POLITIQUE ET RELIGION : RAPPORTS SUR FOND DE CONVERGENCE PARALLELE.

Abstract: 

This editorial article, which draws its inspiration from projective geometry rather than the popular Euclidian version, provides a framework within which different articles published in this issue could be read and understood. It reminds us that the issue of religion has always been a concern for the Revue Ethique et Société right from its initial launching.

 

In this present publication, the issue confronted is that of the role of religion in democratic processes. This issue cannot be understood fully unless one considers the fundamental link between Religion and Politics. Certain scholars take religion as the dimension that should claim pre-eminence over other dimensions of the human life. Such a claim is based on three major characteristics of religion, namely: transcendence, sacredness and ultimacy. The implication is that politics is at the heart of religion and not the other way round. However such an interpretation is limited and does not give us a full view of the dynamic interaction between religion and politics.

 

Thus Panikkar’s interpretation is considered, in as much, as it explores various aspects of this interaction. In effect, Panikkar attempts to move beyond the dualism that is often espoused when considering the link between religion and politics. He suggests an ontonomic interpretation in which religion and politics are considered as two interdependent dimensions of the human being.   

Ce n’est pas pour la première fois que la Revue Ethique et Société (RES) aborde la question de la religion. Le tout premier numéro de la revue avait confronté la religion en en établissant l’état des lieux dans la ville de Bujumbura, comme étude de cas. L’observation générale qui se dégageait de l’enquête était qu’actuellement, les religions connaissent un éclatement évident. Les auteurs de l’enquête ont laissé dans la matrice la question qui appelle une réflexion: qu’est-ce qui explique cet éclatement : est-il le résultat d’une démocratisation de la religion elle-même, d’une crise sociopolitique, de la pauvreté économique, ou de la démocratisation de  nos sociétés ? Le premier numéro du deuxième volume a traité aussi la question de la religion sur un autre front : la religion sur le terrain de la paix et du développement. Parmi les nombreuses questions posées dans ledit numéro, à part la question du lien entre la religion et le développement ;  il y avait celle de savoir si la religion peut garantir l’ordre social, et partant l’ordre politique. Dans toutes ces publications, la question fondamentale qui était en jeu était celle du lien entre la religion et les différentes sphères de la vie humaine.

 

Le présent numéro continue de creuser ce lien en se focalisant sur une question bien concrète : celle du rôle des religions dans le processus électoral. Mais la religion peut-elle jouer un rôle dans la sphère de la démocratisation alors que la sphère de la religion n’est pas nécessairement démocratique ? Le pasteur Blaise Kenmogne ne parle-t-il pas de l’impératif moral de « démocratiser Dieu » ? Si cela était une platitude, sur quelle base le religieux se permet-il d’intervenir dans les processus politiques ? Dans son livre, Politics and Religion in the Modern World, Moyser tente de suggérer ce qu’il croit être cette base. Il argue que la religion fonctionne comme un mécanisme du contrôle social et d’intégration politique à raison de ses trois caractéristiques : la transcendance, la sacralité, l’ultime.

 

Du point de vue transcendance, la religion est concernée par la réalité surnaturelle. Dans cette transcendance, le croyant fait l’expérience des pouvoirs qui sont au-delà de son pouvoir. C’est contre cet arrière plan que la religion peut réclamer une certaine prééminence sur le croyant et l’ordre social. Selon Moyser (1991 :9), cette influence s’étend même au domaine politique surtout quand les décisions qui touchent l’ordre social doivent être prises.

 

De même, la sacralité comme dimension de la religion est utilisée comme point de référence que les gens utilisent comme point de départ pour définir leur monde et leur vie. Et cela touche aussi le domaine politique. Le sentiment du pouvoir fondé sur le sacré amène les croyants à vouloir gérer le domaine « profane » d’une manière consistante avec les hautes impératives de la religion.

 

Enfin, l’idée de l’ultime pousse la religion à articuler les valeurs centrales qui fondent la finalité et le sens de la vie humaine. C’est dans ce sens que Bellah (cité dans Moyser 1991 :10) disait que la religion relie l’homme aux conditions ultimes de son existence ; et que par conséquent la politique est relative à la religion et n’a de validité que par rapport à la religion.

