VERS UNE ÉTHIQUE BIOMÉDICALE AFRICAINE

Abstract: 

Bioethics is the systematic study of life sciences and health care. It employs several moral theories and methodologies in an interdisciplinary approach (Reich, 1995). The morality of issues generated especially by advancements in the biomedical field is its primary focus.  Also, it is a relatively new discipline, making its advent in the Western developed nations.  There is a very strong consensus that these problems arising need to be addressed because of the impact they have on the human person, who is also a moral agent as well as the subject of all moral actions. The circumstances surrounding the birth of this discipline could easily be construed as a ground for drawing one of several conclusions. One is that bioethics could be taken as a discipline addressing only a western phenomenon. Another is that bioethics could only be done from the purview of a western mindset.  This, of course, implies yet another conclusion, namely that there could hardly be a claim to an African bioethics. While this paper acknowledges the Western roots of the bioethics discipline, it argues that the issues it responds to are not peculiarly Western, but human issues.  As such, it emphasizes how not to use a Western paradigm in the search for an African bioethics, but realize the different realities, cultures and peoples who have very different and even somewhat opposed values. As the Western’s response to moral issues arising from technological advancements accounts for the birth of bioethics, I argue that the unique way of responding to moral issues and problems arising from the medical field within the African cultural milieu should also be taken as basis for an African biomedical ethics.  I employ a deductive method whereby I draw certain conclusions from the African philosophy of life, culture and traditional religion in supporting the claim that there is indeed an African biomedical ethics.

  1. Le contexte de la question

 

Pour les intellectuels africains, particulièrement ceux qui sont dans le domaine des  sciences humaines, la question qui se pose depuis plusieurs années est de savoir s’il y a  une philosophie africaine. De plus, l'autre aspect de la question était celui-ci : si une telle philosophie existe, en quoi consiste-t-elle? Selon Bodunrin, il n'y a pas d'hésitation parmi les Africains quant à l’affirmation de l'existence de la philosophie africaine. Toutefois, selon Wright (1984:1), le débat est au niveau de l’analyse du contenu de cette philosophie.

 

Dans la même perspective, en écrivant cet article je suis à la recherche de la  quête d'une éthique biomédicale africaine. Donc la question sous-adjacente est celle-ci : Y-a-t-il une éthique biomédicale africaine ? S’il y en a une, en quoi consiste-t-elle?

 

L'éthique biomédicale, brièvement décrite, est l'étude systématique des sciences de la vie et de soins de santé. Elle emploie plusieurs théories morales et des méthodologies dans un cadre interdisciplinaire (Reich 1995). Son attention porte principalement sur la moralité des questions engendrées surtout par les progrès technologiques dans le domaine biomédical. Aussi, est-elle une discipline relativement nouvelle dans les pays développés de l’Occident, et elle est venue pour gagner l'attention dont elle jouit actuellement grâce aux problèmes qui se posent dans le domaine de la recherche biomédicale. Il y a un fort consensus que ces problèmes doivent être abordés en raison de l'impact qu'ils ont sur la personne humaine, qui est aussi un agent moral ainsi que l'objet de toutes les actions morales. À ce stade, cependant, je tiens à préciser que, par souci de clarté et de précision, je me limiterai à l’espace géographique de l’Afrique subsaharienne.

 

Maintenant, si l'on considère le fait que cette nouvelle discipline a vu le jour dans les nations occidentales développées en raison des problèmes posés à la personne humaine et son bien-être, peut-on logiquement affirmer qu’il n’existe pas une éthique médicale en Afrique ? Les Africains sont-ils dépourvus de manières spécifiques de répondre aux problèmes liés à leur santé ? En fait, les conditions de possibilité d’une bioéthique africaine posent problème lorsque celle-ci veut être construite à la lumière du seul paradigme occidental. Toutefois, je crois que ce n'est pas une justification pour dire qu’une telle éthique n'existe pas. Nous devons savoir que nous avons affaire à des réalités différentes, à des cultures différentes, et des différents peuples qui ont des valeurs très différentes et même un peu opposées.

 

Si nous prenons une famille américaine, par exemple, dont le fils ou la fille est malade en phase terminale dans une unité de soins intensifs, il serait très normal de rencontrer des termes tels que «un consentement éclairé », « la puissance de l'avocat », « le respect de l'autonomie », « la bienfaisance », et une foule d'autres termes juridiques et éthiques dans les processus permettant de s'assurer que le patient reçoit les meilleurs soins étant donné le pronostic.

Le film First do not harm peut nous aider à cet égard. Dans ce film, une mère fait face à un médecin qui ne travaille pas pour le meilleur intérêt de son enfant, mais plutôt pour son propre intérêt professionnel.

 Si nous prenons, par contre, l’exemple d’une une famille Nigériane (Yoruba) dont le fils ou la fille est malade en phase terminale à l'hôpital, il ne serait pas tout simplement considéré comme étrange, mais aussi hors de propos de commencer à parler en termes de consentement éclairé».Ce qui compte pour cette famille, c’est avant tout l’amélioration de l’état de santé de l’enfant. Dans ce cas, ce qu’elle attend du médecin, c’est de tout faire pour sauver la vie de l’enfant malade.

 

Les pays développés de l’Occident, contrairement à l'Afrique, ont un système moral clairement défini pour faire face aux problèmes médicaux. Pour les pays africains, tel n'est pas le cas, au moins pour l'instant. Néanmoins, cela ne signifie pas que les sociétés africaines n'ont pas du tout de systèmes pour aborder des questions morales et les problèmes qui se posent dans le domaine médical. En effet, leurs philosophies de la vie fournissent certains principes de base qui guident les comportements humains quotidiens etservent de fondement au débat qui porte sur les questions et problèmes relatifs aux aspects de la vie quotidienne de l’être africain. Faut-il donc faire savoir pour répondre à la première partie de la question posée ci-dessous qu’il existe bel et bien une éthique africaine biomédicale.

