LE DEVELOPPEMENT SOUS L’ANGLE DE LA FOI: L’EUCHARISTIE A-T-ELLE UNE VALEUR AJOUTEE ?

Abstract: 

This paper attempts to portray development against the backdrop of the Eucharist in the Churches of Rwanda and Burundi. Its main objective is to investigate economic this development under the angle of faith. It poses one major question, “Does the Eucharist have an added value for economic development?” Indeed, in countries where public authorities nourish the “moral ambition to develop”, this results in economic growth, well-being of citizens, power increase and the glory of the state. The development from the Eucharistic view is an added value. Forcefully, this  value consists of a holistic  development, that is a development of the human kind on the whole and everyone,  and on the other hand, it is integrated development for the common good as  the sum-total of all conditions that are required to flourish humanity. This argument has double implication, namely: 

  •  Appreciation of values that structure well-being  (sustenance, self-esteem and freedom) as the ultimate end of development, which the church ought to pursue in so far as it is the very meaning of self-transcendence, a journey  towards God’s own horizon.
  • Governance of development that may require the convergence of moral ambition to development and development as a journey towards God’s horizons. A renewal of the church-state relationship carries this price tag in the process.

Therefore, development in the Eucharistic perspective is to transcend humanity into divine dimensions. Development acquires a definition and, henceforth should be understood as the human spirit in search of God’s universal dimensions beyond our human particular dimensions. 

  1. Du cadre contextuel

Depuis un certain temps, les Eglises du Rwanda et du Burundi sont entrées dans la danse du développement au rythme de la dynamique globale et locale. Elles sont très présentes dans tous les domaines du développement allant du plus social au plus économique. Aussi adoptent-elles même le langage de l’économique clinique caractéristique du développement post-Washington (Sachs 2006). Les orientations des Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD) dont l’échéance est tombée en 2015 ne les ont échappés. Les Objectifs du Développement Durable (ODD)[1] de l’Agenda 2030 sont assez considérés et pris en compte par le développement intégral surtout après la publication de Laudato Si du Pape François(François 2015). Il en est de même du langage des macro-stratégies qui se retrouvent dans de tels concepts comme la vision, la mission, etc. qui doivent avoir leur vrai sens s’ils sont envisagés dans la perspective de la transcendance et l’auto-transcendance.

C’est dans ce cadre que nous posons la question du développement économique sous l’angle de la foi en nous focalisant sur l’Eucharistie que Jésus nous a léguée. Mais en quoi cette réflexion se conjugue-t-elle avec le thème des ONG et la question de la gouvernance  qui est au centre de ce volume 16? Sans faire des détours, les ONG ont leurs racines dans la tradition chrétienne. L’Eglise a depuis longtemps pris en charge les différents besoins sociaux tels que l’éducation, la santé, la famille depuis, déjà, le 16ème siècle surtout avec l’évangélisation en terre de mission. Cela a permis à l’Eglise de développer une certaine expertise et des réseaux dans plusieurs pays. Les ONG ont évolué d’organisations internationales à caractère religieux vers des organisations internationales autonomes avec des causes plus larges. En deuxième lieu, à part une recherche (encore timide mais encrée) de l’indépendance financière vis-à-vis des puissances missionnaires,  l’engagement des Eglises dans le développement leur permet d’avoir une base sur laquelle elles peuvent adresser la question de gouvernance de manière participative. Enfin, nous sommes dans un contexte où ni l’Etat, ni le marché ne peut plus chanter l’hymne du développement et de l’économie tout seul. La question est donc celle-ci : quelle différence fera donc l’Eglise ?   

  1. Quel enjeu pour quelle action?

Cette réflexion de type méditatif sur l’Eucharistie cherche à donner un fondement théologique à la pratique du développement tel qu’il est vécu dans l’Eglise locale. Dans son livre, Ma foi d’Africain, Jean-Marc Ela nous parle d’une expérience des paysans du nord du Cameroun qui lui expliquaient le drame qu’ils vivaient. Ils lui disaient que le dénuement, l’ignorance, la  faim, la  maladie, la  mort  viennent de ce que Dieu se tait et refuse de parler aux humains(Ela 1985: 125). Dans une société où les pouvoirs publics se sont appropriés de l’ «ambition morale de développer»[2] (Loriaux 1999), l’Eglise doit-être le lieu où Dieu prend effectivement sa parole pour parler et dire non au dénuement, à l’ignorance, à la faim, à la maladie, à la mort ; bref tout ce qui prive l’être humain de ses « pouvoirs-fonctions »[3] essentiels, c’est-à-dire les « libertés substantielles » ou les « possibilités de choisir et d’agir ». Martha Nussbaum a élaboré une série de 10 pouvoirs-fonctions qu’un ordre social et politique décent doit garantir à tous les citoyens. Il s’agit de :

