DE L’ECRITURE DE L’HISTOIRE A LA JUSTICE AUX VAINCUS : MEDITATION SUR L’HISTOIRE AVEC WALTER BENJAMIN

Abstract: 

Usually, history is the story of conquerors’ victories, whose trophies are the glory of nations. Such a history slips softly from past to future, thus neglecting the present. With Walter Benjamin, this essay tries to propose a new way of thinking about history, by taking into account the present which turns to the past to wake up the forgotten ones, particularly the defeated who go necessarily with the victors. By so doing, that conception of history changes the very act of historiography and assigns a new job to historian: it is about seizing the “weak messianic force” hidden in the present, in order to vindicate the defeated ones by remembering them. They too deserve to appear on the scene of history, for they also contributed to the making of it. That is how the ethical attitude joins the political act to give the messianic force to the present, so that it may break the seemingly homogeneous and empty time, and fill it with a look turned to the past heading to a hopeful future.

  1. Introduction

 

Habituellement, dans la conception linéaire de l’histoire, la représentation historique du temps s'opère en suivant une ligne droite subdivisée en trois parties: le passé, le présent et le futur. La conception historique qui en découle est souvent celle du passé dont on retient les événements marquants qui constituent notre orgueil du présent en espérant mieux pour l’avenir. Sur des tableaux qui montrent les victoires écrasantes, on se garde de tacher le pourpre des vainqueurs avec le sang des victimes. Ainsi nos manuels d’histoire sont-ils remplis de ces histoires de héros sans se soucier des vaincus. Et de fait, que dire d'autre de l’histoire en dehors de ces hommes qui y laissèrent leurs traces ? Pourquoi se préoccuper de ceux qui tombèrent dans les oubliettes de l’histoire ?

 

Walter Benjamin nous propose une voie inverse. Partant de son constat d'un “ temps vide et homogène ”, temps truffé des histoires de vainqueurs, il montre qu’il n’y a plus d’histoire car il n’y a plus rien de nouveau. Tout historien qui prend la plume allonge la liste des vainqueurs. Croyant que par les vainqueurs l’histoire avance vers sa fin, il oublie que derrière chaque scène pittoresque gît nombre de victimes qui attendent leur sauvetage. Ainsi, pour Benjamin, il faut casser ce temps homogène, se pencher vers ces victimes qui ne purent faire leur entrée sur la scène historique. Ce qui demande une conception autre que celle d’une histoire progressant vers sa fin, mais une histoire qui se préoccupe du nouveau, qui accepte que « de tout ce qui arriva dans l’Histoire, rien ne doit se perdre ». Cette histoire suppose une nouvelle écriture et une nouvelle vision du temps. Ce qui se répercute sur les activités historiques, surtout l’acte politique dans sa dimension juridique, puisque tourner le regard vers le passé, c’est se laisser questionner par lui, écouter ses plaintes et lui rendre justice.

 

Dans les lignes qui suivent, nous voudrions voir avec Walter Benjamin, à travers ses Thèses sur la philosophie de l’histoire,[1] cette nouvelle conception de l’histoire ainsi que son écriture. Ce qui ne manquera pas de nous confronter à ses sources d’inspiration comme le messianisme, mais aussi aux conséquences éthique et politique d’une telle démarche.

2. L’histoire et son écriture

 

Ecrire l’histoire suppose sa conception ; et concevoir l’histoire –comme toute activité de l’esprit- exige un dialogue avec les penseurs d’hier et même d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’avant de parler de  son écriture, nous voudrions d’abord aborder la conception de l’histoire chez Walter Benjamin.

2.1. Penser l’histoire

L’une des manières les plus connues de concevoir l’histoire qui marqua le XXe siècle fut le marxisme, souvent désigné par le matérialisme historique. Celui-ci propose une histoire cheminant selon un continuum vers une fin d’une « société sans classes », grâce à « l’activation de la contradiction entre le prolétariat et le capital [qui] allait se solder par une victoire du prolétariat qui dépasserait la contradiction et instaurerait une nouvelle positivité : la société sans classes » (Leibovici, 2000 : 85). Une telle vision impose un déterminisme historique l’on peut prévoir d’avance la résultante du système. Mais, en procédant de la sorte, le déterminisme historique « n’embrasse qu’une portion du réel et ne saurait rejoindre, même par un cheminement indéfini, l’objet total » (Aron, 1938 : 264). C’est une autre manière d’affirmer que l’histoire ne suit pas un schème prédéterminé. Néanmoins, est-ce que dire que l’histoire n’est pas prédéterminée signifie qu’on ne peut rien prévoir ?

 

Benjamin voit l’histoire comme un théâtre des forces s’opposent avec une certaine certitude de l’issue de la confrontation, mais non sans condition : « La poupée appelée ‘matérialisme historique’ gagnera toujours. Elle peut hardiment défier qui que ce soit si elle prend à son service la théologie, aujourd’hui, on le sait, petite et laide et qui, au demeurant, n’ose plus se montrer » (I). Ici se remarque l’influence du marxisme sur la conception benjamienne de l’histoire (Arendt 1974, Scholem 1995). Toutefois, Benjamin se démarque de la conception purement marxiste de l’histoire en y introduisant la théologie. Du coup, « le matérialisme historique n’est plus qu’une poupée qui ne peut gagner au jeu de l’histoire qu’en prenant à son service le talent cachée de la théologie » (Scholem, 1995 : 143). La théologie introduit une interprétation théologique de l’histoire[2] et tempère le matérialisme historique marxiste par le “ talent caché ”. Ce qui permet de redéfinir autrement la tâche du matérialisme historique.

