LES INSTITUTIONS FINANCIERES INTERNATIONALES ET LES ORGANISATIONS D’AIDE AU DEVELOPPEMENT: LE VRAI PROBLEME ET LES VRAIS ENJEUX

Abstract: 

This paper addresses the issue on whether or not International Financial Institutions and Development Aid Organisations could be the engine for the rise of Africa. To this issue which divides African Intellectual forces in their analyses and assessment of the place of Africa in the world, the problem must be deeply and seriously reformulated so as to pose the question differently: What should Africans do for the International Financial Institutions and Development Aid organisations to become catalysis of sustainable development and the rise of Africa? The attempt to answer the question leads to a four- dimension stake: Rebuilding a continent that is unified around strong African institutions; developing the elite and population, envisioning Africans as winners and stimulating among Africans the dynamism of grandeur, power and community happiness. The world’s intervention to aid Africa can only be a contribution to the already deployed effort.

 

1. Introduction

La question à laquelle nous consacrons la présente réflexion préoccupe beaucoup de chercheurs africains. Elle concerne le rôle exact des institutions financières internationales et des organisations d’aide au développement en Afrique. Sont-elles un ferment au sein des pays africains qu’elles peuvent conduire à devenir des pays émergents, selon le langage à la mode, ou constituent-elles des freins et des obstacles à la libération des esprits, à l’indépendance d’action et à la construction des institutions politiques, économiques, sociales et culturelles pour une autre Afrique possible ? Une Afrique qui sortirait une fois pour toutes des affres des crises innombrables dont elle souffre depuis le début de l’ère moderne et qui se tournerait résolument vers un nouveau destin de grandeur et de puissance, comme un continent capable de compter dans le monde et d’être une entité humaine sur laquelle l’humanité entière peut compter.

 

2. Contexte de la question

Cette question n’est pas nouvelle. Elle a été au cœur des débats africains tout au long de nos décennies d’indépendance. Pendant l’euphorie des premières années d’autodétermination politique de l’Afrique, elle a pris la forme de lutte contre ce que l’on désignait en ces temps-là par le terme de néocolonialisme. Mais cette lutte n’a pas conféré aux nouveaux pays indépendants une forte capacité interne de définir quel type de relations nouvelles ils pouvaient et devaient nouer avec les anciens colonisateurs. C’était la période de la guerre froide, et la bipolarité du monde dans ce contexte vidait les indépendances de toute possibilité de décision endogène en matière de développement et d’insertion dans l’ordre du monde à partir des intérêts propres du continent. L’Afrique indépendante subissait plus une situation de fait qu’elle n’impulsait une destinée nouvelle. Elle était prise dans le tourbillon d’une histoire qui s’était configurée après la deuxième guerre mondiale. C’est cette histoire en turbulences qui avait donné naissance à des institutions et des organisations internationales chargées de structurer la politique et l’économie du monde : les Nations Unies, le FMI et la Banque Mondiale. C’est en elle et par elle que l’économie mondiale sera régulée selon des intérêts dont la guerre froide a clairement montré qu’ils étaient des intérêts de puissance entre deux pôles antagonistes : deux idéologies, deux visions du monde, deux perspectives d’avenir. L’ordre capitaliste et l’ordre communiste ont ainsi tenu l’Afrique en tenailles et tous les problèmes des nations africaines indépendantes n’ont pas pu être traités par les Africains en toute indépendance. L’indépendance des années 1960 fut globalement un leurre et une illusion, avec des emblèmes qui n’avaient aucune consistance politique ou économique. Les meilleurs des Africains avaient conscience de cette situation tragique, mais ils furent réduits au silence, soit par assassinat, soit par neutralisation forcée, soit par cooptation dans le système régnant.

 

A quoi ont servi les institutions et les organisations internationales à cette période ? A promouvoir trois logiques, essentiellement :

-          La logique de l’humanitaire dans les situations de conflits armés désastreux comme au Biafra  et au Congo-Kinshasa ainsi que dans des catastrophes d’effondrement social comme la famine en Ethiopie et au  Sahel.

 

-          La logique des interventions militaires directes pour colmater les brèches des drames créés par l’ordre international bipolaire, comme dans le chaos congolais les casques bleus des Nations Unies s’engouffrèrent pour sauver le pays de l’implosion.

