L’EGLISE CATHOLIQUE ET LES ELECTIONS AU BURUNDI

Abstract: 

The Catholic Church in Burundi is very active in many and various sectors of the country. The Church is particularly renowned for her participation in education where she was the first to start schools run by religious. The Church has also been very efficient in the last years of political and social crisis in Burundi, tending to victims and involving herself in the various political negotiations that took place in order to end the civil war. If these are realities can be seen and presented as proof of her involvement in the public sphere, it is not always the same when it comes to her role and contribution to the various electoral periods held in Burundi since independence.

 

In two main steps, this essay aims at reading the available official publications of the Catholic Bishops in Burundi, in order to analyze chronologically what had been the Catholic Church’s role, attitude and contribution to elections from the sixties until the current one in  2010. The first point sets the political scene of Burundi over this period, while the second interprets the different documents produced during the five main free elections, those of 1960, 1965, 1993, 2005 and 2010. It ends with a summary that highlights the audience and the main themes that permeate the Bishops’ messages.

1.       Introduction

L’Eglise Catholique au Burundi est très présente dans différents secteurs de la vie du pays. Elle est connue pour sa contribution dans l’éducation, elle fut pionnière dans l’introduction des écoles tenues par des religieux ou religieuses. Elle s’est illustrée également par différentes œuvres caritatives à travers les Caritas, et aujourd’hui chaque diocèse compte un bureau de développement. L’Eglise catholique au Burundi est aussi connue pour son engagement en faveur des diverses victimes de la récente crise que vient de connaître le Burundi (Voir Thibon 1997).

 

Si de telles œuvres sont plutôt visibles au grand public et peuvent être citées comme preuve de la contribution de l’Eglise Catholique dans le développement du pays, il n’en est pas de même de sa contribution politique, surtout de son apport dans les différentes élections qu’a connues le Burundi. Il y a donc lieu de s’interroger sur son rôle, sa contribution et son attitude lors des différentes échéances électorales.

 

Cet article voudrait explorer cette piste en deux grands moments. Le premier point se veut une mise en contexte du discours et du rôle de l’Eglise Catholique au Burundi, en rappelant brièvement les différentes périodes électorales. Le deuxième moment sera une lecture analytique et chronologique des différentes publications de l’Eglise Catholique pendant lesdites périodes électorales.

2. Planter la scène

 

Le Burundi --comme d’autres pays décolonisés-- entre dans « l’ère politique moderne » avec les indépendances. Pour le cas particulier du Burundi, avant cette période, il n’y avait pas de système électoral. Aussi les premières élections communales furent organisées en 1960 et « se déroulèrent du 15 novembre au 8 décembre » (Gahama 1991 : 146), et les législatives furent tenues le18 septembre 1961 et remportées par l’Uprona du Prince Louis Rwagasore (Ibid. : 150). L’enjeu majeur de ces élections était l’indépendance. D’un côté, certains partis politiques (sous la houlette du PDC : Parti Démocrate Chrétien) souhaitaient une préparation progressive avant l’indépendance effective afin de préparer les cadres qui assumeraient les responsabilités politiques. De l’autre, il y avait un groupe de partis sous le « leadership » de l’Uprona de Rwagasore et de Mirerekano qui réclamaient une indépendance immédiate (Gahama, 1991). C’est ainsi que la victoire de l’Uprona aux législatives de 1961 signifiait l’adhésion à l’indépendance immédiate. D’où l’effritement des autres partis. Gahama attribue la disparition des autres partis politiques au manque de consistance idéologique :

 

Comme pour montrer de manière éclatante que les partis politiques ne s’étaient pas constitués en fonction d’idéologies bien définies, mais de l’influence personnelle et souvent locale de leur dirigeants, la majorité d’entre eux disparurent assez rapidement après la victoire de l’UPRONA(Gahama 1991 : 151-52).

 

Depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui (2010), le Burundi a connu toute une série d’élections dont les plus importantes sont celle de 1965, 1993, 2005 et 2010.

 

En 1965, après une période de profonde crise politique, il y eut des élections législatives du 10 mai conduites par l’UPRONA, élections tenues dans les dernières heures de la monarchie (celle-ci sera en effet abolie le 28 novembre 1966 avec l’avènement de la 1ère République par un coup d’Etat militaire). Les élections multipartites reprendront en 1993 sous le vent de démocratisation qui souffla sur toute l’Afrique. La conjoncture politique internationale depuis la conférence de la Baule était à l’heure de démocratisation et des droits de l’homme pour accéder aux aides étrangères. Après presque trois décennies de monopartisme, le Burundi renouait avec le multipartisme. Marc Manirakiza qualifie ces élections de « troisième consultation populaire libre » après celles de 1961 et 1965, et dont la suite n’avait toujours pas été glorieuse.

 

Après l’adoption de la Charte de l’Unité, la Baule, la visite du Pape, écrit-il, il fallut passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire à la démocratisation des institutions burundaises. Un vrai dilemme pour les Tutsi. La consultation populaire libre du 18 septembre 1961 avait abouti à l’assassinat du prince Louis Rwagasore le 13 octobre de la même année. L’autre consultation libre du mois d’août de 1965 avait débouché sur la tentative de coup d’état hutu du 18 octobre, suivie des massacres des Tutsi de la province de Muramvya. Qu’allait donc donner la troisième consultation libre ?(Manirakiza, 2002 : 47).

 

La réponse à cette question n’est plus énigmatique car cette troisième consultation libre aboutit à la victoire de Melchior Ndadaye qui ne resta que trois mois au pouvoir avant d’être assassiné dans la nuit du 21 octobre 1993, avec certains de ses proches collaborateurs. Cette nuit fatidique inaugura une période lugubre de guerre civile longue de plus de treize ans. En 2005, après de longue tractations et accords depuis Arusha jusqu’à Pretoria, il se tint une autre consultation libre multipartite remportée par l’ancien mouvement rebelle alors devenu parti politique : CNDD-FDD. Cette fois, les résultats ne furent pas contestés, et pour une fois dans l’histoire politique du Burundi, un mandat politique put être complété sans coup ni assassinat. Et conformément à la constitution, cinq ans après, -c’est-à-dire 2010-, les Burundais ont été encore appelés aux urnes pour renouveler les institutions. Malheureusement, les résultats des communales ont été récusés par un groupe de douze partis politiques réunis dans l’Alliance Démocratique pour le Changement (ADC). On pourrait reposer la question de Marc Manirakiza de savoir que sera la suite de cette cinquième consultation populaire dont le début est déjà hué par l’opposition et dont la suite est incertaine.

