LA FAMILLE, MARIAGE ET SEXUALITÉ ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

Abstract: 

This article, usually a chronicle, is more than a chronicle this time. Indeed, today, within the European context, the traditional concept of family, sexuality and marriage is undergoing mutations and disruptions. s Thus, the chronicler, with a bird’s view the chronicler wonders about the impact of these mutations on the African countries and churches with regard to traditional  marriage. Convincingly, African society hardly escapes from its own evolution as a result of globalisation, the growing urbanisation and the disruption in traditional references. Therefore, the author proposes a nuanced and realistic ethics of relation and responsibility, while bringing to our awareness the issue of whether sustainability, which is today’s world order, could affect individual and interpersonal trajectories.

 

1.       La question dans son contexte

 

Il m’a été demandé de vous parler de la famille en Europe. C’est mon premier séjour en Afrique, sauf un peu en Afrique du Nord. Mon expérience est fondamentalement européenne. La famille traditionnelle africaine est très différente de la famille traditionnelle européenne. Mais de part et d’autre, la famille est bousculée par la culture contemporaine, qu’on l’appelle modernité ou postmodernité. Il est sûr que la culture européenne, avec ses qualités, ses limites et ses défauts, influence la culture et la société africaines, en particulier en milieu urbain, car par la mondialisation, les idées et les personnes circulent partout. Ce qui se passe et se vit aujourd’hui ailleurs n’est pas sans intérêt parce que cela peut avoir des répercussions sur votre propre société.

 

Dans un premier temps, je décrirai le paysage présent de la famille dans la société européenne, et plus particulièrement en Europe occidentale, tel que je le perçois et tel que je puis l’analyser. Quand je parle ici d’Europe, c’est de cette Europe occidentale que je parle et plus précisément encore de la Belgique, des Pays-Bas et de la France, qui sont les pays que je connais le mieux. Le contexte de l’Europe centrale, marquée par le communisme et la résistance de l’Église, et de l’Europe orientale, marquée par l’orthodoxie, est très différent. J’expliciterai les perspectives qui se dégagent et les questions qu’on peut se poser, tout au moins celles que je me pose en y réfléchissant avec d’autres. Puis je me situerai du point de vue ecclésial dans la perspective du synode. La question de la famille se pose à la société. Elle se pose aussi à l’Église qui s’en préoccupe. L’initiative prise par le pape François d’organiser un synode sur la famille est significative à cet égard.

 

2.       La famille dans la société contemporaine

 

L’Europe depuis le Moyen Âge a été une Europe chrétienne. Culture et christianisme se recouvraient. Cela ne signifie pas pour autant que cette Europe était évangélique ou sainte de part en part ! Cette culture chrétienne avait des sources bibliques et des sources marquées par la philosophie grecque et le droit romain, et bien d’autres éléments encore. Elle imprégnait l’ensemble de la société, déterminait les normes sociales et éthiques, les comportements admissibles et ceux qui ne l’étaient pas, les rapports sociaux, etc. Sans oublier les particularités nationales. De ce point de vue, il y a des différences entre les pays de tradition catholique et les pays de tradition protestante. Quand je parle ici de l’Église, je parle le plus souvent de l’Église catholique.

 

Cet ensemble relativement homogène, habité d’évidences communes, s’est progressivement défait à partir du 18e siècle, en lien avec le développement de la rationalité critique. Jusqu’au 19e siècle et une grande partie du 20e, ici encore plus ou moins selon les pays, la grande majorité de la population se définissait comme chrétienne. Malgré la séparation de l’Église et l’État, plus ou moins prononcée selon les pays, et la sécularisation de la société, nombre d’institutions et de normes, héritées de cette société chrétienne, ont subsisté jusque très récemment, et ont continué à formater la société, en particulier en ce qui concerne le modèle familial. Mais de façon plus récente, on assiste à une exculturation croissante du christianisme, pour reprendre l’expression de la sociologue Hervieu-Léger. Cette exculturation signifie que l’empreinte culturelle chrétienne s’efface progressivement. On peut dire que l’organisation du temps de la société était chrétienne. Le calendrier historique est chrétien : les années sont définies à partir de la naissance du Christ, avant ou après celle-ci. Même si les juifs, les musulmans ou les chinois ont un calendrier propre, dans les relations internationales, c’est toujours le calendrier chrétien qui prévaut. C’est vrai aussi dans tous les pays européens pour le calendrier annuel. Il est rythmé par les fêtes liturgiques chrétiennes : Noël, Pâques, Pentecôte... Et la semaine de sept jours s’est imposée, avec le dimanche comme jour commun de repos. La révolution française a bien essayé d’imposer un calendrier révolutionnaire sécularisé, cela n’a pas tenu très longtemps. Par contre, le langage change et se sécularise : on ne parle plus officiellement de vacances de Noël ou de Pâques, mais de vacances d’hiver ou de printemps. Il est difficile d’effacer du calendrier les fêtes de Noël ou de Pâques, même si dans la pratique elles se sont largement sécularisées. Mais des questions sont posées concernant d’autres fêtes chrétiennes, qu’on disait fête d’obligation, comme l’Assomption ou la Toussaint. Le dimanche comme jour commun et généralisé de repos, sauf pour les services essentiels, n’est plus la règle générale : le dimanche devient de plus en plus un jour commercial, et a  une certaine tendance à devenir un jour comme les autres, même s’il y a beaucoup de résistance à cela, pas seulement pour des motifs religieux : supprimer le dimanche, c’est aussi mettre en cause le temps social familial. Il y a cependant des revendications pour que le samedi soit officiellement reconnu comme jour de pause pour les juifs et le vendredi pour les musulmans.

