ÉGLISE ET SIDA EN AFRIQUE DU SUD

Abstract: 

 The paper lands a historical and panoramic view of the Church’s battle against AIDS in South Africa. Indeed, the Church has been sympathizing to date with the victims of AIDS as both the “networks of meaning” [and] “to give meaning”; thus paving a way to its prevention. Yet despite the presence of the Church on the field where HIV-AIDS hurts, a question is raised whether Christianity is an obstacle or an opportunity in the fight against AIDS. Thus, the role of the Church remains controversial given its salvation message. While the abstinence and faithfulness which the Church preaches may significantly reduce the risk of infection, its message might create shame that reduces the prevention of HIV-AIDS, especially in the socio-economically poor regions and the access to care for the victims. The intervention and the message of the Church show that AIDS is, indeed, a “sign of the time” to which we must continually pay attention and respond as our responsibility for our own future.

  1. Le contexte du sujet[1]

 

Près de 80 % des Sud-Africains se reconnaissent chrétiens. Avec hésitation dans les premières années de l’épidémie, puis résolument durant la dernière décennie, les Églises chrétiennes ont multiplié les initiatives dans l’aide aux victimes du sida et à leurs familles. Elles ont cependant échoué dans le domaine de la prévention. La principale cause de transmission en Afrique subsaharienne est le multi-partenariat sexuel. Si les croyants suivaient les normes de comportement sexuel prescrites par leurs Églises, l’épidémie n’aurait pas atteint les mêmes proportions. Il est vrai que les communautés de foi ne peuvent contrôler la progression de l’épidémie qu’en étroite coopération avec les organes de l’État et la société civile. Contrairement à l’Ouganda par exemple, cette synergie a mis près de deux décennies à se mettre en place, en raison notamment des positions négationnistes du président Mbeki (Puztel 2006 : 245-272). Mais même ainsi, pourquoi le taux de séroprévalence est-il si élevé en Afrique du Sud ?

 

Les premiers cas avérés de sida en Afrique du Sud remontent à 1982. Deux agents de bord de la South African Airways ont presque certainement été contaminés par contacts homosexuels aux États-Unis. En 1987 des analyses sanguines révélèrent que les taux de séroprévalence étaient huit fois plus élevés chez les Noirs, majoritairement hétérosexuels, que chez les Blancs et qu’ils doublaient tous les six mois. L’épidémie atteignit son plus haut niveau dans la province du KwaZulu-Natal, au sud-est du pays à la fin des années 1990, mais les autres provinces et les pays voisins ont maintenant des niveaux d’infection comparable. On estime à cinq millions et demi le nombre de personnes séropositives en Afrique du Sud et dans les régions les plus touchées la proportion d’adultes sexuellement actifs porteurs du virus est d’un tiers (Oppenheimer & Bayer 2007).

 

  1. Culpabilité et compassion

 

Empêcher ou freiner la diffusion d’une maladie et réduire ses effets sont deux choses différentes. Historiquement les Églises sud-africaines ont mieux réussi à apporter assistance aux malades du sida et à leur entourage qu’à faire œuvre de prévention. Leur apport principal, cependant, réside moins dans ce qu’elles ont fait (ou n’ont pas fait) en réponse au sida que dans la manière dont leurs croyances et leurs pratiques ont influencé les représentations de la maladie. Pour reprendre les termes de l’anthropologue français Jean-Pierre Dozon (1999 : 682), les institutions religieuses ont fortement contribué aux « réseaux de significations » et à la « mise en sens » de l’épidémie par leur proximité avec la population. Elles modèlent les représentations sociales du sida et filtrent les messages de prévention.

