THEORISER SUR LE LEADERSHIP POLITIQUE EN AFRIQUE A PARTIR D’UNE MEDITATION SUR LES SYNOPTIQUES

Abstract: 

This article proposes fundamental principles of a virtuous leader to African leaders for a better government. It estimates that politics and ethics converge fundamentally in action. This convergence structures the type of leadership that can institute and preserve the rule of law as requirement to guarantee citizens’ self-achievement as humans. The understanding of the article depicts Jesus as a leader, the Good Shepherd, the servant and a leader for transformation. The article highlights the dialectics of both the synoptic gospels and the fundamental law or the constitution to approach leadership. Accordingly, African leadership should build on the gospels as foundation stones to exercise an authentic leadership. Such a leadership will remain a cornerstone for society development. Thus, political leadership should be founded on the Gospel as a model.  

 

  1.  Introduction : La question dans sa matrice

« Une leçon africaine de leadership: servir son peuple, quel qu’en soit le prix » (Cishahayo 2017), « Une nouvelle génération de leaders en Afrique: quels enjeux ? » (Igué 2010), « Leadership en Afrique: Le maillon manquant! » (Nkoyock 2017), « Le leadership politique en Afrique noire: les nains après les géants » (Adamolekun 2017), ‘‘Le problème majeur de l’Afrique, c’est la crise du leadership » (Gadio 2017): les thèmes sur le leadership en Afrique abondent et la plupart d’entre eux ont pour finalité de montrer la crise axiologique dans laquelle celui-ci plonge aujourd’hui.

L’Afrique serait-elle en panne du leadership politique capable de fonder véritablement l’Etat démocratique respectueux des droits humains et travaillant à la mise en place des conditions  de paix et de liberté, gage d’un développement humain durable? La question mérite d’être posée. En effet, ces trois dernières décennies, les peuples de l’Afrique voguent entre les aspirations démocratiques et les démocraties autoritaires qui rappellent les souvenirs des systèmes de parti unique et de monopolisation des pouvoirs qui ont prévalu entre les années soixante et quatre-vingt-dix (Gadio 2017).

D’une manière générale, ces nouveaux leaders installés au pouvoir instaurent des régimes dont les méthodes de gestion s’inspirent de celles du Prince de Machiavel. Comme ce dernier, ils reconnaissent :

  • qu’il est impératif que la politique fasse preuve à la fois de force, pour contenir les uns, et de ruse, pour déjouer les pièges tendus par les autres ;
  • qu’il faut que le pouvoir soit plus craint qu’haï, car la haine épuise et menace ;
  • que les passions sont à flatter, au bon moment, selon les circonstances ;
  • que l’art politique est également la faculté de tirer profit de l’éphémère passionnel.

 

Ces leaders reposent leurs méthodes de gestion sur des forces politico-militaires partisanes et redoublées d’affinités régionales et/ou ethniques qui contrastent avec tout projet de moralisation de la vie politique. La politique, ce n’est pas la morale. La politique, c’est la gestion d’intérêts qui s’entrechoquent; entendons-nous dire.On décrète alors, arborant à l’occasion une référence à la pensée de Machiavel, les dangers auxquels nous exposerait toute tentative d’unir la politique à la morale. Politique et morale ne font pas bon ménage. Au nom du réalisme politique, tout aussi bien dans le domaine des relations internationales que nationales,  il arrive que le leader africain défende encore, bien que plus sourdement, la nécessité de s’affranchir des préoccupations morales.

L’opinion scientifique se souvient qu’on oppose nettement Le Prince de Nicolas Machiavel au Prince chrétien d’Erasme de Rotterdam[1].  Selon ce dernier, le prince doit s’imposer par la pratique des vertus, le mot reprenant ici son sens moral et traditionnel altéré chez le penseur italien. L’autorité est juste quand elle a en vue le bien public et quand elle est acceptée des subordonnés. Le règne du tyran, qui gouverne pour lui et en dépit de ses sujets, est interdit au prince chrétien[2]. Pour atteindre cet idéal, celui-ci a besoin d’une formation complète, c’est-à-dire l’apprentissage moral et l’ouverture de son esprit par la culture républicaine.

L’objectif de cet article est de proposer à la plupart des ‘‘monarques’’ de l’Afrique les lignes fondamentales d’un leadership vertueux à travers les synoptiques pour les faire bien gouverner. Aussi estimons-nous que la politique converge avec la morale au sujet du fondement de son action. En inscrivant son action politique dans cette diarchie politique/morale, le leader politique peut permettre l’institution et la préservation d’un Etat de droit, garantissant à chacun la liberté de se réaliser en tant qu’être humain et donc d’être un représentant de l’humanité.

Nous débattons de cette idée à travers le modèle de leadership vertueux dont l’analyse faite à partir des synoptiques[3] suit le canevas ci-après: le leadership ‘‘alma mater’’ étudié à travers la métaphore du bon berger, le leadership authentique à travers l’image du bon serviteur, le leadership transformationnel à travers la parabole du semeur, la loi fondamentale comme socle des bases normatives du leadership en Afrique, la dialectisation des synoptiques et de la loi fondamentale comme voie de construction du leadership en Afrique.

