LA PRATIQUE DU JOURNALISME AU KIVU: UN SACERDOCE SANS DENIERS DE CULTE EN RDC

Abstract: 

This article focuses on the practice of journalism and challenges the mass media face in Kivu. It attempts to reveal variables that justify pastoral issues about financial insecurity of various actors like local humanitarian organizations. It aimed to highlight the malpractice of local Non-Governmental Organizations because they make it difficult for mass media professionals to work. Indeed, the methodology mass media professionals apply to work is risky in many contexts. Equally, communication bodies they belong to are not genuinely regulated and supported by the Congolese Government. For this reason, so far, mass media have failed to establish a corporation for their own resource mobilization and financial sustainability. As a result, this failure includes, but are not limited to, the questionable success of messages advertisement, the culture of closed counter, or the camouflage of information; disrespect of legal texts that may improve the exercise of agreeable settlement; corruption and tax evasion with the absence of state subsidies to the media. The article suggests a rigorous code of conduct to media organizations for a smooth running of communications to the mass. While they are advocating for the financial support from their government, media organizations should observe discipline at work since they are auxiliaries to the national education system and means of cultural values. Thus, media houses should form corporations that have rights and duties, to sustain economy and fundraise for their development. If those requirements are not fulfilled, media pastoral mission will vanish without corporation spirit.

  1. Introduction

La précarité financière des médias en RDC n’est-elle pas explicable par la rareté ou même l’absence de l’achat des espaces publicitaires par les opérateurs économiques? Pourquoi l’indifférence des opérateurs économiques vis-à-vis des espaces publicitaires dans les médias? Cette étude tente d’analyser ce qui expliquerait la précarité financière des organes de presse à l’Est de la RDC et qui fait de la pratique du journalisme un véritable sacerdoce sans deniers de culte. Les défis auxquels les medias font face ne sont pas que d’ordre politique ou sécuritaire et économique. Le droit et le pouvoir d’informer sont liés et se renforcent mutuellement.

Les aspects de développement font allusion au mieux-être des producteurs et diffuseurs d’information ainsi qu’à celui des consommateurs de celle-ci. Ainsi, aborder l’espace médiatique à l’Est de la RDC renvoie à la sociologique des médias qui est une réflexion portant sur leur impact sur la vie politique, économique et socioculturelle. La sociologie des medias prend en compte l’analyse des comportements des producteurs des médias, des diffuseurs et récepteurs des messages (Rieffel 2002 :176).

Cette étude de l’espace médiatique à l’Est de la RDC évoque un monde des affaires en quête d’une assise stable fondamental tant pour la population et les gouvernants que pour l’homme d’affaires, manager ou propriétaire d’entreprise (Ngoma Mbinda 2014 :58).

Cette étude gravite autour de quatre axes: La première circonscrit théorique et théorie conceptuel de l’étude. La deuxième présente et discute les résultats. La troisième partie traite de la question de la culture du guichet fermé ou la dissimulation de l’information. La conclusion qui résume le macro-argument et souligne les implications.

  1. Cadre théorique et conceptuel

    1. Journalisme, communication et information dans une société de consommation

Cette recherche se focalise sur la précarité financière des organes de presse dans l’espace congolais. La précarité est l’absence de sécurité permettant aux personnes et aux institutions d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut entraîner des conséquences graves et définitives (Wresinski 1987 :14). Pour l’exercice du métier journalistique, cette précarité constitue un empiètement au droit d’informer et d’être informé, reconnu par la loi aux professionnels de media et à leurs audiences et lectorats.

