L’INTEGRITE DANS LES TRANSACTIONS COMMERCIALES INTERNATIONALES (TCI) AU 21ème SIECLE (I)

Abstract: 

This paper strongly refutes myths and metaphors of modern economism, which is characterised by an amoral culture, or by the disregard for ethics in commercial transactions. In this way, it clearly distances itself from the projects of globalizing economism and socioeconomic libertarianism. It also refuses to subscribe to ahistorical rationalism, socioeconomic irrationalism, and to the presentism predominating in some milieux and communities.

 

On the contrary, this paper defends the values of moral integrity, namely honesty, respect, fairness, justice, loyalty, courage, responsibility, excellence, honour, trustworthiness, trust, and interdependence.  In fact, the reflections of this study aim at promoting moral integrity in corporations, and in the commercial transactions of the 21st century. It brings out favourable principles, values, mechanisms and strategies for a culture of integrity in these transactions.

 

Consequently, the bottom line of this reflection is to boldly reinvigorate efforts geared to humanizing the process of market globalisation; to reduce abuses in international commerce, and to justify corporate responsibility. Lastly, reflection rests on some essential concepts, such as multinational corporations, the American free−enterprise system, the international business system, and moral integrity.

1. Introduction

 

De 1996 à nos jours, la République Démocratique du Congo expérimente une tragédie caractérisée par la corruption systémique, les violences structurelles, les guerres ‘civiles’ décentralisées, le pillage des ressources naturelles, le dysfonctionnement des institutions publiques et la pauvreté abjecte. Certes, la plupart de ces phénomènes sociaux ne sont pas inconnus en Afrique centrale avant 1996. L’histoire du Congo durant les cinq derniers siècles le démontre. Considérons, en effet, les cinq dernières décennies de ce pays. En évaluant objectivement cette dernière période, on découvre, cependant, que les problèmes susmentionnés ont été considérablement développés, exacerbés, pendant  les vingt dernières années : l’ère de la démocratie et des seigneurs de guerres en Afrique. La description de ces problèmes pourrait contribuer à l’explication de l’ambivalence congolaise : la coexistence des richesses naturelles et de la misère socioéconomique. Parmi les facteurs explicatifs de cette tragédie congolaise, il y a le côté négatif de la mondialisation : la précipitation des réformes politiques et économiques, le développement des entreprises criminelles et le mouvement des seigneurs de guerres. Derrière ce mouvement, on remarque le désir cupide de contrôler illégitimement certains minerais recherchés tels que le Coltan, le Niobium, l’Etain, le Cuivre, le Cobalt, l’Or et le Diamant (voir les données bibliographiques).

 

L’évaluation de la tragédie congolaise reste à faire. Il n’existe pas encore d’études satisfaisantes sur ce thème. Pour être concret, voici néanmoins quelques données provisoires et partielles.Dans son interview accordée au journal Le Figaro le 17 juin 2006, William L. Swing, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Congo, dégage le tableau sombre de ce pays en ces mots :

 

 Le Congo […] est l’une des grandes tragédies de notre temps. Avec ses 4 millions de morts, ses deux guerres, ses 3 millions et demi des déplacés, ses milliers de victimes de mines antipersonnelles, son taux de VIH important. […] l’Afrique centrale est la seule partie du continent qui n’a jamais connu de stabilité politique.

 

Cette estimation  des morts a été plus tard actualisée par « Humanitarian Aid Group » à la suite de International Rescue Committee: passage de 4.000.000 à 5.400.000  des personnes mortes (Timberg 2008). En 2009, Transparency International estime que les deux Congo et l’Angola ont le même score d’indice de perception de la corruption : 1,9. 

 

Suivant l’abondante littérature publiée sur la tragédie congolaise postérieure à 1996, celle-ci doit être la conséquence des actions conjuguées de plusieurs agents comme certaines entreprises commerciales, quelques états modernes et les seigneurs de guerres africains : congolais, angolais, ougandais et rwandais, etc. En d’autres termes, nous avons ici des conflits d’intérêts, essentiellement économiquesdans lesquels ces personnes citées sont effectivement impliquées.

 

L’évocation de ces conflits et de leur impact en Afrique centrale nous amène à formuler quelques questions relatives à l’intégrité et à la responsabilité à l’ère de la globalisation du marché. Comment promouvoir l’intégrité morale dans les transactions commerciales internationales (TCI) de notre temps ? Comment procéder pour réduire les abus des entreprises sans scrupules sur le marché mondial ? N’est-il pas naïf de croire que les agents majeurs en ces transactions vont immédiatement changer de comportement? Peut-on discerner adéquatement la responsabilité de chaque agent social, surtout la personne morale, dans les sociétés contemporaines ?Quelle approche éthique suivre pour bien comprendre l’intégrité morale dans la vie organisationnelle ?

 

Pour répondre à ces questions nous allons d’abord exposer ce que nous entendons par le Système International des Affaires (SIA) et la question de l’intégrité en ce système. Nous examinerons ensuite la thérapeutique de Richard De George visant la promotion de l’intégrité dans les TCI  et la conception de cette valeur morale à la mode : l’intégrité. Nos réponses reposent essentiellement sur les études de De George et Robert Solomon. Toutefois, c’est l’approche éthique de ce dernier, l’éthique aristotélicienne des vertus, qui dirige la conception de l’entreprise, de l’intégrité et de la responsabilité dans les réflexions suivantes. Dans la conclusion, nous tâcherons d’indiquer brièvement certaines tendances convergentes entre ces deux penseurs sur l’intégrité morale dans les affaires.

 

Comme fil conducteur de ces réflexions, il y a deux petites questions, à savoir de quelle manière peut-on promouvoir l’intégrité morale dans les TCI au XXIe siècle ? et comment expliciter le concept d’intégrité morale ? Cet article consiste ainsi à décrire des mécanismes et stratégies propices à la culture d’intégrité morale dans l’entreprise et dans les échanges commerciaux de  notre temps. Il veut consolider les efforts destinés à humaniser davantage le processus de la globalisation du marché, à réduire les abus dans le commerce international et à affirmer la responsabilité de l’entreprise. Qui plus est, reconnaît-il le défi de repenser judicieusement le système de l’entreprise libre et de clarifier les valeurs morales pertinentes telles que la justice, la loyauté et la solidarité. Soutient-il, par ailleurs, la promotion et la protection des sociétés justes, bonnes, solidaires et responsables.

