POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET INTÉGRATION EUROPÉENNE

Abstract: 

The starting point of this chronicle is today’s world economic crisis of which one of the major causes is unclear financial management. Europe is in the midst of this storm and its situation might lead to further crisis. The chronicle argues that, as far as Europe is concerned, the present crisis lies at the intersection of two major phenomena. The first is the extensive and uncontrolled financial movements which are divorced from the real economy. This is rather a world phenomenon. The second which is more particular to Europe is the problem of the euro currency, the conditions under which it was created and its management. Thus, it is not only the euro which is endangered but also the very existence of the European Union. The chronicle suggests that political decisions- which might be difficult and pricey, be taken to challenge nationalisms and short-term interests of certain countries of the Union. These decisions might imply that the economy be conceived structured within the framework of political governance. However, a political Europe cannot be thought about without the adhesion of citizens to the process of political participation. This adhesion itself requires that the citizens perceive that Europe as an entity has advantages for each one, in particular a project of which the means to realise it differ from the simple imperatives to submit to the uncontrolled global economic and financial competition which undermines human solidarity. The chronicle concludes with a brief ethical reflection calling on each state which is in a difficult situation to act responsibly, so too other states of the Union, and to work so as to build solidarity with other countries.

L’économie mondiale, qui repose pour une part sur des montages financiers opaques, est en difficulté, principalement pour ses grands acteurs traditionnels : États-Unis, Europe et Japon. Les pays émergents s’en tirent nettement mieux. Le premier grand ébranlement est venu des États-Unis, avec la faillite de Lehman Brothers en 2008 et la crise des subprimes. Actuellement, c’est l’Europe qui est au cœur du tourbillon et qui risque d’engendrer une nouvelle crise mondiale.

Des États en faillite ?

Il y a une relation évidente entre la crise présente et l’euro. L’euro est-il donc la cause de cette crise ? Pas exactement. Si l’Europe a pu sans trop de dommage faire face à la crise de 2008, c’est grâce à l’euro : sans lui, diverses monnaies nationales auraient subi des attaques spéculatives auxquelles elles n’auraient sans doute pas résisté. Mais alors d’où vient le problème aujourd’hui ?

 

La crise actuelle se situe à la convergence de deux phénomènes. Le premier est mondial : le développement démesuré et non contrôlé de la finance et des diverses bulles financières au détriment de l’économie réelle. Il faut cependant remarquer que l’Europe elle-même a largement contribué à la dérégulation financière…Le second phénomène est proprement européen, et il est lié aux conditions dans lesquelles l’euro a été créé et à la manière dont il continue à être géré.

La création et la gestion de l’euro

Le Traité de Rome, de 1957, institue la CEE, la Communauté économique européenne, qui deviendra successivement la Communauté européenne, puis l’Union européenne. Dès 1960, des négociations sont engagées pour créer une union économique et monétaire ; la décision en est prise en 1969. En 1971, Nixon supprime la convertibilité du dollar et de l’or, engendrant une grande instabilité des changes. Cette situation nouvelle et la crise pétrolière de 1973 freinent le processus européen. La Communauté européenne met alors en place le « serpent monétaire européen », qui réduit la fluctuation des monnaies européennes entre elles, tout premier pas vers une monnaie commune. En 1979, le Système monétaire européen (SME) est créé : il renforce les marges de fluctuation entre les monnaies nationales et institue l’ECU (European Count Unit, Unité de compte européenne), utilisé pour les transactions internationales intra-européennes. L’euro est créé au 1er janvier 1999 comme devise réelle, mais ce n’est qu’au 1er janvier 2002 que sont introduits les billets et les pièces de l’euro dans tous les pays qui adhèrent à cette monnaie[1].

L’institution de l’euro est dans la ligne du projet de grand marché unique. La logique des traités supposerait d’ailleurs que tous les pays membres de l’Union adoptent aussi l’euro. Il a été admis que l’Angleterre, la Suède et le Danemark en soient exempts. Mais tous les nouveaux pays se sont engagés à y adhérer dès qu’ils répondront aux conditions imposées pour cela.