  • La vie :Etre capable de mener sa vie jusqu’au terme d’une vie humaine normale humaine de longueur normale. Il s’agit de ne pas mourir prématurément;
  • La santé du corps :Etre capable d’être en bonne santé ;
  • L’intégrité du corps :Etre capable de se déplacer librement, d’être protégé contre une attaque violente, agression sexuelle et violence domestique;
  • Les sens, l’imagination et la pensée : Etre capable d’utiliser ses sens, d’imaginer, de raisonner ;
  • Les émotions : Etre capable de s’attacher à des choses et des gens autour de nous et de regretter leur absence ;
  • La raison pratique :Etre capable de se former une conception du bien et de participer à une réflexion critique sur l’organisation de sa propre vie;
  • L’affiliation:Etre capable de vivre avec et pour les autres ;
  • Les autres espèces :Etre capable de développer une attention pour et de vivre en relation avec les créatures de son monde naturel ;
  • Le jeu :Etre capable de lire, de jouer, et jouir de loisirs ;
  • Le contrôle de son environnement politique et matériel : Etre capable de participer efficacement au choix politiques qui gouverne sa vie d’une part, et d’autre part, être capable des posséder des choses et de jouir des droits de propriété sur une base égalitaire avec les autres (Nussbaum 2012: 55-57).

Dieu a parlé et sa Parole est Jésus dont l’Eucharistie est la mémoire, notre héritage.

Si Jésus comme « Verbe fait chair » est le point de départ de notre vie individuelle et collective, le développement acquiert une « valeur ajoutée », une plus-value, et partant une nouvelle définition. D’une part, ce développement avec une valeur ajoutée est le développement intégral, c’est-à-dire « le développement de tout homme et de tout l’homme »(Populorum Progressio §.14). D’autre part ce développement est un développement intégré en tant qu’il est un aspect du bien commun qui est l’ensemble des conditions nécessaires au développement et à l’épanouissement de toute la personne humaine. Ces conditions sont notamment l’ordre public et extérieur (la paix et la sécurité), la prospérité matérielle publique et privée (l’essor socio-économique, par exemple), les valeurs intellectuelles, spirituelles, morales et religieuses (Ntibagirirwa 1997: 269, cfr. Guerry 1962: 120ss). Tel est l’enjeu qui oriente la réflexion sur la pratique du développement en partant de l’eucharistie dans les Eglises du Rwanda et du Burundi qui me sont mieux connues.  

  1. Le pain et le vin, fruits de la terre et du travail  humain: élévation à l’économie sacramentelle

L’eucharistie est au centre de la vie chrétienne. Quand nous parlons de l’eucharistie, il faut entendre le pain et le vin qui deviennent le Corps et le Sang du Christ.  A la base, le pain et le vin sont les fruits de la terre et du travail des hommes et des femmes. Ainsi, à l’offertoire, le prêtre reçoit successivement le pain et le vin qu’il dépose à l’autel. Il les accompagne d’une prière dans laquelle il bénit Dieu créateur et source de toute chose en rappelant la collaboration que nous apportons à l’œuvre créatrice. En élevant le pain, il dit : « Tu es bénis Dieu de l’univers, toi qui nous donne ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes; nous te le présentons : il deviendra le pain de la vie »(Missel Romain 1975).

Et pour la coupe de vin (après avoir mêlé au vin un peu d’eau qui rappelle un échange merveilleux entre la divinité de Jésus et notre humanité):« Tu es béni, Dieu de l’Univers; toi qui nous donnes ce vin ; fruit de la vigne et du travail des hommes; nous te le présentons: Il deviendra le vin du royaume éternel » (Missel Romain 1975).