 

2. La problématique de l’intégrité dans le système international des affaires

 

Eu égard aux TCI de deux dernières décennies, le concept de SIA tend à induire en erreur. Le reprendre au pluriel pourrait sans doute bien traduire la réalité vécue. Chaque pôle commercial influant sur un nombre d’Etats donnés représente un SIA qui se démarque par deux types de faits : d’une part les valeurs socioculturelles et politico-économiques de leurs acteurs majeurs et, d’autre part, son pouvoir d’action sur les autres pôles ou de résistance à eux. Nous sommes ainsi en face de plusieurs systèmes commerciaux en interactions sur le plan international. Le concept de SIA retenu ci-dessus vise plutôt de telles interactions entre les différents pôles―tendant à se stabiliser ou se déstabiliser dans le processus de la globalisation des activités vitales―ou entre les différentes nations (De George 2006b: 511). Cette tendance globalisante serait inconcevable sans les actions puissantes des Institutions Financières Internationales (IFI), de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et des Firmes Multinationales (FM). Bien plus, importe-t-il de noter l’apport considérable des technologies de l’information (Castells 1998, 1999)[1].

 

En effet, nous allons tenter de décrire le SIA en partant du pôle Etats Unis d’Amérique (EUA) qui le domine. Nous traçons d’abord un tableau succinct du Système Américain de l’Entreprise Libre (SAEL) avant d’envisager les grands traits du SIA. L’analyse de De George sur cette question entraîne de facto deux thèmes de réflexion, à savoir les FM dans les pays en voie de développement et l’immoralité dans les TCI.

 

Suivant l’analyse de De George, le manque d’intégrité morale au sein des FM, surtout dans les pays en voie de développement, s’explique essentiellement par les faits suivants : le mythe de l’amoralité et les structures sociales qu’il a inspirées, le manque d’institutions de régulation et de contrainte sur le plan international et l’incapacité des pays en voie de développement de pouvoir contrôler et discipliner les FM. En d’autres mots, l’environnement du commerce international et les structures sociales de plusieurs nations sont favorables aux affaires amorales. Ils découragent de facto les initiatives volontaristes des entreprises décidées à observer les principes éthiques. L’illustration de cette analyse par un nombre important des crimes des FM dans les pays indiqués dévoile la face exécrable du SIA. Sur la liste des crimes revisités, nous avons entre autres la corruption, les produits défectueux ou inadéquats, l’extorsion des  terres ou leur achat d’une manière illégale, les transactions bancaires illégitimes et illégales, les tueries, le non respect des populations locales (leurs valeurs socioculturelles et politico-économiques), les catastrophes industrielles dues souvent à la négligence, l’exportation des produits et industries dangereux et le commerce des armes (De George 2006b, 1993a). Dans les pays développés, par contre, le comportement des entreprises est différent du fait qu’ils sont dotés d’institutions sociales de contrôle et de régulation du monde des affaires. Certes, le manque d’intégrité de ces entreprises est également une problématique majeure en ces derniers pays. Les scandales de certaines grandes entreprises américaines de 2000 à 2009 en donnent la preuve. Mais leurs dégâts sur les personnes humaines, les institutions publiques et l’environnement sont carrément différents.

 

A côté des mythes et métaphores  répertoriés, ―notamment les métaphores de la machine et celles de la guerre, et les mythes des affaires amorales, du profit et du grand méchant Etat, ―comme faisant partie  des traits principaux du SAEL, il existe aussi la justice (fairness), l’égalité des chances, le pragmatisme, la liberté et l’efficience (De George 2006b: 9 et10 ; Stiglitz 2003: 451-452 ; Solomon 1993: 26-45). Bien plus, le SAEL est dépendant du système sociopolitique des EUA et pourvu de mécanismes juridiques et institutionnels suffisants pour le canaliser moralement et légalement. En d’autres termes, ce système économique[2] est régulé aux EUA, il n’échappe pas aux mécanismes de contrôle du gouvernement et d’autres institutions sociales américaines. Pour le différencier du SIA, De George met en relief deux caractéristiques marquantes : 

 

Le système américain comprend beaucoup de contraintes sur la formation du monopole, l’exploitation, la tromperie, la fraude et sur plusieurs  autres maux contre la société, l’environnement, les consommateurs et sur les travailleurs, maux que le capitalisme non contrôlé tend à infliger. Le gouvernement canalise la concurrence et intervient dans le système de différentes manières et à différents niveaux afin de prévenir les abus et de garder les cycles du boom et de la faillite dans les limites restreintes. Un tel mécanisme ne fonctionne pas sur le plan international. En second lieu, le système économique américain fonctionne dans un contexte social et politique spécifique de sorte que ceux qui ne peuvent pas entrer en compétition ne sont pas simplement abandonnés à la mort. Du plus au moins riche au plus ou moins pauvre, les Etats-Unis appliquent un système minutieux de redistribution économique : des moyens institutionnels pour pourvoir à l’éducation, aux routes, aux jardins publics et à d’autres biens publics. Ce système de redistribution comprend également une couverture (sécuritaire) de bien-être destinée à aider ceux qui ne peuvent pas entrer en compétition ou qui échouent désastreusement. Sur le plan international, les pays ou les hommes qui ne peuvent pas entrer en compétition sont pour la plupart laissés seuls, dès lors qu’aucune couverture (sécuritaire) de bien-être international ou système de redistribution n’existe  (De George 1993a : 28, 2006b : 155-160).

 

Néanmoins, ces mesures de contrainte et de contrôle n’arrivent pas à déraciner les causes de l’immoralité ou à promouvoir la culture d’intégrité dans les FM américaines dans leur pays d’origine, dans les pays en voie de développement et ailleurs. Le SAEL hésite encore à divorcer de la culture de l’amoralité. D’où l’appel de De George au changement sur deux plans : moral et structurel. Il soutient toutefois que ce système n’est pas « intrinsèquement immoral ». Le changement proposé consiste à expulser le vice de l’organisme social. En effet, il examine la critique marxiste et non-marxiste du capitalisme américain et aboutit au résultat suivant après avoir présenté une « défense morale » du SAEL:Bien qu’il ne soit pas parfait et qu’il puisse être amélioré, le système américain de l’entreprise libre est la meilleure alternative actuellement disponible pour nous. Telle est la conclusion tirée par la plupart d’Américains (De George 2006b : 173).

