McGlory T Speckman 2007. A Biblical Vision for Africa’s development. Pietermaritzburg: Cluster Publications

Le titre du livre de Spec  kman peut paraître étonnant pour certains. Ainsi avant d’entrer dans le vif du sujet, l’auteur justifie d’abord le titre de son œuvre. En premier lieu, il y a le besoin d’établir une base biblique pour légitimer l’implication de l’Eglise dans le développement. Le développement, nous dit Speckman, est une préoccupation œcuménique mondiale.

 

En deuxième lieu, la bible joue un rôle central dans la vie de la majorité des Africains ; et il y a un recoupement entre les cultures africaines et la culture juive telle qu’elle est décrite dans la bible.

 

En troisième lieu, les chrétiens croient qu’une perspective religieuse doit être prépondérante dans tous les aspects de l’être humain, particulièrement l’effort d’améliorer la vie humaine et ceci pour deux raisons. Théologiquement nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Donc, le développement veut dire que nous devons participer à la créationMais aussi se développer se situe dans la perspective de rechercher la perfection de Dieu dans sa société. Sociologiquement, la religion crée un univers symbolique qui légitime certaines structures terrestres  et offre aux peuples le sens et la volonté de vivre.

 

Ayant justifié le choix de son titre, Speckman développe une double thèse.  La première est que le pouvoir de vaincre la pauvreté et la dépendance (en Afrique) réside au-dedans des individus et des communautésCe lieu d’où l’on puise le pouvoir de vaincre, je l’appelle toujours l’élan spirituel. La seconde thèse est que la création des conditions qui permettent de libérer le potentiel qui nous vient de Dieu doit déboucher à la transformation des structures sociales et au développement de communautés sous-développées.

 

Pour élaborer sur cette double thèse, Speckman subdivise son œuvre en 10 chapitres suivis d’une conclusion. Le premier chapitre est une critique de la pratique de l’aide internationale qui crée des mendiants et l’esprit de dépendance des pays en développement. Il soutient que la mendicité et la dépendance produisent des effets qui phagocytent l’âme œuvrante d’un peuple. Car, dit-il,  « Quand une nation sacrifie son identité à l’autel de l’aide internationale, elle perd son âme » (p.19).

 

Dans les chapitres 2 et 3 Speckman élabore son argument pour le modèle anthropocentrique du développement, ou un développement centré sur l’homme qu’il définie dans les mots de Korten et dans la perspective du Populorum Progressio de Pape Paul VI « un processus par lequel les membres d’une société accroissent les capacités personnelles et institutionnelles pour mobiliser et gérer les ressources en vue d’améliorer la qualité de la vie qui soit compatible avec leurs aspirations » (p 25, cf. p.27). Cet argument lui permet de plaider pour le paradigme du développement contextuel. 

 

Dans les chapitres 4, 5 Speckman analyse les miracles de guérison ainsi que leurs fonctions dans l’Eglise primitive. I argueque les miracles de guérison remplissent un triple objectif lié au développement à savoir l’authentification ou la confirmation de l’identité de celui qui les opèrent, la libération et la transformation (physique, spirituelle et sociale) du bénéficiaire.

 

Les chapitres 6 et 7 sont une étude comparative de la mendicité dans la société gréco-romaine et le contexte judéo-chrétien.  Pour Speckman, la mendicité nous informe sur les systèmes et les structures sociales. Dans la société gréco-romaine, les mendiants étaient perçus comme une menace sociale et ainsi trouvaient peu ou pas de sympathie. Au contraire, dans la société juive -et plus tard dans les milieux chrétiens- la mendicité était entretenue pour des raisons religieuses. Donner l’aumône aux nécessiteux était comme donner à Dieu. Ces différentes réactions montrent que dans les deux types de société, la mendicité était présente.

