SECURITE PUBLIQUE ET SECURITE PRIVEE AU BURUNDI: LE MONOPOLE DE LA VIOLENCE LEGITIME EN QUESTION

Abstract: 

This article shows the constitution of a private and a body guard society who have initiated and developed, in a fragile context, the public security apparatus in Burundi. This has generated conflict of State monopoly. Indeed, since the end of the Burundian civil war that was marked by the participation of the last rebel movement Palipehutu, FNL in the institutions and administration, there have been private security and body guard society proliferation. This has resulted in neoliberal services of marketing the initiation of security society that invaded Burundian security as it is equally noticed elsewhere in the world. Thus, there seems to be a link between the end of war that involves disarmament, Demobilization and Reintegration (DDR), and Security Sector Reform (SSR) as the main mechanisms to recover security after conflicts. Similarly, private security society would benefit services from former combatants as they supposedly reveal “competence” in security issues. Nevertheless, given that private security comes to support public security, yet reconstructed and operational on a legal basis, Burundian security privatization is to be questioned. Therefore, there is a need to deeply investigate the fundamentals of security privatization and body guard society in Burundi.

1.       Introduction

Lorsque prend fin un conflit interne, une série de questionnements relatifs au rétablissement et au maintien de la sécurité au sein des frontières d’un pays se posent: équilibre des forces armées, réintégration des combattants ou encore maîtrise du secteur de la sécurité de l'État qui se (re)construit. Depuis la fin de la guerre froide s’est progressivement imposé un modèle d’appui international spécifiquement destiné à soutenir les acteurs nationaux dans leur réponse à ces défis. Il repose sur ce qui est communément appelé aujourd’hui le processus Désarmement-Démobilisation-Réintégration (DDR) et la Réforme des Systèmes de Sécurité (RSS). Pour cette dernière, bien qu’un effort important d’harmonisation des vues soit consenti depuis plus d’une décennie, au-delà des critiques formulés sur les atouts et les faiblesses de son opérationnalisation (Sedra 2010), le Manuel de l’OCDE constitue un emblème de cette approche (OCDE 2007). En tant que pays sortant de conflit, le Burundi affronte ces défis. Par conséquent, il est devenu un important terrain de mise en œuvre de cette approche, en recevant le soutien de bailleurs bilatéraux et multilatéraux dans ces entreprises de DDR et RSS (Birantamije 2014). Parallèlement à la mise en œuvre de ces processus au Burundi, a été observé le développement de nombreuses sociétés de "gardiennage" aux origines, services et acteurs divers. Ces dernières, dont les activités et les enjeux s'y référant n'ont que peu été étudiés, aussi bien dans leur dynamique générale que dans le contexte spécifique du Burundi, requièrent néanmoins une attention certaine.

Notre intuition étant que l'émergence et le développement des activités de gardiennage, dans un contexte tel que celui du Burundi, peut amener à une division en deux configurations des systèmes de sécurité sur le territoire. Le premier serait formel et promu par le pouvoir auprès de la communauté internationale, qui y injecte ses normes, principes et financements, notamment au travers des réformes de l’armée et de police nationales burundaises. Le second serait informel et développé localement, par le pouvoir ou avec l’assentiment de celui-ci, à travers une privatisation de missions de sécurité publique échappant aux normes et principes internationaux promus.

Cette contribution qui se veut exploratoire d’un champ jusqu’ici peu ou pas exploité par les sciences sociales au Burundi. Elle a pour objectif premier d'effectuer un regard croisé entre les activités de DDR et RSS au Burundi et la prolifération d'acteurs dits des « sociétés privées de gardiennage ». Il est question d’identifier, dans le contexte spécifique du Burundi, les enjeux, risques et opportunités du développement de cette forme de privatisation de la sécurité, particulièrement au regard du "monopole de la violence légitime" qu’étudie le sociologue allemand Max Weber comme fondement du pouvoir de l’Etat. D’ores et déjà, l’hypothèse que nous soumettrons à l’analyse postule que la variable contextuelle joue un rôle crucial dans le développement de ces sociétés de gardiennage mais également dans les conséquencesrisques comme opportunitésque ces activités ont ou peuvent avoir sur la dynamique de reconstruction d'un Etat post-conflit tel que le Burundi.

Dans cette contribution à ce volume consacré aux questions de sécurité, nous montrons dans un premier temps le lien entre le DDR et la RSS en tant que mécanismes reconnus de reconstruction de l’Etat post-conflit. Dans un second temps nous montrons que dans le contexte burundais, la conduite de ces deux processus a entrainé la prolifération des sociétés de sécurité privées. Enfin, dans un dernier temps, nous dégageons l’impact de cette prolifération des sociétés de sécurité privées sur l’appréhension que peut avoir un Etat sur son monopole de la violence physique légitime. Sur le plan méthodologique, nous mobilisons d’emblée la technique de revue documentaire pour scruter les contours de la sécurité privée en lien avec le processus de DDR et RSS. Nous nous servons ensuite des entretiens réalisés en 2012 et 2015 respectivement avec les agents de la Direction en charge des compagnies privées de gardiennage au Ministère de la sécurité publique et certains responsables des Sociétés Privées de surveillance et de Gardiennage (SPSG) pour appuyer notre argumentation sur la remise en question du monopole de la violence légitime.

