LE CHRÉTIEN ET LA CITOYENNETÉ

Abstract: 

The chronicle considers the issue of being a Christian, more precisely, catholic and citizenship. While in the European Union, being a Christian might not be incompatible with being a citizen, it might not be the case of truism in the Muslim or Judaic theocracies. Thus, looking at a range of historical facts and the current context of controversial issues such as abortion, euthanasia and homosexuality, the chronicle strikes a balance between the fact that, the Christian belongs to the community of faith and to a nation-state. In this balance, the Christian has a double loyalty. First the civic loyalty: The Christian is a citizen like any other citizen called to live according to civic virtues. Secondly, the Christian has a loyalty vis-à-vis individual conscience. The fact that Christians belong to the Church requires them to emphasize the priority of personal dimension of conscience as the ground floor for one’s autonomy and judgment; provided one’s individual conscience is well informed and enlightened.    

1. Introduction : Le contexte de la question

Le chrétien se considère-t-il pleinement comme citoyen, si oui comment ? Est-il pleinement considéré comme citoyen ? En Europe, la réponse pourrait paraître évidente. Mais est-ce aussi évident au regard de l’histoire ? Et aujourd’hui est-ce évident dans la compréhension de la démocratie ? Et qu’en est-il dans d’autres espaces géographiques ?

 

Avant un rapide regard sur l’histoire pour rencontrer la question aujourd’hui, deux situations contemporaines. D’un côté, dans nombre de pays musulmans, les chrétiens ne sont pas citoyens jouissant pleinement de tous les droits attachés à la citoyenneté du fait qu’ils ne sont pas musulmans. Pour une part, c’est vrai aussi en Israël l’État se définit de plus en plus par sa judaïté. À l’autre extrême, la Russie, l’orthodoxie et l’État vont la main dans la main. Le 4 novembre dernier, le patriarche Cyrille Ierremettait au président Poutine, au cours d’une cérémonie publique, le premier prix du Conseil mondial du peuple russe pour la sauvegarde de l’État Russe. Poutine, l’homme tellement pieux, qui était autrefois haut placé au sein du KGB !

 

De part et d’autre, la séparation entre la religion et l’État n’existe pas : n’est pleinement citoyen, jouissant de tous les droits et institutionnellement de nombre de privilèges, que ceux qui adhèrent à la religion majoritaire, pratiquement religion d’État, même si elle n’est pas déclarée telle.

2. Petit retour historique

Depuis la conversion de Constantin et les Édits de Milan en 313 et surtout le règne de Théodose, mort en 395, le christianisme est devenu religion d’État. Être citoyen et être chrétien se recouvraient dès lors totalement, ceux qui ne se définissaient pas comme chrétiens étaient seulement tolérés et par moments persécutés. L’Espagne de la fin du 15e siècle, mettant hors la loi juive et musulmane, sous le règne des rois très catholiques, mettait ainsi en œuvre ce qui était tenu pour l’idéal d’une société uniformément chrétienne[1].

 

La séparation de l’Église et de l’État et l’affirmation de la neutralité de l’État par rapport aux religions et convictions est le résultat d’un long et difficilement cheminement, qui n’est pas entièrement accompli et dont les implications restent controversées : les débats politiquement passionnés autour du port du voile par les musulmanes en France et en Belgique et au sujet de la signification de la laïcité en témoignent.

Dans nombre de pays européens, le christianisme a cessé d’être la religion majoritaire au sens où, même s’il reste la religion la plus importante, il n’est plus celle de la majorité des citoyens. Même si la majorité est d’origine chrétienne, et plus  précisément catholiques, en Belgique ou en France, par exemple, par tradition familiale, le christianisme devient une minorité plus ou moins importante à côté d’autres minorités. Qu’est-ce que cela signifie en termes de citoyenneté ? Le christianisme est né minoritaire au sein du monde juif puis de l’Empire romain. Comment s’est posée la question de la citoyenneté dans ce contexte ?

