L’EDUCATION FAMILIALE ET LA SEXUALITE EN AFRIQUE

Abstract: 

The African family is a very complex and multifaceted reality. It may be nuclear, a concession or a lineage. Family education in Africa has become multidimensional. The objective of family education is to prepare a man and/or woman to know the rights and duties of the whole society. Sexuality is the backbone of life and the posterity of the family in Africa and is  the very field of traditional education. For Africans, sex does not just serve the biological purpose only, but also a religious and social role. However, modernity or the liberalisation of African societies is bringing a reformative dynamics to family education which, in the context of globalisation, sacrifices the community spirit to save the individual. Celibacy, mono-parental families and homosexuality are conquering African societies. Thus, the mutations with a postmodernist character are often explained by pro-western snobbism or the response of the inadequacy between demographic realities and consummation resources. Although we cannot talk of its disappearance, the traditional education in the field of sexuality, the influence of extra-African culture is being felt in the context of the porosity of borders and the planetary village.

 

  1. Cadre de la chronique

 

Dans ce numéro consacré au thème « famille et sexualité », nous voudrions présenter une chronique sur le sujet « L’Education familiale et la sexualité en Afrique ». Etant donné que le continent africain a une tradition familiale spécifique, la notion de la sexualité est souvent vécue d’une manière particulière suite à un esprit communautariste qui se bat contre la libéralisation des mœurs en Afrique. L’Afrique est certes plurielle mais une grande part des pratiques traditionnelles se retrouvent à quelques différences près dans beaucoup de pays du continent. Il est vrai que la rencontre des cultures ou les influences extra africaines sont en train de changer à vue certains traits culturels traditionnellement africains même si on ne peut pas  parler d’une acculturation effective des sociétés concernées. Avant d’entrer dans l’analyse profonde du sujet, il faudrait commencer par la définition de la famille africaine qui, comme nous venons de le souligner, garde sa particularité.

  1. De la conception de la  famille en Afrique

 

Sur le plan étymologique, le mot famille provient du latin (familia : ensemble des famuli, c'est-à-dire des serviteurs, esclaves, habitant dans la maison du maître). Les anthropologues définissent la famille comme un groupe de personnes liées par des liens de consanguinité, un certain nombre d’entre elles vivant dans un habitat commun. La notion varie avec les cultures. Aussi Durkheim et Mauss ont-ils affirmé que la famille est un fait social et non biologique : les tribus n’accordent pas la même importance au couple reproducteur (Grawitz 2004). Pour Emile Durkheim, la famille est une institution sociale, à la fois juridique et morale : 

 

Pour qu’il y ait famille, il n’est pas nécessaire qu’il y ait cohabitation et il n’est pas suffisant qu’il y ait consanguinité. Mais il faut (…) qu’il y ait des droits et des devoirs, sanctionnés par la société, et qui unissent les membres dont la famille est composée (Durkheim 1888).

 

Selon Lévi-Strauss, le groupe familial tire son origine du mariage. Il comprend le noyau constitué par le mari, la femme et les enfants nés de leur union, ainsi qu’éventuellement d’ « autres parents » qui se trouvent agglutinés à ce noyau. Le lien familial est un lien légal, produisant des obligations économiques, religieuses ou autres, notamment « en forme de droits et d’interdits sexuels ». Enfin, le lien familial est inséparable « de sentiments psychologiques tels que l’amour, l’affection, le respect, la crainte, etc. » (Strauss 1968)

 

En Afrique, on n’envisage l’individu qu’en tant que membre d’une famille. La famille africaine traditionnelle est très étendue : elle ne se réduit jamais au père, à la mère et leurs enfants, vivant à part dans l’intimité d’un appartement privé. La structure de celle-ci, ses méthodes éducatives et ses valeurs marquent tellement la façon de penser et d’agir de l’individu si bien que comprendre ce dernier équivaut à pénétrer le milieu familial dans lequel il a été éduqué. Au niveau de la structure familiale en Afrique, on peut aborder la famille comme « foyer », comme « concession » et comme « lignage ».

