Abstract:
This editorial note frames journal articles in this issue. It first paints a panoramic picture of the world insecurity. It substantially and ethically questions today’s insecurity deadlock. It rallies for a renewed consideration of humanity as a conviction to security. Three postulates adumbrate the concept security. The first invites to “being human”, that is, the humanization of insecurity: humans should move from insecurity to security, not from insecurity to insecurity that is the world current trend. Indeed, insecurity dehumanizes and, consequently, destroys humanity. The invitation to humanization is a solution to insecurity. Certainly, the negative reaction against inhumanity recreates humanity. The second postulate questions human reason as the humanity feature. Indeed, reason leads the re-articulation of moral order in which human sustainable existence and the means to achieve it are paramount. The third postulate questions the far-end innocence of religion. This process leads to taking seriously the moral principles ingrained in all religions and cultures, namely: the principle of humanity which calls up to treat people humanly; and the reciprocity rule of thumb which requires to equally treating neighbors. The editorial concludes with a bird’s view on articles in this journal.
Le Volume 11 de la Revue Ethique et Société (RES) se focalise sur le thème de la sécurité. Il s’agit d’une question éthique très actuelle. Pour s’en rendre compte il suffirait de jeter un coup d’œil sur l’état du monde comme ce numéro le propose.
- Aperçu panoramique de l’insécurité : Etat des lieux
La question de l’insécurité mobilise tout le monde aujourd’hui à tel point que personne ne peut s’en dérober : les médias oraux, écrits, visuels ou en ligne ne parlent que de l’insécurité. Des tueries, des actes terroristes, des conflits, des guerres intra et inter-états sont la Une de l’actualité nationale et internationale. La diplomatie se joue désormais sur l’insécurité à côté de celle de l’environnement qui, lui aussi, subit les coups de l’insécurité. Alors que le langage de la mondialisation économique et de la démocratie libérale s’était imposé dans l’imaginaire collectif, c’est aujourd’hui l’insécurité qui se mondialise à tel point que chaque personne en est une cible potentielle. Partout, on parle de « terrorisme, guerre, frappe, violence, et de conflit ». Les femmes et les enfants longtemps déplorés comme victimes de l’insécurité ne sont plus les seuls : tout le monde est désormais vulnérable.
Les sociétés occidentales paisibles localement après la seconde guerre mondiale sont aujourd’hui exposées aux énormes aléas de l’insécurité. Les Etats-Unis et l’Union Européenne habituellement connus comme vigiles de la sécurité internationales sont perpétuellement sous la menace des actes terroristes depuis l’attaque du 11 Septembre sur le World Trade Centre. La logique « insécurité ailleurs, sécurité chez nous », change. Désormais l’insécurité ailleurs est notre insécurité. Les réseaux mondiaux et l’urbanisation locale doivent, désormais, tenir compte de la donnée du « terrorisme ». Le monde se réarme et semble repartie en guerre de tous contre tous. Même là où les canons se sont tus, leur silence n’est pas nécessairement synonyme de sécurité. En fait, nous vivons dans des sociétés qui ressemblent au cratère du volcan toujours prêt à déborder. Nous baignons dans les tensions larvées capables d’engendrer des conflits armés. C’est ce que nous observons avec des tensions entre les partis politiques dans les pays où les populations s’apprêtent à élire, avec les conflits identitaires et politiques, les idéologies religieuses, le pouvoir politique, la pauvreté, le chômage et même l’insécurité alimentaire. La liberté politique va désormais avec la libre circulation des armes dont la conséquence est la mort ambulante ou latente. La question de la sécurité se pose avec une telle acuité que société y fait et doit y faire face selon l’étalon de ses moyens.