 

Cette assertion est au cœur de sa pensée. Pour clarifier sa position, il décrit trois approches du changement de ce système, à savoir celles du « mouvement libertarien » et de la « démocratie des travailleurs » et l’approche connue sous le nom de « changement graduel ». Sa préférence porte sur cette dernière approche de changement qui réunirait, selon lui, un grand nombre d’Américains. Il soutient que: 

 

 L’alternative réelle pour notre système américain actuel ne consiste pas dans un changement intégral. Ce qui est plus probable à réussir,  c’est le changement graduel : corriger les maux là où il est possible, bannir/ ou proscrire les pratiques immorales et rendre effectifs les changements structurels promouvant la conduite morale. Le capitalisme américain peut devenir plus moral qu’il n’est et notre tâche, à nous tous, consiste à effectuer les changements demandés là où et comme nous pouvons. Une des fonctions de l’éthique des affaires est d’examiner minutieusement les pratiques et les structures du système économique américain du point de vue moral, d’identifier celles qui sont immorales et de proposer les alternatives morales préférables là où c’est possible  (De George 2006b: 178, 618, 620 et 622).

 

Le changement envisagé par De George pour le SAEL et le monde des affaires en général semble suivre une logique qui consiste à défendre ce qui existe déjà tout en l’adaptant au nouveau contexte. Aussi bien aux EUA que dans le monde entier, le système actuel de l’entreprise libre lui apparaît préférable à tous les autres projets disponibles. Une fois ce système corrigé par l’intégration des valeurs et principes éthiques et par le changement dans les structures institutionnelles, il peut répondre aux besoins de l’humanité. Le changement ainsi voulu à ce niveau est principalement politique: « Quoique les multinationales soient des actrices majeures dans ce scénario, les changements exigés sont principalement des changements dans les structures politiques, lesquelles relèvent des gouvernements et non des entreprises » (De George 1993a : 33).

 

L’approche de changement du système des affaires et celle de la conception du raisonnement éthique épousent une seule logique : la correction. Depuis quelques décennies, l’influence du SAEL dans le SIA est trop visible, ce système tend même à s’imposer par force malgré la résistance des autres pôles : pressions diplomatiques, politiques et économiques. Le processus de globalisation du marché aidant, les barrières entre les systèmes nationaux des affaires  ne cessent de se réduire. En fait, observe De George, le système américain des affaires et le système international des affaires sont inextricablement unis. Ceci signifie que l’éthique dans les affaires internationales entraîne l’éthique dans les affaires américaines et vice versa (De George 2006b : 541).

 

L’influence américaine sur et dans les autres systèmes commerciaux est surtout l’œuvre de ses FM. Sans négliger les FM nipponnes, canadiennes, allemandes et françaises, entre autres, De George limite son analyse aux entreprises américaines « en partie parce qu’elles étaient parmi les premières  et parce qu’elles soutenaient le poids de la critique dans les années 1960 et 1970 (De George 2006 : 515).

 

Cet échantillon permet d’esquisser une analyse claire et concise, capable d’éclairer la réflexion sur le SIA. Par rapport au SAEL, celui-là est dépourvu d’outils adéquats de régulation, de restriction et de contrôle des FM. Il manque en outre des mécanismes juridico-administratifs pour assurer et garantir la justice sociale. Autrement dit, le SIA a tellement besoin des institutions internationales de base canalisant les affaires et de l’intégration de l’éthique dans ses structures organisationnelles. On pourrait ainsi comprendre l’environnement dans lequel les FM considérées travaillent dans les pays en voie de développement, lesquels en sont des grandes victimes mises en relief  en cette analyse. Le manque d’intégrité de ces entreprises peut en fait s’expliquer par deux variables dégagées, à savoir les mythes et métaphores cités et l’absence du pouvoir de contrainte et de contrôle sur le plan international et national (dans les pays en voie de développement) (De George2006b : 511-528 ; 1993a : 29-32). On comprend dès lors―suivant cette analyse―que le SIA est dominé par la conception américaine des affaires et l’action des FM définies.

 

Pour limiter les dégâts des FM sans scrupules et promouvoir l’intégrité dans le SIA, De George invite les agents de ce système, spécialement les nations et les FM, à s’inspirer des institutions de base du SAEL. Ces agents devraient par conséquent observer rigoureusement les valeurs suivantes afin d’opérer un changement notable : la justice, la culture de la négociation, la coopération et le respect mutuel. Ce projet de réforme douce annonce anticipativement les exigences de l’intégrité et les outils requis pour garantir leur effectivité une fois qu’elles sont acceptées. Il rejette l’impérialisme, l’unilatéralisme et autres méthodes visant à contourner les principes de justice et de participation dans l’organisation du marché international (De George 1993a : 34-35).

 

Qu’est-ce qui est substantiellement reproché aux FM dans les pays en voie de développement ? D’abord convient-il de ne pas oublier les abus susmentionnés et la critique courante de l’économisme globalisant et de ses institutions majeures. Pour De George, trois critiques  majeures sont retenues à la charge des entreprises multinationales. Ce sont:

 

 (1) les entreprises multinationales opèrent immoralement dans les pays en voie de développement en exploitant les travailleurs, en exploitant les ressources naturelles et en tirant des profits exorbitants ; (2) elles concurrencent inéquitablement en ces pays au détriment des pays hôtes, et (3) elles constituent une cause majeure de l’appauvrissement des pays en voie de développement et de troubles rencontrés en ces pays  (De George 2006b : 515).

 

Il évalue froidement cette accusation avant de préciser son avis personnel. En fait, il accepte avec nuance les données essentielles de la critique tout en l’atténuant considérablement. Néanmoins, l’appréciation achevée de cette critique ne peut résulter que des études empiriques pluridisciplinaires. Elle demande par ailleurs l’emploi des méthodes interdisciplinaires. Un travail à faire. De George rejette toutefois l’argument selon lequel le SAEL dépend de l’exploitation des pays en voie de développement. Cette critique lui crée un espace pour réaffirmer la logique sous-tendant le projet de sa réforme:

 

 Comme dans notre analyse du système de l’entreprise libre aux Etats-Unis, les arguments que les critiques soutiennent ne montrent pas que l’extension de ce système à travers les multinationales contrôlées par l’Amérique est intrinsèquement immoral (De George 2006b : 520).