 

-          La logique de l’aide au développement octroyée à des régimes politiques qui n’en comprenaient pas la signification et qui l’utilisaient souvent dans l’irrationalité la plus totale et selon les impératifs de consolidation des régimes autoritaires à la solde des puissances de la guerre froide.

Aucune de ces logiques n’a été une logique de développement des peuples. Aucune nation africaine indépendante en contexte de guerre froide ne fut en mesure, grâce à ces logiques, de se doter d’une réelle politique ni d’une réelle économie de promotion humaine. Encore moins d’une culture et d’un imaginaire de développement. Les institutions financières internationales et les organisations d’aide au développement se sont beaucoup agitées à cette période et ont mis en jeu de gigantesques moyens en Afrique. Elles ont conçu de multiples plans d’appui et d’ajustement structurel. Mais tout cela ne fut pas vraiment au service d’un puissant projet de construction d’une Afrique nouvelle. Le Zaïre de Mobutu fut l’exemple type de l’inanité de ce que ces organisations et ces institutions ont entrepris en Afrique avec des pouvoirs dictatoriaux sanguinaires : le pays des Gros Travaux pour Zéro, comme disait un humoriste bien inspiré qui traduisait ainsi le sigle de l’organisme allemand GTZ. Dans son caractère de situation caricaturale, le cas emblématique du Zaïre a poussé les analystes à proposer des hypothèses d’explication extrêmes pour comprendre ce qui s’est réellement passé : soit les institutions financières internationales et les organisations d’aide au développement sont formatées pour ne jamais servir de moteur, d’impulsion, de levier ou de ferment du développement ; soit les Africains qu’elles viennent aider sont culturellement inaptes à se développer. Les deux thèses se partagent le champ des discussions de l’intelligentsia africaine dans ses joutes pathétiques et stériles. Mais posent-elles réellement le vrai problème ? 

 

Avec la fin de la guerre froide et le triomphe du capitalisme néolibéral et son idéologie du Marché, on a cru un temps que le monde était devenu unipolaire et que l’Occident restructurerait la planète selon ses intérêts certes, mais avec un brin d’éthique dans un libéralisme à visage humain. Malheureusement, ce temps d’illusion ne dura pas longtemps dans l’imaginaire des Africains. Ni le FMI, ni la Banque mondiale, ni l’OMC, ni les organisations d’appui au développement, ni même l’ensemble flou que l’on désigne par le terme de communauté internationale ne comprirent qu’il fallait changer fondamentalement la voie et les logiques du système mondial dans sa vision de l’Afrique. Loin de cela, la seule nouveauté de cette période fut la croissance exponentielle des ONG censées se  substituer aux Etats faillis pour se rapprocher des terroirs locaux au nom d’un développement local crédible (cf. Banque Mondiale 1993). Un développement dont on ne se rendait pas compte qu’il était impossible dans le contexte d’une politique mondiale sans boussole pour aller vers une vraie et profonde promotion humaine.

 

Ce manque de boussole se vérifiait dans des décisions politiques aveugles. Les Etats-Unis lancèrent une dynamique étonnante de renaissance africaine au nom de laquelle ils lâchèrent leurs anciens alliés comme  Mobutu et Savimbi pour mettre en selles de nouvelles figures comme Aferworki (Erythrée), Zenawi (Ethiopie), Museveni (Ouganda), Kagame (Rwanda), sans se demander s’il était vraiment dans l’intérêt de l’Afrique d’inculturer une renaissance conçue ailleurs. La communauté internationale ne sut pas comment gérer la crise au Rwanda et un génocide grandeur nature fut perpétré dans ce pays sous les yeux des soldats de l’ONU. Avec comme effet boomerang la déstabilisation de toute La Région des Grands Lacs qui entra en pleine turbulence.

 

Le Congo-Zaïre, exemple type de l’échec des politiques internationales du développement et de sécurité, entreprit alors sa décente aux enfers. Aujourd’hui, c’est ce pays qui abrite la plus vaste mission onusienne de maintien de la paix, le plus grand nombre d’ONG au kilomètre carré dans chaque ville et, en même temps, il constitue la plus grande catastrophe humanitaire depuis la deuxième guerre mondiale : plus de six millions de morts, selon les estimations les plus sérieuses et les plus fiables. Est-ce un hasard ? A ce niveau, les hypothèses avancées oscillent aussi entre deux extrêmes dans l’intelligentsia africaine : soit les institutions financières, les organisations d’aide au développement et les ONG internationales sont formatées pour noyer le Congo dans les profondeurs infernales du sous-développement ; soit les Congolais sont victimes d’un syndrome d’imbécillité collective inguérissable. Hypothèses aussi infécondes l’une que l’autre, qui ne posent pas du tout le vrai problème.