 

C’est certainement le modèle familial qui connaît les plus grands bouleversements. Le modèle familial culturellement et socialement évident était caractérisé par l’union d’un homme et d’une femme, dans le cadre de la monogamie, et cette union était indissoluble ; l’homme était le chef de famille, la femme étant juridiquement une mineure ; la famille comportait des enfants plus ou moins nombreux ; le divorce était inconnu et l’adultère était passible de peines

civiles, mais cela concernait de fait surtout les femmes, pour les hommes on tolérait facilement les liaisons ou aventures hors couple ; les méthodes contraceptives, plus ou moins rudimentaires, étaient proscrites. L’avortement était illégal et passible de poursuites. Bien qu’en droit, le mariage était un acte libre tant du côté de l’homme que de la femme, les mariages plus ou moins arrangés existaient dans les classes favorisées ou dans la paysannerie pour assurer que le patrimoine reste dans la famille ou s’agrandisse. Tout cela tenait de l’évidence sociale, avec de belles réussites familiales et beaucoup d’hypocrisie.

 

Ce modèle familial a littéralement éclaté et, dans ce domaine, l’Église a cessé d’être la gardienne sociale des normes et de la morale. Il y a d’abord un mouvement long: celui de la réduction de la fécondité. Les familles nombreuses deviennent une exception. On sait que le taux de renouvellement des générations suppose que les femmes mettent au monde en moyenne 2,1 enfants. Dans nombre de pays européens, – ce n’est pas le cas en Belgique ou en France, – ce taux est très nettement inférieur à 2,1 : en Allemagne, en Italie et en Espagne, dans tous les pays d’Europe centrale. Dans ces pays, le nombre de couples sans enfants est considérable, les femmes, surtout les universitaires, choisissant la valorisation de leur carrière plutôt que la maternité. Cela pose des questions concernant l’avenir de ces sociétés en termes de forces de travail ou de retraite. Le premier élément de ce mariage traditionnel qui a cédé est son caractère indissoluble. Françoise Dekeuwer-Défossez, spécialiste du droit de la famille, fait remarquer au sujet de cette indissolubilité :

 

Cette notion a existé en Europe catholique du XIe au XXe siècle. Partout ailleurs dans le monde, elle n’existe pas. Toutes les sociétés connaissent des formes de divorce, très diverses. Seule l’Église catholique a cru, à un moment donné, pouvoir imposer un autre système. En théorie, cela a fonctionné. Pratiquement il y a eu beaucoup d’accommodements avec la règle  (La Croix 2013).

 

Au cours du 20e sièlce, le divorce s’est progressivement imposé comme possibilité légale dans tous les pays européens, malgré l’opposition constante de l’Église catholique. Le dernier pays à l’avoir institué est Malte, en 2013, et là aussi l’Église s’y est opposée. En Belgique ou en France, le nombre de divorces par rapport au nombre de mariage n’est pas loin de 50%.

 

Notre époque est aussi marquée par un discrédit de toutes les institutions, y compris le mariage. La proportion de couples qui vivent ensemble sans être mariés est considérable : le fait que la majorité des enfants naissent aujourd’hui hors mariage en est un signe. La cohabitation avant le mariage est devenue quasi la norme. Assez souvent, c’est quand le premier enfant s’annonce ou après la naissance du premier enfant qu’un certain nombre s’engagent dans le mariage. Dans la plupart des pays, la distinction légale entre enfant légitime, né au sein du mariage, et enfant naturel, né en dehors du mariage, ce dernier ne jouissant pas des mêmes droits que le premier, a été supprimée. L’adultère n’est plus criminalisé, même s’il reste une raison d’obtention du divorce à la demande du membre du couple trompé. La contraception chimique, la pilule, a d’abord été illégale, avant de devenir une pratique très largement répandue, malgré la condamnation constante de l’Église. L’avortement a aussi été progressivement légalisé dans la plupart des pays, selon des conditions plus ou moins restrictives.

 

Deux développements plus récents ébranlent davantage encore l’image traditionnelle de la famille : les possibilités offertes par les biotechnologies et une nouvelle approche de l’homosexualité.

Dans un premier temps, les techniques biomédicales ont cherché à répondre aux demandes de couples affrontés à un problème d’infertilité par la procréation médicalement assistée (PMA). Les premières expériences d’insémination artificielle intraconjugale ont lieu dès la fin du 18e siècle, le sperme de l’époux étant injecté dans l’utérus de l’épouse. À la fin du 19e siècle, a lieu une première insémination artificielle avec don de spermatozoïdes aux États-Unis. Ces méthodes restent cependant marginales jusque dans les années 50 du siècle dernier. En 1978 est né le premier enfant avec fécondation in vitro (bébé éprouvette, comme on l’a appelé), cela à l’intérieur du couple. La technique permet le développement de la fécondation in vitro avec donneur, le sperme ne provenant pas de l’époux de la femme dont l’ovule est fécondé. Cela permet aussi à des femmes non mariées qui souhaitent cependant avoir un enfant d’être fécondées. Ces procédures médicales permettent aussi la gestation pour autrui. Un couple souhaitant avoir un enfant, mais dont la femme ne peut concevoir ou ne veut pas être enceinte fait appel à une autre femme, une mère porteuse, rétribuée pour cela, pour être enceinte d’un fœtus fécondé in vitro en s’engageant à renoncer à l’enfant dès la naissance…

 

Ces différentes pratiques, – fécondation in vitro homologue, c’est-à-dire au sein couple, ou hétérologue, c’est-à-dire avec donneur, et gestation pour autrui, – sont légalement reconnues ou interdites selon les différents pays. Quant à l’Église catholique, elle condamne toutes les pratiques de fécondation autre que naturelles, c’est-à-dire celles qui ont lieu dans la rencontre physique de l’homme et de la femme au sein du couple.

