DE LA GESTION DES RESSOURCES NATURELLES EN AFRIQUE CENTRALE ET AUSTRALE : DES CONCEPTS A CONTROLER

Abstract: 

This article answers specific questions on the management of natural resources in Central and Southern Africa. Are there cursed natural resources? If so, is it proved that these resources are really cursed? If not, why has the concept “curse” been attached to oil, gold, cobalt and coltan? Moreover, how should one proceed to invalidate the curse of natural resources of Central and Southern Africa? How to responsibly ensure the management of those African resources? Finally, concepts to control, resource curse question and corporate social responsibility, local peoples, and poverty reduction form the backbone answers to the questions. Therefore, the terminology “natural resources management” in Central and Southern Africa should be used and understood with strong reservation.

1. Introduction : des concepts à contrôler

La gestion responsable des ressources naturelles d’Afrique centrale et australe ne peut être réellement envisagée qu’au terme d’une relecture de l’histoire de l’industrie extractive en Afrique à la lumière de la nouvelle intelligence du concept de dignité humaine (Kaufmann 2011) . Cette relecture doit ainsi intégrer l’évaluation du système politique et économique mis en œuvre durant le dernier siècle et celle des institutions administratives et politiques correspondantes. Sans respect de cette dignité, sans respect de la biodiversité tropicale et sans intériorisation des connaissances pertinentes en matière de gestion des ressources par les habitants de ces régions, les violations de la dignité humaine ne pourraient jamais être arrêtées. La relecture de l’industrie extractive en Afrique depuis le début du XIXe siècle se présente dès lors comme un préalable incontournable à la réduction progressive des violations de la dignité humaine en Afrique centrale et australe.

Un autre préalable majeur à souligner concerne la maîtrise du savoir relatif aux ressources naturelles et à leurs transformations utilitaires, à l’industrie extractive moderne et au processus de traitement industriel des matières premières. Le processus de déconstruction des mécanismes de déshumanisation actuelle requiert par conséquent la réduction progressive de l’asymétrie du savoir et de l’information entre les leaders des communautés politiques d’Afrique et leurs partenaires intéressés par les matières premières, entreprises extractives et puissances industrielles comprises (voir Kabemba 2012: 14-15; Talla 2010 :113).

Sur le plan socioéconomique, les trois dernières décennies ont été caractérisées en Afrique centrale et australe par une forte demande et l’approvisionnement en ressources naturelles stratégiques et /ou critiques. L’interaction entre les agents du pôle de la demande et ceux du pôle de l’offre et les stratégies commerciales et politiques mises en œuvre ont opéré un changement brutal dans les communautés politiques d’Afrique. De la littérature focalisée sur l’exploitation et le commerce de ces ressources et sur ce changement brutal, il résulte des concepts devant retenir l’attention des chercheurs intéressés par les réalités socioculturelles et économiques actuelles des pays d’Afrique centrale et australe. Ce sont, entre autres, les codes d’éthique, les codes miniers, la biodiversité tropicale, l’industrie extractive, les dégradations écologiques et environnementales, les conflits violents, la dépossession, la destruction du lien social, la terreur, la responsabilité sociale (et /ou sociétale) de l’entreprise, la réduction de la pauvreté, la bonne gouvernance, les populations locales ou autochtones et la malédiction des ressources.

Pour comprendre ce qui est arrivé aux habitants de ces deux régions africaines et leur situation actuelle, il importe d’examiner froidement ces concepts. Développer une réflexion pertinente sur la gestion des ressources naturelles d’Afrique suppose donc une certaine maîtrise de la problématique de ces concepts en vogue dans la littérature axée sur l’industrie extractive en Afrique et sur la tragédie africaine. En soulignant la nécessité de cet exercice intellectuel, cet article ne veut pas excéder quatre concepts jugés prioritaires: responsabilité sociale de l’entreprise, réduction de la pauvreté, populations locales et malédiction des ressources. Il est en fait lié au contexte de l’industrie extractive des ressources.

Essentiellement développée et soutenue par des chercheurs en sciences économiques, la théorie de cette malédiction introduit à l’intelligence de trois autres concepts, à la logique de la mondialisation, à des nouvelles stratégies de management dans le secteur de l’industrie extractive. En réalité, les réflexions portant sur la responsabilité sociétale de l’entreprise, sur la réduction de la pauvreté par l’industrie extractive et sur les communautés politiques locales se présentent comme un prolongement de l’évaluation de la malédiction des ressources. L’intelligence de ces quatre concepts mis en relief repose sur une même rationalité : le statu quo socioéconomique enraciné dans le colonialisme depuis XVIe siècle. Elle relève de la créativité intellectuelle de certains agents de la mondialisation du marché, laquelle créativité se montre hostile aux identités socioculturelles et aux particularités organisationnelles et économiques.

Toutefois, cette malédiction attribuée injustement aux choses soulève des questions articulées sur la représentation de trois idées : ressources naturelles, malédiction et malédiction des ressources. Présentant la discussion provoquée par cette malédiction, la deuxième section de cet article identifie des problèmes d’incohérence et d’abus de pouvoir intellectuel et politique. L’analyse de la malédiction des matières premières se poursuit dans la troisième section qui examine les trois autres concepts dans le contexte de l’industrie extractive : responsabilité sociale et/ou sociétale de l’entreprise (RSE), réduction de la pauvreté de populations locales. La première section dégage des concepts à bien contrôler. Ainsi, les réflexions de cet article doivent contribuer à l’analyse du titre de ‘malédiction des ressources’, à l’invalidation du qualificatif ‘maudit’ appliqué aux choses de la nature et à la mise en relief de la rationalité économique ayant motivé le recours à ce type de responsabilité : la RSE, à la question de la pauvreté des populations locales et à la malédiction.

