SORTIR DE L’ETHNISME INTELLECTUEL: UN ITINERAIRE VERS LA CITOYENNETE

Abstract: 

This editorial essay gives a framework within which articles published in this issue should be read understood. Against the background of Mahmoud Mamdani’s “African intellectual and identity: overcoming the political heritage of colonialism” and Albert Nolan’s “The Spiritual life of the intellectual”, it argues that the African intellectuals must come out of their intellectual ethnic kraal to embrace the itinerary of citizenship. As in the time of the struggle for independence 50 years back, they have the responsibility to help all their fellow citizens to build the edifice which will be inaugurated at the end of the next 50 years. This mind-shift has three major requirements with which the African intellectuals have to engage with, namely: 1) To define themselves as intellectuals, that is, as people who are in search of truth; 2) To develop the spiritual life of the intellectual, that is a kind of interiority that allows one to transcend egocentrism, individualism and sectarism so as to achieve the common good. It is question of becoming an “organic intellectual” who is open to the kind of change the society needs; 3) And finally, to develop the independence of the spirit, that is, the kind of distance that only truth can offer for anyone to break the barriers that separate people. The editorial concludes by a panoramic view of articles of publication. 

Ce dernier numéro du volume 9 traite des perspectives d’avenir de l’indépendance africaine. Il s’agit d’envisager ce sur quoi la célébration du 100ème anniversaire de l’indépendance portera. C’est pourquoi nous devons nous mettre sur le grand chantier de l’édification d’une Afrique promotrice des nations rationnelles les prochaines 50 années. Cet essai éditorial suggère que l’intellectuel africain doit jouer de manière significative un rôle crucial dans la construction de cette Afrique d’avenir. Pour ce faire, il doit sortir du piège de l’ethnisme pour s’embarquer et embarquer ses concitoyens à bord du navire devant accoster le quai de la citoyenneté. Sortir de l’ethnisme intellectuel : un itinéraire vers la citoyenneté est l’idée souterraine qui va innerver les articles de ce numéro 3 du volume 9. Aussi est-elle développée à travers les grandes articulations suivantes : Sortir de l’ethnisme intellectuel et Panorama des articles de ce numéro

  1. Sortir de l’ethnisme intellectuel

Pendant que je me préparais à écrire cet éditorial, je lisais un ouvrage collectif intitulé The poverty of ideas (la Pauvreté des idées en français) de William Gumede et Leslie Dikeni (2009). Dans cet ouvrage, j’ai concentré mon attention sur le chapitre de Mahmood Mamdani, African intellectual and identity : overcoming the political heritage of colonialism (L’intellectuel Africain et l’identité : dépasser l’héritage politique du colonialisme), ainsi que sur celui d’Albert Nolan, The Spiritual life of the intellectual (La vie spirituelle de l’intellectuel). Les analyses et les réflexions de ces deux penseurs Constituent les conditions de possibilité à la construction d’une Afrique de demain.

Mamdani fait deux remarques judicieuses que les intellectuels africains doivent prendre en considération pour envisager l’avenir de l’Afrique. La première observation porte sur la nature de l’Etat. Selon Mamdani, le processus de la formation de l’Etat produit des identités politiques qui sont complètement distinctes des identités basées sur le marché et des identités culturelles. Les identités basées sur le marché sont celles qui sont issues des systèmes politico-économiques Grâce auxquels les leaders africains ont pu canaliser les forces nationales pour l’obtention des Indépendances d’une part, et l’intégration des populations africaines dans le ‘‘monde civilisé’’, d’autre part. Aussi a-t-on distingué entre les capitalistes et les marxistes, les compradors et les collaborateurs et plus tard, le camp Monrovia et le camp Casablanca. Dans la plupart des cas, l’alignement derrière chacun de ces crédos prenait l’allure tribale, clanique, ethnique ou régionale légitimée par des discours des intellectuels développant des visions parcellaires. Les identités culturelles sont celles issues des ethnies dans le contexte des frontières héritées de la colonisation Ou encore celles raciales auxquelles la plupart des africains ont pu faire face.