Le pain et le vin qui, au départ, sont des éléments d’un repas matériel ordinaire, deviennent le repas spirituel partagé par la multitude unie par la même foi. Karl Rahner a fait ce commentaire qui résume la vérité exprimée ici :

Voilà pourquoi on comprend fort bien que lorsque, dans l’existence humaine, quelque chose de plus grand et de plus haut doit se manifester dans son aspect corporel sensible, le repas devienne le symbole par excellence. Il devient symbole ou plutôt accomplissement réel de l’unité aimante et confiante de ceux qui mangent ensemble. Ceux-ci communiquent en effet sur le terrain familier de leur existence, celui de la nourriture corporelle, car en se la partageant, ils s’ouvrent les uns aux autres. Mais aussi le repas devient également le signe de cette unité suprême des hommes, qui atteint la perfection lorsque tous mangent comme aliment éternel qui unit à Dieu et aux autres le pain unique, et boivent l’unique coupe qui est le Seigneur lui-même(Rahner 1967: 30).

Ainsi, nous pouvons dire que cette économie sacramentelle est le fondement du développement économique intégral et intégré. Je soulignerai trois aspects qui partent de la platitude à l’essentiel de la vie chrétienne dans le développement économique.

  1. De la liturgie du sacrement à « la pastorale du grenier »[4]

La première chose est justement la platitude : le lieu où est célébrée l’eucharistie. Il s’agit de l’Eglise comme structure dans un lieu géographique donné. A l’occasion d’une ordination sacerdotale au mois de juillet 2020, une autorité politique burundaise invitée à la cérémonie a donné ce conseil aux prêtres nouvellement ordonnés : « Faites des paroisses qui vont vous être confiées, des lieux de développement pour que toute bouche ait quelque chose à manger et que toute poche puisse avoir de l’argent ». Il s’agit du devoir d’un prêtre de donner l’essentiel à chaque citoyen pour qu’il puisse participer à la dynamique économique des enfants de Dieu.

Effectivement, nous sommes habitués à voir ces lieux où se célèbre l’eucharistie comme des lieux de développement. Autour des églises, il y a tout ce qui satisfait les besoins essentiels de l’être humain notamment, des jardins modèles d’agriculture, des écoles, des hospices, des lieux de loisirs, des logements décents, et des coins où les gens peuvent se rencontrer pour partager et échanger les idées. Cela a des implications en termes de la création d’emplois et de l’inspiration pour l’entreprenariat. Or l’alimentation, l’éducation, la santé, le logement, l’emploi et le partage des idées sont le point de départ pour l’expansion du développement, pour plus développement; de telle façon que, désormais, on peut passer de l’«avoir assez» à « être plus»(Goulet 1995).

Aujourd’hui, (au Rwanda et au Burundi),  les diocèses et certaines paroisses redeviennent plus que jamais des centres modèles et modernes de rayonnement socio-économique. Les dividendes doivent servir à répondre aux besoins des nécessiteux en émancipant progressivement l’Eglise locale de la dépendance historique des missionnaires. Des structures telles que des centres hospitaliers, d’éducation, de santé, de commerce et des initiatives de développement de tout genre sont nettement visibles. Ces centres sont accompagnés d’autres mécanismes d’encadrement utiles comme la micro-finance (Réseau interdiocésain de micro-finance), un système coopératif de développement qui  font penser à une économie sociale solidaire, ainsi qu’une gouvernance économique de plus en plus professionnalisée (au Rwanda). Chemin faisant, l’Eglise du Rwanda contribue de manière substantielle à la lutte et à l’éradication de la pauvreté. Il s’agit ici des lieux où le pain est multiplié pour nourrir les affamés (cf. Mc 8, 1-10).

Ce développement progressif est donc le gonflement du pain et du vin, des fruits de la terre produits par le labeur des hommes et des femmes, qui deviennent l’eucharistie par une transformation liturgique. Le pain et le vin, éléments de l’eucharistie, gonflent pour embrasser les différentes dimensions socio-économiques de la société. Cette eucharistie est rendu présente et agissante dans les milieux concrets de la vie humaine.  Ainsi, la liturgie sacramentelle de l’eucharistie atteint sa plénitude pour se déverser dans la « pastorale du grenier ». Nous sommes ramenés à ce que le Pape Benoît disait en reprenant la vision du Pape Paul IV: toute l’Église, dans tout son être et tout son agir, tend à promouvoir le développement intégral de l’homme quand elle annonce, célèbre et œuvre dans la charité(Caritas in Veritate, §.11).