 

“ Celui qui professe le matérialisme historique ne saurait renoncer à l’idée d’un présent qui n’est point passage, mais qui se tient immobile sur le seuil du temps ” (XVI). La profession du matérialisme historique -nouvellement conçu- rompt avec le temps vide et homogène qu’engendre le continuum. Le présent n’est plus un simple passage. Il est un message qui immobilise ; une coupure qui met en pointillés la ligne du temps historique. Il ne s’agit pas tellement de s’inscrire dans le mouvement d’une histoire universelle que de se fixer dans ce lieu le vaincu gît sous les ruines des vainqueurs. Pour dire comme Gérard Raulet, le rôle du matérialisme historique devient la destruction de « la continuité d’une évolution apparemment fatale, d’y faire réapparaître [...] des constellations saturées de tensions ”(1997 : 214).

 

D’où la récusation de toute idée de progrès historique ou de cause en histoire, parce que les deux impliquent « le temps homogène et vide ». En effet, « l’idée de progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire est inséparable de celle de sa marche à travers un temps homogène et vide » (XIII). Un tel progrès va de pair avec la continuité sans interruption et nie par le présent comme lieu d’arrêt. Or, si progrès il y a, il « ne réside pas dans la continuité du temps mais dans ses interférences quelque chose de réellement nouveau se fait sentir avec la sobriété de l’aube » (Tiedemann, 1987 : 132). Il en est de même pour la cause en histoire qui ne peut servir qu’à « l’historicisme [qui] se contente d’établir un lien causal entre les divers moments de l’histoire, [alors qu’] aucune réalité de fait n’est jamais, d’entrée de jeu, à titre de cause en fait historique » (XVIII, A).

Ainsi, en retravaillant le concept de matérialisme historique, on retrouve une conception nouvelle de l’histoire qui prend en compte le présent et révèle « ‘l’état d’exception’ dans le quel nous vivons » qu’enseigne la « tradition des opprimés » (VIII). Et ceci «  coûte cher à nos habitudes de pensée d’aboutir à une vision de l’Histoire qui refuse toute complicité avec celle à laquelle s’accrochent ces politiciens »[3] (X), parce qu’il s’agit de penser une histoire qui coupe cours à tout ce qui est progrès ; une histoire qui ne suit pas une ligne droite sans césure. Il s’agit d’une histoire qui s’inscrit en ces espaces vides entre les pointillés. Elle ne suit pas un mouvement uniforme ; mais “ l’exception est la règle ”. Elle ne se présente plus comme passé-présent-futur, puisque ce serait toujours la comprendre comme un processus. Son sens « ne se dévoile pas […] dans le processus de son évolution, mais dans les ruptures de sa continuité apparente, dans ses faibles et ses accidents, le soudain surgissement de l’imprévisible vient en interrompre le cours et révèle ainsi, en éclairs, un fragment de vérité originelle ” (Mosès, 1992 : 116).

 

Une telle vision d’histoire présente une histoire qui vole en éclats, en fragments. Elle n’est histoire que quand elle rompt avec celle des “ historicistes ”, celle des vainqueurs, pour se tourner vers ce qui fut oublié. Elle devient “ la césure [qui] détruit la continuité […] et sauve le surgissement dans l’intensité du présent ”(Gagnebin, 1994). Ce surgissement proche de l’inattendu, dit l’inhabituel de l’histoire qui arrache cette dernière au non-sens qui la menace dès qu’elle n’est plus qu’une histoire des vainqueurs. Or, l’histoire ne saurait être seulement celle des vainqueurs. Elle doit être l’histoire des vaincus en introduisant la discontinuité, en rompant avec celle des vainqueurs et des oppresseurs. Depuis longtemps, l’histoire nous présente des héros, des maîtres qui dominèrent le monde. Or “ quiconque domine est toujours héritier de tous les vainqueurs ” (VII). De ce fait, réécrire l’histoire du vainqueur du moment, c’est perpétuer l’éternel retour du même qui n’apporte rien de nouveau[4]. En d’autres termes, c’est oublier que “ tous ceux qui jusqu’ici ont remporté la victoire participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps des vaincus d’aujourd’hui ” (VII).

 

Dans ce sens, la classe combattante qui fait objet du savoir historique est bien moins le prolétariat, “ la dernière classe asservie ” telle que l’envisage Marx, que ces corps des vaincus qui servent d’escabeau aux maîtres d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, contrairement à sa conception classique, l’histoire ne peut plus s’orienter vers l’avenir. Elle doit tourner son regard vers le passé et tendre l’oreille à ces voix des vaincus qui réclament justice. Seul ce regard animé par la volonté de “ bien s’attarder pour réveiller les morts et rassembler les vaincus ”, fonde l’histoire. Il doit s’attarder et fouiller sous “ les ruines qu’une seule et unique catastrophe ne cesse d’amonceler ” ; il doit se poser sur le “ passé opprimé ” dont la seule chance qui lui reste pour renaître à la scène de l’histoire est cet arrêt, cette rupture (IX). Comme le note Leibovici,.“ le regard historique auparavant fixé sur ce qui advient doit être tourné vers ce qui est en train d’advenir et qu’il désigne comme ‘catastrophe’, associée à l’idée de ruine, d’écroulement irréparable ”(2000 : 84). Aussi une telle histoire suppose-t-elle un autre temps.