 

Une nouvelle approche de l’homosexualité met aussi en cause le modèle classique de la famille. Pendant des siècles, la pratique homosexuelle a été considérée et condamnée comme une perversion morale. Il en est ainsi dans la Bible et dans de nombreuses cultures jusque aujourd’hui. Dans certains pays, la pratique homosexuelle est toujours criminalisée. Dans certaines sociétés comme la Grèce antique, il y avait cependant culturellement des pratiques homosexuelles masculines, plus ou moins instituées, mais qui n’étaient pas directement liées à des personnes qu’on pourrait définir comme homosexuelles : cela pouvait faire partie du processus éducatif. Depuis le 19e siècle, l’homosexualité a été progressivement traitée comme une maladie, et non plus comme une perversion, maladie qu’on pensait pouvoir guérir. Actuellement, l’homosexualité est considérée comme une orientation sexuelle innée et non choisie, dont la cause n’est pas connue. De plus, contre l’idée que l’homosexualité soit contre-nature, on observe de nombreuses pratiques homosexuelles dans le monde animal.

Cette évolution dans le regard porté sur les personnes homosexuelles conduit divers pays à reconnaître un statut légal pour les couples homosexuels, statut de contrat ou de partenariat civil, qui prend différents noms selon les pays, et qui assure aux membres du couple certains droits analogues à ceux dont jouissent les personnes mariées, entre autres concernant la fiscalité, la propriété du logement ou l’héritage. Ensuite, au nom de la non-discrimination, les associations militantes homosexuelles ont revendiqué l’unicité du statut civil, c’est-à-dire le mariage. Aux Pays-Bas d’abord, puis en Belgique, le code civil a été modifié de sorte que le mot ‘mariage’ s’applique indifféremment à un couple hétérosexuel ou homosexuel. Actuellement, dix-sept pays ont adopté cette redéfinition légale du mariage. Aux Pays-Bas et en Belgique, les choses se sont passées en douceur, sans grands remous, l’Église catholique faisant assez discrètement entendre son désaccord. En France, par contre, ce qu’on a appelé le mariage pour tous a suscité des débats passionnés tant du côté de ceux qui étaient pour que du côté de ceux qui s’y opposaient, avec d’énormes manifestations.

 

Le mariage étant acquis pour les couples homosexuels, s’est rapidement posée la question de l’adoption. Dans le cas d’un couple de lesbiennes dont une des femmes a eu un ou des enfants avant de s’engager dans une union homosexuelle, sa partenaire peut-elle adopter ce ou ces enfants ? Et un couple de gays peut-il adopter ? Ou peut-il faire appel à une mère porteuse ? Selon les pays, les réponses sont différentes.

 

Un élément vient encore compliquer le débat sur ces questions, c’est la problématique du genre. Au départ, il s’agit d’un ensemble d’études qui mettent en cause le rôle imposé aux hommes et aux femmes dans la société : l’homme est naturellement chef de famille, il travaille à l’extérieur, il est seul à avoir autorité financière ; la femme doit d’abord être une bonne mère en s’occupant de ses enfants. Dans la société, les postes à responsabilité élevée sont très majoritairement occupés par des hommes, dans l’entreprise ou dans le domaine politique. Pendant longtemps, on a jugé qu’une femme était trop affective pour exercer la fonction de juge. On proclame l’égalité homme / femme, mais dans la réalité il y a beaucoup d’inégalités. Plus récemment, à partir des États-Unis, les références au genre se sont déplacées et ont pris une autre signification. Pour les théories les plus radicales, on ne naît pas homme ou femme, on le devient, et être hétérosexuel ou homosexuel est un choix libre plus ou moins ouvert à tout un chacun. Je ne m’arrête pas sur ce débat qui prend parfois des tournures très idéologiques, de part et d’autre, mais qui interfère aussi sur les questions concernant le couple ou la famille, et l’éducation des enfants. La situation aujourd’hui est que la majorité des enfants naissent hors mariage ; que la proportion de couples recomposés est considérable, avec souvent une situation assez difficile pour les enfants ; que le nombre de mères célibataires est aussi très élevé, et qu’elles sont les premières victimes de la pauvreté.

 

La conception traditionnelle du mariage et de la famille est complètement bouleversée. J’ignore le retentissement de ces déplacements, de ces changements de pratiques, de ces modifications des perceptions et des cadres légaux dans les pays africains, dans les milieux urbains ou universitaires. Quelles tensions nouvelles par rapport au mariage traditionnel africain, au mariage coutumier, là où il a encore de l’importance, par rapport au mariage tel que promu par les Églises ?

 

3.       Des questions par rapport à cette évolution de la famille

 

Il n’est pas anormal que face à un tel bouleversement du modèle familial traditionnel en Europe on se pose des questions. Et je me pose aussi des questions. Il faut au moins prendre le temps de réfléchir, si possible posément. Une première remarque : certains en Europe occidentale, beaucoup en Europe centrale et orientale jugent que l’Europe perd tout sens des valeurs, que cette Europe est dépravée, en situation de civilisation décadente. Le jugement de Benoît XVI sur l’Europe n’était pas très loin de celui-là.