 

Cependant l’interprétation du lien entre la religion et la politique que propose Moyser ne nous donne pas une vue globale de l’interaction entre les deux domaines. En fait, elle donne trop de crédit à la religion. Elle ne nous permet pas de confronter le cas la politique met la religion sous ses ordres, ou encore le cas les deux sphères tendent à évoluer de manière parallèle entre autre. Plus important encore, elle ne nous permet pas d’envisager une avenue de réconciliation quand les deux domaines sont en conflit. Pour remédier à ces limites, je voudrais recourir à l’interprétation de Raimundo Panikkar (1983) qui pousse au-delà de la dualité entre les dimensions de l’être humain. Pour Panikkar, il y a deux aspects de la relation entre la religion et la politique. La relation extrinsèque et la relation intrinsèque. La relation extrinsèque entre la religion et la politique veut dire qu’il doit y avoir un troisième élément telle que la raison, la coutume, l’éthique, etc pour les mettre en relation en définissant la fonction et la mission de chacune. Cela présuppose que  l’une et l’autre sont autonomes. La relation intrinsèque, quant à elle, est enracinée dans la nature même de la religion et de la politique respectivement (Panikkar 1983 :47). Le tableau ci-après donne les détails :

 

 

 

 

 

 

Relation entre la religion et la politique (Panikkar 1983 :48)

 

Relation extrinsèque

Relation intrinsèque

Autonomie

Monisme

Hétéronomie

Ontonomie

Relation réglementée par la raison, le sens commun, la coutume, l’éthique, mythe, etc

Religion= Politique

Politique= Religion

Religion domine la politique (théocratie)

Politique domine la religion (totalitarianisme)

La politique et

la religion sont

des dimensions

interdépendantes

de l’être humain

 

Ce tableau révèle qu’on peut envisager la relation entre la religion et la politique sous quatre angles. Le premier angle est celui de l’autonomie ; c’est-à-dire que la religion et la politique sont autonomes l’une de l’autre. Cela relève même de leurs définitions respectives. La religion s’occupe du lien entre l’homme et le transcendent ou Dieu. Selon Panikkar, la religion appartient à la sphère du sacré, du surnaturel, de l’éternel, ou de l’église dans le langage chrétien. La religion relève de la dimension verticale de l’homme. La politique, quant à elle, s’occupe de l’homme dans la société. Elle appartient à la sphère du naturel, du profane, du temporel, ou de l’Etat. C’est la dimension horizontale de l’homme. C’est dans ce sens que dans le langage des occidentaux on parle de la relation Eglise-Etat, ou de la laïcité de l’Etat pour parler de la séparation nette entre la religion et la politique. Les défenseurs de ce dualisme peuvent évoquer Jésus qui suggérait qu’on rende à César ce qui est àCésar et à Dieu ce qui est à Dieu. Mais qu’est-ce qui est à César  qui n’est pas de Dieu ? En fait, la question ici est de savoir s’il y a un fait religieux qui n’est pas politique. Peut-on avoir une religion apolitique ou une politique complètement dépourvue de quelque esprit religieux ?

Le deuxième angle est celui du monisme dans lequel la religion se confond à la politique et la politique à la religion. En d’autres mots les deux domaines sont identiques. On peut  évoquer comme exemple l’Etat shito au Japon de 1860 à 1945. L’empereur était l’autorité politique et en même temps une figure sacrée à qui le peuple devait un culte (Fridell 1983). Dans cette optique, les idéologies nationales (cas du marxisme soviétique) peuvent être considérées comme des types de religions.

 

Le troisième angle est celui de l’hétéronomie. Dans une relation hétéronomique, soit la religion domine, définit et dicte ce qui doit être considéré comme le bien commun et les moyens pour l’atteindre. C’est le cas dans les sociétés théocratiques. Soit la politique domine, définit et dicte ce qui doit être ce bien commun en ne laissant à la religion que son domaine particulier et la fonction qu’elle doit jouer dans la sphère politique. C’est le cas des régimes totalitaires. Dans les régimes théocratiques, l’autorité politique tend à imprimer le comportement qui serait approuvé par quelque divinité ou le Transcendant. Ceci semble être le cas pour le judaïsme et l’Islam l’autorité politique est souvent l’autorité religieuse. Dans le judaïsme traditionnel, l’autorité politique n’est pas seulement voulue par Dieu, mais aussi il est dit nommé par Dieu. Pour le cas la politique définit la sphère de la religion et sa fonction par rapport à elle, on peut donner l’exemple de la Chine en lien avec l’église catholique patriotique. Le point à souligner est que dans la relation hétéronomique, soit la religion absorbe la politique ou la politique absorbe la religion (Panikkar 1983 :52).