  1. Le leadership ‘‘alma mater’’ étudié à travers la métaphore du bon berger

Le leadership ‘‘alma mater’’ est le modèle qui étudie le pouvoir d’attraction des femmes et hommes charismatiques sur les peuples. Le charisme est entendu comme la qualité extraordinaire d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains. Appliqué au concept de charisme,  le leadership ‘‘alma mater’’ a quelque chose de messianique par sa force génitrice faite de compassion, d’empathie avec la douleur des autres, et en même temps d’espérance régénératrice dont elle nourrit les âmes.

Jean 10, 1-10, à travers la parabole du bon berger, nous offre un véritable modèle paradigmatique du leadership ‘‘alma mater’’[4].  Pris dans le sens biblique, le leadership ‘‘alma mater’’ se réfère au pouvoir pastoral dont le chef est le berger ; et le troupeau les individus, les collectivités ou la population. Dans l’optique de la Bible, le berger premier est, bien entendu, Dieu. Le roi devient, en quelque sorte, son subalterne « à qui Dieu a confié le troupeau des hommes». ‘‘Je suis le bon berger et je connais les miens comme ils me connaissent, tout comme le Père me connaît et moi je connais le Père’’ (Jn. 10, 14-15).

Le pouvoir pastoral se caractérise de plusieurs façons. A travers la péricope de Saint Jean, nous dénombrons deux caractéristiques principales : d’une part un pouvoir transitionnel et bienfaisant, d’autre part un pouvoir individualisant.

  1.  D’abord, un pouvoir ‘‘transitionnel et bienfaisant’’

La parabole du bon berger nous plonge dans un enclos où les troupeaux se rassemblent pour la nuit sous la surveillance d’un gardien. Au lever du jour, celui-ci appelle ses brebis chacune par son nom et les conduit dehors.  Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent car elles connaissent sa voix’’ (Jn. 10,4). Le pouvoir dont il est détenteur il l’exerce non pas sur un territoire, mais sur un troupeau, un troupeau en déplacement. C’est un pouvoir « bienfaisant ». Il ne vise que le bien du troupeau, et a comme subsistance de lui assurer la nourriture ainsi que les bons pâturages. C’est un «pouvoir de soin»; prendre soin du troupeau et de chaque individu qui le compose. À l’opposé du pouvoir exercé par d’autres souverains, les dimensions de terreur, de force et de violence sont absentes du pouvoir détenu par le bon berger. Celui-ci sert sans se servir et n’attend aucun salaire de qui que ce soit. « Le bon berger donne sa vie pour les brebis. Le salarié est tout différent du vrai berger; les brebis ne sont siennes, et lorsqu’il voit le loup, il s’enfuit laissant là les brebis; le loup s’en empare et les disperse. C’est qu’il est là seulement pour le salaire et les brebis ne l’intéressent » (Jn. 10, 11-13).

Nous pouvons déduire de ce qui précède que le pouvoir pastoral, dans sa forme, n’est pas du tout puissant. Il est par contre un ministère. Le berger veille au bien-être du troupeau. Il a une charge, il est au service de celui-ci. « Celui qui ne pense aux pâturages que pour son propre profit » est un mauvais berger, « le bon berger ne pense qu’à son troupeau et à rien au-delà ». A son sujet, chaque brebis peut reprendre cette parole du Psalmiste: « Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manque de rien ; sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer, vers les eaux du repos il me mène, il y refait mon âme ; il me guide par les droits chemins» (Ps. 22, 1-3). Nous y voyons, quant à nous, un pouvoir «transitionnel» qui s’exerce entre le berger et le troupeau pour le bien-être de ce dernier.

  1.  Puis, un pouvoir ‘‘individualisant’’

De fait, le berger fait tout pour la totalité du troupeau, mais il fait tout également pour chacune des brebis du troupeau. C’est-à-dire que le berger doit avoir l’œil sur tout et l’œil sur chacun en même temps et que, à certaines occasions, il sera forcé à choisir l’un ou l’autre, à faire le sacrifice de l’un pour tout, ou le sacrifice de tout pour l’un. Il est différent du voleur qui ne vient que pour prendre, égorger et détruire les brebis, alors que lui vient pour que celles-ci aient la vie, la vie en plénitude (Jn.10, 10). Aussi le bon berger doit-il connaître ses brebis comme elles le connaissent ; il est le portier qui leur ouvre la porte, et après avoir appelé chacune par son nom, elles sortent pour le suivre quand elles entendent sa voix. Il leur donne de vivre pour toujours, il ne permet pas qu’elles périssent ni qu’on les arrache de sa main (Jn 10, 3,14, 28). 

En somme, dans la péricope de Saint Jean, la métaphore du berger et du pouvoir pastoral bienfaisant et  individualisant puise dans les fonds baptismaux de la longue tradition biblique. Dans l’Ancien Testament, Dieu est toujours présenté comme le bon Pasteur de son peuple. Il en a écouté la plainte, l'a libéré de la terre d'esclavage, sauvé et guidé dans sa rude marche au désert vers la Terre promise. Après, il a continué à le guider et à le porter dans ses bras comme le pasteur porte ses agneaux.

A ce titre, Dieu est le modèle achevé du leadership ‘‘alma mater’’ à qui Jésus s’identifie. Dans Jn 10, 14-15, celui-ci affirme: «Je suis le bon berger et je connais les miens comme ils me connaissent,  tout comme le Père me connaît et moi je connais le Père. Et je donne ma vie pour les brebis.» Lorsqu’il se manifeste à ses disciples au bord de la mer de Tibériade Jésus demande à Pierre de paître ses brebis (Jn 21, 16) et de le suivre (Jn 21, 19). Pierre devient le pasteur à la suite du seul Bon Pasteur, le Christ. Dans ce sens, il incarne, à notre avis, l’image du leadership qui doit veiller à la vie véritablement humaine de ceux qui lui ont été confiés. 