La pratique du journalisme est liée aux Sciences de l’Information et de la Communication (SIC). Le journaliste est un professionnel qui collecte, traite, stocke et diffuse les informations pour informer le public. Il est formé en SIC. Sa profession naît de l’existence de la communication qui est liée à l’idée de transport ou de transmission; une transmission rendue possible grâce aux signes (sons, formes, gestes, etc.) traduisant les choses non perceptibles par les sens et que nous voulons échanger ou partager (Lohisse 2001 :11). L’information entretient quatre types de rapports de voisinage avec la communication, auxquels il sied de prêter un regard particulier afin d’appréhender ces deux concepts desquels l’univers journalistique tire presque sa légitimité :

  1. Rapport de confusion en ce sens qu’on parle indifféremment des technologies de l’information ou de la communication ;

  2. Rapport de liaison : La communication  et l’information sont indissociable, la première étant le processus et la seconde, le contenu ;

  3. Rapport d’ « englobement » du fait que toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation. Le second englobe le premier ;

  4. Rapport de conflit avéré qui surgit lorsque le message de l’information porté par la communication se trouve complètement édulcoré ou déformé pendant le processus de transmission.

L’information ou le message étant l’objet même de la communication, celle-ci a élargi ses horizons grâce aux nouveaux progrès technologiques, notamment ceux apportés par l’informatique. L’information est un produit de consommation et sa livraison tient désormais compte des exigences du marché dans un environnement où le consommateur a appris qu’il était « client-roi » ; désormais il veut que ses sujets (vendeurs, marques et produits) le considèrent comme tel, sinon il va râler, interpeller les mouvements des consommateurs, les associations, voire intenter des procès, faire appel aux médias, aux médiateurs au risque même de ruiner la réputation d’une marque ou d’une entreprise (Levy 2006 : 31-32).

L’industrie médiatique, considérée comme une entreprise, se doit de disposer des ressources requises afin de répondre aux exigences des clients qui doivent parfois être dissociés en ce sens que la communication opère des distinguo et des choix stratégiques entre le consommateur final et le destinataire, choisi pour la consommation selon le levier qu’elle se choisit d’actionner. La dissociation du client du consommateur est explicitée par l’exemple d’un client père de famille (client) qui achète, pour sa fille ainée (consommatrice finale) un cadeau d’anniversaire dans un Supermarché (Levy 2006 : 31-32). Mutatis mutandis, le client X achète un journal dans un kiosque pour l’offrir à son fils Y consommateur afin de l’initier à la culture de la lecture. L’entreprise médiatique opère dans un environnement de forte compétitivité où d’une part, on ne dépasse les autres qu’après avoir mesuré leurs forces ; d’autre part, on ne s’accomplit soi-même que si l’on connait exactement ses propres faiblesses. Ainsi donc, il apparait nuisible soit de se sous-estimer, soit de se surestimer, autant qu’on ne devrait point mépriser ses propres concurrents (Levy 2006 :26).

Selon Levy, les supports et partenaires de la publicité sont les médias, les annonceurs, les agences de publicité qui soutiennent l’économie faite de psychologie et où la communication joue un rôle-clé d’autant plus qu’il ne saurait exister une économie de marché sans consommation, c’est-à-dire une envie stimulée par la publicité. La responsabilité collective des agences publicitaires et des entreprises consiste alors à recréer les conditions de désir, de l’enthousiasme, de l’aspiration (Levy 2006: 41-42) dans le but de persuader, faire connaitre un produit, le positionner, mettre en évidence les besoins qu’il peut satisfaire, l’entourer d’un préjugé favorable, créer et maintenir une bonne image de l’entreprise qui est aussi, en quelque sorte, sa marque « déposée » ! Si tel est le cas, ne peut-on rien vendre qui ne transite par une publicité médiatisée ? En répondant par l’affirmatif, on se rendra vite compte que la publicité et le marketing ne sont pas compris et pratiqués partout et de la même manière. Ils sont susceptibles d’être contextualisés, selon le temps et l’espace, et d’être mis à dure épreuve des habitudes et des cultures.

    1. Le message publicitaire et la part de l’incertitude

La publicité, lorsqu’elle est bien menée par des professionnels, parvient à rompre la résistance du consommateur et l’inciter à acheter. Toutefois, elle reconnait ses limites notamment celles soutenues par l’essor des médias digitaux, l’infidélité croissante des consommateurs, la perte progressive de confiance dans les marques, la montée des marques de distributeur faisant pression sur les prix et l’irritation croissante qu’elle peut susciter (Van Dyck 2.13 :22). La surestimation de la puissance des media parait aveugle dès lors que selon le contexte spatio-temporel, les consommateurs de produits médiatiques ou médiatisés sont concernés par « cette infidélité croissante ». Les professionnels de media ont appris que leur métier constitue le quatrième pouvoir, après le législatif, le judiciaire et l’exécutif.