 

2.1.La famille  comme foyer

 

En Afrique, la famille connaît une grande complexité selon le régime. On note d’abord la famille à régime monogamique : le père et la mère avec ou sans enfant. Et la famille à régime polygamique l’homme est marié à plus d’une femme. La polygamique s’explique par quelques raisons : en premier lieu ce serait le désir d’une nombreuse descendance. En deuxième lieu on fait valoir des raisons économiques : chaque femme dispose d’une maison et peut créer, par conséquent, un nouveau centre d’exploitation. Par ailleurs, la famille se déploie dans un foyer. Celui-ci peut être défini de plusieurs manières.

 

Un foyer est un lieu qui émet de la chaleur. Ceci dit, au sein de la famille il y a une chaleur qui se dégage entre les membres. C’est aussi un lieu de vie ou d’habitation ; un ensemble de personnes d’une famille vivant dans un même lieu. Pour l’Africain, la famille comme foyer est un petit milieu qui englobe les parents et les enfants. Ce milieu diffuse une chaleur à ses composants. Il y a une éducation que les parents donnent à leurs enfants en vue de faire d’eux des hommes qui répondent aux besoins de la société.

 

La famille nucléaire assure quatre principales fonctions, à savoir : une fonction de reproduction (le rôle des parents est de perpétuer l’espèce, entourer l’enfant d’affection  et de la chaleur humaine) ; une fonction de nutrition (ils prennent soin de l’alimentation et de la santé de leurs enfants) ; une fonction de protection (la personne veut se sentir aimée et soutenue par son entourage) et une fonction d’éducation (c’est à elle que revient la lourde tâche de former les enfants, de leur donner des notions fondamentales pour la vie future).

 

Ainsi, on observe une séparation des sexes au sein de l’Afrique traditionnelle. Le jeune garçon reste avec son père et la jeune fille avec sa mère. La séparation  des sexes vise à donner aux jeunes des aptitudes dans le domaine qui lui est propre. Pour le jeune garçon, la force virile et l’autorité sont à sa portée pour l’édification de l’homme de demain. Pour la jeune fille, la cuisine, les travaux ménagers et certains travaux des champs l’aident à construire la femme de demain. Au garçon, dès son bas âge, le père lui apprend qu’il doit rester avec les hommes. Quant à la jeune fille, sa mère lui fait savoir qu’elle doit rester avec les femmes.

L’éducation africaine  au sein du foyer avait pour finalité de donner des aptitudes à la personne qui est appelée à grandir. C’est ce qui lui permet d’intégrer la société et de répondre à ses exigences. Comme valeurs, la famille foyer transmet l’intimité qui se caractérise par le sens du partage, la soumission à l’autorité parentale, la discrétion. Il y a aussi l’ouverture caractérisée par la serviabilité, la politesse et l’accueil.

 

La famille africaine ne se réduit pas à la famille nucléaire. Elle va au-delà, ainsi les acteurs de son éducation sont nombreux. Beaucoup de personnes peuvent intervenir dans l’éducation des enfants, c’est le cas de la famille comme concession.

 

2.2.La famille  concession

 

La grande famille, la famille concession ou la cour familiale est composée de membres paternels et maternels (descendants et ascendants). Elle fait mention au lieu, au domicile ou à l’emplacement de l’habitation, bref c’est l’espace qu’il revient à une famille de gérer. Ici on va au-delà de la famille nucléaire. Pour l’Africain, c’est le cadre restreint où se réalisent et s’épanouissent les membres d’une famille. On y rencontre les membres de la famille paternelle et maternelle. La vie familiale est concentrique, les foyers se suivent les uns les autres : le foyer où le ménage ne vit pas séparé d’autres foyers ou ménages, ordinairement apparentés. La famille africaine ne se réduit pas seulement à l’unique case ou maison qui abrite le père, la mère et les enfants. Elle englobe les grands parents, tantes, oncles, cousins, cousines… Ainsi, elle est une concession familiale. On retrouve la maison familiale et les différents membres : les foyers sont rassemblés le plus souvent dans une unité d’habitation plus large, sous l’autorité du vieux père qui a autour de lui ses fils mariés, leurs femmes et leurs enfants. La concession est marquée par l’unité, la proximité des habitations et même les caractères éducatifs.

 

Dans le régime polygamique, il faut beaucoup d’efforts et de sacrifices pour suivre chaque enfant. Les personnes âgées sont chargées de l’éducation des enfants. L’éducation n’appartient plus seulement  aux parents géniteurs mais à toute la concession qui a ses valeurs : totems et coutumes…qui lui sont propres. L’éducation, au sein de la famille africaine revient à toute la concession.