 

3. Intégrité dans les transactions commerciales internationales: la thérapeutiquede De George

 

La thérapeutique à administrer à cette situation désastreuse dans les pays en voie de développement, et dans le commerce international, comprend selon De George trois actions, à savoir l’intégration de l’éthique dans les affaires, l’établissement systématique des institutions de base adéquates et la vigilance des citoyens hostiles aux crimes économiques. Cette thérapeutique comporte la conjonction de l’autorégulation et de la régulation publique[3]. Elle exige également des méthodes rigoureuses pour évaluer la moralité des actes humains. Qu’est-ce que De George entend par intégrité morale qu’il propose à l’entreprise ? Son analyse présente en effet une conception pratique de cette catégorie morale. Il y a chez lui une tendance d’expliquer l’intégrité par la moralité (Audi & Murphy 2006: 7, Brown 2005:4-5), celle-ci étant entendue dans ses différentes dimensions―personnelle et sociale, normative et idéale. Qui plus est, il met en évidence la logique interne de l’agent moral―la conformité des actes aux valeurs affichées ou tenues pour essentielles―et le contexte  d’effectuation qu’on pourrait généralement définir par l’entreprise, le commerce international, et la diversité culturelle. De George semble légèrement s’accorder avec les défenseurs de l’éthique des vertus en reconnaissant la corrélation entre l’intégrité individuelle et celle de l’organisation. Pour expliquer ce concept, il écrit:

 

Agir avec intégrité est la même chose qu’agir moralement (…). Agir avec intégrité signifie à la fois agir conformément à ses plus hautes normes de comportement acceptées par soi-même et imposer à soi-même les normes exigées par l’éthique et la moralité ». (…) L’intégrité demande que les normes soient non seulement imposées par soi-même mais aussi qu’elles soient moralement justifiables, propres et intégrales pour le processus imposé par soi-même de former un ensemble ayant une série de valeurs positives (De George 1993a : 5-6, 25).

 

Nous pouvons dès lors comprendre à la suite de De George que l’intégrité morale ainsi conçue requiert des valeurs sans lesquelles elle n’existerait pas. Ce sont la cohérence, la justice, l’imagination, le courage, l’empathie, le respect des peuples et de leurs cultures, et l’application judicieuse du raisonnement. Dans la suite, nous allons revenir sur cette description afin de souligner la richesse de la conception de l’intégrité comme vertu morale. Bien plus, nous devrions garder à l’esprit que ces valeurs susmentionnées sont inestimables dans la vie des affaires. L’effectivité de l’intégrité morale demande par ailleurs quelques instruments d’appui tels que la technique de déplacement éthique dans l’évaluation morale, des principes directeurs, des stratégies d’action dans un environnement corrompu, des institutions de base et des citoyens  vigilants organisés. Tant sur le marché local que sur le marché international, ces outils―dans la mesure où ils sont bien utilisés―créent un environnement favorable à l’intégrité, à la justice et à la paix sociale. Insistant sur le rôle de la personne humaine dans les organisations et sur celui des institutions considérées, De George note :

 

Le niveau moral atteint dans les affaires internationales sera le reflet de la moralité de ceux qui sont engagés dans de telles affaires. Jusqu’ici finalement, l’équité et la justice  globale exigeront non seulement des hommes d’affaires honnêtes mais aussi des institutions de base justes permettant à tous d’entrer en compétition suivant les mêmes conditions et pourvoyant aux besoins de ceux dont le système  international des affaires ne  bénéficie pas (De George 2006b : 543).

 

 

La finalité assignée aux institutions de base se définit dans les termes suivants: 

                                              

Faire et garder la compétition équitable, protéger les droits de tous et exclure (ou prévenir) la domination des faibles et pauvres par les riches et forts ». [cette finalité] consiste à promouvoir les conditions équitables de la concurrence et à contrebalancer la puissance des banques et entreprises multinationales par les forces globales et internationales comparablement solides : sur les plans économique, politique et social (De George 2006b : 98, 1993a : vi, 56). 

 

La critique des mouvements sociaux contre l’immoralité des FM dans les pays en voie de développement et dans les TCI paraît valider ce projet de De George. Bien plus, celui-ci reconnaît que l’effectivité de telles institutions et de l’intégrité morale dans une société ou dans un système commercial dépend aussi et surtout de la vigilance des citoyens, lesquels sont déterminés à contrôler les détenteurs du pouvoir politique et économique dans leur société (De George 2006b : 537). La responsabilité morale de chaque personne et de chaque pays dans la réforme morale du SIA est ainsi soulignée. Une pareille réflexion jette la lumière sur les nouvelles tâches de partenaires de l’entreprise dans leurs sociétés respectives. On ne peut définir concrètement ces tâches qu’en se situant dans un milieu socio-économique précis du XXIe siècle. Les nations, les ONG, les associations des travailleurs, les actionnaires, les militants des droits et devoirs humains, etc sont par conséquent conviés à participer activement au projet de construire des sociétés bonnes.

 

Avant de présenter les principes directeurs et stratégies proposés par De George en vue de servir l’intégrité dans les TCI, il convient de souligner la technique de déplacement éthique. Cette technique consiste à examiner méticuleusement un dilemme moral en tenant compte de sa relation de causalité ou de son lien possible avec chaque partie agissante dans la structuration sociale. Elle «opère à tous les niveaux et entretous les niveaux ». La découverte des facteurs générateurs d’un dilemme dans les affaires entraîne souvent des actions de réforme des structures. La technique a le mérite de montrer que le lieu de surgissement d’un problème moral (p. ex. l’individu, l’équipe de travail, ou l’entreprise) n’est pas nécessairement le lieu de sa source.  Autrement dit, les solutions requises pour résoudre le problème en question regardent davantage ce dernier, l’agent générateur. La qualité de telles solutions dépend de l’ouverture de l’analyste, de ses capacités de compréhension et d’imagination et de son appréciation des faits. Par conséquent, De George soutient  que L’imagination morale est l’élément clé dans la technique de déplacement éthique (De George 1993a : 99-110). Le cas de la corruption systémique dans un pays ou une entreprise valide  cette technique. Les problèmes environnementaux et écologiques pourraient soutenir cette validité. Solomon abonde en ce sens en examinant la problématique de la responsabilité sociale de l’entreprise (Solomon 1997a : 211-212).