 

Il serait suicidaire et impensable d'imaginer un peuple sans un système de pensée éthique  grâce auquel il peut faire face aux questions combien pertinentes qui se posent au sujet de la vie et de la santé. Il s’agit d’une éthique déductible de la vie des gens en général. Il ne constitue pas un système moral « prêt à porter » comme c’est le cas avec les nations occidentales. C’est plutôt un système moral qui dérive des principes généraux de base en fonction des circonstances.

 

Pour cette raison, j’adopterai une approche déductive pour tirer quelques conclusions à partir d'une considération générale de différents aspects de la vie d’une société. Une telle approche nous  permettra de se rendre compte que l’éthique  biomédicale africaine est déduite de la vie des gens.

 

 

Aussi devrai-je le démontrer à travers une réflexion faite à partir d’une discussion menée avec la philosophie, la culture et la religion africaines. Du point de vue philosophique, je ferai  voir comment le concept de la personne influence et façonne l’éthique biomédicale africaine.  Ce qui  m’amènera à parler de la culture africaine et du caractère axiologique qui en constitue le sous-bassement. Dans cette analyse, la religion traditionnelle africaine  occupera une place centrale.

 

Le but de cela est de montrer comment, pour l'Africain, Dieu est au centre de l'univers entier, et comment la vie, un aspect central de la bioéthique, doit d'être traitée comme un bien appartenant l’Être Surnaturel, à savoir Dieu. Cette croyance religieuse, sans doute, a son impact sur une éthique biomédicale africaine. En fait, on pourrait dire que l'éthique biomédicale africaine tourne autour du concept de l'être transcendant.

 

2. Le concept africain de la personne

 

Comme plusieurs aspects de la vie de la société africaine, le concept africain de la personne est multiforme. Contrairement au concept occidental de la personne qui est centré sur certaines caractéristiques physique ou psychologique d'un individu comme singleton, la culture africaine définit la personne en fonction de la communauté à laquelle elle appartient (Wright 1984:171).

 

Le principe de Mbiti exprime adéquatement le concept africain de la personne. Il dit : «je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes, donc je suis» (Mbiti 1984:171). Ce principe établit une distinction très nette entre la vision occidentale et la vision africaine sur ce qu’est la  personne. Le concept occidental d'une personne connote assez bien l'individualisme par lequel un individu se rend compte de sa personnalité loin de, et en dehors de la communauté. Un gamin typiquement américain, par exemple, a profondément hâte d'avoir dix-huit ans. La simple raison est que ce n'est qu’à cet âge qu’il ou elle peut avoir sa liberté face au pouvoir des parents. Pour cet enfant, devenir indépendant est une affirmation de sa personnalité. Des questions peuvent être posées à ce sujet : à quel moment doit-on commencer à parler de la personnalité ? Avant ou après  l’âge de dix-huit ans ? Celle-ci doit-elle être indépendante de l’autorité parentale ? Tout cela est le cas, étant donné l'accent que la société a mis sur les individus comme les caractéristiques définissant la personne.

Dans le système de valeurs africain, la personne se définit par rapport à la communauté dans laquelle vit l’individu. Un tel individu réalise uniquement sa personnalité dans l’univers de la communauté. C'est la communauté qui rend un homme ou une femme une personne. Un proverbe Yoruba dit littéralement : «les gens sont mes vêtements ». L'individu qui est mis à nu en public, perd sa dignité et son honneur. Ce n'est que dans la mesure où l’on est couvert que l’on peut avoir honte. C’est dans cette perspective que l'individu peut réellement prétendre avoir une personnalité. La dignité, l'honneur et la personnalité dont jouit l’individu sont tous attribués à des personnes ou à la communauté humaine qui entourent cet individu. Sans la communauté, l’individu n’aurait jamais ces éléments essentiels.

 

Il appert de ce qui précède que le concept de la personne humaine est multiple. De fait, la personne dans la philosophie africaine est à la fois humaniste, communaliste et sociale. L’examen du triple aspect du concept africain de la personne me paraît indispensable ici, car il nous permettra d’en approfondir la compréhension.

 

S’il n’existe pas d’éthique biomédicale africaine savamment élaborée, il y a néanmoins de théories de l’humanisme dans la pensée traditionnelle africaine qui pourraient servir de fondement à une éthique biomédicale africaine.

 

Les efforts déployés pour le bien-être humain  en ce qui concerne la moralité parlent de façon très éloquente de la base humaniste du concept africain de la personne. Nyerere (1962:246) décrit comment tous les hommes sont considérés comme des membres d’une famille élargie, ce qui connote que l'unicité de la personne humaine ne dérive pas de conflits de classe au sens marxiste. C'est ce concept africain de la personne, qui constitue le fondement pour le socialisme africain. Dans le même ordre d’idée, Senghor (1961:265), décrit les caractéristiques du socialisme africain et affirme que la hiérarchie ou le pouvoir est ancré dans les valeurs spirituelles et démocratiques. Cela souligne l'importance capitale des besoins spirituels de l'homme. La satisfaction de ces besoins relève de la responsabilité de tous dans la société. Réunir de tels besoins spirituels peut être considéré comme un indicateur ultime de l'unicité de la personne humaine, ainsi que la jauge de moral de l'interaction humaine. Les valeurs sociales conjointement reconnues et acceptées comme guides opérationnels servent de plate-forme commune à partir de laquelle tous les membres de la société travaillent ensemble pour le bien-être de la personne humaine. Nyerere (1962:240) explique en outre que cet élément humaniste est ce qui permet aux gens de prendre soins du bien-être des autres dans la société. Il n'y a pas de division entre riches et pauvres et tous les individus prennent leur juste part à la production de la richesse qui est uniformément répartie. Donc, il n'est pas nécessaire à qui que ce soit de thésauriser de la richesse. On pourrait aussi en déduire que c'est par la satisfaction des besoins humains matériels que les besoins spirituels sont également remplis.