 

Dans tous les cas, notre attention est portée sur le rôle de l’Eglise catholique au Burundi au cours de ces différentes élections. Et comme signalé ci-dessus, il s’agira de lire analytiquement et chronologiquement les déclarations de la Conférence des Evêques Catholique du Burundi (CECAB)[1]. Or, nous n’avons trouvé aucun texte officiel de l’Eglise sur les élections tenues sous la deuxième République. C’est la raison pour laquelle, dans les lignes qui suivent, il s’agira de quatre moments correspondant aux cinq consultations populaires « libres » : 1961-1965, 1993, 2005 et 2010. En outre, pour question méthodologique, par période électorale, nous entendons l’espace de temps qui s’étend de la compagne électorale jusqu’à la publication de résultats définitifs. Dans le même ordre d’idée, nous n’avons consulté que les textes de la CECAB et non les publications ou déclarations individuelles des Evêques. En d’autres termes, nous nous sommes limité aux lettres pastorales et notes officielles. Ce qui n’exclut pas qu’il y ait d’autres actes et actions publiés ailleurs sur les périodes proposées et sur le même sujet.

2. 1961-1965 : Une église face aux premières expériences électorales

 

La première sortie officielle de l’Eglise Catholique sur la situation politique fut celle de novembre 1959 intitulée : Consignes et directives des vicaires apostoliques du Burundi à leur clergé et congrégation religieuse. Cette lettre se voulait une mise au clair du rôle que l’Eglise aurait à jouer et l’attitude des prêtres, religieux et religieuses dans le contexte politique d’alors. On y lit, « à la veille de l’évolution politique qui se prépare pour notre pays, comme pour tous les pays d’Afrique, nous croyons utile de vous rappeler brièvement les directives de l’Eglise au sujet du rôle que peuvent et doivent jouer les prêtres et religieux dans les affaires temporelles et spécialement dans la politique, et vous donner quelques consignes qui s’imposent spécialement à nous en ce moment » (CECAB, 1959 : 1). Les directives énoncées sont basées sur le principe de la séparation entre les affaires spirituelles et les affaires temporelles. Pour les Vicaires, le domaine de l’Eglise est celui des affaires spirituelles, tandis qu’elle ne peut intervenir dans le temporel qu’indirectement. « L’Eglise a le pouvoir indirect dans le ‘Temporel’ de magistère et de juridiction » (Ibid. : 2), parce que les affaires d’ordre « temporel, social ou politique… il est l’affaire des laïcs et nous n’avons ni le droit ni le devoir d’y intervenir que dans la mesure ce même temporel peut avoir des incidences spirituelles et morales » (Ibid. : 1). Pour ce faire, « en dehors des circonstances l’Eglise doit faire usage de son pouvoir indirect d’intervention, elle laisse pleine autonomie aux laïcs pour la recherche des meilleurs solutions aux problèmes temporels » (Idem).

 

Ainsi, aussi longtemps « qu’il n’y [a] dans [les] activités d’ordre temporel, rien qui offense ou contredise la doctrine ou la morale chrétiennes », l’Eglise reste neutre (Idem). En conséquence, « logique avec elle-même, l’Eglise défend aux prêtres et religieux de s’occuper directement de la politique », et « les Vicaires apostoliques du Burundi défendent à tous leurs prêtres et religieux, non seulement de participer directement à la création ou à la propagande de tout parti politique, mais aussi ‘d’assister à toute réunion de caractère politique ou racial’. Ils défendent aussi ‘que les bâtiments ou les terrains de la mission servent aux réunions des partis politiques quels qu’ils soient » (Ibid. : 3). D’une façon on ne peut plus claire, les Vicaires recommandent une neutralité dans les débats politiques d’alors en évitant tout engagement actif du clergé ou l’usage des moyens ecclésiaux dans les compagnes politiques, en même temps qu’ils se désolidarisent également avec toute idéologie, que ce soit communiste ou capitaliste (Ibid. : 2)

 

Tout en affirmant sa neutralité, elle se déclare toutefois « prête à coopérer avec tout gouvernement qui respecte ses droits [ceux de l’Eglise] et cherche le vrai bien du pays » sans pour autant se laisser « asservir par aucun » gouvernement (Ibid. : 4)[2]. De plus, « si le clergé ne doit …participer personnellement et activement à la vie politique, il doit avec insistance, rappeler aux chrétiens laïcs le devoir qu’ils ont eux d’y participer » (Ibid. :3). En d’autres mots, elle se charge de la sensibilisation civique des chrétiens, « en les éclairant sur leur devoirs de citoyens et en donnant, en particulier aux membres d’action catholique des consignes claires dans le sens indiqués par les documents pontificaux » (Idem), parce que pour l’Eglise, les élections sont « accessions des citoyens aux droits politiques » (Idem.). Ainsi, si l’Eglise se refuse une participation active et directe dans les élections, elle veut toutefois prendre part active « en éclairant les chrétiens ». Aussi le document finit-il par cinq consignes qui montrent l’influence que l’Eglise peut avoir sur le déroulement d’une élection, quoiqu’agissant de façon indirecte. Elles sont les suivantes :

 

1.       Nos chrétiens devront en conscience participer aux futures élections. Ils seront obligés en conscience, de voter et de bien voter.

2.       Ils pourront librement s’inscrire au parti de leur choix, pourvu que ce parti ne présente, ni dans son programme ni dans ses méthodes, rien de contraire à la doctrine et à la morale chrétienne, au jugement de la hiérarchie.

 

3.       Les chrétiens devront, autant que possible, grouper leur voix pour choisir le meilleur candidat, c’est-à-dire celui qui présentera le plus de garantie pour la bonne gestion des affaires publiques.

 

4.       L’Eglise encourage vivement ses fidèles qui en ont les capacités, à accepter un mandat politique.

 

5.       L’Eglise demande à ses fidèles qui seront appelés à remplir un mandat politique de le remplir en chrétiens. On ne peut être chrétien seulement dans sa vie privée : on doit l’être dans toute sa vie, y compris l’exercice d’un mandat politique. (Ibid. : 4)[3].

Quelques mois plus tard (le 27 mars 1960),[4] la hiérarchie catholique sortait une autre lettre pastorale sur « l’indépendance et les élections en vue ». Dans une note accompagnant ladite lettre, les Evêques rappellent que les prêtres « doivent non seulement s’abstenir de favoriser ouvertement tel ou tel parti, mais ils doivent même veiller à éviter toute parole et tout acte qui pourraient ‘raisonnablement’ être interprétés dans ce sens » (CECAB, 1960 : 1). Ils enjoignent aussi « d’insister, à toute occasion, sur l’obligation des chrétiens de prier Dieu pour qu’Il éclaire ceux qui auront des responsabilités à prendre pour l’avenir du Burundi et spécialement pour qu’Il nous préserve de tous les troubles qui ont endeuillé tant de pays d’Afrique, ces derniers temps » (Idem). De cette note, il ressort encore une fois le souci de l’Eglise d’être neutre dans les activités politiques.

