Abstract:
The purpose of this article is to assess the recurrent sociopolitical crises in Burundi since its independence to date. Indeed, since independence, Burundi has been facing recurrent violent sociopolitical crises. For so long, these crises were attributed to the military authoritative regimes. Although Burundians have signed a peace agreement in August 2000, they have not divorced from political violence. The objective of the agreement was to institutionalize some ethics of non-violence so as to achieve lasting peace and security. However, since the advent of the National Council for the Defense of Democracy-Forces for the Defense of Democracy-(CNDD-FDD) on power since 2005, opposition political parties have kept on denouncing the malpractices that nourish violence such as corruption, outstanding violation of human rights, the restriction of the democratic space, extra-judiciary executions and the use of military force against political opponents. Thus, since 2010, so many armed groups have resolved to fight the government of CNDD-FDD to establish a new political order in Burundi. Still, such ways are questionable and they justify permanent violence that forces of defense and security perpetrate against the population. Therefore, the article suggests that democracy in Burundi requires the ethics of non-violence as this is worth rewarding.
1. Introduction
L’instauration de la démocratie en Afrique au cours des années 90 était censée assainir le climat politique et construire un Etat droit. En effet, la démocratie vise à l’instauration d’une éthique de tolérance et de non – violence. Dans un régime démocratique, l’exercice du pouvoir est le résultat d’une confrontation d’idées au sein d’un espace public et d’une compétition politique. Le débat public, par sa fonction d’agréger les diverses opinions émanant de divers acteurs sociaux, est considéré comme le seul fondement de l’action publique pour la majorité. Pour cela, cette éthique de la non – violence et du consensus est le seul gage de la paix, de la sécurité et de l’unité du pays.
Le Burundi indépendant offre l’image d’un espace politique violent. Les actes de violence politique (assassinats ciblés et tueries de masse) y ont été commis par des acteurs politiques qui cherchaient soit à conquérir le pouvoir soit à le conserver.
En août 2000, les Burundais ont conclu entre eux un accord de paix afin de tourner la page sombre de leur histoire et de s’engager durablement sur le chemin de la paix, de la sécurité et de la démocratie. Or, depuis la signature du cessez – le – feu définitif, en avril 2008, entre le dernier mouvement rebelle et le Gouvernement, les actes de violences, source d’insécurité pour la population, n’ont jamais cessé.
Cet article part du constat que l’accord d’Arusha n’a pas été un facteur de paix et de sécurité pour le Burundi. Il postule l’hypothèse que les actes de violence politique sont le produit des comportements des acteurs politiques avides du pouvoir et des richesses. Par conséquent, ces derniers verrouillent l’espace démocratique et imposent des restrictions aux libertés publiques en vue d’étouffer l’opposition et l’alternance politique. En contrepartie, les opposants frustrés, en voulant instaurer un ordre nouveau, empruntent la voie de la violence pour conquérir le pouvoir.
La méthodologie utilisée est une analyse documentaire et comparative. En effet, nous analysons et comparons les actes des violences avant et après l’accord d’Arusha. L’objectif poursuivi est de comprendre si les acteurs politiques burundais se seraient appropriés ou pas l’éthique de la non – violence instituée par cet accord.
En plus de l’introduction et de la conclusion, cet article est organisé autour de quatre points, à savoir:
- Les déterminants de la violence politique en Afrique.
- Le phénomène de la violence politique au Burundi avant l’accord d’Arusha.
- Analyse de l’éthique de la non- violence initiée par l’accord d’Arusha.
- L’état des lieux de la violence politique au Burundi quinze ans après la signature de cet accord.
1. La violence politique en Afrique post – coloniale
Bien qu’il soit difficile de définir la violence politique, une énumération peut révéler « ses diverses modalités et les frontières qui la séparent de l’action pacifique » (Braud 2000 : 367). Il s’agit entre autres
de l’insurrection contre l’Etat, des attentats terroristes, émeutes se caractérisant par l’emploi des armes, des organisations militarisées, de cellules clandestines, d’explosions volcaniques de vandalisme, occupations de bâtiments, séquestrations de personnes, isolement rigoureux d’un quartier, mais également les contraintes matérielles reposant sur un boycott économique, un refus de fournitures vitales (électricité, eau, téléphone) voire des entraves à la libre circulation des véhicules et des personnes (Braud 2000: 367 – 368).
En Afrique, la guerre représente « une modalité ordinaire de la concurrence » (Sindjoun 2009 : 201). Le concurrent est perçu « comme étant l’ennemi, c’est – à – dire comme une figure exprimant le degré extrême de division et de dissociation » (Schmitt 1992). On constate dans ces conditions que la politique africaine semble à elle seule « épuiser le répertoire du crime politique individuel (mutilation, exécution, assassinat, etc.) et collectif (famine, déportation, nettoyage ethnique, ethnocide ; génocide, etc.) » (Sindjoun 2009: 3).
Alors que les démocraties pluralistes sont caractérisées par la marginalisation ou la forclusion de la violence, dans certains pays africains, la violence politique est plutôt récurrente et banalisée depuis leurs indépendances. Pour cela, l’Afrique est apparue comme « la région du monde la plus affectée par les luttes armées ou les crises politiques porteuses de germes de guerre » (Gazibo 2006 :130).
Ces crises sont génératrices de violences, d’insécurité et de violations massives des droits de l’homme : assassinats, massacres de population, génocides, flux transfrontaliers de réfugiés, emprisonnements arbitraires et tortures des opposants au régime, etc. L’analyse de leurs déterminants montre qu’ils sont variés. Selon le Secrétaire Général des Nations – Unies, les principales causes des conflits en Afrique sont :
le legs du passé (colonialisme, Guerre froide); les facteurs internes (nature du pouvoir politique, néopatrimonialisme, multiethnicité); les facteurs externes (Guerre froide); les motivations économiques … la démographie galopante et les problèmes fonciers pour l’Afrique centrale en particulier (Gazibo 2006 : 116).
Ce point de vue est partagé par le Département for International Development (DFID) qui a établi en 2001 une distinction entre trois niveaux de déterminants des conflits en Afrique en les classant en causes profondes, causes secondaires et causes tertiaires.