 

C’est dans cette optique que Wiredu ( 1960 : 6) soutient que ce qui est moralement bon c’est ce qui convient à un être humain; c'est ce qui est bienséant pour l'homme - ce qui apporte la dignité, le respect, la joie, la prospérité pour l'homme et sa communauté (Wiredu, 1980:6). Ici, nous avons une éthique qui est profondément humaniste dans sa compréhension de la personne qui est l'objet de toute morale. Être une personne implique qu’on est un agent moral, qui a des responsabilités envers la société  et le bien-être humain en général. Tel est le cas pour ce que les Africains considèrent comme constituant fondamental de la personne humaine. C'est le principe de la vie, qui est le don de Dieu à tous les individus. La vie est le facteur de base déterminant de l'être humain et on ne peut pas être une personne sans être un être humain (Flack & Pellegrino 1992:111).

 

Cependant, on peut objecter que tous les êtres humains ne peuvent pas être considérés comme des personnes. De là, la question est de savoir si toute créature humaine est considérée comme une personne dans le contexte culturel Africain.  L’importance de cette objection réside dans le débat houleux sur la question de l'avortement. Il s’agit de savoir si le foetus a des droits d’une personne. A cet effet, j’évoquerai les cinq traits de personnalité proposés par Mary Anne Warren à savoir : la conscience, le raisonnement, l'auto-activité motivée, la capacité de communiquer, de formuler et de s’auto-définir par des concepts. Pour Warren, un foetus est un être humain qui n'est pas encore une personne étant donné le fait que le fœtus ne répond à aucune de ces caractéristiques (Beauchamp & Warren, 1994:308). Ceci est un des nombreux aspects du débat sur l'avortement. Mais j'ai choisi la position de Warren à cause justement de ces cinq traits qu’elle propose. De prime abord, je n'ai aucun problème avec ces cinq traits; mais je diffère avec Warren sur son affirmation selon laquelle un fœtus ne répond à aucun d’eux. Pendant la grossesse, les femmes racontent souvent leurs expériences de sentir le mouvement du fœtus suite à la pression exercée sur l'utérus. Cela insinue que le fœtus est un être vivant et conscient de son environnement de sorte qu’il répond au toucher qui pourrait lui causer un certain inconfort. Warren pourrait reconsidérer sa première caractéristique pour ce qui concerne le développement du fœtus dans l'utérus.

 

Dans la société Africaine, cette expérience des femmes enceintes est une affirmation que le fœtus a une vie, un élément divin ; ce qui fait de lui un être humain. Même s’il ne peut pas être considéré comme une personne en tant que telle,  le fœtus dispose des droits humains qui dérivent de la dignité inhérente à la nature humaine. À cet égard, la moralité de ne pas avorter un fœtus évolue autour de la notion du bien-être humain ; et cela peut également être retracé à un concept africain des droits humains, qui, en aucune façon, ne peut pas se comparer au concept occidental des droits humains.

 

Si on compare l'opinion occidentale avec l’opinion africaine, la différence pivote principalement sur la dichotomie individu-collectivité. Ainsi le concept africain des droits humains est très différent du concept occidental, qui est souvent très abstrait, légaliste et individualiste. Le concept africain des droits humains est plutôt enraciné dans le cadre naturel dans lequel vivent les gens (May & Sharrant 1994:38). L’implication est dans le contexte Africain, la vie communautaire est toujours primordiale. Par conséquent, les droits humains ne sont pas seulement les droits individuels, mais des droits humains collectifs. Il n'y a pas de division basée sur les classes et des moyens de production. La richesse est une propriété collective. Dans ce contexte, un fœtus dans cette situation a le droit à la vie, non seulement parce qu'il est considéré comme un être humain, mais surtout parce qu'il est intimement lié à la communauté humaine dont le concept de droits humains garantit la protection. En d’autres termes ce qui arrive au fœtus relève de la responsabilité de toute la communauté (la famille). May & Sharratt (1994:39) sont d'avis qu'une femme enceinte a droit à son corps, mais ce droit est façonné par les droits humains collectifs de sa famille ou de son clan ; et donc la responsabilité de tout ce qui se passe dans la vie des gens en général est assumé conjointement par tous dans la communauté, que ce soit la famille, la tribu, le clan ou le village (Nyerere 1962).

 

Par ailleurs, le concept africain des droits humains est très concret. Il est inhabituel pour les gens d'invoquer le droit à la liberté d'expression ou le droit à certaines idées, en particulier lorsque ces droits ne font rien pour améliorer le niveau de vie d’un peuple. Ces droits seraient simplement considérés comme hautement pertinents, car ils n'ont aucune incidence directe sur la vie ordinaire des gens. Au contraire, le droit à un emploi ou à un salaire est un droit reconnu par tous en raison de son importance pour le maintien de la vie de tous. Il est clair que le bien-être de l’homme est la préoccupation de la perspective humaniste de la personne.

 

Le concept africain de la personne est aussi communaliste. Une personne est un individu qui, non seulement fait des choses pour l'amour de soi, comme si il était le seul individu, mais plutôt, c’est celui qui s'efforce d'aider les autres par ses actes. Le mariage et la procréation sont deux conditions préalables d'être une personne et qui favorisent également une éthique communaliste (Flack & Pellegrino, 1992:105). Par le mariage, une personne va au-delà des murs de son ego protégé pour faire quelque chose dont elle ne bénéficie plus seule. À ce niveau, cette personne construit une communauté avec un autre et probablement avec des enfants si cela est possible. C'est pourquoi une personne est également considérée comme une réalisatrice d’objectif, puisque c'est un exploit d'être en mesure de se tailler une part dans la vie, non seulement pour soi, mais aussi pour la famille et les autres proches dépendants, ainsi que pour l'ensemble de la société.

 

Ainsi donc, la personne est identifiée en tant que telle à partir de la communauté d’appartenance. C’est pourquoi, en Afrique, la personne au sens  îlien du terme n’existe pas. En même temps, comme une personne est celle qui aide les autres dans un cadre communautaire, elle se distingue également par le fait de bénéficier de la communauté. Un bon exemple de ceci serait le cas d'une personne malade. Quand une personne est malade, ce n’est vraiment pas une personne seule qui est malade, mais c’est à vrai dire toute la communauté qui souffre à cause du lien communal entre les gens. Ainsi, l'aspect communaliste de la personne oblige non seulement un individu  d’aider les autres, mais aussi d’être aidé par ceux-ci. Une personne individuelle n'existe que parce que la communauté existe en premier lieu ; et c’est du moment  que la communauté existe, qu’alors l'individu existe aussi. Personne ne peut s’asseoir et attendre tout des autres sans agir. La relation doit être mutuel, une réalité typiquement africaine. Nyerere (1962:240) articule cet aspect communautaire de la personne en Afrique dans son concept d’Ujamaa où la société se soucie de l'individu et l'individu contribue aussi avec sa petite part d’efforts pour la production de richesses dans le meilleur intérêt de la communauté.

