CONSTRUIRE UNE ECONOMIE ETHIQUE EN AFRIQUE UN DEVELOPPEMENT DANS LE CREUSET DE L’ECONOMIE SOLIDAIRE

Abstract: 

This article focuses on the increasing multitude of popular economic organizations such as; cooperatives and associations of mutual support in the new African socio-economic context. These organizations are part of what is referred to as solidarity economy (économie solidaire). They purport to build up an economy   that can influence people’s life, resist Darwinism of the global economic system, and lay the foundation stones on ethics of economy to combat poverty. To achieve this purpose, the philosophy of Ubuntu engages in relational rationality that constitutes a foundation for normative initiatives of community and economic organizations. Accordingly, solidarity economy should overtakes the market of economy which is exclusively turned into capitalist production, competitiveness and the reduction of  human beings to goods to be sold and bought instead of considering them as human capital.

Indeed, organizations of the economy of solidarity are equally a platform of “bring and share” of ideas and experiences. It is a hub   for solidarity and cooperation that is developed among peasants who face the challenges of modernity, and the retreat of the State in development as a result of the policies of Structural Adjustment Program (SAP).  Thus, the article poses a number of questions which challenge the reader to rethink the economic evolution.  These questions are amenable to the following main question: if in Africa, the economy of solidarity evolves within  the margins of the economy of market,  how to integrate this economy of solidarity in the  economy of  market  to merely save it from  survival  and, at the same time, bring the economy of market to ally with the ethics of responsibility?

1.Introduction

Au cours des dernières décennies, avec l’aggravation de la crise économique et la mise en œuvre des réformes économiques des programmes d’ajustement structurel (PAS) dans la plupart des pays d’Afrique, les phénomènes de pauvreté et d’exclusion sociale ont pris une ampleur considérable. La restructuration obligée des États (par les programmes d’ajustement structurel du FMI) et la contraction induite des dépenses publiques ont conduit les pouvoirs publics à diminuer la part des budgets nationaux consacrée aux services sociaux de base, de sorte que des secteurs essentiels au développement à long terme - tels que l’alimentation, la santé et la sécurité sociale, l’éducation et l’habitat- se sont vus fortement menacés. Une partie croissante de la population a basculé dans les activités informelles et s’est trouvée de ce fait quasiment exclue des circuits économiques et sociaux formels qui, il n'y a pas si longtemps, produisaient, dans le cadre des États, des services collectifs de base. La marge de manœuvre des Etats des pays du Sud, dans leur fonction de redistribution, a été réduite à sa plus faible expression. Les populations de ces pays se sont ainsi retrouvées plus que jamais contraintes de développer elles-mêmes de nouvelles formes de solidarité et d’entraide économiques et sociales afin de résoudre les problèmes les plus cruciaux auxquels elles étaient confrontées.

C’est pourquoi, depuis plus ou moins deux décennies, nous assistons à un véritable foisonnement d’organisations économiques populaires (coopératives, mutuelles ou associations) souvent dans le creuset des activités de l'économie solidaire. Ces nouvelles initiatives économiques populaires cherchent à se construire un réel pouvoir économique et une influence plus marquante dans la vie publique sur base d'une économie solidaire. Ces organisations économiques populaires constituent des lieux d'échanges d'idées et d'expériences, de développement de l'esprit de solidarité et d'entraide au sein de paysanneries africaines aux prises avec les défis de la modernité de manière générale, ainsi qu'avec les conséquences du désengagement de l'État et les politiques des programmes d'ajustement structurel.

Cette situation soulève la question suivante: quel paradigme du discours d’économie éthique devrions-nous théoriser pour mettre en œuvre un socle axiologique de l’économie solidaire au profit des agents engagés dans les différentes organisations économiques? Sur le continent, cette économie solidaire évolue en marge d’une économie fondée sur la suprématie du marché, comment l’intégrer dans le marché pour la sauver de la simple survie et surtout en faire un des enjeux de la responsabilité éthique dans l’économie marchande?

Ce qui précède nous amène à formuler l’idée principale  suivante: L’économie solidaire devient de plus en plus importante dans le nouveau paysage socio-économique africain. Aussi assiste-on à la montée des organisations économiques populaires qui cherchent à résister (i) à un darwinisme économique de notre système économique, (ii) à construire les bases d’une économie éthique capable de lutter contre la pauvreté et pour la consolidation de notre développement en faveur des générations futures.

Nous voulons ouvrir le débat relatif à une économie éthique dans le creuset de l’économie solidaire à partir de l’humanisme africain choisi comme modèle herméneutico-axiologique de l’économie solidaire. Ainsi le triptyque ‘‘(i) pratiques de l'économie solidaire dans les initiatives économiques populaires en Afrique: origines et contours ; (ii) scruter la question de l’économie solidaire en Afrique à partir de la théorisation ; (iii) enjeux et défis de l’économie solidaire dans le développement  en Afrique’’ va, innervé par l’humanisme africain, permettre de discuter de l’idée principale susmentionnée. A la fin de cette analyse, il est prévu une conclusion pour récapituler les thèses essentielles développées dans cet article.

2.Pratiques de l'économie solidaire: origines et contours

1.1.Aperçu historique

Le secteur coopératif en Afrique porte un lourd héritage qui conditionne son cheminement. Nous l’étudions dans son contexte historique sur la base des travaux de Patrick Develtere (2017) et Yao Assogba (2017). Selon Patrick Develtere, le secteur coopératif en Afrique fut introduit par des agences extérieures, au premier rang desquelles les autorités coloniales britanniques, françaises, portugaises, espagnoles, allemandes et belges. De ce point de vue, les coopératives furent donc souvent perçues comme des institutions étrangères, dans presque tous les territoires. Le secteur coopératif ne fut donc pas la résultante d’un mouvement local ou spontané, mais celle de pratiques coloniales dans la sphère socio-économique. Par conséquent, il n’eut dès le départ que peu de liens, voire aucun, avec les systèmes précoloniaux, «traditionnels» ou endogènes existants en matière de solidarité. L’auteur cite l’idir en Ethiopie, les tontines au Cameroun et dans d’autres régions d’Afrique de l’Ouest, les stokvels en Afrique du Sud, les groupes de partage du travail et les sociétés funéraires de ces pays notamment qui impliquent toujours largement la population.