 

Les institutions religieuses ont influencé le discours sur le sida de deux manières : en l’individualisant et en le moralisant. Elles individualisent le sida dans la mesure elles renforcent l’idée, commune dans les milieux de la santé publique, que la maladie résulte d’une prise de risque individuelle qu’une meilleure information et un meilleur jugement auraient pu éviter. Cette représentation du sida laisse dans l’ombre des phénomènes tels que la violence sexuelle, les guerres, les migrations, les inégalités sociales et la pauvreté qui empêchent les individus d’exercer un contrôle sur leur vie sexuelle. En Afrique du Sud, par exemple, on sait que les travailleurs migrants ont plus de chances que les non-migrants de contracter des maladies contagieuses et que le système de travail migrant a joué un rôle déterminant dans la diffusion du sida (Horwitz 2001 : 103-123).

 

Mais les institutions religieuses moralisent aussi le discours sur le sida. Malgré les efforts menés par de nombreux théologiens et militants pour mettre en avant  les facteurs socio-économiques et culturels de la transmission du sida et pour repenser la théologie du péché et de la rédemption dans le contexte de l’épidémie,  le discours dominant dans les Églises est que le sida est affaire de responsabilité individuelle (Nicolson 1995 :39 ; Denis 2002 : 63-79; Munro 2003 : 41-42). Les institutions religieuses ont puissamment contribué à la  moralisation du discours sur le sida. Sous sa forme extrême, ce discours affirme que la maladie est une punition divine (voir White cité par  Nicolson 1990 : 28).[2] Parce qu’il est la cause première de toute choses, Dieu est supposé être la cause du sida. Seule la repentance des pécheurs peut empêcher la progression de l’épidémie.

 

Mais la moralisation du sida peut prendre des formes plus subtiles. De nombreux prédicateurs et théologiens sont d’accord pour dire que Dieu n’a pas voulu le sida. Mais, ajoutent-ils, c’est la transgression des normes de comportement sexuel prescrites par Dieu (dans la Bible) qui provoque l’épidémie. Comme le relevait le théologien sud-africain Charles Ryan (2003 :6), on ne peut pas nier que l’Église – il songeait à l’Église catholique, mais son propos vaut aussi pour les Églises protestantes et pentecôtistes – a toujours enseigné que l’acte sexuel est réservé aux gens mariés. L’implication est que toute personne contaminée par le sida est d’une manière ou d’une autre coupable de méconduite sexuelle :

 

Récemment j’ai demandé à un groupe de séminaristes et de religieux à qui j’enseignais quelle était leur première pensée quand ils entendaient que quelqu’un était séropositif. La réponse unanime fut : « Comment a-t-il attrapé le sida ? » Un autre jour, alors que je partageais avec un groupe de prêtres mes efforts pour empêcher les étudiants de culpabiliser le sida, ils devinrent silencieux, puis l’un d’eux déclara : « Mais les victimes du sida ne sont-elles pas coupables ? » (Ryan 2003 : 6)

 

 

En Afrique du Sud la réaction initiale des Églises au sida fut plutôt négative. Les homosexuels, des hommes blancs le plus souvent, étaient accusés de diffuser le virus par ce qu’un pasteur de l’Église réformée néerlandaise appelait « une forme déviante de sexualité » (Howard 2001 : 14).  Très vite, cependant, les Églises ont compris que leurs membres, et non un Autre éloigné, étaient touchés par l’épidémie et elles changèrent leur discours, mettant l’accent sur le besoin de prendre soin des “victimes” du sida et de les traiter avec amour et compassion. Dès 1990 une « théologie du sida » commença à se développer, inaugurée par un article de Daniel Louw (1990) sur « le ministère pastoral et l’entretien d’aide aux personnes atteintes du sida » dans le Journal of Theology for Southern Africa. Deux livres – par Willem Saayman et Jacques Kriel (1992) et par Ron Nicolson (1996) – et une demi-douzaine d’articles parurent dans les cinq années qui suivirent.