 

Le traité de Maastricht, en 1992, a défini un certain nombre de critères de convergence (Pacte de stabilité et de croissance) aux pays membres de la zone euro : l’inflation de chaque pays ne peut dépasser de 1,5% celle des trois pays ayant les meilleurs résultats quant à la stabilité des prix; le déficit public ne peut dépasser 3% du PIB, et l’endettement public ne peut dépasser 60% du PIB. Pour ce dernier critère, il est admis que ce n’est pas une condition stricte de départ, mais que les pays, comme la Belgique[2], qui dépassent ce pourcentage doivent progressivement y tendre en réduisant leur dette. Ces critères très rigides ne tenaient cependant aucun compte des différences de développement économique entre les différents pays, ni des choix politiques différents : ce n’était pas les meilleures conditions pour la création d’une unique zone monétaire.

 

Dès 2002, des difficultés apparaissent : deux grands pays, fondateurs de l’euro, l’Allemagne puis la France ont un déficit public dépassant les 3% du PIB. Or c’est l’Allemagne qui avait imposé ces critères stricts ! Ces deux pays auraient dû être condamnés par la Commission européenne, mais le Conseil européen (qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement) change les règles, en permettant un assouplissement de leur application. Pratiquement, les gouvernements de ces pays refusent que l’instance européenne ait un contrôle réel sur leur budget et leurs comptes nationaux. Ce sursaut de dignité nationaliste prive de fait la Commission européenne de tout pouvoir de contrôle sur les autres États. Par ailleurs, si on pouvait peut-être accepter que les critères de convergence étaient trop rigides pour faire face à des situations momentanées de difficulté, et que donc un assouplissement pouvait être introduit, cela ne signifiait pas, pour autant, qu’on renonce pratiquement à tout contrôle. De plus, la perspective même des critères était trop étroite, en ce sens qu’elle n’envisageait que le budget national et l’endettement public, sans faire place à la somme des endettements privés.

La crise de la Grèce

Les problèmes structurels de la Grèce remontent à l’époque de son entrée dans l’Union européenne, en 1981. Le pays a été libéré de la dictature militaire des colonels en 1974. Des négociations sont immédiatement engagées pour l’adhésion à l’Union, et cela pour deux types de raisons. Une raison politique d’abord : il s’agit de renforcer la démocratie et d’empêcher pour l’avenir toute prise de pouvoir par l’armée ; mais il y a aussi une raison symbolique : la Grèce est au berceau de la culture européenne. Cela explique sans doute le fait qu’on n’a pas été très regardant sur les conditions politiques et économiques de cette adhésion. De nombreux problèmes concernant l’État de droit existaient : cadastre inexistant, administration inefficace et pléthorique, évasion fiscale gigantesque (la majeure partie de l’impôt n’était pas et n’est toujours pas payée par les contribuables…).

 

Plus tard, afin de répondre aux critères de Maastricht pour la participation à l’euro, la Grèce a masqué sa comptabilité nationale, faisant appel à la banque Goldman Sachs pour cette opération (cette banque a été très impliquée dans la crise des subprimes, et est poursuivie dans ce cadre par la Justice américaine).

En avril 2010, la Grèce n’est plus capable de faire face à ses obligations concernant le remboursement de sa dette publique et le paiement des intérêts de cette dette. Elle fait alors appel au FMI et à l’Union européenne : les pays de la zone euro font un prêt de 80 milliards d’euros et le FMI de 30 milliards, soit un total de 110 milliards, à des taux très favorables. En contrepartie, la Grèce est contrainte de prendre des mesures extrêmement rigoureuses d’austérité qui suscitent le mécontentement de la population. En parallèle, la zone euro crée un fonds de secours, le fonds de stabilisation, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) d’un montant de 440 milliards d’euros pour pouvoir faire face à des difficultés éventuelles du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie.

 

Mais dès le printemps de 2011, il apparaît que la Grèce ne pourra pas faire face à ses obligations : les réformes politiques nécessaires tardent à se mettre en place, l’austérité réduit encore davantage les maigres ressources fiscales, et en raison de la crise mondiale, les revenus du tourisme se sont effondrés, tandis que sur le marché financier les taux auxquels la Grèce peut obtenir des prêts ont explosé.