Cette incertitude qui frise l’inquiétude témoigne de la « part maudite » ou « mal dite » de nos échanges; elle ne se laisse pas quantifier, techniciser ni décrire objectivement. Alors que dans la relation technique de sujet-objet, le premier surplombe le second, le manipule, lui donne des injonctions, il n’en est plus de même dans la relation pragmatique de sujet-sujet et de circularité; le sujet 1 agit sur le sujet 2 et réciproquement parce qu’ils sont dans un rapport réciproque de conscience et de circularité. Cette résistance à toute communication manipulatoire est exprimée dans le concept de K.O. verbal qui peut se relever et répliquer, contre-attaquer ; manipulé, il peut à son tour devenir manipulateur (Windisch 1997). 

Dans cette situation, la surabondance d’information est susceptible d’entrainer un désintéressement de l’audience et du lectorat sollicités par d’autres formes de media. Cette préoccupation fut soulevée à travers les recherches de Hoffmann (2005 : 34) qui avait prévenu que « là où il y a beaucoup de lumière, il y a aussi beaucoup d’ombre. Nous disposons aujourd’hui d’environ 150 000 mots.

Une année de production de livres présentés au Salon du Livre de Francfort regroupe plus de pages d’écriture que l’ensemble de la littérature de la Grèce antique. Qui va lire tout cela ? » On en dirait davantage des messages publicitaires.

  1. Présentation et discussion des résultats

3.1. De la présentation des résultats

La question centrale de cette recherche est celle des variables expliquant la précarité financière des medias dans les deux provinces du Kivu. Il s’agit d’expliquer en quoi la rareté de l’achat des espaces publicitaires dans les medias peut être à l’origine de cette précarité. Les résultats de notre investigation gravitent autour des neuf axes suivants :

  1. En RDC, la précarité des médias est allée d’un régime à l’autre et de l’époque coloniale à nos jours. L’Etat a toujours eu une mainmise sur les medias publics (inféodés) et même privés (nationalisés);

  2. L’amateurisme des professionnels de médias peu ou pas spécialisés ;

  3. Le pluralisme médiatique non règlementé et la concurrence déloyale ;

  4. La présence des commerçants peu ou pas formé qui ne comprennent pas l’importance de la publicité et le rôle social de leurs entreprises

  5. La culture du guichet fermé ou la dissimulation de l’information par les entreprises et les ONG

  6. L’incertitude vis-à-vis de l’efficacité même des messages publicitaires

  7. Le non-respect des textes légaux, le banditisme fiscal, l’évasion fiscal, la corruption, les arrangements à l’amiable, etc.

  8. Les journalistes travaillent au noir, sans contrat, sans allocations familiales ni assurances-maladie;

  9. Certains journalistes travaillent à/pour l’étranger, dans ce qu’on appelle « fuite des cerveaux » alors que d’autres préfèrent vivre leur vocation sur place.

Les provinces-cibles Nord et Kivu-Sud représentent un microcosme de tout espace médiatique congolais. La surabondance des programmes d’information est la résultante d’un pluralisme médiatique mal régulé en RDC. Elle est source d’inquiétudes. Ce pluralisme médiatique est détourné de la RTNC le peu d’annonces publicitaires qu’elle recevait encore de quelques hommes et femmes d’affaires, à la suite d’une « concurrence déloyale » entre organes de presse dont certains rabaissent les prix des espaces publicitaires par rapport aux tarifs normaux. Plus de tarifs officiels! Le foisonnement des organes de presse, mués en entreprises commerciales, « donne lieu à une concurrence déloyale dont l’impact est négatif ».

    1. Schématisation des variables explicatives

Cette schématisation qui suit sert de « pierres d’assise de l’explication scientifique » (Meunier 2017 :5) d’une réalité à appréhender en la décrivant dans ses aspects qui vont au-delà des simples apparences.