 

De plus, le concept africain de la personne est également social. Cela indique qu'il y a certains états de vie auxquels l'homme appartient naturellement. Un de ces états est le système social dans lequel le pouvoir est exercé partout de manière semblable. Il n'y a pas de classes qui exploitent les autres, et l'objectif principal de l'économie est la satisfaction des besoins matériels et spirituels de l'être humain (Senghor 1961:262). Une personne est un être social compte tenu du fait que tout le monde es fait pour vivre dans une société avec les autres. Les circonstances la l’arrivée d'un individu dans le monde montrent qu'une personne nait d'un homme et d’une femme.  La personne appartient à la famille élargie, et partant à une grande société à laquelle cette famille se rapporte. Par conséquent une personne est nécessairement un être (animal) social comme Aristote le confirme.

 

Ce facteur social du concept de la personne peut s’observer encore dans la classification tribale qui est un système social. Les gens d'origine différente sont connus par leurs tribus et chaque tribu a une langue qui lui est propre. Les individus sont identifiés par la langue qu’ils parlent. Un individu qui parle une langue particulière d'une tribu particulière est un membre de ce système social particulier. Ainsi, Menkiti (1984 :172) dit qu'une manière d'identifier une personne se trouve dans la langue de cette personne, parce que cela identifie quelqu’un comme un être social d'un système social particulier. Un individu qui prétend appartenir à une tribu, mais ne parle pas la langue de cette tribu est incompris. En considérant l'identité sociale d'un individu, le facteur linguistique est essentiel. Outre la question de la langue, un individu dans un système social a une obligation de respecter et d’obéir aux lois de la société. Ces lois sont le tissu de la vie de la société. Si elles ne sont pas tenues en estime par les gens, toute la société s’engage sur le chemin vers son effondrement total.

 

Je viens de discuter le concept africain de la personne pour montrer comment ce concept peut  contribuer à une éthique biomédicale africaine. L'aspect multi-dimensionnel de ce concept a montré comment être une personne dans le contexte africain est profondément enraciné, non pas seulement dans un individu, mais aussi dans une communauté et dans une société plus large. Comme le concept de la personne est lié à l'éthique biomédicale, les Africains ne traitent pas des problèmes qui se rapportant au bien-être de la personne d’une manière isolée de tous les éléments qui caractérisent la personne. Ainsi une bonne compréhension de la personne est indispensable pour arriver à une éthique biomédicale africaine.

 

3. Le rôle de la culture

 

Outre les philosophies de la vie, il y a aussi la culture d’un peuple qui, dans la plupart des cas, peut difficilement en être séparée. La philosophie a été souvent décrite comme un effet d'une certaine culture, tout autant que cela peut aussi être une cause de changements dans une culture (Makinde 1988:17). Etant donné cette relation inhérente entre la philosophie et la culture, il est impérieux de procéder de la discussion du concept philosophique de la personne au rôle de la culture dans la recherche d'une éthique biomédicale africaine.

 

Webster New Collegiate Dictionary explique la culture comme

 

Le modèle intégré du comportement humain qui comprend la pensée, la parole, l’action et des objets d’art et dépend de la capacité de l'homme pour l'apprentissage et la transmission des connaissances aux générations suivantes.

 

Cette explication de la culture nous donne tous les divers aspects de la vie de l'homme. A partir du comportement humain, normalement nous saurions ce qu'est une personne croit en raison de ses paroles, de son action et le style de vie qu’elle a adopté.  Ainsi, il est clair que la culture n'est pas nécessairement limitée aux actions en cours d'exécution; elle englobe aussi le type de pensée, et les croyances d'un peuple. Par ailleurs, ce n'est pas une réalité qui commence et se termine par une seule personne. C’est plutôt une réalité qui se transmet d'une génération humaine à une autre, car c’est cela qui façonne la vie d'un peuple ou d'une société. Ce qui se dit de la culture est comme tel en raison de la capacité de l'inculquer à tous les membres d'un groupe particulier et aussi de le transmettre aux générations suivantes.

 

Compte tenu ce qui vient d’être dit, il est évident que la culture peut être exprimée différemment comme celle  qui affecte une société. Pour l’expliquer, parlons de deux modes de comportements humains qui prévalent chez les Africains.  Il s’agit, selon Wiredu, de l’autoritarisme et du surnaturalisme 'autoritarisme et surnaturalisme (Wiredu 1980). Ces deux modes ne n’ont pas la prétention de représenter toute la culture africaine. Je les ai choisis grâce à leur rôle dans l'élaboration d'une éthique biomédicale africaine. La culture de la société traditionnelle africaine est autoritaire dans toutes ses ramifications. Le système de famille, le système de clan, les systèmes politiques et économiques sont tous autoritaires. Ici, l'autoritarisme est compris comme une atteinte injustifiée  de la volonté d'un individu (Wiredu 1980:2). Pour l’Africain, cependant, l'autoritarisme pourrait illustrer comment un supérieur est considéré comme le gardien de la communauté et le bien-être individuel. Il n'est pas inhabituel dans le système africain de trouver  un supérieur ou une figure d'autorité qui a le pouvoir absolu sur ses sujets.

 

Un professionnel comme un médecin est une figure d'autorité par rapport aux patients, et il a le contrôle complet sur ses patients à titre de jugement professionnel et de recommandation. Il n'est pas rare de rencontrer des médecins qui prennent des décisions de vie et de mort sur ​​leurs patients. Ces décisions sont souvent exécutées sur des patients concernés sans qu’elles soient défiées. L'atmosphère supposée rendre cela possible est basée sur le  comportement de la population où  la volonté de l’individu est souvent Subordonnée à celle supérieur selon la coutume ou d’après ce que la société considère bon pour lui.