 

Il y a problème, je ne le nie pas. Mais il faut aussi essayer de comprendre et de garder la tête froide. Il est étonnant que dans ce contexte de bouleversement de la réalité familiale, toutes les enquêtes montrent que, dans l’échelle des valeurs, la famille arrive toujours en tête, et la famille à laquelle on attache ainsi de la valeur, est celle qui est constituée de façon stable de parents et d’enfants, en contraste très fort avec la réalité vécue des familles. Cette contradiction est interpellante. Elle montre la tension qui existe pour les personnes entre la situation réelle, ses fragilités et ses contraintes, et les aspirations profondes. De même, les enquêtes montrent que nombre de femmes souhaiteraient avoir des enfants alors qu’elles n’en ont pas ou souhaiteraient en avoir plus. Mais leurs décisions concrètes, motivées par des raisons économiques ou de carrière, contredisent leurs aspirations.

 

 

 

3.1. La fragilité des couples

 

Le modèle familial classique était beau dans son idéal. Une famille unie et fidèle, où les parents s’aiment et où les enfants sont heureux. Ces familles ont existé et existent toujours. La stabilité des familles était souvent cependant un modus vivendi parce qu’il fallait bien, et c’est la femme qui en souffrait le plus. La famille était un modèle mais aussi un carcan. La valorisation de l’autonomie individuelle, la conscience féminine montante, l’accès de plus en plus généralisé à une formation supérieure pour les femmes, le développement des méthodes contraceptives leur donnant la maîtrise de leur propre corps, leur accès à la profession et à l’autonomie financière, tout cela a changé la donne et a miné les digues qui protégeaient le modèle traditionnel.

 

On peut dire qu’en positif, l’évolution de la famille prend davantage en compte l’autonomie, la responsabilité et la liberté des personnes. Elle prend en compte aussi la réalité de l’échec des couples. Sans exagérer l’importance numérique des personnes homosexuelles, il y a reconnaissance que ces personnes n’ont pas choisi leur état, qu’elles ont droit au respect et à la dignité, et qu’elles ont aussi le droit à leur épanouissement affectif. Tout cela est de l’ordre du progrès, y compris du point de vue éthique.

 

Il y a par ailleurs lieu de s’interroger sur le contexte sociétal qui explique pour une part au moins la fragilité des couples. D’un côté, il y a le phénomène généralisé de la longévité accrue. Jusqu’au 19e siècle, la durée de la majorité des couples ne dépassait pas la vingtaine d’années, avant que l’un des époux ne meure. Et pour toute la durée de la vie de couple, il y avait des enfants à la maison. Actuellement, on peut raisonnablement envisager d’avoir cinquante ans à vivre ensemble, et cela avec beaucoup moins d’enfants et un temps long de vie sans enfants. Cela change profondément les conditions de la vie en couple.

 

Il y a aussi le développement des sciences et des pratiques biomédicales qui modifie la question de la fécondité en ouvrant à des possibilités nouvelles, qui ne cadrent pas avec le modèle traditionnel du mariage : contraception, avortement sécurisé, procréation médicalement assistée, etc.

 

Mais il y a un autre phénomène, à mon avis plus profond. Qui est de type culturel. Le modèle de la société libérale capitaliste fondée sur l’économie et ses principes de rentabilité exerce une prégnance culturelle. La finance a pris le pas sur l’économie productive industrielle. Et pour le secteur financier, ce qui prime est le rendement le plus élevé à court terme. Cette exigence a tendance à primer sur toute autre considération, qu’elle soit économique, politique ou sociale. Sur le terrain proprement politique, l’horizon est aussi celui du court terme, celui du mandat et de la prochaine élection. Cela induit une mentalité de l’immédiat. Du point de vue individuel, ce primat de l’immédiat s’exprime par la recherche de l’épanouissement personnel ici et maintenant : tout de suite. De multiples sessions et méthodes de développement psychologique ou spirituel sont proposées en vue de cet épanouissement personnel. Il ne s’agit pas d’un individualisme fermé sur lui-même, mais d’un individualisme relationnel, c’est-à-dire une ouverture à la relation pour autant que cette relation comble ici et maintenant cette aspiration à l’épanouissement. Dans cet esprit, il est difficile de faire place à la relation longue, avec ce qu’elle implique de renoncement : si la relation n’est plus épanouissante, c’est la rupture en attendant la possibilité d’une nouvelle relation. Mais les ruptures engendrent toujours de la souffrance, en particulier pour les enfants quand il y en a. Par contre, la durée offre du bonheur si on est capable de sacrifier certaines satisfactions immédiates pour pouvoir durer, mais ce n’est pas dans l’esprit du temps. On ne peut évidemment généraliser : il y a des couples qui durent, et qui sont heureux !

 

Sous cet angle culturel du primat du court terme, il y a aujourd’hui cependant une brèche. Dans les analyses et les discours, la question de l’environnement et du climat impose la perspective du long terme, à l’échelle des années 2050 et 2100. Cette question est à l’ordre du jour politique international.  L’ONU a organisé plusieurs Sommets de la Terre, traitant de développement durable, de Stockholm en 1972 à Rio de Janeiro en 2012, et des conférences sur le changement climatique avec le Protocole de Kyoto en 1997 et la conférence de Doha en 2012. On sait qu’il y a des renoncements à faire aujourd’hui, qu’il faut changer les modes de production et de consommation, en vue d’assurer la qualité de la vie pour les générations futures : une économie moins gaspilleuse, plus respectueuse de la nature. Malgré l’urgence des décisions à prendre pour ce long terme, urgence déclarée par les études scientifiques sur l’environnement et par la GIEC, le Groupe international d’études climatiques, les décisions politiques sont à la traîne et restent trop timides, en raison du court terme des exigences économiques et financières et du calendrier des élections politiques. Mais culturellement, la perspective du long terme s’impose peu à peu. On peut espérer, qu’elle soit aussi progressivement intégrée dans les perceptions et les trajectoires individuelles et interpersonnelles. Mais les changements culturels prennent toujours beaucoup de temps.