 

Depuis la production  théologique sur le sida n’a cessé de croître. L’Église catholique, par exemple, a organisé trois symposiums sur le sida, en 1998, 1999 et 2002 respectivement, le troisième faisant l’objet d’une publication (Bate 2003). La dernière décennie fut particulièrement prolifique comme on peut s’en rendre compte en consultant la bibliographie compilée par le Collaborative for HIV and AIDS, Religion and Theology (CHART) de l’École de religion et de théologie de l’Université du KwaZulu-Natal (UKZN 2009).

 

L’émergence d’un débat théologique ouvert et contradictoire sur le sida change peu au fait que, sur le terrain, le discours sur l’épidémie demeure moralisateur comme si les domaines de la prévention et de l’aide aux victimes étaient complètement séparés. Les Églises entretiennent un climat de suspicion sur la moralité des personnes touchées par le sida et – dans le cas de l’Église catholique[3] et de plusieurs Églises pentecôtistes – elles freinent les efforts de prévention en s’opposant aux campagnes de promotion du préservatif (Denis 2001). Mais elles entourent les victimes de l’épidémie de leur sollicitude dès qu’elles tombent malades.

 

  1. La prise en charge des malades du sida

 

L’Afrique du Sud compte un important réseau d’ONG, héritier de la tradition associative du mouvement anti-apartheid. Dès 1993 plus de 800 associations étaient engagées dans la lutte contre le sida (Iliffe 2006 :99). Parmi elles, beaucoup étaient d’origine chrétienne. Les Églises institutionnelles, cependant, ne répondirent pas immédiatement au défi du sida. Dans leur livre AIDS: The Leprosy of Our Time? Saayman et  Kriel (1999 :6) affirmaient en 1992 que « pas une seule Église sud-africaine » ne disposait d’un centre de documentation ou de formation sur le sida.  C’est sans doute un peu exagéré. En juin 1984 Ted Rogers, un jésuite zimbabwéen et militant social, anima un atelier de sensibilisation au sida lors d’une réunion de la conférence interrégionale des évêques d’Afrique australe (IMBISA) à Harare, et dans la foulée Denis Hurley, l’archevêque catholique de Durban, crée un comité diocésain du sida en juin 1986 avec l’assistance de Rogers. Rebaptisé Sinosizo Home-based Care, ce projet encadre désormais un grand nombre de volontaires dans la région de Durban.[4] En mars 1991, le Conseil des Églises sud-africaines organisa une consultation sur le sida à laquelle participèrent, outre des membres d’ONG et des médecins, plusieurs méthodistes et un représentant de l’agence œcuménique de Durban Diakonia.[5] La même année Neil Oosthuizen, un ministre méthodiste, fonda le Hillcrest AIDS Centre près de Durban, un centre de formation et d’aide individuelle pour le sida qui inspira de nombreux projets similaires dans les années qui suivirent (Hillcrest AIDS Centre 2014)[6].

 

À mesure que l’épidémie progressait, les initiatives de groupes religieux dans les domaines de la sensibilisation au sida, du dépistage, de l’aide économique, du soutien psychologique, du traitement médical et de la prise en charge des orphelins, souvent à l’initiative d’individus entreprenants et avec peu de soutien de la part des Églises institutionnelles, ne cessèrent de se développer. En août 1993, l’Armée du Salut établit Bethesda House, un home pour enfants abandonnés de mères séropositives à Soweto. En 1995, McCord Hospital, un hôpital d’inspiration chrétienne à Durban, ouvrit une clinique pour patients de jour où était offerte une aide médicale, économique, psychologique et spirituelle intégrée. Il fallut attendre l’an 2000 pour qu’un service spécialisé pour malades du sida soit créé au King Edward Hospital, le plus important hôpital civil de la ville (Oppenheimer et Bayer 1999). En 1996 des membres de l’Église morave mirent sur pied un programme intégré de réponse au sida appelé Masangane dans plusieurs zones rurales de la province du Cap oriental. Ce programme associe traitement antirétroviral, soutien aux orphelins et sensibilisation au sida dans les communautés locales (Thomas, et al. 2006) En 1997 Africa School of Missions (ASM), un centre de formation interconfessionel dans la province de Mpumalanga, créa le Masoyi Home-Based Care Project, un programme novateur qui fit rapidement des émules dans la région. Caractérisée par un fort esprit missionnaire, cette école donne à des volontaires en uniforme une formation de plusieurs mois qui leur confère un grand prestige dans la population (Iliffe 2006 :98).