L’identité politique n’est basée ni sur le marché, ni sur un fond culturel, mais sur la loi pour autant que cette dernière soit le fruit de la volonté populaire qui s’impose à tout monde et régule les rapports entre les citoyens au sein de la société Etat.

La deuxième observation porte sur la tendance à confondre l’identité culturelle et l’identité politique: Il existe entre les deux une différence notable. L’identité culturelle se fonde sur l’ethnie ou la race alors que l’identité politique trouve sa base dans la loi.

A la lumière de cette distinction, Mamdani veut inviter l’Afrique à sortir de l’identité culturelle centrée sur l’ethnie –qui a dominé l’Etat colonial et postcolonial- pour embrasser l’identité politique- qui caractérise l’Etat moderne basé sur le système des lois institutionnalisées. Tandis que les puissances coloniales consolidaient les nations en Occident, elles ont réifié les ethnies en Afrique en vue de légitimer les distinctions raciales. L’Afrique se trouva écartelée entre l’idéologie ethnique et la raciale, respectivement d’origine culturelle et biologique. L’ethnie distinguait les Africains entre eux, la race entre ceux-ci et les colonisateurs. Dès lors, nous nous trouvions pris dans ce piège de la postulation ethnie-race. Les intellectuels africains ont été les principaux artisans de cet engrenage. Ils en portent donc la responsabilité pour autant qu’ils tendent à enfermer l’Etat africain dans les frontières de l’ethnie et de la race. C’est cela que j’appelle l’ethnisme intellectuel entretenu curieusement par l’élite intellectuelle africaine. Aujourd’hui même nous observons la recrudescence des mouvements identitaires de type ethnique un peu partout en Afrique (Dinka et Nuer au Soudan, Hutu et Tutsi au Rwanda et Burundi, entre les Rwandophone/Burundophone et les autres en R D Congo, et par extension, entre Chrétiens et Musulmans en Centrafrique, entre le Nord et Sud en Côte d’Ivoire, etc).

Pour en sortir, il faut passer de ‘‘l’Etat ethnique’’ à un Etat politique. L’itinéraire de l’Etat (post)colonial fondé sur l’identité culturelle, plus précisément sur l’ethnie vers l’Etat comme base de l’identité politique que la loi nourrit ne peut pas être envisagé sans que les intellectuels africains sortent de leur propre carcan ethnique. Il s’agit de passer de l’appartenance aux groupes tribaux, ethniques ou régionaux à la citoyenneté dans un Etat qui garantit les droits de tous et de chacun. En quoi consiste cet itinéraire pour l’intellectuel africain ? Voici trois éléments principaux à mentionner en suivant le point de vue d’Albert Nolan déjà évoqué, à savoir : Se redéfinir comme intellectuel ; retrouver la vie spirituelle d’un intellectuel ; retrouver l’indépendance d’esprit.

  1. Se redéfinir comme intellectuel : la quête de la vérité

Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Selon Albert Nolan (2009 : 57), l’intellectuel est souvent perçu comme un académique, un écrivain ou celui qui entretient un discours intellectuel. Pour Nolan, l’activité académique, écrire et tenir le discours académique ne sont que des médias par lesquels l’intellectuel communique dans la société. Mais un académique ou un écrivain n’est pas toujours un intellectuel dévoué. Un intellectuel est une personne qui dédie toute sa vie à la quête de la vérité comme service principal rendu à sa société. Cette quête de la vérité passe par des interrogations et la remise en question des affirmations que certains peuvent ériger en dogmes.

