LE « POUVOIR » DE L’INCLUSION :UN TOURNANT POUR LE DÉVELOPPEMENT

Abstract: 

This paper has studied the concept of inclusion and explored the avenues offered by its introduction to the field of international development. The ultimate purpose was to examine advantages and pitfalls of the inclusion power. In addition to the importance given to Sustainable Development Goals, the concept of inclusion is highly favored in the fight against poverty, inequalities and vulnerabilities. Fortunately, it has gained impetus in various fields of social, economic and environmental ones. Indeed, inclusion is highly acclaimed for its power in the development field, so to speak; inclusion is rich in its abstract character, and yet, it is deeply rooted in various issues related to participation. That is why, the Summit on Inclusion which the World Bank organized in May 2022 reinforced the theme of “Unlocking the Power of Inclusion for Equitable Growth”. This forum reiterated actions of inclusion for a systematic development of all parties in need. Therefore, this is a contribution to the reflection on the research model or models of development for a prosperous economy in Africa.  The implications of the power of inclusion as it stands is a close relationship between economy and sustainable development.  

1.Introduction 

En Mai 2022, la Banque Mondiale a organisé à Washington, DC (États-Unis) le « Sommet des jeunes » autour du terme inclusion. Tenu principalement en anglais et assisté par une variété de nationalités, l’événement portait le titre de Unlocking the Power of Inclusion for Equitable Growth, (Libérer le pouvoir de l'inclusion pour une croissance équitable). Cet événement marque une fois de plus l’ancrage de l’inclusion dans le champ du développement international, ainsi que l’importance de la place qu’occupent les organismes internationaux dans la construction du terme. Déjà, la litanie de l’inclusion englobe le Programme du développement durable de 2030 par la phrase « Ne pas faire de laissés-pour-compte » et laisse transparaitre la promesse d’un tournant décisif, particulièrement pour les pays en développement du continent africain. Il est, en effet, à se demander si enfin la clé d’un modèle de développement pouvant entrainer un impact positif pour le continent se profilerait dans le sillage de l’inclusion.

En revenant sur les déclinaisons des thèmes proposés lors de ce Sommet organisé par la Banque Mondiale, l’inclusion était présentée comme sociale, économique et environnementale. Ce mélange à toutes les sauces est supposé in fine aboutir à une croissance qui profiterait à tous les groupes qui composent les sociétés. De première visu, reconnaître que le terme inclusion serait doté d’un certain « pouvoir », qui se reflète déjà dans une certaine transcendantalité, permettrait à celui-ci de venir se greffer dans tous les domaines touchés par le processus du développement. Dans le contexte africain, la réflexion sur le sujet ne peut échapper de surcroit au défi qu’impose la recherche constante d’un juste équilibre entre d’un côté un afro-pessimisme soufflé par les adjectifs négatifs associés au continent, et de l’autre côté à une vision de l’Afrique fantasmagorique déconnectée de l’histoire et des réalités sociales du continent.

La nécessité de cet exercice intellectuel repose sur le fait que l’histoire du développement et ses tâtonnements sur le continent incitent davantage à s’interroger, voire à soupçonner, le paternalisme occidental derrière l’usage de l’inclusion et qui pourrait se matérialiser par une sorte de continuité des dualités historiques « civilisés/sauvages » puis « développés/sous-développés ».

Comme le titre l’annonce, cette réflexion interroge donc la nature de ce « pouvoir » de l’inclusion. En d’autres termes, est-ce que l’inclusion acceptée dans le champ du développement international est la plus adaptée pour servir de cadre de réflexion pour le développement d’un/des modèles de développement africain ?

Cet article prendra comme point de départ le Sommet des jeunes organisé par la Banque Mondiale et analysera les angles par lesquels l’inclusion est y récupérée, traitée et diffusée. L’importance de ce questionnement dépasse, certes, largement le cadre de cet article mais le fait est qu’il est difficile de fait fi de cette visibilité dans le champ du développement international, particulièrement durant cette période où la multi-dimensionnalité et l’internationalisation de la pauvreté semble soulever plus de difficultés que de solutions. La première partie qui suivra cette partie introductive analysera ainsi le terme inclusion, son incursion dans le champ du développement et son élévation en tant que « révolution ». La deuxième partie enchainera ensuite sur l’implication du mariage entre l’inclusion et l’économie pour développement.

2.Développement : une lecture présentiste du Sommet « Libérer le pouvoir de l'inclusion pour une croissance équitable »  de la Banque mondiale (2022).

Aborder une énième fois le paradigme du développement, et particulièrement dans le contexte de la région subsaharienne de l’Afrique semble, de prime abord, apporter un sentiment de « déjà-vu »face àla multitude de publications àce sujet et notamment nourrit par la question de savoir si le « bout du tunnel »est enfin perceptible, de voir si les promoteurs des différents modèles de développement ont réussi àatteindre les objectifs énoncés. Dans l’espace des connaissances, le contexte actuel de la facilitation de la diffusion des idées avec le support Internet rend certes plus accessibles les idées mais paradoxalement, participe aussi au renforcement du flou sur la compréhension des différentes « expériences » de développement. Il est ainsi nécessaire de se référer à ses évolutions historiques qui sont marquées par la diffusion transversale de l’idée même de développement dans différentes disciplines des sciences sociales (économie, sociologie, anthropologie, droits, entre autres) afin d’avoir un fil rouge à suivre.