 

Le quatrième angle est celui de l’ontonomie. Le fond de la relation ontonomique entre la politique et la religion est qu’ « il ne peut pas y avoir une religion authentique sans la dimension politique, comme il ne peut y avoir de politique sans la dimension religieuse » (Panikkar 1983 :52). En d’autres termes le zoon politikon est aussi homo religisius. C’est l’interprétation non dualiste du lien entre la politique et la religion. L’homme de la religion est en même temps le citoyen d’une nation. En séparant la foi et la raison et en montrant le nœud de leur interaction, Thomas d’Aquin préparait en même temps la base de son affirmation que même dans l’état d’innocence, il y avait l’Etat, donc l’activité politique. C’est-à-dire, la religion et la politique sont des dimensions de la même réalité humaine. Ainsi, contrairement à ce que prêchent certaines sectes ou mouvements religieux,  l’épanouissement religieux de l’être humain ne peut pas être atteint en se dérobant de la communauté humaine, en abandonnant le monde, ou en niant la réalité de la dynamique humaine. Alternativement l’épanouissement politique ne peut pas être atteint en minimisant la dimension religieuse de l’homme.

 

Selon Panikkar, le vrai homo politicus est impliqué dans les préoccupations profondes de ses semblables, en particulier les préoccupations d’ordre religieux. Comme le dit Panikkar, la relation ontonomique entre la religion et la politique nous permet de dépasser le dualisme souvent irréfléchi entre la religion et la politique. Ainsi le point à souligner est que la politique est au cœur de la religion, et inversement.

 

Les articles publiés dans ce numéro se confrontent à la question de la religion dans les processus politiques : Dans l’article « l’église catholique et les élections au Burundi », Ingiyimbere souligne que si on peut affirmer sans ambages l’implication de l’église catholique dans la sphère publique du Burundi à bien des égards, son implication dans les processus électoraux des différents parcours politiques Burundais ne peut être affirmée sans analyse. Son observation est faite sur base de la lecture des publications officielles des évêques catholiques du Burundi.

 

Dans « L’intégrité des transactions commerciales internationales au 21ème siècle », Ntamwenge réfute les mythes et les métaphores d’une réalité qui s’impose comme une religion démocratique : l’économisme contemporain. Il poursuit un objectif de lui donner une vigueur morale en injectant des valeurs telles que l’honnêteté, l’équité, la justice ; la responsabilité, la confiance, l’interdépendance, etc.

 

L’article « A propos du travail » de Bitota montre que le travail n’est pas pris au sérieux dans la législation. Les multiples activités donnant sens à l’humain autant que la religion et la politique dans leur lien ontonomique sont abandonnées dans un vide politique. Bitota suggère d’asseoir une politique ferme pour rationaliser le travail afin de parvenir au développement durable.

 

Enfin, dans la Chronique, Berten fait un flash back sur la trajectoire de l’Union Européenne et pose la question suivante : « Où va l’Union Européenne ? ». Il conclue  que la solidarité et la coopération au sein de l’Union sont confrontées à un repli nationaliste et non coopératif. Le lecteur se réservera la question de savoir si la religion, notamment le christianisme, qui a joué un grand rôle dans l’histoire de l’Occident pourra défier et déloger ce repli.

Référence Bibliographique: 

Fridell, W M 1983. Modern Japanese Nationalism: State Shinto,

the Religion That Was “Not a Religion”.  In Peter H.Merkl and Ninian Smart  (eds.), Religion and Politics in the Modern World, pp. 155-169. New York/London: New York University Press.

 

Moyser, G 1991. Politics and Religion in the modern world: An

overview. In George Moyser  (ed), Politics and religion in the modern world, pp. 1-27. London/New York: Routledge.

 

Panikkar, R 1983. Religion or Politics: The Western Dilemma.

In Peter H.Merkl and Ninian Smart (eds.), Religion and Politics in the Modern World, pp. 44-60. New York/London: New York University Press.

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