2.      Le gardiennage, un secteur sans enjeux?

Il est nécessaire, lorsqu’est abordée la question de la privatisation de la sécurité, de distinguer les différentes formes que prend ce phénomène et particulièrement d’expliciter l’avatar précis sur lequel porte la présente étude. En effet, la privatisation de fonctions liées à la sécurité concerne potentiellement une large variété de secteurs : activités de combat, de police, de renseignement, de conseil stratégique, d’escorte et de protection, de communication, de coordination des troupes, de détective, etc.Appréhender avec exactitude l’industrie de la sécurité privée telle que nous la connaissons aujourd’hui et distinguer ses différentes expressions présentent donc d’importants obstacles, voire relève d’une utopie de la recherche. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que, lorsque les contingences matérielles le leur permettent, les auteurs traitant de l’un ou l’autre aspect de la sécurité sous-traitée n’hésitent pas à introduire leur étude par un exercice taxinomique portant sur l’ensemble de la question de la privatisation de la sécurité, cherchant à distinguer tantôt le mercenariat des sociétés militaires privées, tantôt des sociétés de sécurité privées de compagnies de gardiennage (Kinsey 2006 :  8-33 ; Singer 2004 : 40-48 ; Avant 2005: 22-29).De ces typologies, le Burundi, terrain de notre analyse, est particulièrement concerné, par ce qui est généralement désigné sous le vocable de « Sociétés privées de Gardiennage et de Surveillance (SPGS) » selon la terminologie officielle (Décret n°100/186, 2013).

Reprenant ici les éléments de définition du manuel de la RSS publié par l'OCDE en 2007, les activités recouvertes par ces sociétés sont les suivantes: sécurité physique (banques, centres commerciaux, ressources) ; protection rapprochée (mission de garde du corps); intervention rapide; sécurité technique; services de surveillance; services d’enquête; évaluation et analyse des risques (OCDE 2007: 227 et ss.). Sur une échelle schématisant un classement de différentes formes de privatisation de la sécurité selon la capacité et la mise en œuvre d’une force armée (voir Figure 1), les compagnies de gardiennage pourraient être perçues à un bout du spectre accueillant le degré zéro de l’usage de la force, l’autre bout recouvrant les activités strictement offensives proposées par le mercenariat dans sa forme classique, et interdite par une série d’instruments internationaux (Biaumet 2011:100-103), ou encore proposées par des compagnies aujourd’hui défuntes comme Executive Outcomes (EO).

Description : Fig1

Figure 1 : Proposition de typologie des privatisations de la sécurité selon les capacités et la mise en œuvre de la force établie par Gilles Biaumet lors de notre première réflexion.

A première vue, les enjeux stratégiques portés par les sociétés de gardiennage peuvent donc sembler pauvres. De fait, l’abondante et riche littérature de ces dernières années sur la privatisation de la sécurité l’a essentiellement examiné en abordant les problématiques qu’elles soulèvent par leurs aspects les plus spectaculaires, incarnés par l’activité de sociétés privées proposant des services proches de l’action militaire offensive (Priest 2004). A contrario, l’activité de gardiennage commune est perçue comme peu problématique et est progressivement devenue partie prenante du quotidien de tout un chacun. Invariablement, les auteurs les plus critiques viennent appuyer cette perception de nombreux exemples, indiquant par exemple que ces sociétés agissent généralement hors de situations de conflit, dans un cadre législatif d’action précis et adapté aux spécificités des services proposés (Beese 2008: 14-16; Kinsey 2006: 28-29).

La variété du paysage de la sécurité privée, quelle que soit son incarnation, se reflète particulièrement dans les Etats présentant une situation de post-conflit ou de fragilité. Ainsi, à l’image des autres pays d’Afrique des Grands Lacs, le Burundi accueille différentes sociétés, que l’on peut regroupersuivant leurs activitéssous deux formes. D’une part, on retrouve sur le terrain des prestataires internationaux comme DynCorp (DynCorp International,2011) ou Bancroft Global Development, engagés par le Département d’Etat américain dans le cadre du programme Africa Contingency Operations Training Assistance (ACOTA) pour former, aux côtés d’officiers américains et français, les militaires burundais de la Force de Défense Nationale destinés à participer aux différents contingents burundais associés à l’AMISOM ou à la MINUSMA, ainsi que leur apporter un soutien logistique. D'autre part, on constate une forte présence des sociétés de gardiennage  et de surveillance qui s’est rapidement développée et fortement accélérée, et ce avant même la fin effective de la guerre civile en 2006. En comblant le déficit d’apport empirique qu’a subi cette forme de sécurité privée, le présent article entend cerner les enjeux, réels qu’elle présente (Cockayne 2006: 56).

3.      Signe avant-coureurs de la prolifération des acteurs non étatiques de sécurité dans l’immédiat post-conflit: DDR et RSS

 

Dans cette section, nous dressons un état des lieux des sociétés de gardiennage et de surveillance au Burundi. A cet effet, nous focalisons notre attention sur les processus de DDR et SSR comme facteurs de prolifération desdites sociétés et de la pensée néo-libérale de la sécurité, considérée désormais comme un bien marchand.

 

3.1.             DDR et RSS au Burundi, état des lieux

 

Depuis son indépendance le 1er juillet 1962, le Burundi a traversé de nombreuses périodes de violences, à caractère essentiellement ethno-politique. La détention du pouvoir par une armée majoritairement mono-ethnique parallèlement à diverses exclusions ethniques et régionales fut, pendant près de quatre décennies, l'une des causes majeures de ces crises. Pour remédier à ces violences cycliques, un processus de négociation inter-burundais a été engagé depuis 1998, sous la médiation des anciens présidents tanzanien – Julius Nyerere – et sud-africain – Nelson Mandela – et plus tard de Jacob Zuma, actuel président de la République Sud-Africaine. Le 28 août 2000, un Accord de paix et de réconciliation a été signé à Arusha en Tanzanie (Buyoya 2011). Les négociations et l’accord ont permis aux protagonistes de clarifier la nature du conflit, les causes et les acteurs ainsi que les mécanismes possibles de sortie. Parmi ces causes et acteurs identifiés, une forte importance a été accordée au secteur de la sécurité ; l’instrumentalisation des corps de sécurité et de défense ayant été au cœur de l’explosion et de la perpétuation des conflits burundais (Accord d’Arusha, 2000, protocole III, art.2, al.6). Par conséquent, l’Accord préconisait, entre autres, la réforme des corps de défense et de sécurité, des services de renseignement, de l’administration publique et du secteur de la justice. L’objectif intrinsèque étant de stabiliser le pays en dotant l’Etat d’institutions de défense et de sécurité bénéficiant d’un large consensus et d’une légitimité forte au sein des populations, afin d’éviter de futures sollicitations et instrumentalisations politiques de la force étatique (Birantamije, 2014, pp. 191-221 ; CENAP/Nindorera, 2007).