Les missions de maintien de la paix se multiplient, mais toutes ne sont pas efficaces. Plusieurs d’entre elles, incapables de fédérer les désidératas des peuples qu’elles sont censées protéger, sont souvent des cibles privilégiées des rébellions ou du courroux de ces peuples. En Afrique et ailleurs dans le monde, des rébellions ou des mouvements islamistes armés naissent ou, comme phénix, renaissent de leur cendre quand on croit les avoir anéantis. La communauté internationale et les régimes des différents Etats n’arrivent toujours pas à endiguer ces phénomènes de protestation. Dans les pays d’Afrique, il fut une période où toutes les populations ou presque crurent à l’efficacité du dialogue entre les parties en conflit, à la gestion pacifique des conflits, à la réconciliation, à l’alternance au pouvoir après les élections libres et démocratiques et à la bonne gouvernance. Mais ces mécanismes de gestion sont de plus en plus dilués par la pratique, sinon négligés pour privilégier les arguments de force. Nos régimes, au lieu d’être des foyers de prévention des conflits, en sont plutôt des géniteurs. Du coup, ces régimes font preuve d’irresponsabilité pour avoir oublié que la première obligation pour tout Etat souverain et responsable est d’assurer la sécurité de ses citoyens. C’est même ce qui fonde en légitimité son existence.
- Des interrogations
Un tel panorama suscite de nombreuses interrogations. De prime abord, il est difficile de savoir si l’insécurité est une constituante de notre humanité ou si c’est plutôt notre humanité qui est constituante de l’insécurité. Dans tous les cas, nous sommes confrontés à la question de les séparer et de les démarquer. Il s’agit ici d’une question sous forme de plat de spaghettis: Comment comprendre l’insécurité ? A quoi l’insécurité est-elle due? Est-elle ontologiquement atavique à l’être humain ? Ou un simple épiphénomène des mutations en cours dans nos sociétés et dans lesquelles les humains seraient en train de se redéfinir? Par quels indices est-elle évaluée? Quelle est la genèse de nos conflits internes ? Est-ce le fruit des plans machiavéliques des nations nanties et puissantes déterminées à déstabiliser les nations pauvres et sans moyens de défense Ou l’œuvre des multinationales et des forces obscurantistes autochtones ? L’horreur actuelle de l’insécurité prépare-t-elle l’aurore de la sécurité ? Peut-on s’attendre à un monde nouveau et une terre nouvelle à l’horizon de l’état d’insécurité actuelle ?
D’où la question éthique. Est-il possible de théoriser sur une éthique de la sécurité? Plus précisément, une éthique de la sécurité est-elle possible ? Il n’est pas aisé d’aborder une telle question. Un problème qui touche l’être humain doit être renvoyé à l’être humain lui-même. Ainsi, cet éditorial suggère que le point de départ d’une éthique de la sécurité est l’humain lui-même, ses mécanismes et pouvoirs naturels.
- Retour à l’humain comme point de départ de la sécurité
Carte de vœux de Noël de Guatemala, Amérique Centrale
3.1.Une invitation « Be Human »
Normalement, il n’y a pas d’illustrations dans ce périodique. Mais cette carte postale qui vient du Guatemala, en Amérique Centrale, capte l’idée même de ce qui m’habite dans cet éditorial. Une invitation à « être humain ». Be human ! De même, l’idée du retour à l’humain comme point de départ vers la sécurité m’est venue en observant l’ordre des choses et la façon de répondre à l’insécurité aujourd’hui. Les moyens de destruction parlent plus que la politique de l’entente et de la réconciliation. Si l’autre (nation, groupe, etc) est soupçonné d’être dangereux, il faut rapidement le frapper et, si possible, l’éliminer en faisant intervenir le pouvoir de la force : les moyens militaires. On répond à l’inhumain par l’inhumain pour produire l’inhumain, et, dans ce processus, on perd son humanité en faisant perdre l’humanité à l’autre. Voilà l’itinéraire de l’insécurité.
La réponse adéquate, celle de la sécurité, est le mouvement inverse. Répondre à l’inhumain par l’humanité pour produire ce qui est humain. En 2002, lors d’une conférence à Salzburg en Autriche, j’avais présenté un papier où, entre autres, je proposais de transformer les industries d’armement pour transférer le savoir et le savoir-faire ailleurs. Appelons cela la résurrection à l’humanité. Si nous parlons du retour à l’humanité comme point de départ à la sécurité, une telle suggestion ne serait-elle pas naïve ? En fait, il s’agit de toute la question du droit à l’existence et de la survie de l’humanité elle-même. Nous devons choisir entre survivre en retrouvant notre humanité ou périr en privilégiant l’inhumanité.