 

De grandes banques européennes, d’abord en Grèce, mais principalement en Allemagne et en France, ont dans leur portefeuille des montants très importants d’obligations grecques. Les États membres de la zone euro n’étant pas prêts à combler seuls ce déficit, des négociations très difficiles s’engagent avec les banques qui doivent finalement accepter (volontairement !) de dévaluer 50% de leur créances sur la Grèce, c’est-à-dire la part de la dette dont elles sont propriétaires, ce qui constitue pour elles une perte sèche (mais c’est aussi liée à leur imprudence, et leur risque serait de tout perdre). Globalement, même si les montants sont considérables, ceux-ci restent très modestes par rapport au portefeuille de ces banques : ce n’est donc pas dramatique, au sens où cela ne menace pas leur équilibre et ne risque pas de les conduire à la faillite.

 

Ce qui menace le système bancaire n’est pas la Grèce. Le problème est que par un jeu de dominos d’autres pays risquent d’être frappés par cette crise, c’est-à-dire par leur incapacité à tenir leurs engagements de remboursement de leur dette souveraine (somme de la dette externe et de la dette interne de l’État). Le Portugal a déjà dû être refinancé pour faire face à ses obligations. Mais ici encore les montants sont relativement restreints. Plus grave : l’Espagne et surtout l’Italie sont menacées, or ce sont des pays nettement plus grands (l’Italie est la troisième économie de la zone euro), et les montants en jeu sont incomparablement plus grands. C’est pourquoi, le fonds de secours est renforcé, et passe à un montant de 1.000 milliards d’euros.

Crise des dettes souveraines

Comment en est-on arrivé là ? On ne peut adresser aux trois pays les plus menacés à l’heure actuelle, – Portugal, Espagne, Italie, – les mêmes critiques qu’à la Grèce. Pourquoi sont-ils ainsi pris dans cette spirale de l’endettement ? La plupart des pays européens (sauf le Luxembourg et l’Estonie) ont fortement augmenté leur dette publique depuis le début de la crise de 2008, à la fois parce qu’ils ont dû sauver leur système bancaire et parce qu’ils ont cherché à amortir les conséquences de la crise pour l’ensemble de la population. Ils sont actuellement suffisamment solides pour faire face à leurs engagements, même si ceux-ci impliquent davantage d’austérité.

La participation à l’euro, un euro fort, a offert à tous les pays membres des conditions de crédit bon marché, à peu près alignés sur l’économie la plus forte, celle de l’Allemagne. Les États les moins performants économiquement, les pays du Sud, en ont profité pour beaucoup emprunter, faire face à leurs obligations internes de financement : salaires des fonctionnaires, sécurité sociale, infrastructures, etc., et ainsi relancer la consommation. La crise économique mondiale a pour effet une croissance molle, voire nulle par moments, en particulier en Europe. Mais en parallèle, le coût du pétrole et celui des matières premières et des produits agricoles ont fortement augmenté, ce qui engendre le cercle : baisse de la consommation, de la production des biens consommables, et donc des rentrées fiscales ; mais aussi et de ce fait augmentation du chômage, pression négative sur la consommation, etc.

 

Face au fait que les États sont endettés, il y a souvent deux réactions : d’abord, en s’endettant, on hypothèque l’avenir de la génération qui nous suit ;  puis, on fait la comparaison avec les familles : s’endetter, c’est vivre au-dessus de ses moyens. Pour les États, ces deux raisonnements ne sont pas tout à fait corrects. Tout dépend du type d’endettement, autrement dit au bien fondé du service de l’argent emprunté. S’il s’agit de véritables investissements dans la recherche, dans l’éducation, dans certaines infrastructures indispensables, l’avenir rapportera plus que ce qui a été emprunté et dépensé (il en va de même pour une entreprise qui investit judicieusement et pour cela peut être amenée à emprunter, ne fût-ce que par le capital détenu par ses actionnaires). Si par contre, il s’agit de combler un déficit des comptes courants, comme le paiement des fonctionnaires ou celui des factures des entreprises qui fournissent un certain nombre de services à l’État, l’argent emprunté s’évapore au fur et à mesure, et la dette ne cesse de s’alourdir, d’autant plus gravement que les intérêts à payer sont élevés, et ils le sont d’autant plus que le marché financier doute de la capacité de remboursement. Ce qui est le cas à l’heure actuelle.

