LE CONCEPT D’EXCLUSION A L’AUNE DES STRATEGIES D’INCLUSION FINANCIERE A MADAGASCAR

Abstract: 

This article aims to inform the reader of the choice between financial inclusion and/or exclusion the Malagasy state authorities try to silence people with the slogan "rational" for   those who are financially "excluded." It has equally revealed a society of confrontation between “rational” and “traditional.” Indeed, there is a local resistance to the state intervention.   Fight against exclusion proves economic productivity and financial inclusion. Thus, ina socio-anthropological perspective, this essay highlights the concept of exclusion in the Malagasy social context and attempts to understand its process through financial inclusion strategies. The attempt is to grasp the cognitive dimension of this concept to raise awareness on the issue of exclusion in theory and in practice. Therefore, in so doing, the paper points a dichotomy that still opposes the “universal” vision of development to local socio-economic dynamics, and, thus, argues for more effective policy of poverty reduction.

 

1.La question d’inclusion financière dans son contexte  

Les stratégies d’inclusion financière font parties des outils privilégiés de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion à Madagascar. L’inclusion financière est conçue comme une suite logique de l’évolution du système de microcrédit et renvoie à la mise en place d’une batterie de politiques visant l’augmentation numéraire des « inclus » financiers. L’inclusion financière peut ainsi être définie comme un espace social découlant de la régulation qui émerge de l’imbrication de plusieurs acteurs internationaux, nationaux, publics et privés dont l’objectif principal est de favoriser un accès universel aux services financiers (bancaire, micro-finance, transfert) par des populations vulnérables. Ce choix de stratégies s’ancre dans une vision utilitariste du développement qui concède à la pauvreté monétaire une vision holiste de la pauvreté. Donc, seraient pauvres ceux ou celles qui sont « exclus » financièrement.

Le concept d’exclusion n’est pourtant pas si facile à saisiret renvoie d'abord à l'idée d’« exclusion sociale » selon Karsz (2000 : 108). Il n'existe pas en effet de définition figée de l'exclusion sociale, mais on est face à une conception floue ou à une « indéfinition » et son processus intéresse davantage les auteurs que la définition même du concept (Karsz 2000). Du point de vue de la sociologie, les tentatives de clarification se font à travers la thématique de la différenciation sociale dont le salariat en est la pierre angulaire. L’usage de la différenciation sociale est ici entendu selon l'utilisation fait par Cusin et Benamouzig (2004 : 51-127) en analysant les travaux d’auteurs tels que Marx, Durkheim, Polanyi, Tocqueville, Parsons ou Luhman dans « différenciation sociale et autonomisation de l’économie ».Ainsi, le principe marchand a pris le dessus sur l'entité étatique propulsant le salariat comme la norme de référence (Godbout 2013 : 12).

Plus spécifiquement, Servet (2001), de son côté, a étudié le concept de l'exclusion financière. Selon lui, il est « inutile ici de multiplier les références aux cultures, à l'histoire et aux inconscients. La finance en général et les instruments monétaires en particulier ne sont pas excluant en tant que tels. Toutefois, sous certaines conditions et dans certains contextes, ils peuvent le devenir et l'interrogation sur « l'exclusion financière » paradoxale dans de nombreuses sociétés, se révèlent être aujourd’hui un enjeu de société fort tant la finance apparait comme un facteur de fracture entre groupes sociaux et entre générations. » (Servet 2001 : 7). Pour Urfer (2003) qui a adopté une approche anthropologique avec une vision culturaliste dans son analyse, « l’exclusion (...) n'est que la manifestation visible de problèmes cachés, la conséquence sociale de conditionnements plus ou moins conscients » (Urfer 2003 : 104).

Dans cet article, il est question de comprendre ce concept d’exclusion en le plaçant dans le contexte malgache. En effet, face à la mise en œuvre de plusieurs stratégies d’inclusion financière successives, l’État malgache, à travers son administration, a fait le choix de saisir la pauvreté en termes monétaire et d’accès  aux ressources financières. L’impact de ces stratégies se mesure par l’évolution du nombre d’individus ayant accès aux services financiers, mais aucune donnée concernant l’impact sur les conditions de vie de la population n’est encore disponible. A partir de ce constat, la première partie de cet article parlera d’abord de l’exclusion dans sa dimension sociale pour ensuite analyser, dans la deuxième partie, ce qu’est l’exclusion financière dans la logique de l’exclusion sociale. Il s’agit de parler de la réalité de l’exclusion qui, dans les politiques publiques, est saisie en termes de vulnérabilité et de pauvreté. Éclairer ainsi la dimension cognitive de ce concept part d’abord du constat de la reconnaissance officielle de l’exclusion financière comme étant un problème social. L’évidence de ce constat officiel est appelée, toutefois, à être dépassée afin de permettre une analyse de la construction sociale de l’exclusion, et de surcroit de l’exclusion financière. De là, analyser ce concept remet en scène une dualité, souvent redondant dans les recherches sur le développement, entre les tenants d’une idéologie du développement flanquée d’un « caractère universel » et ceux qui s’inscrivent dans une vision culturaliste, diversifiée mais souvent décriée, des sociétés africaines en générale. Il s’agit donc de cerner l’exclusion dans son indéfinition, dans la société malgache qui connaît des changements, pour permettre une meilleure formulation des stratégies d’inclusion financière, notamment en termes de ciblage des bénéficiaires.