  1.  De la pastorale du grenier aux vertus humaines pour plus de réconciliation et l’accroissement de la densité humaine

La deuxième chose ce sont les vertus de partage, de solidarité, de communion et de fraternité qui sont fondamentalement au centre de l’eucharistie. L’eucharistie, ou action de grâce,  selon la signification étymologiquement, veut dire aussi « Etre avec » pour rendre grâce. Elle est un rendez-vous « du donner et du recevoir ». D’ailleurs dans le chant de l’offertoire nous le chantons: « tout vient de toi, Seigneur. Nous t’offrons ce que ta main nous a donnés ». Dans l’eucharistie, le Christ se donne et nous le recevons. Il se donne et nous le recevons dans le pain et le vin que nous avons produit, fruit de notre labeur et de notre travail. Le développement qui a un sens humain ne peut pas se concevoir sans cet aspect d’ « être avec » ou de communion surtout dans notre contexte africain où la force de l’individu est dans la communauté. Cette communion se situe à trois niveaux.

Le premier niveau est celui de nous-mêmes avec le Christ qui se donne et que nous recevons. Il s’agit d’être avec le Christ, de communier au Christ ; autant il est la tête, nous sommes le corps (Col 1, 18).

Le deuxième niveau est la communion entre nous comme communauté, l’ecclesia de Dieu(ekklesia tou theou), qui partage le même pain et la même coupe, et partage la même foi dans le Christ Jésus. Etre avec le Christ, être avec les autres membres de l’Eglise… dans un lien de partage, de solidarité et de fraternité refait et renforce notre densité humaine!

Le troisième niveau est celui de la terre à laquelle nous nous sommes déjà référés. La terre nous est donnée pour la partager, prendre soin d’elle  et la protéger (voir Gen 2: 15, cfr. Gen1 :28). La terre partage avec nous et est solidaire avec nous, matériellement et spirituellement, en tant qu’elle est la source des fruits qui « deviendront le pain de la vie et le vin  du royaume ». Nous devons lui réciproquer cette solidarité. Notre densité humaine ne serait être réalisée sans ce partage, cette solidarité et cette fraternité avec la terre dont nous sommes modelés par ailleurs (Gen 2,7). Aussi faut-il la traiter avec humanité, et sollicitude, en prenant d’elle ce dont nous avons besoin en veillant à lui donner la chance de se régénérer. C’est, par ailleurs, le message que nous lance le Pape François qui parle d’ «une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature »: «Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures »(Laudato Si, §. 67)  

Le théologien Camerounais Jean-Marc Ela était convaincu que si vivre le sacrement de l’eucharistie en Afrique, c’est comprendre que l’eucharistie est un don du Christ à nous, il faut, en retour, se la donner et se la partager mutuellement. Cela ne peut se faire qu’à travers un acte de solidarité, de fraternité et d’engagement. Il s’agit de faire à ce que la mémoire du donateur vive et que ceux qui reçoivent l’eucharistie comprennent qu’ils doivent s’engager dans la société à travers un don total d’eux-mêmes pour mieux la vivre.

Dans nos pays qui ont connu une histoire de génocide, des massacres à caractère génocidaire et d’autres atrocités avec leur impact sur la densité humaine, ce ne sont que les esprits soudés qui peuvent enclencher le développement. Ce développement, en retour, aurait la potentialité de revigorer les esprits blessés et meurtris  par ces violences et ces conflits. La terre, cet aspect de la maison commune où se réalise notre développement doit elle-même retrouver sa densité parce qu’elle a été vandalisée par les guerres et forcé à boire le sang humain. D’autre part, nous devons veiller à ce que le type de développement recherché ne soit pas seulement une réponse à la recherche de la grandeur vorace et des besoins égoïstes qui peuvent la soumettre à la torture humaine.

  1.  De l’abondance de (dans) l’eucharistie: Se donner des capacités fonctionnelles pour plus de développement

Le troisième aspect à souligner est l’idée d’abondance dans l’eucharistie. Dans les miracles de multiplication des pains, chaque fois que Jésus a offert aux affamés le pain (et/ou du poisson), les gens mangeaient à leur satisfaction et il en restait. Le pain et le vin de l’eucharistie sont toujours suffisants pour tous ceux qui communient. Là où l’esprit de Jésus est présent, il y a toujours l’abondance. L’eucharistie nous dispose à l’abondance de Dieu. En termes de développement et l’engagement de l’Eglise, cela veut dire que l’Eglise doit travailler à ce qu’il y ait du pain pour tous, en quantité et en qualité suffisante. Le mot « tous » n’est pas « nous » seulement, mais aussi, les générations de demain. Le développement qui engage l’église doit être durable, c’est-à-dire, « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs»(Brundland 1987).