Toutefois, note l’auteur, contrairement aux formes modernes de coopération et de mutualisme, ces systèmes endogènes ne possèdent pas de mécanismes intégrés d’expansion ou de croissance et sont -dans la plupart des cas- mobilisés sur une base ad hoc ou accidentelle. Aujourd’hui dans la plupart des pays africains le coopératisme existant est le résultat de métissage de l’endogène et de l’allogène (sociétés colonisatrices). Mais, pour les pays n’ayant pas connu une longue période de colonialisme (Ethiopie ou Libéria), le «coopérativisme moderne» est plutôt issu de politiques délibérées des autorités inspirées des expériences internationales en matière de développement coopératif que des systèmes locaux.

Ce commentaire suscite cette interrogation: de quelle manière les coopératives ont été introduites en Afrique ? Quelle philosophie sous-tend leur mode de fonctionnement ? Nous pouvons identifier une tradition de modèle unifié, une tradition d’économie sociale, une tradition de mouvements sociaux, une tradition de producteurs et une tradition indigène (Develtere 2017). Le modèle unifié trouve son origine dans la tentative des Britanniques, dans leur pays comme dans les colonies, d’élaborer un mouvement coopératif unique. Les promoteurs de ce modèle suggèrent un système à plusieurs niveaux avec des coopératives primaires à la base et une seule organisation faîtière au sommet. Entre les deux, il y a des coopératives secondaires (sous forme de sections, fédérations et unions régionales) qui participent à l’intégration horizontale et verticale du mouvement. Ce modèle a pour dénominateur commun la forme juridique des coopératives.

Dans la tradition d’économie sociale, fortement représentée dans beaucoup de pays francophones et hispaniques, une coopérative n’est qu’une des nombreuses entités juridiques ou institutionnelles qui rassemblent des personnes poursuivant les mêmes objectifs sociaux et économiques. Les mutuelles, les associations, les fondations et les trusts sont des formes apparentées aux coopératives et peuvent remplir les mêmes fonctions. Dans cette tradition, les parties partagent des objectifs, pas les vertus d’un modèle coopératif.

Dans la tradition des mouvements sociaux, assez différente des deux précédentes, un groupe d’intérêt ou une organisation sociale établie comme syndicat, association de femmes ou d’agriculteurs conduit ses membres à se rassembler au sein d’une coopérative. Cette dernière est un instrument d’action collective, parmi beaucoup d’autres. Il faut mentionner ici le système de coopération belge bien ancré dans cette tradition et dont  l’influence sur la pensée et la pratique coopératives en Afrique centrale a été très remarquable.

Dans la tradition des producteurs, les coopératives sont perçues comme des véhicules économiques pour les producteurs agricoles. Ce sont des instruments fonctionnels au service des entrepreneurs ou des ménages en zone rurale qui les aident à se procurer des objets de consommation de qualité et à commercialiser leurs produits. Leur rôle économique consiste à se rapprocher des objectifs sociaux. Bien enracinée dans le système coopératif portugais, cette tradition a inspiré la stratégie coloniale portugaise de développement coopératif en Afrique.

Ces quatre traditions importées en Afrique par des entités externes -coloniales- n’ont jamais constitué un panorama coopératif complet de ce continent. Elles ont laissé de la place pour la cinquième tradition coopérative baptisée sui generis, c’est-à-dire,  auto-générée ou indigène. Celle-ci concerne les pays quifurent peu exposés au colonialisme comme l’Ethiopie, la Sierra Leone, le Liberiaou l’Egypte, où la coopération moderne fut initiée par des agents locaux quiont expérimenté une combinaison d’idées empruntées et d’adaptations localespour répondre aux problèmes socio-économiques.

Il découle de ce qui précède un idéaltype de deux approches de participation: approche de participation déterministe (traditions de modèles unifié, d’économie sociale, de mouvements sociaux et de producteurs)et approche de participation interactionniste (tradition de modèle indigène).L’approche déterministe de la participation n’implique pas les populations bénéficiaires dans les principales phases des projets de développement. Les autorités coloniales ont dirigé effectivement le développement du secteur coopératif dans leurs territoires, mais elles n’ont pas  procédé de la même manière partout. En considérant les  origines coloniales de ces modèles les références majeures, les autorités coloniales ne se sont servies des pays colonisés que comme des laboratoires d’expérimentation de systèmes coloniaux. En pareille situation, peu ou pas de marge de liberté et de réinterprétation des objectifs du projet n’est laissée aux populations concernées. Aussi l’absence de maîtrise de la décision engendre-t-elle chez les paysans l'idée que le projet n'est pas le leur, mais celui de l'administration coloniale d'aménagement. Elle crée un sentiment d'irresponsabilité grave de conséquences.

L’approche interactionniste de la participation implique les populations concernées lors de toutes les phases du projet depuis l'identification des besoins, la définition des objectifs jusqu’au suivi et à l’évaluation, en passant par l'élaboration, l'exécution, la formation à la gestion et à la maintenance du projet. La participation renvoie ici à la responsabilité de l'individu et du groupe. L’un et l'autre prennent part dès le début au processus de décision. La participation devient un processus actif signifiant que la personne ou le groupe en question prend des initiatives et affirme son autonomie pour ce faire. Yao Assogbaatteste à ce propos :

Sur le continent noir, les populations prennent des initiatives, mettent en œuvre des expériences novatrices qui constituent des réponses appropriées et parfois inouïes aux défis que leur lancent les sociétés postcoloniales dans tous les secteurs de l'existence et de la vie de développement local (Op.cit).

A la différence des méthodes bureaucratiques et technocratiques qui s'appuient généralement sur le transfert des connaissances et sur les messages ou des solutions décidées à l'extérieur du milieu socioculturel des bénéficiaires, les approches participatives de type indigène ou endogène  insistent sur le développement de la capacité des bénéficiaires à évaluer, choisir, planifier, créer, organiser, prendre des initiatives et décider sur les solutions à implanter. Dans ces approches, on recherche à ce que les bénéficiaires communautaires puissent acquérir les attitudes, les compétences, la confiance en leurs moyens et l'esprit d'engagement pour prendre en charge leur propre développement.

Le mouvement associatif ou communautaire constitue aujourd'hui l'un des centres principaux d'intégration sociale des individus et de développement des collectivités locales. Fondée sur une philosophie centrée sur les besoins psychologiques et sociaux de la personne ou des groupes; située entre les structures sociales (famille, parenté, clan, tribu) et les institutions (coopératives, associations et mutuelles), le mouvement communautaire se présente comme un laboratoire où l'on peut puiser des valeurs et des pratiques sociales qui doivent inspirer les politiques sociales et le volontarisme collectif de lutte contre l'exclusion sociale et de combat pour la promotion de la solidarité. Quels peuvent en être les contours axiologiques?