 

Le principe de l'obéissance aveugle à ses supérieurs et à ceux qui jouissent de certains pouvoirs professionnels (Wiredu 1980:4) joue certainement un rôle significatif dans la quête d’une éthique biomédicale africaine. Sans doute qu'un médecin qui travaille dans une société où les gens sont obéissants et respectueux envers quelqu'un qui n'est pas seulement un supérieur par l'âge, mais aussi par les connaissances acquises par l'apprentissage et l'expérience de la vie, s'attendrait soit à  ce que ces personnes se soumettent à son jugement. Alternativement, il ferait appel à la coutume qui prévaut dans cette société pour orienter sa profession.

 

Le consentement éclairé des patients est très pratique  pour mieux expliciter ce phénomène. Un médecin dans le milieu de l'Afrique peut ne pas se soucier de savoir si son patient est assez compétent pour comprendre un diagnostique et prendre des décisions sur le traitement. De même, le médecin prend rarement soin de divulguer au patient dans les détails ce qu'est la situation réelle du patient ; sans mentionner la négligence totale du besoin de faire des recommandations basées sur un jugement éclairé. Une fois, j'ai rencontré une dame dans la région sud-ouest du Nigeria dont le mari venait de mourir d'un cancer. La dame m'a partagé comment elle n'a jamais été informée du diagnostic de la maladie de son mari. Le patient lui-même n’avait pas été informé. Tout resta mystère jusqu’à la mort du patient.

 

L'expérience de cette femme m’a beaucoup touché parce que j'ai aussi passé par une épreuve similaire quand mon père avait de cirrhose du foie. Avant que mon père ne meure, il était placé sous une machine pour l'aider à respirer. Le médecin n’a pas appelé ma famille afin de discuter de l’arrêt du soutien artificiel. Ni mon père ni la famille n’a été au courant du diagnostic exact. Il était simplement en traitement, afin qu'il puisse aller mieux. Informer les patients ou les familles de la maladie n'a pas été fait parce que le médecin avait l'autorité, ce qui était plus un phénomène traditionnel et culturel que professionnel, de faire comme il le juge. Tout cela est le cas, non pas parce que le médecin est moins intéressé par le patient, mais bien au contraire. C'est plutôt parce que le médecin est concerné, au moins en théorie, par le bien-être du patient, et serait prêt à tout faire pour s'assurer que le patient est soigné selon la norme et l'autorité indépendante de la volonté des patients. Cependant, les médecins font souvent appel à l'autoritarisme issu de la culture. Une fois que cet appel à l'autorité a été fait, la figure d'autorité pourrait aller aussi loin qu’elle peut en faisant usage des proverbes, c'est- à-dire, la sagesse pratique (Wiredu 1980:4) pour soutenir un argument ou une réflexion morale qui, en aucune manière reconnaît la pensée indépendante d'un individu. Mme si ce qui précède reflète ce qu’on obtient dans les contextes traditionnels africains, il y a des cas qui prouvent le contraire. Ces cas sont le reflet de l'influence occidentale.

 

Pour les Africains, les proverbes sont aussi importants à leur pensée que l'oxygène. Les proverbes sont utilisés comme moyens de mettre en lumière ce qui est incrusté dans la pensée. En milieu africain traditionnel, chaque fois qu'il est estimé que l'autorité doit être affirmée sans équivoque, les proverbes sont souvent invoqués. Et quand cela arrive, la figure d'autorité n’affirme pas simplement  son pouvoir, mais aussi fait appel  à la sagesse collective du peuple, c'est-à-dire à argumentum ad populum. Une fois ce niveau atteint, on croit qu'un individu doit se conformer à ce que la sagesse populaire (pratique)  a mis en place. Ceci met en exergue l’aspect distinctif de la conception africaine de la personne. Même là où la question examinée ne concerne que l’individu, cela est fait de manière qui sauvegarde le lien entre l'individu et le tissu social qui constitue la communauté. Lorsque le bien-être de la communauté est mis en jeu, il y a des mesures culturelles qui doivent être prises pour protéger l'identité collective, qui sert de point de référence essentiel pour la personnalité de chaque individu.

 

Le deuxième aspect est surnaturel. La moralité africaine est profondément enracinée dans la présence du surnaturel . Il s’agit de la réalité qui est au-delà et au-dessus ce qui est habituellement connu. Pour les Africains, en effet, le surnaturalisme consiste à «chercher le fondement de la morale dans une source surnaturelle» (Wiredu, 1980:5). C'est le contraire de l'humanisme où la morale est fondée exclusivement sur des considérations du bien-être humain. Etant donné la considération humaniste de la personne, on serait tenté d’insinuer qu'il y a une contradiction inhérente dans ce processus de pensée. Cependant, tel n'est pas le cas. C’est plutôt la symbolique de la racine profonde et complexe de la morale par laquelle un individu est identifié, non pas simplement par les liens physiques qu’il ou qu’elle peut avoir, mais aussi par le fait même de son principe de vie donné par Dieu. Ainsi, si une personne est valorisée par sa réalisation, son identité communautaire, sa volonté de prendre soin des autres, la racine de toutes ces valeurs est finalement attribuée à une source surnaturelle qui est considérée comme la source de ce qui est.

 

Ainsi, nous avons une éthique basée sur le surnaturel, mais avec comme centre d’intérêt le bien-être humain. Le surnaturel n'est donc pas opposé à l’humain. En réalité, il sert de point de référence principal pour la conduite humaine et le bien-être global. Inversement, l'humain africain est informé par le surnaturel. Ceci est un autre exemple de la façon dont tout tourne autour du surnaturel dans le contexte africain. Tout tireson existence de l'Être suprême et à celui qu’il faut rendre des comptes. Dès lors, on peut bien comprendre la manière dont les Africains réagiraient à l'avortement, on peut croire que tous les humains, les fœtus inclus, sont créés par l'Être suprême et ils sont tous dignes d'attention et de respect les uns envers les autres. La croyance au surnaturel peut informer  les Africains et leur permettre de réfléchir sur la question du bien-être humain. Par exemple, si la vie d'une femme est en danger, la croyance surnaturelle de protéger la vie informerait le fait que la vie de la mère vient en premier lieu. Ici, le bien-être humain est informé par la croyance surnaturelle, sans que l’un soit opposé à l’autre.