 

Venant à la lettre elle-même, elle reprend certaines idées des Consignes publiées en 1959. Elle rappelle que même si l’Eglise n’intervient pas directement dans le domaine politique, elle a, cependant, le mandat reçu de Dieu de montrer les devoirs de ceux qui gouvernent. L’Eglise soutient l’indépendance du pays quand elle est basée sur la justice et la charité. Pour ce faire, « elle fustige toute cause de haine, toute chose qui déstabilise chacun dans ses biens et dans sa vie, soit en le tuant ou en les lui dérobant. L’Eglise est contre toute contrainte, tout mensonge et toute calomnie » (Ibid. : 2). Elle rappelle aussi les responsabilités de ceux qui devaient être élus, dont la première et la plus fondamentale est de procurer le bonheur à tous les Burundais et Burundaises, ainsi qu’à toute personne vivant sur le territoire Burundais (Ibid. :3). Plus encore, la lettre revient sur le devoir des chrétiens dans un régime électoral, reprenant en grandes lignes les Consignes de 1959. Le premier devoir est celui de voter, le deuxième concerne la personne à élire, le troisième est de s’entendre sur le candidat à choisir, le quatrième concerne le multipartisme, et le cinquième devoir est de prier. Ibid. : 4). Les quatre premiers devoirs correspondent aux trois premières consignes déjà publiées en 1959.

 

En 1965, l’Eglise n’avait pas changé sa position et sa méthode. Dans une lettre pastorale qu’elle produit à l’occasion de nouvelles élections législatives (CECAB 1965a), elle revient sur les directives « déjà données lors des dernières élections » (CECAB 1965b :1) en l’occurrence celles de 1960 les Evêques rappelaient l’importance de voter et comment voter, ainsi que la neutralité des prêtres, religieux et religieuse en matière politique. Ces derniers doivent seulement encourager les chrétiens à aller voter et permettre aux candidats chrétiens de se présenter. Remarquant que le Burundi a été préservé par Dieu des conflits qui frappaient d’autres pays Africains, les prélats notent que c’est « du résultat de ces élections que va dépendre en grande partie de l’avenir [du] pays », car ce sont ceux que les chrétiens éliront « qui feront les lois et qui auront la charge des les faire observer » (CECAB 1965a : 1). D’où l’importance pour les chrétiens de remplir leurs devoirs civiques et l’insistance sur le contenu de la prière dans un tel moment. Les Evêques enjoignent aux chrétiens de prier pour que les élections se déroulent dans le calme et la paix, et que les personnes élues soient des gens soucieuses du bien commun, qui respectent les droits de Dieu et de l’Eglise, et surtout que les chrétiens « ne se laissent pas aveugler par les promesses fallacieuses des ennemis de l’Eglise, quelque éthique qu’ils portent » (CECAB 1965a  : 2).

 

En somme, on voit qu’au cours des élections législatives de 1965 comme durant la période des indépendances, l’Eglise se voulut politiquement neutre, tout en participant indirectement à l’évolution politique à travers les chrétiens. Qu’en sera-t-il dans les élections ultérieures[5] ?

3. 1993 : L’Eglise quand le Burundi renoue avec le régime électoral

 

Comme dans la plupart des pays Africains, les années 90 au Burundi correspondent au courant démocratique dû à la pression internationale surtout après le discours de François Mitterrand à la Baule. Pour ce faire, avant qu’on arrive à la période électorale proprement dite de 1993, il y eut tout un travail d’éducation et d’enseignement sur la démocratie, le multipartisme, et les élections. L’Eglise catholique a accompagné tout ce processus depuis les années 90 jusqu’au lendemain de l’élection présidentielle de 1993.

 

La première lettre pastorale sortit le 2 février 1990 pour souligner le rôle du baptisé dans la gestion du pays.[6] Elle met en exergue que gouverner ce n’est pas d’abord chercher ses propres intérêts. Malheureusement, écrivent les Evêques, ceux qui ont une telle conception de la politique « sont encore nombreux ». Pour eux, de telles personnes « ne sont pas des dirigeants, ce sont des mercenaires ; ils sont inutiles pour le pays » (CECAB, 1990a :1). La lettre dénonce également les dirigeants qui ne respectent pas la dignité humaine des personnes gouvernées, les prenant pour des « bêtes » au lieu de leur reconnaître la capacité rationnelle et morale. Pour les Evêques, de tels dirigeants créent le mécontentement général, et ceux qui essaient de vivre dans la droiture sont épinglés, stigmatisés et même persécutés. Une telle situation aboutit à une méfiance entre les dirigeants et les dirigés. Les Evêques terminent la lettre en rejetant la conception de la politique comme faire n’importe quoi, la complaisance envers les dirigeants et l’achat des services par la corruption. Ils encouragent la population à participer dans la gestion du pays, parce que gouverner est une responsabilité et un honneur.

 

Le 11 décembre de la même année, les Evêques publiaient une autre lettre intitulée : Entrer en chrétien dans les prochaines échéances politiques, un texte qui puise dans le langage des droits de l’homme pour appeler le chrétien à s’engager dans le processus démocratique. Après une relecture de l’histoire politique récente du Burundi, les Evêques sentent « le besoin d’attirer l’attention des fidèles sur l’importance des enjeux nationaux » et les invitent « à contribuer efficacement à ce que les choix fondamentaux à opérer soient faites dans la sérénité, la responsabilité et la volonté de bâtir ensemble la Nation Burundaise » (CECAB, 1990b : 2). Ils rappellent qu’ « à tout moment et spécialement dans de grands tournants de l’histoire politique de son pays, le chrétien doit tenir constamment à cœur deux principes de base : le respect des droits fondamentaux de la personne [et] la promotion de l’Esprit de service et de solidarité » (Idem). Ils insistent sur le fait que toute politique démocratique doit être bâtie sur les principes des droits de la personne humaine, et invitent une fois de plus « tous les chrétiens à être les porte-flambeaux de ce principe et à bannir de leurs choix politiques l’exclusion, la haine, l’appartenance à des associations prônant la division sur les bases ethniques, régionales, claniques ou autres ». En effet, « la vérité et la justice ne peuvent pas être ethniques, régionales et claniques. Elles sont humaines avant tout » (Ibid. : 4).

 

Avant la fin de ce même mois, la CECAB écrivit une autre lettre toujours sur la démocratie.[7] Se basant sur la mission de l’Eglise qui n’est pas seulement spirituelle, mais « aussi celle de renforcer la vie sociale », puisque « le Christ nous recommande d’aimer Dieu et aimer les hommes » (CECAB 1990c : 1), les Evêques annoncent que « tout chrétien doit veiller à deux grands principes : respecter la dignité et les droits de la personne humaine [et] renforcer l’esprit de solidarité pour la construction du pays » (CECAB 1990c : 2). Partant des débats sur le monopartisme et multipartisme, les prélats appellent au respect et à l’écoute mutuels, à ne pas considérer les opposants politiques comme des ennemis, mais plutôt à s’exprimer sans s’insulter. Ils conseillent aux politiciens « de dialoguer pour trouver les règles qui régissent des débats démocratiques dans la vérité, la justice et la charité. Il faut mettre en avant le bien de la nation et des habitants du Burundi, jugeant les différents politiciens par ce qu’ils disent sans considération ethnique, régionaliste ou clanique » (Idem). Les Evêques lancent le même appel à ceux chargés de rendre la justice à respecter toute personne sans aucune autre considération sinon celle d’être humain, parce « la vérité et la justice ne sont propriété d’aucune région ou clan » (CECAB 1990c : 3).