 

La pertinence de cette approche dans l’analyse et la résolution des problèmes éthiques dans les TCI n’est plus à démontrer. Pour approfondir la normativité morale des FM dans les pays en voie de développement, De George étend sa réflexion sur leur responsabilité en ces pays. L’analyse des cas déplorables de quelques entreprises comme Nestlé, la Banque de Crédit et du Commerce International (BCCI) et Union Carbide de Bhopal lui sert de pièce à conviction. En fait, la catastrophe humanitaire et industrielle de Bhopal (Inde) semble due à la négligence des exigences techniques des industries biochimiques. L’événement eut lieu le 3 décembre 1984. L’accident causa la mort d’environ 3.500 personnes et plus de 200.000 blessés (De George 1993a : 80-95). Il importe aussi de connaître les conséquences du comportement de Nestlé sur la société comprenant les consommateurs de ses produits (De George 1993a : 64-65) et l’impact des abus de la BCCI dans les cinq pays suivants : le Cameroun, le Nigeria, la Sierra Leone, le Botswana et le Zimbabwe (De George 1993a : 68). L’évaluation morale de tels cas semble justifier la raison d’être et l’adoption de dix principes directeurs suivant dans la pratique des affaires :

 

(1) Les FM ne devraient causer aucun tort intentionnel direct,

(2) Les FM devraient produire plus de bien que de mal pour le pays hôte,

(3) Les FM devraient contribuer par leurs activités au développement des pays hôtes,

(4) Les FM devraient respecter les droits humains de leurs travailleurs,

(5) Jusqu’au point où la culture locale ne viole pas les normes éthiques, les FM devraient respecter cette culture, travailler avec et non contre elle,

(6) Les FM devraient payer leur portion juste de taxes,

(7) Les FM devraient coopérer avec le gouvernement local dans le développement des institutions de base justes et dans leur respect,

(8) L’autorité majoritaire d’une firme supporte avec elle la responsabilité éthique relative aux actions et défauts de cette firme,

(9) Si un FM construit une usine hasardeuse, elle a l’obligation de s’assurer que cette usine est à l’abri de dangers et qu’elle est dirigée en sécurité

(10) En transférant la technologie hasardeuse aux pays en voie de développement, les FM ont la responsabilité d’adapter convenablement une telle technologie afin qu’elle puisse être administrée en sécurité dans le pays hôte(De George 2006b : 521-523, 1993a : 45-56 et 90-93).

 

Ces principes[4]peuvent servir de guide dans la conduite et l’évaluation des actions des FM sur le marché international et surtout dans les pays considérés. Leur description laisse voir explicitement une certaine relation d’implication entre eux. Ils sont à considérer comme le développement rationnel de la norme reprise dans la thèse de De George selon laquelle l’obligation morale principale des affaires est de ne causer du tort à aucun de ceux qui sont affectés par leurs actions.

 

A ces dix normes éthiques, De George ajoute dix stratégies à utiliser dans un environnement corrompu ou malsain, stratégies ne constituant pas une solution ultime à la corruption, mais pouvant aider les entreprises à bien résister contre elle :

 

(1) En répondant à une activité immorale, ne viole pas les vraies normes et valeurs que tu cherches à préserver et par lesquelles tu juges les actions de tes adversaires d’être immorales,

(2) Dès lors qu’il n’y a pas de règles spécifiques pour répondre à un adversaire immoral, utilise ton imagination morale pour réagir moralement,

(3) Lorsque ta réponse à l’immoralité entraîne la revanche ou la force justifiable, applique le principe de retenue et compte sur ceux qui ont le pouvoir légitime d’utiliser la force,

(4) En mesurant ta réponse à un adversaire immoral, applique le principe de proportionnalité,

(5) En répondant aux forces immorales, applique la technique de déplacement éthique,

(6) En répondant à un adversaire, un système ou à une pratique immorale, utilise la publicité pour souligner les actions immorales,

(7) En répondant à un adversaire immoral, cherche des actions solidaires (avec d’autres) et travaille pour la création de nouvelles institutions  et structures légales, sociales ou populaires,

(8) En répondant à une activité immorale, sois prêt à agir avec courage moral,

(9) En répondant moralement à un adversaire immoral, sois préparé à payer un prix―souvent un grand prix

 (10) En répondant à une activité immorale, applique le principe de responsabilité (accountability )(De George 1993a : 114-120).

 

Si les entreprises étrangères peuvent éviter les pays corrompus, les entreprises locales prendraient difficilement une telle option. S’il s’avérait impossible d’éviter ces pays, les entreprises seraient alors appelées à adopter ces stratégies qui peuvent conduire aux solutions appropriées.

 

Ce qui précède donne une idée claire du SAEL et du SIA. Mais la description de ces deux systèmes n’est pas achevée : le détail manque. La représentation de l’interaction sociale à chaque niveau, local, régional et global, reste à faire. La compréhension du SAEL requiert, en effet, une analyse méticuleuse de la société américaine, laquelle analyse doit souligner tous les agents influents dans la vie organisationnelle américaine. Ce type d’analyse doit également s’appliquer au SIA. L’analyse de De George semble être marquée par son attachement au système économique américain et à sa perspective méthodologique. Il importe de le savoir. Par ailleurs, l’évaluation morale de ces deux systèmes exige la connaissance d’au moins quatre paramètres des pays qu’ils couvrent : ce sont des paramètres sociopolitique, économique, administratif et culturel. Bien plus, le moment n’est-il pas venu d’examiner d’autres types d’entreprises tels que les FM européennes, indiennes, russes, chinoises et sud-africaines ? N’est-il pas opportun d’esquisser la culture du système de l’entreprise libre dominant dans les nouvelles puissances économiques comme l’Afrique du sud, l’Inde et la Chine ?

 

Les outils suggérés par De George peuvent réellement participer à la promotion de l’intégrité morale sur le plan international. De George interpelle, en fait, les hommes d’affaires et les leaders sociopolitiques, surtout ceux des pays en voie de développement. Les tentatives d’application des conventions multilatérales et globales contre la corruption et les autres crimes socioéconomiques pourraient enrichir les réflexions éthiques visant la réduction des abus dans le commerce international et dans les états du XXIe siècle. Bien qu’on ne soit pas tenu de souscrire à l’approche méthodologique de De George, la déontologie et l’utilitarisme, ou de suivre son point de vue, on ne pourrait pas ignorer la pertinence de son projet éthique décrit : l’idéal que ce projet trahit. Avec Solomon nous allons souligner la nécessité d’aller au-delà du légalisme moral grâce à une bonne intelligence de l’intégrité comme vertu morale. Solomon n’accepte pas ainsi les perspectives déontologique et utilitariste. Cependant, ces deux penseurs aident à comprendre que les instruments politico-administratifs et éthiques destinés à promouvoir des organisations intègres se complètent et se nourrissent mutuellement.

