteur même en dépit du fait que « sous la pression des déficits budgétaires qu’il fallait combler, les gouvernements de beaucoup de pays ont réduit les dépenses d’éducation.» (UNESCO 1993 :35). Et même dans ce cas des difficultés réelles dues à la récession des économies dans le Tiers-Monde, les Etats ne doivent en aucun cas reléguer l’éducation au second plan si vraiment l’on veut que la démocratie soit consolidée dans cette phase consécutive aux célébrations des jubilés d’or des indépendances des pays africains. Ce besoin se fait sentir avec acuité puisque

 

Le suffrage universel dans les élections pluralistes confronte les analphabètes à des problèmes de lecture. [Cela pouvait passer inaperçu car] dans le système du parti unique, la mascarade consistait à organiser les élections avec un seul candidat et ne nécessitait pas d’instruction de la part des populations analphabètes…  (Antonioli 1993 :130).

 

 

Mais qu’on ne se leurre plus pour le moment ; la démocratisation en cours dans les pays africains ne pourra que s’avérer bancale s’il n’y a pas une participation active de « la moitié du ciel » c’est-à-dire des femmes et des filles qui ne se contenteront plus de mettre un bulletin dans l’urne sans en connaître la portée. Borja, Président de l’Equateur n’avait-il pas pleinement raison quand il a déclaré que : « le vote est l’expression d’une opinion et que les décisions judicieuses pour le choix des gouvernements dépendent de l’éducation du public (Borja cité par UNESCO 1993 :1).

 

Mais l’on ne peut que constater le manque de volonté politique en la matière car les affectations budgétaires dans beaucoup des pays du Tiers Monde sont plus tournées vers l’armement et les dépenses de prestiges faisant ainsi de l’éducation un parent pauvre des Ministères. En RD Congo en particulier, la diminution des dotations budgétaires dans le secteur éducatif s’est traduite au niveau primaire et secondaire par des salaires de misère versés aux enseignants, par le non renouvellement du matériel didactique… C’est ce qui ressort d’une étude du Conseil Wallonie-Bruxelles de la Coopération Internationale portant sur « les Objectifs du millénaire et l’éducation en Afrique » où il est apparu que :

 

Le salaire des enseignants est un problème majeur du système éducatif congolais. Si on ne prend en compte que la partie du salaire pris en compte pour le calcul de la retraite, l’enseignant du primaire le moins gradé touche moins de 5 dollars par mois et un licencié 10 dollars…Alors qu’il est prouvé que le taux de réussite des élèves est fortement tributaire de l’existence d’au moins un manuel scolaire par élève, la majorité des élèves du primaire en est démunie (Conseil Wallonie-Bruxelles de la Coopération Internationale 2006: 46 et 48).

 

Ce peu d’importance accordé par l’Etat au secteur de l’éducation a conduit à l’émergence de deux phénomènes. Il s’agit d’une part de la multiplication des établissements privés et de l’autre, une demande de participation accrue des parents dans le fonctionnement des établissements publics alors que les revenus des ménages ont considérablement baissé. Le problème est que beaucoup d’établissements se sont transformés en des véritables fonds de commerces dont pour certains, le coût très élevé se trouve aux antipodes de la qualité des enseignements dispensés.

 

Même si depuis 3 ans le pas a été partiellement franchi vers l’objectif de l’enseignement primaire universel avec seulement la gratuité du premier cycle du primaire dans les écoles publiques, l’on doit se rendre à l’évidence que le chemin à parcourir est à peine amorcé. Il en découle que : 

 

L’objectif de scolarisation universelle à l’horizon de 2015 relève de l’utopie pure en République démocratique du Congo. Le taux net de scolarisation n’est que de 51% et cette moyenne masque une inégalité d’accès significative entre les garçons et les filles dans les zones rurales. Pis, la proportion des enfants qui entrent à l’école primaire à l’âge légal (6ans) est passée de 22,5 à 13,9% entre 1995 et 2001. Le taux d’achèvement en primaire est également très faible (29%) et le taux d’alphabétisation est très inégal entre les filles et les garçons (65,3% au total, dont 79,8% pour les hommes et 51,9% pour les femmes) (Conseil Wallonie-Bruxelles de la Coopération Internationale 2006 : 49).

 

L’Etat ne pourra mener à bien cette tâche que si les parents sont mis à contribution. C’est par rapport à la responsabilité des parents en tant qu’acteurs privilégiés du droit à l’éducation qu’il faudrait peut-être relancer le débat en reconsidérant l’un des principes peut-être déjà obsolète sous d’autres cieux, mais qui reste d’actualité dans la plupart des familles africaines. Il a été qualifié par Malthus en 1795 de « la contrainte morale ». L’auteur a écrit à ce propos: « Il faut donc opposer à l’accroissement de la population un obstacle ; le plus simple et plus naturel de tous, c’est d’obliger chaque père à nourrir ses enfants. Cette loi, servira de règle et de frein à la population, car aucun homme ne voudra donner le jour à des êtres infortunés, qu’il est incapable de nourrir » (Malthus 1963 :98).

 

A l’époque de Malthus, le problème préoccupant était la recherche des moyens de subsistance; on comprend pourquoi, « la contrainte morale » se limitait à la satisfaction de ce besoin qui incombait exclusivement au père.