Les causes profondes sont « l’effondrement de l’Etat, le déclin économique, la culture de violence héritée de l’Etat colonial et la rareté ou l’abondance des ressources ». Les causes secondaires concernent « le chômage, le manque d’éducation, la pression démographique, l’instrumentalisation de l’ethnicité, la disponibilité des armes, la faiblesse de la société civile » et les causes tertiaires proviendraient
de débordements régionaux des conflits, de faible consolidation de la paix qui entraîne une reprise des hostilités, de l’absence de garants de la paix, de la médiation inappropriée qui permet aux combattants de se réarmer, de l’instrumentalisation de l’aide humanitaire pour assurer la survie des groupes armés (Gazibo 2006 : 116 – 117).
D’autres analystes estiment que la guerre est liée « à l’échec de l’Etat à répondre à l’hétérogénéité sociale de l’Afrique » (Copson 1994 : 74) ou qu’elle est « le signe de l’échec de la gouvernance » (Stedman 1991 : 373), elle – même liée en grande partie aux pratiques néo – patrimoniales.
Tous ces auteurs mettent l’accent sur des facteurs politiques, car c’est le comportement des dirigeants en place qui, le plus souvent, produit les griefs (grievances), lesquels, en présence de conditions particulières (greed), se transforment en conflits (Collier & Hoeffler, 2004).
Concernant les déterminants des violences, le Burundi ne constitue pas une exception. L’expression de la violence y emprunte deux répertoires du crime, à savoir les assassinats et les massacres.
2. La violence politique au Burundi avant l’Accord d’Arusha
La période post – coloniale au Burundi a été caractérisée par des violences répétitives voire systématiques entre les deux composantes sociales du Burundi : les Bahutu et les Batutsi. Ces actes de violence, tout en étant producteurs de l’insécurité, sont également des marqueurs de failles de l’Etat dans l’accomplissement de ses missions régaliennes d’assurer la sécurité et l’ordre dans le pays. Ces violences récurrentes sont également un indicateur de déficit d’une éthique de la non – violence.
Les expressions de la violence politique dans le Burundi indépendant peuvent être regroupées en trois catégories non exhaustives dont les assassinats sélectifs, les tueries de masse (ou massacres) et la guerre civile.
Les acteurs de la violence sont l’Etat et les groupes armés. D’un côté, l’Etat instrumentalise la violence pour étouffer toute velléité de conquête du pouvoir par la majorité ethnique voulant transposer au Burundi le modèle de « la révolution rwandaise ». De l’autre, les groupes rebelles hutu recourent à la violence pour conquérir le pouvoir au nom du principe de l’adéquation entre la majorité ethnique et la majorité politique. Les stratégies des uns et des autres plongent le pays dans des situations de crimes de masse.
2.1.Les assassinats sélectifs
De l’indépendance à l’accord d’Arusha, beaucoup de personnalités politiques et religieuses ont été assassinées. Les assassinats les plus emblématiques ont touché un président de la République, des premiers ministres et de hautes personnalités politiques (ministres et hauts cadres de l’Etat). Les premiers assassinats sont intervenus au cours des années 60. Ils ont visé les premiers ministres Rwagasore et Ngendandumwe. Le prince Louis Rwagasore a été assassiné le 13 octobre 1961. Le Burundi venait d’organiser le 18 septembre 1961 des élections législatives ayant été remportées par son parti, l’Union pour le Progrès national (UPRONA) avec un score de 58 sur 64 sièges que comptait l’Assemblée Nationale. Le Prince Louis Rwagasore venait de nommer les membres de son gouvernement qui allait conduire le Burundi à son indépendance le 1er juillet 1962.
Quant à l’assassinat de Pierre Ngendandumwe le 15 janvier 1965, celui – ci venait d’être nommé au poste de premier ministre par le Roi Mwambutsa pour former une nouvelle équipe gouvernementale. Son assassinat est intervenu dans un contexte de clivage politique entre les élites politique en fonction des allégeances ethniques (Hutu et Tutsi) et des idéologies politiques. En effet, ces clivages idéologiques entre les libéraux (groupe Monrovia) et les progressistes (groupe Casablanca) concernaient, à la même époque, presque tous les intellectuels africains.
D’autres assassinats sélectifs sont intervenus lors de la crise déclenchée après l’assassinat du premier président Hutu démocratiquement élu. Le Président Ndadaye a été assassiné le 21 octobre 1993, trois mois seulement après son investiture. Il a été assassiné en même temps que ses principaux collaborateurs dont le président et le vice-président de l’Assemblée nationale, quelques ministres et hauts cadres de l’Etat, hutus pour la plupart. Les crimes de masse qui suivirent son assassinat ont entraîné d’autres séries d’assassinats de personnalités politiques et administratives (administrateurs communaux, gouverneurs de province, ministres et hauts cadres de l’administration publique) soupçonnés par les Batutsi d’avoir organisé leur massacre.
Ces assassinats du président Ndadaye, des premiers ministres Rwagasore et Ngendandumwe et d’autres hauts cadres du pays ont ouvert la porte aux meurtres et aux tueries de masse et ont banalisé surtout le recours à la violence comme stratégie de conquête et de maintien au pouvoir.
2.2.Des tueries de masse (massacres)
Depuis l’indépendance, le Burundi a été le théâtre de plusieurs massacres de populations intervenus de manière cyclique et systématique en 1965, 1972, 1988 et 1993. En 1965, après l’échec de tentative de coup d’Etat hutu contre la monarchie dans la nuit du 18 au 19 octobre 1965, la province de Muramvya fut le théâtre d’un massacre de Batutsi sur les collines de Busangana, Kavumu et Bugarama. Le bilan de ces violences fut évalué à plusieurs centaines de morts.
Toutefois, l’intervention du pouvoir se caractérisa par une répression aveugle de putschistes et d’intellectuels hutus accusés ou soupçonnés d’être les instigateurs de ce massacre. Pour Jean Pierre Chrétien, « en 1965, une tentative de coup d’Etat hutu est suivie d’une chasse aux Tutsi dans une province du centre du pays, puis d’une purge contre les leaders hutu » (Chrétien 1993 :435).
Sept ans plus tard, le 29 avril 1972, la province de Bururi (aujourd’hui Bururi et Makamba) fut également le théâtre d’un massacre jamais connu au Burundi. Les assaillants entraînés en Tanzanie, se livrèrent aux horribles exactions en massacrant sur leur passage des Batutsi et des Bahutu non gagnés à leur cause : hommes, femmes et enfants. Selon Parqué,
des combattants hutus sont partis des camps de réfugiés du nord de la Tanzanie. Les attaques sont d’une brutalité sanguinaire : avec des armes automatiques, des machettes et des lances, les assaillants massacrent ou mutilent systématiquement tous les tutsi qu’ils rencontrent, hommes, femmes ou enfants (Parqué 1992 :51).