 

Contre cet arrière plan Speckman souligne quatre catégories de mendiants. La première catégorie est celle des mendiants structurels. Elle est la conséquence des conditions socio-économiques et les structures sociales défavorables. La deuxième catégorie est celle des « moira ». Il s’agit des gens qui, à un certain moment étaient riches ou sur la route d’être riches, mais dont le destin a mal tourné au point qu’ils ont perdu leur statut social. La troisième catégorie est celle des handicapés physiques, des gens qui ne pouvaient pas survivre sans faire appel à la sympathie publique. Les miracles de Jésus visaient particulièrement cette catégorie. Ils voulaient en fait montrer le lien entre la mendicité et la condition physique et sociale du mendiant d’une part, et faire voir comment la bonne nouvelle de Jésus pouvait transformer une telle situation d’autre part.

 

La quatrième catégorie est celle des mendiants volontaires ou des mendiants philosophes.  Ce sont des gens qui choisissent volontairement la mendicité et une vie de pauvreté en abandonnant toutes richesses matérielles. Par exemple les cyniques! Leur objectif était de transformer l’attitude de la société vis-à-vis de la richesse et des pauvres.

 

Speckman argue que l’attitude chrétienne vis-à-vis de la mendicité dépasse celle du Judaïsme et celle des mendiants volontaires. Par rapport au Judaïsme, les chrétiens suggéraient la redistribution de la richesse plutôt que le simple don de l’aumône. Jésus ne s’intéressait pas tellement à donner de l’aumône aux mendiants, plutôt il les transformait pour qu’ils puissent survivre par eux-mêmes. Par rapport aux mendiants volontaires, le christianisme visait non pas seulement l’attitude de la société vis-à-vis de la richesse et des pauvres, mais surtout le changement du contexte de la mendicité en plus de la transformation des conditions du mendiant. C’est ici que l’Eglise doit faire la différence quand il s’agit du développement: référer un peuple à son élan spirituel qu’il hérite de Dieu de la création de l’homme.

 

Les chapitres 8 à 10 sont une lecture et esquisse exégétique de Ac 3 :1-10. Il s’agit de l’histoire de l’infirme qui mendiait à la porte du temple et qui a été guéri par Pierre. Speckman ne parle pas de miracle de guérison mais plutôt du miracle de transformation. Il souligne le potentiel que les textes bibliques peuvent avoir pour la transformation sociale. L’infirme dont il est question a passé sa vie de dépendance socio-économique à la participation dans la vie publique. Il entre avec Pierre et Jean dans le temple. Le temple lui-même symbolise une structure bureaucratique. Or le développement ne peut fleurir dans des structures bureaucratiques où le pouvoir est centralisé. L’infirme a donc passé de la vie de la mendicité à la porte  et de celle-ci à la vie d’une personne indépendantequi participe dans la vie de sa communauté. Le point de Speckman est qu’Ac 3 :1-10 est une construction d’une nouvelle réalité pour les gens qui se trouvent dans une situation du sous-développement et de la marginalisation économique.

 

Pour conclure Speckman souligne cinq principes d’un modèle biblique du développement. Le premier principe est celui du catalyseur. Le catalyseur est une personne ou quelque chose qui précipite le changement. Les deux apôtres, Pierre et Jean ont servi de catalyseur dans la vie de l’infirme dont

parle Ac 3.

 

Le deuxième principe est celui de la mobilisation communautaire. La transformation de la vie de l’infirme dans Ac3 a ouvert les yeux de la première communauté chrétienne pour voir les maux dont ils étaient malades. La vie des chrétiens de Luc était minée par les structures sociales tout comme la vie de l’infirme était réduite par sa condition physique.  Il s’agit de donner aux gens ordinaires ce que Korten appelle le « pouvoir de négocier » (bargaining power) et l’énergie sociale qui puissent élargir les bases de leur développement.

 

Le troisième principe est celui d’une attitude correcte : l’infirme attendait à ce que Pierre et Jean lui donnent l’aumône comme les autres qui vont au temple, si bien qu’il aurait pu ignorer ou refuser leur instruction. Mais il a choisi de coopérer. Cette attitude positive et la volonté de suivre les instructions des apôtres a facilité le processus de sa transformation. En d’autres termes, le développement doit avoir l’homme comme alpha et oméga, car il en est le créateur.