 

L’éducation consiste à former une personne qui réponde aux besoins de la communauté. La renommée de la famille est en jeu, c’est pourquoi les agents de l’éducation ont une lourde responsabilité. Chez les Béti du Cameroun, on dit à la maman : « ton enfant n’est pas le tien, c’est notre enfant » ; au Burundi, on dit que l’enfant n’appartient pas exclusivement à un seul individu mais plutôt à la communauté.

 

La finalité de l’éducation est le bien de la famille, les honneurs, la dignité, le respect des valeurs propres à la famille et l’estime des uns et des autres. La famille concession assure principalement les fonctions de socialisation et d’intégration. Dans la socialisation, l’éducation vise à donner le sens d’appartenance à une société sinon l’individu est marginalisé. Ces deux notions sont importantes au sein de l’Afrique traditionnelle : on dit qu’elles servent à élever l’enfant, à le rendre intelligent, à lui donner l’esprit lui permettant de passer d’une classe sociale à une autre, à faire de lui un homme digne. L’éducateur ou les éducateurs doivent toucher ces fonctions (la socialisation et l’intégration) afin de rendre possible la vie en communauté. Elles visaient la bonne insertion relationnelle et la réussite.

 

La famille concession était complétée par la famille lignage dans l’éducation des enfants en Afrique.

 

2.3.La famille comme lignage

 

Le lignage est un ensemble des parents issus d’une souche commune, les individus qui descendent d’un ancêtre commun par la filiation unilatérale. On retrouve plusieurs agents de l’éducation dans ce type de famille.

 

Au sein de ce type de famille, on retrouve le lien de sang pour les membres appartenant à la même souche. La mentalité de groupe est très prononcée chez l’Africain, elle justifie le primat du groupe sur l’individu. Dans la famille lignage, ce sont les ancêtres qui servent de lien familial. Le nom, le totem et la généalogie constituent la structure et permettent de reconnaître la famille lignage. Les symboles sont pleins de signification et constituent une éducation particulière. Dans la mesure où ceux-ci font partie de la vie des personnes, il faut les connaître et les respecter. La famille est le lien qui unit les ancêtres aux vivants et prépare la descendance : elle est enracinée, trouve son support dans les ancêtres et se ramifie dans la parenté. L’éducation dans ce cadre ne revient pas seulement aux géniteurs et à la concession, mais à toute la lignée qui a un droit de regard. Ce droit n’est pas réservé à tous, mais à certains ; ceux qui constituent une élite digne et ont fait preuve de leurs mérites au sein du clan.

 

  1. L’éducation traditionnelle africaine

 

L’éducation traditionnelle est celle qui est fondée sur les traditions proprement africaines et qui est transmise de génération à génération dans les sociétés africaines depuis l’époque précoloniale jusqu’aujourd’hui. C’est dire que l’éducation traditionnelle coexiste aujourd’hui avec l’éducation dite « moderne » introduite avec la colonisation. Elle n’implique donc aucune dimension temporelle et ne renferme pas un sens péjoratif qu’on a l’habitude de lui accorder : elle ne signifie pas une éducation au rabais, archaïque ou dépassée et ne s’oppose pas à l’éducation moderne. Les valeurs traditionnelles de l’éducation africaine revêtent un caractère dynamique et permettent ainsi à l’individu de vivre en équilibre harmonieux aussi bien avec lui-même qu’avec les autres. Elles ne brisent pas les structures psychiques des individus et ne marginalisent pas les sociétés qui en vivent, mais leur offrent plutôt les moyens de débloquer certains mécanismes sociaux grippés ou de dominer des phénomènes nouveaux  et imprévisibles de manière à faire de l’homme le premier bénéficiaire du progrès. On ne peut parler de valeurs qu’en termes essentiellement relatifs car les valeurs se rapportent le plus souvent aux conditions de vie et aux intérêts de la société qui les produit. Toutefois, il faut savoir que la relativité des valeurs n’est pas tout à fait absolue car il existe des données de base qui, au-delà des dimensions culturelles, sociales et temporelles, semblent sous-tendre l’organisation générale du monde. Ce sont des valeurs constantes et communes à l’humanité et sur lesquelles il est possible de porter un jugement atemporel. On peut donc parler de deux sortes de valeurs : les valeurs trans-temporelles (ou les acquis historiques) et les valeurs de situation (valeurs conjoncturelles ou relatives).