 

Il est évident que dans une telle situation, on ne peut continuer ainsi : à un moment, c’est le cas de la Grèce, l’État est incapable de répondre à ses échéances de remboursement (intérêts et capital). Il est contraint à des réformes fondamentales, qui s’expriment dans l’austérité, – ce mot qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres des pouvoirs politiques. Mais cela ne suffit pas : la Grèce ne peut en sortir seule. Sans intervention externe de soutien, le marché financier coupe tout nouveau crédit, le système bancaire national s’effondre et engendre le chaos dans le pays. Cela renvoie à la question de la responsabilité et de la solidarité des autres États membres de la zone euro[3].

À l’heure actuelle une aide a déjà été apportée au Portugal et à l’Irlande (sans restructuration de la dette), en espérant que cela puisse suffire. Mais il faudra peut-être intervenir pour l’Italie et peut-être aussi pour l’Espagne, qui sont de beaucoup plus gros morceaux ! Et si c’était le cas, le fonds de secours serait encore insuffisant.

Le prix d’une politique non coopérative

L’Union européenne est née d’un projet de solidarité et de coopération, dans la conviction que le bien de tous, ou la recherche du bien commun, est un facteur qui finalement favorise le bien de chacune des partie prenantes : il en était ainsi à la fois de ce bien économique qu’était la production régulée du charbon et de l’acier et de ce bien politique qui était l’assurance d’une paix durable. Ce primat reconnu à un projet commun transfère une délégation de souveraineté à une autorité supranationale, de type communautaire.

 

Le levier de ce projet était économique (création de la Communauté économique européenne), dans le cadre d’une économie libérale capitaliste ouverte et d’un projet social-démocrate, d’économie sociale de marché. Dans ce cadre, plus tard, on inscrira un principe dans le traité européen, celui de la concurrence non faussée. Concept qui a été assez critiqué à gauche, reposait sur la conviction que la concurrence entre les entreprises favorise l’innovation et l’avantage des consommateurs, à la condition que ceux-ci soient protégés de toute entente entre les entreprises pour faire monter les prix et les bénéfices (c’est le caractère non faussé de la concurrence). La Commission européenne est le gendarme pointilleux et efficace de la mise en œuvre de ce principe. Le problème est que, depuis de nombreuses années déjà et sous l’impulsion principale de la Grande-Bretagne, s’est mis en place un autre système de concurrence : la concurrence entre les États dans le domaine de la fiscalité, des revenus et de la protection sociale[4]. C’est en fait une façon de fausser la concurrence, en substituant la concurrence entre les États à la coopération. Comme le fait remarquer Christian Saint-Étienne : « Il est crucial de comprendre que, si la concurrence sur les marchés de biens et services est souhaitable pour pousser les agents économiques à bien utiliser les ressources à leur disposition, la concurrence sur les normes fiscales et sociales est contraire aux fondements de la démocratie libérale et de l’économie de marché : la concurrence, pour être efficace, suppose que tous les acteurs opèrent avec les mêmes règles fiscales et sociales. Aux États-Unis, les principaux systèmes sociaux et fiscaux sont fédéraux et le pays est soumis aux mêmes règles pour le commerce ou la finance[5]. »

 

Ce jeu concurrentiel a des conséquences considérables : la baisse systématique de l’impôt sur le revenu des personnes et des entreprises a pour effet une baisse parallèle des recettes de l’État, avec une pression négative sur les salaires et sur la protection sociale. De ce fait, l’État ne dispose plus d’assez de ressources pour financer ses engagements et obligations dans tous les domaines, il est donc conduit à emprunter et à s’endetter, et ce d’autant plus qu’on est en situation de crise économique. L’endettement, avec les obligations de rembourser capital et intérêts diminue d’autant les ressources disponibles. C’est le cercle vicieux dans lequel sont enfermés nombre d’États européens à l’heure actuelle. D’où la crise des dettes souveraines, tout en remarquant que ce n’est pas l’unique facteur qui en est la cause.