 

 Le quatrième principe est le cadre des valeurs. L’église naissante avait privilégié un certain cadre de valeurs sociales - telles que le travail, le partage, l’honnêteté, expression libre  pour ne pas dévier de leur vision. La valeur du travail, par exemple, est perceptible dans la guérison de l’infirme. En le guérissant, Pierre et Jean ont communiqué à l’infirme cette valeur. Désormais, il est en position de travailler en vue de se nourrir et de nourrir sa famille.

 

Enfin, le 5ème principe est celui du changement des mentalités. Ac 3 :11-26 montre que la mentalité juive avait besoin d’être transformée. L’esprit réactionnaire et défensif au nom du judaïsme devait changer. Les gens sont positifs vis-à-vis des apôtres et leur enseignement. Les Africains ont tendance à se plaindre de la souffrance et de la pauvreté,  mais ont peur  de les affronter avec détermination ; ce qui pourrait transformer leur condition d’existence.

 

Que dire de l’œuvre de Speckman. Trois choses. En premier lieu, Speckman défend sa double thèse avec cohérence et consistance. Le lecteur est continuellement séduit par la clarté, la pertinence et la profondeur des arguments donnés ainsi que le réalisme de l’auteur.

 

En deuxième lieu, il faut noter l’originalité de son œuvre. Speckman fait un effort pour sortir de l’usage ordinaire de la bible et d’une foi entretenue par dévotion. Il montre que la bible est un véritable instrument pour libérer le développement socioéconomique. L’implication est que les (chrétiens) africains sont invités à lire la bible contextuellement pour découvrir le potentiel que Dieu leur a donné pour s’auto-développer au lieu de dépendre des modèles de développement et de l’aide venus d’ailleurs. Ainsi pour redécouvrir son élan spirituel, libérer l’énergie sociale, et (se) transformer en vue de sortir de la dépendance, Speckman nous invite à lire et relire la bible.

 

En troisième lieu, l’œuvre de Speckman se situe dans la recherche des alternatives de développement. Il essaie de répondre à la question suivante : comment envisager  le développement initié par le peuple et pour le peuple ? En d’autres dermes, que faut-il faire pour que l’Africain devienne l’agent créateur de son propre développement ?

 

Il tente de donner une réponse en nous dévoilant le message codé de l’histoire du mendiant dans Ac 3 :1-10 contre l’arrière plan du livre de David Korten à savoir Getting to the 21st Century: Voluntary Action and the global agenda (1990) qui est une réflexion sur le développement communautaire, participatif. La participation en général et la participation au développement en particulier ont une importance morale puisqu’elles mettent en évidence le degré d’intégration dans la communauté.

 

Pour que cette participation soit possible, l’individu doit avoirdes capabilités (au sens d’Amartya Sen) telles que la santé,  son intégration au sein de la communauté, sa présence parmi les autres membres de la communauté sans honte (le mendiant pouvait regarder en face les apôtres), sa formation et son information (désormais le mendiant avait accès à la parole annoncée par les apôtres au temple), sa prise en charge alimentaire (désormais le mendiant avait accès au corps et au sang du Christ).

 

C’est sur ces deux éléments que je recommande le livre de Speckman non pas seulement aux théologiens du développement, mais aussi aux leaders des églises et des sociétés à différents niveaux et surtout à ceux qui se préparent à assumer le rôle de leadership.

 

Symphorien Ntibagirirwa

Université de Pretoria

Domaine: 

Français

Revue Ethique et Société
Fraternité St. Dominique
B.P : 2960 Bujumbura, Burundi

Tél: +257 22 22 6956
Cell: +250 78 639 5583; +257 79 944 690
e-mail : info@res.bi
site web: www.res.bi

 

Fraternité Saint Dominique de Bujumbura

Nous, Dominicains du Burundi sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de...

Lire la Suite

Couvent Saint Dominique de Kigali

Nous, Dominicains du Rwanda sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de

Lire la Suite