Cependant, la contre – attaque du pouvoir fut très violente envers les Bahutu. Elle fut ressentie comme une chasse aux Bahutu et certains auteurs ont même parlé de « génocide sélectif » (Lemarchand 1972). La répression a ainsi décapité non seulement « la rébellion mais pratiquement toute la société hutue. Ce génocide sélectif aura des répercussions terribles sur la société future » (Parqué 1992 : 58).
L’attaque et la contre – attaque ont mis en évidence la profondeur de la haine ethnique. Le bilan des victimes de ce massacre n’est pas bien établi, mais on donne parfois les chiffres approximatifs compris entre 80.000 et 100.000 morts.
Bien plus, en août 1988, les communes de Ntega (Kirundo) et Marangara (Ngozi) furent durement touchées par un massacre. Ainsi du 14 au 15 à Ntega et du 15 au 17 à Marangara s’est déclenché un massacre de Batutsi. L’intervention de l’armée pour arrêter ce massacre et ramener la paix s’est également caractérisée par beaucoup d’abus et d’exactions contre des Bahutu. Selon Parqué, « lorsque l’armée intervint le 17 août 1988, elle ne se contente pas de mâter les coupables. Des milliers de civils hutu non armés ont été délibérément tués par des membres des forces armées burundaises » (Parqué, 1992 :107). Les victimes furent évaluées officiellement à 5.000 morts.
Enfin, l’assassinat du Président Ndadaye en octobre 1993 a plongé le pays dans une crise socio – politique sans précédent. Dès l’annonce de sa mort par les stations de radio étrangères notamment la Radio Kigali, un massacre contre les Batutsi et certains Bahutu de l’UPRONA éclata pour venger sa mort. Selon Chrétien,
Dès le lendemain, des massacres éclatent dans toute la moitié nord du pays : des bandes de jeunes, encadrés le plus souvent par des cadres administratifs ou des militants du FRODEBU, attaquent les familles tutsi et hutu de l’UPRONA, considérés comme des traîtres. Des écoles font l’objet de cruelles épurations ethniques, des dizaines d’élèves sont brûlés vifs (Chrétien 1996 : 123).
Dans certains endroits, les routes ont été barrées et les ponts détruits pour retarder l’intervention de l’armée. A l’époque, l’armée était encore dominée par la minorité tutsie. C’est pourquoi, son intervention fut aussi caractérisée par une violence aveugle et meurtrière envers les Bahutu. Selon Chrétien, « les unités militaires, déstabilisés par le putsch, entravées par la multiplication des barrages d’arbres coupés sur les routes, interviennent tardivement et procèdent à leur tour à des représailles systématiques » (Chrétien 1996 : 123). Ce massacre entraîna la cassure de la société. Aujourd’hui, dans certains endroits, les Batutsi rescapés de ce massacre vivent, à part, dans des centres de déplacés tandis que les Bahutu sont restés sur les collines. Par ailleurs, au moment fort de la crise, même les quartiers de Bujumbura étaient devenus balkanisés ou ethnicisés. Finalement, le massacre de 1993 a plongé le pays dans une longue guerre civile au cours de laquelle les motivations des belligérants étaient très tranchées. D’un côté, l’armée cherchait à protéger la minorité tutsie contre le génocide. De l’autre, les rebelles hutu, pour la plupart, cherchaient à restaurer la démocratie.
2.3.La guerre civile
L’assassinat du Président Ndadaye et de ses principaux collaborateurs a été suivi par la fuite de la plupart de dirigeants hutus par peur de représailles des Batutsi rescapés du massacre. Ces dirigeants étaient soupçonnés d’avoir planifié ce massacre. Par contre, les membres des partis politiques de l’opposition étaient considérés par les membres de la mouvance présidentielle comme proches des militaires qui ont assassiné le président.
Dans ces conditions, il était très difficile de trouver un leader convenable à la fois pour les Bahutu et les Batutsi. Ainsi, les négociations furent engagées entre acteurs politiques burundais pour résoudre cette crise institutionnelle. Le FRODEBU et ses partis satellites parlaient d’usurpation du pouvoir par l’opposition. L’UPRONA et ses alliés parlaient plutôt de la disqualification politique du FRODEBU comme parti organisateur du massacre. Les différents cycles de négociation aboutiront à la mise en place des gouvernements successifs d’union nationale mais fragiles et instables. En juin 1994, certains membres du FRODEBU dont Léonard Nyangoma, ministre de l’Intérieur, préféreront créer le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) avec comme objectif de combattre par la force les différents gouvernements issus des négociations afin de restaurer la démocratie et récupérer l’intégralité du pouvoir conquis aux élections de juin 1993.
Depuis lors, le pays plongea dans une longue guerre civile de 1994 à avril 2008, date de signature de l’Accord Général de cessez – le – feu entre le Gouvernement et le dernier mouvement rebelle, le Parti de Libération du Peuple Hutu (PALIPEHUTU) – Forces Nationales de Libération (FNL). Les forces armées burundaises faisaient face aux différents mouvements rebelles, les uns plus anciens que d’autres. Il s’agissait entre autres du Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie (CNDD FDD), du PALIPEHUTU – FNL et du Front de Libération Nationale (FROLINA). Cependant, ces mouvements feront face aux différentes crises internes de leadership qui vont les fragmenter.
Cette guerre civile fut caractérisée par d’attaques meurtrières, de fuites des populations vers les pays voisins, de destructions d’infrastructures, de paupérisation de la population et de violations massives de droits humains. Les forces armées burundaises ont effectué des attaques à plusieurs endroits ayant causé la mort de centaines de milliers de Burundais surtout chez les Bahutu. De même, ces différents mouvements rebelles ont organisé des attaques meurtrières ayant touché principalement les Batutsi. Les victimes de cette guerre civile pour les Bahutu et les Batutsi sont évalués à plus de 300.000 morts.
De manière générale, ces drames cycliques et systématiques ont prouvé que l’Etat du Burundi était incapable d’assurer la sécurité de tous les Burundais. C’est pourquoi, l’accord d’Arusha se présentait comme un projet d’institutionnalisation d’une éthique de la non – violence afin de refonder l’Etat – nation sur de nouvelles valeurs respectueuses de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme.