Ainsi, le développement s’est construit et se construit dans le sillage des réflexions sur la pauvreté dont la complexité ne permet pas d’en figer la définition : « La pauvreté a de multiples facettes, la mesurer c’est la réduire et la méconnaitre. La pauvreté est à la fois un fait et un sentiment et la synthèse en est difficile. Il importe également de multiplier les indicateurs dans la mesure de la pauvreté. Cette mesure est alors plus opérationnelle et permet d’établir une analyse de l’évolution de la pauvreté, du rôle des différents facteurs. Des mesures fondées sur divers critères et indicateurs permettent alors de construire une idée à la fois des efforts à faire (redistribution des revenus, mesures fiscales,…) et de la nature de ces efforts (programmes nationaux ou ciblés…) pour atténuer la pauvreté » (Destremau et Salama 2002). Cette citation tirée de la présentation du livre Mesures et démesure de la pauvreté, bien que datant d’une vingtaine d’année,reste encore largement d’actualité pour dessiner les relations entre pauvreté et les stratégies visant à la réduire.

Le Sommet des Jeunes de la Banque Mondiale consacré à l’inclusion (2022) énoncé auparavant dans l’introduction de cet article reflète cette transversalité, tout en réaffirmant un modèle de développement basé sur la croyance à la fin de la pauvreté à travers la croissance économique, la financiarisation de l’économie et l’intégration dans le marché global.

Lors de ce Sommet, les concurrences explicatives concernant les causes de la pauvreté qui dominent généralement le champ des connaissances du développement ont été dépassées par la mise en avant d’expériences et de stratégies locales ou nationales. La complexité de la pauvreté (un objet de recherche à part entière de la sociologie de la pauvreté (Bisiaux 2012)) a été déplacée vers l’exclusion et vers les différentes pistes exploitables soutenues par des « exemples de réussites » mobilisés pour justifier autant la tenue du Sommet que les arguments sur les pouvoirs de l’inclusion sur le développement. La complexité qui caractérise la pauvreté fait pourtant encore débat, particulièrement dans la discipline sociologique. Il convient donc de reconnaître qu’il est intéressant d’analyser comment les acteurs se parent et justifient une nouvelle mode pour l’élever parfois au rang de solution miracle.

Pour autant, ce Sommet représente ainsi un marqueur non négligeable dans l’historicité du développement étant donné la visibilité qu’il donne à l’inclusion. En ce sens, le thème avancé marque la reconnaissance globale et structurelle de l’importance de la participation de tous les individus et les groupes sociaux dans le processus de développement, dans un contexte actuel de crises sociétales globales majeures (Saint-Martin 2022).

Avec la loupe de la sociologie pragmatique dont une des caractéristiques reposent sur l’analyse de discours (Barthe et al. 2013),  il est particulièrement intéressant de comprendre ce Sommet en tant que « pratique sociale » typique dans le champ du développement et qui constitue en même temps un champ de justification du modèle de développement « à la mode ». Le cadre d’analyse de la sociologie pragmatique offre les outils permettant de lier les niveaux micro et macro, tout en intégrant la temporalité historique, et en permettant l’analyse des discours des acteurs (Barthe et al. 2013). Il n’est donc pas question d’analyser les effets et les impacts de ce Sommet étant donné son caractère très récent par rapport à la rédaction de cet article, mais plutôt de comprendre la manière dont l’inclusion a été saisie par les participants à ce Sommet et comment ces derniers ont justifié un usage transversal de ce terme. De plus, le cadre du Sommet était clair : celui-ci reposant sur l’Agenda 2030 et des 17 objectifs de développement durable. Le ton était aussi donné dès le début avec une acception et la justification de cette solution face aux défis de la pauvreté. « Inclure économiquement », « inclure » socialement, « inclure environnementalement ».

L’enjeu de cette analyse de discours est de présenter une vision pragmatique de la diffusion actuelle de l’idée de développement dans un contexte méthodologique où le cadre sociologique subit des critiques (Saint-Martin 2018; Hupé, Lamy, et Saint-Martin 2021)pour son délaissement du déterminisme social en faveur d’une « indétermination relative »[1] (Barthe et al. 2013).

3.Enjeux théoriques de l’inclusion

Au cours du Sommet sur l’inclusion organisé par la Banque Mondiale (2022), un des points soulevés lors des débats est celui de l’affirmation de l’idée que l’inclusion aurait amené une révolution dans le paysage du développement international. Dans l’histoire récente du développement, l’utilisation du terme inclusion est le fruit de réflexions sur la pauvreté. Selon la perspective que cette dernière soit définie comme étant entretenue par l’accès limité à certains droits, le fait d’être pauvre réduit ainsi les capabilités des individus et impacte négativement sur leur bien-être. Dans le cadre de l’aide au développement, l’inclusion s’inscrit dans une tentative de réduction de l’exclusion à travers le design de politiques et de programmes dans les domaines spécifiés suivant les tendances qui animent le champ international du développement. Rarement utilisée de manière indépendante, l’inclusion se retrouve associée à d’autres termes tel que « social » par exemple marquant l’hétérogénéité de son usage qui est la manifestation de son caractère abstrait. Corollairement, l’inclusion demeure un terme en construction dont le fort ancrage dans les réflexions sur la pauvreté participe au renforcement de l’approche linéaire du développement à travers l’avènement du développement inclusif.

3.1. Un terme global en construction 

L’inclusion a été saisie différemment d’un pays à un autre ; mais son usage converge vers le « processus d’insertion sociale et d’intégration économique, et à la recherche de participation sociale, culturelle et civique des personnes et groupes sociaux » (Bouquet 2015). Ces derniers intéressent particulièrement les concepteurs de politiques et de programmes, à commencer au niveau des Objectifs du Développement Durable (ODD) dans lesquels sont mentionnés des groupes de personnes identifiés comme exclus. C’est le cas par exemple des personnes en situation d’handicap, des femmes, des jeunes, des enfants, ou encore des réfugiés, des déplacés et des migrants. Ce large éventail de ciblage et la vision « universelle » sur laquelle repose les ODD réconfortent d’un côté le caractère global du terme inclusion, et d’un autre côté participe à la facilité de greffage de celui-ci au niveau d’une multitude de domaines ou de groupes sociaux.