2. Resource curse

2.1. Matières premières : une malédiction ?

Recherchées par les grandes puissances industrielles, les ressources naturelles stratégiques et critiques d’Afrique centrale et australe ont reçu un nouvel attribut: la malédiction. Des expressions comme « l’Or maudit », « le Coltan maudit », « le Cuivre maudit », « le Pétrole maudit » tendent à faire croire que ces ressources se caractérisent par une certaine malédiction intrinsèque (Braeckman 2015 ; DIDR/OFPRA 2015 ; UNESCO 2013). Ces expressions présupposent la théorie économique de la malédiction des ressources, qui est au cœur d’une vaste littérature sur l’industrie extractive et sur la gestion des pays de ces deux régions africaines. Avant de dégager la problématique entraînée par certains chercheurs en économie, il convient de faire quatre remarques. D’abord, si cet article ne s’arrête qu’à l’Afrique centrale et australe, cela ne veut pas dire que la théorie de la malédiction des ressources ne concerne pas d’autres régions du monde. Elle a été appliquée à tous les pays riches en ressources naturelles, mais incapables de les protéger et de les exploiter rationnellement au profit de leurs populations et au profit de l’humanité entière.

En abordant la question de la malédiction des ressources, tout chercheur avisé doit éviter une vision tronquée de la réalité. Un phénomène social comme la corruption, la richesse et la pauvreté ne peut jamais s’expliquer par un seul facteur, majeur soit-il. Il ne pourrait pas être enfermé dans une seule discipline. C’est pourquoi cette analyse met en relief l’importance de l’interdisciplinarité. Telle est la deuxième remarque.

L’industrie extractive dans les provinces orientales du Congo et l’expérience tragique des communautés politiques de ce pays d’Afrique centrale doivent éclairer les réflexions de cet article. Sans connaissance de l’expérience concrète des conflits provoqués par l’industrie extractive, sans connaissance de la résistance des communautés politiques menacées par des stratégies de dépossession et d’exclusion économique, l’on ne peut rien comprendre de quatre concepts sélectionnés. Dans leur étude de 2014 centrée sur le Congo, des experts français de la Division de l’Information, de la Documentation et des Recherches de l’OFPRA affirment : la richesse du Congo « [Or, Coltan, Cassitérite, etc.] est […] source de malheurs ». L’Etat congolais « souffre de la malédiction des matières premières » (Jacquemot 2009). Que veulent dire les auteurs de ces propositions ? Est-il logiquement tenable d’affirmer que l’Or est source de malheur, qu’il est maudit ? Comment d’autres chercheurs, en sciences de la nature, en anthropologie, en histoire, en philosophie et en théologie, pourraient-ils évaluer des pareilles propositions ?

La quatrième remarque concerne des réponses succinctes à la question « existe-t-il une malédiction des ressources naturelles » : les minéraux, les terres arables, les eaux douces, le bois et les hydrocarbures ? Sans répondre clairement à cette question qu’ils ont pourtant bien formulée en 2018, Rémi Bazillier et Victoire Girard (2018) appellent les dirigeants politiques du Burkina Faso à « repenser les politiques minières ». Cet appel ne s’adresse pas seulement au Burkina Faso et au Congo, mais également à d’autres pays africains, tels que le Gabon, le Cameroun, la Namibie, l’Angola, le Mozambique, la Zambie et la Tanzanie.

Depuis 2013, Matata Ponyo (2018, voir aussi Djanya 2018), ancien Premier Ministre du Congo, n’a cessé de répondre à cette question de manière lapidaire en se montrant opposé à cette théorie économique. D’après lui, « il n’existe pas de malédiction des ressources, il existe plutôt une malédiction de mauvaise gouvernance ». Par conséquent, « les ressources naturelles de la RDC ne constituent pas une malédiction ».

Matata a certes réaffirmé son opposition à cette attribution non justifiée de la malédiction aux matières premières, il n’arrive pas cependant à expliciter sa pensée en rapport avec l’industrie extractive d’Afrique centrale et en rapport avec l’abondante littérature produite sur ce thème. Au sujet des entreprises extractives, le journal Le Potentiel (2013), soutient néanmoins qu’il « n’a pas hésité de condamner le comportement de certaines multinationales qui alimentent les conflits dans les pays du sud pour tirer au maximum le bénéfice de cette contradiction, au travers de l’exploitation illégale des richesses naturelles qui s’y trouvent ».

Si Matata est réellement opposé à la théorie de la malédiction des ressources naturelles, il peut alors s’accorder avec Paul Boateng sur cette question précise. Suivant leurs déclarations, tous deux ne pourraient pas accepter des expressions, comme ‘l’Or maudit’, ‘le Cobalt maudit’ et ‘le Coltan maudit’. Dans son interview accordée à Stephen Williams en 2014, Boateng (2014 :20-21) affirme: “Non, je refuse de considérer les ressources de l’Afrique comme une malédiction […]. Ce qui rend éventuellement les richesses minérales maudites, c’est bien entendu ce que nous, êtres humains, en faisons. En elles-mêmes, ces richesses ne constituent pas de malédiction. Elles ont plutôt le potentiel de contribuer massivement à la richesse de tous les peuples du continent si elles sont utilisées judicieusement et de manière durable”.