 

La question de savoir si la foi chrétienne est la motivation première de tous ces militants du sida mérite d’être posée. Dans certains cas, aucun doute n’est permis. Gerald Oppenheimer et Gerald Bayer, qui interviewèrent soixante-treize docteurs et infirmières entre 2003 et 2005 pour une histoire orale du sida en Afrique du Sud forgèrent l’expression « médecine sacerdotale » pour décrire la manière dont certains professionnels de la santé mettaient leur foi chrétienne au service des patients, “quelquefois en guise de consolation pour ceux à qui la médecine n’avait plus rien à offrir mais aussi des motifs religieux plus profonds » (Oppenheimer et Bayer 1999 :110). On prendra pour exemple  Helga Holst, la surintendante de McCord Hospital. Dans une interview elle décrivait la fondation de Sinikithemba, la clinique de jour pour malades du sida en ces termes :

 

On voit ici des quantités de malades du sida en phase terminale. Ils arrivent en disant : « Nous avons été à cet hôpital, puis à celui-là » et ils font la liste de tous les hôpitaux et cliniques où ils seront rendus et chaque fois ils s’entendent dire : « On ne peut rien faire pour vous ! ». Comme chrétienne, je cherchais des réponses dans la Bible. Et la chose qui me frappa le plus c’est la similitude entre le sida et la lèpre dans la Bible, comment les malades du sida étaient rejetés de leurs familles de la même manière que les lépreux étaient jetés dehors et forcés de vivre à part de leurs proches, une sonnette à la main quand ils s’approchaient des gens. Je me suis alors tourné vers Jésus. Il fit quelque chose d’étonnant pour son époque. Il s’approcha des lépreux et les toucha. Je me suis rendu compte que nous, hôpital chrétien, et moi, médecin chrétien, nous devions suivre l’exemple de Jésus. Et même si nous ne pouvons guérir ces gens, il y a des tas de choses que nous pouvons faire pour les aider et les soutenir ainsi que leurs familles. J’ai parlé de tout cela à notre conseiller et ensemble nous avons décidé de créer cette clinique qui, à l’époque, était ouverte une fois par semaine(Oppenheimer et Bayer 1999 :96-97).

 

Dans les années 1990 les associations de lutte contre le sida d’inspiration chrétienne étaient de taille modeste et géographiquement dispersées. La décennie suivante leur nombre augmenta exponentiellement et, grâce à d’importants financements, elles touchèrent une plus grande quantité de bénéficiaires. Deux facteurs contribuèrent à cette évolution. Le premier est la médiatisation de l’épidémie, par suite de la conférence internationale du sida de juillet 2000 à Durban notamment. La polémique provoquée par les prises de position négationnistes du président Mbeki contribua aussi à attirer l’attention sur la gravité de l’épidémie, alors que les chiffres de séroprévalence atteignaient des sommets. Les Églises chrétiennes suivirent le mouvement. Responsables ecclésiastiques, monde associatif, théologiens, paroissiens, tous comprirent que le sida était une réalité à laquelle nul ne pouvait échapper. Désormais, il n’était quasiment plus une famille dans la population noire qui n’ait perdu au moins un membre en raison du sida.