Ainsi Mamdani s’étonne que les intellectuels africains aient intériorisé les notions de race et d’ethnie sans les interroger et les mettre en question. Dans l’imaginaire colonial, les races sont gouvernées par un régime de la loi civile dans une société civile. La société civile exclue les ethnies. La conséquence de cet imaginaire est le racisme. Dans l’Orphée Noir, Jean Paul Sartre parle de la réaction des Africains contre la colonisation comme un racisme antiraciste. Le racisme raciste ou le racisme antiraciste reste toujours du racisme. En effet, le nationalisme qui a mobilisé les Africains pour obtenir l’indépendance n’était qu’une recherche d’un passeport pour être reconnu comme une race afin d’être admis dans le monde des droits de la société civile à la manière des colonisateurs. Toujours dans cet imaginaire des colonisateurs, les ethnies sont gouvernées par le régime de la loi coutumière. Alors que dans la loi civile, on parle le langage des droits, la loi coutumière parle le langage de la tradition et de l’authenticité. La conséquence de cet imaginaire est le ghetto de l’ethnisme. L’intellectuel africain est pris dans le piège de racisme et d’ethnisme par son refus délibéré de les interroger et les remettre en question pour proposer un idéal ou un horizon vers lequel les fils et les filles d’une même patrie peuvent vivre ensemble comme concitoyens avant de se définir comme sociétaires des groupes ethniques.

La quête de la vérité par laquelle l’intellectuel est défini doit consister à se libérer du racisme et de l’ethnisme parce que les deux sont exclusifs au lieu d’être inclusifs. Ils nous lancent sur le terrain de la compétition qui élimine (par des massacres et des génocides, partis basés sur les ethnies et des armés ethniques) et non sur le terrain de la coopération et la collaboration (consensus démocratique par raisonnement ou par projet de société) qui intègrent.

Les intellectuels africains sont conscients du rôle important des valeurs africaines dans la construction du ‘‘Nous collectif’’ ouvert et réfléchi, bien appréciées par d’autres peuples, comme la solidarité, l’hospitalité, l’entraide mutuelle, l’ubuntu, l’ubushingantahe, etc. Des colloques, des conférences et d’autres plateformes sont souvent organisés pour débattre de ces valeurs. Pourquoi ces valeurs sont-elles loin de constituer le ciment de la vie et de la culture politique en Afrique? La raison majeure est que l’appartenance au groupe ethnique constitue l’inexpugnable source d’inspiration de l’intellectuel africain dont l’unique système philosophique devient l’ethnisme intellectuel.

    1. Développer la vie spirituelle d’un intellectuel 

La vie spirituelle, selon Nolan, ne doit pas être réduite au seul sens religieux. Il s’agit plutôt de la spiritualité en tant que vie intérieure de l’individu qui peut fleurir même en dehors de la religion. Dans mes réflexions sur la recherche d’une voie africaine vers le développement et le leadership responsable, je parle souvent d’élan spirituel comme ce qui nous donne suffisamment de force intérieure et de fierté nationale pour devenir la source d’initiative, d’innovation et de créativité. Ces capacités sont dévolues à chaque intellectuel, membre d’une institution religieuse ou pas. Ainsi, pour exposer ses thèses sur le contenu de la vie spirituelle d’un intellectuel, Nolan parle de sept aspects, à savoir : la connaissance de soi, l’égocentrisme, l’individualisme, l’orgueil intellectuel, la liberté intellectuelle, le besoin du silence et l’intellectuel organique. Je retiendrai quatre de ces aspects pour débattre de la vie spirituelle d’un intellectuel. Il s’agit de la connaissance de soi (self-knowledge), la lutte contre l’égocentrisme, l’individualisme et l’intellectuel organique.