 

Ce principe malthusien doit être adapté aux nouveaux besoins de ce siècle. Ainsi, la prise en charge des enfants ne se limite plus à la nourriture, mais doit s’étendre au besoin impérieux de la scolarisation. Ainsi, pour les parents, la procréation responsable ne se limite pas à la dimension biologique ; elle doit aussi intégrer le devoir de travailler à la «construction » des enfants pour en faire « des personnes ».

 

Responsables de leur progéniture, les deux parents le sont également devant l’Etat. Si l’Etat initie les politiques d’égalité des chances entre les enfants des deux sexes, il doit donc attendre, voire même contraindre le père et la mère à y collaborer afin que filles et garçons puissent bénéficier des mêmes conditions dans leur formation devant assurer la relève de demain.

 

Dans cette synergie pour l’effectivité du droit à l’éducation, on ne peut passer sous silence l’apport essentiel des groupes de pression. En effet, l’histoire récente a montré que les pays africains se convertissent à la démocratie sous la pression des Bailleurs de Fonds internationaux. Si l’aide économique est à présent subordonnée à la mise en place des régimes respectueux des droits humains, ne faudrait-il pas y inclure l’égalité entre hommes et femmes notamment dans le domaine de l’éducation? Ceci ne peut être possible que si les Organisations Internationales comme l’ONU et ses différentes agences telles que l’UNICEF, l’UNESCO, le PNUD… continuent à s’impliquer davantage.  

 

Il y a environ 10ans, vers l’an 2000, une campagne en faveur de la scolarisation des filles a été menée par l’UNICEF. On pouvait lire dans presque toutes nos villes des affiches sur lesquelles étaient écrit : « toutes les filles à l’école ». Aujourd’hui avec l’insistance sur la considération de la dimension « genre » dans les relations hommes/femmes, les affiches ont été un peu modifiées car désormais il y est écrit : « tous les enfants à l’école ». L’action de l’UNICEF ne se limite pas seulement à la sensibilisation. UNICEF produit également des modules et des manuels, mais ses actions ne sont pas souvent relayées par l’Etat congolais.

 

A part l’UNICEF, il y a les actions du PNUD notamment les campagnes de sensibilisations contre les mariages précoces des filles dans la suite de la loi de 2006 portant sur les violences sexuelles. Cette sensibilisation s’est avérée être une façon privilégiée de protéger les filles contre la rapacité des certains parents face à la dot. Elle a été aussi une façon indirecte de pousser les filles à poursuivre et à aller le plus loin possible dans l’éducation.

 

Si à l’horizon de 2015 l’objectif de la scolarisation universelle s’avère être un échec, on ne peut escompter que les autres actions menées sur terrain en faveur de l’éducation des filles et des femmes en vue de répondre à l’objectif de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, deviendront réalité que si l’éducation cesse d’être conçue sous l’angle utilitaire pour être promue comme un droit. En plus, il faudrait inverser deux logiques courantes en RD Congo, d’une part, celle qui consiste à ne voir leur éducation qu’à travers ce qu’elles pourraient rapporter à la famille ; et d’autre part, celle consistant à privilégier la «carrière matrimoniale » au détriment des études et de la perspective professionnelle alors qu’ailleurs il est devenu presque évident « dans tous les milieux sociaux qu’un bon bagage scolaire accroît les probabilités de mobilité sociale ascendante par le mariage » (Duru-Bellat 2004:148). 

 

Conclusion

 

Nous pouvons conclure cette analyse et réflexion en rappelant les propos d’Alexandra David-Neel qui datent du siècle dernier pour ouvrir davantage les horizons par rapport aux attentes que l’on peut avoir de l’éducation des filles africaines d’aujourd’hui. Elle dit :

 

Les programmes des pensionnats ne se font pas faute de répéter qu’on les élève [les filles] pour être épouses. Ne vaudrait-il pas mieux les élever tout simplement pour être des femmes intelligentes et énergiques, aptes au mariage s’il se rencontre, ne restant pas, à jamais, désemparées s’il se rompt un jour et sachant s’en passer au besoin…», [bref l’éducation doit conduire les filles à] «se suffire matériellement, moralement, intellectuellement (David-Neel 2000 : 61-62).

 

Cette inversion si souhaitée viserait donc à accorder à l’éducation la place absolue et fondamentale qui lui revient, car elle est un processus qui permet la construction de la personne dans sa globalité et qui leur offre de surcroît plusieurs possibilités de choix de vie, dont le mariage fait aussi partie.

 

Aussi, allant dans le sens de notre optique qui voudrait que l’éducation soit conçue simplement en termes de droit, nous avons tiré quelques extraits de ce poème de Robert Prouty, repris dans la monographie conjointe de l’UNESCO et de l’UNICEF portant sur « une approche de l’éducation pour tous fondée sur les droits de l’homme ». Nous espérons qu’ils aideraient davantage à changer le regard sur l’éducation des filles et des femmes. Il écrit :

 

Je n’ai pas à gagner le droit d’apprendre, il est à moi. Et si, du fait des lois fautives et d’erreurs de conception. Et de bien trop d’endroits où bien trop de gens encore n’en font cas. Si pour tout cela et pour d’autres raisons encore… Ces torts ne m’enlèvent pas mon droit… Et voici tout ce que je demande : mon droit d’apprendre.  (Prouty in UNESCO et UNICEF 2008: xiv)

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