 

La mise en œuvre de l’accord s’est traduite par le recours à une série d’outils s’afférant à deux concepts majeurs de la littérature et pratique internationale : le processus de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion (DDR) et de Réforme des Systèmes de Sécurité (RSS), souvent envisagé dans un même et global programme  de développement de la sécurité (OCDE 2007: 112). L’Accord d’Arusha confirme cette tendance mais entretient une certaine confusion conceptuelle quant à ses références. En effet, alors que celui-ci définit la réforme des corps de défense et de sécurité au Burundi comme enjeu majeur – plus proche du concept de RSS, ses modalités se concentrent davantage sur les équilibres des rapports de force entre Hutu et Tutsi et les principaux groupes combattants - et par conséquent, in fine, au processus de DDRque sur l'architecture de la réforme des systèmes de sécurité́.

3.2.            Un processus de DDR en trompe l’œil 

La guerre civile ayant gonflé les effectifs, autant dans la force gouvernementale que dans les rangs des Partis et Mouvements Politiques Armés (PMPA), l’Accord d'Arusha rappelle que le passage des conflits à la paix (Remacle et al. 2009) exige une démobilisation dans les corps de défense et de sécurité, aussi bien chez les Forces Armées Burundaises (FAB) que les combattants des PMPA. Inscrits dans l’Accord d’Arusha, ce sont les paramètres des nouvelles forces de sécurité qui guidèrent le processus de DDR. Ainsi, le secteur de la sécurité devait respecter un équilibre ethnique 50/50 entre Hutu et Tutsi, un partage des postes de commandement entre ex-FAB (60%) et ex-PMPA (40%) et entreprendre une réduction massive des effectifs qui, pour répondre aux exigences des bailleurs, ne devaient dépasser 30.000 éléments pour l’armée et 15.000 éléments pour la police. Les ex-combattants ou militaires qui n’ont pas intégré les forces de défense et de sécurité devaient, quant à eux, être réinsérés dans la vie civile.

 

La poursuite des hostilités jusqu'en 2003 (voire en 2008) a néanmoins rendu difficile la mise en œuvre de l’Accord. Ce n’est en effet qu’à la signature des accords globaux de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition du Burundi et le principal mouvement politique armé, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), qu’un cadre organique chargé de mener une réflexion négociée sur le plan d’opérationnalisation du processus de DDR a été mis en place. Ainsi, le 3 février 2004, il fut produit un plan donnant les détails de toutes les opérations relatives au pré-désarmement, au désarmement, à la vérification des combattants, l’examen préalable aux fins d’intégration, les modalités de la création et gestion des centres de démobilisation, le désarmement et la démobilisation des FAB, des «Gardiens de la paix»[1], des militants combattants associées aux PMPA ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et de coordination (République du Burundi, 2004). L’ensemble des forces armées au Burundi était alors évalué à environ 80.000 combattants, 45.000 ex-FAB et 35.000 ex-PMPA (Boshoff 2006: 142). Le Plan prévoyait deux étapes. D’abord une phase de DDR dite «volontaire» d’une durée d’un an pour atteindre l’objectif d’une armée en deçà de 30.000 soldats et d’une police en deçà de 20.000 éléments. Devrait suivre ensuite une phase DDR supplémentaire de 2 à 4 ans pour réduire la structure du secteur de la sécurité burundais à une taille et un coût internationalement acceptable (Nimubona, et al. 2012: 139-159; Frey & Boshoff 2005: 44).

En dépit du long retard, et de façon surprenante, le processus de DDR s’est rapidement mis en place, le désarmement et la démobilisation ayant été réalisée en moins de six mois et le processus de réintégration entamé. Le processus de DDR s’est terminé en juin 2005, bien en avance sur les 4 ans prévus. Au départ problème épineux, la DDR est devenue un moteur de la transition qui a permis de stabiliser la situation en vue des élections (Boshoff 2006:135-136). Le gouvernement issu des élections de 2005 a ensuite entrepris des négociations avec le dernier mouvement rebelle encore en activité, le Parti pour la Libération du Peuple Hutu- Forces Nationales de Libération (PALIPEHUTU-FNL), débouchant sur              l’« Accord global de cessez-le-feu entre le gouvernement de la République du Burundi et le PALIPEHUTU-FNL en septembre 2006 et un arrêt complet des hostilités en 2008 auquel a fait suite un processus de DDR propre aux ex-combattants du mouvement. Suite au processus de DDR, au premier septembre 2010, le tableau des corps de défense et de sécurité se présente comme suit:

 

 

 

 

Tableau d’intégration a la FDN et  PNB par sexe 

AU 1er septembre 2010

CORPS

HOMMES

FEMMES

TOTAL

FDN

27087

128

27215

PNB

16514

486

17000

Source :Direction générale des Anciens combattants/ Direction générale

de la Police nationale du Burundi, septembre 2010

 

Le processus de DDR a permis à la classe dirigeante de réduire les effectifs des forces armées, de reconstituer une armée et une force de police nationales et de pacifier une grande partie du territoire national. Toutefois, trois éléments attirent notre attention.

Tout d’abord, le développement socio-économique est encore très faible et le pays reste l’un des plus pauvres au monde, laissant peu de perspectives professionnelles aux ex-combattants. Dès lors, étant donné que généralement le conflit structure les conditions matérielles de la pauvreté, la réintégration bute sur les conséquences de cette dernière. Au Burundi, cette situation a été renforcée par le fait que la Réintégration s'est très souvent limitée à un apport pécuniaire (18 mois de salaire pour les ex-combattants prenant part au premier processus de DDR et un fond de réinsertion de 600.000 Fbu). L’acquisition des compétences, la formation et l’orientation professionnelles n’ont pas eu une place majeure dans le processus.