Ayant remarqué l’existence de “quelque chose de fondamentalement gênant” dans l’affirmation de la malédiction des ressources naturelles, Yves Jegourel (2018), cite Joseph Stiglitz(2004), dans son analyse : « L’abondance de ressources naturelles peut et doit être une bénédiction et non une malédiction. Nous savons ce qu’il faut faire. Il ne manque plus que la volonté politique pour y parvenir ». Ces différentes interventions retenues, entre autres, posent clairement la problématique de la réception de la théorie de la malédiction des ressources naturelles. Concluant son étude concentrée sur le Coltan congolais et autres minéraux associés, Jeffrey Mantz (2018 : 544) évoque la ‘resource curse’ et ses théoriciens. Sur base de résultats de ses recherches au Kivu et s’appuyant sur une riche littérature, il soutient: “Dans le cas du Congo, nous savons que la plupart des causes de son histoire troublée de violence et d’expropriation peuvent être imputées aux agents externes […]”.

En refusant de culpabiliser les éléments de la nature, ces réflexions dégagent ce qui étouffe les pays en voie de développement riches en ressources naturelles : le système de gestion de ces ressources, le système commercial dominant et les agents influents dans l’exploitation, le traitement et le commerce des matières premières.

2.2. De la malédiction des ressources naturelles : lecture critique

Pouvant entraîner des erreurs graves d’analyse et de compréhension des réalités économiques, le concept de « la malédiction des ressources » ne doit plus être négligé par les gestionnaires des ressources naturelles d’Afrique centrale et australe : il doit être minutieusement examiné afin d’éviter ses pièges. Opposés à la théorie de la malédiction des ressources naturelles développée depuis les années 1990, des chercheurs (Gilberthorpe et Rajak, 2017; Akacem et Cachanosky, 2017 ; Wengraf, 2017 ; Wright et Czelusta, 2004) refusent de culpabiliser arbitrairement ces ressources, de leur accorder un pouvoir qu’elles n’ont pas, de soigner le mutisme sur les vrais agents responsables de la paupérisation, des dégradations écologiques, de l’injustice et de l’insécurité dans certains pays dotés d’abondantes ressources, comme le Mozambique et le Congo. L’idée de la malédiction et les résultats de la réflexion critique sur la « resource curse » justifient la pertinence de l’analyse de cette section. Cette analyse doit contribuer à l’évaluation des réformes économiques mises en ouvre en Afrique depuis les années 1990.

Pour Mohammed Akacem et Nicolάs Cachanosky (2017: 5,14), il n’est pas question de blâmer inutilement les ressources, plutôt les « mauvaises institutions politiques et économiques ». Concluant leur réflexion, ils soutiennent: “Notre étude soutient l'idée selon laquelle le problème des pays en développement n'est pas la présence d'une ressource rentable, mais celle d'un mauvais cadre institutionnel”. Dans deux études différentes, Lee Wengraf et Gavin Wright et Jesse Czelusta ne souscrivent pas également à la fameuse théorie de «la malédiction des ressources », ils la rejettent. C’est ainsi que ces deux derniers auteurs (2004:36) affirment: “Les minéraux (eux-mêmes) ne sont pas responsables des problèmes de recherche de rente et de corruption. Plutôt, c'est principalement la manière dont les décideurs politiques et les entreprises considèrent les minéraux qui détermine le résultat ou les conséquences. […] Les minéraux ne sont pas du tout une malédiction dans le sens de l’inévitabilité ; la malédiction, là où elle existe, est auto-réalisatrice”.

Dans l’article Africa: The myth of the “resource curse”, Lee Wengraf écrit:

L'idée fondamentale sous-jacente du cadre de la «malédiction des ressources» est l'hypothèse selon laquelle les ressources naturelles, en particulier le pétrole, ont des propriétés intrinsèques susceptibles d'avoir un impact sur le développement économique et social. Une analyse systémique des causes profondes de l'inégalité économique et du sous-développement en Afrique et ailleurs dans le prétendu tiers monde est absolument absente de ces approches: l'impact historique du colonialisme, de l'impérialisme et de la politique néolibérale. En fait, l'approche de la malédiction des ressources est corrodée par une méthode déshistoricisée et par ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise, c'est-à-dire assigner des attributs indépendants et uniques au pétrole et à d'autres ressources naturelles comme des entités non médiatisées émergeant du sol (Wengraf 2017).