L’Europe pourra-t-elle en sortir par le haut ?

À l’heure actuelle, c’est non seulement l’euro mais aussi l’Union Européenne elle-même qui sont menacés dans leur existence. Les conséquences de ce scénario seraient très négatives pour tous les pays et pour l’ensemble de la population européenne, outre le fait qu’il mettrait en crise le système financier mondial. Pour éviter cet éclatement, des décisions politiques difficiles et coûteuses doivent être prises, décisions qui vont à l’encontre des susceptibilités nationales et de la recherche de l’intérêt à court terme.

 

Le choc de la crise fait avancer positivement certaines idées. Actuellement, apparaît la nécessité de mettre en place une forme de gouvernance économique. C’est sans doute un premier pas nécessaire. Mais si on veut éviter que cela conduise à davantage de soumission à l’économie de marché dans tous les domaines, il faudra se donner les moyens, à la fois, d’une véritable gouvernance politique et d’un budget fédéral suffisamment significatif. Les États-Unis ne subsistent comme fédération que parce qu’ils disposent d’un budget fédéral très important.

 

Mais une Europe politique ne sera pas possible sans adhésion des citoyens et participation démocratique. L’adhésion des citoyens requiert qu’ils perçoivent que l’Europe leur apporte des avantages, et pas seulement des contraintes supplémentaires ; que l’Europe se présente avec un projet et des moyens qui soient autres que la soumission aux impératifs d’une mondialisation de concurrence économique et financière sans garde-fous et sans solidarité.

Brève réflexion éthique.

On peut regretter que le passé n’ait pas été différent, que les États membres de l’Union européenne aient résisté à tout projet d’une Europe vraiment politique de type fédéral. Mais les faits et les résultats sont là, et il ne sert à rien de se plaindre de ce manque de clairvoyance et de courage, ni d’accuser.

 

Que certains États membres soient au bord de la faillite est aussi un fait. Cette situation critique est due à des responsabilités partagées : responsabilité de chacun des États en difficulté, et plus particulièrement de leurs gouvernements et des différentes instances qui ont pesé plus ou moins fortement sur la politique menée par ceux-ci (entreprises, pouvoirs financiers, etc.) ; mais responsabilité aussi des autres États de l’Union, et plus particulièrement de la zone euro, pour avoir manqué de vigilance et de rigueur. Responsabilité plus globale de la dérive du projet européen qui a substitué l’intérêt national et la concurrence entre États à la coopération pour le bien de tous.

 

Cela étant, que faire aujourd’hui ? Que serait une politique tout à la fois possible et juste ? Qu’un effort particulier soit demandé aux pays défaillants, c’est une évidence ; qu’en même temps on fasse appel à la solidarité de la part des autres pays, c’est une nécessité. Mais jusqu’où ira l’effort des pays défaillants, c’est-à-dire jusqu’à quelles limites supporteront-ils l’austérité ? Et jusqu’où peut et doit aller la solidarité des autres ?

 

Il n’y a pas de réponse claire à ces questions, qui sont de fait très complexes, d’autant plus qu’il y a souvent une marge importante entre le souhaitable ou l’éthiquement nécessaire et le possible.

 

L’austérité est un effort qui, pour une part, s’impose aux États, mais elle n’est pas la solution, car sans relance de la croissance les déséquilibres vont s’aggraver. Encore faut-il s’interroger sur la qualité de cette croissance. Les défis fondamentaux de l’avenir (environnement, climat) imposent que la croissance soit pensée autrement. En attendant, les mesures d’austérité font reposer un poids très lourd sur les populations, poids très inégalement réparti, et au-delà de la limite du supportable pour certains.