 

À la lumière de tout cela, ma position diffère de celle de Wiredu sur cette question, même là où il prétend que « la pensée traditionnelle sur les fondements de  la moralité (africaine) est agréablement non–surnaturaliste » (Wiredu 1980:5). La position de Wiredu implique que l'humanisme et le surnaturel sont opposés si bien que l'un doit céder la place à l'autre dans la résolution de situations conflictuelles. Cependant, je pense que ces deux ne doivent pas être considérés comme étant opposés, mais plutôt comme complémentaires en ce qui concerne le bien-être humain. Les croyances surnaturelles sont souvent exprimées sous forme de lois spirituelles ou religieuses, et celles-ci sont souvent interprétées avec comme préoccupation majeure le bien de la personne. Une fois interprétées, ces croyances sont exprimées comme ces messages que Dieu veut son peuple. Ici, je ne vois vraiment pas comment le bien-être humain et les croyances surnaturelles peuvent être contradictoires en ce qui concerne les fondements de la moralité.

 

4. La religion traditionnelle africaine

 

Il n’est pas aisé de définir ou d'expliquer ce que signifie la religion. Il y a eu tellement de tentatives d’explication mais aucune explication n’a suffisamment épuiser cette réalité. Les penseurs, les anthropologues, les sociologues ainsi que les théologiens ont tous abordé la religion à partir de leurs différentes disciplines, mais tous ont seulement réussi à faire une contribution supplémentaire à cette réalité de la vie. Il y a autant d'approches pour définir la religion qu’il y a des croyances religieuses et des sectes.  Examinons ici quelques définitions pour le besoin de la cause. Max Muller, par exemple, dit que la religion «est une perception de l'infini". Cela implique qu'il y a un sentiment humain qui est en contact avec un être infini. Cependant, ce que cet être infini pourrait signifier n'est pas assez clair. Kant qui a beaucoup mis l'accent sur la manière dont la règle de la raison affecte la vie morale, définit la religion comme «une reconnaissance de nos devoirs en tant qu’ordres divins ». Pour Kant, la religion est cette loi en nous en tant qu'elle est liée à un législateur de loi qui est au-dessus de la personne humaine. L'impact majeur de cette position est qu'elle lie la moralité à Dieu, une position qui souligne profondément la pensée africaine. Schleiermacher définit la religion comme «un sentiment de dépendance absolue, de la passivité pure et entière» (Idowu1973:71). Au lieu d'une participation active dans une relation avec un être divin, Schleiermacher nous invite à un abandon total et simple à laisser Dieu être Dieu.

 

Les définitions ci-dessus ont démontré par des exemples l'approche diversifiée de la compréhension de la religion. En outre, tous ces exemples ont été pris chez les auteurs occidentaux. Maintenant, pour cette réflexion qui vise à découvrir comment la Religion Traditionnelle Africaine affecte une éthique biomédicale en Afrique, j’adopte maintenant une définition de religion dans une perspective africaine. Idowu (1973) affirme que la religion est un fait ultime de la nature humaine ; ce qui implique que c'est la personne tout entière qui est immergé dans la religion. En ce qui concerne les questions ultimes de la vie, la personne ne peut pas être traitée comme une personne qui réfléchit à un moment et comme une personne sachant à un autre moment. L'unité de la personne exige que l’être humain soit une personne entière. Tout ce qui arrive à la personne affecte toute la personne, et telle est la réalité de la religion. C'est la personne toute entière qui reçoit le stimulus d'une communication spirituelle, et c'est la personne entière qui répond à ce stimulus. Au-delà de cela, il dit aussi que chaque religion revendique une origine transcendantale du fait que Dieu est la réalité primitive, il n'y a aucun moyen pour l'atteindre.  Par ailleurs, le fait que Dieu est postulé comme l'auteur de tout dans la religion, il s'ensuit qu’un autre être est en relation avec l'Être suprême, et que cet autre être est inférieur au premier Être et c’estl’homme. Cela souligne l'importance que l'homme donne à la religion. Ainsi sans l'homme il n'y a pas de religion, car la religion est le résultat de la notoriété spontanée de l’être humain, et la réaction à un Pouvoir Vivant infiniment plus grand que l’être humain lui-même. Contre cet arrière plan, Idowu définit la religion comme «moyen par lequel Dieu comme esprit et l'homme dans son aspect ultime communiquent. Il s’agit d’une relation que Dieu a établie depuis le début de la vie (humaine) entre Lui et l'homme» (Idowu, 1973:75). Compte tenu de cette nature essentielle de la religion dans la relation entre Dieu et les humains, la religion sert donc comme un moyen par lequel Dieu communique à l'homme la manière de vivre. En d'autres termes, la religion sert de moyen par lequel Dieu communique à l'homme la chose morale à faire dans les relations interpersonnelles.

 

Ceci est une perspective africaine sur la religion qui met l'accent sur Dieu en tant que facteur de cohésion. Sans Dieu, tout se passe dans le désarroi. C'est dans ce sens que la religion traditionnelle africaine peut être comprise. La plupart des missionnaires européens qui ont évangélisé les Africains au 18ème et au début du 19ème siècle pensaient qu'il s'agissait d'un peuple qui n'avait aucune idée de Dieu. Plus tard, en découvrant à quel point la connaissance de Dieu était dans les différents aspects de la vie des gens, ils disaient que les Africains sont polythéistes le simple fait que l'idée d'une divinité imprégnait tous les aspects de la vie donnée. Tel est le contexte qui a conduit à condamner la religion traditionnelle africaine comme étant polythéiste. Il faut noter que le manque apparent de certains documents officiels sur la religion traditionnelle, ainsi que l'association de certains aspects de la présence divine dans la vie, sont des facteurs qui ont conduit les missionnaires à taxer la religion africaine traditionnelle de polythéiste. Chez les Africains, il y a une croyance en l'Être suprême, et il y a aussi la croyance en des divinités. L'Être suprême est exclusivement différent de nombreuses divinités, qui sont souvent décrites comme des «petits dieux ou des messagers".