Le deuxième élément a trait à la nature des démobilisés. En effet, lors du lancement du processus de DDR, la démobilisation n’a pas été faite seulement en privilégiant les volontaires, mais celle-ci fut également conduite sur base de la sélection. Celle-ci écartait les éléments handicapés ou invalides, les candidats âgés, les indisciplinés et ceux dont le niveau d’instruction était trop bas pour suivre une formation militaire et policière professionnalisante. La question posée ici est celle de la reconversion de toutes ces personnes en situation de fragilité. L’absence d’un travail sérieux de construction d’itinéraire de chaque démobilisé n’a pas permis une intégration sociale et professionnelle conséquente et a réduit l’appui à la réintégration à un processus de courtage par démultiplication des associations des anciens combattants et de prise en charge de ces derniers (Birantamije & Nzabampema 2013).

Enfin, l'absence de mise en place de mécanismes de justice transitionnelle au Burundi à ce jour, l'immunité provisoire dont jouissent les ex-combattants en vertu des différents accords de cessez-le-feu signés et le peu de soutien psychologique lors du processus de DDR posent la question du rapport à la violence que peuvent avoir ces ex-combattants lors de leur réintégration dans la société civile. La situation politique actuelle caractérisée par un intense surinvestissement dans les anciens combattants (journée du combattant, mobilisation des jeunes des partis politiques, mouvements d’auto-défense, etc.) atteste qu’au fond du processus DDR, il demeure encore un goût amer de l’inachevé.

3.3.             La RSS au Burundi, un processus inachevé?

Lorsque le concept de la Réforme du secteur ou des systèmes de sécurité (RSS) est mis en route par la communauté internationale depuis le célèbre discours de Clara Short en 1999 (Short 1999) et s’est disséminé à travers des documents reconnus,  tel le Manuel de l’OCDE sur la Réformes des systèmes de sécurité produit par et pour les intervenants sur terrain en 2007, la réforme de corps de défense et de sécurité au Burundi que d’aucuns considèrent par «snobisme» conceptuel comme la Réforme du secteur de Sécurité est déjà définie dans ses grandes lignes et suit son cours de mise en œuvre. Cependant, cela ne veut pas dire qu’aucun rapport n’existe entre les « deux RSS ». En effet, quand les négociations d’Arusha évoluent vers un accord en 1999, c’est à ce moment que le discours international sur le lien entre la sécurité et le développement se diffuse dans les arènes des acteurs de la coopération au développement dont personne n’ignore la part dans le financement des négociations de paix au Burundi. Et concrètement, si ce concept de RSS en soi n’entre dans l’ordre du discours au Burundi qu’en 2008 au terme d’un atelier organisé par l’OCDE afin de sensibiliser aussi bien les donateurs que les acteurs gouvernementaux pour éviter que les différents projets d’appui à la réforme des corps de défense et de sécurité ne s’écartent de la nouvelle ligne tracée par la communauté internationale, l’on ne pourrait nier son emprise dans la formulation de l’accord ( ICG 1999).

Certes, en comparaison à la RSS, version « ocedéenne », qui fonde sa philosophie sur trois grandes approches : la définition d’un cadre institutionnel clair qui met en place le système de sécurité, le renforcement de la gestion de ces institutions sécuritaires et la constitution des forces de sécurité compétentes, professionnelles et responsables devant les instances civiles (OCDE/CAD 2005), l’Accord d’Arusha en trace les contours mais s’écarte du débat de fond consistant à élaborer une stratégie pragmatique de réforme des systèmes de sécurité qui soit compatible à cette double transition sécuritaire et démocratique dans laquelle s’engageait le pays. Or c’est ce débat qui devrait être la trame de fond de la RSS telle que développée par la communauté internationale. Il y a lieu de dire que l’objectif de la réforme des corps de défense et de sécurité n’était pas la RSS. C’était le couronnement d’un deal politique ayant visé la recherche de l’arrêt des hostilités, le partage du pouvoir et le long processus de réconciliation nationale. Rien d’étonnant donc si les acteurs se soient beaucoup plus focalisés sur la seule dimension politique à savoir comment équilibrer ces forces pour les rendre compatibles à l’idéal de la sécurité pour tous (Accord d’Arusha, 2000, Protocole III), autrement dit, pour dissiper les peurs et les rancœurs fondées sur « les certitudes ethniques » (Chrétien & Mukuri 2002).

Dès lors, le schéma « ocedeén » consistant à prendre en compte tous les acteurs et toutes les institutions a été esquivé en donnant le primat aux seuls acteurs de sécurité étatique (l’armée, la police et, dans une moindre mesure, le secteur de renseignement et de la justice). L’essentiel du travail aura été de procéder à l’intégration dans ces corps de défense et de sécurité les anciens rebelles et à en démobiliser d’autres. Dès lors, d’une approche holistique développée par l’OCDE fondée sur la prise en compte des acteurs et institutions (étatiques et non étatiques) et le développement des mécanismes de contrôle (étatiques ou non étatiques), la réforme engagée au Burundi reste restreinte et segmentée. Ce qu’on qualifie de RSS au Burundi insiste sur le corps de l’armée et de la police si bien qu’il est devenu courant de parler de la réussite de la RSS au Burundi (Ball 2014) pour signifier la cohabitation sans «trop de heurts» des anciens belligérants qui ont intégré les deux corps observable jusqu’en 2015. La crise politique liée au troisième mandat du président Nkurunziza, contesté par les uns et accepté par les autres, a fait émerger les fissures au sein des appareils répressifs d’Etat (Benetti/Libération 2015; Vircoulon 2015; Wilén 2015).