2.De la sphère domestique culturelle à la sphère économique

Comment parler d’exclusion sociale à Madagascar quand à priori la vie sociale y est à  d’honneur. En ce sens, toute l’attitude de l’individu est guidée par le « vivre-ensemble » et il n’est certainement pas question à aucun moment de se plonger dans la solitude. Urfer (2012), cherchant à identifier les causes du parcours socio-politique chaotique de Madagascar à travers une approche culturaliste, conforte cette idée par une nécessité de survie face à un environnement mal maitrisé. Ce « vivre-ensemble » est, dans la tradition, encadré par les principes du fihavanana, principe philosophique censé réguler les relations au sein de la société, qui fait office de règles sociales à travers le principe du consensus. On y prône l’homogénéité de groupe. « Ceux qui s’assemblent sont tel le rocher, ceux qui dispersent sont tel le sable » comme le rappelle l’adage souvent martelé dans tous les discours (aussi bien dans le cadre familial que prononcé par les personnalités politiques) pour rappeler l’importance du fihavanana pour la cohésion sociale. Il est donc primordial d’appartenir au groupe et dans la société traditionnelle, le fady ou le tabou encadre les comportements individuels tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Pourtant Urfer (2012) rappelle que ce besoin d’appartenance au groupe est « mué à un besoin de conformisme freinant toute tentative de singularité ». Selon lui, le « malgache ne dit jamais non en public » ! Mais alors, la question revient encore, comment alors parler de l’exclusion sociale ?

  1.  Domination du modèle « contradictoire » du fihavanana

Pour les anthropologues qui se sont penchés sur la question, bien qu’il existe des disparités régionales, la société traditionnelle malgache est considérée comme une société fermée avec à son amont, le monde du mystique avec le Zanahary (la divinité créatrice) et les Razana (les ancêtres).

Quelle que soit son affiliation religieuse, le Malgache vit en communion avec Zanahary, les razana et les membres de sa grande famille. Tous sont reliés au même aina (vie), un flux qui part de Dieu, passe par les ancêtres et se prolonge dans l’homme, génération après génération. Insérés dans ce courant ininterrompu, les parents le prolongent par leurs enfants, sombin’ny aina (parcelles de vie). Sur cette dimension verticale et temporelle s’articule l’axe horizontal et spiral de l’aina. La nature, le voisinage, la maison, et jusqu’à la rizière ou la pirogue, sont intégrés dans le même flux vital. « Mamy ny aina » (la vie est douce), dit le proverbe : l’intégration dans ce tout, matériel, humain et spirituel, fait l’une des spécificités du mode de vie malgache (Urfer 2012:76).

La littérature sur la forme de l’économie à Madagascar est encore rare pour donner une contenance réelle à la description de l’exclusion. D’un point de vue essentiellement anthropologique, l’économie a été tardivement monétarisée avec un fort ancrage dans le symbolique. L’analyse marxisante de Rakotonirina (1968) a donné quelques pistes et en l’état, celles-ci décrivent notamment l’organisation économique et sociale malgache pour comprendre ce qu’il appelle le renforcement des logiques économiques traditionnelles basées sur les pratiques ostentatoires et fortement marquée par le symbolique. Le fihavanana joue un rôle essentiel dans cette organisation.

Cette discipline du « vivre-ensemble à la malgache » incite toujours au consensus et son invocation dans les discours (cérémoniaux) en appelle souvent à ce qui est considéré fièrement comme la « sagesse malgache ». Celle-ci est composée de règles sociales « dont l’essentiel est (ici) la négation de l’individu et de la propriété individuelle au profit du groupe et de la collectivité » (Rasamoelina 2012: 47). Le fihavanana régit les relations sociales dans tous les domaines de la vie et ce sont les ainés qui en sont les garants. Toutefois, toute transgression au fihavanana induit des conséquences qui peuvent « entrainer des sanctions morales comme le tsiny, le rejet de la communauté, ou la colère des autres pouvant se terminer par le vol » (Rasamoelina 2012:47). Dans les sociétés villageoises spécifiquement, l’organisation économique est encore fortement marquée par le fihavanana. Dans l’agriculture par exemple, les travaux (labourage…) se font sur la base de l’entraide entre les membres du village et sans qu’aucune rémunération n’entre en compte. Les calendriers culturaux se fixent ainsi collectivement. Ce sont les ainés qui sont les garants du fihavanana et occupent une place importante dans la société. Pour autant, cette organisation sociale de la société malgache fait partie des « figures emblématiques de l’exclusion » comme le note Urfer (2012). En effet, celle-ci produit de nombreuses formes d’exclusion difficilement cachées par le principe consensuel et harmonique du fihavanana.

Au-delà de la limite de la sphère domestique, la société est marquée par la dualité basée selon l’âge : le zoky ou ainé versus le zandry ou le cadet (Urfer 2012). Ainsi en découle une forme de paternalisme qui se retrouve jusque dans les relations politiques : les dirigeants entendus comme zoky et les dirigés perçus comme zandry. La parole de l’aîné est indiscutable ou tò-teny.  Cette prédominance de l’aîné, dit l’auteur, « s’étend au-delà du cercle familial, à toute société : entreprises, administrations, Églises, etc. Indépendamment de toute considération de compétence ou de responsabilité, le dernier mot y revient à l’ancien. » (Urfer 2012:56).

Avec le développement de l’échange marchand, cette dualité entre ainé ou zoky et cadet ou zandry se retrouve aussi dans la perception de la domination de la part des détenteurs de la richesse, ou du moins de la soumission pour ceux qui s’estiment moins posséder de richesse. Cette perception de soumission concède à ceux qui détiennent la richesse une certaine autorité de zoky indiscuté. Cela pourrait être traduit par une certaine forme de paternalisme où le rapport dominant-dominé est quasi-figé selon l’accès aux richesses.