 

La croyance africaine, c'est que l'Être suprême a un pouvoir absolu sur toute la création. Cependant, il intervient rarement d'une façon directe dans la vie quotidienne des gens. Les "petits dieux" sont des messagers directement impliqués dans la vie des gens au nom de l'Être suprême. Ces messagers influencent la façon dont les gens vivent et agissent entre eux en apportant à la sensibilisation de la population ce qui constitue un comportement éthique. Bien que, les "petits dieux" révèlent aux gens ce qui constitue un comportement éthique, les gens savent que ce qui est révélé est le souhait de l'Être suprême. On pourrait dire à juste titre que l'incapacité des non-Africains de comprendre la perception africaine du monde surnaturel a conduit à leur malentendu à propos de la religion traditionnelle africaine. Paul Tillich (1951 :246) explique le polythéisme comme un concept qualitatif plutôt que quantitatif, ce qui n'est pas une croyance en une pluralité de dieux, mais l'absence d'un ultime unificateur et transcendant qui détermine le caractère divin.

 

Suivant cette définition du polythéisme, il devient évident que la religion  mériterait seulement d'être caractérisée comme étant polythéiste si et seulement si elle lui manque un principe unificateur et transcendant, parmi ses nombreuses divinités ou ses dieux. Le polythéisme n'est pas la simple croyance en ces dieux, mais c'est aussi l'incapacité de réunir tous ces dieux dans l'Être suprême. La religion traditionnelle  affirme que Dieu existe par Lui-même, qu'Il n'est pas la créature de nul autre être, qu'il est la cause de toute chose, êtres humains inclus, qu'Il est le créateur et Principe d'unité qui lie le tout de la création ensemble (Parrinder 1969:40). Sans plus tarder, cette position de base de la religion traditionnelle africaine a montré que l'affirmation que cette religion est polythéiste est mal informée et peu judicieuse. Les fidèles africains traditionalistes croient qu'il n'y a qu'un seul Dieu tout comme les chrétiens et les musulmans. Cependant, ce qui amène certains malentendus c'est la croyance des Africains en d'autres divinités. À côté du Dieu unique qui est l'Être suprême, il y a d'autres "petits dieux". C’est le cas d’Ogun et Sango chez les Yoroubas, qui sont considérés comme des messagers ou des intermédiaires entre le Dieu unique et les gens. Ces autres divinités ne sont pas pris au même rang que  le Dieu Unique, et ne disposent pas de pouvoirs absolus sur les gens. Ils sont simplement considérés comme des exécutants des ordres qui leur sont donnés par l'Être Suprême. C'est l'Être suprême qui est considéré comme le créateur de tout, et sa principale fonction en tant que créateur pose les bases de ses attributions naturelles comme «faiseur d'âmes» et «celui qui donne et décompose" (Parrinder, 1969:41). En d'autres termes, il est le seul qui a le pouvoir de donner et reprendre la vie. C'est une croyance qui justifie fortement la position pan-vitaliste généralement attribué aux Africains ou aux gens d'origine Africaine.

 

Par conséquent, dans la religion traditionnelle africaine, c'est Dieu, et non l'homme, qui est au centre de l'univers. De ce fait donc, même si la vie est considérée dans la perspective du bien-être humain, Dieu reste la force suprême et centrale en mouvement. Dieu a doté les hommes et les femmes de la vie, d'où elle doit être traitée comme un bien appartenant à Dieu, qui seul a le pouvoir absolu sur celle-ci (Parrinder, 1969:42). Les gens sont tout simplement les gardiens de ce don de la vie, et doivent être tenus responsables de tout ce qui arrive à ce don le plus sacré.

 

Cet aspect de la religion traditionnelle africaine a certainement des conséquences pour le type de l'éthique biomédicale qui peut en être déduite. Les questions comme l'avortement, le suicide, l'euthanasie assistée ou le génie génétique qui sont devenues des questions trop débattues dans le monde occidental, ne vont probablement pas causer aucun débat significatif dans le contexte africain étant donné la forte influence  de la pensée religieuse traditionnelle sur les fondements de la morale. Je crois que ces questions ne seraient pas sujets de débat houleux parmi les Africains, sans pour autant céder à un quelconque unanimisme.

 

Par exemple, les Africains croient généralement que la vie humaine, depuis le moment de la conception, est un don de Dieu. Cette croyance informe ensuite l'interdiction de l'avortement et de l'euthanasie. La vie est sacrée et ne peut pas être touchée car elle reflète l'Être suprême. Compte tenu de ce principe général de base, il serait très vrai de dire que, contrairement à la pluralité des sources occidentales des idéaux moraux,  celles des africains  se concentrent sur une seule entité objective, l'Être suprême et unique.

 

5. Découvrir une bioéthique traditionnelle

 

Contrairement à l'éthique biomédicale occidentale qui prend essentiellement ses racines  exclusivement dans les aspects physiques et psychologiques de l'individu, la philosophie morale traditionnelle africaine se rend compte que la personne est beaucoup plus complexe,  de la sorte, l’élaboration de l’éthique iomédicale en Afrique serait pluri-forme. Le principe de Mbiti, «Je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes, donc je suis» affirme avec force le fait que dans la compréhension africaine, une personne n'est pas un individu isolé. Plutôt, une personne est celle qui est pleinement en contact avec soi et le monde autour d’elle. Elle est impliquée dans les événements autour d’elle-même ; elle se soucie des autres et est également soignée ; elle fait partie de la vie des autres. Les divers aspects du concept de la personne déjà discutés parlent de ce fait. La théorie Occidentale des soins biomédicaux se targue de se soucier du patient. Inutile de dire que l'éthique biomédicale en Afrique se penche sur toute la personne dans toutes ses ramifications et fournit de vastes soins au patient. En ce qui concerne la relation médecin-patient, il y a autant de modèles dans le monde occidental que des penseurs. De plus, tous les différents modèles considèrent un aspect de l'individu contre l'autre, soit même une approche entièrement non bénéfiques à l'égard du bien-être holistique de l'individu.