3.2.             Perspectives éthiques

 

Du point de vue éthique, de nombreuses questions se posent. Il faut d’abord remarquer qu’un certain nombre de repères éthiques sont brouillés dans les sociétés européennes. Deux exemples assez limités. Il y a des sites Internet qui facilitent et promeuvent les rencontres extraconjugales. En Belgique, une affiche, qui n’est pas restée très longtemps parce qu’elle a suscité beaucoup de protestations, faisait la pub pour l’un de ces sites. Il était déclaré qu’une rencontre extraconjugale coûtait beaucoup moins cher à la sécurité sociale que la dépression ! Il y a vingt ans, c’était impensable. Il y a quelques mois le gouvernement de Grèce a été condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe à Strasbourg, parce qu’elle refusait d’accorder tous les droits reconnus à une famille à deux homosexuels déclarant être un couple alors qu’ils ne vivent pas à la même adresse. Ce jugement est actuellement en appel. Juridiquement, on ne sait plus ce qu’est une famille.

 

J’ai signalé le fait que la très forte baisse de natalité dans certains pays européens poserait de difficiles questions concernant les forces de travail et les retraites. Cela posera aussi des questions sur le visage d’une société trop vieillissante (ces questions se poseront aussi pour la Chine, qui n’a pas mesuré les conséquences à long terme de la politique de l’enfant unique). Mais du point de vue proprement éthique, cela pose la question de la signification d’une culture aussi peu ouverte à l’accueil de l’enfant, sacrifié de quelque manière au confort. Benoît XVI, très marqué sans doute par la situation en Allemagne, a parlé d’une culture de mort caractérisant l’Europe. Je pense qu’il y a là une généralisation indue. Mais il y a des questions à poser.

 

Face à la fragilité des liens, et en particulier du lien du mariage, d’une part, face aux pratiques de contraception, d’avortement ou de procréation médicalement assistée, d’autre part, je pense qu’il nous faut développer une éthique nuancée et réaliste de la relation et de la responsabilité.

 

Une éthique relationnelle, d’abord. L’être humain n’est pas seulement un individu, il est une personne. Le concept de personne est un apport fondamental du christianisme à la civilisation européenne. La personne est un être en relation. Et pour la foi chrétienne, l’être humain est à l’image de Dieu, notre Dieu qui est en lui-même relation : Père, Fils et Esprit. L’être humain ne peut s’accomplir que dans et par la relation. L’émergence des concepts de liberté et d’autonomie au sein de la modernité européenne est un acquis positif et fondamental. Mais avec le risque d’une absolutisation de ces valeurs, comme si l’être humain avait le pouvoir de se construire lui-même et par lui-même indépendamment de la relation à l’autre. Le lien du mariage, le lien familial, est un lien relationnel de réciprocité où il y a nécessité d’accepter des compromis, parce qu’on est différent, et des renoncements à des satisfactions immédiates en vue d’un bonheur à construire progressivement dans la confiance et le partage. Ce lien est une relation qui suppose aussi l’ouverture au pardon.

 

Une éthique de responsabilité, ensuite. Dans le concret de l’existence, le bien parfait n’existe pas. On ne vit pas dans l’idéal. Il faut se décider pour le possible compte tenu de la situation, de ses limites et de ses contraintes, et compte tenu des conséquences des décisions prises. Dans les situations difficiles, il s’agit souvent de choisir le moindre mal ou plutôt le plus grand bien possible. Exemples. Concernant la parenté responsable, le choix du nombre souhaitable d’enfants en tenant compte de la relation de couple, de la santé de la femme, des ressources économiques, etc. : c’est au couple, et en priorité à la femme, de décider en conscience des moyens à utiliser pour exercer cette responsabilité. Au sujet de l’avortement : que doit ou peut faire une femme qui est violée dans un contexte de guerre où le viol est systématiquement utilisé pour détruire l’ennemi ?

J’ai pu étudier un manuel utilisé par l’UNICEF (le Fonds des Nations Unies pour l’enfance) pour la formation des jeunes en Afrique sur les questions sexuelles. Tout y est dit sur l’anatomie et le fonctionnement de la sexualité, sur le comment se protéger des maladies, en particulier du SIDA, sur la contraception et l’avortement. Mais rien n’est dit sur la dimension relationnelle de la sexualité, sur la sexualité dans le projet de vie. C’est éthiquement irresponsable.

3.3.             Divorce et remariage

 

Toutes les législations européennes ont inscrit le divorce dans leur droit (Malte a été le dernier État à le faire). Dans la plupart des pays, les législations successives ont de plus en plus facilité l’obtention du divorce. Du point de vue éthique, il est nécessaire de reconnaître la réalité de l’échec. Se séparer apparaît dans nombre de cas comme une nécessité de santé physique et psychique, quand la vie ensemble est devenue un enfer, quand la personne est détruite par la façon dont est vécue la relation, et le plus souvent, il s’agit de la femme. Si le mariage est une institution, mais aussi une relation d’amour, quand l’amour a disparu, il faut pouvoir en prendre acte. Pour toutes sortes de raisons, on peut alors aménager la relation, établir une certaine distance, voire une séparation de fait, sans acter juridiquement cette distance ou cette séparation. Mais dans nombre de cas, il est sain de prendre acte de la situation.

 

Juridiquement et éthiquement, il est aussi souhaitable que la personne puisse se reconstruire après l’échec, et avoir la possibilité de s’engager dans une nouvelle relation. Partout où le divorce est légalement reconnu, le remariage l’est également. Cela pose question à l’Église : j’y reviendrai.