 


 


 


 


 


 


 


 


 


 

    1. Interprétation des relations entre variables

L’avènement du pluralisme médiatique en RDC a facilité la diffusion de l’information, au regard du nombre croissant de journalistes actuellement inscrits au tableau de l’Union Nationale de la Presse Congolaise (UNPC) (Mulago 2004). Le 19 décembre 2017, l’UNPC avait répertorié 3500 journalistes repartis en plusieurs catégories: stagiaires, cameramen, caricaturistes, photographes, traducteurs et preneurs de sons dont la majorité évolue dans la ville capitale de Kinshasa. Ces professionnels des medias sont affiliés à 625 stations de radiodiffusion, 571 organes de presse écrite et 387 chaines de télévision répertoriés en RDC.

Ce pluralisme médiatique, né dans un contexte de non-respect des textes légaux, peut conduire, si l’on y prend garde, à l’anarchie. Il pourrait alimente l’amateurisme médiatique susceptible de « dénaturer » une profession où les experts sont devenus une espèce rare en voie de disparition. C’est dans ce contexte de pluralisme médiatique que fleurissent des organes de presse à vocation commerciale qui rivalisent les uns avec les autres, dans une concurrence déloyale sans merci qui rétrécit progressivement davantage l’assiette des annonces publicitaires offertes par peu d’entreprises gagnées par l’incertitude de la publicité.

A l’aurore de cette étude, les concepts « opérateurs économiques » et « entreprises médiatiques » étaient fort usités afin d’amener les informateurs à se les approprier et se prononcer sur les sens qu’ils recouvrent. Toutefois, la plupart des informateurs estiment que ces concepts ne sont pas d’application dans le contexte économique et médiatique congolais. Au concept « entreprises médiatiques », ils préfèrent « organes de presse » pour la simple raison que ces derniers ne sont pas encore parvenus à se hisser au stade d’entreprise. Quant au concept « opérateur économique », d’autres informateurs lui préfèrent celui de « commerçant », estimant que les femmes / hommes d’affaires congolais, au regard des politiques de gestion de leurs « entreprises », ne sont pas des opérateurs économiques, mais plutôt des « commerçants » peu ou pas lettrés. A la fois grossistes et détaillants de leurs marchandises, ils tardent à devenir de véritables managers, des gens organisationnels, ayant réussi à se « dévêtir du vieil-homme paysan », partisan d’une gestion traditionnelle méfiante vis-à-vis de la publicité et des media, privilégiant plutôt la culture du guichet fermé et du « bouche à oreille ».

Lorsque les opérateurs économiques ne sont pas conscients de la responsabilité sociale de leurs entreprises, ils ne contribuent pas à la création de la richesse auquel l’industrie médiatique et publicitaire apporte sa pierre à l’édifice. Une gestion lacunaire des entreprises publiques et privées rend aléatoires les subventions étatiques qui seraient destinées aux organes de presse, soutient indirectement l’absence d’infrastructures qui en sont des unités de production et justifie, du moins partiellement, cette précarité financière des organes de presse devenue un cercle vicieux. La rareté de professionnels de media et l’absence d’agences publicitaires spécialisées, accroissent davantage l’incertitude vis-à-vis de l’efficacité même de la publicité, consolide la culture du guichet fermé dans un contexte de non-respect des textes légaux régissant le monde des affaires, désormais régulé par le banditisme fiscal, les arrangements à l’amiable, la corruption et l’évasion fiscale contribuent largement à la précarité financière de ces derniers.

Ce cercle vicieux est ainsi alimenté par un nombre de pratiques convenues, issues du savoir commun désormais rapproché de la convention, grâce à laquelle chacun sait comment s’intégrer progressivement. Dans ce système, chacun sait « implicitement » comment faire pour bien ou se se comporter dans la mesure où il connait ce qui est collectivement refusé ou rejeté (Mascleff 2001). Considérant le champ d’étude comme un microcosme de la RDC, et prenant à contre-pied ce « savoir » communément partagé entre les acteurs dans le système, celui-ci reflète l’inversion des normes dont une poignée d’individus tire profit, au détriment d’une majorité désemparée et mise hors-jeu. La perpétuation du système construit au long des années et ancré dans les mentalités pour devenir « habitus », « coutumes », « règles », « repères », « pratiques », « discours », etc.  aura inéluctablement besoin des piliers dont le non-respect des textes légaux, le banditisme fiscal, les arrangements à l’amiable, la corruption, l’évasion fiscale, etc.