 

En éthique biomédicale africaine, il ne peut être que d’une approche globale de la relation médecin-patient qui tient compte des différentes dimensions de la personne telle que discutée ci-dessus. Cette approche concerne tout patient, et la société dans son ensemble. Elle considère la quantité des ressources qui peuvent être consacrées à ce patient, tout en tenant compte du fait que ce qui arrive à un membre de la société affecte tous les membres. Au-delà de cette considération, cette approche tient également compte du fait que le patient est un être doué de vie, et qui, de surcroît doit rendre compte de cette vie à l'auteur de la vie.

 

Dire que le rôle de l'autorité est très important ne serait pas une exagération. Un Occidental qui observe cet aspect de la culture africaine conclurait probablement qu'un tel phénomène par lequel la volonté de l'individu est surclassée, prive essentiellement l'individu de son autonomie et le prive de l'usage et l'exercice de la raison. Ce serait une critique très vraie. Toutefois, il convient aussi de souligner que les valeurs morales sont perçues différemment par les Occidentaux et les Africains. L'autonomie pour un Africain, n'est ni agir dans l'isolement, ni être attaché à ses idées  individuelles sur des problèmes, mais plutôt dans sa liberté et sa capacité de choisir entre des alternatives disponibles (Sogolo 1993:137).  Etant donné les aspects humaniste, communaliste et social de la personne, un individu n'a pas à passer par un raisonnement rigoureux associé aux choix quotidiens de la vie, comme si l'on doit cultiver de nouvelles idées pour être en mesure d'agir. Même dans le cas des soins de santé ! La priorité du bien-être des membres d'une communauté met cette responsabilité sur la société et cela est intégré dans l'autorité. Encore une fois, cela peut être facilement rejeté à cause de la peur du paternalisme, où on peut prétendre que les soins seraient plus une imposition au patient. Mais, il convient de noter également que toute la notion africaine consiste à voir tout le monde comme ayant l’Être suprême comme leur source et vit  comme des frères et sœurs dans une grande famille. Par conséquent, chacun devrait être responsable de l'autre personne. Partout où le pouvoir est assumé sur l'autre pour l’avantage de l'autre, c'est là où une véritable théorie de soin est pratiquée.

 

Finalement, la notion religieuse de Dieu peut être considérée comme le point de convergence de toute réalité. Le bien-être de l’être humain est informé par une seule entité. Même si on tient compte  des aspects humain, communal et social de la personne, ainsi que le rôle d'autorité dans la société, tout provient de l'Être suprême qui donne la vie sans laquelle la discipline de la bioéthique serait impossible. Cette dimension spirituelle ne doit pas être perçue comme étant opposée à d'autres dimensions, mais plutôt comme informant les autres. Par conséquent, si l'éthique biomédicale africaine devait être formellement étiquetée, la seule théorie qui peut comprendre cette approche  de manière adéquate serait une sorte de théorie du droit naturel dont le principe central  est le suivant: «Ne jamais tourner le dos à la détresse d'un patient". Contrairement à la pluralité des idéaux moraux occidentaux,  l'éthique biomédicale africaine prend constamment sa portée dans la notion d'un Être Suprême qui est responsable de l'ensemble de la vie, et à qui on doit rendre compte pour toute vie. Il s’agit d’une éthique absolutiste car il n'y a qu'une seule source de référence morale. Au-delà de cela, il indique également qu'il ya un ordre naturel des choses qui peut ne pas être perturbé, même si cet ordre pourrait être facilité par des actions positives qui ont pour but de compléter la nature.

 

6. Conclusion

 

En tentant d'examiner s'il y a une éthique biomédicale africaine, cette réflexion a soulevé un certain nombre de questions destinées à aider à découvrir certains traits distinctifs propres au  milieu socioculturel africain. Essentiellement certains traits identifient et définissent une  éthique biomédicale africaine. Un de ces traits est le concept africain de la personne, qui situe la personnalité de chaque individu dans la communauté à laquelle il appartient. Ce qui est différent du concept occidental qui insiste sur les traits individuels dans la définition d’une personne. En outre, le style de vie communautaire  définit non seulement la culture africaine, mais aussi sert de trait essentiel qui définit l’éthique biomédicale africaine. La religion est identifiée comme jouant un rôle majeur dans la façon dont les questions qui touchent  la vie sont traitées. Tous ces facteurs pourraient être décrits comme des spécificités culturelles, qui non seulement décrivent le caractère unique du mode de vie africain, mais également constituent le fondement d’un argument en faveur d'une éthique biomédicale africaine. Ce n'est pas une "ready-made" éthique mais celle qui est déductible de la philosophie, de la culture et de la religion d’une société.

 

 

Le trait caractéristique de cette éthique est qu'elle traverse toute la vie d’un peuple et utilise le concept de Dieu comme un tremplin et son point culminant. Il s'agit d'une bioéthique  qui reflète les différentes dimensions de la personne, et est protectrice  de la personne dans toute sa totalité. Le point focal de cette éthique est la sacralité de la vie humaine qui a ses répercussions sur l'Être suprême, qui à son tour informe tous les autres problèmes bioéthiques. L'éthique biomédicale africaine n'est pas développée à cause des progrès technologiques en médecine comme dans le monde occidental. Elle est profondément enracinée dans la culture des Africains. L’évolution technologique ne détermine pas cette éthique. Plutôt c’est le mode de vie constant des africains qui façonne le contenu de cette éthique dans toutes les situations et en tout temps.

 

À la lumière des récents cas de clonage, on pourrait réagir en disant que cette éthique ne laisse aucune place pour aborder les nouvelles questions et les nouveaux problèmes dans la discipline biomédicale. Ce qu'elle fait sûrement et bien, c'est protéger l'intégrité et l'inviolabilité de la personne humaine dans tous les cas et en tout temps. Pour les Africains, tous les soins donnés à un patient devraient renforcer le lien qui existe entre l'individu et la communauté. Il s’agit ici d’une vision téléologique à travers laquelle l'idée de l'Être suprême est à la fois source et la finalité de la moralité.

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