En revanche, il y a peu de préoccupations sur les autres acteurs étatiques et non étatiques disposant, si ce n’est pas le monopole de la violence, tout au moins des capacités de nuisance et des susceptibilités d’être embarqués sur le terrain de la violence. C’est le cas des anciennes milices gouvernementales (Gardiens de la Paix), des milices des partis politiques, des démobilisés et des anciens combattants qui ont été «largués» dans un environnement politique post guerre civile sans la moindre idée de leur devenir politique et professionnel. Bien plus, la sécurité ne peut être garantie si les secteurs administratif et judiciaire ne sont pas efficaces et assainis. Or le passé burundais des corps de défense et de sécurité tout comme celui des anciens PMPA montre qu’ils ont commis des abus et crimes parce que le système général de fonctionnement de l’Etat restait construit sur l’impunité ou sur les connivences politiques ou ethniques. Bref, un fossé persiste toujours entre l’approche burundaise et l’approche de l’OCDE en matière de RSS si bien qu’à l’avenir, cela laisse penser à une revanche de tous ces « produits de la crise » pour concurrencer l’Etat dans son monopole sur la sécurité. L’exemple patent reste la reconversion des anciens combattants dans les systèmes de sécurité privée à l’instar des sociétés de gardiennage qui prolifèrent au Burundi.

4.      Vers la prolifération des sociétés de gardiennage au Burundi

Contrairement aux autres pays où les sociétés de gardiennage ont une histoire (Ocqueteau 1997:18 et ss; Perouse de Montclos 2008: 84 et ss; Kougniazondé 2010), elles apparaissent au Burundi dans un contexte d’ouverture politique cumulé de la naissance d’un besoin néolibéral de sécurité payée. A l’origine l’idée de créer des sociétés privées de gardiennage et surveillance (SPGS) n’est pas liée à l’existence d’un vacuum sécuritaire dont la sécurité privée viendrait combler (Van Outrive 1998, 11), ni de la volonté de l’Etat de libérer un espace considéré comme chasse gardée depuis la nuit des temps. Il s’agit plus de nouveaux enjeux dans le contrôle de l’ordre social (Ocqueteau 1986: 247-248). En effet, lorsque la première compagnie de gardiennage et de surveillance voit le jour en 1992[2], les Burundais ne sont pas habitués au système de gardiennage organisé et   « modernisé ». Pourtant des gardiens existent un peu partout dans les villes et les ménages fonctionnant comme de simple veilleur de jour ou  de nuit. Ce changement de logiques et de perceptions entourant le gardiennage a été petit à petit suivi d’un changement de mentalité. D’une activité considérée comme de l’apanage des vieux et analphabètes, elle s’est professionnalisée si bien qu’actuellement ce domaine embauche des jeunes des horizons divers et pour certains cas des lauréats des universités. De la ronde nocturne et du gardiennage diurne on se retrouve actuellement en phase avancée avec l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de communication comme la télésurveillance, le système d’alarme, la communication radio en onde courte, l’utilisation des satellites, etc. Bref, c’est ce domaine d’activité qui exige des compétences riches et variées allant au-delà de la simple résistance au sommeil dont les vieillards semblaient bien s’illustrer.

Le tableau ci-après indique le développement  des sociétés de gardiennage au Burundi. Ce tableau ne donne pas tous les détails, parce qu’ils ne sont pas facilement accessibles.

 

 

 

Nom de la Compagnie

Raison sociale

Représentant légal/PDG

Fonction antérieure/en cours

Siège sociale

1

Protection Surveillance Gardiennage « P.S.G »

Société commerciale

Col.Retr Eugène Sinzinkayo

Ancien colonel des FAB reconverti dans la sécurité privée après sa retraite (PDG)

Bujumbura, Boulevard de la Liberté

2

SGP

Société commerciale

Manassé Niyonkuru

Responsable

-

3

Securitas PIJP

Société commerciale

Benjamin 

Responsable

-

4

SAGAR

Société commerciale

Col. Rubuka

Responsable

Bujumbura, Quartier asiatique, Avenue des Usines n°19

5

Body Guard

Société commerciale

Chimène Giswaswa

Responsable

-

6

Compagnie générale de Gardiennage et de prévention (C2GP S.a)

Société commerciale

Pas connu[3]

Pas connu

-

7

Burundi Body Guard Security Company

Société commerciale

Ildephonse Rurimije

Responsable

 

-

 

8

Armée chrétienne du salut

Asbl

Fidèle Mbunde

Représentant Légal

Bujumbura

9

ANACO Puma Security

Asbl

A préciser

-

Bujumbura

10

Association Turwanyubusuma

Asbl

Christophe  Matata

Président de l’Association

Rumonge

11

AGIS

Société commerciale

IZERIMANA Eliane

Représentant

Bujumbura, Rohero II, Avenue Kunkiko, n°4

12

Les Vigiles Burundais

Société commerciale

Zahir Sameja

DG

Bujumbura, Quartier Asiatique, Avenue des Paysans

13

TORRES VB

Société commerciale

ZAHIR SAMEJA

DG

Bujumbura, Rohero I , Immeuble Oldeast

14

Sure Security company

Société commerciale

MUNWANGARI Emmanuel

Représentant

Bujumbura

15

RUKANGANTARE Security services

Société commerciale

Rhamadam

Représentant

Bujumbura, Rohero, Avenue Bututsi

16

Lion Security

Société commerciale

Claude

Représentant

-

17

SESECO s.a

Société commerciale

Col. Retr. Ndayizamye Bède

Représentant

Bujumbura, Quartier Rohero, Avenue Moso

18

Proximity Security Company

Société commerciale

KAYOYA Stany

Représentant

Bujumbura

19

Giraffe Security Company

Société commerciale

CITERETSE Béatrice

Représentante

-

20

Delta Security Company

Société commerciale

BANZIRA Mathieu

Représentant

Bujumbura

21

KK security –Burundi, filiale du Holiding KK Security

Société commerciale

 Patrick Barwendere

Directeur Général Burundi

Bujumbura, Rohero, Boulevard Patrice Lumumba

22

Extreme security s.a.