Ce leadership pour être vrai et bon pasteur doit être capable de chercher et de remettre dans le droit chemin les brebis raisonnables qui se sont perdues. Il vivifie et guérit les brebis malades. Quand celles-ci sont au pâturage, le pasteur ne cesse pas de veiller sur elles et de surveiller le loup prédateur. C'est l’amour de ses brebis  qui fait connaître le vrai pasteur et le pousse à accepter le sacrifice suprême. Il ne peut s’y accommoder que s’il fait sienne cette exigence du serviteur volontaire dont St. Matthieu nous livre un des points d’ancrage en proclamant dans 20, 26-28: « Si l’un d’entre vous veut être grand, qu’il se fasse votre serviteur, et si l’un d’entre vous veut être le premier, qu’il soit votre esclave, tout comme le fils de l’Homme qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude».

  1. Le leadership authentique à travers l’image du serviteur volontaire

Mintzberg (2008) écrivait:

Le vrai leadership se mérite à l’interne, c’est-à-dire dans l’unité, dans l’organisation, dans la communauté, voire dans la nation. Ce leadership ne se contente pas de la direction d’une personne, il cherche d’abord la personne qui convient et la soutient par la suite avec enthousiasme (cité par Muntunutwiwe 2015).

Nous pouvons déduire de cette idée de Mintzberg que la construction d’un vrai leadership passe par le mérite et la compétence que doit incarner le leader, la cohésion sociale sans laquelle l’unité nationale est hypothéquée, l’intégrité qui permet de soupeser l’honnêteté et la loyauté du leader, la confiance pour examiner sa légitimité. C’est à ces conditions que celui qui incarne le leadership vrai et authentique peut devenir un grand et exceptionnel dirigeant à la tête de la Nation.

Saint Matthieu nous décrit le portrait antagoniste de grand dirigeant en reprenant les paroles de Jésus qui s’adresse à ses disciples en ces termes:

Vous savez que les chefs des nations païennes se conduisent en dictateurs, et leurs grands personnages abusent de leur autorité. Cela ne devra pas être chez vous. Si l’un d’entre vous veut être grand, qu’il se fasse votre serviteur, et si l’un d’entre vous veut être le premier, qu’il soit votre esclave, tout comme le fils de l’Homme qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude (Mt 20, 25-28). 

Cette péricope de Saint Matthieu nous permet de nous interroger sur le sens du leader. Celui-ci, en effet, est le premier. Celui qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement qu’il arrache souvent au détriment des autres. À force de contrainte, de manipulation et de faux-fuyant, ils arrivent à l’ultime destination : diriger leurs pairs afin de les amener là où ils jugent bon vivre. Jésus s’insurge contre cette vision. Il établit un contraste entre les grands de ce monde et les grands dans le royaume: les grands de ce monde usent de leur autorité et de leurs privilèges, au mépris de l’intérêt des gens qu’ils sont sensés servir.La grandeur du plus grand entre les autres repose sur les traits suivants: être responsable, être serviteur des autres, être esclave volontaire, être le sel de la terre et la lumière des autres.

  1.  Etre responsable

L’aspiration à diriger comporte une énorme responsabilité. Celui qui désire guider les autres choisit la direction à suivre et doit en être responsable. Il est garant de ses décisions. Le leadership débute au-delà des talents naturels. Plus que le charisme, il y a la conscience. Le leader est tout d’abord quelqu’un de conscient de sa propre direction. Il procède à une introspection volontaire et active afin de jauger ses motifs et reconnaître pourquoi il fait ce qu’il fait et comment il le fait, puis, il examine pourquoi il désire diriger. Un exercice d’humilité qui se danse à genou, devant le Leader des leaders, le Seigneur des Seigneurs.

Le leader authentique s’avoue être danseur, mais pas un chef d’orchestre. Il est  conscient qu’il aura à rendre compte de ses décisions, ses paroles, ses actions et de son influence. Ce n’est pas lui qui décide de l’air qui joue, mais celui qui dirige les pas en suivant la musique. Il est sensible au rythme et au mouvement, il sait identifier la mélodie que le chef exécute afin d’amener les autres à suivre la danse.

  1. Etre serviteur

Le leader authentique doit comprendre qu’il n’est qu’un serviteur au service des autres. Son pas est dirigé vers le service envers les autres. Son désir de diriger n’est pas une volonté de domination, mais d’amour. Car, servir n’est pas se servir ; c’est être prêt à consentir les sacrifices de dépouillement de soi, de détachement de l’avoir, de port de la croix et de don suprême.

  1. Etre esclave volontaire

Peu populaire à notre époque d’égocentrisme politique, le leader authentique choisit pourtant la danse la plus difficile: celle de l’esclavage volontaire. En fait, plus l’ambition est grande, plus l’abaissement est nécessaire. Si un leader désire la grandeur, son ambition primordiale sera d’être serviteur; s’il envisage la première place, il devra prévoir l’esclavage. Dans la veine de la péricope de Matthieu, on peut soutenir que plus la position occupée est haute, plus l’humilité doit avoir de la préséance jusqu’à préférer la mort à la vie pour ceux qu’on sert. Aussi est-on en droit de soutenir que l’amour et l’humilité sont les deux souliers du danseur-leader. Sinon, il verse dans la politicaillerie, la dictature et le ‘‘recroquevillement’’ politique.