2.2. Le temps en sursaut

Nous avons déjà souligné que l’histoire des vaincus ne suit pas la ligne temporelle qui s’oriente vers l’avant. Elle tourne son regard vers le passé. Aussi, “ l’histoire est l’objet d’une conception dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais qui forme celui qui est plein d’‘à-présent’ ” (XIV). Et “ l’à-présent qui, comme mode du messianique, résume dans un immense abrégé, l’histoire de toute l’humanité, coïncide rigoureusement avec la figure que constitue dans l’univers l’histoire de l’humanité ” (XVIII). En d’autres termes, ce temps plein, contrairement à celui qui est homogène et vide, est un temps non linéaire, un temps dont les “ présents ” ne sont pas reliés successivement les uns avec les autres, mais un temps dont le passé fait irruption dans le présent.

 

Cette irruption se démarque du simple fait de juxtaposer les événements, car elle fait revivre ce qui pourrissait. Ainsi est-il plein parce qu’il concerne un cas déterminé ; il est discontinu parce que ce cas est unique. Et comme de “ tout ce qui jamais advint, rien ne doit être considéré comme perdu pour l’Histoire ” (III), il ne fallait pas que ce cas disparaisse. Il faut que les vainqueurs cessent de le piétiner. Il faut que les figures oubliées émergent de la poussière. Or, seul un temps fragmenté peut donner l’occasion à un tel acte.

 

Ainsi, le temps pour l’histoire des vaincus n’est plus passé-présent-avenir, mais plutôt présent-passé-avenir. Car, “ il n’y a d’histoire que si des interventions forcent les moments critiques du temps et rendent possibles la réalisation de promesses transmises et recouvertes par la tradition. […] Certes, cette tradition se nomme ‘mémoire’ et elle garde, malgré elle, cryptée en elle, trace de ce qui avorta et fut interdit d’existence. Et c’est bien pourquoi un maintenant ne s’impose qu’en faisant (re)vivre un passé avec lequel il se sent en affinité ou en correspondance ”(Proust, s.d. : 32). L’histoire authentique, celle qui fait place aux vaincus, doit suivre ce temps en sursaut, de telle sorte qu’il puisse y avoir “ une constellation saturée de tension ” où “ la pensée peut se fixer et communiquer un choc qui la cristallise en monade ” (XVII).

 

Une telle histoire ne peut faire fi des victimes historiques. Plutôt, c’est en suivant la trace de ce temps rugueux dont les nœuds sont enfouis sous les décombres qu’elle s’écrit. Cela n’est possible, néanmoins, que si le présent accepte de tourner le dos à l’avenir pour regarder vers le passé et avancer en reculant. Cette attitude sera également celle “ du théoricien du matérialisme historique ” dont “ la tâche [...] est de brosser l’histoire à rebrousse-poil ” (VII), car «ce que nous appelons histoire s’engendre dans l’écriture de l’histoire » (Mosès, 1992 : 145).

3. L’Écriture de l’histoire

Avec une conception de l’histoire telle que nous avons essayé de la dégager plus haut, nous sommes au cœur de la question de son écriture. Comment, en effet, trouver les mots qui expriment l’ineffable ? Car il s’agit bien de déterrer les victimes des catastrophes. Où trouver une grammaire qui n’exprime plus ce qui advint ni ce qui advient, mais ce qui est “ en train d’advenir », puisque écrire l’histoire revient à sauver le passé, pas n’importe quel passé, mais celui que “ l’histoire n’a pas confirmé. Passé des humiliés et des vaincus, astreints à l’anonymat de corvées sans nombres... ” (Leobovici, 2000 : 85) ? Un tel projet exige, comme nous avertit Gagnebin, une pensée d’ “ une ‘tradition’ des opprimés qui ne reposerait pas sur le nivellement de la continuité mais sur les sauts, le surgissement, l’interruption et le discontinu. (Et) accueillir le discontinu de l’histoire, procéder à l’interruption de ce temps chronologique sans aspérités, c’est aussi renoncer au déroulement heureux d’une syntaxe lisse et sans fracture ” (1994 :149). Telle est la tâche de l’historiographie matérialiste qui s’appuie sur la « petite et laide » théologie (I) : elle doit sauver le passé en consentant à ces rugosités du style qui ne peut plus suivre la ligne lisse du temps chronologique.