  1. La connaissance de soi

La connaissance de soi consiste à découvrir la vérité de soi-même pour pouvoir connaître la vérité de la société dans laquelle on est. Dans le numéro 2, volume 9 de la revue Ethique et Société, j’ai parlé de « Qui sommes-nous ?» comme une question de la prise de conscience de l’identité d’un peuple. Il s’agit de la question qu’on doit se poser aussi non pas seulement comme peuple mais aussi comme individu. Dans le processus de la découverte de la vérité de soi-même, l’intellectuel africain doit chercher à éviter d’être tributaire de certaines conditions historiques qui tendent à le définir et lui imposer une manière d’être. Il doit se définir lui-même en dehors des canons de définitions préétablies. Il doit se définir par rapport à lui-même en termes de ce qu’il a comme valeurs et forces. Cela est bien sûr tout un travail d’auto-déconstruction qui doit déboucher sur l’auto-réinterprétation-réinvention de l’individu. Ce processus doit aider l’intellectuel africain à se découvrir dans le contexte actuel comme citoyen d’un Etat avant d’être un membre d’une race, d’une ethnie, ou d’un clan. La vérité « je suis citoyen dans un Etat » doit conduire à la vérité « la valeur de l’Etat réside dans la loi » qui seule peut garantir les droits des races, des ethnies ou des clans en son sein. Justement, selon Jean-Jacques Rousseau, la loi part de tous et s’applique à tous également. Ainsi, la connaissance de la vérité de soi-même doit permettre d’échapper à l’immaturité émotionnelle, à l’infantilisme, aux préjugés et à la partialité dont l’intellectuel Africain peut être tributaire quand il s’enferme dans son clan ou son ethnie pour exclure ou nuire à ceux qui appartiennent à d’autres groupes. Sans la connaissance de la vérité de soi-même, les conclusions intellectuelles, si brillantes soient-elles, peuvent être tordues ou biaisées, nous dit Albert Nolan.

    1. Lutter contre l’égocentrisme et l’individualisme

Je mets l’égocentrisme et l’individualisme dans un tout monolithique parce que les deux sont sous-tendus par des vices communs: le mensonge de soi-même et l’exclusion de l’autre. Le problème de l’égocentrisme est que l’individu se croit être le centre de tout et s’érige en moi d’aimantation autour duquel tournent les sujets amplificateurs. C’est cela l’égoïsme. De même l’individualisme est une forme d’égoïsme qui consiste à croire qu’on est auto-suffisant, que seul l’intérêt personnel compte, et que, par conséquent on n’a pas besoin des autres. L’intellectuel africain s’allaite de l’égocentrisme et de l’individualisme de son clan ou de son ethnie. Seule son ethnie compte à l’exclusion des autres; seule son ethnie a droit de dominer la politique, l’économique, l’armée et tout le pouvoir. Comme l’égoïste, animal essentiellement politique, ne peut vivre ni en dehors de la société, ni séparé des autres sociétaires, l’ethnie à laquelle appartient l’intellectuel ne peut mieux s’épanouir que dans un tout complexe sociétal dont l’Etat reste le seul garant juridique. Sa survie ne se trouve ni dans un quelconque ethnocentrisme ni dans une sorte de compétition déloyale, mais dans un vivre ensemble innervé par la collaboration et l’entraide, grâce auxquelles elle peut dépasser les frontières ethniques, tribales ou claniques. Il est question pour l’intellectuel au service de son ethnie de sortir de l’ornière des idiosyncrasies ethniques et nationales pour s’exposer non seulement à l’humanité, mais aussi s’ouvrir à l’universalité. L’étude sur la mondialisation et la citoyenneté cosmopolite n’en dépend-elle pas ? L’intellectuel de l’ethnie doit penser son ethnie pour la sortir de la logique du cocon hermétique et anticiper ainsi la constitution d’un ‘‘nous’’ collectif différent du ‘‘nous’’ communautaire lignager et ethnique. Le résultat de cette intelligence collective doit être un Etat de droit et une humanité durable! La paix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières en dépend.