1.2.Les contours axiologiques de la question

Une valeur est ce qui fait l’objet d’une préférence. En éthique, qui recouvre la dimension axiologique qui nous intéresse particulièrement ici, une valeur est ce qui fait l’objet d’une préférence morale par un groupe de sujets et est mise en pratique dans un esprit matériellement désintéressé. La solidarité est l’une des valeurs cardinales fondatrice de la rationalité axiologique. A la suite d’Emile Durkheim, nous pouvons citer, pour l’illustrer, la solidarité mécanique et la solidarité organique.

Le premier type de solidarité est fondé sur une grande conscience collective qui représente l'ensemble des croyances et des sentiments moraux communs aux membres du groupe. Le second type de solidarité (organique) est fondé sur la primauté de la division du travail. Le progrès technique et l'émancipation générale des individus permettent que « l'ordre social repose non plus sur une uniformité mécanique et sur la répressive collective, mais sur l'articulation organique d'individus libres dont les fonctions sont à la fois différentes et complémentaires. La solidarité organique permet à l'homme de s'affranchir des contraintes traditionnelles imposées par la parenté, par l'appartenance à une classe ainsi qu'à un lieu.

L’économie solidaire qui constitue le mode de production et de consommation dans les organisations économiques populaires (coopératives, mutuelles ou associations), comme le montre le tableau ci-dessous, se ressource prioritairement à ces deux types de solidarité. Elle ne peut être opérationnalisé qu’en s’inspirant des principes normatifs suivants [1]: principe de démocratie, principe de  transparence, principe de solidarité, principe de développement durable, principe de développement local, principe de justice économique.

Ces six principes normatifs sont les indications par lesquelles les organisations économiques populaires mettent l’économie solidaire en pratique. L’économie solidaire veut produire, consommer, employer, décider, échanger et créer de la richesse autrement, c’est-à-dire en privilégiant l’utilité sociale, la qualité des rapports entre usagers et producteurs, entre salariés et entrepreneurs, tout en respectant l’humain et son environnement. Elle fonde les initiatives économiques et solidaires sur les valeurs suivantes. D’abord l’éthique dans les relations humaines. Ces initiatives agissent pour une économie qui place l’humain, et non le profit, au centre de sa démarche. Elles promeuvent des échanges équitables entre les acteurs économiques;  Ensuite la gouvernance démocratique.

Les initiatives économiques et solidaires agissent à travers des organisations et des projets, qui permettent à tout individu de s’exprimer, d’être écouté, d’être acteur de son devenir social (principe de démocratie). Les initiatives économiques et solidaires agissent de façon transparente envers leurs salariés, leurs usagers et leurs partenaires. Cette transparence doit s’étendre notamment aux données financières de la structure et notamment aux placements financiers aux modes de rémunération des dirigeants (principe de  transparence). Les initiatives économiques et solidaires agissent solidairement entre elles, et vis-à-vis des porteurs et bénéficiaires des projets. Les actions menées visent à renforcer la solidarité notamment entre les générations et entre les territoires. La solidarité instaure une équité dans la répartition des bénéfices et des charges et dans les droits entre les personnes qui s’y engagent. Elle s’inscrit dans la lutte contre la discrimination (principe de solidarité).

Les projets, les initiatives économiques et solidaires sont menés dans un esprit de développement durable, dans le respect de l’environnement, et en solidarité avec les générations futures (principe de développement durable). Les initiatives économiques et solidaires favorisent les actions qui répondent aux besoins des populations locales en coopération avec les acteurs de terrain (principe de développement local). Au-delà de leurs spécificités, ces initiatives reposent sur l’égalité entre les membres, œuvrent pour la justice sociale, à travers le commerce équitable, entre le Sud et le Nord, ou la défense de l’accession de tous aux services ou à l’emploi (principe de justice économique).

Grandes familles de l’économie solidaire

 

Association

Coopérative

Mutuelle

Objectifs (avec priorité à l'utilité sociale de l'activité sur sa rentabilité)

offre de service aux

membres et/ou à la

collectivité

offre de biens ou services aux membres  (ex. coopérative de travail) ou à la collectivité (ex. coopérative de solidarité)

offre de services aux

membres et à leur famille

Activités

biens et services collectifs sur les marchés (public ou

privé)

biens et services marchands

services collectifs de protection sociale

Organisation

démocratique

(répartition du

pouvoir)

Conseil d'administration élu et assemblée générale des membres (une personne, une voix)

assemblée générale des membres (une personne, une voix)

assemblée générale

des membres (une

personne, une voix)

Mode  d'affectation

du surplus

Réinvestissement dans l'organisation

Ristourne aux membres et

réinvestissement dans l'organisation

Réinvestissement

dans l'organisation et

fonds de réserve

Acteurs ou porteurs

de projets

Regroupement de personnes (qui ne

détiennent pas de

capital)

Regroupement de personnes (qui ne détiennent pas de capital)

Regroupement de personnes (qui ne détiennent pas de

capital)

Source:Louis Favreau, L’économie sociale et solidaire: Pôle éthique de la mondialisation?

Le tableau montre que ces trois types des organisations économiques populaires donnent plus de prioritéà l'utilité sociale de l'activité qu’à sa rentabilité. Cet objectif est partagé par les trois familles de l’économie solidaire qui s’y trouvent. L’utilisation du surplus bénéficiaire fait voir  que leur mode d’opérationnalisation est basé sur le partage et la solidarité, et non sur la recherche du gain maximum. Ce qui les rassure et les pousse sans avoir peur de mener certaines de leurs activités sur les marchés à côté des capitalistes. Sans personne qui détient le capital, leurs membres conçoivent les projets de société sans esprit de lucre, mais avec envie de mieux gérer les biens reçus au nom du double principe de démocratie et de justice économique. Quelle théorie sous-tend un tel mode de gestion?

3. Scruter la question de l’économie solidaire en Afrique à partir de la théorisation

1.3.Quelle théorisation pour quelle interprétation de l’économie solidaire?

Construit dans le cadre du paradigme du «développement humain durable», le concept d’économie éthique a pour objectif de définir, de promouvoir et de diffuser dans la vie économique de normes éthiques susceptibles de favoriser la dialectisation de l’économique, du social, de l’écologique et du culturel et d’assurer leur codétermination dans le processus du développement  de tout homme et de tout l`homme. Fondé sur le principe du droit inaliénable de chaque être humain à la vie et à la liberté, le concept d’économie éthique implique des principes d’économie solidaire. Cette dernière peut être définie comme l’ensemble des activités économiques soumis à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel; elle contribue ainsi à la démocratisation de l’économie à partir d'engagements citoyens. Cette perspective a pour caractéristique d’aborder ces activités, non par leur statut (associatif, coopératif, mutualiste,…), mais par leur double dimension, économique et politique, qui leur confèrent leur originalité’’ (Laville 2011).