Société commerciale

Achille

Représentant

Bujumbura, Avenue de France, n°8

23

Omega Risk Solutions

Société commerciale

NDACAYISABA Thomas

Représentant

Bujumbura, Quartier Industriel

24

Top Security

Société commerciale

NIBURANYA Marc

Représentant

Ngozi

25

DUTERAME SECURITY

Société commerciale

SINZOYIBAGIRA Augustin

Représentant

Bujumbura

26

ABATERAMYI Engagés

Société commerciale

NSABIMANA Domine

Représentant

Bujumbura

27

PSBS GATE

Société commerciale

Jean Claude

Représentant

Bujumbura

28

GLOBAL PRIVATE SECURITY

Société commerciale

Bosco

Représentant

Bujumbura

29

Société Burundaise de Gardiennage (SBG)

Société commerciale

NDUWIMANA Claude

Représentant

Bujumbura, Quartier Kigobe, Avenue Rama

30

Alpha Security Company (ASEC)

Société commerciale

Abel Kagisye/Sindayigaya Fleury

PDG

Bujumbura, Avenue des Paysans, n°28

31

Safe Guard

Société commerciale

Etienne

Représentant

Bujumbura, Kigobe sud, Avenue Mugoti, n°31

32

City Security

Société commerciale

Gustave Barikore

Responsable

-

33

NISTEC

Société commerciale

Louis Tuburerwa

Responsable

-

34

Super D

Société commerciale

Col. Simbanduku

Ancien Col.des FAB, Responsable

-

35

PPL

Société commerciale

Stany Kayoya

Responsable

-

36

Sécurisante

Société commerciale

Antoine-Marie Buhungu

Responsable

-

Source: Tableau réalisé de nos propres soins sur base des données recueillies auprès de la Direction des sociétés de gardiennage, auprès des autres sociétés de gardiennage et sur base de l’observation dans les différents quartiers de Bujumbura.

Néanmoins, cette mutation accélérée pour rendre la sécurité de plus en plus un bien marchand n’a pas suivi le même rythme au niveau des structures étatiques en charge de contrôle de secteur de sécurité. Peu de changements ont été observés. Il a fallu attendre plus ou moins deux décennies pour voir un département en charge du suivi et du contrôle des sociétés de gardiennage mis en place et un décret présidentiel signé pour structurer ce domaine en croissance exponentielle. Aujourd’hui, même si de timides évolutions se font remarquées (Programme DSS/ BRESIDE consulting Inc, 2014), ces différentes compagnies travaillent sans cadre légal et institutionnel adéquats structurant une activité d’une ampleur aussi importante que la sécurité.

5.      Un cadre légal et institutionnel lacunaire...

Sur le plan de la législation internationale, plusieurs textes structurent sur divers aspects les actions et les activités des sociétés privées de sécurité, y compris les sociétés de gardiennage. Cependant, il s’agit beaucoup plus de textes qui ont un caractère général et qui ne visent pas spécifiquement les SPGS[4]. Les instruments internationaux ne peuvent être efficaces qu’une fois intégrés dans la législation interne. Le système de veilleur qui va se moderniser pour évoluer vers le gardiennage, la surveillance et la protection n’est pas codifié comme un système appelé à jouer le rôle social dévolu aux agents de sécurité, en l’occurrence la police. Pourtant, le fonctionnement et les attributs de ces sociétés sont le prototype du système de la police (tenue les identifiant, communication radio, motorisation avec sirène et faisceau lumineux, etc.). Les SPGS, ci-haut identifiées, sont organisées et contrôlées de manière subjective et aléatoire.

Au sein du ministère de la sécurité publique, seul le Décret présidentiel de 2013 tente de structurer les normes, mais demeure lacunaire. Les lacunes qui peuvent être relevées se situent à cinq niveaux. Premièrement, ce décret ne donne pas de précision sur les activités et les moyens qui sont interdits pour chaque SPGS avant l’agrément, ce qui veut signifier que l’analyse des dossiers est soumise à la discrétion de l’autorité de tutelle, c’est-à-dire le Département en charge des SPGS. Deuxièmement, ce décret alors qu’il institue la formation obligatoire pour commencer les prestations dans ce secteur, il ne donne aucune précision sur le programme type de formation ni sur la qualité des formateurs, ce qui donne l’impression que les formations sont soumises au bon vouloir du chef d’entreprise. Dans un troisième temps, il faut noter dans l’esprit de ce décret, l’absence des mécanismes de recrutement des agents, c’est-à-dire les aspects de moralité, d’intégrité et d’aptitude professionnelle. L’absence de ces mécanismes ouvre la voie au recrutement des délinquants de tout acabit. En quatrième lieu, il faut souligner que le texte de ce décret ne prévoit pas de dispositions devant faire objet de nouveaux textes d’application. Pourtant force est de constater que certains aspects tels les procédures d’agrément, la définition des équipements à utiliser, l’utilisation des informations recueillies notamment dans le cas de la vidéo-surveillance ou encore les limites de l’usage de la force ne font pas objet d’élucidation alors qu’ils se trouvent être au cœur du fonctionnement de ces sociétés de sécurité. Cinquièmement enfin, les mécanismes de coordination et de contrôle demeurent imprécis. Il n’est pas assez clair de pouvoir mieux identifier la provenance des contrôleurs, la compétence matérielle et territoriale, pas plus d’ailleurs les indicateurs permettant d’asseoir un contrôle objectif des SPGS (Programme DSS/ BRESIDE consulting Inc. 2014:19-26).