Lors du Sommet organisé par la Banque Mondiale, l’inclusion s’est retrouvée associée à trois principaux domaines ouvrant ainsi les débats sur les questions d’inclusion sociale, d’inclusion économique et d’inclusion environnementale. Il faut tout de même relever que l’acception sémantique de l’inclusion reposait sur l’acceptation de l’idée de révolution qu’a apportée le terme et qui fige désormais sa définition. Par ailleurs, sa construction ne s’opère qu’à partir du moment où celle-ci est greffée à d’autres termes. La tournure des débats lors du Sommet s’orientait alors autour du processus pour atteindre un objectif de développement précis que du sens même du terme inclusion.

Ainsi, pour l’inclusion sociale qui s’est définie dans le contexte européen de l’évolution du salariat[2], celle-ci se retrouve désormais dans l’agenda international pour revêtir des problématiques liés au genre, à l’éducation, à la jeunesse ou encore aux personnes en situation d’handicap. Bien que marginalement abordé durant le Sommet, la situation des réfugiés, des migrants et des déplacés intéresse aussi de plus en plus le champ du développement étant donné la problématique de leur prise en charge. 

Ensuite, la nécessité d’agir face aux impacts des changements climatiques ont fait aussi l’objet des attentions au cours de ce Sommet. Les arguments tournaient en faveur de l’inclusion environnementale qui reposait sur l’idée de la nécessité d’agir localement dans un cadre global. C’est- à- dire de faire le lien entre les actions locales avec les perspectives plus globales. De fait, l’importance de la visibilité était largement mise en avant, notamment celle des groupes les plus exclus qui sont considérés comme les plus vulnérables face aux impacts des changements climatiques.

Corolairement, l’inclusion économique était unanimement reconnue comme étant le levier essentiel à l’inclusion sociale, et ne pourrait plus se passer de l’inclusion environnementale. Ce point sera argumenté plus amplement dans la troisième partie de cet article. 

Ainsi, en tant que référent global, l’inclusion a le « pouvoir » de charrier dans sa lancée des problématiques sociétaux pour les faire converger vers les objectifs de développement. Pour les pays en développement, elle participe de ce fait au renouvellement du contrat social dans une dynamique d’intégration de nouveaux acteurs selon l’agenda dans lequel elle s’insère.

 

3.2. Un fort ancrage dans les réflexions sur la lutte contre la pauvreté, la vulnérabilité et les inégalités

Dans le domaine de l’économie du développement, les débats sont toujours animés concernant les liens entre la pauvreté et les inégalités, et corollairement entre la pauvreté et la vulnérabilité. Les questionnements tournent particulièrement autour de l’analyse des relations entre la croissance économique, la pauvreté, les inégalités et la vulnérabilité. La croissance économique étant considérée comme un élément essentiel du développement économique, deux principales visions peuvent être considérées.

D’un côté, il y a les tenants de l’idée que la croissance économique peut être bénéfique aux populations pauvres lorsque le niveau d’égalité ne suit pas le même mouvement d’évolution. En d’autres termes, la croissance peut réduire la pauvreté si le niveau des inégalités n’a pas connu de changement. D’un autre côté, il y a l’idée que les inégalités peuvent profiter à la croissance économique de sorte que l’accumulation des revenus au sein d’une minorité entrainerait une plus grande capacité d’épargne en vue de financer les investissements nécessaires au développement économique.

Mais ce que ces deux visions ne tiennent pas en compte c’est l’ampleur des inégalités. Plus celle-ci est significative, c’est-à-dire que les revenus se concentrent au sein d’une minorité plus riche, plus les inégalités tendent à garder les pauvres dans un état de privation. Ainsi, la capacité d’épargne de ces derniers peut en être limitée de sorte que leur capacité d’investissement s’en retrouve impactée. Ces deux notions s’entremêlent donc de sorte que la pauvreté impacte sur les inégalités et vice versa. Pour expliquer cet état, il faut partir de l’idée que le développement passe par l’investissement dans les activités productives où à l’ère de la mode de l’empowerment et d’un développement participatif, les capacités d’investissements, reconnues comme nécessaire au développement, doivent être aussi du côté des catégories pauvres, mais pas seulement celui d’une minorité où se concentre les revenus. L’accès à la finance[3] par les populations pauvres a été soulevée lors du Sommet comme nécessaire pour pallier ce niveau faible de revenu et d’investissement, et de surcroit d’accéder à la possibilité de participer au développement.

Pour renforcer cet argument, le cas des réfugiés et la problématique de leur prise en charge constitue un exemple pertinent. En effet, ce cas demeure une question épineuse tant au niveau international, qu’au niveau des pays hôtes. Depuis 2018, au niveau global, l’idée d’appuyer les initiatives permettant aux réfugiés de participer à la vie économique de leur pays hôte s’est même matérialisée par le Global Compact on Refugees énoncé au niveau de l’Assemblée Générale des Nations Unies. L’inclusion économique et sociale de cette catégorie de population se présente ainsi comme un processus qui pourraient leur permettre d’accéder aux opportunités et à des services s’y référant. Mais cette question touche aussi d’autres dimensions qui nécessitent un fort engagement politique car le sujet reste sensible tant celui-ci présente un fort potentiel de division au sein des pays hôtes.