 

Ces quelques réflexions sur le système international des affaires devraient effectivement interpeller les leaders sociopolitiques et économiques d’Afrique centrale. Elles devraient aussi inspirer des nouvelles études dans les centres de recherches  de cette région. Par ailleurs, ces réflexions tentent de dégager la pertinence de l’éthique dans le milieu des affaires et dans la vie organisationnelle. Qui plus est, il importe de noter que des bons projets d’intégrité supposent une bonne connaissance de ce concept moral, l’intégrité, et ses implications dans la vie concrète. Dans la perspective téléologique aristotélicienne adoptée, l’intégrité appelle l’idéal moral, le holisme et le bon jugement ; elle reconnait une dynamique entre le pôle de la normativité et celui de l’idéal. Ce que De George n’a pas manqué de souligner sans, pourtant, sortir de son système de raisonnement.

 

Remarquons, toutefois, avant de traiter le thème suivant, que l’établissement des institutions globales justes ayant pour mission la défense de la culture d’intégrité demeure un projet à long terme. Mais, ce projet n’est-il pas utopique ?  Est-il possible de discipliner les agents actifs dans les transactions internationales ? Il est encore tôt de juger. Cependant, Muchlinsk (2004 :104) nous prévient en montrant que la nation reste encore le seul paradigme pertinent dans la régulation des transactions commerciales. L’échec de l’OCDE à discipliner les FM de ses pays membres et la critique dressée contre les institutions publiques internationales pourraient  étayer cette opinion.

 

 

 

 

4. La vertu d’intégrité : un essai de clarification conceptuelle

 

L’étude de Solomon comporte un riche tableau diversifié de vertus significatives dans le monde des affaires. On peut en fait citer, à titre d’exemples, la confiance, la fiabilité, la crédibilité, la justice, la loyauté, le courage moral, l’honneur et la responsabilité. Sans la pratique de ces vertus, le fonctionnement des affaires devient impossible. Solomon distingue par ailleurs les vertus fondamentales des affaires―l’honnêteté, l’équité, la confiance et la ténacité (la force morale)―de vertus de l’entreprise qui sont l’amitié (et l’amabilité), l’honneur, la loyauté et le honte (Solomon 1993 : 207-224). La réflexion sur le rôle (fonction, image et influence) d’un agent dans l’entreprise et sur l’excellence dans les affaires dégage d’une part l’idéal moral et les valeurs requises pour tenter de le réaliser. Aussi comporte-t-elle d’autre part les différents conflits possibles auxquels est confronté tout travailleur afin de bien coordonner trois types essentiels de valeurs : les siennes propres, celles de l’entreprise et celles de la société politique. L’exemple des conflits potentiels entre les vertus dans des situations concrètes est très éclairant. L’intégrité morale peut, en effet, engendrer chez le travailleur qui l’exerce des capacités et réflexes appropriés pour accepter ces conflits et les maîtriser. Considérée comme une valeur morale plurielle comparable à un organe de coordination, l’intégrité est définie par Solomon en ces termes concis : « L’intégrité (…) est la clé pour l’éthique aristotélicienne (…) elle est comme la base de toutes les vertus, la clé de leur unité ou, en conflit et désaccord, l’ancre contre la désintégration personnelle » (Solomon 1997a : 215-216, 1993 : 168).

 

Les vertus suivantes, par exemple, tendent à exprimer ce qu’est l’intégrité sans toutefois prétendre épuiser son champ sémantique : l’honnêteté, la loyauté, le résister, la flexibilité (la soumission) et l’écoute ou l’attention. L’intégrité suppose aussi le caractère, le courage moral et une vision intégrative de la vie. Par contre, elle s’oppose aux comportements suivants : l’hypocrisie, l’opportunisme, et le caméléonisme.  Elle se produit, par conséquent, dans la jonction créatrice (souvent difficile) des valeurs sociales et individuelles, dans le dialogue continue entre l’indépendance personnelle et la dépendance sociale dans une communauté particulière définie. Cette conception de l’intégrité est axée sur deux variables qui traversent toute la réflexion sur l’entreprise comme une communauté : la relation personnelle (ad intra) et la relation interpersonnelle (ad extra), relations situées dans un environnement naturel, la notion de personne étant entendue sous l’angle physique et moral. Dans son interprétation de l’intégrité en rapport avec les conflits susmentionnés (dans l’entreprise), Solomon la rapproche du courage moral :

 

Le courage moral est non seulement le sine qua non de la grandeur mais aussi bien de l’intégrité ordinaire. En effet, c’est l’intégrité se suffisant sous des circonstances dures. Le courage moral comprend la compréhension de la grande image, la finalité de l’organisation et les voies dans lesquelles l’organisation, ou une de ses parties, contrecarre ses propres meilleures intentions. Cela signifie maintenir ces meilleures intentions, tenir compte d’une plus grande loyauté que celle de ses supérieurs immédiats ou même, occasionnellement du Directeur général. (…). Le courage moral, c’est l’intégrité sous le feu  (Solomon 2003a:39, 1993:168-173,264).

 

L’analyse critique de l’intégrité par Audi & Murphy, d’une part, et celle de Brown, d’autre part, apportent un éclairage de taille. Ces trois auteurs reconnaissent la qualité de l’apport de Solomon à la bonne compréhension de l’intégrité. Mais ils ne sont pas satisfaits de son explication. D’où l’intérêt d’intégrer les résultats de leurs recherches. Ont-ils dépassé leur prédécesseur ? L’analyse suivante va répondre à cette question. Les deux premiers auteurs distinguent l’aspect intégratif de l’aspect intégral de l’intégrité et essaient de montrer ses multiples facettes dans les deux cas (Audi et Murphy 2006: 3-21). Tandis que le dernier dégage cinq dimensions de l’intégrité de l’entreprise qui dévoilent concrètement sa signification.