  1. Etre le sel de la terre  et la lumière des autres.

Au-delà du service, du volontariat et de l’aspiration, il y a la passion. C’est l’essence même qui fait gravir l’échelle du leadership et permet de concilier humilité et direction. Pour obtenir la première place des esclaves volontaires, dans un cœur de leader, il doit impérativement y avoir une passion profonde pour le respect de la Res publica. C’est à cette mesure que le leader sera le sel mordant -capable de donner à ses concitoyens le goût à la vie affadie par le mal- et une lampe placée sur le lampadaire pour éclairer le chemin vers la réalisation du bien commun qu’ils doivent prendre.

C'est pourquoi il doit incarner les vertus des Béatitudes (la modestie, la douceur, la miséricorde, la justice, la paix, la vérité, la candeur),  celles qui sont les plus nécessaires, les plus efficaces chez ceux à qui la responsabilité de présider à la destinée du peuple a été confiée. Ainsi, un leader qui est doux, modeste, miséricordieux, juste, défenseur de la vérité, artisan de paix, candide de cœur ne renferme pas en lui-même les bonnes actions qu'il accomplit; il doit s’en servir pour transformer l’agir politique de son peuple et ainsi le pousser à être  l’architecte d’une véritable communauté politique.

  1. Le leadership transformationnel à travers la parabole du semeur

Le leadership transformationnel est construit autour du travail du leader capable d’inciter ses concitoyens à transcender leurs intérêts personnels pour le bien du groupe ou de la société. Ce leader incarne un certain charisme. Aussi peut-il tracer une vision, partager ses attentes ou encore favoriser la résolution collective des problèmes. A ce titre, il peut être présenté comme le bâtisseur de l’avenir des autres, ou mieux encore le semeur qui fait éclater la lumière du jour pour inaugurer le temps de la longue marche.  Son seul désir profond est «le rêve d’un ailleurs, d’un autrement pour jours meilleurs, en compagnie de tous ceux qui…s’investissent dans des activités ou des espaces d’engagement apparemment ingrats, mais indispensables pour la survie à terme de la communauté » (Quenum 2004: 8).

 

Dans les synoptiques, la péricope de la comparaison du semeur développe la thématique de la mystique du semeur portée par les valeurs fondamentales de générosité, de gratuité, de prévoyance, d’espérance ou de patience. Luc 8,11-15 nous en délivre sa version en ces termes:

 

Une foule nombreuse s’était rassembler, car on venait à lui de toutes les villes. Jésus alors leur donna cette comparaison: ‘‘Le semeur est sorti pour semer la semence et il se mit à semer. Une partie tombe au long du chemin: elle est piétinée et les oiseaux du ciel la mangent. Des graines tombent sur la rocaille; là elles germent, mais elles se dessèchent par manque d’humilité. D’autres tombent au milieu des épines; les épines poussent en même temps qu’elles étouffent. D’autres encore tombent sur la belle terre; là elles poussent et donnent du fruit, cent pour un.

Bien méditée, nous prenons conscience de trois faits mis en exergue dans la  péricope de St. Luc: (i) le semeur : Dieu ; (ii) la semence : l'évangile ; (iii) les différents terrains qui représentent les différentes conditions de cœur: le cœur le long du chemin, le cœur pierreux, le cœur épineux, le bon cœur. C’est ce dernier qui fait la bonne récolte et profite des fruits du Royaume de Dieu, c’est-à-dire la paix sociale, la justice et le bonheur, pour s’être mis à sa suite et converti.

Dieu est donc le laboureur qui cultive le cœur de l’homme (terrain) pour y semer la semence (l’évangile) afin d’avoir une récolte spirituelle abondante. Ainsi, seul celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, entend la Parole et la comprend. A la fin, il produit  le fruit à raison de cent, ou soixante. Les trois autres, par contre, sont improductifs. Ainsi, parmi eux, le premier entend la Parole sans la comprendre et la perd à cause de la tentation du Mauvais. Le deuxième entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment: quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. Le troisième qui reçoit la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole, il est vrai; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit.

Le Royaume de Dieu est présent là où Dieu est Père et ses enfants d’accord avec le projet qu’il a formé à leur égard. Aussi, pour accueillir sa Parole,  doivent-ils avoir des racines en eux et éviter d’être opportunistes, savoir gérer les soucis du monde et résister à la séduction de la richesse et à la tentation du Malin. 

Dieu est donc le Grand Semeur qui sème dans toutes les directions, vers tous les sols, toutes les terres humaines. Il est celui qui sème à profusion, sans compter, sans regarder où tombe la graine. C'est Celui qui sème généreusement dans le but de transformer les cœurs des hommes avec les hommes. A ce titre, Il est l’Image d’un véritable leader transformationnel. Comme Lui, celui-ci doit être semeur de la semence. Mais à quelles conditions peut-il l’être ? Et que peut-il semer ?