 

Ecrire l’histoire ne signifie bien sûr pas restituer le passé tel qu’il a été, car “ le vrai visage de l’histoire s’éloigne au galop. On ne retient le passé que comme une image qui, à l’instant où elle se laisse reconnaître, jette une lueur qui jamais ne se reverra ” (V). Ainsi, “ articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître ‘tel qu’il a été effectivement’, mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril ” (VI) ; “ écrire l’histoire, n’est pas retrouver le passé, c’est le créer à partir de notre propre présent ou plutôt, c’est interpréter les traces que le passé a laissées, les transformer en signes ; c’est en fin de compte, ‘lire le réel comme un texte’ ” (Mosès, 1992 : 145). Ecrire l’histoire c’est découvrir qu’“ il existe une entente tacite entre les générations passées et la nôtre ”(II). C’est pourquoi le passé n'est sauvé qu'à la condition et seulement à la condition que le présent se souvienne de lui, dans la mesure où l’intelligence de notre passé“ ne nous intéresse en lui-même que dans la mesure où il est ou serait digne d’être présent... ”(Aron, 1938 : 56). Il s’agit de s’attacher à ce hiatus entre deux points de la ligne du temps historique pour délivrer le passé. Procédant ainsi, on restitue le passé à l’humanité, car “ pour elle seule [l’humanité délivrée], à chacun de ses moments, son passé est devenu citable ”(III). Celui qui professe le matérialisme historique doit alors “ retenir fermement une image du passé telle qu’elle s’impose ” (VI); il doit « devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril ” (VI).

 

Cette notion de “ souvenir ” est d’une importance capitale, parce que c’est sur elle que repose tout le travail de l’historien qui cherche à garder mémoire de ceux qui furent oubliés. Grâce au souvenir, les victimes peuvent espérer un jour la justice, dont le premier moment est cette lutte contre leur oubli. Le fil conducteur ici est que le passé est relu à la lumière du présent. Or, ce présent n’existe pas dans l’« historicisme » où il est vide, car toujours homogène. Le présent de l’historicisme ne raconte que l’histoire des vainqueurs, dont le butin constitue les biens culturels. Surtout, il oublie que “ ces biens culturels ne sont pas nés du seul effort des grands génies qui les créèrent, mais en même temps de l’anonyme corvée imposée aux contemporains de ces génies ” (VII). En revanche, le présent de l’histoire des vaincus est un présent plein, “ lourd de secret ” (Proust, s.d. : 47).

 

C’est pourquoi, le rôle de l’historien “ est de brosser l’histoire à rebrousse-poil ” (VII). Il prend la figure de l’Angelus Novus, car il est l’ange de l’Histoire. Il doit résister à ce courant de progrès qui voudrait l’empêcher “ de s’attarder pour réveiller les morts ” (IX). Non pas qu’il les ressuscite “ effectivement ”, mais parce qu’il s’attache au souvenir qui s’impose. Il doit, “ à chaque époque, [...] tenter d’arracher [...] la tradition au conformisme qui veut s’emparer d’elle ” (VI) ; il doit se tenir dans ce présent afin que le “ passé soit une expérience unique en son genre ” (XVI). De cette manière, il peut obtenir le “ présent qui n’est point passage, mais qui se tient immobile sur le seuil du temps ” (XVI). Contrairement à “ l’historicisme [qui] manque d’armature théorique ” à cause de “ son procédé additif ” (XVII), l’historien matérialiste prend du goût à ce temps plein d’ “ à-présent ” (XVIII). En se souvenant que “ toute réalité n’est historique qu’à titre posthume, grâce à des événements qui peuvent être séparés d’elle par des millénaires ” (XVIII A), il renonce à “ égrener la suite des événements comme un chapelet ” (XVIII A). Il ne s’agit évidemment pas “ de présenter d’abord un autre système explicatif ou une ‘contre-histoire’ pleine et vaillante, opposée et symétrique de l’histoire officielle. La réflexion de l’historien doit provoquer une secousse, un choc qui immobiliser le déroulement faussement naturel du récit ”(Gagnebin, 1994 : 155).

 

Il faut reconnaître que les prouesses des héros ont été accompagnées des victimes ; qu’“ il n’est aucun document de culture qui ne soit aussi document de barbarie » (VII). De la sorte, le passé peut espérer la délivrance, peut tendre “ à se tourner vers le soleil en train de se lever dans le ciel de Histoire ” (IV), car sa rédemption ne s’accomplit qu’au présent. Du croisement de ces deux regards - celui du passé languissant mais espérant le salut et celui du présent qui désire sauver le passé - naît l’avenir auquel on tourne le dos pour avancer. Raulet souligne que “ c’est en laissant en quelque sorte parler le passé que son futur et sa signification présente se révèlent ” (1997 : 243). Ce passé ne peut parler qu’au présent. Il revient au présent, pour ce faire, de laisser le passé émerger, surgir en son sein. Et l’historien a pour tâche de lutter pour que ce passé soit toujours actualisé dans le présent.

 

Dans ce présent qui introduit des trous dans la continuité de l’histoire se niche la faible force messianique dont dispose chaque génération pour sauver les précédentes, car “ seul ce qui coupe, suspend ou interrompt l’histoire présente quelque chance messianique ” (Proust, s.d. : 117).

 

4. Messianisme ou Espoir ?

 

En réfléchissant sur l’histoire avec Benjamin, on découvre une autre figure –celle du messie- qui intervient et agit en concert avec l’historiographie pour délivrer le passé de l’oubli. Ce“ Messie ne vient pas seulement comme rédempteur ; il vient comme vainqueur de l’Antéchrist ” (VI). Dans cette phrase assez sommaire, on voit que le Messie apporte la rédemption et la victoire, la victoire contre le conformisme identifié ici à l’Antéchrist, parce qu’il oublie l’ambivalence de l’histoire. Aron disait que “  la réalité historique, parce qu’elle est humaine, est équivoque et inépuisable ” (Aaron 1999 :43). Dans la conception de l’histoire développée ci-dessus, cette équivocité apparaît sous la coexistence entre les cortèges triomphaux des vainqueurs et les victimes opprimées. Le Messie donc vient remporter la victoire contre cet oubli érigé en système.