6.      ...qui fait émerger plusieurs types de SPGS

 

La grande conséquence reste le non-respect du cadre juridique des SPGS. Le décret susmentionné les définit comme étant des sociétés commerciales devant être régies par le code de commerce, en plus de ce décret. Le but de ces sociétés de gardiennage est purement lucratif. Mais faute de contrôle adéquat des services de police, d’autres SPGS se forment dans la méfiance de ce décret et jouissent surtout du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative ou policière. Il s’agit des sociétés de gardiennage fonctionnant comme des associations sans but lucratif ‘A.s.b.l.’[5]. A la différence des premières, celles-ci ne sont pas formées pour vendre les services de sécurité en vue d’un objectif lucratif, mais poursuivent d’autres objectifs sociaux. Les fonds collectés au terme de leur prestation devant servir à poursuivre les objectifs de l’association. Elles sont donc exemptées de l’impôt et autres taxes auxquels sont soumises les sociétés commerciales.

La troisième catégorie comprend des sociétés de gardiennage qui sont apparues à partir de 2008 et qui semblent relever d’un affairisme pur et dur. En effet, ces sociétés de gardiennage sont formées pour rafler un marché quelconque et sont liées aux hauts cadres de l’administration publique et politique. Leur spécificité est qu’elles fonctionnent en dehors de l’un des deux cadres légaux en vigueur, et bien plus, ne s’inquiètent en aucune façon de leur illégalité parce que protégées par les hauts cadres de l’administration du pays. Même le faible regard dissuasif du tout récent département des sociétés de gardiennage semble caduc au regard des calibres de leurs responsables[6]. A ce niveau nous osons espérer que l’application de décret permettra de mettre de l’ordre.

La quatrième catégorie de ces sociétés est un cas particulier des sociétés de gardiennage établies dans les plantations des palmerais d’huile à Rumonge au sud du pays. La première particularité de cette catégorie est d’être composée d’anciens gardiens de la paix et d’anciens démobilisés des partis et mouvements politiques armés. Formés pour faire face aux bandits dans les palmerais, ces sociétés de gardiennage sont légitimes aux yeux des populations et reconnues légalement au niveau de la commune sous forme d’associations locales sans que la loi permette que des sociétés de gardiennage puisse avoir l’autorisation de fonctionner au niveau des collectivités locales. L’autre particularité significative se voit au niveau du rapport avec les acteurs étatiques de sécurité. En effet, contrairement aux autres sociétés de gardiennage qui n’entretiennent ou entretiennent peu de relations avec la police et les autres forces de sécurité, sauf dans des circonstances précisées par le décret, cette  compagnie œuvrant dans les palmerais est en étroite liaison avec les forces de police et de l’armée stationnées dans cette circonscription via le réseau téléphonique. Cela ne veut pas dire qu’il y a un partage de responsabilité stricto sensu, mais il y a lieu de postuler une reconnaissance tacite qu’ils sont des collaborateurs. Un phénomène qui s’expliquerait, à en croire, un agent de la direction des sociétés de gardiennage, par le fait que certains militaires et policiers sont aussi des propriétaires de plantations de palmerais[7]. Ce modèle a fait objet de réflexion pour une éventuelle généralisation du travail des sociétés de gardiennage surtout dans cette approche interactive pour le moins présente dans la loi régissant les SPGS[8].

Enfin, la dernière catégorie a été observée surtout au moment des tensions profondes en Mairie de Bujumbura. Il s’agit d’une démarche proactive qui pourrait s’inscrire dans la logique des «voisins vigilants » (Hufington Post/ AFP 2013) et qui consiste en l’organisation des habitants du quartier pour contrôler le va-et-vient des habitants et/ou des populations pendant la nuit pour en déceler les sources éventuelles de déstabilisation du quartier. Mais  au fond, cela veut dire que les habitants du quartier ont déjà identifié une déficience au niveau des corps de sécurité et prennent la latitude d’œuvrer eux-mêmes à leur propre sécurité. Ce phénomène a été observé durant toute la période de la guerre civile dans le quartier français de Bujumbura. En 2014, consécutivement aux rumeurs d’attaques de miliciens en entrainement au Congo, la pratique s’est généralisée jusqu’à susciter une décision du Ministère de la sécurité publique qui y voyait la perte de son monopole sur la sécurité. Pratiquement, pendant la nuit, les habitants érigent des barrières à l’entrée et à la sortie de leur quartier et effectuent des rondes nocturnes. N’entrent et ne sortent que les gens qui sont identifiés comme habitants. Or, si ces rondes nocturnes (ou patrouilles) ont pour but d’appréhender des criminels ou de dissuader ceux qui veulent troubler la tranquillité du quartier, c’est la liberté de mouvement constitutionnellement reconnue pour tout citoyen burundais qui était remis en cause. Soulignons que même les forces de police devraient justifier leur présence dans ces quartiers. Ces gardiens sont comme une milice de quartier payée par les habitants de ce quartier. Cette « milice » n’est régie par aucun texte légal mais reconnue par tous les habitants du quartier, voire par l’administration locale dénotant une véritable remise en question du monopole de la violence légitime  par nature détenue par les corps de sécurité.

7.      Conclusion: Le monopole étatique de la violence physique légitime en question?

Le Burundi se veut un Etat moderne. Toutes les tentatives de réforme, à l’instar de la RSS, visent à le rendre plus moderne. Dans son ouvrage Economie et société, le sociologue allemand Max Weber définit l’Etat moderne comme un groupement de domination de type institutionnel qui s’est efforcé et à réussi à monopoliser à l’intérieur de son territoire la violence physique légitime comme moyen de domination. A cette fin, l’Etat s’est doté des structures et des ressources pour susciter la croyance des individus dans la légitimité de la violence qu’il exerce, en vertu des valeurs comme l’intérêt général, le bien public, etc. L’Etat ne peut donc favoriser l’émergence d’une force sécuritaire privée qu’à ses dépens d’autant plus que les agents de la violence légitime se doivent d’être de son ressort direct, sans quoi le risque est trop grand que les intérêts particuliers prennent le dessus sur l’intérêt général, et partant mènent à la création des espaces non contrôlables par l’Etat mais investis par les citoyens à l’aune de leur pouvoir d’achat. La sécurité privée considérée comme une réponse à la situation de post-conflit qui pousse dans la plupart des cas au délitement des services publics, augmente le potentiel de remise en question de ce monopole légitime sur la violence physique en acceptant des rivaux dans le domaine du maintien de l’ordre et de la sécurité. Au Burundi, il y a quelques décennies, se payer un veilleur de nuit était perçu comme un luxe inouï. Actuellement toute personne qui en a les moyens cherche des gardiens, des policiers privés ou des policiers publics privatisés. Consécutivement à la fin de la guerre civile, toutes les réformes tendaient à renforcer le secteur de la sécurité pour en permettre un accès en tant que bien public par excellence.