    1. Devenir un intellectuel organique

Devenir un intellectuel organique, quid est ? Selon Nolan, un intellectuel organique est celui qui a fait un choix idéologique conscient soit pour le statu quo, soit pour le changement. L’intellectuel organique qui met ses analyses et ses réflexions au service du statu quo a le risque de servir ses intérêts et ceux de son petit groupe, terroir de complaisance et d’injustice aux autres membres étrangers à son groupe. Le véritable intellectuel organique est celui qui fait un choix idéologique du changement dont tous les membres de la société doivent bénéficier. En d’autres termes, l’intellectuel organique est appelé à travailler avec les autres pour la réalisation du bien commun sous la direction de l’autorité légitime et légale.

    1. Développer l’indépendance d’esprit

Un homme a posé cette question à Confucius : Comment dois-je conseiller le prince ? Confucius répondit : Dis lui la vérité même si elle l’offense. L’intellectuel qui est en quête de la vérité doit avoir une indépendance d’esprit. J’entends par l’indépendance d’esprit  la distance que prend un intellectuel face aux influences et sollicitations extérieures. C’est elle qui cultive l’esprit de vérité et le courage de dire la vérité. J’aime lire la bible de façon transcendantale (au-delà de la foi). En la lisant parfois ainsi j’éprouve beaucoup d’admiration pour Jésus que je me dis, même sans être chrétien, j’aurais pu être son disciple. L’attitude de Jésus, dois-je le redire, m’émerveille. Chez Lui, il existe toujours un lien entre les obligations envers la vérité et son état d’esprit ; car sa quête de la vérité reflète l’indépendance de son esprit. Ne dit-il pas qu’il est la vérité. Il n’a pas peur de dire la vérité même si celle-ci le met en péril, confond les docteurs de la loi, contredit sa famille ou le peuple juif. Il est, dit-il, dans le monde mais pas du monde. Il n’a pas peur de casser les frontières de son petit peuple pour embrasser les frontières de toute l’humanité et de l’universel dont Dieu est le seul souverain. Aussi a-t-il raison de dire : la vérité te rendra libre. Qu’est ce que cela veut dire ? L’indépendance de l’esprit est le point de départ du refus du statu quo en vue du changement. L’intellectuel organique africain, celui qui est libéré de l’ethnisme, doit avoir une indépendance d’esprit. En premier lieu, c’est cela qui l’aide non seulement à se libérer du statu quo, mais aussi à être libre face à tout ce qui peut l’empêcher de se mettre au service de la vérité et à la recherche du bien commun ; en second lieu, l’indépendance de l’esprit est le point de départ du changement fondamental dont les implications politiques et économiques sont avérées.

  1. Implications politiques : démocratie avec une valeur ajoutée !

D’abord les implications politiques. Notre argumentaire se fonde sur la pratique de la démocratie en Afrique. Telle qu’elle est vécue sur le continent Africain, la démocratie n’est pas une initiative ou une innovation de l’intellectuel africain. Elle est la conséquence de la mutation dans le monde à laquelle l’Afrique s’est ajustée. Dans plusieurs cas, elle a été l’occasion de libération des ethnies les unes des autres. Mais, une ethnie qui s’est libérée d’une autre éventuellement avec l’aide d’une légitimation intellectuelle peut dire : Voilà c’est mon tour de manger. La conséquence c’est la corruption et la mal-gouvernance. Je croiss que si l’intellectuel africain sortait de son ethnisme intellectuel pour devenir un intellectuel organique, il devrait construire davantage la démocratie issue des mutations dans le monde. Il est fort possible qu’il débouche sur la démocratie consensuelle ou la démocratie délibérative que les dialogues inter-politiques, les conférences nationales souveraines, les accords inter-partites, ou les gouvernements d’union nationale ont pour la plupart suggéré. Je suis conscient que les penseurs comme Kwisu Wiredu ou Lual Dieng ont déjà fait une telle suggestion mais pas d’une manière assez structurée et poussé: L’idée est encore enfermée dans une enveloppe de vœu pieux qui doit être pensé de manière rigoureusement critique. Le point ici est que l’intellectuel africain qui fait son travail à partir du souffle de l’indépendance d’esprit doit passer d’une démocratie sous forme de matière première issue des mutations du monde à la démocratie qui répond aux besoins et à la nécessité du contexte de son peuple : ce serait une démocratie avec une valeur ajoutée.