 

Dans le Nouveau Testament, la question de la citoyenneté apparaît autour de la figure de Paul. D’une part, lorsque Paul est arrêté à Jérusalem, suite à des accusations de certains Juifs et transféré à un tribunal romain pour atteinte à l’ordre public, il revendique sa citoyenneté romaine, et donc son droit a être jugé selon les normes du droit à Rome (Ac 22,25). D’autre part, dans ses lettres, on trouve une double affirmation. Paul invite les croyants à être soumis aux autorités publiques (elles sont établies par Dieu) et à respecter la loi civile (si on fait le bien il n’y a pas lieu de craindre les magistrats) (Rm 13,1-3). Et il précise : « Il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience. C’est la raison pour laquelle vous payez des impôts » (13,5-6 ; cf. Tt 3,1). On peut dire que, pour Paul, le croyant est un citoyen comme les autres, avec les mêmes obligations.

 

Par ailleurs, Paul parle de citoyenneté en un autre sens : dans la lettre aux Ephésiens, qu’elle soit de Paul lui-même ou de l’un de ses disciples immédiats, en s’adressant aux croyants d’origine païenne, il est écrit : « Vous n’êtes plus des étrangers ou des immigrés ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes la famille de Dieu »(Eph 2,19). Autrement dit, sans nier la citoyenneté civile d’appartenance à une ville ou une nation, il y a une autre citoyenneté qui, elle,

est universelle et dépasse toutes les frontières.[2] Les relations entre ces deux citoyennetés ne sont pas pensées, et elles peuvent être source de tensions. J’y reviendrai.

À la fin du 2e siècle, la Lettre à Diognète, un écrit dont on ne connaît pas l’auteur, explique ce que sont la foi et la religion chrétiennes à un païen, en quoi cette religion se distingue à la fois de celles qui rendent un culte à des figures sculptées, les religions dites païennes, et du judaïsme et de ses observances. « Les chrétiens, écrit l’auteur, ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. 

 

[...] Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares selon le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre. [...] Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges  comme des étrangers. [...] Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel. [...] ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. » On retrouve donc la distinction présente chez Paul : appartenance à la cité terrestre dont on est citoyen, et citoyenneté de la cité céleste.

 

Il est évident que dans l’histoire et dans le présent selon les lieux, les rapports entre religion et État sont variés et complexes : fusion entre les deux (Arabie saoudite), soumission de l’État à la religion (Iran à l’heure actuelle) ou l’inverse (Russie soviétique), ou instrumentalisation réciproque (Russie actuelle), ou encore séparation plus ou moins poussée (majorité des États européens).

3. Et aujourd’hui ?

Le croyant chrétien vit une double appartenance : il est citoyen d’un pays ou d’une nation ; mais il appartient aussi à une communauté de foi qui traverse toutes les frontières et à une institution transnationale, l’Église, et il se situe dans le mouvement de l’espérance de l’accomplissement du Royaume de Dieu au-delà de la mort et de l’histoire, espérance qui est aussi une expression de cette autre citoyenneté.

Le chrétien est un citoyen comme les autres, appelé à vivre en vérité les vertus civiques. L’enseignement de l’Église insiste sur la responsabilité personnelle, sur les exigences de justice et d’honnêteté, etc. Il insiste sur l’engagement dans la vie sociale et politique. Il est vrai qu’historiquement l’Église catholique a eu du mal à reconnaître comme valeurs les droits de l’homme, la démocratie, la liberté de conscience, etc., en un mot l’esprit de la modernité occidentale. De ce point de vue, Vatican II a représenté un véritable tournant, une conversion. On peut dire que la lettre à Diognète trouve pas mal d’échos dans l’Église contemporaine.

 

Cela dit, cette citoyenneté pleine et entière ne signifie pas qu’il n’y ait jamais tension entre cette double appartenance. Cette tension se situe, pour le croyant, à deux niveaux.

 

D’abord, si la démocratie est une valeur, et une valeur à défendre et à protéger dans un monde qui aujourd’hui la menace ou parfois la pervertit, il y a la reconnaissance et l’affirmation que la vérité ne se décide pas à la majorité : la vérité sur ce qu’il en est de l’être humain et de ce qu’il en est de vivre authentiquement en société. Dans certains cas, il y a lieu d’opposer une objection de conscience à la décision démocratique majoritaire. Objection radicale dans certains cas. Hitler a été élu démocratiquement en 1933. Une minorité de croyants a très rapidement dénoncé l’illégitimité éthique du régime nazi au nom de leur conscience, et beaucoup en ont payé le prix. Objection de conscience aussi par rapport à des régimes qui se sont imposés par la violence. Il en a été ainsi par rapport au totalitarisme communiste en Europe orientale ou par rapport aux régimes militaires en Amérique latine dans les années 60 et 70.