 

Dans ce contexte d’instabilité et de fragilité du couple, je pense qu’il est souhaitable que les États soutiennent les familles : offre et accessibilité de crèches, logements, aménagement du temps de travail, etc. Même si la famille stable, constituée d’un homme et d’une femme avec des enfants, n’est plus le modèle généralisable des relations affectives, je suis convaincu de ce que cette famille est un bien social qui contribue à l’équilibre des générations et à l’intégration sociale des enfants et des jeunes.

3.4.             Et l’homosexualité ?

 

Dans beaucoup de sociétés, l’homosexualité est l’objet d’un tabou. On n’en parle pas, on la condamne. Ou on fait comme si elle n’existait pas, alors qu’elle existe. Il en a été longtemps ainsi en Europe aussi. Aujourd’hui on en parle, elle est visible. Et des associations gayes et des lobbies homosexuels se font entendre.

 

Que penser du point de vue éthique de l’union homosexuelle et du mariage homosexuel ? L’homosexualité n’est ni une perversion, ni une maladie. Elle est une tendance, une orientation sexuelle non choisie par la personne. Cette orientation est souvent cause de souffrance pour la personne. La personne homosexuelle a une vie affective, comme toute personne. Du point de vue social et du point de vue éthique, il est bon et souhaitable que l’union de personnes homosexuelles, – deux hommes ou deux femmes, – soit reconnue publiquement pour de multiples raisons. Le fait de devoir se cacher n’est pas sain. Il y a aussi une question de justice concernant le régime de taxation, l’héritage, etc. Il y a de plus intérêt pour la société de favoriser la stabilité des couples en général, mais aussi des couples homosexuels, plutôt que les relations sexuelles multiples.

Comme je l’ai fait observer, actuellement dans dix-sept pays, il n’y a plus de distinction entre union hétérosexuelle et union homosexuelle, toutes deux étant régies par un même statut civil et juridique, le mariage. Personnellement, je regrette que sous le même mot on mette des réalités différentes. Le mariage, au sens classique du terme, est une union qui en principe est ouverte à la vie, à la fécondité, bien qu’il puisse y avoir des accidents qui empêchent la fécondité, ou des décisions qui évitent la fécondité. Je pense qu’il y a là une différence majeure. Il aurait été souhaitable qu’on trouve un terme différent, même si juridiquement on reconnaît les mêmes droits. Mais il y a là un fait, et je suis persuadé que peu à peu en Europe et largement dans les deux Amériques cette institution unique du mariage va s’étendre et s’imposer partout. Je reviendrai sur les questions que cela pose à l’Église.

 

4.       L’Église catholique et la famille

 

L’Église a toujours attaché une grande importance à la famille et au modèle de famille tel qu’il s’est institué en Europe à partir du Moyen Âge. Ce modèle, qui n’est pas simplement naturel, est manifestement mis en cause aujourd’hui. Comment alors se situer ? Selon les évangiles, Jésus ne valorise guère la famille. Il y a plus important que la famille : que celui qui veut venir à ma suite, quitte ses liens familiaux ; ma mère, mon frère, ma sœur, c’est celui qui fait la volonté de mon Père... L’Église a fait de la Sainte famille le modèle de la famille. Mais c’est une opération très idéologique : en quoi une famille où, selon l’image théologique traditionnelle qui en est donnée, la relation sexuelle est exclue et l’enfant est unique, peut-elle être présentée comme modèle pour la famille chrétienne ?

4.1.Perspective éthique générale

 

Sur l’ensemble des questions concernant la famille et les relations affectives, l’Église a jusqu’à présent des positions officielles claires et intransigeantes : seul le modèle occidental traditionnel est légitime. Mais ces positions font largement débat et sont l’objet de vives contestations. Ces positions de l’Église ont un double fondement discutable. Un premier fondement, en ce qui concerne l’être humain, est une référence à la nature, et plus particulière à la nature biologique, comme règle et source d’obligation, parce que cette nature est comprise comme une expression immédiate de la volonté du Créateur. Mais il faut s’interroger sur cette nature de l’être humain qui n’est pas seulement un corps biologique, mais qui est aussi un être essentiellement rationnel, c’est-à-dire en capacité de jugement et de discernement, et relationnel, c’est-à-dire constitué et se construisant dans la relation aux autres.

 

Un second fondement est une lecture sans doute assez fondamentaliste des Écritures. Ainsi au sujet du divorce, cette lecture ne situe pas historiquement le sens de l’intervention de Jésus, où ce qui est premier c’est de protéger la femme contre l’arbitraire de l’homme, et non pas de définir de façon générale la nature du mariage. Par ailleurs, l’Église tire de l’image des épousailles entre le Christ et l’Église, une loi sur le mariage qui dépasse le sens de cette image. Il en va de même concernant l’homosexualité, où l’Église ne tient pas compte du contexte culturel de la rédaction des textes.

 

4.2.Sur la contraception

 

Lors du Concile Vatican II, le cardinal Suenens, archevêque de Bruxelles, coprésident de l’assemblée, soutenu par tout un groupe d’évêques, a demandé que la question de la contraception soit mise à l’ordre du jour de l’assemblée. Le pape Paul VI est intervenu se réservant la réponse à cette question. Il a constitué alors une commission composée d’évêques, de théologiens et de laïcs engagés dans la pastorale familiale. À une très forte majorité, la commission a émis un avis favorable à la reconnaissance de la possibilité de l’usage de contraceptifs au sein des couples chrétiens. Paul VI, en 1968, a cependant publié l’encyclique Humanae vitae excluant toute contraception non naturelle, c’est-à-dire physique ou chimique. Cela a créé beaucoup de remous au sein des communautés catholiques, et la conséquence en a été qu’en Europe et en Amérique du Nord, la majorité des femmes et des couples ont pris leur autonomie au niveau du discernement éthique, sans plus tenir compte des normes de l’Église. Mais c’est le crédit de l’autorité ecclésiale qui a beaucoup souffert de cet épisode. Plusieurs conférences épiscopales, sans s’opposer au contenu de l’encyclique, ont simplement rappelé le primat de la conscience, renvoyant donc les couples à leur responsabilité personnelle. Constat : quand l’Église tranche dans des questions morales sans tenir compte de l’expérience croyante réfléchie, elle n’est plus écoutée.

