POUR UNE PEDAGOGIE DE LA TRANSFORMATION SOCIALE EN R D CONGO : CONTEXTE, CONCEPTS, OUTILS ET METHODOLOGIE

Abstract: 

The paper focuses on a view of the long endemic crisis of the Democratic Republic of Congo and the route that should be followed to fight against it: the pedagogy for social transformation.Drawing on an analytic approach of the “deconstruction and reconstruction” kind, the paper proposes seven pedals that should be taken seriously in transforming Congo through education. Two of these pedals are structure the anthropological context of this social transformation and concern the vision of the kind of person that such education should produce. The five other pedals concern the pedagogical practice of change and the tools that should be used. Thus, the paper claims that the price tag of the future of Congo is human resource and energy which need to be developed and managed for this end. 

  1. Introduction

 

La pédagogie de la transformation sociale dont je présente les grandes lignes théoriques et les outils méthodologiques dans la présente réflexion est une démarche élaborée après de longues années d’analyse et de recherche sur la situation de crise endémique en République démocratique du Congo. Elle porte sur les moyens de  changer radicalement cette situation, à partir d’une nouvelle vision, de nouvelles normes et de nouveaux dynamismes d’action auprès de générations montantes. Vue sous cet angle d’ambition, elle s’enracine dans un besoin profond de répondre à une question qui hante mon esprit depuis que j’ai pris conscience des conditions tragiques d’existence dans lesquelles le peuple du Congo-Kinshasa a vécu tout au long de son histoire comme entité historique unie par le sort. Conditions dans lesquelles il vit d’ailleurs encore de nos jours dans le contexte mondial qui a, lui aussi, les allures de destin funeste pour le Congo, malgré les immenses possibilités de changement et les énormes opportunités de développement qu’il offre aux nations et aux peuples en matière scientifique, technologique et organisationnelle. Ma question est, au fond, celle de savoir pourquoi il en est ainsi et comment transformer en chances de vie ce qui apparaît comme une dramatique fatalité et un horizon irrémédiablement sans espérance.

 

Face à cette question, je voudrais ici, comme dirait Elikia M’bokolo, proposer « les procédures, les méthodes et les moyens par lesquels on peut redresser la marche d’un pays à la dérive » (M’bokolo, in Kabarhuza 2002), avec en arrière-fond une philosophie fondamentale d’invention et de construction de l’avenir.

 

Ma conviction de base est qu’un tel redressement ne peut s’opérer que par la puissance de l’éducation et que c’est à la libération de cette puissance qu’il convient de s’atteler en République Démocratique du Congo. Il ne s’agit pas d’une hypothèse à vérifier ni d’un vœu à satisfaire par l’élaboration de nouvelles théories éducatives. Il s’agit d’une exigence que le simple bon sens et une analyse tant soit peu approfondie de la situation congolaise fait sauter aux yeux : le pays est atteint dans son être même par des pathologies que seule une éducation énergique pourra affronter dans une dynamique

 

… volonté de changement, alliée à la capacité de concevoir ce changement et à l’aptitude à mobiliser concrètement, ici et maintenant, les ressources les plus variées pour amorcer ce changement », grâce à « des figures d’alternatives positives et durables » (M’bokolo, in Kabarhuza 2002).

 

Dans la réflexion que je propose ici, je m’attache aux côtés pratiques de l’éducation. C’est-à-dire aux dimensions d’une pédagogie de la transformation sociale attachée aux problèmes concrets. J’ai la force de penser que la RDC a impérativement besoin d’une telle pédagogie pour impulser des énergies d’anti-chaos et d’éveil vers une nouvelle destinée dans le monde.