 

Les acquis historiques sont des valeurs qui se sont construites à travers l’histoire de l’humanité et dont la validité s’est toujours confirmée au-delà des changements sociaux ou des horizons culturels et temporels. Ce sont des valeurs qui ont été triées, sélectionnées par une sorte de tribunal de l’histoire et se sont maintenues dans le va-et-vient historique, constructeur et destructeur des valeurs.

 

Les valeurs conjoncturelles sont celles qui ne sont pas consacrées par l’expérience historique ; elles reposent sur les données immédiates et leur portée ne dépasse pas le cas ou leur cadre contextuel. Il suffit alors qu’on change le contexte social, temporel ou culturel pour voir ces valeurs perdre toute leur validité, toute leur signification. Pour bien saisir la portée de l’éducation familiale en Afrique, il s’avère nécessaire d’en élucider les caractéristiques.

 

3.1.Les caractéristiques de l’éducation africaine

 

Contrairement à l’éducation dite moderne, l’éducation traditionnelle en Afrique présente plusieurs caractéristiques: elle est essentiellement collective, fonctionnelle, pragmatique, orale, continue, mystique, homogène, polyvalente et intégrationniste. L’éducation traditionnelle africaine revêt un caractère collectif et social qui fait qu’elle relève non seulement de la responsabilité de la famille, mais aussi de celle du clan, du village, de l’ethnie. L’individu se définit en fonction de la collectivité et c’est dans le groupe social que l’enfant fait son apprentissage : il est ainsi soumis à la discipline collective. L’enfant étant considéré comme un bien commun, il est soumis à l’action éducative de tous ; il peut être envoyé, conseillé, corrigé ou puni par une multitude d’influences diverses, mais les résultats sont convergents du fait de la cohésion du groupe (principe de cohérence dans l’action éducative).

 

L’apprentissage est basé sur la participation active de l’enfant aux différentes activités du groupe. Il s’agit d’une pédagogie du vécu où les adultes servent d’exemple et de cadre de référence à l’action des jeunes. L’accent est mis sur l’expérience et la théorie fait corps avec la pratique (principes de pragmatisme, de l’expérience et de l’exemple).

 

Les enseignements reçus sont en rapport avec l’environnement physique, avec les réalités socio-économiques et directement liés aux tâches de production. On donne ainsi à l’enfant un ensemble de connaissances utilitaires qui lui permettent d’affronter sans beaucoup de frustration les difficultés de la vie qui sera sienne (principe de fonctionnalité).

 

Avec l’absence relative de l’écriture, l’éducation ne pouvait être qu’orale et donc occasionnelle et non institutionnalisée dans le sens de la systématisation. De là son caractère essentiellement informel.

 

L’éducation africaine est adaptée à chaque catégorie d’âge. Elle va du plus simple au plus complexe et se définit en termes de paliers ou d’hiérarchie des âges où l’ainé est censé connaître plus que le puîné. L’éducative est continue et graduelle, c'est-à-dire sans fossé ni coupures entre les différentes étapes du développement de l’enfant, entre la famille, le clan et la société, entre la théorie et la pratique.

 

L’éducation en Afrique est basée sur la conception animiste et les croyances religieuses. Elle est entourée d’interdits qui en font une réalité inviolable et marque de manière profonde les relations que l’homme établit avec la nature, avec la communauté humaine et avec le monde des invisibles. Les relations avec la nature se caractérisent par la crainte que l’homme a des forces naturelles telles que la foudre, le fleuve, les animaux ou les arbres sacrés, divinisés ou protecteurs du clan, etc. Cette crainte rend l’homme impuissant devant la nature et fait qu’il vive en harmonie avec celle-ci.