De fait, le leader transformationnel est celui qui œuvre pour réaliser quelque chose et qui fait tout pour que cela donne des résultats positifs, non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres. Son souci étant de contribuer à créer quelque chose, son engagement devient un ministère et lui un bâtisseur d’avenir (Quenum 2004 : 9-10). Il est un semeur des valeurs qu’il matérialise et grâce auxquelles « il assume la plénitude de l’être et l’ampleur de l’action entreprise, afin de lui assurer une finalité positive et durable » (Quenum 2004 :11). Ces valeurs sont les conditions de possibilité de son action. Aussi estimons-nous à la suite d’Alphonse Quenum que le leader transformationnel est un semeur qui incarne les qualités d’homme d’action, d’homme consciencieux, prévoyant, généreux et ouvert,  d’âme de Nomothète, législateur.

En réalité, comme le semeur, le geste fondateur et créateur du leader transformationnel est l’agir. Il doit ensemencer pour espérer récolter. Face à l’inertie et à la détente de ses compatriotes il doit les inciter au travail et leur rappeler ces paroles de St. Paul :

Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas. Mais voilà ce que nous apprenons : il y en a parmi vous qui vivent de façon désordonnée et qui, au lieu de travailler, se mêlent des affaires des autres. Nous avertissons ces gens-là et nous faisons appel à eux au nom du Seigneur Jésus: qu’ils travaillent de façon stable et gagnent leur pain  (2 Th 3, 10-12).    

Cette recommandation paulienne ne transige pas avec la paresse. En effet, contrairement au travail qui rend dynamique la société et l’équilibre, la paresse la phagocyte et la plonge dans l’inertie. Aussi le leader transformationnel doit-il en prendre conscience et savoir que le

[Le]semeur responsable ne se contente pas de jeter les grains en terre vaille que vaille. Il veille à la manière de semer et s’assure que les grains sont bien couverts de terre et assure la vigie pour que les oiseaux ne viennent pas les manger. En plus de cela, il doit se préoccuper aussi des conditions les meilleures pour la croissance. Il sarcle et arrache les mauvaises herbes. Il fera plus tard tout ce qui convient et dépend de lui pour que la récolte ne soit pas elle-même contrariée ni détruite (Quenum 2004 : 16).

Ainsi donc, le leader transformationnel consciencieux est celui qui incarne le véritable changement sans lequel la transformation qualitative sera reléguée aux calendes grecques. Pour ce faire, il doit se vêtir du costume d’un bon planificateur, programmeur et gestionnaire de sa communauté. Seule la sagesse pratique devra l’aider à construire la vie de ses concitoyens. Ne faire rien qui puisse prêter à la philosophie du hasard doit devenir sa seule devise sur laquelle il posera les colonnes de la prévoyance. Autrement dit, le leader transformationnel est un semeur prévoyant. Comparativement au semeur ordinaire il ne doit pas céder à la tentation constante de l’économie. Il doit par contre se préoccuper d’enfouir dans la terre plusieurs grains dans l’espoir de voir au moins un d’entre eux germer.

Comme les cinq vierges (Mathieu 25, 1-13), il lui est demandé de rester vigilant et garder un peu d’huile dans sa lampe afin de l’allumer à l’arrivée tardive du marié et, ainsi, avoir accès au lieu des noces. De façon non imagée, cette métaphore veut montrer qu’à l’instar de cinq vierges, le leader transformationnel doit rester fidèle à son engagement pour garder la flamme de la conversion de ses concitoyens allumée. De lui le peuple attend la fidélité et la persévérance, deux vertus bien rares dans la gouvernance politique, et pourtant indispensables pour en faire la lumière des autres. C’est d’ailleurs à l’étalon de ce statut qu’il sera à mesure de soupeser sa générosité ou son ouverture de cœur pour les autres. Ce qui induit à ceci qu’en tant que semeur de la semence, il doit savoir semer en amont pour espérer récolter en aval. Car tout bien qu’il réalise pour son peuple ne se perdra jamais. Le cœur qui donne et se donne peut-il s’appauvrir ? Qui semble perdre par le don de soi ne s’enrichit-il pas? 

Ce questionnement nous situe au cœur du mystère de la vie du leader transformationnel qui exige que celui-ci soit un Nomothète (législateur), c’est-à-dire un homme vertueux. En tant que tel il doit incarner les valeurs morales qui doivent devenir un impératif catégorique de sa vie et dans ses relations avec les autres. En s’y accommodant il doit dans chacun de son agir se demander si celui-ci peut être élevé au niveau de l’universel sans porter préjudice à l’ensemble de sa communauté. Les deux bornes de son itinérance dans la dissémination de la semence partent de l’avoir à l’être, c’est-à-dire de la médiocrité à l’excellence.

En Afrique, cette voie du leader entre deux postulations  est éclairée par  la Loi fondamentale. Aussi le grand défi auquel il fait face reste-t-il celui du respect de l’esprit et de la lettre de ce texte, expression de la volonté du peuple souverain, susceptible de fédérer ses attentes lorsqu’il a été rédigé au sein des institutions de la République habilitées, soumis à un débat contradictoire dans un espace véritablement public, c’est-à-dire ouvert à toutes les composantes de la communauté politique sans discrimination aucune,  respectant strictement les normes de prétention à la validité (à savoir la sincérité, la justesse, la vérité) sans quoi la logomachie ne ferait qu’avoir la préséance sur la logocratie et dévergonderait ainsi le sens du débat démocratique propre aux sociétés politiques civilisées[5].