L’économie solidaire s’appuie sur la mise en cause par Karl Polanyi du sophisme économique qui confond économie et marché comme  sur sa distinction entre économie formelle orthodoxe et économie substantive (Polanyi 2007). L’économie substantive admet la pluralité des principes économiques. Il existe d’autres principes comme la redistribution publique fondée sur des prélèvements effectués à partir de règles édictées par la démocratie représentative et privée innervée  par la philanthropie, la réciprocité basée sur l’acceptation des liens d’interdépendance, le partage domestique fondé sur l’appartenance familiale.

Tous ces principes viennent compléter et corriger le principe du marché et montrent en même temps que l’analyse conséquente du champ économique se trouve dans leur combinaison et non dans la référence à l’unique marché ; ce qui, par conséquent, rayerait du paysage économique la plus grande partie de l’histoire humaine.

L’économie solidaire ouvre la voie à de nouvelles conceptualisations qui désormais posent la problématique de la démocratisation de la chose économique et du pluralisme économique. Favreau nous plonge dans cette problématique à travers sa conception de l’‘‘économie sociale et solidaire’’. Selon, lui, celle-ci cherche à rendre compte d’un triple processus: le processus de croisement d’objectifs sociaux et économiques au sein d’entreprises; le processus démocratique interne de ces organisations, caractéristique importante de ces entreprises; l'apport de ces entreprises et organisations dans la démocratisation économique des sociétés (Favreau 2003).

S'inspirant des principes de comportement économique mis en évidence par Polanyi (administration domestique, réciprocité, redistribution et marché), Laville (2011) a mis en évidence le fait que l'activité économique s'articule, dans des proportions variables selon l'époque et le lieu, autour de trois pôles : le monétaire marchand (le marché), le monétaire non-marchand (la redistribution opérée par l'Etat-providence) et le non-monétaire non-marchand (l'économie de proximité, c'est-à-dire le troc de biens et de services effectué par les individus dans leur voisinage) (cité par Sophie Adam 2017). L'approche "économie solidaire" souligne l'hybridation de ces trois principes. Les ressources réciprocitaires sont présentes dès l'émergence de l'initiative; le lien social constitue l'"impulsion réciprocitaire" faisant émerger des pratiques économiques. La consolidation de ces pratiques s'appuie ensuite sur l'hybridation de trois types de ressources: ressources réciprocitaires initiales, ressources publiques (redistribution non-marchande) et ressources marchandes; initiatives dans l’élaboration d’un nouveau modèle de développement démocratique et équitable et donc d’une humanisation de l’économie à l’échelle de la planète.

L’économie sociale a participé, de façon explicite, au combat social pour plus de justice et de démocratie. Tout comme l’ensemble des mouvements sociaux, par ces temps d’incertitudes sur les voies à suivre en matière de développement, les organisations et les entreprises de l’économie sociale s’interrogent à nouveau sur leur contribution à ce développement.

Avec la crise du socialisme réel dans les pays de l'Est, celle de l'État-providence dans les pays capitalistes de l'Ouest, la crise générale des étatismes industrialisants comme stratégies de développement socio-économique dans les pays du Sud, mais aussi avec les aspirations de groupes sociaux à des manières différentes d'entreprendre, on assiste aujourd'hui à une réinvention de l'économie sociale au Sudpour repenser les termes du développement économique et social sur la base d’une reconfiguration des rapports entre le marché, l’État et la société civile, notamment autour de la notion d’économie plurielle (les économies privée, publique, solidaire; marchande, non marchande et non monétaire).

Dans ‘‘Le sophisme économiste’’, Polanyi donne des cas de l’économie plurielle. Selon lui, les êtres humains appartenant à un même groupe social peuvent travailler pour des raisons différentes. Pour des raisons religieuses, les moines ont pratiqué le commerce et permis aux monastères de devenir les établissements commerciaux d’Europe. La kula des Trobriandais, une des modalités de troc complexes jamais connues, visait principalement des finalités esthétiques. Chez les Kwakiutl, l’activité industrieuse semble être menée pour satisfaire un point d’honneur. À l’époque du despotisme mercantiliste, l’industrie fut souvent organisée selon des visées de puissance et de gloire. La tendance est d’imaginer que les moines étaient régis par la religion, les Mélanésiens occidentaux par l’esthétique, les Kwakiutl par l’honneur et les hommes d’État du XVIIe siècle par la politique de puissance (Polanyi, op.cit.).

Face à un modèle économique néolibéral qui exclue, réduit les motivations de l’activité économique à la recherche du profit, Polanyi montre que la pratique d’une économie plurielle est possible. Cette dernière est capable d’équilibrer des logiques d’accumulation, de redistribution équitable des ressources par l’Etat et de réciprocité, exprimées sur un marché régulé démocratiquement. L’économie plurielle est une approche éthique du développement économique, qui se fonde sur des valeurs et privilégie le bien-être des personnes et de la planète plutôt que les profits et une croissance aveugle. A ce titre, elle place l’être humain au centre de l’économie. Une de ses grandes valeurs reste l’humanisme. De quoi peut-il s’agir lorsqu’on parle de ce dernier?

1.4.L’humanisme africain comme modèle axiologique de l’économie solidaire

L’humanisme est aussi vieux que l’humanité, mais en même temps il reste toujours un projet à réinventer. Le projet humaniste est inscrit dans l’histoire antique de chaque peuple et celui-ci lui a insufflé  une philosophie spécifique à son enculturation. Aujourd’hui, le mot ne peut plus connoter la même sémantique qu’à la période de la Renaissance européenne, forgée autour de la figure de l’homme idéal, maître et possesseur de l’Univers; ni être confinée à une vision euro-centriste du monde conférée par certains penseurs des Lumières (Bokova 2017).

De nos jours, le respect de la diversité culturelle est la base de l’humanisme. Il en est une composante vitale, à l’heure où l’économie devient de plus en plus plurielle. Aucune culture n’a le monopole du pluralisme économique. Chacune peut contribuer à l’affermissement de nos valeurs communes afin de construire une économie solidaire. La culture africaine nous en donne les moyens. Elle contribue à l’édification d’un nouvel humanisme dont les valeurs éthiques constituent la clé de voûte des objectifs socio-politiques et le lieu d’émergence d’une rationalité économique capable de dialectiser les normes éthiques et l’efficacité économique.

