Moeletsi Mbeki (2009). Architects of Poverty: Why African Capitalism Needs Changing. Johannesburg: Picador Africa, 196 pages+xiv

The Architects of Povertyest une œuvre d’un journaliste, un homme d’affaires et un analyste des questions politiques. De Mbeki, nous connaissons aussiPerpetuating Poverty in Sub-Saharan Africa : How political elites undermine entrepreneurship and economic development publié en 2005.

 

L’argument de l’auteur est simple : l’élite politique est la cause de la pauvreté et du sous-développement de l’Afrique. Comme le titre l’indique ce sont eux les architectes de la pauvreté qui enferment l’Afrique dans le stade mercantile du capitalisme. Le défi de l’Afrique est de comment passer du mercantilisme à l’industrialisme (pp.xi-xii). Sa réponse est aussi simple. L’Afrique a besoin des nouveaux leaders qui comprennent que la route vers un avenir prospère  est  celle d’un travail dur, la créativité, la connaissance et l’équité (p. xi). 

 

L’œuvre de Mbeki comprend six chapitres et un appendice dont les points sont unifiés par une méthode semi-analytique et semi-comparative. Le chapitre 1 analyse le malaise de l’Afrique du soleil des indépendances à nos jours. Mbeki constate que la montagne a accouché d’une souris. La montagne dont il est question consiste en projet de consolidation du pouvoir, la stabilité, et la paix d’une part, la transformation des économies coloniales centrées sur l’extraction minière et l’agriculture de rente en économies industrielles d’autre part. Le succès du départ a tourné en délusion à cause de la mauvaise gestion de l’élite politique qui poursuit un style de vie occidentale, conçoit de grands projets sans tenir compte des réalités et des besoins locaux, et transfère les revenus de l’agriculture et de l’industrie extractive dans les banques étrangères. La conséquence en est l’impossibilité de voir émerger un secteur privé considéré ailleurs comme le moteur du développement économique.

 

Les chapitres 2 et 3 analysent le cas de l’Afrique du Sud et sa désindustrialisation respectivement. Mbeki distingue trois types d’élite sud africaine: l’élite anglaise, l’élite afrikaner, et l’élite africaine. Ces élites, dit-il, sont la création du système colonial et capitaliste dont elles bénéficient. De ce point de vue elles diffèrent de l’élite asiatique qui est enracinée dans sa société précoloniale et ses valeurs culturelles avec comme résultat le capitalisme au visage asiatique. Sur ce, Mbeki critique le Black Economic Empowerment (BEE) supposé être le noyau de l’élite de la nouvelle économie Sud Africaine, mais qui, hélas, n’est qu’une petite classe de riches noirs improductifs, une imitation des capitalistes alliés de l’oligarchie économique (élite anglaise et afrikaner). Cependant l’Afrique du Sud se distingue du reste de l’Afrique sub-saharienne par le fait qu’elle n’a pas de classe de paysans, mais dispose d’un fort secteur privé local qui a investi dans les secteurs manufacturé et minier. Ces caractéristiques ont des implications sur la gouvernance et des politiques  économiques sud africaines. Contrairement à la plupart des pays africains, celles-ci sont moins influencées par les forces extérieures.

 

Cependant l’économie Sud Africaine souffre de deux maux, à savoir, une élite politique dont les caractéristiques sont les mêmes que celles du reste de l’Afrique; et une classe économique noire (BEE) qui est une autre manière de puiser l’épargne des opérateurs économiques locaux dans un environnement sans paysans (p.65). C’est cela qui pourrait conduire l’Afrique du Sud à la désindustrialisation. Pour échapper à ce risque, Mbeki suggère que l’élite sud africaine noire se prive du style de vie à l’occidentale sans une productivité équivalente (p.92). Evidemment, c’est une idée intéressante comme proposition qui ne va pas de soi surtout qu’il faut tout un processus de decolonisation des esprits. Cette élite est aussi invitée à embrasser le capitalisme libéral qui, seul, permet l’épanouissement de l’entreprenariat. Il soutient que c’est même l’entrepreneuriat qui donne au capitalisme son dynamisme et son pouvoir durable.

 

Le chapitre 4 est une lumière sur la faillite de l’Etat Africain. Mbeki s’appesantit sur le cas du Zimbabwe et montre qu’il y a un lien entre la faillite de l’Etat et la pauvreté et le sous-développement, qui sont l’édifice de l’élite africaine. Ce lien est au centre de l’analyse de Greg Mills dont le livre sera recensé dans le prochain numéro.

 

Le chapitre 5 traite de la question de l’intégration régionale. Mbeki est très pessimiste. Il soutient que les plans d’intégration régionale, loin d’être une originalité africaine, sont une pure imitation de l’Occident. Et comme toute imitation, le régionalisme africain est un mouvement superficiel qui ne pourra pas parvenir aux objectifs de ses architectes (pp.134-5).  En effet, tandis qu’en Europe, le régionalisme est de  la nécessité politique et sécuritaire, le régionalisme africain veut naître du besoin du développement économique. Or, poursuit-il, contrairement à ceux qui voudraient nous faire croire que la plupart des états africains sont petits et ne sont pas économiquement viables, les petits comme les grands pays occidentaux ont atteint un haut niveau d’industrialisation et du développement économique avant l’intégration (p.142). Pour Mbeki, le seul facteur qui détermine le niveau de développement est le degré par lequel un pays  est capable de contrôler son espace politique, économique et social, et par conséquent, ses politiques. Or, en Afrique, cet espace n’est pas contrôlé par les Africains, mais plutôt par les expatriés, notamment les multinationales, les Institutions Financières Internationales, ainsi que les acteurs étatiques et non-étatiques étrangers qui influencent les politiques sociales, politiques et économiques à travers l’aide (p.144).