Face à l’inefficacité présumée des média, on a l’impression que seuls les politiciens ont encore foi dans les medias, surtout lorsqu’ils y font des apparitions à des fins électoralistes, et ce, dans le but de se refaire une image ternie. Et les journalistes ne se font pas prier pour rendre leurs bons offices. Ce paradoxe est davantage explicité par la pratique du « coupage », mettant en scène deux acteurs, le « coupeur » (organisateur de l’événement) et le « coupé » (journaliste) que Lapess Munkeni (2006) définit comme une sorte de palliatif aux conditions précaires de l’exercice du journalisme en RDC et perçu par les professionnels des médias congolais comme un droit dont ils se réclament et se prévalent. Lorsqu’il épilogue sur les ravages du « coupage », Mulongo note que ce dernier n’honore pas les journalistes qui sont souvent amenés à signer des décharges pour reconnaitre qu’ils ont perçu 50 $ US, 100$ US de frais de transport et reportage. C’est là une honte dont pourtant les « journalistes  Quado1 » et « Journalistes Nzombo le soir2 » font  leurs choux gras. Grâce à cette motivation financière accordée aux journalistes « coupés », les médiocres et les criminels sont encensés dans les media parce qu’ils paient, tandis que les gens talentueux sont ignorés, parce qu’ils n’ont pas de quoi corrompre les journalistes (Mulago 2018).

La plupart de journalistes congolais travaillent « au  noir » sans contrat ni salaires. Le manque d’énergie électrique en RDC est un facteur-clé de sous-développement qui affecte négativement nombreux ménages et institutions dont plusieurs ne peuvent se procurer une source d’énergie électrique alternative, en l’occurrence le groupe électrogène. La survie de quelques maisons de presse tient néanmoins à certains « arrangements  particuliers», à la « débrouillardise » ou alors à une course derrière les annonceurs. Car, faute de ces derniers, ces organes de presse finiront par ne plus couvrir leurs charges, dans une ville où il n’y a presque pas d’électricité alors que ces organes de presse doivent s’acquitter de leurs taxes, assurer les frais de transport pour le reportage, sans parler des primes de leurs employés.

Cette précarité institutionnelle des media a des racines dans l’absence d’un lectorat large, solvable et régulier; l’étroitesse du marché publicitaire ; la difficulté d’une distribution correcte des informations et de leurs supports (Jeune Afrique Intelligent 2004). L’étroitesse du marché publicitaire qui affecte négativement les organes de presse résulte généralement de la peur des commerçants de ne pas s’exposer aux textes légaux. Nombre d’entre eux redoutent que la publicité faisant la promotion de leurs entreprises et marchandises n’attire la curiosité des agents fiscaux qui sont toujours aux aguets en quête de pots de vin. Car sans publicité, ces derniers sont renseignés et parviennent à traquer et tracasser les commerçants, « bourreaux et victimes » qualifié de « banditisme fiscal ». Face à cette précarité, nombreux journalistes ne sachant pas à quelle sauce ils seront mangés trouvent leur salut dans la fuite, « rejoignant le mouvement général des fuites des cerveaux », travaillant de l’étranger ou pour l’étranger, pour les puissances étrangères alors qu’une poignée de leurs collègues s’obstinent courageusement à vivre leur vocation sur place.