Ainsi, dans cette « économie de marché hybride non rationnelle » malgache, la pauvreté est quasi-généralisée et ceux qui détiennent la richesse se voient acquérir un statut particulier de dominant. D’après une étude menée par l’Institut National de la Statistique de Madagascar (INSTAT) en 2012, il y aurait concrètement une relation avérée entre le statut d’un travailleur dans le contexte d’une Unité de Production Individuelle dans le secteur informel et l’âge de celui-ci. Les individus qui occupent un poste de « dirigeant » seraient plus âgés que ceux occupant un poste d’« apprentis ». En corollaire, l’accès à un poste de dirigeant pour un jeune resterait limité entre autre par « le respect du ray aman-dreny » ou littéralement le respect des ainés ou des parents. D’ailleurs, le caractère généralement familial de l’entreprise renforcerait cette attitude des jeunes.

Proportion des actifs des UPI informelles selon leur statut

et leurs caractéristiques démographiques en 2012

STATUTS

REPARTITION
PAR STATUT

FEMMES

JEUNES DE
MOINS DE 26
ANS

AGE
MOYEN
(ANNEES)

NIVEAU
D'ETUDES
(ANNEES)

ANCIENNETE
MOYENNE
(ANNEES)

Patron

8,2

39,5

12,6

38,8

5,5

8,9

Associé

19,3

5,2

18,2

34,2

5,2

8,8

Indépendant

61,7

58,1

18

37,9

4,6

10,1

Salarié

9,8

21,7

40,3

30,1

5,2

4,8

Apprenti payé

0,3

10,8

85,9

22,1

5,1

2,1

Apprenti non payé

0,2

54,8

74,8

23,4

2

6,4

Aide familial

0,5

53,1

58,1

26,5

4,6

5,6

TOTAL

100

51,1

27,8

34,9

4,7

8,5

Source : Enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel – ENEMPSI 2012

Si on revient à l’analyse de Rakotonirina (1968) sur les pratiques économiques malgaches, il existe aussi une forme de différenciation sociale basée sur la parenté. Les liens de parenté garantissent, par une certaine « signature du mystique », une place prépondérante dans les logiques de différenciation sociale. Comme le détaille cet auteur dans son article sur les pratiques ostentatoires malgaches, les formes de structure sociale à différentes périodes de l’histoire de Madagascar sont porteuses d’une relation de domination entre les individus qui composent la société. Cette relation de domination régit l’accès aux éléments richesses dont la base est d’abord la parenté puis le Fokonolona (communauté). Le Fokonolona est la société traditionnelle de base qui deviendra plus tard une délimitation territoriale administrative mais dont le statut juridique reste encore flou jusqu’à présent. L’accès inégalitaire aux richesses par le régime de la parenté est d’autant plus renforcé que l’attitude de l’individu est prompte à un conformisme qui est régit par la philosophie du « tsiny » et du « tody ».

Selon Andriamanjato (1957), « tout » est lié à travers le « aina » ou la vie qui est elle-même composée d’une multitude d’« êtres ». L’équilibre entre ce « tout » est perçu comme fragile et les règles sociales sont nécessaires pour maintenir celui-ci. Ainsi, le « tsiny » est assimilable à une forme de blâme en cas de non-respect de ces règles sociales et le « tody » peut être interprété comme la conséquence d’un mauvais comportement « et qui peut s’exprimer par une maladie, un accident, un incendie ou un troupeau décimé » (Urfer 2012). Ces pensées philosophiques incitent donc l’individu à se conformer aux règles sociales et à l’ordre social.

L’introduction de l’économie de marché régit par les logiques « rationnelles » économiques et véhiculée dans le cadre des politiques de développement a quant à celle-ci largement fait émerger une dualité nationale versus locale. Cette dualité résulte d’une certaine violence symbolique accompagnant l’introduction de l’économie de marché qui a, selon Rakotonirina (1968), dans son essence avait pour finalité de mettre fin aux pratiques ostentatoires des économies villageoises et « installer les logiques rationnelles ». D’ailleurs, l’auteur de rappeler que cette violence symbolique est d’autant plus ressentie qu’au niveau local, l’économie de marché modifie des règles sociales comme au temps de l’économie coloniale. Ce qui renforcerait encore plus le sentiment d’une tentative de soumission du local et induirait une rébellion sous la forme de pratiques exubérantes d’une économie à usage cérémoniale et de renforcements des règles sociales traditionnelles. C’est cette résistance locale qui a fini par donner naissance à une économie de marché hybride « non rationnelle ».

2.2.Hena maso : Garde-fou de tout dépassement social

Le fihavanana régit le comportement social à Madagascar avec une place importante du mystique. Un Zanahary ou Dieu créateur est au-dessus de toute cette logique sociale et qui réconforte cette relation de domination et d’exclusion dans la société. Le « malgache » est réputé conservateur. Ce modèle de conservatisme se repose sur l’existence de règles implicites dictées par la philosophie du tsiny et du tody. Toute action ou activité humaine risque d’attirer des représailles de l’ordre du mystique mais il n’existe pas non plus d’énoncés explicites des « règles » en vigueur. Il existe donc une certaine nécessité  de suivre les pratiques qui n’ont pas à priori attirées leurs représailles et quoi de mieux que la tradition. Mais ce n’est pas seulement aux « yeux du mystique » qu’il y a ce besoin de conformité, il y a aussi les « yeux de la société ». Dans ce sens, l’individu régit ses comportements par la peur du hena maso: le jugement des autres. Dans une interview accordée à RFI en 2011 à la sortie de son livre sur le sujet, Urfer (2011), toujours dans une approche culturaliste, définie ainsi ce qu’il en cernait de ce concept :

Dans ce cadre, les aspects contradictoires du henamaso valorisent d’une part le respect du soi et des autres, le fait de se conformer aux règles sociales et même de tolérer l’intolérable et, d’autre part, un sentiment de honte et de peur qui génère l’hypocrisie, le manque de confiance en soi, la crainte d’exprimer son avis et d’affirmer sa personnalité (Urfer 2011).