Par ailleurs, la question de la gestion de la sensibilité, et des risques que celle-ci représente, a été abordée par exemple lors du Sommet de la Banque Mondiale par la nécessité de la mise en lumière de figures de pratiques inclusives érigées en exemples : des changemakers. Ceux-ci symbolisent une forme d’efficacité que recherchent les acteurs internationaux de développement.

3.3.La continuité du développement participatif

L’approche participative s’est diffusée au niveau international avec l’engouement des organisations internationales pour la participation depuis les années 90. Paradoxalement, cette période correspond au renforcement des critiques vis-à-vis des démarches des institutions internationales qui étaient accusées de maintenir des mécanismes de domination à travers l’aide au développement.L’idée de sortir de la tendance du calquage du modèle des pays « développés » et de reconnaître aux communautés locales la capacité de se sortir de la pauvreté faisait donc son bout de chemin.

Ainsi, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) s’en est saisi et en a fait mention à travers l’énoncé de la nécessité de la mise en place d’une telle approche en 1993. Dès lors, la participation est devenue le mot d’ordre des organisations internationales, particulièrement dans les années 2000 (Parizet, 2016). Son appropriation par les institutions internationales s’est caractérisée par une interprétation libérale, en déplaçant la question de la participation vers le renforcement du pouvoir individuel ou l’empowerment individuel(Parizet, 2016). Ce qu’il faut savoir c’est que l’empowerment est un concept flou né dans le mouvement des ONG indiennes ayant pour objectif l’émancipation des femmes à travers la reconnaissance sociale et l’acquisition d’un droit à la parole. Le concept tend à renvoyer donc à la notion d’exclusion étant donné que celui-ci implique un processus « nécessairement conflictuel dans la mesure où il implique une contestation et une modification des rapports de pouvoir existant dans une société » (Guérin et Palier 2005, 176).

Néanmoins, l’empowerment est récupéré par les institutions internationales en l’éloignant de son interprétation initiale et en le détachant de l’idée des « groupes sociaux comme facteurs de transformation sociale » (Parizet 2016). Quelque part, un tel usage impliquerait une idée de développement finalement « sans mouvement »[4]. Cette interprétation s’éloigne aussi de tout processus de redistribution de pouvoir pour l’ériger en concept neutre et non conflictuel. Une telle approche du développement par les institutions internationales pose ainsi un voile sur le fondement d’un tel choix.

Pour autant, l’empowerment reste inhérent au développement et, avec le tournant/la révolution, reconnu comme amorcé par l’inclusion, celui-ci devient aussi indissociable de cette dernière. L’idée repose sur le fait que les groupes exclus devraient participer au développement en passant par l’étape du renforcement des capacités et de formation afin que ceux-ci puissent participer « de manière efficace », sans créer des tensions.

Par ailleurs, la participation est devenue un impératif qui conditionne l’accès aux ressources financières par les acteurs locaux de développement. Cette notion est devenue l’émanation de la conditionnalité de l’aide qui peut s’interpréter comme étant une nouvelle forme de relation de domination dans la coopération pour le développement. Encore une fois, cette dynamique relationnelle octroie aux institutions internationales le pouvoir d’imposer une démarche clé-en main aux acteurs locaux du développement.

En somme, la révolution amenée par l’inclusion dans le champ du développement résulte d’un processus historique du développement combiné avec une tentative de réaffirmation de valeurs universelles. Sa force réside dans la perspective de la mise en lumière et de l’intégration de groupes sociaux initialement exclus, voire discriminés. Paradoxalement, son caractère global ne laisse pas assez de marge de manœuvre pour permettre aux populations cibles (« les exclus ») d’apporter leur contribution aux systèmes sociaux et économiques dans lesquels elles sont appelées à s’insérer. Elles doivent se conformer aux normes et valeurs proposées tout en adoptant des comportements qui ne menacent pas les rapports sociaux qui prévalent (autorité et solidarité) dans le champ du développement. Cet argument se révèle encore plus vrai dans le cas précis de l’inclusion économique.

4.Le « pouvoir » de l’inclusion économique

Comme il a été déjà annoncé en amont dans cet article, le Sommet de l’inclusion a été une occasion de réaffirmer une sorte de relation de causalité entre les secteurs du développement. En quelque sorte, l’inclusion économique était explicitement reconnue comme devant ouvrir la voie vers d’autres domaines comme l’inclusion sociale, mais aussi vers l’inclusion environnementale et bien d’autres problématiques sociétales considérés comme entretenant la pauvreté.

La définition de ce qu’est l’inclusion économique n’a pas été débattue explicitement par les participants, mais celle-ci a été de facto entendue à travers l’inclusion financière. Ce raccourcis justifie en lui-même l’importance de l’inclusion financière au niveau global, ainsi que son dynamisme alors que l’articulation aux demandes locales de services financiers de ce type, « micro », peine souvent à s’ajuster aux offres dont la clé repose sur la confiance (Guérin, Isaurralde, et Sangaré 2018).  Propulsée à l’origine par le microcrédit qui s’est développé dans le sillage de l’économie solidaire, le modèle a connu une grande résonnance dans les pays en développement.

Le microcrédit repose sur l’implication d’organisations d’intermédiation financière conçues pour faciliter l’accès au financement par des opérateurs économiques exclus des systèmes bancaires. Il a été saisi par les institutions internationales pour être considéré comme un success story[5]dès les années 1990. On assiste depuis lors à l’évolution de ce modèle qui vacille entre les objectifs de développement et de financiarisation (3.1.). Le modèle a pourtant éprouvé ses limites (3.2.) sans pour autant s’être vu délaissé dans un champ du développement où le domaine de l’environnement propose une perspective plus optimiste en la matière (3.3.).