Une culture lacunaire de la publicité en RDC n’est pas uniquement préjudiciable aux entreprises de presse mais aussi à l’État congolais. Cette dimension est abordée par Jean-Michel Utard (2018) qui allie publicité et croissance économique. Ce dernier, en termes simples, sert à mesurer la richesse produite par un pays sur son propre territoire. Nombreux gestionnaires des organes de presse n’ont pas l’esprit du business, associé au goût du risque. Pour la survie et le fonctionnement de leurs boîtes, ils ont un penchant vers l’argent facile et préfèrent obtenir des donateurs des financements non remboursables, ce qui les maintient dans un rapport permanent de dépendance. Un témoin a estimé que le degré de créativité des organes de presse congolais est nul. De son côté, Tuverekwevyo Wundi Tuver, journaliste à la RTNC Goma et Représentant de JED au Nord-Kivu, trouve urgent d’améliorer les signaux émis par les organes de presse en termes de qualité des programmes pour les media audiovisuels, c’est-à-dire le contenu et sa présentation afin d’attirer les annonceurs. Pour la presse écrite, il est plus qu’impérieux d’en réguler la périodicité car plusieurs journaux ne paraissent qu’à l’improviste.

L’entreprise médiatique congolaise n’a pas encore atteint sa phase d’industrialisation au sens propre du terme. Elle est restée à une boutique artisanale qui regorge de ce que les journalistes eux-mêmes qualifient de « moutons noirs », des « pseudo-journalistes » qui ont trouvé dans le journalisme un tremplin pour les plus chanceux et un exutoire pour d’autres qui s’engouffrent dans cette brèche où viennent se réfugier tous ceux et celles qui ont échoué ailleurs dans leur vie professionnelle. Selon Budimbani (2001 :43), nous sommes en face d’une presse congolaise qui a mauvaise presse par rapport à sa propre déontologie et d’une presse « cimetière des idées » où des titres poussent comme des champignons et « s’érigent des Romes dont les papes ne se soucient guère de prêcher l’évangile, à supposer qu’ils en aient un! » (Dimandja 1996 : 76).


 

  1. Culture du guichet fermé ou dissimulation de l’information

Les commerçants du Kivu sont à la fois grossistes et détaillants, méfiants vis-à-vis des journalistes et des intellectuels. Leurs marchandises s’écoulent facilement et, de ce fait, ils n’ont aucun intérêt à investir dans les annonces publicitaires alors qu’ils tirent déjà profit de l’informel où ils sont amenés à « traiter » à l’amiable avec les agents commis au fisc. Ces commerçants n’ont-ils pas une culture bancaire. Ils continuent à voyager avec des malles d’argent en devises étrangères dont ils garnissent aussi leurs armoires. Selon Pacifique Zikomangane (2008) « il parait anormal qu’un homme ou femme d’affaires de Bukavu, possédant un chiffre d’affaires de plus de 200 000 $ US, ne détienne aucun compte bancaire; pareille personne ne comprendra jamais à quoi sert la publicité !». Au Nord-Kivu, cette culture de la publicité est aussi absente. Tuver (2008) note que même les journalistes dits « économistes », n’ont pas encore été formés en matière de publicité. D’où la nécessité de les former, tout en sensibilisant les entrepreneurs sur l’importance de la publicité dans la réussite de leur business et susciter le besoin de faire la publicité de leurs marchandises.

La culture de la dissimulation de l’information se trouve renforcée par le manque de culture de la lecture et de l’écriture. Un journal distribué gratuitement peine à trouver un lecteur! Pontien-Levy Bashonga déplore que, dans la ville de Bukavu d’environ 1500 000 âmes et celle de Goma avec presque l’équivalent, on ne puisse même pas disposer d’un simple hebdomadaire. Freddy Mulongo avoue que le pluralisme médiatique au Congo démocratique est frelaté et que la régulation des media est un véritable mort-né! La ville de Kinshasa de plus 12 millions d’habitants, ne dispose pas d’un journal qui tire à plus de 2000 exemplaires, des journaux presqu’inexistants dans les 26 provinces alors que des acteurs politiques sont propriétaires des radios, télévisions et journaux (Mulago 2018).

    1. L’Or du Kivu à l’abri des bruits médiatiques

La culture du guichet fermé n’est pas uniquement pratiquée mais aussi se répand de plus en plus jusqu’à affecter les multinationales exploitant le secteur minier. Le souci n’est point d’appuyer financièrement les organes de presse qui portent sur la place publique les revendications des communautés lésées par les prédateurs des ressources naturelles congolaises. La culture du camouflage de l’information a entrainé les multinationales minières dans d’énormes difficultés relatives à leurs propres conflits avec les populations locales qui les accusent de les dépouiller de leur patrimoine foncier et minier.