 

Compte tenu des phénomènes délictueux évoqués ci-dessus, le thème de l’intégrité attire l’attention de beaucoup de chercheurs dans les sciences sociales, philosophiques et économiques. Sans mettre en cause la pertinence de ce thème dans le monde des affaires, Audi et Murphy remarquent des déficiences dans sa conception et  son interprétation. En effet, sa conception et sa description dans la littérature récente examinée manquent de clarté voulue, de finesse et de spécificité requise : elles ne sont pas tranchantes. D’où la détermination de ces deux auteurs à contribuer à la bonne définition et compréhension de ce concept :Fournir une structure qui puisse aider aussi bien les chercheurs que les administrateurs à faire appel à l’intégrité de manière plus claire et plus effective. Ainsi distinguent-ils d’abord dans l’intégrité le sens intégratif du sens intégral. Le premier se rapporte aux vertus auxiliaires qui ne sont pas moralement bonnes en elles-mêmes. Quant au second sens, il concerne les vertus substantives qui sont moralement bonnes en elles-mêmes. Le courage et la conscience exemplifient la première catégorie tandis que l’honnêteté, la sincérité et l’équité (justice), la seconde. Les vertus de la première catégorie sont reconnues importantes pour l’effectivité de l’idéal moral, elles renforcent les vertus substantielles ou essentielles. Pour conclure leur pensée, Audi et Murphy soutiennent:

 

Nous avons noté deux espèces d’utilisation de ce terme. L’une est large, le sens intégrationnel, suivant lequel l’intégrité correspond à une certaine forme d’unité du caractère. L’autre traduit le sens ‘aretaique’, selon lequel l’intégrité s’identifie soit aux vertus morales spécifiques, soit à la vertu morale en général. Suivant le premier sens, large, l’intégrité est une notion importante pour renforcer les autres notions les plus claires et les plus familières, lesquelles représentent les normes de travail quotidiennes de moralité(Audi et Murphy 2006 : 16).

 

Cette analyse a le mérite d’insister sur la bonne intelligence de l’intégrité en distinguant ses principales formes et ses multiples facettes. Si nous voulons réellement produire des instruments appropriés pour combattre l’immoralité dans les affaires, nous ne pouvons pas négliger cet effort de compréhension.

 

Audi et Murphy attirent également notre attention sur l’ambiguïté de certaines vertus telles que le courage. Cependant, leur analyse semble négliger la nature des vertus telle qu’elle a été examinée par Solomon à la suite d’Aristote (Solomon 1993 :193−202). La notion du contexte, la relation entre les vertus et la critique de la morale conçue sous forme de lois ou principes pourraient nous aider à bien interpréter le courage comme vertu.

 

On pourrait aussi revisiter la discussion d’Aristote sur la vertu morale de courage, dans son troisième livre (Aristotle 1996 : 65-72). Préoccupés par le même souci de clarification des concepts en éthique, Naughton & Cornwall dégagent la portée sémantique de la vertu de courage dans une perspective catholique, redevable à Aristote. Le courage est vu, d’une part,  en rapport avec les sentiments de peur du mal―du péché et de l’indignité―et de l’amour pour quelque chose. D’autre part, il est analysé dans son interconnexion avec les trois autres vertus cardinales (la prudence, la justice et la tempérance) et avec la magnificence (une forme de courage). Sous ses deux formes (de vertu cardinale et de magnificence), la vertu de courage est retenue parmi les vertus morales d’Aristote telles que nous les retrouvons dans les III et IV de l’Ethique à Nicomarque. Suivant la tradition morale catholique, Naughton et Cornwall reconnaissent la moralité du courage comme vertu :

 

 (…) le courage est une vertu morale, laquelle est une qualité interne qui perfectionne notre capacité de bien choisir. En particulier, le courage est un trait de caractère développé  par la pratique qui permet à chacun de persister volontairement en face de la peur et de la douleur pour l’amour des bonnes fins. Parce que le courage est dirigé à une « bonne fin », il sera toujours dépendant d’autres vertus. (…). Dans la tradition catholique, le courage est incompréhensible sans ces vertus, parce que les vertus comme un tout constituent ce qui approvisionne ou nourrit l’intégrité, l’unité de soi, qu’on ne peut pas réduire à l’avoir et au faire (…)(Naughton et Cornwall 2006: 74-75).

 

En effet, nous ne croyons pas avoir résolu l’ambiguïté du courage pris dans son sens général. Il reste néanmoins que sa moralité ne peut se comprendre en dehors du contexte et de motivations personnelles. En dernier ressort, il convient de se distancier aussi bien de la négation  de toute vertu de courage que de l’affirmation de la moralité de tout acte de courage.

 

Dans leur évaluation de la conception de l’intégrité par Solomon, entre autres, nous retenons particulièrement un point remarquable : le plus d’accentuation sur le sens intégratif (unification ou coordination des vertus) que sur le sens intégral. D’où le rapprochement de l’intégrité au courage moral. Notons toutefois que les deux aspects de l’intégrité sont décrits chez Solomon. Suivant sa perspective, il ne serait pas superflu de rappeler ceci : étant un produit de l’histoire et marqué par elle, un concept ne peut bien s’interpréter que dans un contexte. C’est dans ce sens qu’il sied de lire l’accentuation placée sur l’un ou l’autre sens de l’intégrité sans vouloir opposer ou séparer ses différentes dimensions, encore moins effacer certaines. Une telle lecture permet de découvrir la pertinence de l’approche de Solomon en cette période caractérisée par la globalisation du marché.

 

De son côté, Brown examine l’intégrité de l’entreprise, dans une perspective civique, reconnaissant l’entreprise comme un membre de la société civile et ses membres comme des citoyens. Le paramètre relation qui traduit une des caractéristiques majeures de la société humaine lui permet de bien rendre compte de l’intégrité. De son enquête critique sur les différentes significations de ce concept dans la littérature récente, il résulte une synthèse en quatre orientations sémantiques, à savoir la consistance (l’individu), la conscience relationnelle, l’inclusion ou l’intégration des approches éthiques dans la pratique des affaires[5] et la poursuite d’une riche finalité. Pour Brown, prises ensemble, ces quatre orientations nous donnent « une notion consistante » de l’intégrité. Mais il souligne l’importance de la relation dans l’entreprise :

 

Parce que l’entreprise se compose de multiples relations, le sens relationnel domine. Les autres sens (…) ne sont pas loin derrière. Les relations les plus significatives se produisent en cinq dimensions de la vie de l’entreprise : culturelle, interpersonnelle, organisationnelle, civique et naturelle. Chacune de ces dimensions peut soit bloquer l’intégrité de l’entreprise, soit la permettre(Brown 2005 : ix-x).