 

Les relations avec la communauté humaine se révèlent dans les pratiques rituelles dont le but principal est d’insérer, d’intégrer l’individu dans sa société. Elles impliquent donc des devoirs vis-à-vis des autres et développent le sens du respect envers les anciens, l’esprit d’entraide, le sens de la responsabilité, de l’hospitalité, bref, elles préparent l’individu à la vie en établissant un ordre social dans la conduite à la fois collective et individuelle. Enfin les relations avec le monde invisible se caractérisent par des échanges entre les vivants et les morts. Ces derniers jouent le rôle d’intermédiaire entre les divinités et les hommes. Ainsi la famille africaine n’est pas composée uniquement des vivants, elle s’étend jusqu’aux morts, aux invisibles.

 

Le contenu de l’éducation africaine est quelque peu immuable et repose sur l’uniformité des principes éducatifs qui régissent la société. Tous les enfants étaient soumis à un même type d’éducation qui poursuivait un même idéal, les mêmes objectifs, à savoir : faire de l’enfant l’homme de la famille, du clan, de l’ethnie ; l’homme qui devra travailler dur pour fonder la famille et lui assurer le bonheur ; l’homme qui obéit à ses parents et aux aînés, qui se soumet à la réglementation sociale du groupe, qui aide les vieillards, les faibles et les étrangers ; l’homme qui connaît son milieu, sa société et s’y harmonise; l’homme qui pourra perpétuer les traditions de son clan, de son ethnie, etc. Ainsi, l’éducation n’était pas marquée par des contradictions internes et tout adulte servait d’exemple pour l’éducation des jeunes en fonction du type d’homme défini par la société.

 

L’éducation africaine vise à la formation de tout l’homme, c’est-à-dire de l’homme dans toutes ses différentes composantes : physique, intellectuelle, sociale, morale, culturelle, religieuse, philosophique, idéologique, économique, etc. Les disciplines ne sont pas découpées ni isolées les unes par rapport aux autres comme dans l’éducation moderne. A travers un conte par exemple, on enseigne à l’enfant à la fois la langue, l’art de conter, les caractéristiques des animaux, les comportements humains ou les conduites des hommes à travers celles des animaux, le chant, le savoir-vivre en société, etc.

 

En participant activement aux activités et à la vie du groupe, l’individu s’y intègre socialement et culturellement. L’intégration sociale permet à l’individu de reconnaître le groupe comme sien et d’être reconnu par lui ; l’individu s’intègre dans son environnement social qui, à son tour, l’accepte en l’intégrant parmi ses membres. L’intégration culturelle fait de la personnalité un modèle, un pattern qui est l’expression d’une manière de vivre, de penser et d’être propre aux membres du groupe. L’individu intègre les valeurs de son groupe et s’y conforme dans ses manières d’être et d’agir. Pour pouvoir atteindre cet impératif, il existe des techniques bien appropriées à l’usage des éducateurs traditionnels.

 

3.2.Les techniques d’éducation

 

L’éducation traditionnelle en Afrique utilise diverses techniques qui se rapportent aux méthodes dites « nouvelles » : elles s’attachent non seulement à faire acquérir à l’enfant les connaissances utiles à l’âge adulte, mais étendent leur action à la formation de la personnalité. Elles suscitent l’activité de l’enfant  en rapport avec ses besoins fondamentaux et sont subordonnées au développement mental de l’enfant ainsi qu’à son niveau de socialisation. Les principales techniques éducatives utilisées sont : les contes, les devinettes, les légendes, les proverbes, la peur, les rites d’initiation.

 

Les contes sont enseignés aux enfants le soir, autour du feu et cela parce que la journée est réservée aux travaux divers. Leur contenu, très riche et très varié, touche à la fois à plusieurs disciplines : la langue, le langage, le chant, la zoologie, la psychologie, la morale, etc. Les contes jouent ainsi un rôle à la fois formateur et moralisateur. Les légendes ont aussi un contenu très riche et très varié. A travers elles, l’enfant acquiert les connaissances diverses telles que transmises par les contes, mais en plus il apprend l’histoire de la famille, du clan, de l’ethnie, la localisation spatiale de celle-ci, les itinéraires suivis lors des migrations, les cours d’eau ou fleuves traversés, l’origine du monde, etc.