A la fin d’un long itinéraire consacré à la recherche de cette méthode à partir des analyses qui mettaient en lumière les pathologies du Congo d’année en année[1] ; sur la base d’une vision de l’éducation comme champ la méthode que je cherchais devait trouver son ancrage et se déployer dans des dynamiques concrètes de transformation d’une société, positivement et en profondeur, je rassemble maintenant en un seul grand bloc d’intelligibilité et en une seule grille méthodologique ce que je suis convaincu d’être la route de l’avenir pour toute éducation de la transformation sociale en RDC (voir  Mana 1999 ; 2009 ; 2011 ; 2012). Il s’agitglobalement, de sept leviers pour transformer le Congo par l’éducation. Deux de ces leviers sont de l’ordre de la vision, les cinq autres concernent la pratique pédagogique du changement grâce à des outils concrets.

 

2. Les deux leviers pour une vision du changement de l’être congolais

 

2.1 Premier levier : ouvrir des espaces et produire des forces du changement

 

Le premier levier de la méthode, c’est d’aménager des lieux et de forger des forces de changement qui puissent atteindre à un certain moment une masse critique susceptible de faire basculer les rapports de force idéologiques et sociopolitiques. Aujourd’hui, il n’existe pas en RDC une pédagogie centrée sur cette capacité de basculement des rapports de force à partir des lieux et des puissances de transformation sociale en profondeur. Je m’en rends compte tous les jours dans les universités et les institutions d’enseignement supérieur il m’est donné de me rendre. Chaque fois, je cherche à savoir les étudiants sont politiquement et socialement engagés en matière de changement du pays. Rares sont ceux qui militent explicitement dans cette perspective. Une infime minorité est affiliée à l’une ou l’autre politique ou à un autre, sans souvent avoir conscience des transformations qui engagent les enjeux de l’avenir, autrement que par le désir de voir les pouvoirs en place céder à de nouveaux venus les rênes du pays.

 

Aucune idéologie pensée, structurée et dynamique ne nourrit les volontés par un projet de société au nom duquel on serait prêt à libérer des énergies d’indignations vigoureuses, de révoltes constructrives ou de résistances fécondes, tournées vers l’éveil du Congo à une destinée de paix, de prospérité et de développement. Les partis politiques sont soit des réserves alimentaires pour une certaine caste de spécialistes de la politique au sens mesquin du terme, soit de vieilles bâtisses idéologiquement vides à force de conflits internes, soit des oppositions stériles qui parlent souvent pour ne rien dire, dans des jérémiades et des tintamarres de la salive qui victimisent le pays plus qu’ils ne l’aident à se construire.

 

Les seules forces qui semblent organisées sont des forces de destruction et de la mort, les milices et les groupes armées rebelles, souvent soutenus par des intérêts étrangers les Congolais sont vus comme un peuple sans leadership ni organisation, juste bon à danser et à chanter dans l’ivresse d’une misérable banqueroute du leadership et de l’intelligence. il était possible de trouver de vraies organisations capables d’actions transformatrices, c’est-à-dire dans les Eglises par exemple, le spiritualisme du délire et de la confiance dans l’irrationnel et dans l’invisible réduit à rien le potentiel du changement et la charge d’initiatives du peuple pour des mutations locales significatives. Celles qui portent un groupe ou un peuple à se prendre en charge sans compter sur une élite vampire, sur un Etat en faillite ou sur les organisations internationales ou des ONG aussi innombrables qu’incapables de changer en profondeur le pays.

 

Dans un tel contexte,  des changements ne peuvent avoir lieu que si une pédagogie de transformation sociale commence par le premier pas nécessaire : des lieux et des forces qui s’organisent dans ce but, avec comme idéologie de base la foi dans le changement profond et positif, qui s’ancre dans la foi en soi et dans la confiance en sa propre capacité d’action.