Evidemment, ce développement durable qui engage l’Eglise doit avoir un caché innovateur que les évangélistes du développement semblent ignorer ! L’Eglise ne doit pas seulement éviter de « compromettre » les capacités des générations futures à répondre aux leurs », mais aussi « consolider »  ce dont ces générations futures  auront besoins. Pas de développement durable sans justice durable ! Il s’agit d’un devoir ! C’est dans la consolidation pour les générations à venir que l’Eglise d’ici et d’ailleurs pourrait se montrer innovante. Ce développement lui–même doit réaliser l’eucharistie comme pain et vie. Le pain de la vie et le vin qui donne la joie font partie du processus de l’auto-transcendance qui s’accomplit dans le royaume de Dieu où tout le monde prendra part au banquet céleste, le grand soir où tout sera disponible à chacun selon ses besoins. Cela devrait d’ailleurs être le point de départ pour un développement égalitaire et solidaire, une économie où tout le monde a accès aux ressources non pas seulement comme consommateurs mais aussi comme producteurs. Le rôle de l’Eglise est de travailler à ce qu’elle montre au monde que ce qu’elle fait ici pointe à cet horizon de Dieu.

  1. Quelles implications  pour quelle conclusion?

Cette réflexion méditative visait à tracer un cadre théologique dans lequel comprendre la pratique du développement tel qu’il est vécu dans l’Eglise du Rwanda et celle du Burundi en partant de l’eucharistie. Il s’est agi de souligner une continuité entre le pain de la terre et le pain du ciel qui se nourrissent mutuellement, entre l’économie sacramentelle et l’économie du développement, entre la pastorale du sacrement de l’eucharistie et la pastorale du grenier. Le développement s’agrandit pour être intégral et intégré quand il est regardé dans le miroir de l’eucharistie.

L’implication de cette réflexion est l’appréciation des valeurs qui structurent la bonne vie comme une visée ultime du développement économique. Ces valeurs que l’Eglise doit poursuivre sont à trois que j’emprunte à l’économie du développement (Todaro, Michael P & Smith 2009 : 21-22).

La première valeur est la survie :Il s’agit de la capacité d’avoir les biens de base tels que la nourriture, le logement, la santé, l’éducation, la sécurité, bref toutes les conditions matérielles qui nous procurent des libertés substantielles. En l’absence de ces biens, les gens vivent dans les conditions de sous-développement ou dans l’indigence, et peuvent mourir. Sur ce, le développement veut promouvoir la qualité de la vie.  Ainsi l’Eglise a le devoir de contribuer à accroitre la disponibilité des biens de base (en quantité et en qualité) et étendre leur distribution pour la survie ou la subsistance du peuple de Dieu. De plus, il ne s’agit pas seulement d’avoir accès à ces biens. Chacun doit contribuer à leur production, et pas seulement à leur consommation, comme une manière de se réaliser ! La question de la justice est en jeu.

La deuxième valeur est l’estime de soi (être une personne): L’estime de soi est la manière de nous apprécier nous-mêmes, de reconnaître nos valeurs et nos qualités. Il s’agit d’un pas essentiel vers le succès et le développement économique. Le développement n’est pas à poursuivre comme une fin en soi. Elle est poursuivie en tant qu’il est instrument dans le renforcement de la fierté, de la dignité, le respect de soi et des autres. Les concepts de kwigira et kwiha agaciro devraient nourrir une réflexion dans ce sens.

Denis Goulet, disciple de Louis Lebret de qui l’Eglise tien l’idée de développement intégral, disait que « le développement est légitime parce qu’il est une voie importante et même indispensable d’accroitre l’estime de soi» (Goulet 1995: 43ss).Ainsi, il est du devoir de l’Eglise de contribuer à accroitre le niveau de vie du peuple de Dieu. En plus du revenu, cela inclut l’emploi, une meilleure éducation, l’attention aux valeurs humaines, morales et culturelles afin de renforcer le bien-être matériel et augmenter l’estime de soi individuelle et collective.