 

Depuis lors, les Evêques catholiques ont publié beaucoup de documents relatifs à la situation politique que traversait le Burundi, appelant spécialement au respect de la personne humaine et à la culture des valeurs de la vérité, la justice et le respect mutuel comme base solide de la réconciliation. En 1992, ils reviennent spécifiquement sur le thème de la démocratie et publient une lettre sur le rôle du chrétien dans la démocratie.[8]  Dans cette publication, qui est un solide enseignement sur le multipartisme et l’importance des élections, les Evêques affirment que « le chrétien doit être éclairé par sa foi pour contribuer à faire régner la justice de Dieu parmi les hommes (Ps. 88, 18). Seule une telle personne peut travailler convenablement pour son pays dans la démocratie » (CECAB 1992a : 2). La démocratie elle-même doit se construire sur le respect de la vie et des droits humains, synonyme du respect « des dix commandements donnés par Dieu » (CECAB 1992a : 3). Ils demandent à la population à respecter les élus, en même temps que ces derniers doivent reconnaître que le pouvoir appartient au peuple qui leur confie un mandat politique à travers l’élection. Aux politiciens, les Evêques leur recommandent de se respecter mutuellement, reconnaissant en « chaque personne le temple de Dieu », qui fait que « l’adversaire politique n’est pas un ennemi » (CECAB 1992a : 3). Les prélats demandent aux politiciens de reconnaître la défaite comme un bien pour le pays. Aussi celui qui est battu dans une élection devrait-il déployer ses efforts pour gagner les prochaines échéances électorales, au lieu de propager insultes et mensonges. Dans un tel contexte, affirment les Evêques, « la contribution du chrétien sont la foi, l’espérance et la charité qu’il reçoit du Christ » (CECAB 1992a: 4).

 

Quelques mois plus tard, ils sortaient un autre texte toujours sur la démocratie dans le multipartisme.[9] Dans cette publication, ils affirment qu’ « au nom du Christ, ils ne peuvent stopper à plaider pour la vérité, la justice, la charité, la dignité et les droits de la personne humaine, ainsi que la paix » (CECAB, 1992b : 2). Partant alors du commandement de l’amour, ils rappellent qu’il est strictement interdit de tuer. Plutôt, grâce à cet amour, il y a possibilité de se pardonner mutuellement et même d’aimer ses ennemis. De , ils en déduisent que l’amour du pays se traduit par la cohabitation paisible avec les autres dans la justice. Mais cela n’est possible que quand le pays est organisé en vue du bien commun (CECAB, 1992b : 2). Ce sont de tels critères qui permettent de distinguer le bon du mauvais parti, « dans la mesure la démocratie respecte et fait respecter la dignité et les droits humains, les libertés fondamentales et le bien commun » (Ibid. : 3). Les Evêques rappellent une fois de plus que l’adversaire politique n’est pas un ennemi et qu’il faut viser l’avenir du pays en s’appuyant sur son passé, en vue de corriger les entorses.

 

Le 3 décembre de la même année, ils tiraient la sonnette d’alarme sur le comportement des partis politiques, dans un message intitulé : Twokwifata dute muri iki gihe c’umusumo w’imigambwe ?[10] Les Evêques constatent qu’il y a débordement dans le langage de certains partis politiques qui vont jusqu’à déstabiliser la vie sociale. Tout en reconnaissant que la démocratie doit permettre la critique des lois ou des institutions existantes, cela ne doit cependant pas aboutir à la destruction du pays (CECAB 1992c : 1). Ils fustigent également des propos divisionnistes à base ethnique de certains partis politiques. Il est vrai que relire le passé est important pour corriger les erreurs du passé, mais une fois de plus, cela ne doit pas constituer un alibi pour incriminer les autres. Et les Evêques de conclure, « des partis politiques qui sèment le trouble entre des frères ne construisent pas ; ils détruisent » (CECAB 1992c : 2). Ils interpellent alors les politiciens chefs des partis politiques pour consolider l’unité nationale, respecter ceux d’autres opinions politiques, et s’habituer à faire la compétition sans haine, insulte ou coercition, parce que « chaque personne mérite du respect, parce qu’elle a été créée à l’image du Créateur » (CECAB 1992c : 2).

 

Au cours de l’année 1993, les Evêques multiplièrent les communications et déclarations. Dans moins de six mois, ils publièrent quatre lettres. Le premier Message des évêques du Burundi sur la démocratie multipartiste et sur les prochaines échéances électorales du 10 mars 1993 revient sur les qualités d’un bon dirigeant, ce qu’est le multipartisme et son impact social. Il émet aussi des recommandations pour bien élire :

 

Premièrement, celui qui veut bien élire commence par s’informer sur les programmes et les objectifs des différents partis politiques qui aspirent au pouvoir ; deuxièmement, celui qui veut bien élire doit commencer par connaître les personnes qui font la propagande pour être élues ; troisièmement, celui qui veut bien élire doit connaître le code électoral ; quatrièmement, quand les élections se déroulent bien tout le pays peut pousser un ouf de soulagement parce que la paix et la tranquillité règnent (CECAB 1993a : 6).

 

En outre, les Evêques rappellent à ceux qui aspirent au mandat politique d’apprendre à gouverner pour tous et en vue du bien commun. Ils énumèrent même des qualités d’un bon dirigeant :

 

le bon dirigeant doit être un homme juste, intègre, perspicace, qui dirige bien sa famille et exerce avec compétence sa profession…n’est plus celui qui donne des ordres à partir de son bureau seulement…ne se cache pas derrière son ethnie, son parti ou sa confession religieuse…ne peut pas être autocrate. Le bon dirigeant sait que l’office pour lequel il a été choisi l’engage à respecter ses subordonnés et à faire respecter les gens dans leur vie et dans leurs biens, sans toutefois les laisser commettre le mal ou enfreindre à la loi(CECAB 1993a: 3-4).

 

Un mois après, ils adressaient un message aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté, soulignant que le « chemin [de la démocratisation] doit nous faire aboutir à la paix et à la consolidation de notre pays » (CECAB 1993b : 1). Les Evêques reviennent encore sur les caractéristiques d’un bon candidat : « Les bons candidats aux élections doivent être caractérisés par l’amour de Dieu et l’amour des hommes ; l’amour de la patrie, sans exclusion d’aucune région ; l’esprit de sacrifice et l’abnégation en faveur de tous les Barundi sans exception ; la recherche du bien commun et le respect de tous et de leur vie » (CECAB 1993b : 1). Ils exhortent les électeurs d’être des « témoins de l’amour qui est le pilier de l’unité et source de la paix », et de choisir des personnes capables d’unir et de réconcilier les Barundi, sachant que « la justice, la vérité et l’amour sont les semences de la paix » (CECAB 1993b : 1).