 

Les devinettes sont à la fois un jeu et un exercice de l’esprit. Elles supposent une connaissance très large du milieu : noms des personnages illustres, les parties du corps humain et leurs caractéristiques, les caractéristiques des animaux et des plantes, les phénomènes naturels, etc. Elles font appel à la mémoire, à l’imagination, à l’esprit d’observation et reposent sur les principes éducatifs suivants : le pédocentrisme (l’enfant est considéré comme agent principal de l’enseignement car c’est lui seul qui doit chercher à trouver la bonne réponse) ; l’émulation (les enfants sont amenés à se surpasser pour trouver la bonne réponse) ; la démocratisation (tous les enfants du clan ou du village sont acceptés à ce jeu sans discrimination). Les devinettes tout comme les contes et les légendes, touchent à la fois aux différentes disciplines telles que l’histoire, la géographie, l’anatomie, la zoologie, la botanique, etc.

 

Les proverbes sont porteurs de valeurs, de comportements et d’attitudes souhaitables à transmettre aux enfants. Ils sont utilisés le plus souvent lorsqu’il s’agit de conseiller un enfant. Leur contenu touche aux domaines très variés de la vie sociale du groupe : amitié, apparences, honnêteté, politesse, solidarité, entraide, mariage, travail, etc. Les proverbes jouent essentiellement un double rôle dans la vie coutumière: un rôle didactique et un rôle juridique. Un rôle didactique parce qu’ils forment l’homme en lui donnant une ligne de conduite telle que souhaitée par la société, une ligne de conduite dictée par la prudence, la méfiance, la modestie. Ils jouent également un rôle juridique parce que souvent les vieux s’en servent souvent pour trancher les palabres, etc.

 

Les jeux sont non seulement des exercices donnés à la formation et à l’endurance physique de l’enfant, mais aussi des moyens efficaces de favoriser les apprentissages fondamentaux, de développer l’intelligence, les perceptions, la tendance à l’expérimentation, et le pouvoir d’invention. C’est en jouant que l’enfant arrive à s’assimiler certaines réalités intellectuelles qui auraient dû demeurer extérieures à l’intelligence enfantine. Les jeux de hasard, de comptage ou de combinaison mathématique développent le raisonnement et l’imagination des enfants: c’est par les jeux d’imitation que les enfants sont initiés à des activités productives du groupe et, enfin, l’observance des règles du jeu constitue pour l’enfant une véritable éducation morale et sociale qui forme son caractère.

 

La peur est le moyen que l’éducation traditionnelle utilise pour faire respecter les règles, les lois et les préséances vitales qui ordonnent toute la vie sociale. L’individu a peur des conséquences naturelles ou surnaturelles qui pourraient lui arriver s’il transgresse les lois, les interdits, les tabous, etc. Les sanctions corporelles sont généralement légères, on se contente plutôt d’une volée de reproches et, pour obtenir la discipline chez l’enfant récalcitrant, on recourt à la peur en évoquant des personnages mystérieux et redoutables, des croque-mitaines, etc.

 

Les rites d’initiation marquent le passage de l’adolescence à l’état adulte et ont comme tâche principale de combler les lacunes de l’éducation reçue antérieurement, de rendre l’adolescent capable de porter le poids, de supporter les difficultés et de pénétrer les secrets de la vie nouvelle. Les dures épreuves inhérentes à ces pratiques rituelles ont pour but de développer l’endurance physique du sujet, de combattre en lui toute forme de violence et de lui imposer la soumission totale afin de préserver et de garantir l’unité et la survie du groupe. Les jeunes étaient aussi initiés à la vie conjugale, au respect de la hiérarchie, à la solidarité et à l’entraide, à la morale et à la discipline individuelle, au langage codé et à la discrétion, etc.

 

Parmi les domaines importants de la vie familiale qui étaient concernés par l’éducation traditionnelle africaine, la sexualité occupait une place de choix étant donné qu’elle était et reste pour une grande part liée à la pérennisation de la famille à travers la reproduction.

 

  1. De la sexualité en Afrique

 

La sexualité se définit comme l’ensemble des phénomènes physiologiques et psychiques liés au sexe et aux rapports sexuels. L’attitude de la société et de la religion, leur évolution vis-à-vis de la sexualité, sont révélatrices des valeurs privilégiées. La sexualité représente une dimension constitutive de la personne humaine. Elle appartient à la structure intime de l’être et s’exprime à tous les niveaux : psychologique, social, spirituel, comportemental, etc. La sexualité est une composante fondamentale de la personne, et de fait, l’homme et la femme ne sont pas tels seulement dans leur corps mais aussi dans leur esprit, leur âme, c’est-à-dire dans leur profonde essence humaine. La sexualité est cette dimension masculine ou féminine dont est marquée toute la personnalité de chaque individu dès le premier instant de sa conception et à travers tout son développement ultérieur. De ce fait, toutes les relations humaines sont inévitablement sexuées.