 

Citoyenneté responsable ne signifie donc pas toujours adhésion au régime politique en place, ou ratification des lois votées à la majorité démocratique. On  sait les débats actuels difficiles dans la plupart des pays européens au sujet des questions éthiques : avortement, euthanasie, union homosexuelle : les Églises catholique et orthodoxe dans leurs instances officielles sont publiquement en conflit avec les Etats… Mais la question se pose aussi quant aux politiques publiques portant, par exemple, sur l’immigration ou l’exil, ou encore sur la protection sociale : l’Église catholique est souvent très critique concernant la politique des États dans ces domaines sociaux.

 

Pour le croyant catholique en particulier, il peut y avoir aussi une seconde tension dans son exercice de la citoyenneté. L’Église catholique a fortement tendance, à l’époque récente, à imposer à tous ses membres une option commune sur des questions en débat au sein de la société, en particulier dans le domaine éthique. Or tous les membres de cette Église ne se reconnaissent pas toujours dans les options et directives que celle-ci émet. Certains ne sont pas d’accord avec le contenu plus ou moins intransigeant de ces directives éthiques, considérant que la vie réelle est bien plus complexe que les principes généraux. D’autres peuvent se rallier pour l’essentiel et à titre personnel à cette perspective, mais ne sont pas prêts politiquement à chercher à l’imposer à toute la société.

 

En un mot, pour le catholique la citoyenneté est une responsabilité importante, qui a certes une dimension communautaire du fait de son appartenance à l’Église, mais qui est aussi éminemment personnelle, objet de discernement de conscience qui marque un espace de liberté et de distance tant par rapport à l’institution de l’État et son appareil législatif, que par rapport à l’institution de l’Église et à ses prétentions à définir de façon absolue la vérité politique, comme cela a été le cas en ce qui concerne la République en France par exemple, – ou la vérité éthique, comme c’est le cas actuellement autour de débats comme l’avortement, l’euthanasie, le statut de l’embryon ou l’union homosexuelle. Pour des raisons de conscience, les catholiques sont divisés actuellement sur ces questions dans l’exercice de leur citoyenneté et éventuellement dans l’exercice de leur mandat politique.

 

Que conclure ?

 

Le catholique est un citoyen comme un autre, et comme tout citoyen conscient de ses responsabilités, il est appelé à une double loyauté : celle qui relève du civisme et celle qui relève de sa propre conscience. Dans la plupart des cas, on peut dire que les deux vont de pair. Parfois, il peut y avoir conflit, et en ce cas, c’est la conscience qui doit primer. Mais cette conscience elle-même demande à être éclairée. D’une part, elle suppose une capacité personnelle d’autonomie de pensée et de jugement et, d’autre part, elle requiert la volonté de se mettre à l’écoute de ceux qui ont des options ou convictions différentes et de chercher à comprendre où est leur cohérence. En ce sens, le jugement de conscience, comme acte moral, n’est pas de l’ordre du simple « moi je pense que, ou je crois que… » : il est exigence de vérité.

 


[1]En 711 les Maures musulmans envahissent la péninsule ibérique. Un  mouvement de reconquête (la Reconquista) est entrepris dès 722, mais le califat de Cordoue et l’émirat de Grenade ne sont reconquis qu’en 1492. Pour les juifs et les musulmans, il n’y a plus alors que trois solutions : l’exil (ce qui est le choix majoritaire: de nombreux juifs accompagneront les musulmans dans leur exil au Maroc), la conversion, ou pour les Juifs la conversion simulée, ce sont les marranes qui en secret continueront à pratiquer leur religion.

 

[2]On pourrait peut-être établir une analogie avec ceux des musulmans européens qui revendiquent fortement leur citoyenneté dans un État laïque tout en affirmant leur

 

appartenance à la Oumma musulmane qui dépasse les frontières.

 

 

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