 

Au mois de mai, en la fête de la Pentecôte, il y eut encore communication les Evêques prient le Saint Esprit pour éclairer les électeurs, afin qu’ils élisent avec « courage, un cœur large, qui se donne dans la vérité, caractérisé par le droit et l’attitude des Bashingantahe » (CECAB 1993c : 1). Ils demandent aux chrétiens de demander à « l’Esprit Saint le don d’une bonne élection, dénuée de toute coercition et malignité, mais pleine de vérité, justice, fraternité, entente et paix » (CECAB 1993c: 2). Ils annoncent qu’ils ont envoyé des observateurs afin de se rassurer du bon déroulement des élections, parce qu’ils avaient à cœur la paix.

 

La dernière publication eut lieu le 4 juin 1993, juste au lendemain de l’élection présidentielle du 1er juin. Les Evêques félicitent les électeurs chrétiens d’avoir suivi les conseils prodigués trois ans durant et obéi à leur conscience en votant le président de leur choix.

 

Vous avez voulu, disent-ils, consolider ce que nous avions déjà atteint : réunir tous les Burundais dans l’esprit de droit et de pardon, consolider la justice qui engendre la paix, et lutter constamment pour l’unité, pour qu’elle soit le fondement du Burundi  (CECAB, 1993d : 1).

 

La lettre fait alors référence aux élections de 1961 ainsi que les divisions et la disparition de certains partis qui suivirent, et appelle les candidats aux élections législatives qui allaient suivre de mettre en avant les projets de société réalisables et de respecter les citoyens, les vrais détenteurs du pouvoir.

 

A voir la quantité des documents produits pendant cette deuxième reprise électorale, l’Eglise a été très active plus qu’avant, toujours dans le souci d’enseigner, conscientiser et même sensibiliser les chrétiens pour qu’ils votent. Un point nouveau par rapport à 1961, cependant. Non seulement elle est active dans son enseignement sur la démocratie et le multipartisme ou les qualités d’un bon candidat, mais elle a aussi envoyé des observateurs. Elle dénonce certains comportements contraire à une bonne compétition, notamment le mensonge, les projets irréalistes ainsi que les propos divisionnistes. Contrairement aux indications de 1961 d’adopter une stratégie pour faire élire le candidat des chrétiens, en 1993, elle s’est gardée de donner des précisions. Enfin, presque toutes les publications reviennent sur le respect de la dignité et des droits humains, le bien commun, la justice, la charité et la vérité base de la paix, comme des valeurs indispensables pour toute démocratie.

4) 2005 : L’Eglise dans les élections après une guerre civile

 

Pendant les élections de 2005, la CECAB produisit deux textes relatifs aux élections. Mais cela ne doit pas signifier un manque d’intérêt dans les élections de 2005, vue la quantité de textes publiés en 1993. L’Eglise avait été très active avec beaucoup de messages et déclarations depuis le début de la crise –21 octobre 1993-, jusqu’en 2005.

 

Ainsi, la première publication de mars 2004 revient sur l’histoire politique des dix dernières années, depuis les élections de 1993, les assassinats des hauts responsables élus, les tractations et négociations qui en ont suivi, jusqu’à cette nouvelle échéance électorale. Les Evêques attirent l’attention « sur l’importance de ce moment historique. Nous n’avons pas, disent-ils, le droit de marcher à l’aveuglette. Nous lançons donc un appel pour que personne ne pense être dispensé de participer à l’organisation de son pays. Chaque Burundais remplissant les conditions déterminées par la loi a le droit et le devoir d’élire des dirigeants de son pays, dans la liberté et sans subir des pressions » (CECAB 2004a : 2). Ils reviennent sur l’importance des élections comme opportunité pour le citoyen de participer dans la gestion de son pays, de consolider la démocratie et de décider de la destinée de la nation. Cependant, nuancent les Evêques,

 

la démocratie ne se réduit pas aux simples élections ; celles-ci ne durent qu’un petit moment. La démocratie consiste surtout dans la manière dont les élus exercent leurs fonctions de dirigeants, en respectant tous les citoyens et en défendant leurs droits. Ils doivent être à l’écoute de tous les citoyens et doivent les associer à la réalisation des projets politiques pour lesquels ils ont été élus. Toutes leurs actions doivent se caractériser par l’amour du travail, la recherche de la paix, le progrès, la justice et l’équité pour tous (CECAB 2004a : 2).

 

Tout en reconnaissant la légitimité de la célébration de la victoire pour les gagnants, les prélats soulignent que « dans une vraie démocratie, il est nécessaire d’avoir une opposition capable de contrôler ceux qui sont au pouvoir et de vérifier s’ils réalisent les promesses faites à la nation. Ce droit de contrôle n’autorise pas cependant des critiques injustifiées et des actions de sape » (CECAB 2004a : 2).

 

La lettre étant écrite pendant la période de transition, les Evêques insistent sur la nécessité de tenir les élections avant la fin de ladite transition et relèvent certains obstacles à une tenue d’élections libres et transparentes. C’est notamment la prolifération des partis politiques, la divergence sur les échéances électorales, l’insécurité dans certains coins du pays, l’intégration dans l’armée de certains éléments des anciens groupes rebelles, etc. (CECAB 2004a : 3). Malgré cela, ils encouragent les acteurs politiques à ne pas être tétanisés par ces craintes, mais plutôt de faire tout leur possible pour les surmonter et aboutir aux élections qui seront « un facteur de progrès pour la démocratie » (CECAB 2004a :3).

 

Cinq mois plus tard, ils publiaient une autre lettre demandant de ne pas se menacer mutuellement, mais plutôt de préparer les élections dans la confiance réciproque pour atteindre le bien commun.[11] Par cette missive, ils voulaient donner « l’orientation à partager, les idées directrices à suivre et l’attitude à adopter pour que les élections soient tenues sans ternir la dignité et l’honneur des Burundais, et sans déstabiliser l’unité et la paix » (CECAB 2004b : 1). Les Evêques font alors le tour d’horizon des inquiétudes face à la tenue des élections. Il y a par exemple les discussions sur la manière de tenir les élections. Faut-il un suffrage universel direct ou indirect ? D’autres avancent les divisions ethniques profondément ancrées dans les Burundais qu’ils ne peuvent espérer de bonnes élections. Il y a également la question de réaménagement de l’armée et de la police, ainsi que la démobilisation et réinsertion des démobilisés qui peuvent menacer la sécurité des élections. Face à tout cela, les Evêques énoncent certains principes consensuels qui peuvent aider à ce que les élections se déroulent en bonne et due forme :

 

  1. Donner aux élections la valeur qu’elles méritent dans une démocratie[12] ;
  2. le fondement de la vraie démocratie qu’est le respect de la dignité, des droits et libertés fondamentaux de toute personne vivant dans le pays, même quand elles sont vulnérables ou minoritaires ;
  3. Orienter les élections vers le bien de tous, aussi bien les citoyens que les étrangers présents sur le territoire national (CECAB 2004b :2).