    1. Nouvelles approches marketing et publicitaires

Dans un contexte de forte concurrence et de banditisme fiscal, les entreprises commerciales en général sont astreintes, non seulement d’ « assainir » certains membres du personnel, mais encore de réduire davantage le volume d’annonces publicitaires qui servaient de bouffée d’oxygène aux media. Pour le cas de la Bralima, l’arrivée de sa concurrente Brasima a terriblement affecté la production et les ventes qui ont littéralement chuté. Cette contrainte a conduit la Bralima à réduire l’assiette de ses annonces publicitaires. Aussi les a-t-elle orientées vers les artistes de musique, « estimés plus efficaces que les media ordinaires » comme l’affirme un répondant pendant la recherche. Une exigence dans un contexte où les individus autrefois financés par la Bralima n’étaient pas capables de produire des messages publicitaires. Bralima était alors contrainte d’intervenir personnellement dans la conception et l’élaboration de ses propres messages publicitaires dont elle remettait le paquet aux organes de presse sélectionnés pour la diffusion.

Les ventes promotionnelles sont parfois organisées dans des « villages » qui sont animés par des musiciens locaux et mensuellement rémunérés par la Bralima. Ces artistes sont considérés et traités comme des agents de la Bralima et les points de vente ou « villages », qui sont leurs espaces de prestation, sont réputés « exclusivité Bralima ». Aucun autre produit concurrent ne peut y être vendu, sans que le vendeur ne s’expose à la rupture du contrat de partenariat ou de l’exclusivité avec la Bralima. Les musiciens, les comédiens et autres amuseurs du peuple ont donc damé le pion aux organes de presse qui désormais battent leur « mea culpa ».

    1. Organe de presse : Cura Te Ipsum !

Les organes de presse peinent à attirer les annonceurs du monde des affaires au Sud et Nord Kivu. Ils ne font pas leur propre publicité! Mais est-ce à eux-mêmes de s’auto-célébrer, en élaborant des messages publicitaires sur eux-mêmes? Ailleurs les services de conception et production des messages publicitaires relèvent du métier des agences publicitaires qui prestent pour les entreprises commerciales ou annonceurs et recourent aux média pour la diffusion de leurs messages. Les informateurs de Bukavu et de Goma sont unanimes : les organes de presse ont plus que jamais besoin d’agences publicitaires spécialisées afin d’être plus attractifs vis-à-vis des annonceurs pour accroitre leurs recettes. Les rares offres aux organes de presse du Sud et du Nord-Kivu sont élaborées à Kinshasa, vu qu’il n’existe point d’expertise et infrastructures pour en concevoir et en produire en province. Selon un répondant, dans la ville de Goma, quelques organes de presse reçoivent des offres publicitaires pour la promotion des vins localement produits et sans notoriété sur le marché national et international.

Estimant que les femmes et hommes d’affaires de Goma n’ont pas de culture de la publicité, un répondant est d’avis que les gérants des organes de presse devraient s’investir davantage dans l’exploration des espaces de collaboration avec les entrepreneurs , expliquer davantage le bien-fondé de la publicité pour espérer signer des contrats éventuels avec ces derniers. Cet avis est partagé par un autre répondant qui, tout en espérant un certain changement de mentalités dans le chef des opérateurs économiques de Bukavu, avoue que le manque d’engouement envers la publicité fait partie de la culture congolaise. Un fait culturel indissociable de l’inculture qui caractérise le monde des affaires en RDC.