L’humanisme africain puise sa conception de l’homme dans les valeurs ancestrales. L’homme y est conçu comme soucieux de l’épanouissement  de l’autre. Aussi celui-ci se considère-t-il comme sans valeur lorsqu’il est privé de bonnes relations avec les autres. Sa vie charrie entre deux types de solidarité: la solidarité horizontale et  la solidarité verticale. La première le lie aux hommes et aux autres êtres; la seconde le lie aux ancêtres et au Préexistant. Le sens de sa vie tient à cette double solidarité grâce à laquelle il vit en harmonie avec la nature,  les autres êtres humains et le Préexistant (Nothomb 1965).

La plupart des idéologies africaines se sont ressourcées à cette philosophie de l’homme. Le socialisme africain de Julius Nyerere nous en délivre quelques idées de base parmi lesquelles nous retenons deux: l’éradication de toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme ; la promotion de l’égalité fondamentale entre les hommes et leur union fraternelle, la construction de la famille de base  (Ujamaa) où les gens vivent et pensent avant tout comme membres d’une société (cité par Van Parys 1995).

Aujourd’hui, on parle de plus en plus d’Ubuntu comme une nouvelle forme de l’humanisme africain. Ubuntu est perçu comme la définition de la personne incarnant les vertus de compassion, de générosité, d‘honnêteté, de magnanimité, d’empathie, de compréhension et de  pardon (Eze 2017). Selon Joseph Ki-Zerbo, en Zulu,  le concept signifie: ‘‘sans  l’autre je n’existe pas, sans l’autre je ne suis rien, ensemble nous ne  faisons qu’un’’(2007). De façon simple, le concept d’Ubuntu veut dire ‘‘je suis parce que nous sommes’’. Le ‘‘Je’’ et le ‘‘nous’’ sont inextricablement liés ; l’un et l’autre ne peuvent s’épanouir que dans une dimension relationnelle qui veut que chacun de deux n’existe que grâce à l’autre.  Ubuntu est le collectif humain solidaire. Il exprime l’humanisme ancré dans le partage et la fraternité. Il y a une dimension relationnelle très forte qui voudrait que chacun de nous n’existe qu’à travers l’autre. Interrogé à ce propos, Nelson Mandela répond :

Dans l’ancien temps, quand nous étions jeunes, un voyageur parcourant un pays pouvait s’arrêter dans un village, il n’avait pas à demander de la nourriture ou de l’eau. Une fois qu’il s’arrêtait, les gens lui donnaient de la nourriture, l’accueillait, c’est là un des aspects de l’Ubuntu car il comporte divers aspects (Mandela 2020).

Ainsi, Ubuntu n’est pas un simple concept[2]. Il représente  toute une cosmogonie des relations humaines, qui fait de la communauté une priorité devant l’individualisme,  et où chaque  « Homme  devient homme qu’à condition que chacun d’entre tous les hommes soit Homme ». Ubuntu peut constituer «un antidote axial et spécifique de la mercantilisation de tout homme et de tous les hommes par le néolibéralisme partisan de la société de marché »(Ki-Zerbo, 2007 : 114). La toile de fond de cet antidote revêt un caractère socio-économique.

Du point social, Ubuntu constitue le but et le sens de la paix. Celle-ci est constituée par un faisceau de normes autogénérées et autogérées. Parmi elles, il faut citer la conscience et la responsabilité. La conscience qu’un conflit, si meurtrier soit-il, peut prendre fin et être une occasion de la refondation de la société. Aussi par la prise de conscience chaque belligérant doit-il assumer ses responsabilités afin d’éviter à la communauté une situation de la guerre des uns contre tous dont la conséquence néfaste est l’institution de l’état de nature. «Dans le conflit ou la bagarre, s’il y avait quelque chose de valable et de bénéfique les chiens l’auraient trouvé. Les chiens ne l’ont pas trouvé; les hommes non plus » (Ki-Zerbo 2007 : 115).

Outre la paix et la responsabilité, le socle du collectif Ubuntu, c’est également l’idée que l’on se fait des membres de la communauté. Toute l’importance de la vie communautaire tient au respect du contrat social dont voici quelques principes (Ki-Zerbo 2007 : 116-117):

  1.  à chacun selon ses besoins’’. Ce principe est expliqué à travers cet autre principe qui dit que ‘‘chaque membre de la société doit posséder un peu’’. Corrélés, ces deux principes mettent en valeur la satisfaction des besoins vitaux de l’homme auxquels est liée aussi sa dignité humaine. Ainsi, en Afrique précoloniale, «se servir en passant d’un ou de deux épis de mil dans le champ de quelqu’un d’autre était une pratique admise.
  2.             une tête vaut une tête, une vie vaut une vie’’. C’est le principe de l’égalité de tous qui combat toute philosophie d’exclusion basée par exemple sur l’âge (car, ‘‘le vieillard vaut mieux que son prix’’), la génération (de fait, ‘‘c’est par les enfants que nous sommes immortels’’) ou encore les tares psychiques ou physiques (en effet, ‘‘le fou est une personne folle, un humain’’).
  3. Le monde, c’est le débat. Le monde ne s’arrange que par le débat critique’’. Ce double principe met en évidence la pratique de la palabre menée dans le respect des règles consubstantielles à l’organisation d’une assemblée délibérative afin de transformer l’existence et le statut des uns et des autres.

Du point de vue économique, le peuple de l’Ubuntu exige un espace nouveau où la division du travail est fondée sur le respect minimal de l’être humain. L’espace économique qui en est l’émanation est régulé par la loi ‘‘de l’ouverture empathique aux autres’’. La Charte de Mandé qui fait état de cette ouverture déclare: «Que chacun veille sur son prochain. Que chacun entretienne et pourvoie aux besoins des membres de sa famille» (La Charte de Mandé 2017)

Ainsi, Ubuntu relève d’un mode de production non productiviste avec une économie du don, plus soucieuse des liens sociaux que des biens matériels, davantage préoccupée par le partage que le profit. De ceci découle la question ci-après: est-il possible de faire fonctionner Ubuntu dans un monde de production capitaliste et néolibéral verrouillé par une mondialisation embastillée dans une carapace du lucre?  

Cette question nous incite à faire deux remarques à propos  d’Ubuntu à la fois sur le point de vue social et économique. Du point de vue social, Ubuntu n’est pas la solidarité ethnique souvent enfermée dans une identité close et potentiellement explosive. Il est plutôt une solidarité qui ne tolère ni démission de celui qui en bénéficie, ni sa déresponsabilisation. Car, comme le dit le proverbe swahili, «traite ton hôte comme hôte pendant deux jours ; le troisième jour, donne-lui une houe» (Van Parys op.cit).  Du point de vue économique, il est question d’infra-structurer Ubuntu pour en faire un véritable facteur de transformation de nos communautés. De plus, Ubuntu ne peut émanciper le continent que s’il s’ouvre à l’économie de marché pour créer une sorte d’osmose entre les ressorts épistémologiques de ce dernier et les valeurs d’Ubuntu.