3.2.Interroger la raison
Le retour à l’humanité doit interroger la raison comme faculté distinctive de l’être humain qui le démarque du reste de la création. En fait, la raison est le lieu où nous devons repérer notre image et notre ressemblance à Dieu. Si la raison elle-même est interrogée en vérité, elle devrait déboucher sur l’ordre moral dans lequel l’existence humaine et les moyens plus acceptables de l’atteindre sont priorisés. Or justement, le lien entre la raison et l’ordre moral n’est plus articulé. En conséquence, les moyens les plus médiocres pour arriver à sa fin, n’importe laquelle, sont perçus comme lieu de grandeur. C’est ainsi que les manifestations qui ont duré 40 jours au Burundi (d’Avril à fin Mai 2015) m’interrogent autant que le sens du pouvoir chez certains Burundais ; les attaques terroristes m’interrogent autant que les voies d’y répondre, la pauvreté m’interroge autant que le développement économique qui met en danger notre écosystème, le chômage comme une des causes de l’insécurité m’interroge autant que les moyens violents d’y faire face. Nous devons donc interroger la raison dans sa réponse au défi de l’insécurité. Nous devons ramener la raison à l’ordre humain et de l’humain à l’ordre moral.
3.3.Et la religion… est-elle innocente ?
Dans la recherche du chemin de retour à l’humanité, la religion doit être interrogée et même pointer du doigt. Ou plutôt, c’est l’homme de religion qui doit être interrogé et pointé du doigt. Dans sa recherche d’une éthique planétaire, Hans Küng proposait quatre convergences qui sous-tendent une éthique planétaire et il déclarait ainsi:
Pas de paix entre les nations sans paix entre les religions.
Pas de paix entre les religions sans dialogue entre les religions.
Pas de dialogue entre les religions sans normes éthiques globales.
Pas de survie de notre planète sans une éthique planétaire soutenue par l’ensemble des êtres humains, croyants et incroyants.
Dans cette déclaration, le mot religion revient trois fois. Cela ne devrait étonner personne ! Aujourd’hui tous les conflits ont quelques liens directs ou indirects avec la religion, comme c’est le cas en Irak, Afghanistan, Syrie, Nigeria, Mali, Centrafrique, Somalie et même au Burundi. Les nouveaux mouvements religieux islamiques, notamment les djihadistes, el-shebab, Boko Haram sont souvent cités dans le terrorisme et l’insécurité mondiale. La question qui se pose est de savoir si quelque chose d’autre que la confrontation et la force peut être envisagé pour éviter de mettre en danger notre humanité individuelle et collective?
Küng suggère l’idée d’une éthique planétaire soutenue par l’ensemble des êtres humains, incroyants et croyants ensemble. Mais ce qui nous intéresse ici c’est surtout la situation des croyants. Durant cette ère où presque toutes les religions subissent des fissions, le retour à l’humanité nécessite une convergence de toutes les religions même dans leurs fragmentations respectives. Il s’agit de revenir à leur dénominateur commun. Selon Hans Küng, toutes les religions et toutes les cultures convergent sur deux points, à savoir : Le principe d’humanité et la règle d’or de la réciprocité.