Il précise que ce précepte est à « double tranchant » dans le sens où l’individu se témoigne ouvertement du respect à toute épreuve, selon la hiérarchie qui y prévaut, et en même temps cela entraîne un conformisme qui ne permet pas d’aller au-delà de ce qui se pratique déjà dans la société. Dans cet esprit, l’entrepreneuriat serait en total contradiction avec ce concept, ou du moins l’exploration de nouvelles modes de production. Un peu plus loin dans son interview, Urfer (2011) tente de cerner ce qu’il définit comme le « malgache » à partir de cette peur du hena maso :

Car si l’on part du principe que l’individu est façonné par le groupe qui structure les schèmes de comportement et codifie les relations humaines, on peut établir le constat suivant : la société traditionnelle malgache a laissé peu de place à l’individu, qui s’est effacé derrière la collectivité, l’institution fokonolona a joué un rôle fondamental dans la construction de l’identité sociale et des rapports sociaux, fondés sur la hiérarchie sociale et les inégalités de castes, donc de statuts et de rôles, les rapports sociaux ont engendré entre autres des comportements d’allégeance multiformes, allant de la déférence à la courtisanerie, et à la soumission(Urfer 2012)

Si on revient sur l’analyse de Rakotonirina (1968), la société traditionnelle n’est pas régie par l’économie de marché. Celle-ci est plutôt régie par le henamaso dans la continuité du fihavanana. Alexandre (2008) remarque cependant que le fihavanana ne devrait pas être interprétée comme un conformisme plaçant tous les malgaches sur le même pied d’égalité. Bien au contraire, dit-il, l’individu est prompt à se tenir à un discours superficiel et tend à « nier l’évidence » pour éviter toute mésentente risquant d’entrainer la violence. Cette « stratégie de l’autruche » pourrait avoir des conséquences néfastes selon Alexandre (2008) dans le sens où le fihavanana pourrait profiter à celui qui détient le pouvoir en niant l’existence de problèmes dans la société.

Il serait étrange que la culture malgache, alors qu’elle met l’accent sur la hiérarchie, qu’elle maintient l’étagement des personnes dans la famille et dans la société en prétendant que tout bouleversement met en danger l’équilibre global, fasse appel en même temps à la fraternité globale. Autant une société bien structurée met effectivement un frein à la violence en mettant en place des rapports interpersonnels définis et immuables, autant le fihavanana risquerait de faire ressurgir des oppositions internes en gommant les différences (Alexandre 2007:121).

Cependant, Sandron (2008) note, dans son analyse du lien social et économique des communautés rurales à Madagascar, un abandon progressif de ces pratiques sociales à cause de l’appauvrissement. Du moins, le fihavanana, remarquait-t-il, « aurait subi un changement dans sa nature avec la marchandisation des échanges ». On peut aussi envisager que le hena maso perdrait alors de son emprise avec la recherche de nouvelles stratégies d’accès aux ressources. L’incapacité du cercle familial à satisfaire les besoins rend d’autant plus critiquables l’immuabilité du hena maso. Dans ce sens, l’instauration d’une « culture de la microfinance », basée sur une approche locale du développement et axée sur la valorisation de comportements entrepreneuriaux, tendrait à faire vaciller ce principe du hena maso, ou du moins un certain temps, car ce qui reste une constance dans l’adaptation de la société malgache avec l’introduction de la notion de développement, c’est la redondance de la pensée animée par le fihavanana et ses principes. D’une certaine manière, l’appropriation se manifeste, paradoxalement, par le renforcement des logiques locales. En témoigne ainsi le renforcement des dynamiques villageoises face à l’introduction de l’économie de marché (Rakotonirina 1968).

3.L’exclusion financière dans la logique de l’exclusion sociale

Le fihavanana appelle au conformisme, mais son analyse a démontré que celui-ci appelle surtout au renforcement des structures sociales et des logiques de dominations avec un minimum de remise en cause ouverte des règles sociales. Le déni en serait même une de ses caractéristiques fondamentales (Alexandre 2007). Face à cette tendance sociale à un « conformisme à toute épreuve », A-M. Coquelin (2007) a essayé d'identifier qui sont les exclus. Cette dernière a mis en lumière le cas des travailleurs/euses du sexe à cause de leurs tenues et de leurs horaires de travail (la nuit), les ex-détenus et les détenus relativement mis au ban de la société dû à leurs comportements jugés immoraux, les handicapés et les lépreux ou les familles qui ont des enfants jumeaux perçues comme frappées d'un maléfice (cas observés dans la région Sud-Est de Madagascar, surtout à Vohipeno et Mananjary).

Au sein de cette population malgache dont le niveau de pauvreté est très élevé, A-M Coquelin (2007) a démontré que le travail, et donc la perspective d'un gain salarial, est désormais perçue comme fondamental pour sortir de la pauvreté. De même, les besoins en financement se font ressentir tant au niveau rural (Ries and Chauviere Le Drian 2008) qu'au niveau urbain (Gubert and Roubaud 2005).  La thèse de Servet (2001) sur l'universalité de la monnaie dont l'usage est limité par le contexte social se révèle fort cohérente dans l'analyse de l'usage contemporain de la monnaie malgache et de l’accès aux services financiers. Dans une société où les visages de l'exclusion sont à la fois économique (vision utilitariste) mais aussi liées à des rapports sociaux de dominations (cf Urfer et Coquelin), l'usage malgache de la monnaie ne s'appréhende qu'à travers une analyse historique de «l'élément de richesse», mais aussi de la monétarisation de l'économie malgache.

Pour M. Rakotonirina (1968), le rapport à la richesse a évolué avec les différents types de différenciation sociale qui se sont opérées dans la société. En analysant les impacts de la politique de l'État sur les communautés villageoises, il part sur l'hypothèse de l'existence d'une dynamique propre « à l'intérieur de laquelle des rapports sociaux caractéristiques tendent à se reproduire et à se perpétuer » (Rakotonirina 1968). Il oppose ainsi une économie de marché structurée par la division du travail et par la monétarisation de l'économie à une économie à usage « cérémoniel » avec un fort ancrage dans le système de parenté et marquée par une autonomie des collectivités locales.