 

Cette conception de l’intégrité intègre l’entreprise et ses membres dans la société civique (ou politique) et dans la nature. Elle requiert donc le sens de responsabilité ou le soin de la relation vitale à quatre niveaux : personnel, interpersonnel, civique et écologique. La relation à l’autre, personne physique ou morale, organisation privée ou publique, suppose le respect des différences, la nécessité du dialogue et le sens de responsabilité (Brown 2005: 2-13).

 

L’étude de Brown est antérieure à l’analyse critique d’Audi et Murphy notée ci-dessus. Ces deux études ouvrent pertinemment un débat critique sur la conception de l’intégrité et d’autres vertus morales. Elles apportent un développement intéressant des idées bien esquissées par Solomon sur ce thème en vogue non seulement en éthique appliquée mais aussi dans le mouvement anti-corruption. Quant à l’enquête de Naughton et Cornwall, elle souligne l’importance du courage dans la dynamique interactive des valeurs morales, rappelle la tradition de l’éthique chrétienne et tendent, par ailleurs, à renforcer la pensée de Solomon sur l’intégrité. En effet, reprenant autrement sa pensée de 1993, Solomon écrit en 2003:

 

Le mot intégrité signifie totalité ou intégralité, intégralité de vertu, totalité comme une personne, totalité dans le sens d’être une partie intégrale de quelque chose plus large que la personne―la communauté, l’entreprise, la société, l’humanité, le cosmos. (…) L’intégrité  comme « totalité » a simplement autant à faire avec ses connexions cohérentes et ses relations avec les autres personnes et institutions qu’avec ses relations à soi-même (Solomon 2003 : 38-39).

 

Cette description ne laisse plus de doute sur le rapprochement de vues entre Solomon et les cinq auteurs considérés, au moins sur l’essentiel. Toutefois, c’est Solomon qui donne une description détaillée, nuancée et fine de l’intégrité dans le monde des affaires et dans l’entreprise.

 

5. Conclusion

 

Les trois thèmes développés en cet article renferment un ensemble des réponses aux questions de son introduction. Les réflexions présentées permettent en effet de bien comprendre la problématique de l’intégrité morale dans les TCI, les conditions de base dans les tentatives de réduire les abus en ces transactions, et l’intégrité morale. Elles semblent d’autre part expliquer deux questions pertinentes  à examiner dans un avenir proche, à savoir la responsabilité morale et le respect de l’autre, personne physique ou morale, dans l’interaction sociale, locale et globale.

 

Qui plus est, quoiqu’il reconnaisse le désir manifeste (dans plusieurs organisations internationales) d’éradiquer les crimes politiques et économiques dans le SIA, cet article se veut être prudent. La promotion de l’intégrité en ce système demande des ressources adéquates, du temps et un engagement résolu des principaux agents sociaux, aussi bien au niveau local qu’international. Nous croyons, d’autre part, que sans la maîtrise et la modération de la concurrence commerciale sous ses différentes dimensions, politiques, économiques, médiatiques et militaires, le changement désiré de ce système ne verra pas le jour. Grâce à la définition de l’intégrité morale retenue, dans la perspective aristotélicienne, cet article démontre par ailleurs la nécessité de clarifier les valeurs morales que nous défendons. A titre d’exemples, on peut citer: la générosité, la loyauté et la solidarité (Ntamwenge 2008: 9).

 

En effet, l’intégrité morale transcende la normativité morale et légale, elle appelle une culture et une spiritualité conséquentes et une bonne connaissance des situations particulières. Les réflexions réunies autour de cette valeur humaine laissent voir quelques tendances convergentes entre De George et Solomon sur les six thèmes suivants : (1) le respect de l’autre dans les affaires, (2) la prééminence de la personne humaine par rapport au profit, (3) la complémentarité entre la régulation et l’autorégulation, (4) la défense de l’entreprise libre, (5) la responsabilité morale de l’entreprise et de ses différentes parties prenantes (stakeholders) et (6) le rôle des communautés politiques dans l’organisation des affaires. Suivant ces deux chercheurs américains, ce sont certes les grandes entreprises qui sont considérées. Les autres ne sont pas toutefois oubliées, elles devraient aussi prendre au sérieux le défi de l’intégrité morale.

 

Eu égard à ces réflexions éthiques et à leur application progressive dans certaines entreprises et dans le mouvement anti-corruption, et compte tenu du processus de criminalisation de plusieurs abus dans les échanges sociaux sur le plan international, nous pensons qu’aucune personne ne devrait ignorer les défis de l’intégrité et de la dignité humaine. Même l’Afrique centrale et la Région des Grands Lacs Africains ne devraient plus continuer à servir de champs propices aux mythes et métaphores de l’amoralité. Les Etats, les ONG, les associations des travailleurs, les FM, les actionnaires, les militants des droits et devoirs humains, les paysans et les chercheurs sont par conséquent conviés à participer activement au projet de construire des sociétés justes, bonnes, solidaires et responsables. Nous croyons dès lors avoir suggéré  quelques mécanismes et stratégies favorisant la culture d’intégrité morale dans l’entreprise et dans les échanges commerciaux de  notre temps.

 


[1]Voir le livre de Manuel Castells intitulé L’ère de l’information en trois tomes, publié chez Fayard en 1998 et 1999.

[2]« Le système économique américain est souvent appelé système de l’entreprise libre» (De George 2006b : 156). Nous préférons rendre cette dernière expression par le SAEL.

[3]Cette combinaison des forces de régulation, d’autorégulation, des watchdogs et des citoyens (De George2006b : 535-537) fait penser au mouvement anti-corruption. Elle est nécessaire tant sur le plan national que sur le plan international.

[4]Les trois derniers principes sont additionnels, ils résultent de l’évaluation morale de cette catastrophe industrielle de Bhopal.

[5]Sur cette inclusion, Brown se réfère à Muel Kaptein et Johan Wempe dont il examine la théorie. Ce qui manque, dit-il, c’est la notion de la bonne finalité de l’entreprise (Brown 2005 : 8-9).

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