3. Accord d’Arusha ou projet d’institutionnalisation d’une éthique non violente
Dans leur vision de renforcement de la sécurité et de lutte contre la violence politique de manière durable, les négociateurs de l’accord d’Arusha ont d’abord énuméré les principes ou les conditions susceptibles d’asseoir la paix et la sécurité pour tous. Pour cela, ils ont déclaré que « tous les citoyens burundais sans distinction ont le droit de vivre en paix et en sécurité » (République du Burundi 2000 : 58) Ils ont énoncé le devoir fondamental pour chaque institution à savoir :
garantir la sécurité pour tous les citoyens ; la défense des droits inaliénables de la personne humaine et surtout le droit à la vie ; la protection de toutes les communautés ethniques de la population par des mécanismes spécifiques pour prévenir des coups d’Etat, la ségrégation et le génocide ; le respect de la loi et la lutte contre l’impunité ; la bonne gouvernance ; la souveraineté de l’Etat et l’intégrité du territoire national (République du Burundi 2000 :58).
De même, ils considéraient que tous les citoyens burundais avaient l’obligation de « respecter le droit à la paix et à la sécurité de leurs concitoyens, ainsi que l’ordre public » (République du Burundi 2000 : 58). Bien plus, ils ont défini les conditions préalables à l’établissement et au maintien de la paix et de la sécurité :
l’unité au sein des corps de défense et de sécurité ; la neutralité des corps de défense et de sécurité ; les qualités professionnelles, morales et civiques des corps de défense et de sécurité ; la neutralité et l’indépendance de la magistrature ; la répression de la détention illégale et de l’usage illégal d’armes (République du Burundi 2000 :58-59).
Ainsi, ils ont rejeté l’utilisation de la force comme « moyen d’accès et de maintien au pouvoir » (République du Burundi 2000 : 59) et recommandé que les organisations politiques doivent favoriser l’inclusion et interdire toute exclusion pour des motifs de « nature ethnique, de sexe, de région ou de religion » (République du Burundi 2000 :59). Les mêmes organisations devraient promouvoir le développement des idéaux de paix et d’unité nationale et interdire « la propagation des idéologies d’exclusion, de racisme et de génocide ». (République du Burundi 2000 :59). Par ailleurs, ils ont institué le respect du « principe de la participation des tous les groupes de la population dans la gestion de tous les organes de l’Etat, ainsi que l’égalité des chances des citoyens dans tous les secteurs de la vie nationale » (République du Burundi 2000 :59).
Au niveau économique, ils ont proposé l’adoption d’une politique économique et sociale qui assure « le développement harmonieux et équilibré de la population et de la nation ainsi qu’une politique de règlement harmonieux des problèmes sociaux » (République du Burundi, 2000 :59).
Au niveau culturel, cette éthique de la non-violence devrait passer par la
Promotion d’une culture de paix et de tolérance par le développement du sens patriotique des citoyens et de la solidarité mutuelle en cas de menace ainsi que par l’éducation et la formation de tous les cadres politiques et techniques (République du Burundi 2000 :59).
Toutefois, bien que les négociateurs de l’accord d’Arusha aient institué cette nouvelle éthique non – violente sous tous les aspects de la vie nationale (politique, économique, social et culturel), sa traduction concrète à travers des politiques de paix et de sécurité peine à se manifester. Entretemps, la violence reste une permanence dans la société burundaise quinze ans après la signature de cet Accord.
4. La violence politique au Burundi: une permanence après l’accord
Depuis la signature de l’accord d’Arusha censé mettre fin à la violence politique, celle – ci n’a cessé de s’exprimer sous ses différentes formes : violence d’Etat et violence contre l’Etat. Bien que Michel Hastings (1996 :72) ait montré que la violence de l’Etat est « légitimée par le souci de protéger l’ordre démocratique », tandis que la violence contre l’Etat est « légitimée par l’exigence de résister à l’oppression »; au Burundi, la violence de l’Etat est dirigée contre les adversaires politiques pour étouffer l’opposition, monopoliser le pouvoir et empêcher l’alternance politique.
Ces deux formes de violence sont présentes au Burundi. A titre illustratif, dans son rapport annuel (2014) sur la situation des droits de l’homme au Burundi, l’APRODH a documenté 2.357 personnes tuées entre 2010 et 2014. Les auteurs et les victimes par auteur se répartissent comme suit : « les agents de police : 180 (soit 7,64 %), les militaires : 81 (3,44%), les civils : 974 (41,32%), les groupes armés : 408 (17,31%) et les inconnus : 714 (30,29%) » (APRODH 2014 : 32). Bien plus, dans son rapport sur la situation des droits de l’homme publié en novembre 2015, la Ligue Iteka indique « qu’au moins 507 personnes ont été tuées depuis le début du mois de janvier 2015 jusqu’en octobre 2015 » (Ligue Iteka 2015 : 15).
4.1.Violences de l’Etat
L’article 31 de la constitution du Burundi stipule que la liberté d’expression et de réunion est consacrée au Burundi. Ladite constitution interdit également l’usage de la force pour accéder ou se maintenir au pouvoir en privilégiant plutôt la compétition pacifique. En adoptant cette constitution libérale, les Burundais ont renoncé à l’usage de la force contre des opposants politiques car la démocratie garantit l’existence des contre – pouvoirs et leur droit à la critique du parti majoritaire. Toutefois, depuis 2005, tous les groupes qui tentent de manifester publiquement leurs opinions contre le Gouvernement sont traités violemment par la police. Cette dernière leur lance des gaz lacrymogènes et quelques fois tire des balles réelles sur les manifestants pacifiques pour les disperser. On pourrait citer l’usage de la force contre les journalistes, les femmes upronistes, les étudiants, les militants du MSD, les fidèles d’Eusébie Ngendakumana à Businde, en commune Gahombo (Kayanza), les manifestants contre le 3ème mandat, etc.