Pour Rakotonirina (1968), la structure sociale dans les différentes communautés malgaches, et en l’occurrence l’Imerina (localisée sur les Hautes Terres) qui a fait l’objet de son analyse, a produit un rapport à la richesse se traduisant par l’ostentation économique. Du temps de la royauté (avant 1896, début de la colonisation française à Madagascar), l’ostentation se matérialise par la possession d’esclaves ou de zébus. Pour cet auteur, toute logique qualifiée de « rationnelle » dans une économie de marché ne se retrouve pas dans cette forme d’économie. Il a d’ailleurs présenté les deux formes d’économies en dualité. La parenté dictait l’accès aux ressources économiques (et politique). L’esclave était sans terre et était exclus de tout élément de richesse. Avec une perspective historique, il en arrivait au constat que l’ostentation économique constitue une constance de l’économie de Madagascar selon l’évolution de la structure sociale à un moment donné. L’auteur de préciser que l’ostentation est comprise ici comme une recherche de puissance sociale à travers les manifestations prestigieuses telles que les enterrements ou les messes dominicales.

 3.1. Secteur informel, pluriactivité et microcrédit

Les logiques d’exclusion sociale obéissent à plusieurs paramètres tels que la localisation géographique du tombeau familial qui renvoie à l’« origine de la famille ». Puis, dans cette même logique géographique, le discours sur l’appartenance à une région spécifique (les « zanaky ny… » ou littéralement les « enfants de… ») se retrouve particulièrement ravivé en période d’instabilité politique. Il existe aussi à Madagascar des logiques d’exclusion liées à l’urbanisation et à l’accès aux services de base qui ont tendance à se concentrer en zone urbaine. Les « tany lavitra andriana » ou littéralement les territoires éloignés de la noblesse désigne les zones qui ont tendance à être délaissées par les autorités politiques. L’accès aux services publics de base en deviendrait ainsi un enjeu spécifique dans certaines zones essentiellement rurales. Il se trouve en effet que la difficulté d’accès à ces services pourrait être interprété comme des signes de l’absence de l’État : routes impraticables ou inexistantes, hôpitaux éloignés, écoles éloignées…

En corollaire, les activités économiques pourraient y échapper à tout contrôle de l’État. C’est ce qui est d’ailleurs une des caractéristiques du secteur informel. Cette même absence se reflète dans la recrudescence de l’insécurité qui menace en permanence la pérennité des activités économiques malgache notamment en zone rurale. D’après le résultat d’une enquête menée en 2012 sur le secteur informel par l’Institut National de la Statistique de Madagascar (INSTAT), plus de 2 268 900 unités de productions individuelles (UPI), sans compter le secteur agricole, l’élevage, la chasse et la pêche (INSTAT 2012), se trouvent dans le secteur informel. La prédominance de ce secteur serait un indicateur de la pauvreté du pays.

Dans les ruelles marchandes d’Andravoahangy, de Behoririka, de Tsaralalana ou des 67 ha, ils obstruent dangereusement la circulation. En cas de délestage intempestif d’électricité disjoncté par la société d’État la Jirama, ils jouent le soir au dépanneur en fournissant la précieuse bougie salutaire pour l’éclairage d’appoint qui fait défaut. Tous les « vendredi joli », ils animent diverses agglomérations bruyantes de la capitale à l’exemple des bars à bières du très dynamique quartier latin du 5ème arrondissement de Paris. Eh oui, ils sont partout sauf au livre d’enregistrement statistique de l’État malgache. Ils, ce sont ces commerçants, épiciers et autres boutiques, désignés à tort comme étant un pan de l’économie souterraine, relevant du secteur dit « informel ». Vieux comme Hérode, ce secteur de l’informel continue à encombrer infructueusement l’économie malgache, sans que l’État puisse y apporter la solution idoine  (samedi 28 décembre 2013, Madagascar Tribune).

Pour comprendre le secteur informel malgache, cet extrait d’un article traitant du sujet reflète bien la réalité d’une « encombrante » large part de l’économie échappant au contrôle de l’État. Est donc informelle « toute activité génératrice de revenus qui ne dispose ni de numéro d’identification ni de numéro statistique » (INSTAT 2012). Tel est, en effet, le principal critère qui désigne ce secteur. Pour l’Institut National de la Statistique de Madagascar (INSTAT) (2012), le constat s’appuyait sur l’analyse des conditions d’activité des unités de production individuelles, sur l’analyse de la main d’œuvre et des emplois dans les unités de production individuelles, sur l’analyse du capital, de l’investissement et du financement, sur l’étude de la production, de l’insertion et de la concurrence, de l’analyse de sa relation avec l’État ainsi que les problèmes et les perspectives. En somme, la dynamique du secteur informel se caractérise par une forte corrélation avec la dynamique du ménage et toute son implication « multidimensionnelle » (sociale et économique). Malgré la forte présence du secteur informel à Madagascar, celui-ci ne présenterait pas une forte efficacité économique pour le pays à cause de la forte prudence des acteurs qui en limite ainsi la qualité des activités et de l’emploi.

L’absence de contrôle de l’État sur ce secteur induirait des pertes fiscales allant jusqu’à 10% du PIB et à plus de 36% du PIB marchand non agricole (INSTAT 2012). Pour le Bureau International du Travail (BIT), une des stratégies que l’État devrait adopter pour réduire le secteur informel réside dans la promotion du « travail décent » avec notamment la provision d’un système de sécurité sociale à tous les travailleurs. Les chiffres de l’INSTAT reflètent surtout une incompréhension de l’utilité de se formaliser pour les UPI ou tout simplement l’ignorance du caractère obligatoire de se soumettre à la fiscalité.