    1. Implications économiques

Je procéderai de la même manière que pour l’implication politique. En abordant l’implication économique, les cas des visions et des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté suscitent en moi les interrogations. Ces temps-ci nous sommes habitués aux « Visions » (Vision 2020 pour le Rwanda, Vision 2025 pour le Burundi, Vision 2030 pour le Kenya, ect.) et des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Ces futuribles du développement sont issues de l’économie clinique de Jeffrey Sachs. Cependant nous voyons peu d’analyses et de réflexions autour de ces concepts pour s’approprier de cette approche du développement en Afrique. Ces visions sont des macro-stratégies qui ont besoin d’être digérées en politiques de développement pour résoudre des questions sectorielles. Nous avions fait la même observation pour le cas de l’aide publique au développement (Ntibagirirwa 2007:162-183). La plupart des intellectuels africains se complaisent dans ces visions et cadres comme ils se prélassent dans leurs ethnies, tribus ou clans respectifs. Or les obligations de l’intellectuel organique sont telles qu’il faut s’approprier ces visions et les retravailler en vue d’élaborer des politiques économiques que nos populations seront capables de mettre en œuvre en les adaptant à leurs propres contextes de vie.

En lisant l’histoire de l’économie sud-africaine, j’ai été impressionné par les nombreuses tentatives de mettre en place des politiques économiques postapartheid longtemps en avance (déjà dans les années 80) (voir Padayachee et Sherbut 2009). Cela supposait des laboratoires et des plateformes dans lesquels les intellectuels organiques réfléchissaient à l’instar des SME (Système de Mystère Egyptien) de la période pharaonique ou des think tanks d’aujourd’hui dans les pays avancés. L’itinéraire emprunté par les économistes et des experts en sciences sociales de ces laboratoires montre que la vérité est toujours à l’horizon. Il faut sortir des petites frontières pour la contempler. Il faut quitter son petit monde pour la rechercher et la laisser nous façonner.

Tel est le cadre dans lequel je circonscris les articles publiés dans ce numéro dont voici la vue panoramique.

  1. Panorama des articles de ce numéro

Dans « Une exigence utile : penser le destin de l’Afrique à la lumière des grands concepts de la philosophie de Paul Ricœur, Godefroid  Mana reprend la philosophie de Ricœur et nous suggère que ses concepts les plus fondamentaux peuvent servir de grille de lecture et de compréhension de la situation actuelle de l’Afrique dans le monde; en particulier pour envisager une perspective des changements que le continent africain est appelé à opérer pour se construire un avenir. Mana choisit les concepts d’idéologie, d’utopie, de noyau éthico-mythique, d’initiative, d’action et d’éthique pour montrer qu’ils peuvent servir de configuration théorique et de sonde philosophique pour saisir les problèmes cruciaux des pays africains, en déceler les enjeux vitaux, dérouler leurs significations et faire resplendir leur sens.

Dans « Quelle renaissance pour les pays africains », Djibril Diop soutient que le développement de l’Afrique doit être de la responsabilité des Africains eux-mêmes. Pour arriver à assumer cette responsabilité, les Africains doivent cesser d’être des ennemis de leur propre continent et éviter de se considérer toujours comme des victimes. En argumentant, il souligne les questions brûlantes que les Africains doivent mettre au cœur de leurs préoccupations pour envisager un avenir meilleur en Afrique. Il s’agit du renforcement de la gouvernance politique, du développement économique, de la coopération et de l’intégration au niveau sous-régional et continental. La renaissance de l’Afrique en dépend.