Dans sa réflexion, la fuite des capitaux, dans le cadre du 8e Forum pour le développement de l’Afrique en 2012, Hailemariam Desalegn (2013 :56, voir Morgan 2013 :56) , Premier Ministre éthiopien, soutient au sujet de la malédiction des ressources : “Nous devons inverser irrévocablement l’idée selon laquelle les ressources constituent une malédiction” (in Morgan 2013 :56). Certes, cette déclaration lapidaire ne permet pas de saisir la pensée de l’auteur, elle indique néanmoins que celui-ci semble comprendre la problématique de l’industrie extractive en Afrique. Par contre, on ne saurait pas affirmer qu’il accepte ou rejette la théorie de la « resource curse ». De son côté, Géraud Magrin (2015 :105-106) remarque une corrélation entre les thèses de la malédiction des ressources naturelles et l’afro-pessimisme qu’elles ne cessent de nourrir. Pour les pays comme l’Angola, la Namibie, la Zambie et le Congo, il est dès lors nécessaire de contrôler intelligemment la théorie de la malédiction des ressources naturelles, d’évaluer les politiques de gestion et d’exploitation de leurs ressources à la lumière de résultats de la recherche et sous l’éclairage de la nouvelle conception de la dignité humaine (Kaufmann et al: 2011).

On semble ainsi abonder dans le sens de Mohammed Akacem et Nicolάs Cachanosky (2017) d’une part, et celui d’Emma Gilberthorpe et Dinah Rajak(2017), d’autre part. Concluant leur analyse critique focalisée sur la malediction des resources, dans une perspective anthropologique, ces deux derniers chercheurs soutiennent:

[…] un élément fondamental dans l'anthropologie de l'extraction des ressources […] a été l'accent mis sur l'agence, de ramener l'agence dans l'image au niveau micro et macro, et de contrer un portrait sans agent de la ressource mondiale reproduit autant par ses critiques que par l’approche technocratique traditionnelle de l’extraction des ressources. […] La focalisation critique sur la spécificité sociale et historique conteste la théorie abstraite de la malédiction des ressources et la vision téléologique de la modernisation et du développement qui la sous-tend, exigeant des outils d'analyse conceptuels de meilleure qualité, plus raffinés, à la fois plus nuancés et plus progressistes dans leur capacité à intégrer les modes vie et les épistémologies des personnes affectées par l'industrie extractive (Gilberthorpe & Rajak 2017: 200-201).

Derrière la théorie des “ressources maudites”, il se dégage une tentative subtile de dissoudre discrètement la culpabilité des agents rationnels – individuels et organisationnels – engagés dans la gestion, l’exploitation, le financement et la transformation des ressources naturelles des pays en voie de développement. De cette façon, l’abondance en matières premières dans ces pays apparaît comme un mal qu’il faut déraciner par des experts de puissantes organisations industrielles et financières, comme un facteur majeur pour expliquer les tragédies vécues dans des pays comme le Congo, l’Angola, le Soudan du sud et le Mozambique : le coupable de premier rang en Afrique centrale et australe, ne sont-ce pas les hydrocarbures, le Diamant, le bois et les minéraux stratégiques et critiques?

D’ailleurs, ce sont les habitants de ces pays qui ont été implicitement culpabilisés par cette théorie abstraite, ils sont ainsi devenus victimes et coupables des activités de l’industrie extractive qu’ils ne contrôlent pas et qu’ils n’ont ni conçue ni choisie. En d’autres termes, frappant de manière fictive les matières premières, cette imprécation des ressources inclut aussi les hommes, ressources humaines en économie, siège de la créativité et de l’inventivité industrielle, spirituelle et artistique. Par conséquent, là où les matières premières ont arbitrairement reçu le qualificatif de malédiction, les habitants font l’expérience tragique de la déshumanisation et les pays apparaissent comme des territoires maudits. Avant d’aborder les trois autres concepts, il convient de s’arrêter sur la représentation générale du mot malédiction. 

2.3. De la malédiction

Au Congo, les ressources maudites comprennent les minéraux de Coltan, le Cobalt, le Cuivre, le Diamant, l’Or, le Pétrole, etc. Après avoir présenté brièvement la critique de la théorie de la « resource curse », il importe de s’arrêter sur l’idée de la malédiction appliquée aux ressources naturelles, surtout celles qui sont stratégiques et critiques comme le Tantale, les éléments des terres rares et le Niobium. Relevant généralement de traditions religieuses, le concept de malédiction nécessite une clarification du fait qu’il suscite plusieurs questions. Est-il possible de dégager l’agent, la raison et le contexte de ce type de malédiction ? S’il n’y a ni agent ni raison de cette malédiction en vogue dans des analyses économiques, pourquoi doit-on l’attribuer à des ressources matérielles, utiles pour l’humanité ? Est-il raisonnable et juste de transférer la culpabilité des agents humains aux ressources naturelles recherchées pour garantir la compétitivité commerciale et la sécurité de certaines nations ?

Qui plus est, comment expliquer les guerres commerciales des grandes puissances industrielles dans et autour de ces pays pauvres, pourtant dotés de richesses naturelles ? Pourquoi les investisseurs, hommes rationnels et ‘responsables’, mettent-ils leur argent dans des industries concentrées sur les ressources dites maudites, opérant dans des contextes violents et caractérisés souvent par la corruption et par une chimère d’Etat ? La malédiction est-elle devenue économiquement rentable ? Qu’est-ce qui justifie la partialité de l’affectation de la malédiction aux matières premières de la nature ? Par ailleurs, parce que les produits finis des industries électroniques et métallurgiques ne sont pas maudits, à quel niveau du processus industriel de traitement, de raffinage et d’application s’opère en fait l’expiation ou la purification des matières premières stratégiques et critiques frappées par la malédiction ? Existe-t-il des récits ou des mythes religieux justifiant la malédiction des ressources naturelles ou des choses créées par Dieu ? En fait, qu’est-ce que la malédiction ?