 

Les États trop endettés sont étranglés. Les conséquences pour les secteurs les plus fragiles de la population sont dramatiques. Pour la Grèce, le journal médical Lancet lance un cri d’alarme. Explosion du chômage, très forte augmentation des suicides, hausse des homicides, de la prostitution faute de moyens de subsistance, et des cas de SIDA. De nombreux citoyens n’ont plus accès aux soins de santé… En Espagne les problèmes sont aussi visibles : la grande misère a sensiblement augmenté : actuellement, 21% de la population active est au chômage, 22% des foyers vivent sous le seuil officiel de pauvreté.

À partir de Madrid, puis Athènes et ensuite dans de nombreuses autres villes européennes, des milliers, parfois des dizaines de milliers d’indignés ont manifesté contre leurs gouvernements. Ces hommes et femmes réduits à la pauvreté ou à la grande précarité ont raison de protester. Ils sont les victimes de la malhonnêteté ou de l’imprudence des responsables politiques et économiques, et de la recherche insatiable de profit de financiers sans scrupules. Ils ont raison de protester, mais dans l’immédiat personne ne pourrait proposer une réponse politiquement et économiquement crédible à leur appel à la dignité.

 

Quel équilibre, nécessairement insatisfaisant, trouver entre le secours à apporter à un État comme la Grèce, afin d’assurer des conditions de vie dignes à la population, la reconnaissance de la responsabilité des Grecs, à des degrés et titres divers, et de leur gouvernement dans la situation présente, et les limites que les autres États, gouvernements et populations, ne sont pas prêts à dépasser dans la nécessaire solidarité ? L’Allemagne est l’État qui contribue le plus financièrement à l’Union. Massivement la population, qui a dû supporter des mesures d’austérité depuis des années, n’est pas prête à combler les trous du budget grec, compte tenu du fait que ce pays n’a pas tenu ses engagements et de plus a falsifié ses comptes. Si finalement, elle accepte de soutenir la Grèce, ce n’est pas par générosité et sens de la solidarité, mais parce qu’Angela Merkel est arrivée difficilement à faire comprendre au Parlement que c’est de l’intérêt de l’ensemble de l’Union et particulièrement de la zone euro, et l’intérêt bien compris de l’Allemagne. Mais de fait, la logique concurrentielle développée au cours des dernières années et le repli sur l’intérêt national n’ouvrent pas à une culture de solidarité. Il y a là un grave déficit du projet européen à l’heure actuelle.

 

Il faut espérer que l’urgence de la crise provoque un véritable sursaut politique, éthique et culturel.

 

 

 

 

 

 

 

 


[1]En 1999, onze pays sont membres de l’euro : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Finlande, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal ; depuis s’y sont ajoutés successivement : Grèce, Slovénie, Malte, Chypre, Slovaquie et Estonie. Il y a donc actuellement 17 membres.

[2]En 1990, la dette publique de la Belgique s’élevait à 130% du PIB ; en 2007, elle s’était réduite à 84,2%, mais depuis 2008, comme dans pratiquement tous les autres pays de la zone euro (sauf le Luxembourg et l’Estonie), elle n’a cessé de remonter, pour atteindre sans doute environ 100% pour 2011.

[3]On a parlé par moments d’une sortie de la Grèce de l’euro. Cette hypothèse est peu probable. Passer de l’euro à un retour de la drachme aurait d’abord un coût matériel énorme (confection de la monnaie, etc.). Cela entraînerait une dévaluation immédiate et très forte de la drachme par rapport à l’euro, et donc augmenterait sensible la dette extérieure libellée en euro. De plus du point de vue concurrentiel, la Grèce n’étant pas un pays exportateur industriel, la dévaluation n’apporterait rien de ce côté, mais augmenterait sensiblement le coût des importations. Seul sans doute, pendant un temps, le tourisme en profiterait et soulagerait un peu le coût de l’opération.

[4]Dans le contexte actuel de la mondialisation marquée par une concurrence féroce entre les États, l’Union européenne devrait pouvoir se situer dans cet environnement concurrentiel comme un acteur unique et solidaire… « Tout Royaume divisé contre lui-même court à la ruine », disait déjà l’Évangile (Mt 15,25), dans un tout autre contexte évidemment.

[5]Christian Saint-Etienne, « Pour une fédération monétaire européenne », Le Monde, 21.10.11.

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