Le niveau d’éducation jugé très bas serait une des principales causes de cette situation. Comme le rappelle Andriamanampisoa (2015)dans « Le secteur informel sur les Hautes terres centrales de Madagascar », les études sur le secteur informel malgache ont été nombreuses mais celles-ci se rapportaient essentiellement au caractère économique plutôt qu’à une dimension qu’elle décrit comme étant « multidimensionnelle » (Andriamanampisoa 2015). Selon cette sociologue, le secteur informel participe à la « survie » de la population malgache, qui est dans sa grande majorité très pauvre, ainsi qu’une frange de la population active dans le secteur formel ayant perdu leur emploi ou encore les entreprises qui ne règlent pas leur situation fiscale en profitant de la dominance de la corruption dans l’administration publique. D’autant plus, le secteur informel est caractérisée par une « souplesse » permettant l’absorption d’ « entrepreneuriat familial » n’obéissant pas au « joug de la croissance » et à aux logiques d’ « accumulation primitive ».

L’entrepreneuriat familial serait alors initialement concentré dans les « pluriactivités » génératrices de revenu tout en ayant une tendance à « absorber facilement les incertitudes des différentes conjonctures économiques et politiques ». Il est toutefois important de noter que les ménages se limiteraient « à des fins de subsistances » (INSTAT 2012), un « impératif » qui s'inscrirait « dans une logique de légitimité à la limite de la légalité et de la morale car un père de famille dira : « On a besoin de manger et, au lieu de voler, on travaille ainsi » » (Andriamanampisoa 2015). Toujours selon cette même sociologue, à défaut de contrôle de l’État sur le secteur informel, celui-ci s’en accommoderait parce que la population disposerait encore d’un accès à une pluralité d’activités génératrice de revenu, ce qui à terme préviendrait l’apparition de crises sociales.

Pourtant, pour l’Institut National de la Statistique de Madagascar (INSTAT 2012), les UPI ne seraient pas du tout réfractaires à l’idée de participer à l’assiette fiscale mais demanderaient à l’État la facilitation de toute procédure comme l’instauration d’un impôt unique ou encore la gestion des recettes fiscales qui seraient plus efficace au niveau des administrations communales. Selon ces mêmes donnés de l’INSTAT (2012), on retrouverait plus de 70,8% des activités du secteur informel en milieu rural avec une domination du secteur primaire. A l’opposé, 29,2% du secteur informel se trouve en milieu urbain avec une domination de l’industrie (extractive, alimentaire, confection, bois…) et du commerce.

Répartition des UPI selon la branche d’activité                                                                                                                          et le milieu de résidence en 2012

BRANCHES D'ACTIVITE

ENSEMBLE

URBAIN

RURAL

TOTAL

PRIMAIRE

4,2

13,6

86,4

100

Sylviculture

4,2

13,6

86,4

100

INDUSTRIES

43,1

20,9

79,1

100

Extractive

7,8

13,3

86,7

100

Alimentaire

4,4

32,9

67,1

100

Confection

18,8

16,9

83,1

100

Bois

3,4

20,1

79,9

100

Autres Industries

3,2

30,3

69,7

100

BTP

5,5

30,7

69,3

100

COMMERCE

34,4

31,8

68,2

100

SERVICES

18,3

47,5

52,5

100

Répartition

1,6

54,7

45,3

100

Transport

4,6

45,8

54,2

100

Ménages

3,7

42,4

57,6

100

Autres services

8,4

49,3

50,7

100

TOTAL

100

29,2

70,8

100

 

Source : Enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel – ENEMPSI 2012

Le secteur informel malgache se caractérise aussi par un niveau de formation scolaire et technique limitée. Entre les « dirigeants » et les « apprentis », la durée moyenne des études effectuées seraient de 4,7 ans. Ces UPI se caractérisent par de l’autofinancement des activités et témoignent d’une grande prudence dans l’exercice de leurs activités. Pour Gubert et Roubaud (2005)toutefois, il existerait bel et bien un besoin en financement en milieu rural malgache et en milieu urbain malgré le comportement qui tend à la prudence et surtout la difficulté d’accès aux services bancaires. Dans le secteur formel, toute activité confondue (avec le secteur agricole), renforcerait à fortiori la taille des activités ayant des difficultés d’accéder à un système de financement bancaire.

Répartition des UPI informelles selon les modes de financement du capital                                par branche d’activité en 2012