Les défenseurs de la théorie de la « resource curse » pourraient avoir des réponses à ces questions. Sans vouloir y répondre, cette étude préfère présenter la signification du concept de malédiction, se limiter ainsi à la dernière question : qu’est-ce que la malédiction ? En réalité, la malédiction implique au moins un agent, un objet précis subissant l’action de cet agent et les motivations et finalité de ce dernier. Opposée à la bénédiction, la malédiction s’explique par l’anathème, l’imprécation, la réprobation et l’exécration, elle suppose un crime commis ou un sentiment de répulsion, de haine. Le dictionnaire Larousse considère ainsi la malédiction comme une « condamnation au malheur qui semble venir d’une puissance supérieure ». Puis ajoute-t-il : « sort hostile, malheur, malchance auxquels on semble voué par la destinée ». Tout en soulignant la relation de synonymie entre malédiction et anathème / réprobation, Larousse dégage la signification du verbe maudire : « vouer quelqu’un à la damnation éternelle », « appeler sur quelqu’un, sur quelque chose la malédiction, le malheur, la colère divine », « vouer quelqu’un, quelque chose à l’exécration ». Le Centre National de Recherches Textuelles et Lexicales s’accorde avec Larousse sur la description de ce verbe. Pour ce Centre, maudire, c’est aussi « reprouver en proférant des paroles de malédiction ».

Ces explications démontrent clairement que le concept de malédiction relève essentiellement de traditions religieuses : d’où la difficulté de l’utiliser adéquatement dans des analyses économiques. Elles sont plus particulièrement redevables à la tradition religieuse judéo-chrétienne . Pour J. H. Fisher (2018), “En théologie morale, maudire, c'est appeler le mal sur Dieu ou sur des créatures, rationnelles ou irrationnelles, vivantes ou mortes. Saint Thomas le traite sous le nom de maledictio et dit que l'imprécation peut être faite soit efficacement et par voie de commandement, comme quand elle est faite par Dieu, soit inefficacement et comme simple expression du désir”.

Ces quelques paragraphes ne suffisent certes pas pour présenter la problématique de la “resource curse”, suivant différents angles d’approches (Gilberthorpe & Rajak, 2017 :187), ils dévoilent toutefois une idée partagée : les ressources naturelles, tels que le Neobium, le Tantale, le Cuivre et l’Or, ne constituent aucune malédiction. Ce sont des simples éléments de la nature. Les crimes massifs commis dans les provinces orientales du Congo et la promotion-protection des seigneurs de guerres ne résultent pas d’un acte de malédiction. On ne pourrait jamais attribuer ces actes odieux aux matières premières ni aux populations des territoires considérés comme maudits. Les ressources stratégiques et critiques d’Afrique ne sont pas à l’origine des tragédies d’Afrique centrale et australe. Sans l’intervention des agents rationnels humains, organisés, les crimes déplorés en Afrique n’auraient pas existé. En culpabilisant l’objet du crime – les ressources naturelles – et ses victimes, les défenseurs de la malédiction des ressources se montrent ainsi partie prenante dans l’œuvre de déshumanisation, de dépossession et de destruction vécues en Afrique centrale et australe.

3. Responsabilité sociétale, populations autochtones et réduction de la pauvreté

Les textes disponibles sur la malédiction des ressources et sur l’industrie extractive, spécialement en Afrique centrale et australe, intègrent trois autres concepts sélectionnés : RSE, populations autochtones ou locales et réduction de la pauvreté. En examinant le comportement des entreprises extractives en Afrique, certains analystes de la malédiction des ressources abordent ces trois concepts dans une série d’autres: développement économique, déshumanisation, dépossession, délocalisation, exclusion, violations des droits humains, paupérisation, droits des indigènes, conflits d’intérêts, codes miniers et destruction de la nature. Les anciens mythes de « terres vacantes » et de « terra nullius » sont de nouveau affirmés de manière subtile .

Au sujet de la paupérisation et de la dépossession, Carleton affirme:

Les systèmes de pillage légitimés laissent les gens dépossédés, aliénés et dépourvus d'attachement culturel. Les pays riches en ressources minières sont lourdement endettés alors que leurs populations sont exploitées et leurs richesses naturelles quittent leurs pays à la faveur de systèmes d'hégémonie mondialisés. Le pillage et la dépossession de la terre et de l'identité qui s'ensuit constituent un facteur important pour motiver la résistance violente, la sécession et l'autodétermination. La mise en place d'un mécanisme de contestation constructive permettrait de trouver une solution pacifique pour défier la position de négociation dominante de l'hégémonie d'extraction mondiale et locale. Reconnaître et légitimer des ontologies alternatives multiples, qui se chevauchent, c’est la première étape d'un système de contestation plus constructif. Des revendications autochtones légitimes pourraient constituer le fondement permettant de déterminer qui détient des droits de contestation territoriaux logiques (Carleton 2014 :73).