4.1.Inclusion financière : le désencastrement social ?

L’inclusion financière a été abordée au Sommet avec les discours plutôt « classiques » concernant le microcrédit et l’épargne. Considérant ce premier, la mention de la « révolution » amorcée par la Grameen Bank au Bangladesh repose sur une approche visant le financement des activités des populations pauvres. Ce fonctionnement s’oppose à l’approche des banques dites classiques qui se concentrent principalement sur le remboursement des prêts par les emprunteurs.

Annoncé de cette manière, le microcrédit semble ainsi être un chainon manquant entre la pauvreté et la non-pauvreté. Cette forme locale d’intermédiation financière s’est développée dans le contexte de la libéralisation des années 1990, dans le sillage de l’échec des politiques d’ajustement structurel initié par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale dans les pays en développement[6] (Labie et Vanroose, 2013). Saisie par les institutions internationales, notamment la Banque Mondiale, le modèle est défini comme étant une innovation sociale qui s’est nourrie paradoxalement du contexte libéral. Dès lors, le nombre d’emprunteurs n’a cessé d’augmenter dans le monde en se basant sur un objectif de répondre au besoin financier des populations « pauvres ». A partir des années 2000, la régulation de ces organisations, des institutions de microfinance (IMF), n’a pas freiné leur multiplication étant donné le volume important de ce besoin en financement[7]. Sur une période couvrant presque une décennie (2009 à 2018), le nombre d’emprunteurs recensé auprès des Institutions de Microfinance passait de 98 millions à 139,9 millions[8].

Pourtant, au regard des deux dernières décennies, trois principales disfonctionnements font du microcrédit un modèle efficace pour lutter contre la pauvreté : d’un côté le schisme du microcrédit caractérisé par le débat entre les tenants de la poursuite de l’objectif social (efficacité sociale) et ceux des tenants de l’objectif économique (efficacité économique des IMF) (Guérin, 2019). D’autre part, celle-ci a été marqué par la crise des micro-finances survenue vers la fin des années 2000 dans plusieurs pays qui a pris source dans les problèmes de surendettement et de commercialisation du microcrédit (Servet, 2011; Laudier et al., 2014). Il faut savoir que le contexte libéral dans lequel a évolué le microcrédit a constitué le terreau de ces crises avec l’engouffrement des acteurs privés dans le sous-secteur, et particulièrement dans le financement des IMF devenu entre-temps incontournable pour la survie de ces organisations. En effet, le coût de la gestion unitaire du micro-crédit étant financièrement élevé (une des raisons principales du désintérêt des banques classiques), le développement du modèle s’est accompagné du basculement vers sa financiarisation. De plus, la rentabilité des IMF au cours de la dernière décennie a foncièrement profité aux investisseurs.

Mais au-delà de cette prédominance du microcrédit dans le champ du développement international, aux prémices de la diffusion du modèle dans années 1990, il a d’abord joué un rôle de filet social afin de permettre aux opérateurs économiques des zones rurales délaissées par les banques d’avoir accès à un système de financement. Le modèle était d’abord perçu comme un modèle solidaire (Guérin, Isaurralde, et Sangaré 2018)dans le sens que celui-ci était incarné et soutenu par des coopératives et des associations fonctionnant quasi-exclusivement par des ressources internes issues de la collecte d’épargne. Outre le crédit, l’épargne représente un aspect important du modèle. Par ailleurs, la demande en service de micro-épargne existerait toujours selon un intervenant lors du Sommet sur l’inclusion et se caractérise par le fait que les populations pauvres auraient besoin d’un « endroit » pour épargner étant donné que celles-ci sont rejetées par les banques à cause du montant jugé généralement trop petit alors que coûteux en termes de gestion.

Cette vision plutôt simpliste se dépasse pourtant avec l’élargissement de ce qu’il est entendu comme caractéristique de l’épargne. Il est, en effet, encore bien commun dans le champ du développement de comprendre la micro-finance, de surcroit l’épargne, comme étant réduite à sa forme monétaire. A travers des exemples variés, de contextes différents, Isabelle Guérin (2019) démontre, par exemple, que les pratiques d’épargne dépasse largement cette forme monétaire étant donné que les individus sont aussi animés de raisonnements individuels que de groupes. Pour Guérin, « alors que la théorie économique voit l’épargne comme une composante résiduelle des revenus – ce qui reste quand on a consommé – l’anthropologie économique montre que c’est souvent une pratique influencée par des normes culturelles ». Les logiques d’épargne des populations pauvres ne correspondent simplement pas aux logiques promues par les promoteurs du modèle qui se reposent sur une finance autonomisée. Le résultat est une l’articulation difficile entre les réalités sociales et économiques des populations cibles de ce type de modèle caractérisée par la sous-évaluation et le balayement de certaines pratiques à travers souvent des programmes de formation dans le cadre de l’éducation financière. Est-ce là alors finalement la limite de l’inclusion financière ? L’incapacité de saisir et la volonté de désencastrer les pratiques économiques se réduirait-elles à une simple vision monétaire ?

4.2. Financiarisation de la pauvreté n’est pas synonyme de développement

L’inclusion financière est devenue associée à la vertu de la lutte contre la pauvreté. Le Sommet de l’inclusion a réaffirmé cette idée dont la justification d’une telle acception dans le champ du développement est fortement soutenue par l’idée d’un microcrédit (le « bon »), comme ayant la capacité de balayer les pratiques usurières (le « mauvais », entendu comme néfaste), sans tenir compte de la désarticulation entre la rigidité (une certaine lourdeur dans les conditionnalités) des systèmes microfinanciers et les réalités sociales plus complexes que renferment la dette (Guérin, 2019; Ould Ahmed, 2013).