 

Il faut ajouter qu’aujourd’hui, on ne peut pas considérer ces hypothèses sans prendre conscience que le contexte du monde que l’on croyait bipolaire ne l’est pas du tout. Nous vivons en réalité dans une situation de mondialisation, ou plutôt, de confrontation multilatéraliste entre mondialisation et altermondialisation. Au cœur de la mondialisation qui fut vue au début comme le triomphe de l’Occident et de l’occidentalisation du monde, on se rend compte que de nouvelles puissances émergent : la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres dragons sur lesquels l’Occident ne règne plus du tout. Dans le camp de l’altermondialisation, la société civile s’est structurée en toile d’araignée pour réclamer un autre monde possible.

 

Des exigences d’une autre économie et d’une dynamique écologique du développement prennent corps. De nouvelles forces d’imagination et d’intelligence ont cessé de croire à la capacité de l’Occident à donner au monde des valeurs pour l’avenir. Et l’on a le sentiment qu’il n’y a pas de pilote dans le jumbo jet qu’est notre monde actuel. De nombreux pilotes ont chacun leur logique propre et cherchent à tirer profit d’une situation où les confrontations souterraines font naître et développer des irrationalités identitaires complètement égoïstes ainsi que des illogismes mafieux tout en détruisant les efforts de régulation planétaire que des organisations comme l’Organisation Mondiale du Commerce cherchent à faire fleurir pour une mondialisation solidaire. Même le surgissement des ONG des droits humains et la solidification des structures d’observation des nations sous un angle éthique avec des dynamiques comme celles de Green Peace, d’Amnesty International, de Human Right Watch ou de Transparency International n’a pas garanti une stabilité planétaire pour le développement global de l’humanité. Le monde lutte pour l’enfantement de la nouvelle voie pour son avenir, comme dirait Edgar Morin.

 

Il s’agit là d’un nouveau contexte dans lequel, pour reprendre le mot d’Amin Malouf, tous les jeux sont ouverts, au sein d’une arène mondiale où les nations et les continents aiguisent leurs stratégies de présence sur le marché mondial et déploient leurs politiques de développement en tirant profit de leurs propres atouts. Cela en vue de peser sur les actions des institutions internationales et des organisations mondiales.

 

L’Afrique vit dans cette nouvelle situation du monde. Le vrai problème n’est plus de savoir si les institutions internationales et les organisations d’aide au développement sont bonnes ou mauvaises pour nos pays, mais de savoir ce qu’il convient de faire et quelle riposte il convient d’imaginer pour qu’elles le deviennent. Comment les plier à notre volonté et faire d’elles un atout et pas un obstacle? Comment solidifier nos puissances d’action et nos énergies d’organisation pour que le jeu et les enjeux du monde soient à notre faveur ? Par quels mécanismes devons-nous cesser de subir un destin pour construire nous-mêmes une destinée ? C’est un problème de changement de cap et d’orientation dans notre vision de la planète.

 

Nous ne devrons plus avoir peur d’un supposé formatage des grandes organisations mondiales pour notre échec. Nous devrions plutôt puiser dans notre sens de stratégie pour que cette faiblesse devienne notre force. Cela signifie rompre avec les crispations, les fatalismes, les frilosités et les désespoirs qui nous caractérisent en Afrique pour sortir de notre syndrome d’immobilisme et construire un imaginaire d’intelligence et de volonté de vaincre. Selon une perspective d’altermondialisation résolument tournée vers l’avenir. Au fond : nous changer nous-mêmes pour pouvoir changer l’ordre du monde, selon la vieille sagesse philosophique. Organiser nos structures d’être et de vie pour pouvoir organiser les structures du monde et les dynamiques de construction de l’avenir. Avec une Afrique décomplexée et combative.

 

3. Les acteurs

Pour ce faire, une analyse des acteurs de la situation actuelle de mondialisation et de globalisation est utile et instructive. Elle permet d’intégrer l’action des institutions financières internationales et des organisations d’aide au développement dans les stratégies qui sont mises en œuvre dans les batailles actuelles du monde.