 

Il ne s’agit pas de dire que l’abstention ou l’usage d’une méthode naturelle ou d’une méthode artificielle afin de gérer les maternités sont indifférentes. La question éthique et spirituelle est double : celle de l’ouverture à la vie et celle de la parenté-responsabilité, les moyens utilisés étant secondaires par rapport à ce double objectif.

 

4.3.Sur le divorce et le remariage

 

L’indissolubilité est une caractéristique du mariage catholique en tant que sacrement. Le problème est que nombre d’unions matrimoniales conduisent à un échec, sans qu’il y ait toujours et nécessairement faute. L’Église accepte qu’il faut prendre parfois acte que la vie ensemble n’est plus possible. Elle reconnaît le droit à la séparation. Elle ne reconnaît pas le droit à un nouveau mariage, et donc à la possibilité d’une reconstruction personnelle dans une nouvelle union, qu’elle considère comme un état de péché. Au nom de ce jugement, elle exclut les divorcés remariés de l’accès à l’eucharistie. Actuellement, elle essaie de contourner pour une part le problème en étendant la possibilité de reconnaître la nullité du mariage qui a eu lieu. Mais cela pose une double question. D’abord, c’est une procédure lourde et coûteuse, et qui est souvent humiliante. De plus, quand le mariage a duré de longues années et qu’il y a des enfants, pour ceux-ci déclarer que ce mariage était nul est vécu comme une grande souffrance et un scandale. Il faut ajouter que, du point de vue du droit canon, si un premier mariage a été contracté seulement au niveau civil, il n’y a pas de problème pour que la ou les personnes divorcées célèbrent par le sacrement un nouveau mariage. C’est de l’hypocrisie et de l’injustice.

 

Par ailleurs, il y a lieu de s’interroger sur le sens même du sacrement de l’eucharistie : n’y a-t-il pas contradiction à inviter les personnes divorcées et remariées à participer à la messe tout en les excluant de la communion ? Ici aussi, lors de Vatican II, le cardinal Suenens a posé la question en assemblée. Paul VI lui a demandé de retirer la question, et il n’y a pas eu de débat possible.

 

Dans les faits, de nombreuses personnes divorcées et remariées prennent la liberté de communier comme acte de foi. Dans différents diocèses en Belgique et ailleurs existe une pastorale des personnes divorcées et remariées. À Bruxelles, c’est le cas depuis près de quarante ans. Un accompagnement et un  accueil sont mis en place, qui aident les personnes à relire leur histoire, à assumer éventuellement leurs erreurs ou leurs fautes, à s’ouvrir au pardon vis-à-vis de l’ex-partenaire, à assumer leurs obligations financières tant vis-à-vis des enfants qu’éventuellement vis-à-vis de l’ex-partenaire. Cela peut alors conduire à une bénédiction discrète et à une réconciliation eucharistique.

 

Comme pour la contraception, lorsque la doctrine de l’Église s’éloigne trop du discernement des personnes concernées, des pasteurs et des théologiens, se mettent en place des pratiques parallèles soutenues plus ou moins discrètement ou non par les évêques.

4.4.Sur l’union homosexuelle

 

Au nom d’une conception trop étroite de la sexualité à partir de la physiologie et d’une lecture sans nuance du texte biblique, l’Église exclut toute pratique homosexuelle, tout en disant actuellement que les personnes homosexuelles doivent être respectées et qu’elles ne sont pas coupables de leur état. Par rapport à l’union homosexuelle, l’Église a de la difficulté à reconnaître que l’une des formes significatives de l’amour et de la tendresse a une dimension proprement charnelle et que cela vaut aussi pour les personnes homosexuelles.

 

Le débat très passionné en France au sujet du mariage pour tous a montré la difficulté qu’a l’Église institutionnelle à se situer publiquement par rapport à une telle question. Lorsqu’en 1999, a été votée la loi instaurant le PACS, le Pacte civil de solidarité, les évêques s’y sont opposés en y mettant tout leur poids, mais en vain. En 2013, le gouvernement soumet au vote une loi redéfinissant le mariage : les évêques s’y opposent de nouveau frontalement, et certains d’entre eux soutiennent directement les manifestations publiques d’opposition. Mais ils déclarent alors publiquement qu’après tout le PACS, qu’ils avaient précédemment condamné sans nuances, n’était pas une mauvaise chose, qu’on pourrait l’améliorer, que c’est une question de justice par rapport à ces personnes. Dans une note pastorale, ils précisent en même temps qu’il est bon qu’on reconnaisse des droits à des personnes homosexuelles qui décident de vivre ensemble, mais à condition, du point de vue éthique, qu’ils n’aient aucune pratique sexuelle. Personne ne peut prendre cela au sérieux.