  1.  La loi fondamentale comme socle des bases normatives du leadership en Afrique

L’Afrique n’a pas seulement besoin d’institutions fortes, mais aussi de “ leaders Nomothètes”; ceux qui, une fois devenus gouvernants devront, d’une part, protéger et rendre forts des cadres institutionnels/juridiques existants, d’autre part, s’interdire de jouer sur les fragilités et vulnérabilités des différentes corporations sociales (identités politiques, ethniques ou encore religieuses). D’eux le peuple attend la gestion saine de la république dans le but de contribuer au renforcement de la cohésion nationale et à la consolidation des institutions.

Par quels mécanismes peut-on identifier, sélectionner et maintenir les leaders nomothètes à la tête de nos pays engagés dans les processus de démocratisation ? Comme beaucoup d’autres peuples, les peuples Africains ont, à travers les textes fondamentaux, développé des mécanismes pour réduire les risques de choix des  gouvernants ou leaders oligarques. Il s’agit notamment des mécanismes liés au renforcement des critères d’éligibilité aux élections prévus dans les différentes constitutions. Les législations électorales qui y sont définies sont des critères grâce auxquels il est possible de porter, à l’issue d’une élection libre, démocratique et transparente, les leaders nomothètes au sommet de l’Etat.

Dans une perspective de la moralisation de la vie politique, les législateurs de la plupart de nos textes fondamentaux insistent beaucoup sur la ‘‘bonne moralité’’ de ceux et celles qui doivent présider aux destinées des peuples africains : Président de la République, Représentants du peuple[6] et les Juges[7].

Concernant les Chefs d’Etat, la plupart des Lois fondamentales (L.F) exigent qu’ils soient de bonne moralité et de grande probité. Ainsi, la Constitution du Burundi stipule, en son article97, alinéa 6 ; que « le candidat aux élections présidentielles ne doit pas avoir été condamné pour crime ou délits de droit commun à une peine déterminée par la loi électorale ». A cette exigence pré-électorale, la Loi fondamentale de la Côte d’Ivoire, en son article 60,  ajoute trois précisions suivantes sur l’entame du mandat et l’exercice du pouvoir par le candidat élu. Ainsi, (i) « lors de son entrée en fonction et à la fin de son mandat, stipule le législateur, le Président de la République est tenu de produire une déclaration authentique de son patrimoine devant la Cour des Comptes. (ii) Durant l'exercice de ses fonctions, il ne peut, par lui-même, ni par personne interposée, rien acquérir ou louer qui appartienne au domaine de l'Etat et des collectivités publiques, sauf autorisation préalable de la Cour des Comptes dans les conditions fixées par la loi. (iii) il ne peut soumissionner aux marchés de l'Etat et des collectivités publiques.

Cette dernière disposition se trouve également dans la Loi fondamentale de la RD Congo qui élargit ces exigences à tout le gouvernement sans amphibologie:

Avant leur entrée en fonction et à l'expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents(article 99).

Ces mêmes textes fondamentaux préviennent les futurs Chefs d’Etat sur les conflits d’intérêt qui ferait voler en éclat la probité dans leur exercice du pouvoir. Aussi, dans l’article 101 de la  Constitution du Burundi, le législateur ordonne-t-il que le futur Président de la République cesse toute fonction privée, rémunérée ou non, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, dès sa proclamation des résultats. Et à l’article  100 de la même Constitution, il dispose que« les fonctions du Président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute autre fonction publique élective, de tout emploi et de toute activité professionnelle». C’est aussi la stipulation sur laquelle insistent les Lois fondamentales du Rwanda (article 103), du Sénégal (article 32), de la Côte d’Ivoire (article 61), du Maroc (article 87), de la RD Congo (article 97).

Les serments que les différents chefs d’Etats  prononcent (reçus par la Cour Constitutionnelle et devant le Parlement) constituent une symbolique fortement ancrée dans la consubstantialité de l’engagement pris et l’obligation d’honorer la promesse solennelle faite. Ils sont tenus de respecter cet engagement et la promesse donnée sans quoi ils seront taxés de haute trahison ou de parjure  et en subiront les rigueurs de la loi.

Ainsi, au Burundi, le Président jure fidélité à l’unité nationale, à la Constitution et à la loi. Il s’engage à défendre les intérêts supérieurs de la nation, à assurer la cohésion du peuple, la paix et la justice sociales, à combattre toute idéologie d’exclusion et pratique de génocide, à promouvoir et à défendre les droits et libertés du citoyen, à sauvegarder l’intégrité et l’indépendance de la République du Burundi (Loi fondamentale: article 117).

En Côte d’Ivoire, le Président reprend dans son serment les mêmes valeurs et jure qui plus est  sur l’honneur de respecter, de défendre fidèlement la Constitution et de remplir consciencieusement les devoirs de sa charge dans l'intérêt supérieur de la Nation (Loi fondamentale, article 58).

Le serment de la Loi fondamentale du Rwanda insiste sur le respect de la fidélité à la République du Rwanda; la défense de  la Constitution et les autres lois; le rejet de l’abus de pouvoir et de son usage à des fins personnelles, la recherche des intérêts de tous les Rwandais (article 102).

En plus de cela, les législateurs RD congolais et sénégalais entendent promouvoir respectivement le  bien commun (Loi fondamentale : article 74) et l’unité africaine (Loi fondamentale : article 31).