 

Le premier acteur sur lequel se concentrent tous les fantasmes des Africains, c’est l’Occident. Il est faussement vu comme une entité monolithique qui ourdit des complots, affinent des conspirations et conçoit des stratégies de maintien des pays africains dans un éternel sous-développement, afin de mieux asseoir une domination sans fin sur toute l’humanité. Cet Occident mythologisé aurait entre ses mains des institutions et des organisations visibles ou occultes, au service des pouvoirs vampires et cannibales dont les services secrets sont prêts à éliminer promptement tout chef africain épris d’indépendance et de liberté. Dans un maillage irrésistible de l’ensemble de la planète, il place partout ses sbires, ses pions, ses illuminati sans foi ni loi, sans tendresse ni pitié. Il affaiblit ainsi toute velléité de résistance ou de révolte dans les pays qu’il domine, à travers des structures comme la Françafrique ou la francophonie. Entre les griffes d’un tel système diabolique, tout serait perdu pour l’Afrique. Tout et pour très longtemps. Il suffit, dit-on, de regarder la conspiration internationale contre la pauvre et pitoyable République Démocratique du Congo, que l’on veut exploiter et dépecer, pour se faire une idée de la férocité des logiques occidentales à l’égard de l’Afrique. Tous les ogres, tous les vautours se rassemblent autour d’une nation qu’ils assassinent à coup d’interventions militaires, d’aide humanitaire ou d’appui au développement.

 

Penser ainsi l’Occident, les institutions internationales et les organisations d’aide au développement, c’est oublier que tout a une histoire et que l’histoire est faite de mutations et des métamorphoses qui s’imposent selon des logiques immaîtrisables ou suivant les choix et les décisions des hommes. L’Occident de la guerre froide n’est pas l’Occident de l’actuelle mondialisation. Au sein même de cette histoire, les Etats-Unis  ne représentent  pas une seule et unique réalité, sous Clinton, sous Bush fils ou sous Obama. Les crises comme celle de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal n’ont rien à voir avec la situation allemande ou l’état des pays scandinaves.

 

Chaque fois que les défis nouveaux apparaissent, l’Occident dans sa diversité et dans ses tensions réfléchit à nouveaux frais sur ses intérêts multiples, pays par pays, ou tout ensemble, pour imaginer les stratégies qui ne sont pas définies d’avance et ne peuvent pas se résumer en une volonté luciférienne de tuer l’Afrique et de se nourrir de son cadavre. Les institutions financières qu’il domine et les organisations d’aide au développement revoient aussi leurs stratégies en fonction des mutations de base, des métamorphoses nécessaires et des réformes souhaitables. Or ces mutations, métamorphoses et réformes de fond sont maintenant visibles dans un vaste phénomène mondial : l’émergence de nouvelles puissances et les nouvelles impulsions de changement par cette émergence même. Appelons cela la preuve par le BRICS[1].

 

Rien ne prédisposait ces pays (BRICS) à s’imposer sur la scène mondiale. Il y a quelques décennies, eux aussi, comme l’Afrique, étaient enclins à subir la toute-puissance et la morgue de ceux qui se croyaient  maîtres absolus du monde. Mais lorsqu’ils ont compris que le monde est une arène ouverte où l’on doit affûter chacun ses propres armes et ses propres stratégies face aux autres ; une arène où il faut, comme dans les arts martiaux, savoir se servir des forces de l’adversaire pour le vaincre, ils ont découvert que le secret est dans la matière grise et dans la volonté de vaincre. La face du monde en est transformée. On le voit bien en Afrique où la Chine est devenue un acteur majeur de la géostratégie mondiale. Cela grâce à une volonté politique manifeste, à un souci rigoureux d’organisation, à l’imagination de nouvelles stratégies d’action et à l’une des plus farouches volontés de vaincre dans le champ mondial aujourd’hui. L’actuel ministre chinois des relations extérieures  caractérise cette dynamique comme une innovation théorique et pratique dont les idées de fond sont celles de développement pacifique, de relations économiques et politiques gagnant-gagnant, de multilatéralisme mutuellement bénéfique et d’ouverture au monde dans la perspective d’un avenir de prospérité, même au prix de grands et lourds sacrifices.