4.1.1. L’usage de la force comme stratégie d’étouffer l’opposition
L’article 2 de l’accord d’Arusha du Protocole II sur la démocratie et la bonne gouvernance et les articles 31, 32 et 37 de la Constitution de la République du Burundi consacrent la liberté de réunion et d’association, la liberté d’expression, la liberté d’opinion et le droit de grève. Ces droits font partie des principes fondamentaux de la démocratie. En effet, la démocratie interdit l’usage de la violence en politique et encourage plutôt la recherche du consensus au sein de l’espace public. Celui – ci s’entend de « tout lieu au sein duquel des individus supposés libres et égaux et bénéficiant des mêmes droits de participation s’emploient à échanger et à argumenter autour de la chose publique » (Baudouin 1998 :152). En effet, dans un régime démocratique, l’essentiel est de
Penser sur un mode « discursif » la formation de la volonté générale, d’imaginer des procédures de discussion permettant à un maximum de participants d’exposer et de confronter leurs points de vue particuliers, d’aller au – delà des pratiques de marchandage et d’accéder ainsi à des propositions provisoirement plus riches et universelles (Baudouin 1998 :153).
Dans un tel régime, on reconnaît l’obligation pour la majorité de respecter l’opposition ; ce qui entraîne deux conséquences à savoir « le droit pour l’opposition à la libre critique et le droit à la suite de nouvelles élections libres, à l’alternance au pouvoir » (Quermonne, 2006 : 18). Par ailleurs, l’accord d’Arusha considère la paix, la stabilité, la justice, la primauté du droit, la réconciliation nationale, l’unité et le développement comme « les principales aspirations du peuple burundais » (République du Burundi 2000 : 1). Pour cela, l’accord d’Arusha est un instrument utilisé pour mettre
un terme aux causes profondes de l’état continu de violence, d’effusions de sang, d’insécurité et d’instabilité politique, de génocide et d’exclusion, qui a plongé le peuple burundais dans la détresse et la souffrance et compromet gravement les perspectives de développement économique et la réalisation de l’égalité et de la justice sociale dans notre pays(République du Burundi 2000 :2).
Toutefois, depuis 2000, une nouvelle configuration sociale et politique s’est dessinée. On constate la création et l’agrément de nouveaux partis politiques, d’organisations de la société civile et de médias. Tous les mouvements politiques armés qui ont participé aux négociations de paix ont été agréés comme des partis politiques. Pour cela, si en 2000 le Burundi ne comptait que 17 formations politiques regroupées en G10 (10 partis politiques de tendance tutsi) et G7 (7 partis politiques de tendance hutu) ; en 2015, elles sont une quarantaine. Quant aux organisations de la société civile, elles sont estimées à plus de 6000. Il est évident que dans ces conditions, les demandes sociales auprès de l’Etat et de l’administration explosent également. L’Etat est envahi par des demandes sociales tous azimuts selon les problèmes spécifiques pris en charge par ces organisations. Il s’agit principalement des problèmes en rapport avec le respect de la presse (les journalistes), la revendication de régularité de la bourse (étudiants), la non-ingérence du Gouvernement dans les affaires internes des partis politiques (Union des Femmes Burundaises), la liberté de religion (fidèles d’Eusébie Ngendakumana), les libertés publiques : liberté de réunion, d’expression et d’opinion (jeunes du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD) et tous les manifestants contre le 3ème mandat du président de la République actuel). Bien que la constitution du Burundi et d’autres textes législatifs garantissent ces droits ; leur jouissance concrète est souvent problématique. Dans ces conditions, ces formations politiques et organisations de la société civile peuvent alors recourir aux différents instruments pacifiques de revendication ou de protestation (sit – in, grèves, manifestations publiques, etc.) pour fléchir la position du Gouvernement. Depuis 2010, pour chaque cas de protestation ou de revendication de l’opposition ou des organisations de la société civile, la police a eu à recourir à l’usage de la force contre les manifestants généralement pacifiques. Ainsi le 19 février 2013, les journalistes ont organisé une marche manifestation devant le parquet pour demander la libération de leur confrère Hassan Ruvakuki arrêté en novembre 2011 pour participation à une entreprise terroriste alors qu’il avait obtenu une interview d’un chef rebelle. Alors que ces journalistes organisaient cette marche dans le calme ; les policiers l’ont subitement et violemment dispersée à coups de gaz lacrymogènes et de matraques.
En outre, le 11 juillet 2013, les étudiants de l’Université du Burundi venaient de passer deux mois sans que le Gouvernement leur verse la bourse. Ils ont alors organisé pacifiquement un sit – in devant les bureaux du Recteur de l’Université pour réclamer la bourse des mois de juin et juillet. La police est intervenue violemment pour les disperser enleur lançant des gaz lacrymogènes, tandis que les étudiants lançaient des pierres aux policiers. A la suite de ces affrontements, une dizaine d’étudiants et un policier ont été blessés.
Bien plus, la force a été utilisée le 8 mars 2014 contre les jeunes du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD) et les femmes de l’Union des Femmes Burundaises (UFB), branche féminine de l’Union pour le Progrès National (UPRONA). Alors que les jeunes du MSD faisaient du sport matinal, foulards aux couleurs du parti au cou et autres banderoles, ils se sont heurtés au centre – ville à un dispositif policier pour les disperser. Certains jeunes ont été capturés par la police puis conduits au parquet et à la prison centrale de Mpimba. D’autres sont parvenus à fuir vers leur permanence nationale du parti. Les policiers les ont poursuivis en leur lançant des gaz lacrymogènes, tandis que ces jeunes répliquaient avec des jets de pierre. Au cours de ces échauffourées, deux policiers ont été capturés et enfermés dans un des bureaux de la permanence. Après cette prise en otage, la tension est montée d’un cran jusqu’à ce que plusieurs policiers, munis de boucliers et d’armes, se sont placés à quelques mètres de la permanence et ont décidé de lancer l’assaut à coups de grenade lacrymogènes, de rafales de kalachnikovs et même de bombes accusant les jeunes du MSD d’avoir tiré les premiers. Une dizaine de jeunes ont été arrêtés dans la permanence et les 2 policiers pris en otage libérés. Quant aux femmes de l’UFB, elles voulaient célébrer le 47ème anniversaire d’existence de leur association qui coïncidait avec la journée internationale de la femme. Elles voulaient organiser les festivités dans les locaux de la permanence nationale de leur parti, mais la police leur a refusé l’accès. Alors que cette marche – manifestation était pacifique, la police l’a dispersée en lançant sur ces femmes des gaz lacrymogènes.