Se référant à l’histoire politique du Burundi, ils rappellent que la plupart des élections au Burundi ont toujours été suivies par des troubles, non pas à cause des élections elles-mêmes, mais plutôt à cause « du non-respect des résultats des urnes » (CECAB 2004b :2). Ainsi, ils invitent tous les acteurs politiques à œuvrer pour la paix en promouvant « la justice et le développement pour tous » (CECAB 2004b: 3). Dans le sens de la préparation proprement dite des élections, les Evêques poussent l’Etat à conclure un cessez-le-feu avec le mouvement FNL encore actif dans certaines zones du pays ; ils appellent pour la mise en place d’une constitution et de la loi électorale ; ils recommandent le regroupement des anciens combattants et le désarmement général, ainsi que l’organisation du recensement général de la population et de l’habitat (CECAB 2004b : 3-4). Enfin, ils rappellent une fois de plus que la participation active du citoyen dynamise la démocratie, et concluent en réitérant que les élections sont possibles si les acteurs politiques acceptent de construire sur la vérité, le respect mutuel et le bannissement de toute parole agressive.

 

Ici comme ailleurs, les Evêques font un travail d’enseignement et de sensibilisation, aussi bien de conseil que d’avertissement. Mais plus encore, l’Eglise envoya des hommes d’Eglise dans la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) les CEPI et les CECI (respectivement, Commission Electorale Provinciale Indépendante et Commission Electorale Communale Indépendante).

5. 2010 : L’Eglise dans des élections jauges de la stabilité démocratique

 

Les élections de 2010 au Burundi étaient attendues avec impatience, (pour certains même avec méfiance), mais aussi avec contentement parce que c’était la première fois dans l’histoire du pays que des institutions élues finissaient un mandat électoral. Aussi furent-elles organisées sur fond d’appréhension de la part des partis d’opposition qui craignaient des fraudes électorales. C’est ainsi que beaucoup de tractations et négociations furent engagées pour mettre sur pied une CENI consensuelle et des textes légaux issus d’un dialogue entre les différents partenaires politiques. C’est dans ce contexte que l’Eglise catholique intervint pour donner sa propre contribution.

 

Elle publia le premier texte en juillet 2009, où les Evêques reviennent sur « l’orientation des élections, les idées principales que nous devons respecter pour que les prochaines élections soient libres, démocratiques et justes, et qu’elles nous aident à renforcer la paix et la sécurité, relancer le développement économique de notre pays » (CECAB 2009a : 1). Selon eux, les élections « sont un moment pour évaluer et renforcer la démocratie », où « les citoyens, qui sont les vrais détenteurs du pouvoir…évaluent la manière dont leurs élus à tous les niveaux ont géré le pays », et où les dirigeants aussi « évaluent la manière dont ils ont répondu aux attentes des citoyens». Quant à « ceux qui veulent parvenir au pouvoir, [ils] évaluent leur contribution à la démocratie et au progrès du pays, par des voies légales, afin que les dirigeants réalisent les programmes et les projets de développement du pays qu’ils se sont fixés » (CECAB 2009a : 1). En somme, les élections sont un temps d’évaluation pour les citoyens, les gouvernants et les opposants. Mais pour les Evêques, « les élections sont aussi un moment propice pour proposer les programmes que ces catégories (les citoyens, ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui aspirent au pouvoir) veulent mettre en avant pour la prochaine législature, afin que le pays soit pacifique et connaisse la prospérité » (CECAB 2009a: 2). Comme toujours, ils rappellent, cependant, que les élections ne sont pas le tout de la démocratie, parce que cette dernière repose sur la participation des citoyens à la gestion du pays et sur « la manière dont les dirigeants exercent le pouvoir » (CECAB 2009a: 2).

 

Après cette mise au point sur le sens des élections, les Evêques relèvent quelques inquiétudes, notamment la peur que « le peuple soit privé de liberté pendant les élections, à cause des intimidations et des armes qui circulent dans le pays ». Ils soulignent également l’absence des textes légaux et les controverses entre les gouvernants et les opposants autour de ces textes. Les évêques finissent par suggérer deux conditions pour un bon déroulement des élections : le respect des textes légaux et une bonne compétition entre les partis politiques (CECAB 2009a: 2). 

 

En l’occasion de la fête de Noël de la même année (2009), ils publièrent un autre texte où ils souhaitaient que le Prince de la paix aide les Burundais à organiser des élections qui consolident la paix. Dans cette lettre, ils reviennent brièvement sur l’importance des élections qui permettent de renouveler les instances dirigeantes et reconnaissent l’amélioration de la liberté d’expression, tout en déplorant la peur, les assassinats, la coercition sur les gens pour entrer dans les partis politiques, la corruption, la menace dans des paroles, etc. Ils demandent alors de rejeter tout ce qui ne favorise pas un climat de paix, et proposent de mettre en avant le droit plutôt que la force, en respectant le droit de chacun de jouir de ses biens et de ses libertés. Ils réaffirment la neutralité de l’Eglise à ne pas forcer les fidèles à être pour tel ou tel autre candidat parce qu’ils « croient et respectent les libertés fondamentales de chacun » (CECAB 2009b : 3). Et, une fois de plus, ils acceptent d’envoyer des « prêtres, religieux et religieuses pour aider dans l’organisation des élections » (CECAB 2009b : 3).

 

En mai 2010, juste quand la campagne électorale battait son plein, la CECAB adressait encore une lettre aux fidèles leur demandant de consolider la paix reçue du Christ Ressuscité en se préparant aux prochaines élections (CECAB 2010a). Dans cette lettre, les Evêques exhortent tous les Burundais à mettre en avant la paix et rendent hommage à toutes les personnes qui se sont données pour appeler à et/ou prier pour une campagne électorale paisible. Ils s’inquiètent cependant des rumeurs faisant état de la distribution d’armes par certains partis politiques. Ils fustigent une telle attitude et rappellent que « la démocratie n’est pas consolidée par le terrorisme, mais qu’elle est plutôt basée sur le dialogue et le droit en vue du bien commun » (CECAB 2010a: 2). Ils interpellent les politiciens à présenter clairement leurs projets de société, et ils enjoignent aux électeurs « de ne pas voter suivant l’ethnie, la région ou la religion, pas même selon l’amitié mais plutôt selon le projet de société »(CECAB 2010a:2). A ceux qui voudraient mettre en avant leur appartenance religieuse, les Evêques rappellent que « la gestion du Burundi doit être laïque » (CECAB 2010a: 3).