BRANCHES

SECTEUR D'ORIGINE

EPARGNE

PRÊT
 FAMILIAL

PRÊT
AUPRES  DES
USURIERS

MICROCREDIT
 

PRÊT BANCAIRE
 

PRÊT AUPRES DES
FOURNISSEURS
OU CLIENT DES
FOURNISSEURS
OU CLIENTS

AUTRES

TOTAL

PRIMAIRE

88,6

0

0,1

0

0

1,8

9,4

100

Sylviculture

88,6

0

0,1

0

0

1,8

9,4

100

INDUSTRIES

90,7

0,9

0

0,1

0,1

0,1

8,1

100

Extractive

70,7

0

0

0

0

0,1

29,2

100

Alimentaire

97,1

0,3

0

0

0

0,1

2,6

100

Confection

93

1,1

0

0

0

0,1

5,9

100

Bois

95

3,5

0

0,4

0

0,4

0,7

100

Autres Industries

96,3

0,1

0

0

0

0,1

3,5

100

BTP

96,8

0,1

0

0

0

0,5

3

100

COMMERCE

76,9

1,6

0,1

0,2

0

0,1

21,1

100

SERVICES

93,2

0,8

0

0,2

0,1

0,5

5,1

100

Répartition

88,1

0,1

0

0

0

7

5,1

100

Transport

94,7

1,3

0

0,1

0

0,3

3,6

100

Ménages

22,6

0

0

0

0

0

77,4

100

Autres services

96

0,1

0

0,4

0,3

0,1

2,8

100

TOTAL

87,4

1,1

0,1

0,1

0,1

0,3

11

100

Source : Enquête nationale sur l’emploi et le secteur informel – ENEMPSI 2012

Sans le secteur agricole, l’épargne constitue la principale source de financement des activités des UPI (87,4% des sources de financements) contre à peine 0,1% pour les prêts bancaires et pour les prêts de microcrédit. Avec le caractère informel associé aux pratiques usurières et aux prêts dans le cercle des connaissances, le microcrédit se retrouve être le seul outil promu par l’État malgache ciblant les microactivités et a fortiori, le secteur informel. Cela révèle donc une articulation entre le secteur informel et les stratégies d’inclusion financière malgache avec le microcrédit qui finance les activités productives et autres activités génératrices de revenu en milieu rural (majoritairement l’agriculture et l’élevage) et en milieu urbain (majoritairement les petits commerces).

Généralement, 21% de la population adulte malgache avait accès aux services financiers formel en 2016. Avec ces chiffres, le microcrédit aurait encore du chemin à faire même si à l’état actuel de son développement, une grande partie des bénéficiaires appartient au secteur informel.

3.2. La « femme malgache » à l’ère de l’empowerment

Dans le cadre de la stratégie nationale pour la finance inclusive, l’État malgache, à travers son administration, entend cibler une large part des « exclus » de tout système financier sans aucune différenciation de genre. Même si la tendance au niveau internationale tend plutôt vers la considération de l’inclusion financière comme une « politique de genre » (Hofmann et al. 2007), la législation malgache actuelle ne fait pas de mention particulière des bénéficiaires féminins, mais s’adresse à l’ensemble des cibles sans distinction de genre. Cela pourrait peut-être s’expliquer par la gestion du revenu du ménage réparti de manière relativement équilibré entre l’homme et la femme. L’enquête FinScope (2016) a révélé que les femmes contrôleraient mieux leurs dépenses et auraient même tendance à contrôler seules leur argent. Les chiffres sur l’accès aux services financiers selon le genre ne démontrent pas de différences importantes entre les deux sexes. 41% des femmes disent ne pas avoir accès aux services financiers contre 42% des hommes. La même proportion du côté des deux sexes, à savoir 12%, déclare être bancarisé.

Accès aux services bancaires selon le genre.  Source : Enquête FinScope (2016)

Homme en %

Homme en %

Femme en %

Bancarisés 

12

12

Autres services formels (non-bancarisés) 

14

19

Informels uniquement 

32

28

Exclus 

42

41

 

De tels chiffres auraient tendance à ramener vers la reconnaissance de l’égalité de genre à Madagascar avec la rhétorique sur les souveraines qui ont régné successivement sur le royaume Merina (localisé en Hautes Terres) avant la période coloniale de 1896. Le règne de ces femmes à la tête de l’Imerina (royaume Merina) ont fait émergé un discours quasi-unanime qu’il y aurait une égalité entre l’homme et la femme malgaches et que les luttes actuelles contre la discrimination liée au genre tendraient à lisser les moindres comportements « déviants ». A travers son analyse du mythe des femmes malgaches au pouvoir pourtant, Rabenoro (2012) a fait remarquer que les chiffres « apparents » sur un l’évolution positive de Madagascar dans sa lutte pour l’égalité de genre cacherait une vision conservatrice de la femme par rapport à l’homme. L’auteure fait ainsi référence à l’évolution croissante de l’Indice sexospécifique de développement humain (ISDH) en 1993 et 2008. Selon ses analyses, l’homme est considéré « naturellement » comme le chef de famille. C’est en tout cas le discours qui a tendance à émerger à chaque fois qu’il y ait mention des rapports entre l’homme et la femme.

 

            Extrait entretien mené à Betafo (Madagascar) auprès d’une bénéficiaire de services de microfinance (2014)

Oui. Au fait j’ai le diplôme de CAE mais mon mari, quand il était vivant, il a travaillé à Melia à Antsirabe et il m’avait dit à l’époque que je devais rester à la maison m’occuper des enfants. Il a dit qu’il n’aimait pas que les enfants soient élevés par quelqu’un d’autre…mais je voulais devenir fonctionnaire mais il ne voulait pas que je travaille…il a travaillé dans le privé mais ça allait tout de même car on réussit à soutenir les études de mes enfants…seul un n’arrive pas encore à trouver du travail…et je travaille maintenant. Depuis 2 ou 3 ans maintenant, je suis dans le commerce car avant son décès, mon mari était souffrant et on avait besoin d’argent.

Pour cette auteure (2012), il existe même une tendance à l’« antiféminisme affiché » par des personnages publics comme le cas des journalistes. Elle a fait ainsi mention du discours de remise en cause de la journée mondiale de la femme qu’un journaliste local avait qualifié d’« arbitraire et sans fondement ». Rabenoro (2012) soutient aussi l’existence d’une différence fondamentale entre la vie publique et la vie privée du couple. Dans la première, il est de « bon ton » que l’homme soit celui qui prend les décisions sous peine de subir la honte ou afa-baraka alors que dans la deuxième, il est plutôt question de consensus entre les deux sexes.

Néanmoins, avec la généralisation de la pauvreté ainsi que la féminisation de la pauvreté surtout en milieu urbain (Lachaud 2010), il existe une tendance à la modification des structures sociales malgaches et le rapport au genre tend à y être affecté. En 2015, dans une institution de microfinance locale œuvrant autant en milieu rural qu’en milieu urbain par exemple, les enquêtes ont révélé que les bénéficiaires des services étaient composés d’une majorité de femmes même si l’institution en question ne les ciblait pas particulièrement. Cela se fait pourtant généralement dans le secteur de la microfinance (Guérin, Palier 2006).