 

Il vient également comme rédempteur. Ceci rejoint l’idée du surgissement du présent qui guide la conception et l’écriture de l’histoire des vaincus. Ainsi, le signe messianique n’est jamais dans le continu. On ne peut “ reconnaître le signe d’un arrêt messianique du devenir ”, signe “ d’une chance révolutionnaire dans le combat pour le passé opprimé ” que “ là où l’objet se présente comme une monade ” (XVII). Autrement dit, le Messie fait irruption là où le temps n’est plus homogène et vide. L’arrêt même est un signe messianique.

 

On reconnaît ici la proximité entre l’historiographie et la tâche messianique. En effet, les deux ont pour but le combat pour le passé opprimé. Les “ à-présent ” qui constituent la fine pointe de l’écriture de l’histoire permettent de “ fonder un concept du présent comme l’‘à-présent’ dans lequel ont pénétré des échardes du messianique ” (XVIII A). Dès lors que l’histoire coupe cours avec le “ temps homogène et vide ”, chaque présent devient enceinte d’un avènement messianique. Mais qui est ce messie?

 

Pour comprendre la figure du messie, il faut, nous semble-t-il, le placer dans le messianisme juif. Dans le messianisme juif, essais sur la spiritualité du judaïsme, G. Scholem montre que, plus ancien que celui du christianisme, messianisme juif a pris différentes formes au cours de l’histoire juive, restant toutefois différent du messianisme chrétien. Alors que celui-ci est plutôt intérieur, “ le judaïsme a toujours et partout regardé la rédemption comme un événement public devant se produire sur la scène de l’histoire et au cœur de la communauté juive ; bref comme un événement devant arriver de façon visible et qui serait impensable sans cette manifestation extérieure ” (Scholem, 1974 : 23). Des trois courants du judaïsme rabbinique -conservateur, restaurateur et utopique-, seuls les deux derniers purent influencer le messianisme juif. En effet, “ le courant restaurateur visait au retour et à la résurrection d’une situation qui était révolue mais qui était toujours ressentie comme définissant l’idéal ”, tandis que le courant utopique, “ s’appuyant sur une vision utopique de l’avenir et orienté vers le renouveau, visait un état de choses n’ayant encore jamais existé ”(Scholem, 1974 : 25, 26). Ainsi le messianisme a t-il les deux côtés : côté apocalyptique et côté utopique avec la conviction que “ l’âge messianique est terrestre ” (Scholem, 1974 : 60).

D’autres penseurs juifs comme Moshe Idel corroborent cette idée, affirmant même que “ le messie se situe dans une période historique donnée ” (Idel 1994). Quant à Levinas, les différentes figures que présentent les textes messianiques, surtout celle du juste souffrant, “ qui a pris sur lui la souffrance des autres ” reviennent à dire que “ toutes les personnes sont des Messies ”. Car “ le fait de ne pas se dérober à la charge qu’impose la souffrance des autres définit l’ipséité même ”, alors que “ celui qui prend [...] la souffrance des autres est l’être qui dit ‘Moi’ ”. Vu sous cet angle, “ le messianisme - n’est que cet apogée dans l’être qu’est la centralisation, la concentration ou la torsion sur soi- du Moi ”. Par conséquent, “ chacun doit agir comme s’il était le Messie ”, parce que “  le Messianisme n’est pas la certitude de la venue d’un homme qui arrête l’Histoire. C’est mon pouvoir de supporter la souffrance de tous. C’est l’instant où je reconnais ce pouvoir et ma responsabilité universelle ” (Levinas, 1963 : 122-123).

 

Ainsi, même si l’interprétation de “ cet instant où ‘le temps s’arrête’ ” n’est pas seulement mystique chez Benjamin, mais aussi “ une interprétation révolutionnaire ” (Jünger, 2000 : 63), le Messie, pour Benjamin, est une figure sans visage parce qu’incarné dans tout visage, qui vient comme “ rédempteur et vainqueur de l’Antéchrist ” (VI). Il a ce caractère de surgissement qui fait qu’il est imprévisible. Viendra-t-il sous la figure d’une classe sociale ou d’une personne charismatique ? Il nous est impossible de trancher. S’il est le Messie, peu importe son visage ; il se fera reconnaître par sa capacité de réveiller ce qui gît sous les décombres de l’oubli. “ Porter les ombres portées dans les doublures ou dans le dos de l’histoire en pleine lumière et les soumettre au feu brûlant de l’actualité historique, arracher à l’histoire ses virtualités exceptionnelles, voilà qui définit le programme messianique de l’histoire ” (Proust, s.d. : 10). Telle est la tâche du Messie et qui empêche qu’on lui donne un visage. On le reconnaîtra par ses actes. Avec lui, le passé qui attend impatiemment “ le soleil en train de se lever dans le ciel de l’Histoire ”(IV), ne sera pas déçu. Avec lui, notre génération comprendra enfin “ la tacite entente entre les générations passés et la nôtre ”(II).