La force a été également utilisée à plusieurs reprises contre les fidèles d’Eusébie Ngendakumana. Cette dernière se disait recevoir des messages de la vierge Marie, mère de Jésus – Christ au site de Businde, non loin de la paroisse Rukago, en diocèse de Ngozi. Elle avait l’habitude de recevoir ses adeptes entre le 11 et le 13 de chaque mois. Ces adeptes provenaient de plusieurs coins du pays et même des pays frontaliers. Toutefois, depuis que l’église catholique s’est opposée à ce genre de pèlerinages, les relations entre l’administration et cette jeune femme se sont tendues et la police a alors commencé à utiliser la force pour empêcher ses adeptes à y aller. A titre illustratif, le 12 mars 2013, « au moins 9 fidèles d’Eusébie ont été tués par la police » (APRODH 2013 : 26) et une trentaine d’autres blessés.
Enfin, depuis le déclenchement des manifestations publiques contre le 3ème mandat le 26 avril 2015, la police a utilisé la force d’une manière particulièrement violente afin de les empêcher et de les disperser. Le Gouvernement assimilait ces manifestations à une insurrection. Alors que ces manifestations étaient généralement pacifiques, la police n’hésitait pas pour autant à lancer aux manifestants des gaz lacrymogènes et à tirer sur eux des balles réelles. Les jeunes qui ont échappé de justesse à la mort ont été arrêtés et torturés par la police. Les Nations – Unies estiment à 250 personnes tuées par la police depuis avril 2015. La Ligue des Droits de l’homme Iteka estimait pour sa part à au moins 507 personnes tuées, 991 emprisonnées et 2203 cas d’arrestations arbitraires de janvier à octobre 2015 (Ligue Iteka 2015 :15).
4.1.2. Exécutions extrajudiciaires
Depuis 2005, de nouvelles pratiques de violence sont apparues au Burundi à savoir la découverte des corps sans vie flottant dans les rivières ou gisant dans les caniveaux des routes ou dans la brousse. Officiellement, la peine de mort a été abolie au Burundi depuis 2006. L’accord d’Arusha et la constitution qui s’en inspire ont érigé les cours et tribunaux comme les seuls endroits où la justice est rendue. Pourtant, beaucoup de gens disparaissent et sont retrouvés décédés quelques jours après. Parmi ceux-là certains sont extraits des cachots communaux, des postes de police ou des camps militaires. Ainsi, la Déclaration publique d’Amnesty International du 21 novembre 2006 révèle qu’entre mai et août 2006, plus d’une trentaine de personnes ont été arrêtées arbitrairement par des militaires dans le cadre d’actions concertées avec les services de renseignement et l’administration locale. Par après, elles ont été transférées au camp militaire de Mukoni dans la province de Muyinga. La même déclaration affirme que vers « fin juillet 2006, les corps d’au moins 16 des hommes qui avaient été arrêtés ont été vus par des habitants flottant dans les rivières » (Amnesty International 2006 : 1). Cela constituait une preuve qu’ils avaient été exécutés.
Bien plus, après les élections de 2010, beaucoup de rapports émanant des organisations internationales de défense des droits de l’homme ont mis en exergue le phénomène d’exécutions extrajudiciaires. En 2010, le Haut-Commissariat des Nations – Unies a déclaré qu’au moins 11 cas de meurtres « auraient été des exécutions sommaires » (Département d’Etat des Etats – Unies, 2011 : 2). Bien plus, il a documenté « 30 cas d’exécutions extrajudiciaires sommaires commises par des membres de la police, du service du renseignement, des forces armées et des autorités locales » en 2012 contre 61 cas en 2011 (Département d’Etat des Etats - Unis, 2012 : 2-3). Le même rapport montre que la plupart des victimes appartenaient aux Forces de Libération Nationale et aux partis de l’opposition.
Enfin, depuis le déclenchement des manifestations publiques contre le 3ème mandat, des voix ne cessent de dénoncer les arrestations arbitraires qui sont opérées par la police dans les quartiers contestataires et qui sont suivies de disparitions. Les organisations de défense des droits de l’homme et les médias internationaux ne cessent de montrer des corps sans vie trouvés ligotés dans la brousse, dans les caniveaux ou flottant dans les rivières. Tous ces corps sans vie trouvés ici et là font craindre la survivance de cette pratique d’exécutions extrajudiciaires au Burundi dont seraient victimes les contestataires du 3ème mandat du Président Pierre Nkurunziza.
4.1.3. Assassinats politiques
La mise en application de l’Accord d’Arusha et la mise en place d’un gouvernement issu des élections démocratiques de 2005 n’ont pas éradiqué les assassinats politiques au Burundi. Ainsi Human Rights Watch a documenté dans un rapport publié en mai 2009 « 23 assassinats apparemment basés sur des motifs politiques, et qui ont eu lieu entre janvier 2008 et avril 2009 » (HRW 2010 : 41). Par ailleurs, le Département d’Etat des Etats – Unis a révélé dans son rapport des droits de l’homme dans le monde pour l’année 2010 qu’au Burundi, l’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (OHCDH) a signalé « 35 meurtres par les forces de sécurité pendant l’année, dont 25 commis par la police, neuf par l’armée (FDN) et un par le service national de renseignement (SNR) » (Département d’Etat des Etats -Unis 2011 : 2). De même, pour ledit département, son rapport de 2012 révèle que selon l’OHCDH, il y aurait eu au Burundi « 42 cas de plus de meurtres politiques en 2011 dont les auteurs étaient inconnus » (Département des Etats-Unis 2012 : 3).
Toutefois, le rapport précise que les victimes incluaient des membres des Forces Nationales de Libération (FNL), du Mouvement pour la Solidarité et le Développement (MSD) et du Conseil National pour la Défense de la Démocratie–Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD). Des attaques répétitives à main armées de fusils, de grenades ou d’armes blanches sont répertoriées ici et là surtout dans les localités partageant la frontière commune avec la République Démocratique du Congo (RDC). Selon l’APRODH, au moins 161 personnes avaient été tuées au courant du premier trimestre 2012 soit respectivement 68 tués au mois de janvier 2012, 41 en février et 52 en mars 2012 (APRODH, 2012). L’APRODH a constaté que la plupart de ces tueries sont commises par des agents de la police, des jeunes affiliés au parti au pouvoir et des agents du service national de renseignement.
Depuis le 26 avril 2015 correspondant au début des manifestations publiques contre le 3ème mandat du Président Nkurunziza, beaucoup de manifestants ont été tués. Jusqu’au 29 juin 2015, le Haut-Commissariat des Nations – Unies pour les Droits de l’homme a recueilli
des informations indiquant qu’au moins 58 personnes avaient été tuées, dont quatre membres des forces de sécurité et de défense, et des centaines d’autres avaient été blessées. Quelque 307 personnes ont été arrêtées, dont 14 mineurs. La plupart des personnes arrêtées ont été soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de la sécurité (principalement des agents de police et des services de renseignement) (Conseil de Sécurité 2015 : 4).