Pour certaines de ces bénéficiaires, il n’est juste pas envisageable de « rester les bras croisés en attendant que l’homme veuille bien ramener quelque chose dans le ménage ». Avec des initiatives entrepreneuriales, ces femmes participent au revenu du foyer et accèdent aux services financiers de la microfinance pour financer leurs activités. La pauvreté exige aussi d’avoir plusieurs sources de revenu pour pouvoir survivre, comme le cas de ces femmes bénéficiaires des services de cette institution.

Ces femmes demeurent responsables des tâches liées au foyer (avec l’éducation des enfants du foyer) et l’accumulation de toutes ces activités confère à la femme une surcharge de travail rarement valorisée. On parle ainsi de la « double journée de travail » de la femme.

L’accès à des services financiers a démontré la capacité entrepreneuriale de la femme même si dans le cas de cette institution de microfinance, il est nécessaire d’obtenir le consentement de l’époux (ou de l’épouse) avant d’accéder à un prêt. Cette mesure a été prise, selon les agents, pour éviter des « malentendus » qui sont survenus par le passé. Lors des visites à domicile ou lors des cas de défaut de remboursement, certains époux (ou épouses) déclaraient ne pas être en connaissance de prêt contracté allant jusqu’à menacer l’équilibre du ménage (menace de renvoi de la femme, menace de divorce ou même menace de violence). Les agents évitaient toute situation pouvant entrainer un désaccord au sein du couple.

Les femmes bénéficiaires, de leur côté, soutiennent qu’une telle démarche serait nécessaire pour ne pas « donner un sentiment de honte au chef de famille » c’est-à-dire à l’homme. Encore une fois, on peut y voir une certaine nécessité de préserver le statut de l’homme perçu comme le chef de famille. D’une certaine manière, on peut dire que l’accès aux services financiers (et à une certaine « éducation financière ») n’entraine pas de changements dans les relations de pouvoirs entre les hommes et les femmes au sein du ménage. Cet accès révèle même, puis reproduit, ces dynamiques relationnelles où l’homme garde le statut de chef de ménage. Certes la femme révèle (ou renforce), dans ce cas, ses capacités entrepreneuriales, mais l’influence de l’accès aux systèmes financiers semble s’arrêter là et n’ébranle en rien l’image de la femme considérée comme un « meuble fragile »(fanaka malemy).

 

Conclusion 

Il n’y a pas qu’une seule définition de l’exclusion au lieu de parler d’« indéfinition »(Karsz 2000). Les formes d’exclusion sociale découlent des rapports sociaux de domination qui s’inscrivent eux-mêmes dans des logiques économiques variées, malgré la tendance dominante de l’économie de marché.  Servet (2001) a identifié le rôle de la monnaie dans le processus d'exclusion. Il a avancé l'idée de l’universalité de la monnaie dont les hiérarchies sociales et les valeurs morales en limiteraient l'usage.

Le rapport à la monnaie « se situe simultanément dans un rapport à soi, dans un rapport aux autres et dans un rapport à la totalité sociale et à la souveraineté » (Servet 2001 :7). Plus spécifiquement, l’exclusion financière dans le contexte malgache s’ancre dans une dynamique sociale bien difficile à analyser sous le seul angle des principes de la « rationalité » alors que les stratégies d’inclusion financière se reposent sur la conception d’une pauvreté avant tout monétaire. Les stratégies d’inclusion financière mettent surtout en exergue l’idée que l'accès limitée à la monnaie entrainerait une disjonction qui relève à la fois de l'identité et des relations sociales (Servet 2001) notamment dans le contexte d’appauvrissement où les rapports « traditionnels » de production n’arrivent plus à endiguer la pauvreté.

Face au choix de l’État malgache de réduire l’exclusion financière en terme numéraire pour lutter contre la pauvreté, l’accès aux services financiers promeut encore une fois une vision holiste de la pauvreté monétaire réduisant ainsi les autres dimensions qui peuvent expliquer cet état. Les défis de la lutte contre la pauvreté sont pourtant plus divers avec une dynamique sociale malgache qui n’obéit pas forcément aux logiques marchandes, ou du moins, pas exclusivement. Les comportements sociaux et économiques sont déterminés par plusieurs facteurs d’interaction autant culturels que structurels.

Donner une place centrale au concept de l’exclusion dans l’élaboration des politiques de développement ne devrait donc pas rester de l’ordre du symbolique mais plutôt s’apprécier en termes d’efficacité de ces dernières. Plus encore, l’exclusion financière s’encastre dans les logiques d’exclusion sociale et ne devrait pas en être saisie différemment au nom, soit disant, de la valorisation des « vertus développementalistes » qui tendent à renier trop rapidement les approches culturalistes, souvent traditionalistes selon De Sardan (2010: 421), au détriment d’une vision « plus universelle ».

Hors, universalité ne veut pas dire « à bas » la singularité. Et la société connaît des changements et des adaptations. Mais l’universalité de l’inclusion financière, à travers le développement et la diffusion du microcrédit qui se manifeste par la standardisation de celui-ci, ne devrait pas mettre au ban les dynamiques socio-économiques locales au risque de se voir échouer dans les objectifs à atteindre.

Les principes utilitaristes qui animent les stratégies d’inclusion financière ne suffisent pas pour transcender toutes les dimensions sociales de la société malgache, ni prétendre lutter contre la pauvreté et la vulnérabilité en se limitant pourtant à l’exclusion financière. A l’image du microcrédit qui apparait comme « un avatar du capitalisme » selon les termes de Servet et Guérin (2015), l’inclusion financière se retrouverait finalement induite par un système capitaliste avec toutes ses logiques de dominations et d’exploitations (Guérin 2015, Servet 2015).

 

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