 

D’où l’espoir qu’il apporte pour le passé. Nous l’avons souligné, “ ’l’histoire’ ne naît qu’à partir du moment où nous interprétons un chaos d’événements ” (Jünger, 2000 : 61), créant ainsi des présents chargés d’“ à-présents ” qui sont des “ échardes messianiques ”(XVIIIA). Tout présent contient donc une petite lumière d’espoir, car dans chaque instant on attend le Messie. Chaque présent est cette « porte étroite par laquelle [peut] entrer le Messie ”(XVIII B). Ainsi, l’avenir n’est plus un temps vide et homogène, parce que “ chaque seconde en lui ” devient lieu d’espoir pour les oubliés. Il est l’objet d’espérance pour le passé oublié, un passé qui hurle en espérant le salut qui survient avec chaque seconde qui vient. On n’est plus propulsé vers l’avant avec une ambition de hâter le temps, mais plutôt de séjourner dans une attente longue et douloureuse d’un surgissement possible qui casserait le continuum des vainqueurs. “ Il s’agit, […] non pas d’entendre les appels du plus lointain avenir, mais de répondre aux attentes du passé, de répondre au passé en attente et en souffrance dans le présent ” (Proust, s.d. : 29).

 

Et quand viendra-t-il ? La non-réponse à cette question constitue, d’une part, le point fort de cet espoir messianique, car si l’on savait quand il viendra, on n’aurait plus raison d’espérer ; on tomberait dans le déterminisme. Son heure est “ chaque seconde de l’avenir ” qui “ interdit de le scruter ”, sous peine de le rendre vide et homogène. “ L’espérance messianique [...] ne doit pas être conçue comme la visée vers une utopie destinée à se réaliser à la fin des temps, mais comme une extrême vigilance, une capacité à déceler ce qui, à chaque instant, laisse entrevoir l’‘énergie révolutionnaire du nouveau’  (Mosès, 1992 : 156).

 

D’autre part, cette non-réponse souligne le poids et la lourdeur de l’espoir. En effet, le Messie ne risque-t-il pas de tarder et arriver quand qu’il n’y aura plus rien à sauver ? La réponse n’est que dans cette conviction que “ le don d’attiser pour le passé la flamme de l’espérance n’échoit qu’à l’historiographe parfaitement convaincu que devant l’ennemi, s’il vainc, même les morts, ne seront points en sécurité ; et cet ennemi n’a pas cessé de vaincre ”(VI).

 

Une fois de plus, le Messie n’est attendu que là où le regard est tourné vers le passé. Ce qui confère à la génération présente un rôle prépondérant dans la rédemption de ce passé. Il lui revient, en effet, de prendre en main sa responsabilité envers les générations passées. C’est la raison pour laquelle l’écriture de l’histoire et l’attente messianique s’appuient sur une activité politique, dont le fondement est la revalorisation du présent comme temps ultime pour le salut du passé. En effet, “ les trois dimensions du temps historique s’articulent […] sur une expérience fondamentalement politique du présent ” (Mosès, 1992 : 153).

 

4. Acte Politique ou Justice aux Vaincus

 

La politique ne peut pas se réaliser dans « un temps vide et homogène». Elle est un acte du présent dans lequel se reconnaît le passé. Aussi l’acte politique -en tant qu’acte de justice envers les victimes- est-il précédé d’un acte éthique, celui du souvenir que la génération présente doit garder des générations précédentes. Aussi voudrions-nous prolonger notre réflexion à travers ces deux aspects.

4.1.              La posture éthique

“ Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître ‘tel qu’il a été effectivement’ [mais] bien plutôt [de] devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril ” (VI). Le regard tourné vers le passé ne cherche pas à rétablir ce qui fut. Il cherche plutôt à garder mémoire de ce qui advint et fut oublié. Il tente sans assurance de “ devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant du péril ”.

 

Ce souvenir concerne un moment donné qu’on voudrait passer sous silence, une période des victimes qui furent enterrées sans témoin. La génération présente a la responsabilité de ne pas faire sourde oreille à ces voix qui crient sous les ruines, devenues monuments culturels. Comme dirait J-.M. Ferry, l’acte de mémoire qui se réalise dans le travail du souvenir est de “ susciter ce qui aurait pu être dit, afin d’empêcher que la simple commémoration narrative n’enterre la mémoire de ce qui n’a pas été entendu ” (1991 : 219). Cet acte de commémoration est une manière de “ faire sortir par effraction du cours homogène de l’histoire une époque déterminée ” ; car “ il faut sortir ainsi de l’époque une vie déterminée, de l’œuvre de vie une œuvre déterminée ” (XII). Faire mémoire c’est citer ces moments, et ainsi participer à la délivrance de l’humanité, car “ c’est à l’humanité délivrée qu’appartient pleinement son passé ”(III).

 

Néanmoins, une telle démarche ne peut s’accomplir qu’en suivant “ la logique négative [de l’histoire] inscrite dans ce qui a manqué son heure [...], une logique dont le sens ne s’établira qu’a posteriori ”(Raulet, 1997 : 212). Aussi cette action ne peut-elle s’accomplir que dans le présent. “ L’historien, comme acteur de l’histoire, ne peut arracher à l’instant l’étincelle messianique qu’il contient que s’il est inspiré par un autre souci que celui [...] de la pure connaissance : celui de sa responsabilité pour le passé et pour l’avenir dont il a la charge ”(Mosès, 1992 : 174). Dans ce sens, la génération présente vers laquelle tend le passé a la responsabilité de ne pas oublier sa “ faible force messianique ” ; c’est-à-dire son devoir de délivrer le passé en se souvenant de lui. De la sorte, “ la remémoration peut transformer l’inaccompli (bonheur) en accompli et l’accompli (souffrance) en inaccompli ”(Raulet, 1997 : 203).