Ce travail sur l’état des lieux des sociétés  privées de sécurité( ou mieux de gardiennage) au Burundi  montre plutôt que, contrairement aux autres pays, où le minimum sécuritaire est déjà assuré aux citoyens et pour lesquels la sécurité privée vient pour compléter les acquis au risque d’être considérée comme un besoin de luxe et d’estime au sens maslowien du terme, au Burundi la sécurité privée se revendique au regard des défaillances des acteurs publics de sécurité. Si les sociétés de gardiennage peuvent certes moins contrer la violence armée, elles ne jouent pas moins un rôle de dissuasion. Par ailleurs, si l’Etat commence à recourir à ces genres de société pour garder et surveiller ses édifices parfois en contigüité avec ses propres forces de sécurité, ce n’est pas moins une situation de «défiance institutionnalisée » de ses forces, si les logiques ne sont pas à situer dans le champ du lucratif comme cela se laisse voir avec le calibre des actionnaires de ces sociétés. Ce qui reste vraisemblable est que la sécurité en tant que mission de l’Etat est de plus en plus segmentée sans que les parts de cette mission soient suffisamment mieux identifiées. Par rapport à l’esprit de la réforme du secteur de sécurité, ce chevauchement entre le public et le privé, n’est pas moins un risque « mortel » pour les nouveaux corps de défense et de sécurité dont la reconversion dans le privé tout en gardant intact le cordon ombilical avec le public pourrait conduire à la fabrication des compagnies qui ne sont pas loin des milices privées. À la conjonction de ces configurations se pose d'importantes questions liées à la légitimité du monopole de la violence qu’a l’État burundais sur son territoire et, par conséquent, celle de la responsabilité de chacun des acteurs – bailleurs et partenaires – dans l’avènement d’un modèle dont les conséquences échappent aux uns et sont instrumentalisées par les autres, le tout dans un contexte où la force étatique a été au cœur de l’explosion et de la perpétuation des conflits antérieurs. Par ailleurs, dans un pays où les armes légères circulent librement et dont les acteurs de sécurité contrôlent mal leurs stocks d’armement, une telle situation ne risque-t-elle pas de susciter de nouvelles rébellions contre l’Etat? La mutation de la sécurité publique à la sécurité privée reste inachevée et ces différents questionnements sont à approfondir.

 


[1] Les gardiens de la paix et les militants combattants restent considérés comme des milices respectives du gouvernement et des Partis et mouvements politiques armés (PMPA).

[2] C’est la compagnie « Protection Surveillance Gardiennage-PSG » créée par un ancien Colonel de l’armée burundaise mis à la retraite. Ce qui semble frappant c’est le fait que cette compagnie existe avant la loi de 1996 portant sur le Code des sociétés publiques et privées. Autant dire qu’elle a fonctionné dans l’illégalité pendant quatre ans.

[3]Les responsables ne sont pas connus parce que depuis que l’opinion publique s’est posée la question de la légalité de créer des sociétés privées sur des matières relevant des responsabilités publiques dont sont investies certains membres de cette compagnie, il semblerait qu’ils ont opté de travailler dans l’informel.

[4] Il y a lieu de citer à titre d’exemple la Résolution 21/1 des Nations Unies sur le renforcement de la surveillance étatique des services de sécurité privée civile et la contribution de ces services à la prévention du crime et à la sécurité collective; la Convention internationale du 4 décembre 1989 contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires ; le Convention de l’OUA du 31 juillet 1977 sur l’élimination du mercenariat ; le Code de conduite international des entreprises de sécurité privée, etc.

[5] C’est le cas notamment de la compagnie de gardiennage «Armée du Salut» constituée des ex-enfants de la rue et qui garde les parkings en Mairie de Bujumbura, de l’Association nationale des anciens combattants Puma security « ANACO Puma Security»,  de l’Association des Rabatteurs du Burundi  qui s’occupe de l’ordre et la sécurité dans les gares routières disséminées dans toutes les provinces.

[6] Il s’agit des sociétés comme PIJP et Burundi Body Security qui ne sont pas enregistrés (d’après la responsable du département des sociétés de gardiennage) mais qui ont des agents œuvrant (ou ayant œuvré) pour la multinationale SOGEASATOM et la Société sucrière du Moso et dans les stations d’exploration des gisements du Nickel à l’Est du pays. D’autres sociétés à l’instar de la Compagnie générale de gardiennage et de prévention ‘C2GP S.a (enregistrée dans le bulletin officiel du Burundi  BOB n°11/2009) ont été décriées par l’opinion publique parce que la composition des actionnaires faisait mention des hautes autorités du pays constitutionnellement soumis au régime des incompatibilités.

[7] Entretien de l’auteur avec un agent de la Direction des sociétés de gardiennage, Bujumbura, février 2012.

[8] Ce modèle de Rumonge a fait objet de réflexion quant à une éventuelle transposition dans les autres communes dans le cadre de la police de proximité, mais la question pendante reste ce point de ralliement que constitue les plantations de palmerais et qu’on ne retrouve pas ailleurs.

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