Dans « Bonne gouvernance et développement au Burundi : réalités et perspectives », Siméon Barumwete montre comment les Burundais tentent de traduire dans la réalité l’éthique de la bonne gouvernance comme un nouveau paradigme du développement. De fait, dans ce pays, le développement est désormais arrimé sur l’éthique de la bonne gouvernance. Selon l’auteur, cela est bien perceptible dans les documents de politique de développement du Burundi (Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté, Burundi Vision 2025, la Stratégie nationale de bonne gouvernance). Cependant, ceci ne semble être qu’un simple fait d’intention sans morsure sur le réel. La bonne gouvernance, la démocratie et le respect des droits humains ne permettent au Burundi de connaître un décollage économique afin de résoudre la question de la paupérisation de la population. Le pays doit encore déployer beaucoup d’effort pour atteindre ce pari.

Dans « Repenser les frontières issues de la colonisation en Afrique », Godefroid Mana pose la question de ce qu’il faut faire des frontières issues de la colonisation dans l’Afrique actuelle ? Pour lui, il ne s’agit ni de les conforter, ni de les redessiner, ni de les abolir, mais de les redéfinir sur la base d’une philosophie mieux repensée. Il s’agit de partir d’une vision globale de ce que l’idée de frontière comporte comme sens et valeurs dans les relations entre les pays et entre les peuples. Selon Mana, les frontières se fondent sur des bases anthropologiques perceptibles. Elles vont de la gestion de la maisonnée jusqu’à la responsabilité de toute l’humanité face à la vie et à l’avenir. Aussi faut-il savoir les assumer, en remettre en question leurs éléments pathologiques en vue de réinventer les dynamiques fertiles, en fonction de grandes utopies de construction d’un avenir d’inter-enrichissement entre les peuples. Les frontières doivent être considérées dans le potentiel de lutte pour l’humain et le rêve d’une communauté mondiale en quête d’éthique planétaire. La paix mondiale en dépend.

Dans « Du droit des femmes africaines à l’éducation», Joséphine Bitota revient sur l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme selon lequel toute personne a droit à l’éducation. Bien que cet article ne spécifie pas le sexe qui doit jouir de ce droit prioritairement, l’éducation semble être devenue une priorité des hommes exclusivement. Bitota nous amène à nous rendre compte des conséquences de l’injustice dont souffrent les femmes dans ce domaine tant au niveau de la famille qu’au niveau du développement de toute la société humaine. Considérant le caractère absolu, fondamental et obligatoire du droit à l’éducation, Bitota martèle qu’il est temps que le droit à l’éducation soit effectif pour les femmes sans référence à son utilité sociale. Le droit à l’éducation en particulier et tous les droits humains en général sont la condition d’un avenir meilleur que l’Afrique doit pouvoir atteindre dans les cinquante prochaines années.

Référence Bibliographique: 

Mamdani, M 2009. On African intellectuals and identity: Overcoming the

political legacy of colonialism. In W. Gumede et L.Dikeni (eds.), The Poverty of ideas, pp.122-142. Sunnyside (Johannesburg): JACANA

Nolan, A 2009. On the spiritual life of intellectuals. In W. Gumede et L.Dikeni

(eds.), The Poverty of ideas, pp.57-66. Sunnyside (Johannesburg): JACANA

Ntibagirirwa, S 2007. Aide, croissance économique et lutte contre la pauvreté: la

part du bénéficiaire de l’aide publique au développement. Ethique et Société, 4(2) : 162-183.

Padayachee,V & Sherbut, G 2009. Ideas and power: acamidic economists and

the making of economic policy. In W. Gumede et L. Dikeni (eds.), The Poverty of ideas, pp.217-241. Sunnyside (Johannesburg): JACANA

Wiredu, K 2013. Democracy and Consensus in African Traditional Politics: A

Plea for a Non-party PolityEn ligne sur http://them.polylog.org/2/fwk-en.htm (Consulté le 13 Novembre, 2013).

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