 

Cette attitude éthique doit, cependant, aboutir à un acte politique puisqu’en tant que passé des victimes, il réclame justice. La mémoire est un préalable nécessaire mais non suffisant. Seul l’acte politique en tant que tel, réalisé dans ces présents chargés d’ “ échardes messianiques ”, peut pousser plus loin le pas amorcé par et dans le souvenir.

4.2.              L’acte politique : justice aux vaincus

“ Pour comprendre politiquement le présent, il faut […] d’une certaine manière, anticiper l’avenir ”, car “ [la connaissance historique] ne peut appréhender le passé, c’est-à-dire saisir le sens qu’il peut avoir pour nous, qu’à condition de partir d’une conscience suraiguë du moment présent et de sa signification pour l’avenir ” (Mosès, 1992 : 151). Cette anticipation sur l’avenir et cette conscience du moment présent forment le gond de l’acte politique.

 

En effet, “ arracher l’enfant politique du monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé ” est une tâche de celui qui prend conscience de ce qui se joue ici et maintenant dans l’histoire. De plus, la responsabilité de la présente génération envers les générations du passé n’est pas facultative, car “de tout ce qui jamais advint rien ne doit être considéré comme perdu pour l’Histoire ”(III). Le passé a le droit de ne pas être oublié et il le réclame. Jusqu’alors l’historiographie n’a présenté que les vainqueurs, oubliant les deux faces de la médaille que sont “ la victoire et les victimes ”. Les victimes ont droit autant que les vainqueurs, d’apparaître sur la scène de l’histoire. Et tel est le premier côté de l’acte politique envers les vaincus du passé, et il crie urgence ; il n’est pas à reporter au lendemain. L’acte novateur s’inscrit dans le maintenant, “ ce temps de l’aujourd’hui ” qui rompt la longue chaîne du même, “ pour en changer [...] la signification ” (Mosès, 1992 : 176).

 

L’autre dimension de cette justice au passé, c’est la reconnaissance des dommages subis par les victimes. Nous touchons ici le nœud de l’imbrication entre l’acte éthique et l’acte politique. En effet, il ne suffit pas de garder mémoire, mais encore faut-il se rendre compte, dans le présent, de ce que subirent les victimes. Ceci a pour rôle non seulement de réhabiliter les victimes dans l’histoire, mais aussi de conjurer les violences et l’oubli qu’elles subirent.  L’"enfant politique" n’a pas, comme première tâche, de “ s’enfoncer dans le maquis pour résister à l’oppresseur ” (Dufour-El Maleh, 1990 : 247). Sinon, s’il vainc, il se rangera sur la liste des cohortes triomphales. En revanche, il doit entendre le cri des générations passées qui disparurent sans laisser de trace.

 

Il faut alors “ nager ” à contre courant. Le Messie n’est pas dans le travail, ni dans la masse, pas plus qu’il n’est dans le progrès. Il agit chaque fois qu’une génération prend conscience de “ sa faible force messianique ” et de “ la tacite attente ” qui la lie aux générations passées, afin de s’engager en faveur de la mémoire et de la justice des oubliés de l’histoire. “ La justice se fait au présent, mais elle se rend au passé. Le passé exige que lui soit rendue justice, que lui soit rendue sa vérité, que lui soit donné son nom pour qu’il revienne et vienne ” (Proust, s.d. : 153).

 

Tel est l’acte politique qu’attend le passé, acte qui accompagne chaque seconde de l’avenir advenant au présent, car chaque instant constitue la “ petite étroite porte par laquelle peut passer le Messie” (XVIII), rejoignant ceux qui se sont déjà attelés à l’œuvre de rédemption.

Conclusion

 

En méditant avec Walter Benjamin sur la conception et l’écriture de l’histoire, sur la force messianique qui agit au présent, et la justice aux vaincus, on débouche sur des défis tels des écueils qu’on ne peut éluder. En effet, on ne peut plus se passer de ces cris des victimes que l’histoire a tendance à passer sous silence. Mais non plus, on ne peut compter sur la victoire des opprimés pour remédier à cette situation des oubliés, car cela conduit au retour du même : le cortège des vainqueurs. Dilemme donc ! Pour sortir du dilemme, ne faudrait-il pas assumer, au présent, l’oubli du passé et les injustices aux victimes d’hier, afin que surgissent une histoire des vaincus ? Si tel est le cas, alors c’est la tâche messianique qui incombe à chaque génération.

 

Mais comment y arriver si l’on glisse tranquillement dans l’histoire sans secousse des vainqueurs ? Ne faut-il pas, au contraire, arrêter le temps, tourner le regard en arrière et se souvenir qu’il y a un passé qui compte sur nous pour échapper à la disparition totale ? Ne faut-il pas, et c’est urgent, “ commencer un nouveau calendrier ” pour qu’il y ait fête de “ commémoration ”(XV) ? Ne doit-on pas résister au vent qui voudrait empêcher “ de s’attarder pour réveiller les morts ” engloutis sous les décombres des victoires ? Tel est le lieu où s’articule l’écriture de l’histoire, la posture éthique et l’acte politique. La tâche de la génération présente autant que celle des générations futures est de se souvenir que le passé compte sur elles pour que justice lui soit rendue.