 

La Chine, c’est la chine, et l’Afrique c’est l’Afrique, dira-t-on. Et on ajouterait sans doute, avec malice :

 

il ne faut pas comparer les incomparables.Il n’y a ni même mentalité, ni même culture, ni même niveau d’intelligence sociale, ni même volonté collective. L’Afrique, déterminée par la mentalité et la culture d’esclave, aura du mal à se relever de ses atavismes pour devenir tigre politique et dragon économique. Trop faible, trop extravertie, trop prise dans les griffes de l’Ogre néocolonial, elle est incapable de libérer des ressorts de créativité et d’invention de nouveau destin.

 

Le raisonnement peut séduire certains, mais il est spécieux. Il oublie que l’Afrique aussi n’est pas un bloc monolithique. Elle a une histoire. Elle est sensible aux mutations. Elle sait saisir les opportunités pour bondir et rebondir. Malgré tout ce qu’on peut dire, les indépendances furent pour elle un splendide moment de bondissement et de rebondissement. En dépit des faiblesses dont elle a fait montre dans sa démocratisation, elle a vécu avec ses conférences nationales des années 1990 comme un temps fort de bonds et de rebonds. Les dictatures féroces et sanguinaires ne sont plus son mode d’être politique dominant. Et aujourd’hui, elle n’est plus l’Afrique qui coule à pic et qui est condamnée à l’inanition économique et financière comme on le disait il y a à peine deux décennies. On parle de plus en plus maintenant d’émergence de lions politiques et de tigres économiques africains, pour des pays qui comprennent l’urgence et le sens des réformes utiles à engager maintenant en vue de sortir du complexe de victimisation dans lequel un certain discours africain se complait et s’emmure.

 

En plus, l’Afrique sait désormais qu’elle peut s’ouvrir, par son intelligence et sa volonté, aux autres sphères de relations, en dehors des routines de nos relations avec le monde occidental dont la domination sur les institutions financières et les organisations d’aide au développement n’est plus ni absolue ni de longue durée. La multi-latéralité de possibilités de liens politiques et économiques est devenue un atout de taille. Même la République Démocratique du Congo dont on croit qu’elle est un chaos social par excellence, un vide d’Etat et un gouffre pour l’aide internationale, même elle, dans ses désarrois, cherche vers la Chine des bouffées de sauvetage. Même elle, dans son errance et ses problèmes de sécurité et d’unité, comprend peu à peu qu’il y a lieu de tirer profit des organisations financières internationales et des organisations d’aide au développement pour se réorganiser dans ce que le philosophe Kaumba Lufunda Samajiku appelle le réveil du géant. Quand bien même cette dynamique ne serait pas encore très visible et qu’elle souffre encore d’un déficit manifeste d’organisation et d’action, elle est fortement sensible dans les débats intellectuels et dans l’imaginaire populaire dont le souci et le souhait du changement sont permanents. Au Club pour l’Eveil du Congo, nous n’hésitons plus à parler aujourd’hui du nouveau rêve congolais et à investir toute notre foi en lui. Il s’agit là d’une nouvelle lame de fond qui réorientera sans doute la vision de la présence et du rôle des organisations internationales et des institutions financières internationale en RDC.

 

Ces organisations et ces institutions sont elles-mêmes en pleines mutations. Elles s’interrogent sur leur vocation et s’orientent vers une remise en question radicale du travail qu’elles ont accompli en Afrique. Quand on est sensible à leurs rapports d’activités, à leurs rapports sur la situation d’un pays comme la RDC et à leurs documents de stratégie, on aurait du mal à les considérer simplement comme de petites mains invisibles du néocolonialisme assassin ou des ogres patentés pour précipiter  le continent africain dans le trou noir de la misère et du sous-développement. Elles s’inquiètent du manque de résultat dans leurs politiques de développement où sont pourtant investies des ressources financières monumentales. Elles se demandent avec quels acteurs locaux travailler pour plus de fécondité en matière de développement. Elles désespèrent parfois de devoir coopérer avec des autorités politiques aux mentalités et aux attitudes corrompues, tout comme elles exultent quand l’économie numérique propulse des pays comme le Nigeria ou le Ghana à l’avant-scène du monde. Il suffit d’analyser sans état d’âme les politiques des institutions qui représentent l’union européenne en Afrique et de travailler de près avec les personnalités qui les dirigent pour comprendre que leur vraie angoisse n’est pas de participer à un naufrage programmé du continent africain, mais de ne pas pouvoir conduire le continent à prendre sa place de choix dans l’économie mondiale.