La troisième valeur du développement est la liberté. Celle-ci consiste enla capacité de choisir. Le développement doit éliminer les conditions de servitude de la nature ou d’autres gens, de la misère, de l’exploitation, de l’oppression, et de la pauvreté. Ainsi l’intervention de l’Eglise dans le développement doit viser à élargir la base des choix économiques, politiques et sociales dont les individus et les nations disposent déjà en nous libérant de la servitude et de la dépendance pas seulement en relation avec les autres personnes et les autres nations-états, mais aussi par rapport aux forces de l’ignorance et de la misère humaine.

Il s’agit donc d’« avoir assez » pour « être plus » sur terre comme un moment dans la marche vers l’horizon de Dieu.

Enfin, le développement ainsi regardé dans le miroir de l’eucharistie doit être gouverné particulièrement. Une telle gouvernance exigera que l’ambition morale de développer converge avec le développement envisagé comme une marche vers l’horizon de Dieu.

Ainsi le développement envisagé dans la perspective de l’eucharistie permet d’aller et de voir plus loin dans le sens profond du développement. C’est là où nous réalisons, qu’en fin de compte, le développement est l’esprit humain à la recherche des dimensions universelles de Dieu au-delà des dimensions particulières humaines.

 


[1]Les Objectifs de Développement Durable définis à l’Agenda 2030 sont au nombre de 17 et comportent 169 cibles. Ils ont été définis à la suite des Objectifs du Millénaire pour le développement qui avaient été adoptés en 2000. Il s’agit des objectifs suivants:  Éradication de la pauvreté; Sécurité alimentaire et agriculture durable; Santé et bien-être; Éducation de qualité; Égalité entre les sexes; Gestion durable de l’eau pour tous; Énergie propre et d’un coût abordable; Travail décent et croissance économique; Innovations et infrastructures; Réduction des inégalités; Villes et communautés durables; Consommations et productions responsables; Lutte contre les changements climatiques; Protection de la faune et de la flore aquatiques; Protection de la faune et de la flore terrestres; Paix, justice et institutions efficaces; Partenaires pour la réalisation des objectifs

 

 

[2]Les pouvoirs publics favorisent la croissance économique non seulement pour accroitre le bien-être de leurs concitoyens, mais aussi pour augmenter le pouvoir et la gloire de l’Etat et de ses dirigeants comme l’a été les Pharaoh de l’Egypte des pyramides (Perkins, Radelet, & Lindauer 2008: 60-61).

[3]Cette expression qui veut dire la capacité de vivre et d’être en activité  est empruntée à la philosophie économique d’Amartya Sen (Sen 1999) et Martha Nussbaum(Nussbaum 2012). Selon Nussbaum, ces pouvoirs-fonctions sont créés par une combinaison de capacités personnelles et d’un environnement politique, social et économique(Nussbaum 2012: 39).

[4]J’emprunte cette expression conceptuelle à la théologie africaine de Jean-Marc Ela (Ela 1985)

Référence Bibliographique: 

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  • François, P 2015. Laudato Si. Vatican: Libreria Editrice Vaticana.
  • Goulet, D 1995. Development ethics: A guide to theory qnd practice of development. London: Zed books.
  • Guerry, E 1962. La doctrine sociale de l’Eglise. Paris: Editions du Centurion.
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  • Missel Romain. (1975). Rites de préparation des dons.
  • Ntibagirirwa, S 1997. De la gestion du pouvoir à l’éducation civique : pour un nouvel ordre politico-social. Au Cœur de l’Afrique, (2-3) : 260-283.
  • Nussbaum, M 2012. Capabilités. Comment créer les conditions d'un monde juste. (trad. S. Chavel) Paris: Nouveaux Horizons.
  • Paul VI, Pape 1967. Populorum progressio: Sur le développement des peuples. Vatican: Libreria Editrice Vaticana.
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  • Rahner, K 1967. Vivre et croire aujourd'hui. Paris: Desclée de Brouwer.
  • Sachs, J 2005. The End of Poverty: How can we make it happen in our lifetime.New York: Penguin books.
  • Sachs, J 2006. The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time. New York: Penguin books.
  • Sen, A 1999. Development as freedom. New York: Anchor books.
  • Todaro, Michael P, & Smith, S C 2009. Economic Development (éd. 10th). Edinburgh: Pearson Educational.
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