 

Une telle pensée ne peut manquer de nous choquer nous qui bâtissons les monuments sur les tombes de nos victimes tout en chantant les victoires de nos vainqueurs sans se soucier de la mémoire des vaincus. Toutefois, elle nous avertit que si l’histoire se contente de célébrer les victoires des vainqueurs, elle n’arrêtera pas de marcher sur les cadavres des victimes. Ainsi, elle peut être source d’inspiration de la tâche qui nous attend et la responsabilité qui nous incombe envers le passé oublié, qui est souvent –si ce n’est pas toujours- celui des vaincus. Saurons-nous sentir cette « faible force messianique » qui murmure en nous ? Saurons-nous « arrêter les horloges » pour « commencer un nouveau calendrier » (XV) ?

 

 

 

 

 

 

 


[1]Comme texte de référence, nous utilisons celui traduit par Maurice de Gandillac in Walter Benjamin, L’homme, le langage et la culture, Denoël/Gauthier, Paris, 1971. En ce qui concerne les citations relatives au texte, nous indiquons le numéro en chiffre romain, correspondant au numéro de la thèse en question.

 

[2]Stéphane Moses dans L’ange de l’histoire, Rosenzweig, Benjamin, Scholem. La couleur des idées, Paris, 1992, a bien montré qu’il y a trois niveaux d’interprétation historique dans la philosophie de l’histoire chez Benjamin. Il s’agit de la vision esthétique, théologique et politique, cette dernière essayant d’être le lieu d’imbrication des deux autres (Cf. aussi Raulet 1997). Ce « talent  caché » de la théologie se révèle dans la dimension messianique qui fustige tout déterminisme historique, parce que le Messie est imprévisible. Raison pour laquelle chaque seconde du présent devient l’objet d’une attente de quelque chose de nouveau et le lieu d’espérance.

[3]« Ces politiciens » désigne l’échec du système marxiste. D’où cet avertissement de ne pas continuer de nager dans le sens du courant (le progrès exprimé dans la confiance mise dans le travail comme le nouveau Messie du monde moderne XI), mais “ d’aboutir à une vision de l’Histoire qui refuse toute complicité ”avec le continuum du processus “ de temps homogène et vide ”. Pour plus de développements, cf. Raulet, (1997), Scholem, (1992), et particulièrement Dufour-El Maleh (1990).

[4]Nombre de commentateurs de Benjamin ont remarqué cette proximité entre Nietzsche et Benjamin. A ce propos, Gagnebin écrit : “ Chez Nietzcshe comme chez Benjamin, il s’agit de lutter contre la transformation de la mémoire du passé en une sorte de ressassement éternellement vindicatif, en ce discours interminable du ressentiment dont le premier but n’est pas, sous ses pieuses apparences, la fidélité au passé mais l’infidélité au présent ”(1994 : 163). Et Proust dans L’histoire à contretemps; le temps historique chez Walter Benjamin, consacre tout un chapitre à cet éternel retour.

Référence Bibliographique: 

Arendt, H 1974. Vies politiques. Paris : Gallimard.

 

Aron, R 1938. Introduction à la philosophie de l'histoire :Essai sur les limites de

l'objectivité historique. Paris: Gallimard.

 

Benjamin, W 1971. Thèses sur la philosophie de l'histoire, in L'homme, le langage et la 

Culture, traduction de Maurice de Gandillac. Paris: Denoël/Gauthier

 

Dufour-El Maleh, M-C1990. Angelus novus. Essai sur l'œuvre de Walter Benjamin.

Bruxelles: Oussia.

 

Ferry, J-M 1991. Les puissances de l'expérience : Les ordres de la reconnaissance. Paris:

Cerf.

 

Gagnebin, J M 1994. Histoire et narration chez Walter Benjamin, Paris: l'Harmattan.

 

Idel, M 1994. Messianisme et mystique. Paris: Cerf.

 

Jünger, 2000. La venue de Dieu ; eschatologie chrétienne. Paris: Cerf.

 

Leibovici, M 2000. Hannah Arendt, La passion de comprendre. Paris: DDB.

 

Levinas, E 1963. Difficile liberté. Paris: Albin Michel.

 

Missac, P 1987. Passage de Walter Benjamin. Paris: Seuil.

 

Moses, S 1992. L'ange de l'histoire, Rosenzweig, Benjamin, Scholem. Paris: Seuil.

 

Proust, F (n.d). L'histoire à contretemps ; le temps historique chez Walter Benjamin.

Paris: Cerf.

 

Raulet, G 1997. Le caractère destructeur: Esthétique, théologie et politique chez Walter

Benjamin.Paris: Aubier.

 

Scholem, G 1995. Walter Benjamin et son ange. Paris: Payot et Rivage

 

Scholem, G 1974. Le messianisme juif : essai sur la spiritualité du judaïsme. Paris:

Calmann-Lévy.

 

Tiedemann, R 1987. Études sur la philosophie de Walter Benjamin. Action du Sud.

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