En effet, les discours institutionnels autours du microcrédit reposent largement sur cette idée (Guérin 2019)alors que cette volonté de rendre antinomique ces deux visions de la finance constitue la manifestation de la limite même de la capacité de renouvellement du microcrédit. Comme on l’a vu en amont, il en est aussi le cas de l’épargne.

Depuis la multiplication de la documentation soutenant le doute concernant le rôle du microcrédit dans le développement économique depuis à peu près deux décennies, les études sur la question tendent à se raréfier laissant entrevoir l’essoufflement de l’euphorie que celle-ci a causé dans le champ du développement dans les années 1990 - début 2000. Dans la même occasion, l’absence d’arguments reposant sur des faits concrets concernant le rôle du microcrédit dans le développement est renforcé par les critiques sur celui-ci. Milford Bateman (2010) a particulièrement apporté un regard critique sur le système microfinancier dans Why doesn’t microfinance work ? The Destructive Rise of Local Neoliberalism (2010).Comme le titre l’indique, l’auteur de cette thèse a soutenu que l’efficacité du microcrédit sur la pauvreté relève tout simplement du mythe, ou plutôt des mythes. En analysant le discours complexe autour du microcrédit, le système micro-financier relève, selon encore celui-ci, d’une financiarisation des populations pauvres qui profitent largement aux donateurs. Les expériences locales de réussite de microcrédit ne peuvent donc pas représenter cet outil largement globalisé. Cette critique remet même en cause l’approche bottom-up dont semble relever le microcrédit en arguant la place prépondérante d’une élite dans la mise en place d’une politique favorable au développement du microcrédit. La participation même du local n’en serait même pas garantie. Finalement, le microcrédit ne ferait que promouvoir le néolibéralisme.

Cette reconnaissance de l’ancrage idéologique du microcrédit n’est pas restée isoler face à la prépondérance des discours sur les vertus de celui-ci. Ainsi, les travaux de Jean-Michel Servet(2006, 2015) ont montré que le microcrédit est finalement un outil qui fonctionne sur la base d’une « croyance » dans son efficacité et dont les discours construits autour ne sont qu’illusoires. Pour ce chercheur, « dix conditions d’ordre économique sont (…) nécessaires pour que les microcrédits aient l’impact escompté positif direct et rapide sur les revenus des « pauvres » et des « plus pauvres » ». (Servet, 2015a, p.91).

En analysant le cas de l’Afrique Subsaharienne, une région qui ne connaît pas encore de saturation, Jean-Michel Servet propose dix conditions pour espérer un impact positif du microcrédit (Servet 2015b):

   Six conditions de niveau micro-économique

Condition 1 : Les clients des institutions de microcrédit doivent être « pauvres » ou bien localement les dépenses de biens et services de plus riches doivent avoir un effet positif sur les revenus des plus démunis.

Condition 2 : Le prêt doit être effectivement employé par les emprunteurs à accroître leurs capacités productives et non leur consommation.

Condition 3 : Si un investissement est réalisé, il doit exister des débouchés pour l’activité ainsi financée.

Condition 4 : Le coût financier du prêt doit être inférieur au bénéfice monétaire de l’activité additionnelle génératrice de revenus qu’il finance.

Condition 5 : Celui ou celle qui mène l’activité doit avoir les capacités managériales et techniques suffisantes pour le faire.

Condition 6 : La capacité des micro-entrepreneurs à s’exposer à un niveau supérieur de risques est essentielle.

Deux conditions de niveau méso-économique

Condition 7 : Le gain des bénéficiaires du microcrédit ne doit pas se faire au détriment d’autres micro-entrepreneurs

Condition 8 : Le rendement moyen des micro-activités doit être supérieur à celui d’activités plus capitalistiques.

Deux conditions de niveau macro-économique

Condition 9 : La dépense réalisée grâce aux microprêts ne doit pas se traduire par une importation de biens provoquant une fuite de ressources.

Condition 10 : Les intérêts acquittés par les emprunteurs ou les dividendes versés par les banques locales de microcrédit aux détenteurs de leurs titres ne doivent pas enfin entraîner un drainage des ressources au seul bénéfice d’autres pays.

Les critiques sur le microcrédit ont même été saisies par les institutions internationales, pourtant restées longtemps les promoteurs privilégiés du modèle. Celles-ci ont particulièrement remis en cause le rôle du crédit sur les conditions de vie des populations pauvres (Ayhan Kose et al. 2020).

4.3. Inclusion environnementale et économique, une rhétorique ? 

Lors du Sommet sur l’inclusion dont il est question dans cet article, il n’a pas été explicitement ni unanimement question de la remise en cause de la financiarisation de l’économie, ni celle de la perpétuation des systèmes de domination que celle-ci entraine, encore moins de celle de l’implication de la pensée néolibérale sur la question de l’égalité[9]. L’exemple de la financiarisation de la pauvreté amorcée par l’inclusion financière a renforcé l’existence de la déconnexion entre la financiarisation telle qu’elle est envisagée et soutenue dans le champ du développement et les réalités des pratiques « financières » préexistantes aux logiques micro-financières. Dans l’état actuel des choses, l’existence de freins à ce mouvement de financiarisation repose paradoxalement sur la propension de ses promoteurs à réduire et à exclure ces « autres formes de pratiques financières », et à imposer un rythme de financiarisation assez rapide aux populations pauvres par rapport à une temporalité plus longue qu’a nécessité la construction de cette finance autonomisée au niveau des pays dits développés. Il est donc nécessaire pour les promoteurs de se détacher de cette vision « de rouleau compresseur », d’autant plus que le secteur financier n’est pas vraiment un exemple de cadre propice de manifestation de l’égalité, à l’image de la crise financière du début des années 2000 ou celle de 2008[10].