Dans son interview à l’émission Humura de Radio Publique africaine en ligne du 28 novembre 2015, Pierre Claver Mbonimpa, président de l’APRODH, a révélé que depuis le début des manifestations en avril 2015, la police aurait déjà tué plus de 340 personnes principalement dans les quartiers contestataires du 3ème mandat du président de la république. Certains ont été tués pendant les manifestations alors que d’autres l’ont été lors des affrontements entre les jeunes de ces quartiers et la police qui se sont généralisés depuis la tentative du coup d’Etat du 13 mai 2015.
4.2.Violences contre l’Etat
La signature de l’Accord d’Arusha en 2000 n’a pas permis de mettre fin aux violences contre l’Etat. Cet accord a été signé par certains mouvements politiques armés tandis que d’autres avaient choisi de continuer la guerre contre le Gouvernement. Parmi ces mouvements retardataires à signer la paix figuraient le CNDD – FDD de Pierre Nkurunziza et le PALIPEHUTU – FNL d’Agathon Rwasa. Le premier continua la guerre jusqu’en 2003 et le second en 2008. Les actes de violences contre l’Etat se sont poursuivis même après la signature de cessez-le-feu définitif entre ces deux mouvements et le Gouvernement. En effet, les corps de défense et de sécurité et les populations urbaines et rurales ont continué à être la cible d’attaques armées revendiquées par les groupes armés.
Ces groupes armés sont nés dans un contexte politique de tension et de suspicion entre d’une part le gouvernement et les partis d’opposition, d’autre part le gouvernement et les organisations de la société civile et les médias. L’opposition avait rejeté les résultats des élections communales de mai 2010 et avait boycotté le reste des scrutins. Accusés par le pouvoir d’être les instigateurs des violences post-électorales, la plupart des leaders de l’opposition regroupés au sein de l’Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC) purent quitter le pays[1].
Ces violences post-électorales ont entamé les relations déjà difficiles entre les membres du FNL et ceux du CNDD – FDD. Le président du FNL, Agathon Rwasa, a décidé de fuir le pays en juin 2010 et certains membres de son parti ont été très inquiétés sur leur propre sécurité, préférant se cacher ou intégrer le CNDD – FDD.
Au sein des corps de défense et de sécurité, certains officiers issus ou accusés de collaborer avec les FNL ont déserté. Citons à titre d’exemple le cas d’Alois Nzabampema, de Pierre Claver Kabirigi et de Didier Nyambariza dont les organisations armées ont régulièrement attaqué des postes de police et des positions militaires (Ngabire et Hakizimana 2012 :3) dans la province de Bujumbura, dans la réserve naturelle de Rukoko frontalière avec la République Démocratique du Congo et dans les provinces de Cibitoke et de Bubanza.
Depuis 2011, au moins cinq groupes armés ont signalé leur existence à travers les médias ou les attaques contre les forces de défense et de sécurité. Ainsi, le premier groupe armé a été annoncé par un communiqué du 21 octobre 2011 annonçant la création du Front National pour la Révolution au Burundi (Fronabu – Tabara[2]) depuis le 24 mai 2011, dont le chef d’Etat-major était l’ex-Général de Brigade Moïse Rukundo. Son objectif était d’organiser une « résistance populaire » afin de lutter pour l’instauration d’ « un Etat de droit, de justice et de démocratie ». L’existence de ce mouvement a fait l’objet d’un documentaire de la chaine de télévision France 24 qui avait invité ses téléspectateurs à le suivre le 1er décembre 2011. Dans un communiqué du Gouvernement du 2 décembre 2011, le Gouvernement fustigeait le fait que la journaliste Pauline Simonet affirmait dans le documentaire « avoir rencontré et s’être entretenue avec un groupe d’hommes armés se réclamant constituer une rébellion burundaise opérant à partir de la RDC dirigé par un certain général Moise ». En même temps, il niait l’existence de ce mouvement rebelle en réaffirmant qu’il n’y a pas de rebelles opérant sur le territoire burundais et qui serait basée où que ce soit dans un pays voisin. Le Gouvernement soupçonnait plutôt que la journaliste avait été victime de manipulation, car d’après le communiqué du Gouvernement, le groupe de prétendus rebelles n’était qu’une mise en scène orchestrée par certains milieux politiques de l’opposition.
Le deuxième groupe armé s’est fait remarquer du 18 au 23 novembre 2011 dans la province de Cankuzo. Des combats violents y ont éclaté entre l’armée nationale et les hommes armés qui auraient faits 18 morts. Ce groupe armé portait le nom de Forces pour la Restauration de la Démocratie (FRD) – Abanyagihugu[3]. Dans leur mémorandum publié le 22 novembre 2011, les FRD – Abanyagihugu s’engageaient à « lutter contre les crimes économiques et politiques, la lutte contre la violation des droits humains ainsi que le monopartisme restauré par le CNDD FDD » (FRD- Abanyagihugu 2011). Aussi, en date du 25 novembre 2011, son chef, le colonel Pierre Claver KABIRIGI déclara-t-il sur la Radio Publique Africaine que les FRD- Abanyagihugu avaient pour « objectif de restaurer la démocratie et ainsi redonner la bonne image au pays, une image qui a été ternie par une mauvaise gouvernance, la corruption, l'insécurité et la violation des droits de l'homme ». Il se disait être à la tête d’un groupe armé bien organisé opérant dans les provinces de Cankuzo et Ruyigi et que leur état-major se trouvait dans la commune de Gisuru. Dans le point de presse du 28 novembre 2011, le chef d’Etat-major de la Force de Défense nationale déclara « qu’un effectif important de malfaiteurs armés sont tombés dans les mails du filet et leurs équipements saisis ».