 

Le second facteur était l’engagement croissant des mouvements évangéliques conservateurs aux Etats-Unis dans la lutte contre le sida et la décision prise par le gouvernement républicain, à leur instigation, de financer des projets d’inspiration chrétienne en Afrique et ailleurs dans le monde. Les chrétiens évangéliques changèrent de politique peu après les élections présidentielles de 2000. Jesse Helms, un député conservateur connu pour s’être opposé au financement des programmes de lutte contre le sida soi-disant parce qu’ils encourageaient la perversité homosexuelle, déclara qu’il n’était plus possible d’ignorer la crise mondiale du sida. En 2002, Samaritan Purse, une organisation caritative proche du mouvement évangélique, invita plusieurs centaines de chrétiens engagés dans la lutte contre le sida dans le monde à Washington pour faire pression sur le Congrès. Un an plus tard le President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) fut créé avec une dotation d’un milliard de dollars pour la prévention du sida, son traitement et la prise en charge des orphelins. Les ONG, majoritairement chrétiennes, figuraient parmi les bénéficiaires. Jamais dans l’histoire un fond de développement gouvernemental ne s’était montré aussi généreux envers des projets d’inspiration religieuse (Epistein 2007 : 185-186). PEPFAR, bien sûr, n’était pas le seul fond public à financer ces projets. L’Union européenne et Onusida, pour ne mentionner qu’eux, ont aussi compris l’importance stratégique des projets d’inspiration religieuse dans la prise en charge du sida. En Afrique du Sud et ailleurs, des sommes d’argent considérables sont désormais gérées par des programmes de lutte contre le sida liés aux Églises. Des superstructures telles que le bureau du sida de la conférence épiscopale catholique d’Afrique australe ou l’AIDS and Healthcare Trust de l’Église anglicane distribuent des fonds à de multiples associations de lutte contre le sida.

 

Les associations d’inspiration religieuse sont particulièrement actives dans le domaine de la prise en charge des malades. En s’inspirant de modèles zambiens et ougandais (Iliffe 105 :106), elles mirent en place d’importants dispositifs de soin à domicile, confiés essentiellement à des volontaires, qui fournissent une aide médicale et psychosociale à des patients qui n’ont pas accès régulièrement aux centres de soin de santé. Selon le ministère de la santé, en 2004 l’Afrique du Sud comptait 892 centres de soins à domicile desservant plus de 50.000 personnes (Iliffe 2006 : 108). Un grand nombre de ces programmes sont gérés par les Églises.

 

Un second domaine dans lequel les Églises ont multiplié les initiatives durant la dernière décennie est la prise en charge des orphelins. Nous avons vu que dès 1993 l’Armée du Salut gérait des homes pour enfants séropositifs. La même année, Thea Jarvis, une laïque catholique d’origine pentecôtiste fonda le Love of Christ Ministries, un projet pour orphelins du sida à Johannesbourg. À Durban Sinosizo Home-Based Care démarra un projet de soutien aux orphelins en 2000. L’un après l’autre tous les diocèses du pays suivirent cet exemple. Aujourd’hui de nombreuses Églises ou groupes liés aux Églises prennent en charge des orphelins. Certains bénéficient du soutien d’organisations internationales telles que Hope Worldwide, Save the Children ou PEPFAR et procurent assistance à  de grands nombres d’enfants. D’autres opèrent à l’échelon local et n’ont qu’une structure réduite.

 

Troisièmement les associations d’inspiration religieuse ont joué un rôle pionnier dans l’administration de traitements antirétroviraux aux personnes séropositives (Iliffe 2006 : 140-157)[7]. Ce n’est que dans les derniers mois de 2003, après une longue polémique, que le gouvernement sud-africain mit finalement en place un plan national de distribution des antirétroviraux. Un programme pilote fut mis au point par Médecins sans frontières (MSF), en association avec la province du Cap occidental (alors gérée par un parti d’opposition) à Khayelitsha près du Cap en février 2000 (Médecins sans Frontières 2003). Ce modèle fut ensuite imité à St Mary’s Hospital à Mariannhill près de Durban et dans le réseau Masangane dans le Cap oriental, deux initiatives de l’Église catholique et de l’Église morave respectivement. Ces essais visaient à prouver la praticabilité des traitements antirétroviraux en milieu de grande pauvreté. Quand, en 2004, le ministère de la santé prit le relai en créant des sites de distribution d’antirétroviraux dans toutes les provinces, le rôle des Églises diminua mais il reste important. La conférence épiscopale catholique d’Afrique australe gère un programme de distribution d’antirétroviraux dans plusieurs diocèses du pays.