Néanmoins, l’objectif de croissance inclusive réitéré lors du Sommet renforce une fois de plus la reconnaissance globale de l’importance de l’implication de tous les groupes sociaux dans la croissance. Cette implication devra toutefois passer par la reconnaissance d’autres formes de « finance » et de les intégrer dans la vision globale de la finance, au lieu de les réduire à des phénomènes minimes, voire incompatible à l’idée de développement.

Bien que ce changement de perspective semble encore utopique dans le cas de l’inclusion financière, la piste ne s’arrête pas là car les questions épineuses de la reconnaissance de l’existence des « autres réalités » ont été amorcées par les argumentations autour de l’inclusion environnementale. Les idées les plus marquantes peuvent être résumées ainsi par trois points : d’abord, la nécessité de changer le regard global sur le vécu local afin d’y accorder plus d’importance même si celui-ci n’adopte pas les codes reconnus dans le champ global. La problématique engendrée par la « scientificité » a été notamment soulevée et qui représente un facteur d’exclusion. Ensuite, les communautés locales devraient être impliquées dans le design des politiques environnementales. En effet, il a été soutenu que les impacts des changements climatiques diffèrent de sorte que les communautés locales, moins acquises au modèle capitaliste et plus tournées vers les modèles plus durables, et donc plus dépendantes à la nature, sont les plus impactées par les changements climatiques. Ceci est encore plus vrai pour les États insulaires. Et enfin, le dernier argument renvoie à la période actuelle qualifiée de transition vers un modèle économique plus durable. Cette transition ne pourrait pourtant aboutir effectivement et efficacement sans la quête de justice sociale et la volonté globale de la reconnaissance de l’implication négative du modèle capitaliste sur l’environnement.

En quelque sorte, la rigidification de la vision de l’inclusion financière autour du désencastrement - de l’autonomisation - de la finance par rapport aux autres logiques non économiques des populations pauvres a échoué son « inclusion » à l’inclusion économique. Les recherches et études dans le domaine restent pourtant toujours d’actualité face au besoin en financement qui existe toujours au niveau de ces populations. De manière plus optimistes, les réflexions sur l’inclusion environnementale semblent (enfin) devenir un terrain où les débats sur les inégalités et sur la justice sociale, de surcroit dans le champ du développement international, proposent des ouvertures sur les critiques concernant l’avancée néolibérale.

            Conclusion

Le Sommet de la Banque Mondiale sur l’inclusion a été une occasion de réaffirmer tout le pouvoir transcendantal de l’inclusion. Le déploiement de ce pouvoir suppose la reconnaissance au préalable de la capacité de production de connaissance des « populations à inclure » et de dépasser ainsi une vision paternaliste, voire encore réductrice, qui paralyse encore souvent les processus de développement. Lutter contre la pauvreté passe donc par la lutte contre l’exclusion et le domaine économique reste le point névralgique de cette vision. Les lignes développées dans cet article ont mis en avant les points importants à prendre compte pour faire avancer les réflexions sur le développement d’un/des modèles de développement en Afrique. Le choix d’analyser certains débats ayant eu lieu durant le Sommet des jeunes organisé par la Banque Mondiale en Mai 2022 partait de la volonté de partir de la dynamique du champ du développement international pour essayer de réfléchir sur un développement continental. Il s’agissait aussi de saisir la teneur des discours institutionnels sur ce thème de l’inclusion afin de détecter des sujets de réflexions intéressantes pouvant peut-être servir à la construction d’un ou des modèles de développement en Afrique. Dans son discours d’ouverture, le président de la Banque Mondiale rappelait que les activités de l’organisation concernaient surtout les pays en développement pour les « accompagner » dans leur processus de développement. Mais comme on l’a vu dans cet article, les positions de la Banque ne peuvent pas forcément être soutenues et reprises comme parole d’évangile. Sans oublier le contexte global actuel caractérisé par la persistance de crises (du capitalisme, dues aux réchauffements climatiques, relatives aux inégalités, et bien d’autres problèmes encore (Saint-Martin 2022)).

Néanmoins, l’inclusion est difficile à remettre en cause à ce stade au regard de l’objectif de lutter contre l’exclusion. C’est plutôt la présence d’une relation de domination qui anime la coopération pour le développement qui laisse dubitatif sur l’utilisation du terme. Cela ne constitue pas non plus un fait nouveau car l’histoire du développement en elle-même, et particulièrement celle de l’aide au développement est jonchée de cette dynamique relationnelle dont le champ du développement peine à se défaire. La perte de visibilité de la Déclaration de Paris de 2008 sur l’efficacité de l’aide tend à faire taire la réalité de ces relations de domination.

Pourtant, la participation en tant qu’approche pertinente représente toujours une opportunité qui mérite d’être saisies au niveau des pays Africains car celle-ci renferme en même temps l’idée de la sortie de la tendance au calquage du modèle des pays « développés », et de reconnaître aux communautés locales la capacité de se sortir de la pauvreté. La démarche participative marque non seulement un changement dans l’évolution de la théorie du développement, mais également dans celle de la relation entre le technicien du développement et de la population locale dans une dynamique de « co-apprentissage » (Lavigne Delville 2007) où le technicien est tenu de faciliter le changement. Sur le principe, il ne s’agit plus d’imposer des projets de développement aux populations locales, mais plutôt de leur donner le pouvoir décisionnel. Cette perspective est d’autant primordiale que les outils sociologiques et anthropologiques ne manquent pas pour comprendre les « exclus », le point de départ nécessaire pour la formulation de stratégies.