Emma Gilberthorpe et Dinah Rajak (2017 : 196) ont mis en relief les agents de ces systèmes de paupérisation et de destruction dans certains pays riches en matières premières. Ils ont montré la corrélation entre cette 'dépossession totale’ décrite par Alexandra Carleton et le concept de « terra nullius ». Ainsi écrivent-ils :

Symbole et moteur du développement économique fondé sur la téléologie classique de la modernisation et du progrès, l’industrie extractive hérite donc et utilise le concept de terra nullius, selon lequel la valeur de la terre est identifiée en fonction de sa capacité de production, tandis que l’intendance précoloniale, autochtone ou alternative de la terre est ignorée […]. Ici, la puissante téléologie du progrès et de l'intégration mondiale est présentée comme l'antithèse de la malédiction des ressources afin de valider ou authentifier moralement le projet de développement par l’expansion industrielle.

En appliquant avec habileté la rationalité économique justifiée par les concepts de « terra nullius » et terres vacantes, la nouvelle politique de l’industrie extractive au Congo oriental a participé à la commission de l’irréparable : la tragédie congolaise. Les actes de dépossession, d’exclusion et de destruction dévaluent et démasquent le discours portant sur la réduction de la pauvreté par l’intensification de l’industrie extractive, sur la RSE, sur la transparence et sur la résolution des conflits violents. Qualifié d’Etat fantôme, le Congo et ses partenaires économiques, entreprises extractives comprises, ont donc refusé de reconnaître les communautés politiques congolaises comme des entités sociales légitimement instituées et de respecter les droits de propriété de leurs membres (Muhigirwa 2011 :111 ; Rusengo, et al. 2018). Il y a ici une conception déshumanisante des populations locales : leur dignité humaine n’étant ni reconnue ni respectée. En fait, la conception de ces populations peut être rendue par les mots aborigènes, autochtones, natifs ou non étrangers au territoire habité. Cette explication des habitants d’un espace géographique donnée suppose la présence d’autres personnes : les immigrés et les étrangers, elle évoque l’interaction entre les anciens et les nouveaux.

En réalité, le développement de l’industrie extractive dans le Congo oriental a entraîné la paupérisation systématique des Congolais y habitant. Déjà en 2006, 11 ans avant les sorties médiatiques du Président du Conseil d’Administration (PCA) de la Gécamines et Président de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC): Albert Yuma (voir 2018), dénonçant le comportement de certaines entreprises extractives au Congo, Scott Pegg avait déjà tiré la sonnette d’alarme. C’est ainsi qu’il soutenait:

[…] Les données empiriques récentes démontrent que l'exploitation minière est plus susceptible d'entraîner l’exacerbation de la pauvreté que de réduire celle-ci. […] bien qu’il puisse y avoir de bonnes raisons théoriques de croire que l'exploitation minière peut contribuer à la réduction de la pauvreté, son bilan empirique à ce jour est sombre. L’approche actuelle du Groupe de la Banque mondiale en matière d’exploitation minière et de réduction de la pauvreté ne donne pas de résultats positifs et devrait être abandonnée (Pegg 2006: 376, 385).

Le Kivu, le Katanga, le Haut-Uele, l’Ituri et le Tanganyika sont des cas d’illustration éloquents. Avec la nouvelle ‘ancienne’ industrie extractive, la précarité socioéconomique et des injustices flagrantes ont été exacerbées, créant de cette façon un terrain favorable à la terreur et à la méfiance. Dans son analyse concernant la ‘malédiction du Cobalt’, Natasha Turak (2017) aborde légèrement cette paupérisation des Congolais : “[…] depuis des siècles le Congo (RDC) a produit certains des minéraux les plus riches du monde, tandis que sa population reste parmi les plus pauvres du monde. Son taux de pauvreté est d'environ 64% et le pays se classe à la 176e place sur les 187 pays considérés dans le plus récent indice de développement humain des Nations Unies” (voir UNDP 2018). Les facteurs et stratégies d’appauvrissement, d’émasculation socio-économique des communautés politiques d’Afrique centrale et australe devraient être examinés par des institutions de recherche locales et régionales.

L’évaluation d’octobre 2011 du Programme des Nations Unies pour l’Environnement abonde dans le même sens en démontrant l’échec de l’industrie extractive au Congo et la dépossession du peuple congolais:

Aujourd’hui, plus de la moitié de la RDC est couverte par des concessions d’exploitation minière, forestière ou pétrolière, dont certaines empiètent sur des sites du Patrimoine Mondial. Ces concessions, pourtant, n’ont pas mené à une augmentation importante de bénéfices pour la population (PNUE 2018).

Les auteurs de cette évaluation tendent à s’accorder avec Scott Pegg en recommandant de revoir intégralement les politiques d’exploitation adoptées : « repenser de fond en comble le paradigme actuel d’exploitation des ressources naturelles en RDC, afin d’obtenir plus de valeur de la nature pour aider à financer la reconstruction ».

Le système économique ayant épousé la théorie de la malédiction des ressources repose sur la logique coloniale des ressources stratégiques et critiques. Il ne laisse aucun espace libre au développement socioéconomique des pays exploités, à l’épanouissement culturel et politique de leurs populations. La remarque de Scott Pegg, entre autres, semble suivre la conclusion de l’étude de Raymond Dumett de 1985 sur le Congo et la Zambie :

Le résultat de la production de guerre du Congo belge et de la Rhodésie du Nord devait perpétuer la croissance sans développement. […] Ainsi, le lien entre les zones agricoles et les zones d'extraction minière au Congo était artificiel et le développement intégré était peu développé. En Rhodésie du Nord, il subsistait un contraste extrême entre la ceinture de cuivre et le reste du pays en raison de différences fondamentales dans la dotation en ressources et de la faiblesse des liens en amont et en aval de l'industrie minière (Dumett 1985 : 396-397).