 

Telle fut la dernière communication avant les élections de 2010 qui débutèrent par les communales du 24 mai. L’Eglise y envoya beaucoup d’hommes d’Eglise pour participer à l’organisation des élections. Malheureusement, malgré le climat serein et paisible qui caractérisa ces premières élections d’une longue série électorale, les résultats furent rejetés par un certain nombre de partis politiques d’opposition aujourd’hui réunis dans l’Alliance Démocratique pour le Changement (ADC). Face à la controverse et aux blocages qui suivirent, la CECAB sortit un communiqué où les Evêques affirment :

 

Si nous nous basons sur les rapports que nos observateurs ont établis à partir des bureaux de vote où ils ont été présents, ainsi que sur les rapports d’autres observateurs de la société civile, et si nous tenons compte des réponses que les commissions électorales provinciales indépendantes ont fournies face aux demandes de recours présentés par des partis qui ont refusé de reconnaître les résultats des scrutins, nous estimons que [sc.] à l’heure actuelle, il n’y a pas de raison majeure en faveur de la reprise de ces élections (CECAB 2010b : 1).

 

Néanmoins, ils proposent certaines conditions pour que la suite du processus électoral soit paisible. La première condition est la correction de certaines irrégularités observées au cours des communales et les Evêques demandent à tous les acteurs de tranquilliser la population et de favoriser le dialogue. Si besoin il y a, « qu’ils fassent appel à des facilitateurs » (CECAB 2010b : 1). Deuxièmement, ils demandent que « le processus commencé d’un Etat démocratique construit sur la coexistence de plusieurs partis politiques et sur l’expression de plusieurs opinions, continue ». Troisièmement, « toutes les démarches devraient être faites dans l’esprit de sauvegarder la sécurité et la paix et dans le respect de la constitution » ; quatrièmement, ils demandent que, « s’il y a des citoyens qui ont participé à des actes de déstabilisation du processus électoral par tricherie, mensonge, par intimidation, par achat de consciences, en provocant l’insécurité ou en tuant », qu’ils arrêtent de tels actes trahissant le pays et péchant contre Dieu (CECAB 2010b: 2).[13]

6.       Note récapitulative et conclusive

 

L’objectif de ce travail était de voir et d’examiner le rôle et l’attitude de l’Eglise catholique dans les différents processus électoraux qu’a connus le Burundi. Le gros du travail a été la lecture des textes officiels de l’Eglise publiés par la CECAB. Au terme de ce parcours, une lecture transversale met en exergue certains thèmes récurrents en fonction de l’audience visée. Aussi distingue-t-on au moins trois groupes : les citoyens burundais électeurs (tantôt Chrétiens, tantôt tous les Burundais) ; les politiciens (les gouvernants et les opposants) ainsi que les prêtres, religieux et religieuses.

 

Aux citoyens, le message leur adressé vise à les sensibiliser pour accomplir leur devoir du citoyen, les éduquer sur le sens des élections et l’importance de la participation active dans la gestion du pays, la signification de la démocratie et son fondement sur le respect des droits humains et la visée du bien commun, ainsi que des conseils sur les attitudes morales et humaines à adopter pendant les campagnes électorales et les élections proprement dites. Aux hommes politiques (gouvernants et opposants), l’Eglise les appelle à une éthique politique de respect mutuel dans le langage, l’honnêteté dans leur promesse, et surtout le respect du peuple, le vrai détenteur du pouvoir. Elle leur recommande d’avoir des projets de société et à rendre compte à la population qui les élit de leurs actes. Elle les encourage à consolider la démocratie basée sur plusieurs partis politiques et différentes opinions, qui n’est possible que quand il y a respect de la liberté d’expression exercée dans la légalité. Aux prêtres, religieux et religieuses, les Evêques leur exigent d’être de neutres observateurs, les interdisant formellement d’appartenir et de militer directement ou activement dans une formation politique. Néanmoins, à la neutralité radicale de la période des indépendances qui allaient jusqu’à interdire l’usage des terrains des missions pour les compagnes électorales, l’Eglise a évolué vers la coopération plus étroites avec les politiques dans les différents processus électoraux, participant activement dans leur organisation et même dans l’observation du déroulement des élections, et ce, depuis 1993.

 

En plus de cette audience et le message correspondant, il y a également des thèmes et principes qui reviennent dans les lettres pastorales considérées ici et qui servent de base et de fond du message. Ce sont les principes de vérité, d’amour et de charité, de justice pour tous, de respect de la dignité et des droits de la personne humaine créée à l’image de Dieu, ainsi que le rappel que chaque organisation politique n’est motivée et justifiée que par le bien commun.

 

Ainsi, à travers l’audience ciblée et le message véhiculé, le rôle et l’attitude de l’Eglise catholique du Burundi dans les différentes élections jusqu’ici tenues auront été ceux d’enseignante, d’attentive observatrice, mais aussi d’active contributrice. Enseignante dans ses directives envers ses fidèles, mais aussi attentive observatrice du contexte social du moment et des politiciens dans leur agissement. Elle est également active contributrice, dans la mesure où depuis un certain moment, l’Eglise catholique participe dans l’organisation et l’observation du déroulement des élections.

 

Il aurait été intéressant de voir l’impact d’une telle part active dans la vie politique du Burundi sur la vie même de l’Eglise. En l’occurrence, quelle pourra être la conséquence de sa participation dans les élections de 2010, vue qu’elle s’est prononcée pour la non-reprise des communales alors qu’une tranche du spectre politique était d’avis contraire ? Comment est perçue sa continuelle participation dans le processus électoral duquel s’est retirée l’opposition ? Toutes intéressantes soient-elles, ces questions débordent l’objet de ce travail qui était de lire et d’analyser chronologiquement les différentes publications, afin de relever certains recoupements. Et à notre avis, quoique modeste, cette entreprise valait la peine.

 


[1]Nous utilisons CECAB comme auteur de tous les documents utilisés, quoique certains d’entre eux furent produits avant la création de cette conférence. C’est notamment les lettres écrites par les Vicaires apostoliques des années soixante.

[2] Ces quelques lignes soulignent les conditions de la coopération de l’Eglise avec n’importe quel gouvernement : le respect des droits de  l’Eglise et la recherche du bien commun.

[3]La première consigne exige à tout chrétien « de voter et de bien voter ». Le lecteur serait tenté de s’interroger sur ce que « bien voter » dans l’esprit des auteurs de ce texte. Les deuxième et troisième consignes ne sont-elles justement pas les critères pour « bien voter » pour un chrétien ? Il s’agirait alors de voter un candidat ou un parti politique qui ne soit pas en opposition avec l’Eglise ou sa hiérarchie et de grouper les voix pour « le meilleur candidat ». Ce dernier n’est pas non plus facile à identifier selon le document, comme ce dernier ne précise pas les critères pour le choisir. Mais si l’hypothèse ci-dessus est probante, alors le meilleur candidat serait celui qui satisfait la deuxième consigne. En tout état de cause, le point ici est de souligner combien l’Eglise peut avoir une influence sur le vote à travers ses chrétiens, où finalement, tout en ne soutenant pas un parti politique quelconque, elle exprime au moins des préférences qu’elle aimerait voir être réalisées par ses chrétiens.