De plus, avec le mouvement de digitalisation et l’avènement de l’approche des big data (Bastin et Tubaro, 2018), l’inclusion demeure un terme prometteur dans le champ du développement. Ces outils pourraient renforcer le domaine de l’observation des caractéristiques sociales, celui de la collecte de nouvelles données et celui de la mobilisation des connaissances des - et par - les pays en développement qui sont encore largement dominées par les pays en développement. Même si l’usage des big data fait encore l’objet de certaines réticences, notamment par rapport à l’existence d’une certaine tendance à vouloir en finir avec les méthodes sociologiques (Bastin et Tubaro 2018), le risque pourrait se situer dans un certain retour d’une quelconque forme de déterminisme sociale (Saint-Martin, 2018; Hupé, Lamy, et Saint-Martin, 2021)qui impacterait lourdement sur les volontés globales ou locales de lutter contre la pauvreté. Mais ceci étant, le message est clair : le pouvoir de l’inclusion est nécessaire. Il « ne reste plus qu’à » réfléchir sur ses modalités, sans « écraser » les « exclus ».

         


[1]Pour Yannick Barthe, Damien de Blic, Jean-Philippe Heurtin, Éric Lagneau, Cyril Lemieux, Dominique Linhardt, Cédric Moreau de Bellaing, Catherine Rémy, Danny Trom : « L’enquête se donne alors pour objet non seulement d’expliquer les contraintes qui pèsent sur les situations du présent ou, indissociablement, les ressources qui y sont mises à disposition des acteurs, mais encore de permettre d’observer différemment de telles situations, en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles certains héritages du passé n’y sont pas actuellement activés. Dans tous les cas, et l’on peut y voir l’une des principales formes d’unité et de cohérence de l’approche pragmatique, c’est un présentisme méthodologique qui prévaut. Il se traduit notamment par l’affirmation que l’action ne saurait être déduite simplement ou mécaniquement du passé, dans la mesure où elle introduit toujours, par rapport à ce dernier, une indétermination propre. Pareille position, loin d’être un refus de la perspective historique ou un rejet de l’enquête généalogique, s’affirme comme une autre façon de les pratiquer. » (Barthe et al. 2013)

 

[2]La rupture du salariat entraîne d'autres ruptures sociales, culturelles, voire psychologiques qui risquent de fragiliser l'individu (Paugam 1998) et de le placer en situation d'exclusion.

[3]Selon des conditions développées en aval.

[4]Peut-on alors envisager un développement sans mobilité sociale afin de préserver une société de l’émergence de situation conflictuelle ?

[5]Ce terme est repris de l’usage qu’en ont fait les organisations internationales et qui implique la mise en avant des expériences qualifiées de réussites. Une expérience « réussie », un élixir miracle, érigée en « bon exemple » à suivre et qui contribue « à la production sociale du succès du développement, dans la mesure où la réalité des pratiques de développement fait l’objet d’un travail d’interprétation par les acteurs institutionnels du développement qui élaborent un récit reliant des idées, des pratiques, des cadres logiques et des documents de projets » (Parizet 2016).

[6]En effet, avec les politiques d’ajustement structurel portées par la Banque Mondiale et le FMI dont les principes consistaient à imposer des réformes institutionnelles comme conditionnalités, l’aide au développement, à cette époque, a consisté au refinancement de la dette dans le cadre de la recherche d’équilibre macroéconomique dans les pays concernés par la crise de la dette. Connu sous le nom de consensus de Washington, les politiques d’ajustements structurels symbolisent la mise en avant du marché et la fin de l’interventionnisme étatique. Cela a impliqué le retrait de l’État de la gestion d’entreprises publiques induisant une vague de privatisation, la fin de l’intervention de l’État dans la fixation des prix, la mise en place d’un environnement concurrentiel et de soutien au marché. Cette opération a induit aussi l’émergence d’un nouveau mode de gouvernement collectif où la souveraineté de l’État s’est vu vaciller avec l’implication d’acteurs privés tels que les ONG.

[7]Ces populations sont très actives financièrement (Collins et al. 2009)

[8]Chiffres de la plateforme Convergence qui décrivent cette potentialité de financement.

[9]La redistribution de la croissance n’est assurée tendre vers l’égalité que seulement encadrée par des politiques de transformation de l’économie privilégiant les investissements publics dans l’éducation, la santé, l’eau et autres services fondamentaux. Mais cette question se complexifie alors que le libéralisme a entrainé dans son sillage le transfert de la gestion des biens publics vers le privé par la privatisation.

[10]A partir de la période des années 80, les inégalités ont augmenté d’un point de vue global mais à des rythmes différents. A titre d’exemple, aux États-Unis, la part du revenu national détenue par les 1% des plus riches a explosé (entre 10% à 20%) alors que le revenu minimum en salaire réel des classes « basses » a connu une décroissance (de 25 à 30%) dans un contexte de forte croissance. Cette situation s’explique en partie par l’adoption de politique de dérèglementation (baisse d’impôt) qui favorisent plus le capital au détriment du travail. On est en train d’observer la continuation de ce mouvement néolibéral. (Réflexion tirée du débat autour du « mythe de la croissance équitable » sur Radio-France réunissant Gunther Capelle-Blancard (Économiste, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Benoît Prévost (Maître de conférences HDR, Directeur du Centre Universitaire du Guesclin, Université Montpellier III.), Lucas Chancel (Co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d’économie de Paris, chercheur senior à l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) et enseignant en économie à Sciences-Po Paris).

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