Les auteurs des instruments de réforme de l’industrie extractive en Afrique et les défenseurs de la « resource curse » manifestent une vision déshumanisante identique, enracinée dans l’expérience coloniale de l’ère colombienne: la conquête des Amériques. Au Congo, les populations des provinces orientales nommées ont été considérées soit comme des obstacles à l’expansion commerciale, soit comme de la main d’œuvre à bon marché, incapable de défendre ses droits et devoirs. A de degrés divers, ces stratégies de déshumanisation ont été observées dans la plupart des pays d’Afrique centrale et australe. Les actes et pratiques de dépossession, d’exclusion socioéconomique et de dégradations écologiques se rapportent à la déshumanisation.

Une bonne gestion des ressources naturelles d’Afrique centrale et australe exige par conséquent un examen critique de ce que les Etats africains et l’industrie extractive entendent par populations locales et par la réduction de la pauvreté comme œuvre de grandes entreprises extractives privées. Elle appelle en plus une relecture critique des textes confectionnés, adoptés et mis en œuvre depuis 2000 en vue de promouvoir l’exploitation et le commerce des ressources naturelles d’Afrique centrale et australe.

Responsabilité sociétale de l’entreprise et réduction de la pauvreté (par l’industrie extractive privée). Apparemment attractifs, ces deux concepts ont été redéfinis et intégrés dans l’industrie extractive de deux dernières décennies comme des stratégies politiques ayant pour objectifs précis, notamment, répondre à la critique des défenseurs des droits humains et à celle des chercheurs en éthique des affaires, assurer un marketing commercial et politique acceptable : mater les communautés locales et l’opinion publique et consolider le statu quo économique et industriel : sécuriser la logique de l’industrie extractive, telle qu’elle a fonctionné depuis le XVI e siècle. (Gamu & Dauvergne, 2018 : 970)

Bien plus, des études réalisées dans d’autres régions du monde, Afrique de l’ouest et Amérique latine notamment, montrent que les grandes entreprises extractives privées ne sont pas encore parties prenantes dans le développement socioéconomique des pays en développement riches en ressources naturelles. La mise en œuvre de la RSE ne peut pas changer la rationalité économique au cœur de l’entreprise extractive privée (voir Gond & Igalens 2012 :5). Les politiques de la réduction de la pauvreté et de la RSE ont été dès lors contredites par l’expérience tragique des populations de ces différents pays : dégradations environnementales et écologiques, dépossession, exclusion socioéconomique, déplacement forcé des populations et oubli des besoins légitimes et prioritaires des Etats et de leurs populations.

En dehors de l’industrie extractive du continent africain, les lacunes réelles de la RSE ont été démontrées par d’autres chercheurs. Reconnaissant l’importance de “la durabilité écologique”, du “respect pour les générations futures” et du “caractère social” de l’entreprise, Eleanor O’Higgins et Laszlo Zsolnai (2017 :1, 8-9) consolident la critique de la responsabilité sociétale dans l’entreprise. Suivant les résultats de leurs recherches, ils soutiennent :

La RSE n'a pas réussi à produire les résultats escomptés en matière d'amélioration de la performance éthique des entreprises. Les entreprises ont été réticentes à faire de réels progrès éthiques et le «business case» de la RSE est resté faible. De plus, les parties prenantes ont été incapables de faire pression sur les entreprises pour qu'elles deviennent socialement responsables et écologiquement durables. Le modèle commercial dominant a rendu les principales entreprises largement résistantes aux efforts de la RSE […]. En fait, on peut affirmer que la RSE appliquée actuellement a en réalité détourné du comportement véritablement responsable”.

Tout en appelant les dirigeants politiques du Burkina Faso à « repenser les politiques minières », Rémi Bazillier et Victoire Girard (2018) soulignent: Nos résultats appellent donc à une meilleure prise en compte de l’importance des mines artisanales pour les populations locales dans les politiques minières ». « Se pose enfin la question des investissements locaux réalisés par les mines industrielles. Malgré une politique de responsabilité sociale affichée par la plupart des investisseurs, celles-ci ne semble pas avoir d’effet systématique sur le niveau de vie des populations locales [sic].

Focalisée sur la mise en œuvre des politiques de la RSE par des entreprises extractives privées, notamment Barrick Gold, BHP et Glencore, dans certaines communautés de la République du Péru, l’étude de Jonathan Kishen Gamu et Peter Dauvergne peut éclairer les chercheurs d’Afrique centrale et australe. Comme résultat de leur recherche en ce pays d’Amérique latine, ces deux auteurs (2018 :960 ; 971) soutiennent :

La RSE n'est pas seulement une stratégie réglementaire visant à combler les lacunes de gouvernance au sein des entreprises internationales, mais également une intervention stratégique de la coalition au pouvoir visant à légitimer un modèle d'extraction néolibéral. Ainsi, la RSE représente un compromis destiné à réaliser les intérêts privés et à perpétuer les relations de pouvoir et de production et, dans notre cas, à préserver un modèle déréglementé d’utilisation des ressources non renouvelables, qui a fait l’objet des critiques croissantes sur le plan socio-environnemental. Elle a ainsi atteint un statut hégémonique précisément parce que les multinationales concèdent à des réformes marginales plutôt que de s'attaquer aux causes profondes d'exploitation et de dégradation (Gamu et Dauvergne 2018 :960,971).