 

[4]Comme cette lettre est originalement composée en Kirundi (langue locale et nationale du Burundi), les traductions sont les nôtres.

[5]Ce sont les deux publications avant les élections qui expriment la position et la contribution de l’Eglise catholique pendant cette période électorale. Comme méthodologiquement nous nous sommes limité aux déclarations officielles, c’est au-delà de notre objectif d’évaluer l’implication pratique de l’un ou l’autre prélat dans ces premières élections. De plus, vu l’insistance des Evêques sur la neutralité de l’Eglise par rapport à la politique, prohibant tout acte ou toute parole pouvant connoter un penchant politique, jusqu’à interdire l’usage des terrains des missions pour les meetings, on peut émettre l’hypothèse selon laquelle l’Eglise ne s’est pas engagée pratiquement dans ces élections. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

 

[6]Le titre originale est « Uruhara rw’Uwabatijwe mu vyerekeye intwaro y’igihuhu » qu’on peut traduire : La part du baptisé dans la gestion du pays.

[7]Le titre original est « Ibanga ry’Umukristu muri iki gihe c’ukurondera intwaro rusangi », pouvant être traduit : La responsabilité du chrétien en cette période du cheminement vers la démocratie.

[8]Le titre original de la lettre est : Ibanga ry’umukristu mu ntwaro rusangi, que nous traduisons : La responsabilité du chrétien dans la démocratie.

[9]Ijambo abepiskopi katolika bashikirije abakristu ryerekeye intwaro rusangi mu migambwe myinshi. Muranshingira intahe aho muri hose(Ibik. 1,8), que nous traduisons : Le message des évêques catholiques adressé aux chrétiens en rapport avec la démocratie dans le multipartisme. Vous serez mes témoins partout où vous serez (Ac. 1,8).

[10]Que doit être notre comportement en cette période du multipartisme?

[11]L’original en Kirundi est : Ntiduterane ubwoba, dutegurane amatora ukwizerana ngo dushikire ineza ya bose.

[12] Pour les Evêques, rappelant ce qu’ils avaient dit en mars de la même année, les élections sont un des biens et non le tout d’une vraie démocratie. « On dirait même que c’est un bien qui ne vient qu’après d’autres, comme le respect des libertés de chacun de ne pas être poursuivi à cause de ses opinions, même quand elles sont opposées à celles des gouvernants ; avoir des lois claires et connues de tous ; le respect de la vie privée des citoyens et de tous ceux qui habitent le pays, aussi longtemps qu’elle ne menace pas la sécurité publique ou contraire à la loi » (Ibid. : 2).

 

[13]Au moment où je conclus ce texte, le processus électoral continue. Pas plus tard que le 30 juin, la CENI proclamait la victoire du candidat unique à sa succession, Pierre Nkurunziza, et c’était la deuxième phase d’une longue série d’élections qui se bouclera en septembre par les élections de chefs de collines. Ce n’est donc pas impossible que l’Eglise catholique continue à jouer un rôle et à prendre position sur l’avancement de ces élections, surtout qu’elle est activement engagée dans ces élections qui divisent profondément l’opinion nationale.

Référence Bibliographique: 

CECAB 1959. Consignes et directives des Vicaires Apostoliques du Burundi à leur clergé et congrégations religieuses. Bujumbura : CECAB

______1960a. Lettre pastorale. Bujumbura : CECAB.

______ 1960b. Note accompagnant la lettre pastorale du 27 mars 1960.

______1965a. Lettre pastorale des Evêques du Burundi à l’occasion des nouvelles élections législatives. Bujumbura : CECAB.

______1965b. Note sur la lettre pastorale du 1 avril 1965. Bujumbura : CECAB.

______1990a. Uruhara rw’uwabatijwe mu vyerekeye intwaro y’igihugu. Bujumbura :

CECAB.

______1990b. Entrer en chrétien dans les prochaines échéances politiques. Bujumbura : CECAB.

______1990c. Ibanga ry’umukristu muri iki gihe c’ukurondera intwaro rusangi. Bujumbura : CECAB.

______1992a. Ibanga ry’umukristu mu ntwaro rusangi. Bujumbura : CECAB.

______1992b. Muranshingira intahe aho muri hose (Ibik. 1, 8). Ijambo ry’Abepiskopi gatolika bashikirije abakristu ryerekeye intwaro rusangi.Bujumbura : CECAB.

______1992c. Twokifata dute muri iki gihe c’umusumo w’imigambwe? Bujumbura :

CECAB.

______1993a. Message des évêques catholiques du Burundi sur la démocratie multipartiste et sur les prochaines échéances électorales. Bujumbura : CECAB.

______1993b. Message des évêques catholiques du Burundi aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté. Bujumbura : CECAB.

______1993c. Dusabe Mutima Mweranda atugire inama nziza. Bujumbura :

CECAB.

______1993d. Ijambo rishikirijwe n’abepiskopi gatolika. Bujumbura : CECAB.

______2004a. Préparons-nous à faire de bonnes élections qui nous aiderons à sortir de la crise. Message des Evêques Catholiques du Burundi sur les Elections. Bujumbura : CECAB.

______2004b. Ntiduterane ubwoba, dutegurane amatora ukwizerana ngo dushikire ineza ya bose. Ijambo rishikirijwe n’Abepiskopi gatolika rijanye n’amatora. Bujumbura: CECAB.

______2009a. Préparons-nous bien aux prochaines élections pour qu’elles nous aident à renforcer la paix. Message des Evêques catholiques du Burundi concernant les élections de 2010. Bujumbura : CECAB.

______2009b. Dusanganire Yezu, umukiza w’abantu, adufashe kuremesha amahoro, no mu matora twimirije. Ijambo Abepiskopi gatolika b’i Burundi bashikirije igihugu c’Imana ku munsi mukuru wa Noeli 2009. Bujumbura : CECAB.

______2010a. Dushishikare kubungabunga amahoro twahawe na Kristu yazutse mu kwitegurira amatora twimirije. Ijambo Abepiskopi gatolika b’i Burundi bashikirije igihugu c’Imana mur’ibi bihe vy’ukwitegurira amatora. Bujumbura : CECAB.

______2010b. Communiqué de la Conférence des Evêques Catholique sur les élections communales. Bujumbura : CECAB.

Gahama, J 1991. « Les partis politiques et la recherches de l’indépendance au Burundi » in Histoire sociale de l’Afrique de l’Est (XIX-XX siècle). Paris : Karthala.

 

Manirakiza, M  2002. Burundi. Quand le passé ne passe pas (BuyoyaI-Ndadaye). 1987-1993. s.l : La Longue vue.

 

Thibon, C 1997. La démocratisation en crise. Les occasions manquées de l’Eglise catholique au burundi. In Constantin, François & Coulon, Christian (dir.). Religion et transition démocratique en Afrique. Paris :

Karthala.

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