La méfiance à l’égard des media et des espaces publicitaires laisse entendre qu’il existe un malaise qui ne permet pas un fonctionnement harmonieux et efficace des médias congolais. Ce malaise est comparable à une phase végétative qui n’est pas transitoire et dont le remède ne proviendrait pas de la seule « toute puissance » des médias ou de la publicité, s’il en existe une! Les organes de presse ont réalisé un diagnostic quant aux maux qui les rongent tant de l’intérieur que de l’extérieur. Ils ne peuvent se soigner eux-mêmes qu’en se fédérant en corporation, non en association. Seule la corporation peut mobiliser des capitaux et limiter la responsabilité individuelle à travers le monde. Cette société devient ainsi une « personne » juridiquement distincte. La peur de fédérer en corporation est, sans doute, le revers de la médaille d’un pluralisme médiatique capitaliste qui a pour béquilles, une libre entreprise mal assumée et non soutenue par le goût du business dans le chef du « quatrième pouvoir ». Cette politique de fédération et de conversion s’impose à toutes les entreprises commerciales et médiatiques dans l’espace congolais si elles espèrent survivre.

Le commerçant « nouveau-riche » peu ou pas lettré, incapable de se dévêtir du « vieil homme paysan » pour devenir « homme organisationnel », « manager », a tourné le dos aux media et désormais travaille à « guichet fermé », recourt au « bouche à oreille » afin de dissimuler l’information et échapper ainsi au banditisme fiscal de l’Etat, privilégiant parfois l’arrangement à l’amiable, la corruption qui consolident l’évasion fiscale, privant ainsi l’Etat des moyens requis pour subventionner les organes de presse, parents pauvres des entreprises congolaises, sans infrastructures.

La responsabilité de la précarité des organes de presse étant largement partagée, ces derniers y contribuent parce que gérés par des managers qui ne font pas preuve d’esprit créatif, préférant travailler en vase-clos plutôt que de s’ouvrir aux autres afin de fédérer leurs entreprises en corporations commerciales à même d’ester en justice et mobiliser des capitaux.

Conclusion

La précarité financière de la presse au Kivu s’explique par la rareté d’achat des espaces publicitaires dans les media par les entreprises commerciales. L’incertitude vis-à-vis de l’efficacité du message publicitaire, y compris l’infidélité croissante des consommateurs, s’ajoutent à la méfiance à l’égard du « quatrième » pouvoir. L’analyse renseigne que le consommateur du message publicitaire résiste à tout acte manipulatoire; attaqué, il peut contrattaquer; manipulé, il peut devenir manipulateur. Curieusement, des commerçants sont presqu’intuitivement prévenus contre réalité.

La précarité des media entraîne la pratique du « coupage » comme alternative de survie des professionnels de media et de leurs organes non subventionnés par l’Etat, alors qu’ils sont auxiliaires du système éducatif, vulgarisateurs de valeurs socioculturelles

et vecteurs de l’éducation à la citoyenneté. La subvention étatique servirait de lubrifiant au contrôle et à la régulation de l’espace médiatique par l’autorité publique.

Bien sûre, la subvention étatique, à elle seule, ne saurait suffire pour garantir la viabilité institutionnelle des médias. Une fois obtenue, elle constituerait une bouffée d’oxygène pour permettre aux organes de presse de continuer à respirer et remplir leur mission de produire et fournir l’information. Au-delà de la subvention étatique, les organes de presse subventionnés seraient davantage outillés pour mobiliser des fonds additionnels ou complémentaires auprès, notamment des annonceurs. La subvention étatique aux organes de presse relevant du secteur privé ne devrait pas inquiéter ces derniers et leurs audiences, sous prétexte qu’elle empiéterait sur leur indépendance et leur liberté. Dans un contexte de précarité, l’indépendance n’existe que de nom.

La mentalité du vieil homme paysan qui se refuse de devenir homme managérial dans la conduite de ses affaires économiques ne favorise pas l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs ayant cette volonté de fédérer leurs entreprises afin de mieux faire face à la concurrence. A travers les services bancaires, l’Etat est à même d’impulser l’émergence de cette nouvelle génération de gens d’affaires qui comprennent l’importance sociale des entreprises et la nécessité de fédérer en corporations. L’implication est que les populations et les opérateurs économiques doivent tous être sensibilisés à renoncer à une économie de dépassée, traditionnelle pour s’engager dans une économie ouverte où les medias jouent un rôle social pour la vente des biens et des services dans la société.

1 Sans formation et professionnalisme

2 Les profiteurs de la vente au rabais, à la dernière minute.

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