 

On peut avancer que les traditions africaines ont ou avaient une culture africaine de la sexualité et de ses modes d’emploi et d’expression qui continuent d’être en partie prégnantes et non plus dominantes. La sexualité a de fortes racines culturelles, à l’instar des valeurs qui ont fait l’originalité et l’authenticité africaines. Ces racines culturelles de la sexualité riches en leur intention ont trouvé des expressions à la fois positives et négatives au regard de l’histoire, au regard de l’humanité et au contact d’autres courants de civilisations.

 

Les sociologues ont des éléments plutôt dépréciatifs sur la vision africaine de la sexualité. Ils font mieux percevoir : la division sexuelle de la société ; la répartition des activités selon cette division ; la mainmise du masculin sur le féminin ou inversement, la domination du féminin sur certains moments et dans les traditions matriarcales ; l’instruction des enfants par les mâles et leur éducation par les femmes ; les interdits et tabous régissant les rapports d’un sexe à l’autre. Les anthropologues donnent des constructions plus précises. Selon Mbiti,

 

Dans les sociétés africaines, le sexe ne joue pas un rôle biologique seulement, mais également un rôle religieux et social. Dans tout mariage normal et dans toutes les sociétés du monde, le sexe a le rôle important qu’on lui reconnaît à des fins de procréation et de plaisir. Il y a des peuples africains chez lesquels les rites débutent et se terminent solennellement par des rapports réels  ou symboliques entre mari et femme ou autres officiants. C’est en quelque sorte un sceau ou une signature solennelle où le sexe est utilisé pour un acte sacré…qui témoigne de valeurs spirituelles cachées (Mbiti 1990).

 

On peut dire que c’est l’attitude religieuse envers le sexe en Afrique qui a déterminé le comportement social dans ce domaine. Le système familial comprend, entre autres choses, les degrés de parenté où les individus évitent soigneusement tout contact physique. C’est par exemple le cas entre un homme et sa belle-mère, ou une femme et son beau-père, ou entre les frères et sœurs adolescents. Cette distance protège les individus de tout contact sexuel. Par contre, il y a, à l’opposé, une « parenté pour rire », où les individus sont poussés non seulement à se fréquenter socialement, mais à être en contact physique, ce qui peut impliquer des rapports sexuels libres ou du moins faciles.

 

Dans d’autres sociétés les frères ont des droits sexuels sur les épouses de leurs frères ; il ne faut pas oublier qu’un individu peut avoir plusieurs frères et que leurs épouses peuvent être considérées comme des épouses « en puissance » aussi. Ces usages sexuels religieux et sociaux sont considérés comme sacrés et respectables. Toute offense contre eux est prise très au sérieux. Le mariage est donc une responsabilité et un devoir. Il constitue le point de rencontre des membres défunts, présents et à naître de la société. Il est l’objet des vœux et de l’attente de ceux qui ne sont pas mariés et de leurs familles ; le mariage une fois consommé et lorsque les enfants sont nés, l’individu peut glisser vers le cercle des vénérables, il a accompli son devoir sacré.

 

4.1.La morale juridico-éthique

 

Le respect sacré de la vie, du vivant, du milieu de vie et de sa source ancestrale sont les grandes convictions africaines. Certaines pratiques abusives existaient, mais n’étaient jamais tolérées : la société se taisait sur les infanticides pratiqués par les accoucheuses lors des naissances rapprochées, d’enfants jumeaux, triplés, anormaux, albinos, illégitimes ; la fornication, l’inceste, le viol, la séduction, les relations homosexuelles étaient des conduites coupables purgées par des peines diverses: bastonnade, flagellations, traitements humiliants, lapidations, exclusions, mises à mort. Les relations hors mariage existaient dans les régions où les fiançailles par étapes étaient de coutume tandis que les relations hors lit conjugal (adultère) étaient sévèrement réprimées, appelant à verser une compensation. Des rites tels que la circoncision, l’excision, les scarifications sur le corps, les rites de « dopage » étaient subordonnés au mariage ou au rituel sacrificiel. Dans les traditions où la parole engendre des effets, la malédiction entraîne la stérilité de la vie et même la mort, et au contraire la bénédiction, la fécondité.