La philosophie qui doit  soutenir cette révolution axiologique peut être appelée, à la suite de Kwame NKrumah, le «consciencisme  philosophique». D’après le philosophe ghanéen,

le consciencisme est l’ensemble, en termes intellectuels, de l’organisation des forces qui permettront à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétiens  présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine. Celle-ci se définit elle-même par l’ensemble des principes humanistes sur quoi repose la société africaine traditionnelle. La philosophie appelée « consciencisme» est celle qui, partant de l’état actuel de la  conscience africaine, indique par quelle voie le progrès sera tiré du conflit qui agite actuellement cette  conscience »(Nkrumah 2009 : 98).

Ce qui précède est une mise en garde contre toute logique de coquille. La logique de la coquille est celle de l’escargot qui, lorsqu’il fait orage à l’extérieur, se retire dans sa coquille pour s’y calfeutrer. Ubuntu doit se prévenir  contre le communalisme qui frise avec le communisme primitif et consacre l’ascendance du groupe sur l’individu. L'instrumentalisation de la parenté peut traduire parfaitement le commerce d'intérêt que représente l'assurance identitaire dans les mécanismes contemporains de conservation des positions économiques.

Les coopératives à vocation économique comme les tontines, les formules traditionnelles d'épargne-crédit, tout en respectant les identités professionnelles (agents d'un même service ou niveau de vie, commerçants; artisans,) ne sont pas entièrement insensibles aux origines ethniques des membres. Dans les milieux ruraux, les organisations coopératives, les ONG locales restent souvent très sensibles aux sollicitations familiales (Akakpo 2017).

Ubuntuest nécessairement dans ce sens une valeur de modernité. A ce titre, il ne saurait conserver son sens traditionnel dans un monde de nouveaux enjeux et d’innombrables défis. Le supplément  d'âme qu’Ubuntu peut insuffler  à l'humanité souffrante est une solidarité qu’il faut davantage inventer qu’exhumer. Pour exemple, l'esprit d'initiative qui caractérise l'économie dite informelle traduit un mouvement social d'ensemble, une mutation économique à laquelle Ubuntu ne peut aucunement être indifférent.

4.Enjeu et défi de l’économie solidaire en Afrique

1.5.Etat de la question

Quel paradigme du discours d’économie éthique devrions-nous théoriser pour mettre en œuvre un socle axiologique de l’économie solidaire au profit des agents engagés dans les différentes organisations économiques? Sur le continent, cette économie solidaire évolue en marge d’une économie fondée sur la suprématie du marché, comment l’intégrer dans le marché pour la sauver de la simple survie et surtout en faire un des enjeux de la responsabilité éthique dans l’économie marchande?

L’économie solidaire gagne de l’importante dans le nouveau paysage socio-économique africain. On assiste à la montée des organisations économiques populaires. Celles-ci cherchent d’une part à résister à un darwinisme économique de notre système économique, d’autre part à construire les bases d’une économie éthique capable de promouvoir le bien-être social et le  développement durable. La question d’enjeu axiologique de l’économie solidaire et du défi auquel elle est confrontée offre une opportunité d’en discuter en vue de la porter au plérôme.  

1.6.Quel enjeu axiologique pour l’économie solidaire?

Nous avons déjà reconnu que l’économie solidaire constitue le mode de production et de consommation dans les organisations économiques populaires (coopératives, mutuelles ou associations). Sa base normative se ressource à une double  solidarité: collective et organique. Pour opérationnaliser cette base normative, nous nous sommes inspiré de six  principes régulateurs par lesquels les organisations économiques populaires mettent l’économie solidaire en pratique. Il s’agit des principes  de démocratie, de  transparence, de solidarité, de développement durable, de développement local et de justice économique.

Au nom du principe de solidarité, les initiatives prises au sein de ces organisations économiques populaires  permettent à tout membre de s’exprimer, d’être écouté, d’être acteur de son devenir social dans le contexte de l’économie et son implication politique. Cette prise de parole est le thermomètre de la démocratie. D’elle dépend la construction d’une démocratie participative et délibérative où les salariés et partenaires discutent de la gouvernance associative, et les initiateurs agissent de façon transparente et proposent des solutions opportunes. Les actions menées par les uns et les autres visent à renforcer la solidarité entre les différents acteurs. La solidarité instaure l’équité dans la répartition des bénéfices et des charges et lutte contre toute discrimination. Grâce à elle, les projets et les initiatives économiques sont menés dans un esprit de développement durable qui puisse répondre aux besoins des populations locales présentes et à venir. Partant, les initiatives économiques insufflent aux différents membres l’esprit de créativité, d’inventivité et de coopération pour une lutte en faveur d’un commerce équitable entre le Sud et le Sud, d’une part, entre le Sud et le Nord, d’autre part ; le tout dans le respect des règles de justice économique.

Ces six principes régulateurs constituent le fondement du creuset de l’économie solidaire. Quel enjeu axiologique peuvent-ils connoter dans le contexte africain? Nous nous proposons de répondre à cette question en reconsidérant le concept d’Ubuntu comme un chemin herméneutique de l’enjeu axiologique de l’économie éthique.Ubuntu, comme l’homme remède  de l’homme, place l’homme comme finalité de développement. 

Dans l’optique d’Ubuntu, l’homme est lié à ce proverbe africain ‘‘muntu udi muntu wa bantu’’[3], qui se traduit: ‘‘Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous’’. Quelqu'un d’Ubuntu n’est pas un ‘‘sum’’ (je suis), mais un ‘‘sursum’’ (je suis au-delà). Il n’est pas seulement un ‘‘coesse’’ (être avec), mais aussi  un ‘‘per-esse’’ (être par) ouvert et dévoué aux autres, disponible pour les autres. A la question de savoir ce qu’il est, quelqu’un d’Ubuntu répond : « Je ne suis rien sans toi, je ne suis rien sans eux. Quand je suis arrivé, j’étais dans leurs mains; ils étaient là pour m’accueillir. Quand je repartirai, je serai encore dans leurs mains; ils seront là pour me reconduire » (Ki-Zerbo 2003).