 

  1. Conclusion: dialectisation des synoptiques et de la loi fondamentale comme voie de construction du leadership en Afrique

Il ressort de ce qui précède que les Lois fondamentales de ces quelques Etats africains fondent l’exercice du pouvoir des leaders desdits Etats sur les valeurs comme la promotion du bien commun et de l’unité nationale, la fidélité à la République, la défense des libertés individuelles, la recherche de l’intérêt général, le respect de la Constitution, le rejet des idéologies d’exclusion, la sauvegarde de l’intégrité territoriale et de l’indépendance nationale, l’assurance de la paix et de la cohésion nationale.

Abandonnées à elles-mêmes, ces valeurs sont désincarnées et manquent de point de ‘‘morsure du réel’’. Par contre, confrontées à la pratique de leadership «alma mater», authentique et transformationnel, ces valeurs cessent d’être vagues et trouvent leur point  d’arrimage avec les gestionnaires de la chose publique.

Ainsi, connaître que «durant l'exercice de ses fonctions, le Président de la République ne peut, par lui-même, ni par personne interposée, rien acquérir ou louer qui appartienne au domaine de l'Etat et des collectivités publiques sans l’autorisation préalable de la Cour des Comptes donnée dans les conditions fixées par la loi» (L.F. de la Côte d’Ivoire : article 60) est une valeur que doit incarner le leader authentique dont l’intégrité permet, d’une part, de soupeser son honnêteté/sa loyauté, d’autre part de tester la confiance de ses concitoyens et sa légitimité. C’est pourquoi il doit se doter des quatre qualificatifs : être responsable, être serviteur, être esclave, être sel et lumière des autres.

En fait, l’aspiration à diriger comporte une énorme responsabilité. Il procède à une introspection volontaire et active afin de jauger ses motifs et reconnaître pourquoi il fait ce qu’il fait et comment il le fait. C’est un exercice d’humilité qui se danse à genou et fait de lui danseur, mais pas un chef d’orchestre. Car il est  conscient qu’il aura à rendre compte de ses décisions, ses paroles, ses actions et de son influence. Aussi est-il tenu de respecter ses engagements et la promesse donnée sans quoi il sera taxé de haute trahison ou de parjure  et en subira les rigueurs de la loi à laquelle la Haute Cour de Justice est comptable (L.F. du Burundi: article 117, du Rwanda: article 102, de la Côte d’Ivoire: article 58).

Suite à une telle responsabilité, il doit comprendre qu’il n’est qu’un serviteur au service des autres. Son désir de diriger n’est pas une volonté de domination, mais d’amour. Car, servir n’est pas se servir ; c’est être prêt à consentir les sacrifices de dépouillement de soi, de détachement de l’avoir, de port de la croix et de don suprême. C’est la raison pour laquelle le législateur, dans la Loi fondamentale RD congolaise recommande qu’

avant leur entrée en fonction et à l'expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents (article 99).

Voilà pourquoi il leur est interdit de « soumissionner au marché de l’Etat et des collectivités publiques » (L.F. Côte d’Ivoire : article 60). Ce détachement fait du leader un ‘‘esclave volontaire’’, une caractéristique suffisamment rare à cette époque d’égocentrisme politique pour ne pas être soulignée. Pour ce faire, seuls l’amour et l’humilité restent les deux souliers du danseur-leader ; sinon, il verse dans  la politicaillerie, la dictature et le ‘‘recroquevillement’’ politique.

C’est à cette mesure que le leader sera le sel mordant -capable de donner à ses concitoyens le goût à la vie affadie par le péché- et une lampe placée sur le lampadaire pour éclairer le chemin vers la réalisation du bien commun qu’ils doivent prendre.

C'est pourquoi il doit incarner les vertus de la justice, de la paix, de la vérité, de la fidélité de la République et du respect de la parole donnée; promouvoir le bien commun, défendre les droits et libertés de tous les citoyens, rechercher les intérêts supérieurs de la nation, rejeter tout abus de pouvoir… (Constitution du Burundi : article 117; du Rwanda : article 102 ; de la RD Congo : article 74 ; Côte d’Ivoire : article 58). C’est grâce à ces qualités qu’il peut présider à la destinée de tout le peuple,  transformer son agir politique et ainsi le pousser à être  l’architecte d’une véritable communauté politique.

Le leadership transformationnel qu’il est sensé défendre se construit autour de son rôle à jouer pour inciter ses concitoyens à transcender leurs intérêts personnels pour le bien du groupe ou de la société. Aussi peut-il tracer une vision, partager ses attentes ou encore favoriser la résolution collective des problèmes. A ce titre, il peut être présenté comme le bâtisseur de l’avenir des autres, ou mieux encore le semeur qui fait éclater la lumière du jour pour inaugurer le temps de la longue marche. Il doit être le modèle consciencieux, prévoyant, généreux et Nomothète qui n’a jamais été condamné pour crime ou délits de droit commun (L.F. du Burundi : article 97, alinéa 6 ; du Rwanda : article 68 ; de la RD Congo : article 107;  de la Côte d’Ivoire: article 92; du  Sénégal: article 50).