 

  1. Le christianisme, obstacle ou atout dans la lutte contre le sida ?

 

Les experts en santé publique et les décideurs sont en train de découvrir – ou plutôt de redécouvrir car leurs prédécesseurs de l’époque coloniale le savaient déjà (Callahan & Bond 1999 : 186) – que les religions, et la religion chrétienne en particulier, sont un atout, et pas nécessairement un obstacle[8], dans la lutte contre les épidémies. Mais le rôle des Églises demeure controversé. Ce bref exposé montre qu’en Afrique du Sud comme ailleurs en Afrique leur contribution au discours public sur le sida peut être problématique. Les appels à l’abstinence et à la fidélité dans le couple peuvent non intentionnellement renforcer le déni, le silence et la stigmatisation quand même il est démontré que l’adhésion aux normes de conduite sexuelle chrétiennes réduit significativement le risque d’infection. Dans des sociétés où l’abstinence et la fidélité sont difficiles sinon impossibles à maintenir pour des raisons socio-économiques et culturelles, un message qui crée la honte risque de freiner la prévention, l’accès au soin et la prise en charge des orphelins.

 

L’appui des institutions religieuses à la prise en charge des personnes vivant avec le sida et de leurs familles pose, lui, moins de questions. Les premières initiatives remontent à la fin des années 80 et au début des années 90, mais il a fallu attendre le début du vingtième-et-unième siècle pour que l’ensemble des Églises chrétiennes, y compris celles de la mouvance pentecôtiste, prenne au sérieux l’épidémie. Dans trois domaines, les soins à domicile, la prise en charge des orphelins et les traitements antirétroviraux, les institutions religieuses ont joué un rôle déterminant. Comme naguère l’apartheid, le sida est devenu un « signe des temps » pour les chrétiens d’Afrique du Sud.

 

 


[1]Version revue d’un article publié sous le titre « The church’s impact on HIV/AIDS prevention and mitigation in South Africa », Journal of Theology for Southern Africa, 134 (juillet 2009), p. 66-81. Sa version française est parue dans Perspectives missionnaires qui nous a donné la permission de le reproduire.

[2]Voir par exemple John White, “Aids, judgment and blessing,” Themelios, 15/2 (janvier-février 1990), cité dans Nicolson, AIDS. A Christian Response, p. 28. Les  Églises catholique et protestantes ont depuis longtemps renoncé à cette théologie punitive, mais elle reste pratiquée dans certaines Églises pentecôtistes, voire à l’échelon local dans des paroisses protestantes ou catholiques.

[3]En 2001 la Conférence épiscopale catholique d’Afrique australe condamna vigoureusement les campagnes de promotion du préservatif dans une lettre pastorale intitulée  « Message of Hope ». Pour une discussion de ce document, voir l’article cité plus haut de Philippe Denis.

[4]Information communiqué par le cardinal Wilfred Napier à Stephen Joshua le 15 octobre 2007 à Durban. Stephen Joshua prépare une thèse sur l’action de l’archevêché de Durban dans le domaine du sida (1984-2007).

[5]Witswatersrand University, William Cullen Library, SACC Archives, AC 623, 12.34: Minutes of Church Consultation on AIDS.

[6]Sur le Hillcrest AIDS Centre, voir www.hillAIDS.org.za.

[7]Pour un aperçu historique sur le traitement antirétroviral en Afrique.

[8]Jusqu’à une période récente les organismes de santé publique considéraient les acteurs religieux avec beaucoup de méfiance. Voir Rob Garner, “Safe Sects? Dynamic Religion and AIDS in South Africa (2000:47) and Baffour Takyi (2003: 1224).

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