Ubuntuest donc le Collectif humain solidaire. Il s’agit ici d’une solidarité structurelle qui n’a d’emprise sur les pulsions égoïstes d’un membre de la communauté  que s’il est perçu par cette dernière comme une entité dotée de droits exclusifs et chargée de devoirs incontournables. ‘‘L’homme, c’est les autres; mais, se suffire, être capable de se porter soi-même, c’est l’essentiel’’, dit la sagesse mandingue. Dans la philosophie d’Ubuntu, le « je » et le « nous » sont inextricablement liés et ne peuvent s’épanouir que dans un échange dialectique qui garantit la concorde.Ici

l’individualisme n’est pas d’actualité, ce qui est important est la capacité d’avoir une conscience sociale : même si je chéris ma liberté individuelle, je ne suis libre que par rapport à l’autre, tout ce que je suis, je le suis en relation avec l’autre, je n’existe pas en tant que personne isolée (Nozipho & Dladla 2003).

Ubuntuest un art de vivre, une vision du monde, une philosophie. Il constitue le socle des valeurs morales et humaines. A ce titre Ubuntu peut être une base normative des initiatives des organisations économiques populaires (coopératives, mutuelles ou associations).

La solidarité qu’enseigne la philosophie d’Ubuntu n’est ni clanique, ni tribale, ni ethnique. La solidarité de la philosophie d’Ubuntu est intégrative, organique et ouverte ; elle n’est chargée d’aucune identité mathématique close et virtuellement meurtrière. Ouverte, elle favorise, au sein de la communauté et pour sa cohésion,  «la palabre, plus ou moins construite et structurée comme voie royale pour gérer le débat et l’action démocratique, pour transformer l’existence et le statut des uns et des autres » (Ki-Zerbo 2007 : 117).  Il se déroule sous un arbre à palabre symbolisant le lieu sacré où chaque communauté se regroupe pour rendre justice afin de maintenir l’harmonie du groupe.

Ces quelques cas de défis cités montrent que la philosophie d’Ubuntu n’est  pas un concept à évoquer nostalgiquement, mais une façon de vivre qui recommande à chaque sociétaire à verser quotidiennement une larme de tendresse mutuelle et de compassion dans le carburant du moteur humain  afin de débestialiser l’idéologie capitaliste néo-libérale qui, à cause de son individualisme et sa vision réductrice de l’être humain à un simple  homo oeconomicus, ferme davantage les portes de nos cœurs et âmes.

1.7.Défi de l’économie solidaire

L’économie capitaliste est souvent désignée comme le mode de production qui consacre la division de la société en deux classes principales: d’une part, la bourgeoisie, propriétaire et gestionnaire des moyens de production (machines, usines...); d’autre part, le prolétariat, classe des travailleurs dépossédés des moyens de production, et vivant essentiellement du revenu tiré de la vente de sa force de travail (Dembélé 2011: 16; Bwemba-Bong 2003). Le mode de production capitaliste n’est pas un simple système de production pour le marché, mais surtout un régime de gestion des moyens de production et des produits du travail social uniquement par une fraction infime de toute la société.

Cette mainmise sur la gestion a imprimé au régime économique capitaliste trois traits fondamentaux (Dembélé 2011: 16; Bwemba-Bong 2003):

  1. La production capitaliste est nécessairement une production de marchandises pour la vente  sur le marché; d’où la désignation du capitalisme comme «économie de marché» et système dans lequel le producteur ne produit pas pour ses propres besoins;
  2. Le producteur, séparé et dépossédé des moyens de production, vit en vendant sa force de travail et devient ce que l’on nomme le prolétariat;
  3.  le capitalisme est un régime socio-économique de propriété privée des moyens de production, différente de la propriété collective.

Ce mode de production repose sur une idéologie du libre-échange/libre concurrence avec sa propre logique et ses lois spécifiques. L’éthique qui en découle tient aux principes ci-après (ibidem): « à la base de l’activité productrice, l’initiative de l’individu » et la « responsabilité s’y rattachant s’élèvent au rang de valeurs morales capables de justifier la finalité du gain maximum»;  ce principe cache le principe d’harmonie des intérêts qui fonde le libéralisme économique et le darwinisme économique. Le principe d’harmonie des intérêts n’est rien d’autre que le principe de la « sélection naturelle » qui ne privilégie que les « forts».

Ainsi, toute activité sociale est réduite à la recherche effrénée du gain maximum. Dans cette situation, l’homme est toujours considéré comme un moyen et jamais comme une fin. C’est cette recherche du profit sans relâche qui fonde le processus d’accumulation du capital et pose les bases idéologiques/éthiques du fonctionnement du mode de production capitaliste. Face à cette situation , la philosophie d’Ubuntu  peut servir de cadre de débat entre les organisations économiques populaires africaines sur le néolibéralisme partisan de la société de marché.

La philosophie d’Ubuntu peut-elle faire bon ménage avec l’économie? La réponse à la question exige de définir  le concept ‘‘économie’’ afin d’en découvrir une possible dialectisation avec la philosophie d’Ubuntu.[4] Au sujet de la définition du concept ‘‘économie’’ Polanyi nous met en garde:

Toute tentative d’appréciation de la place de l’économie dans une société devrait partir du simple constat que le terme « économique», que l’on utilise couramment pour désigner un certain type d’activité humaine, est un composé de deux sens distincts. Le premier sens, le sens formel, provient du caractère logique de la relation des moyens aux fins; la définition de l’économique par la rareté provient de ce sens formel. Le second sens, ou sens substantif, ne fait que souligner ce fait élémentaire que les hommes ne pourraient vivre durablement en dehors d’un environnement naturel qui leur fournisse leurs moyens de subsistance » (Polanyi, op.cit).

Selon Polanyi, « le sens substantif provient de ce que l’homme est manifestement dépendant de la nature et des autres hommes pour son existence matérielle. Il subsiste en vertu d’une interaction institutionnalisée entre lui-même et son environnement naturel » (ibidem). Cette situation de l’homme entouré des autres êtres de la nature pose la question de son rapport avec l’environnement. Deux considérations de ce dernier sont envisageables. Pour l’homme, l’environnement, ne peut avoir de valeur que comme un instrument à son service. A l’opposé, il peut adopter une attitude de responsabilité et de protection de la nature pour une certaine valeur qu’elle présente. User des choses à sa guise ne signifie pas en faire n’importe quoi, mais les faire contribuer à nos projets, et donc aussi les conserver pour les mettre à disposition des générations futures (Baertschi 2005 : 278).

Cette double attitude dessine deux types d’économie: une économie de destruction, de type formel; et une économie de protection, de sens substantif, qui peut faire bon ménage avec la philosophie d’Ubuntu.  Dans celle-ci, l’homme est constitué de trois éléments: le corps, l’esprit et le travail.

le travail est un service qui se rend, s’échange, s’évalue dans le cadre de l’organisation familiale. Dans cette économie formée, l’individu produit toujours pour son groupe, et le plus souvent avec son aide. Ce groupe est naturellement plus ou moins restreint... La notion de travail ne se forme pas seulement dans cette perspective économique et sociale, les conceptions religieuses y ont également leur part. Car la technique est intimement liée au rite et à la prière ; du fait que la production est essentiellement collective, la représentation et les croyances collectives lui sont liées (Bwemba-Bong, op.cit).