3.3.1.Le principe d’humanité
Selon le principe d’humanité, tout être humain doit être traité humainement. Le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, le Bouddhisme, le Shintoïsme, le Taoïsme, etc. ont tous une éthique qui exige que toute personne soit traitée humainement. Ce principe est constamment violé si bien qu’il constitue de moins en moins une référence dans le monde des religions. Or c’est précisément dans ce canal universel que tout le monde peut se retrouver en sécurité quand la vie est agressée. Il s’agirait donc de revenir à la maxime kantienne selon laquelle chacun est interpellé dans ces termes : « Agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité dans ta personne aussi bien que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, jamais comme un moyen. »
3.3.2.La règle d’or de la réciprocité
La règle d’or de la réciprocité est un principe qui nous invite à ne pas faire à autrui ce que nous redoutons pour nous-mêmes. Comme le principe de l’humanité, cette règle se retrouve dans toutes les religions et dans toutes les cultures. Parmi les formulations de ce principe, je suis séduit par celle du Taoïsme et celle de Jésus que je retiens sans commentaire. « Regarde le gain de ton voisin comme ton propre gain, et la perte de ton voisin comme ta propre perte ». « Le sage n'a pas d'intérêt propre, mais prend les intérêts de son peuple comme les siens. Il est bon avec le bon ; il est également bon avec le méchant, car la vertu est bonne. Il est croyant avec le croyant ; il est aussi croyant avec l'incroyant, car la vertu est croyante. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Toute personne veut être aimée. Si tu veux sortir de l’insécurité, aime et croie en l’amour. C’est contre cet arrière-plan que j’invite les lecteurs à naviguer dans ce numéro de la revue.
- Vue panoramique du numéro
Dans « Insécurite économique: pauvreté et criminalité »,Mathias Kinezero s’interroge sur le lien entre la pauvreté et la criminalité. Kinezero soutient que la pauvreté est une des causes de la violence et de l’insécurité. Pour en découdre avec l’insécurité, il faut mettre les peuples sur la voie de la croissance économique et du développement d’une part, et d’autre part, de redistribuer les revenus pour le bien-être de tous. La consolidation de l’humanité comme lieu de la sécurité passe par le partage.
Dans « Derrière les façades : espoir pour le Rwanda »,Laurien Ntezimana décrit la situation du Rwanda à l’aurore de 2013. Ntezimana éclaire les différentes images du Rwanda actuelle dans leur dynamique par rapport aux perceptions du monde intérieur et extérieur. Il situe la question de l’insécurité au nœud de l’image positive exposée, sa critique et sa contre-critique qui tendent à se ressembler toutes dans leur vérité. Il suggère d’éviter la culpabilisation et privilégier la responsabilisation en se désengageant des griffes de l’égo qui est souvent la cause de l’insécurité.
Dans“L’esprit du développement économique ou l’économie de l’esprit”,Symphorien Ntibagirirwa soutient que le fondement ultime du développement économique est l’auto-transcendence humaine. La recherche d’“être plus, d’avoir plus, de valoir plus” veut dire qu’on n’est pas satisfait ni de ce que l’on est ni ce qu’on a, si bien que le développement économique implique notre propre insécurité ontologique. La sécurité économique est à l’horizon fuyant et non au présent. C’est dans cette logique que Ntibagirirwa essaye de répondre à certaines questions qui débilitent le développement économique de l’Afrique au point de compromettre la sécurité actuellement.
Dans « Vulnérabilité et adaptation aux changements climatiques dans le district de Rusizi », Dieudonné Safari et Susanne Alldèn montrent que les dérangements climatiques et biophysiques observés aujourd’hui ont des effets sur la communauté rurale du district de Rusizi malgré sa capacité de résilience et d’adaptation. Cependant, la vitesse avec laquelle le climat change expose cette communauté à une vulnérabilité déjà manifeste dans leur comportement de désespoir et de phobie lié à un avenir incertain. Il s’agit d’un défi auquel il faut faire face et qui interpelle notre humanité d’autant plus que les aléas climatiques sont, en grande partie, causés par nos activités humaines irresponsables.
Enfin, dans,« Islam et musulmans aujourd’hui »,Ignace Berten jette un regard sur l’Islam aujourd’hui pour nous faire une idée de ce qui se passe en lien avec voir la situation préoccupante quant à la sécurité. Berten soulève la question d’une réponse appropriée de la part des Musulmans et non-Musulmans en nous invitant à faire des nuances et à éviter la naïveté. Chemin faisant, il donne des propositions qui sont susceptible de déboucher sur une meilleure connaissance de l’Islam, dissiper les peurs et catalyser la tolérance vis-à-vis des musulmans surtout dans les pays où ils sont très peu présents.
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