 

4.2.Problèmes démographiques

 

La société africaine demandait des bras pour les labours et les cultures des champs, des soldats pour défendre la collectivité, les limites des champs. La famille et la cité sont les deux visées et bases politiques de la reproduction dans de tels contextes. La responsabilité vis-à-vis de la cité des hommes entraînait la responsabilité vis-à-vis de la famille et de la reproduction dans le sens de la démographie. La société est à tendance nataliste à cause de nombreux décès, de l’espérance de vie faible. Le seuil de remplacement étant toujours à la hausse. Sur ce terrain, la société traditionnelle est menacée dans ses convictions.

 

Les programmes de politique démographique imposent la pilule et les autres sous-produits pour lutter contre la démographie galopante. Parmi les problèmes qui choquent la culture traditionnelle s’inscrit la limitation des naissances appliquée d’une manière draconienne afin de créer une adéquation entre la population et les ressources disponibles pour répondre à ses besoins. Il se pose un problème d’intériorisation de cette nouvelle réalité liée à la modernisation et à la rationalisation de la société. Dans beaucoup de familles africaines, on cherche à avoir beaucoup d’enfants sans nécessairement tenir compte des moyens disponibles pour leur entretien. Au Burundi, par exemple, on dit que c’est Dieu qui donne les enfants, d’où, le Tout-Puissant doit pourvoir le nécessaire pour les prendre en charge.

 

Conclusion

 

La famille africaine dans toute sa complexité attachait une grande importance à l’éducation de l’ « Homme de demain », celui qui devait perpétuer la bonne tradition, la famille, la progéniture. Dans le domaine sexuel, l’objectif principal était la survie de la communauté à travers les mœurs, les normes propres à l’harmonie familiale dans le sens africain de cette valeur. Les mutations qui caractérisent l’actualité africaine sont en train de transformer d’une manière remarquable les grandes valeurs de l’éducation familiale en Afrique suite à la modernisation et à l’influence des flux culturels issus de la mondialisation. La sexualité n’est pas épargnée par ces retournements qui ne sont pas toujours bien vus par la famille africaine dans sa connotation traditionnelle. L’institution familiale africaine joue donc un rôle dans la transmission des normes et des valeurs qui régissent les comportements individuels et les pratiques collectives. Les systèmes familiaux demeurent la « matrice de la vie sociétale » parce qu’ils fondent les liens de solidarité, mais également d’autorité des aînés. Cette image sereine et parfaite de la famille africaine ne doit pas masquer les transformations d’ordre structurel, fonctionnel et relationnel. Sur le plan structurel,on note de plus en plus des modèles extraconjugaux tels que le mariage à l’essai, les unions libres, les familles monoparentales et recomposées. Ceci montre l’instabilité qui bouleverse actuellement la structure familiale africaine et affecte l’éducation et l’encadrement des enfants. Sur le plan fonctionnel, les fonctions traditionnelles parmi les plus importantes en Afrique, telles que l’éducation, la production économique et la reproduction humaine, subissent des bouleversements profonds, destructeurs d’équilibre familial. Sur le plan relationnel, les transformations sont importantes. On note la diminution des mariages, l’instabilité des couples, le divorce, la tendance à l’individualisme qui affaiblit le principe communautaire de la famille. Les relations entre parents et enfants souffrent de toutes les influences parallèles de la société (école, cinéma, rue, télévision). Tout ceci est facteur de nouveaux comportements et véhicule des idées qui déstabilisent l’autorité parentale traditionnellement incontestée. Ce qui est en jeu ici, c’est la difficile adaptation de la famille aux nouveaux contextes culturels et historiques en tant qu’institution humaine et culturelle spécialisée dans l’accompagnement personnalisant des enfants.

Référence Bibliographique: 

Beitone Alain, et al (sous la dir. de) 2002. Sciences sociales, 3ème édition. Paris : Dalloz.

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