Cette organisation du travail illustre l’un des principes centraux de la philosophie d’Ubuntu: ‘‘Je ne suis rien sans l’autre’’. Cette philosophie sociale d’Ubuntu s’oppose à la morale capitaliste, encline  à la conquête du lucre dans un espace compétitif où seuls les plus forts ont  raison; les plus faibles sommés de reconnaître que la loi du plus fort est toujours la meilleure.

Le débat entre la philosophie d’Ubuntu et l’économie capitaliste reste encore posé. Que peut faire la philosophie d’Ubuntu pour que les organisations économiques populaires travaillent à l’humanisation du système capitaliste? Il faut établir un mécanisme de défense pour se prémunir des prédateurs après avoir procédé à l’application d’un programme d’ajustement culturel de notre système économique. Pour le réaliser, l’engagement des intellectuels africains, de la société civile et de l’Etat est indispensable. Ainsi pourra se dessiner

la perspective d’un État partenaire de la société civile, à partir d'espaces permettant de développer une économie plurielle dans laquelle d’autres composantes que l’économie marchande internationalisée peuvent avoir droit de cité, à savoir des initiatives et des réformes basées sur des hybridations entre marché, État et société civile, oxygénée notamment par la diffusion d’une culture associative et coopérative revitalisée (Favreau 2003).

5.Conclusion

L’économie solidaire devient de plus en plus importante dans le nouveau paysage socio-économique africain. Aussi assiste-on à la montée des organisations économiques populaires dont l’analyse est menée à partir d’un idéaltype de deux approches de participation: d’une part l’approche de participation déterministe à partir de laquelle les organisations  de modèles unifiés, d’économie sociale, de mouvements sociaux et de producteurs sont étudiées, d’autre part l’approche de participation interactionnistequi permet d’examiner les organisations de modèle indigène ou endogène.

Si l’approche participative de type déterministe insiste sur le transfert des connaissances et des solutions décidées à l'extérieur du milieu socioculturel des bénéficiaires, l’approche participative de type indigène ou endogène  insiste par contre  sur le développement de la capacité des bénéficiaires à évaluer, choisir, planifier, créer, organiser, prendre des initiatives et décider sur les solutions à implanter pour leur propre développement.

Le mouvement associatif ou communautaire se ressource à ce dernier type d’approche. Il constitue aujourd'hui l'un des centres principaux d'intégration sociale des individus et de développement des collectivités locales. Aussi le mouvement associatif ou communautaire se présente-t-il comme un laboratoire où l'on peut puiser des valeurs et des pratiques sociales qui doivent inspirer les politiques sociales et le volontarisme collectif de lutte contre l'exclusion sociale, la recherche effrénée du profit et toute forme de discrimination, mais dans un combat pour une économie qui place l’humain  au centre de ses préoccupations. Le sextupleprincipe de démocratie, transparence, solidarité, développement durable, développement local et justice économique reste l’âme pensante de cette lutte.

La théorisation de l’économie éthique montre que celle-ci  a pour objectif de définir, de promouvoir et de diffuser dans la vie économique de normes éthiques susceptibles de favoriser la dialectisation de l’économique, du social, de l’écologique et du culturel et d’assurer leur codétermination dans le processus du développement  de tout homme et de tout l`homme. Ce socle axiologique (sur lequel repose l’économie éthique) est une critique du sophisme économique qui a tendance à  confondre l’économie et le marché. Au lieu de ne s’inscrire que dans l’unique logique de l’économie formelle orthodoxe, l’économie éthique développe une économie substantive, partisane de la pluralité des principes économiques : la redistribution publique fondée sur des prélèvements effectués à partir de règles édictées par la démocratie représentative et privée innervée  par la philanthropie, la réciprocité basée sur l’acceptation des liens d’interdépendance, le partage domestique fondé sur l’appartenance à la même famille. Tous ces principes viennent compléter et corriger le principe du marché et montrent aussi que l’analyse conséquente du champ économique se trouve dans leur combinaison et non dans la référence à l’unique marché ; ce qui, par conséquent,  rayerait du paysage économique la plus grande partie de l’histoire humaine.

A ce titre, l’économie éthique place l’être humain, sa culture et son développement au centre de l’économie. Aussi une de ses grandes valeurs reste-t-elle l’humanisme. Dans le cadre de l’Afrique, nous avons discuté de cette question à partir de la philosophie d’Ubuntu dont la ligne fondamentale tient à la base suivante de la rationalité relationnelle: « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ». L’individualisme n’y est pas d’actualité, seule la capacité d’avoir une conscience sociale nourrie des valeurs de partage, de gratuité, de générosité, d’altérité, de solidarité, de justice distributive, de protection du plus démuni, de dignité humaine est indispensable. Ainsi, il est autorisé d’affirmer que la philosophie d’Ubuntu constitue la base normative des initiatives menées par les organisations économiques populaires (coopératives, mutuelles ou associations) mieux que l’économie du marché tournée exclusivement vers la production capitaliste, la concurrence souvent déloyale, la marchandisation et la chosification de l’être humain.  

                       


[1]‘‘Qu’est-ce que l’économie solidaire ?’’, in Lettre d’information, http://www.adepes.org, mis en ligne le 4 août 2017.

[2]Dans le cadre de cet article, nous n’exploitons que la dimension éthique d’Ubuntu. La dimension métaphysique dont Ubuntu tient la quintessence n’y est abordée que de manière symptomatique.  

[3]Proverbe de l’ethnie Luba du Kasaï en République Démocratique du Congo. 

[4]Le débat qui en serait posé est beaucoup plus profond que la simple dialectisation de l’économie avec la philosophie d’Ubuntu. Ce débat soulèverait des interrogations sur l’apport d’Ubuntu à l’humanisation du capitalisme et à la construction d’un capitalisme social. Dans le premier cas, cela exigerait un profond aggiornamento  de la vision de l’homme. Pour la construction d’un capitalisme social, celle-ci serait envisagé sur la base des valeurs sociales d’Ubuntu. De celles-ci la partie économique d’Ubuntu ou Ubuntu économie, pour reprendre l’expression de Symphorien Ntibagirirwa  (Cultural values, Economic growth and development, https://www.jstor.org/stable/27749669, consulté le 17 janvier 2020)

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