Il est le leader transformationnel consciencieux parce qu’il est un bon planificateur, programmeur et gestionnaire de sa communauté. Ce faisant, il est l’image achevée du semeur prévoyant qui n’entreprend rien au hasard. Aussi est-il préoccupé d’enfouir dans  la terre plusieurs grains dans l’espoir de voir au moins un d’entre eux germer. Bon gestionnaire, il s’interdit de céder à la tentation constante du lucre et obéit au législateur qui ordonne que « le futur Président de la République cesse toute fonction privée, rémunérée ou non, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers» (article 101 de la L.F. du Burundi).

C’est d’ailleurs à l’étalon du détachement de la recherche du lucre qu’il sera à mesure de soupeser sa générosité ou son ouverture de cœur pour les autres et se vêtir du costume de Nomothète, c’est-à-dire de l’homme vertueux, capable de se demander dans chacun de son agir si celui-ci peut être élevé au niveau de l’universel sans porter préjudice à l’ensemble de sa communauté.

En le faisant, le leader transformationnel traitera ses populations non comme un moyen, mais comme une fin en soi. Il ne peut y parvenir que si ses modes de gestion du bien commun sont faits de compassion, d’empathie avec la douleur des autres. Pris dans ce sens, le leader transformationnel incarne en même temps le leadership ‘‘alma mater’’ ; celui qui, en assumant le pouvoir, ne vise que le bien de la population. En outre, il « s’engage à consacrer toutes ses forces à la défense des intérêts supérieurs de la nation (Constitution du Burundi : art. 106 ; Constitution de RD Congo : art. 74), « à faire grâce » (Constitution du Sénégal, art.41 ; Constitution du Maroc : art. 58 ; Constitution de RD Congo : art. 87) ;  Comme le berger qui assure la nourriture ainsi que les bons pâturages pour les brebis, le leader ‘‘alma mater’’ garantit à sa communauté  un pouvoir qui prend soin de chaque individu qui la compose.

À l’opposé du pouvoir exercé par d’autres souverains, les dimensions de terreur, de force et de violence sont absentes du pouvoir détenu par le leader ‘‘alma mater’’.  Ainsi, quand il sert, il le fait sans se servir et n’attend aucun salaire de qui que ce soit. Le leader  ‘‘alma mater’’ est capable de se sacrifier et de  donner sa vie pour son peuple.Il est « le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, il incarne l’unité et veille au respect de la constitution » (Constitution Côte d’Ivoire : art. : 54). Dans ses moyens, sans discrimination, «il a le devoir d’entreprendre des actions spéciales visant le bien-être des personnes handicapées » (Constitution du Rwanda : art. 51).

En inscrivant son action politique dans la dialectisation des synoptiques et de la loi fondamentale, le leader politique authentique, transformationnel et alma mater peut permettre l’institution et la préservation d’un Etat de droit, garantissant à chacun la liberté de se réaliser en tant qu’être humain et donc d’être un représentant de l’humanité.

 

 


[1]L’ouvrage complet d’Erasme de Rotterdam est intitulé ‘‘Institution du prince chrétien’’, 1516.

[2]Le concept qui prend ici le sens ‘‘vertueux’’ s’impose à tout dirigeant quelle que soit sa tendance religieuse.

[3]On appelle synoptiques les trois évangiles de Mathieu, de Marc et de Luc qui rapportent presque les mêmes épisodes au point qu’on pourrait les mettre en colonnes parallèles pour comparer leurs récits d’un même événement. Les trois synoptiques auxquels nous joignons l’évangile de Saint Jean constituent la source documentaire basique du présent article.

[4]Nous suivrons Saint Jean dans La Bible des Communautés Chrétiennes, Montréal, MédiasPaul, 1994.

[5]Le tripatouillage des constitutions auquel nous avons assisté, assistons et assisterons dans certains pays  sur le Continent sans donc moindre respect de cette exigence est une illustration du dévergondage d’un véritable débat démocratique qui, validement mené, peut aboutir à la libre et consciente adoption  par le peuple de ce texte fédérateur.

[6]« Lors de leur entrée en fonctions et à la fin de celles-ci, stipule l’article 154 de la Loi fondamentale du Burundi, les membres des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat sont tenus de faire leur honneur une déclaration écrite de leurs biens et patrimoine adressée à la Cour suprême». Ailleurs, les législateurs des différentes lois fondamentales disposent que le candidat aux élections législatives ne doit pas avoir été condamné pour crime ou délits de droit commun à une peine déterminée par loi électorale (L.F. du Burundi : articles 165 ou 179)  ou qu’il peut être déchu de son mandat parlementaire à cause de délit ou de crime (L.F. du Rwanda : article 68, L.F. de la RD Congo : article 107; L.F. de la Côte d’Ivoire :article 92; L.F. du  Sénégal: article 50 ).

[7]Pour ce qui concerne les juges, beaucoup de Lois fondamentales insistent sur leur intégrité morale, leur impartialité et leur indépendance ou expérience dans la magistrature (Burundi : article 226, Rwanda : article 150, RD Congo: articles 149 et 159 ; Côte d’Ivoire : articles 141 et 150; Sénégal : article 80 ter; L.F. du Royaume de Maroc : articles 107 et 109). Dans l’exercice de leurs fonctions,  soulignent par ailleurs les législateurs, ils ne sont  comptables que devant  la constitution et la loi (Burundi : article 209, Rwanda : article 151, RD Congo : articles 150 et 151; Côte d’Ivoire : article 140; Sénégal : 80 ter; L.F. du Royaume de Maroc : article 110 ; Zambie : article 91).

 

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