[…] nos cas suggèrent qu’à long terme même une programmation très forte de la RSE est peu susceptible d’empêcher les conflits entre communautés et entreprises ainsi que des troubles sociaux. Comme notre analyse l'a montré, la logique sous-jacente de la RSE ne consiste pas à éviter les conflits et la violence en soi. Sa fonction stratégique consiste plutôt à faciliter l'extraction en créant une sécurité minimale acceptable pour le fonctionnement des entreprises. La RSE est donc conçue pour remplir une fonction d’efficacité pour les multinationales, car l’exploitation minière génère invariablement de la discorde. Une plus grande démocratisation de la gouvernance des ressources et des efforts visant à renforcer les fonctions administratives et réglementaires de l’État dans le secteur minier devraient permettre d’atténuer davantage les conflits (Gamu et Dauvergne 2018 : 971).

Suivant cette analyse et en rapport avec les communautés politiques locales, les politiques de l’industrie extractive au Péru ressemblent à celles appliquées en Afrique centrale et australe, spécialement dans les provinces orientales du Congo, en Angola, au Mozambique et en Tanzanie. Comme la corruption des dirigeants politiques et de certains leaders locaux est intimement liée à la corruption des entreprises extractives en Afrique, il importe par conséquent d’examiner les conséquences des réformes économiques mises en œuvre depuis la fin des années 1990, dépossession des populations de leurs ressources vitales, conflits violents dans le secteur de l’industrie extractive, dégradations écologiques et humiliation des peuples.

On peut dès lors établir une relation entre trois termes : populations locales, pays en développement et ressources maudites. Aux victimes de l’attitude et des pratiques déshumanisantes d’une partie de l’humanité correspondent des territoires maudits et des ressources naturelles maudites. Dans le secteur de l’industrie extractive, la déshumanisation implique ainsi la malédiction des habitants de ces territoires.

Conclusion

Les politiques de gestion des ressources naturelles d’Afrique et celles de leur extraction et de leur commerce reposent sur des idées justifiant des actes de dépossession, d’exclusion socioéconomique et de déshumanisation. L’analyse de ces idées doit dégager la rationalité économique incarnée dans des projets de réforme politique et économique mis en œuvre dans certains pays africains depuis quelques décennies.

Les réflexions de cette étude doivent enfin être considérées comme une invitation à examiner froidement les concepts mis en évidence et les textes organisant et règlementant l’industrie extractive en Afrique. Peuvent résulter de cet examen des nouvelles idées favorables à une gestion responsable des ressources naturelles d’Afrique centrale et australe. Il est donc temps de repenser intégralement les politiques de gestion, d’extraction, de commerce et d’utilisation de ces ressources africaines. Les habitants de ces deux régions africaines et les chercheurs intéressés par leurs situations actuelles devraient en fait reconnaître la pertinence des préalables définis dans l’introduction au sujet de la gestion des ressources : relecture de l’industrie extractive en Afrique et maîtrise du savoir focalisé sur les ressources africaines et sur le processus de leur transformation utilitaire.

Les communautés politiques d’Afrique centrale et australe devraient, par conséquent, investir davantage dans les institutions locales d’éducation, de recherche scientifique, de sécurité des personnes et de leurs biens et de dialogue intercommunautaire. Elles devraient ensuite s’engager à bien défendre leurs valeurs socioculturelles et économiques ainsi que leurs ressources vitales, d’une part, et à bien maîtriser la gestion, l’exploitation, la transformation et le commerce de leurs matières premières, d’autre part.

Bien plus, sur les violations de la dignité humaine et de l’intégrité morale, la problématique de cette étude doit interpeller les investisseurs de l’industrie extractive et les dirigeants africains. Eu égard aux actes et pratiques de déshumanisation et aux dégradations écologiques en ces deux régions africaines considérées, ils devraient intervenir en affirmant sincèrement les valeurs humaines et écologiques pertinentes. N’est-il pas temps de renoncer aux cultures caractérisées par le mutisme, l’opacité, le déni, l’indifférence et la destruction de la biodiversité? Vis-à-vis de leurs peuples respectifs, des générations futures et de la biodiversité tropicale, les dirigeants africains sont dès lors conviés à se montrer plus responsables, plus engagés dans la lutte contre les violations de la dignité humaine.

Par ailleurs, la lecture minutieuse de cette étude et des textes qui l’ont nourrie ainsi que l’analyse de la tragédie des Provinces orientales du Congo démontrent le non-respect évident des instruments adoptés depuis les années 1970 en vue de réduire les abus de pouvoirs économique et politique. Sur la liste de ces instruments figurent notamment le Pacte mondial des Nations unies (2004), les Principes directeurs de l’OCDE(2000), les différentes Conventions anti-corruption et La loi américaine sur les pratiques de corruption à l’étranger (1977). A la suite de ces différents textes évoqués, les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (2011), risquent de demeurer lettre morte. En Afrique centrale et australe spécialement, il existe un grand fossé entre l’abondante littérature sur ces instruments et le comportement des entreprises multinationales ou transnationales. Toutefois, celui qui veut connaître le comportement des agents influents dans l’industrie extractive en Afrique ne peut pas négliger cette littérature.

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