 

5.       La perspective du synode sur la famille

 

Le pape François a dit sa préoccupation concernant les questions qui touchent aujourd’hui la famille. Il a dit clairement que l’Église doit accompagner les personnes dans la miséricorde plutôt qu’énoncer des interdits. Pour ce synode, il a mis en œuvre une démarche totalement nouvelle. Il a fait demander à toutes les conférences épiscopales d’organiser une consultation des paroisses sur l’ensemble des questions qui touchent la famille. Il faut reconnaître que la formulation des questions était trop difficile et parfois orientée. Je ne sais ce qu’il en est en Afrique, mais dans nombre de pays européens, la consultation s’est faite et au sein des paroisses des groupes se sont réunis pour y répondre. Les conférences épiscopales ont été chargées à la fois de donner leur propre avis et de synthétiser les réponses reçues. La deuxième nouveauté est que le synode se développera en deux temps. À l’automne de cette année, il s’agira pour les évêques membres du synode de faire un état de la question à partir des réponses à ce questionnaire. À l’automne de l’an prochain, le synode définira des orientations pastorales.

 

La curie romaine a demandé que les conférences épiscopales ne publient pas les résultats de l’enquête faite dans leur Église. Certaines conférences épiscopales ont quand même publié une synthèse ou ont donné les grandes orientations qui se dégagent de la consultation. En Europe occidentale, massivement il est demandé que la liberté soit reconnue aux couples concernant les méthodes de contraception (généralement plus de 90%), que l’accès à l’eucharistie soit ouvert aux divorcés remariés (aussi plus de 90%), que l’Église reconnaisse publiquement les couples homosexuels (plus de 70%). Cela manifeste combien est grande la rupture entre l’enseignement de l’Église et ce que pensent les croyants pratiquants (puisque la consultation s’est faite par les paroisses). Face à ce constat, nombre d’évêques ont déclaré que c’est dû au fait que ces croyants ne comprennent pas l’enseignement de l’Église. Ce n’est pas sérieux et c’est de l’aveuglement.

 

Il est intéressant de constater qu’au sujet de l’accès des divorcés remariés à l’eucharistie, il y a un conflit frontal et public entre, d’une part, le cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine, qui défend sans nuances la discipline actuelle, et, d’autre part les cardinaux Marx et Kasper, le cardinal Marx étant à la fois le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne et membre du conseil des neuf cardinaux dont s’est entouré le pape, et le cardinal Kasper, ancien membre de la curie romaine, le pape François l’ayant chargé d’une grande conférence lors du consistoire (c’est-à-dire l’assemblée générale des cardinaux) consacré à la famille en mars de cette année. Que des cardinaux de premier plan se contredisent publiquement est un fait très nouveau dans l’Église contemporaine, et est signe de l’urgence des questions.

 

Il faut reconnaître qu’il y a une difficulté majeure. Pour simplifier, il y a une différence très tranchée sur les réponses données à ces questions entre l’Europe et l’Afrique. Je dis pour simplifier, parce que l’Europe n’est sûrement pas unanime à ce sujet, même si des orientations générales se dessinent très clairement, et parce que les États-Unis et le Canada et certains pays d’Amérique latine sont proches de l’Europe de ce point de vue. L’ensemble les pays d’Asie semblent proches de l’Afrique. De ce qu’on peut savoir, les réponses venant des conférences épiscopales africaines ne vont pas du tout dans le sens des réponses européennes : elles restent beaucoup plus proches de la position officielle de l’Église. Mais il semble que, dans l’ensemble, les évêques en Afrique n’ont pas consulté les chrétiens qui participent à la vie paroissiale. Ils présentent donc leur opinion, en prétendant savoir ce que pensent leurs fidèles, sans leur avoir donné la parole. Quoi qu’il en soit, cela posera une question très difficile au synode. Est-il pensable que sur ces questions de doctrine et de pratique morales, les Églises européennes et les Églises africaines donnent officiellement des réponses différentes ? On voit les problèmes suscités au sein de la Communion anglicane entre les Églises d’Europe et d’Amérique du Nord et les Églises africaines sur les questions qui touchent, d’une part, à l’ordination épiscopale de femmes et, d’autre part, à l’homosexualité. Le pape François a déclaré qu’il fallait reconnaître plus de responsabilité, y compris doctrinale, aux conférences épiscopales. Ce qui est très nouveau. Il pense très certainement aux conférences épiscopales continentales, sur le modèle latino-américain, ou le CELAM joue depuis le concile un rôle très important d’orientation pastorale et de réflexion théologique. Mais jusqu’où le synode pourra-t-il aller dans la reconnaissance d’une telle différence ? Jusqu’où pourra-t-il aller sans susciter de graves crises ? S’il ne change rien quant à la discipline actuelle et à la doctrine qui la sous-tend, il est sûr que cela suscitera de très graves remous à l’intérieur de l’Église en Europe et probablement aggravera la chute de la pratique religieuse. Par contre, s’il s’ouvre à un changement de doctrine, cela créera sans doute aussi de sérieuses tensions avec l’Église d’Afrique ou d’Asie. Il faut espérer que le pape saura trouver un chemin d’ouverture capable de maintenir la communion.

 

Conclusion

 

J’ai dit en introduction que je m’exprimais comme européen et à partir de mon enracinement ecclésial en Europe. J’ai montré combien les questions concernant la famille sont complexes en Europe. Les différences sont sûrement importantes par rapport à ce qui est vécu ici. Mais les sociétés africaines évoluent aussi rapidement, entre autres en raison de la mondialisation, de l’urbanisation croissante et de la rupture des attaches traditionnelles. Il n’est donc sans doute pas inutile de percevoir ce qui se vit ailleurs

Rubrique: 

Français

Revue Ethique et Société
Fraternité St. Dominique
B.P : 2960 Bujumbura, Burundi

Tél: +257 22 22 6956
Cell: +250 78 639 5583; +257 79 944 690
e-mail : info@res.bi
site web: www.res.bi

 

Fraternité Saint Dominique de Bujumbura

Nous, Dominicains du Burundi sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de...

Lire la Suite

Couvent Saint Dominique de Kigali

Nous, Dominicains du Rwanda sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de

Lire la Suite