 

Ainsi, pour Mbeki, ce dont l’Afrique a besoin pour sortir de la pauvreté et du sous-développement n’est pas le régionalisme, mais plutôt les quatre impératifs suivants : Que les citoyens épargnent ; que les entrepreneurs investissent profitablement ces épargnes ; que les entrepreneurs se risquent sur le marché ; et enfin, que la main d’œuvre ose vendre son travail comme seul choix (p.131). Pour concrétiser ce point, Mbeki donne l’exemple de l’Ile Maurice comme pays africain qui a suivi le modèle du développement capitaliste occidental en exploitant le marché mondial pour développer ses propres industries. A côté de ce petit pays, il y a l’Afrique du Sud ; les deux étant les seuls pays africains qui disposent d’une technologie et d’une main d’œuvre qui contribuent aux économies de la région sub-saharienne.

 

Le dernier chapitre est un plaidoyer pour une nouvelle démocratie en Afrique. Celle-ci consisterait à remplacer le leader politique existant par un leadership plus orientés vers le développement, c'est-à-dire le peuple lui-même (p.174). Pour réussir, il faut une révolution semblable à celle de la Chine. Cette révolution, dit-il, requiert la combinaison des efforts des Africains, de l’Est et de l’Ouest (p.175).

 

L’appendice, qui me paraît plutôt superflu, est une description des exactions commises contre certains zimbabwéens par le régime Mugabe peu de temps après l’indépendance en 1980. Il est possible que Mbeki voudrait montrer que le peuple Africain ne pourrait pas réussir la révolution sans un appui extérieur qu’il souligne dans le dernier chapitre. Si telle était le cas, la suggestion de Mbeki serait une version de celle de Paul Collier dont le livre, The Bottom Billion (2007) - que Mbeki cite par ailleurs -, plaide pour une recolonisation politico-économique de l’Afrique.

 

Comme dans son œuvre de 2005, Mbeki plaide pour le capitalisme libéral en Afrique. Ce capitalisme pourrait avoir le jour si la présente élite est démise et remplacée par une élite déterminée à promouvoir le secteur privé comme condition du développement économique en Afrique. Il s’agit d’une mise en question du leadership africain en termes du développement économique.

 

L’argument de Mbeki peut être reconstruit comme suit : si l’élite africaine existante est promotrice du capitalisme mercantile qui appauvrit et sous-développe, la nouvelle élite qui serait issue d’une révolution à la chinoise serait promotrice du capitalisme industriel comme source de prospérité et du développement économique.

 

Mbeki voit un point important mais il le poursuit trop vite comme un bon nombre d’intellectuels africains victimes d’une épistémologie dépendantiste et souffrant d’une intériorisation pathologique de la haine de soi. L’objectif qu’il contemple est le capitalisme industriel qu’il connait bien en Afrique du Sud «occidentale» et les pays développés. Mais ce que Mbeki ignore c’est que le capitalisme de son horizon a été atteint grâce aux mutations historiques, sociales, politiques, et intellectuelles ainsi qu’un essor scientifique que l’Occident a connu du 17ème-19ème siècle. Ces mutations ont redéfini l’homme et l’ont doté d’une nouvelle texture ontologique qui est la racine profonde du capitalisme.

 

En deuxième lieu, à l’encontre de l’élite africaine, Mbeki admire l’élite asiatique dont les racines puisent profondément dans la société précoloniale et ses valeurs culturelles avec comme résultat un capitalisme typiquement asiatique. En d’autres termes, l’Asie n’a pas eu besoin d’opérer à l’Européenne des mutations mais a simplement validé ses valeurs en termes d’une politique économique caractéristique de sa réalité. C’est ici que je suis déçu qu’il n’ait pas poursuivi ce point pour se poser la question pour découvrir qu’il y a plusieurs types de capitalisme en fonction des contextes. Cette question lui  aurait permis non pas de forcer les Africains sur le capitalisme libéral, mais d’explorer la possibilité d’un capitalisme typiquement Africain et des conditions pour la fonder. D’ailleurs les cas que Mbeki considère le lui montrent bien. Les économies capitalistes de l’Ile Maurice et de l’Afrique du Sud (ont réussi parce qu’elles sont, en grande partie, dominées par des citoyens non-Africains. L’économie de L’Ile Maurice est dominée par les Français et les Asiatiques, tandis que l’économie de l’Afrique du Sud est dominée par les Anglais, les Afrikaners et les Indiens- que Mbeki ne mentionne pas.

 

L’œuvre de Mbeki pose une question qui reste ouverte: Le leadership africain prend-il au sérieux la question du développement économique. Je pose aussi à Mbeki cette question: les intellectuels africains prennent-ils au sérieux la question des racines profondes de ce développement économique?

 

Symphorien Ntibagirirwa

Université de Pretoria

 

 

   

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