 

Même s’il existe des trusts mafieux et des conglomérats d’exploitation, de pillage et de prédation, ce ne sont pas eux qui conçoivent et orientent les politiques de développement dans l’ordre mondial actuel. L’essentiel aujourd’hui se situe à un autre niveau: dans la quête des règles qui puissent, d’une manière ou d’une autre et progressivement, conduire le continent africain à prendre son destin en main et à devenir suffisamment fort pour résister aux puissances de l’économie de pillage, d’exploitation et de prédation.

 

Dans cette situation d’interrogation et de réévaluation sur elles-mêmes, les organisations d’aide à l’Afrique sentent que le monde a changé et que le développement mondial pacifique dans la dynamique gagnant-gagnant deviendra de plus en plus un concept central dans l’éthique planétaire qui se construira peu à peu. C’est sous cet angle qu’il est bon de les regarder aujourd’hui en Afrique pour que l’Afrique fasse d’elles non pas un cheval de Troie pour la destruction de nos pays, mais le limon, le levier et le ferment possibles d’une nouvelle ouverture au monde.

 

4. Les nouveaux enjeux du développement

La question aujourd’hui n’est donc pas de savoir si les institutions internationales et les organisations d’aide au développement peuvent être au service du développement du continent africain. Elle est de savoir comment faire pour qu’elles le deviennent dans le nouveau contexte du monde, en une grande fécondité d’initiatives et une ardente effervescence d’actions, avec des Africains capables de  prendre le destin de l’Afrique en main.[2]

 

Elles ne le deviendront que si l’impulsion est donnée de l’intérieur même de l’Afrique, grâce aux ressources d’intelligence, de volonté et d’organisation des élites dirigeantes et des populations africaines elles-mêmes. C’est le changement de cap et d’orientation au sein des pays africains, ou plus exactement, dans l’élan d’une Afrique unie pour sa liberté, sa prospérité et son développement, que le nouveau rôle de ce que l’on appelle la communauté internationale deviendra visible au sein des institutions financières et des organisations mondiales. Contrairement à ce que l’on croit : ce ne sont pas ces institutions et organisations qui font des hommes et des sociétés ce qu’elles veulent qu’ils soient ; ce sont les hommes et les sociétés qui font de ces structures et ces institutions ce qu’elles doivent être profondément.

 

Dans une Afrique organisée comme entité intelligente à partir d’une action panafricaine impulsée par l’Union Africaine, aucune organisation internationale ne pourra dominer notre continent. Mais dans une Afrique émiettée en des pays sans éthique politique ni cohérence économique, la plus petite ONG de développement et les plus grands trusts financiers mondiaux feront la loi, aidée par des élites politiques et financières locales sans foi ni loi.   

Les enjeux sont en fait ceux-ci : construire une Afrique unie autour des institutions africaines solides, développer l’intelligence sociale des élites et des populations dans nos pays, créer un imaginaire de la volonté de vaincre et faire rêver nos peuples d’une dynamique Africaine de la grandeur, de la puissance et du bonheur communautaire. C’est au cœur de ces enjeux que les organisations internationales pourront avoir du sens pour l’Afrique : contribuer à son développement, comme on disait hier, à son émergence, comme on dit aujourd’hui. Grâce au génie de l’Afrique elle-même.




[1]Il s’agit d’un groupe de pays incluant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Outre que ces pays partagent le fait d’être géographiquement vaste, leurs économies respectives se classent au niveau mondial.

[2]Certaines publications s’inscrivent dans cette perspective. C’est le cas de Dead aid : why ai dis not not working and how there is another way for Africa (de Dambisa Moyo 2009),  Aide, croissance économique et lutte contre la pauvreté : la part du bénéficiaire de l'aide publique au développement (Symphorien Ntibagirirwa 2007),The trouble with Africa: Why aid isn’t working (Robert Calderisi 2006).

Référence Bibliographique: 

Banque Mondiale 1993. L’Etat en Crise. Banque Mondiale. Washington, DC:

Banque Mondiale.

Calderisi, R 2006. The Trouble with Africa: Why foreign aid isn’t working. Yale: Yale

University Press.

Moyo, D 2009. Dead aid: why aid is not working and how there is another way for

Africa. London: Allen Lane.

Ntibagirirwa S 2007. Aide, croissance économique et lutte contre la pauvreté :

la part du bénéficiaire de l'aide publique au développement. Ethique et Société, 4(2) : 162-183.

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