Le troisième groupe armé est né en juin 2012. Il s’agit du Front du Peuple Murundi- Abatabazi[4], branche armée de l’Alliance Divine pour la Nation (ADN). D’après les informations recueillies par le journal IWACU du 26 octobre 2012, le porte-parole de ce mouvement est Fidel Nzambiyakira tandis que son chef d’Etat – major général est Jean Claude Mutoni. Dans un communiqué publié, ce mouvement déclarait, d’après le même journal « vouloir lutter contre l’insécurité, l’injustice, la corruption, la pauvreté, le mensonge, …installés par le pouvoir CNDD FDD » (Bigirimana, Hakizimana, Ngabire et Madirisha 2012 : 3). Ce groupe armé s’est fait remarquer dans des combats qui ont opposé l’armée burundaise à ce groupe en dates du 22 au 23 octobre 2012 dans les communes de Murwi et Buganda, en province de Cibitoke. Selon le Gouverneur de province de Cibitoke, cette attaque avait occasionné 9 rebelles tués et plusieurs armés récupérées tandis que le porte- parole de ce mouvement parlait plutôt de « 4 policiers tués ».
Le quatrième groupe armé a propagé, au matin du 4 octobre 2012, des tracts dans la zone Ndava en commune Buganda de la province de Cibitoke. Il porte le nom de Mouvement National Burundais – Abiguruburundi ( MNB)[5] (Bigirimana 2013 : 14). Il serait dirigé par Richard Delvaux Ciramunda.
Le cinquième groupe armé est celui du Général Alois Nzabampema du FNL – Ubugabo Burihabwa[6]. Il veut « combattre le régime du CNDD FDD caractérisé, selon lui, par les assassinats, les persécutions, la corruption, le mensonge » (Bigirimana, Hakizimana, Ngabire et Madirisha 2012 : 3).
Selon le Secrétaire Général de l’ONU, en 2012,
Les incursions transnationales de groupes armés ont quelque peu augmenté, en particulier dans le nord-ouest du pays et surtout à Cibitoke et Bubanza, et des affrontements armés avec les forces de sécurité burundaises, Forces de défense nationale/Police nationale du Burundi (FDN/PNB), ont été signalés. Des incursions ont également été signalées dans le sud, près de Nyanza-Lac. L’ONU a recueilli des informations faisant état d’une quarantaine d’affrontements entre des groupes armés et les forces gouvernementales en 2012. Bien que d’intensité réduite, ces affrontements ont montré que certains protagonistes continuaient de recourir à la violence armée pour réaliser leurs objectifs politiques et autres » (Conseil de sécurité des Nations – Unies 2013 : 5).
Enfin, après la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015, on constate le phénomène de la recrudescence de la violence contre l’Etat. Les postes de police de la capitale (quartiers contestataires) et certains de l’intérieur du pays n’ont cessé d’être la cible des groupes armés non encore identifiés. Selon le rapport de la sécurité présenté par le Ministre de la Sécurité le 30 novembre 2015, au moins 34 policiers ont été tués et environ 300 blessés dans des affrontements entre les policiers et les groupes armés. Mais certaines sources officieuses parlent plutôt d’environ 500 policiers tués d’avril à novembre 2015.
Tous ces groupes armés ont organisé des attaques éphémères sur des postes de police et des positions militaires même si l’armée parvenait à les neutraliser. Il s’agit, par exemple, de l’attaque qui a eu lieu à Murwi en province de Cibitoke du 29 au 30 décembre 2014 où, sur au moins 200 rebelles, qui ont attaqué, une centaine de rebelles ont été tués, d’autres arrêtés et exécutés après s’être rendus avec leurs armes. Ces hommes armés ou ces rebelles ont été écrasés dans le sang par le concours des forces de l’ordre et de la population. Il s’agit aussi d’une autre attaque perpétrée du 10 au 11 juillet 2015 dans la province de Kayanza dans la commune de Kabarore où l’armée a déclaré avoir tué 31 combattants et capturé 170 autres dans ces affrontements, près de la frontière avec le Rwanda. On pourrait aussi citer l’attaque simultanée perpétrée par des hommes armés le 11 décembre 2015 dans trois camps militaires (Camp Ngagara, Camp Base (Equipements et Logistique de l’armée) et la 120ème brigade de Mujejuru) et dans un institut Supérieur des Cadres Militaires (ISCAM) pour approvisionnement en armes. Cette attaque aurait fait, d’après le porte – parole de l’armée nationale, 12 tués et 24 capturés du côté des insurgés et 5 blessés du côté de la Force de Défense Nationale (FDN).
Conclusion
Depuis son indépendance, le Burundi a été le théâtre de conflits violents, cycliques et systématiques. La signature de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi par tous les acteurs politiques avait donné l’espoir au peuple burundais qu’il allait enfin vivre dans la paix et tourner définitivement la page sombre de son histoire. En effet, les objectifs de cet accord étaient la consolidation de la paix et de la démocratie, la sécurité pour tous, la bonne gouvernance et le développement harmonieux. Pourtant, quinze ans après sa signature, la violence politique n’a pas cessé pour autant et le peuple burundais attend impatiemment de recouvrer la paix. De nouveaux libérateurs se sont faits entendre par des communiqués, des tracts, des mémorandums et par des armes voulant montrer que seule la voie armée peut conduire au changement positif souhaité. Par conséquent, depuis 2000, certaines contrées du pays ont été le théâtre d’affrontements entre l’armée et les groupes armés. Les populations de ces zones continuent à subir les atrocités de la guerre, les déplacements forcés et parfois même l’exil.
Depuis avril 2015, au moins 200.000 burundais ont fui leur pays et se trouvent réfugiés dans les pays voisins. Ces actes de violence récurrents reposent le débat de la démocratie au Burundi où l’adversaire politique est assimilé à l’ennemi qu’il faut faire disparaître pour le seul souci de s’accrocher au pouvoir. Le verrouillage de l’espace politique ne viserait que l’étouffement de l’opposition et de l’alternance politique.
Cet article nous montre que la démocratie ne peut se consolider dans un pays si les dirigeants n’observent pas une éthique de la non – violence. L’accord d’Arusha énumère un certain nombre de valeurs non – violentes, mais la lutte politique semble imposer aux acteurs politiques une sorte de cécité qui les empêche de faire la politique en se référant à cette éthique convenue à Arusha (Tanzanie) le 28 août 2000.
[1]L’Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC) est une coalition formée au lendemain des élections de mai 2010.
[2] « Tabara » veut dire en français : « sauvez ».
[3] « Abanyagihugu » veut dire en français : « citoyens »
[4] « Abatabazi » veut dire en français : « les sauveurs ou libérateurs ».
[5] « Abiguruburundi » veut dire en français : « ceux qui se sacrifient pour le Burundi ou les héros du Burundi ».
[6] « Ubugabo burihabwa » veut dire en français : « devenir homme ou devenir viril n’est pas une donnée mais une construction personnelle ».
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