Des hommes et des femmes qui ont ce souci, on en rencontre sans doute au Congo et dans sa diaspora mondiale. Si tout ne dépendait que de la vigueur de leur salive discursive, le pays aurait changé depuis longtemps. Ce qui nous manque en RDC, c’est la vraie capacité d’être ensemble, de nous organiser en forces de changement et de mettre ensemble nos moyens propres dans des projets et des initiatives nous engageons notre intelligence, notre imagination et notre volonté d’action dans un champ fertile relevant des domaines les plus fondamentaux pour la vie d’un peuple : l’énergétique scientifique, la puissance économique, la créativité culturelle, l’éthique politique et le dynamisme social.

 

2.2 Deuxième levier : penser et susciter l’éducation du pouvoir de changement

 

J’en viens au deuxième levier. Il s’agit, une fois que les lieux et les forces du changement sont constitués et mis en branle comme potentiel et pouvoir d’action, de penser l’éducation de ce pouvoir du changement et de le confronter au système existant de formation dans la société afin que l’éducation même y devienne une énergie de fertilisation des esprits et des consciences. Ce qu’il y a à apprendre ici, une longue expérience de travail dans les mouvements des jeunes me l’a appris. De l’animation des groupes de jeunes dans les Eglises en Centrafrique, au Sénégal, au Togo, au Cameroun et en Côte d’Ivoire depuis de longues décennies jusqu’à mon engagement actuel dans les universités congolaises et la société civile, j’ai compris qu’il n’y a rien de plus fécond que la qualité de personnalité et l’authenticité des êtres humains pour transformer une société. Et la question centrale est celle de savoir quelle substance éducative il convient d’inventer pour la production de grands hommes dans une nation, contre la production à la chaîne de petits caractères médiocres d’hommes et de femmes qui détruisent au jour le jour leur propre pays. Parfois sans même se rendre compte qu’ils le font, comme c’est le cas en République Démocratique du Congo aujourd’hui.  

 

Au début de la décennie 1990, dans l’effervescence de la chute du mur de Berlin qui libérait tous les espoirs chez les peuples opprimés et dans l’atmosphère paradoxale d’un pessimisme généralisé quant à l’avenir du continent africain, j’avais compris que c’est sur la question de l’être même des Africains et des Congolais que tout se jouerait. Je venais d’achever le très long cycle de mes études universitaires et je voulais que les choses changent radicalement dans mon continent comme dans mon pays. La loi du changement de personnalité que je découvris en ces temps-là demeure un principe fondamental de la pédagogie de transformation sociale qui me porte et que je n’accouche que maintenant, dans une théorisation globale qui en saisit les enjeux décisifs.

 

La loi dont je parle consistait  à donner à l’éducation africaine et congolaise une triple exigence : 

 

2.2.1 L’exigence de former l’homme africain, l’homme congolais rationnel.

J’appartenais en ces temps-là à un courant philosophique radical des jeunes universitaires congolais de Belgique, de France et du Canada: le mouvement de l’invention des nouvelles rationalités africaines, mouvement animé par le philosophe congolais Célestin Dimandja Eluy’a Kondo. Nous croyions au pouvoir universel de la raison humaine et nous voulions que tout ce qu’il y a de grand, de fort, de riche et de prodigieux dans l’utilisation de la matière grise pour répondre efficacement aux problèmes humains puisse rayonner dans notre continent et dans notre pays. La découverte et l’analyse du pouvoir gigantesque du cerveau humain tel que les philosophes comme Edgar Morin, V.Y. Mudimbe et Mao Tsé-Toung en exaltaient les puissances étaient le socle de nos recherches. Il nous fallait penser juste, agir efficace et viser haut, très haut la grandeur rationnelle du Congo et de l’Afrique. Dans la pédagogie de la transformation sociale qui devrait guider les pratiques éducatives en Afrique dans tous les lieux du changement et dans toutes les forces de la jeunesse montante, la construction de l’efficacité rationnelle demeure une ligne de fond, le limon de la dynamique éducative pour notre société. Sous cet angle, la production des grands hommes que vise la pédagogie à promouvoir aujourd’hui est cette force de la réflexion et de l’action rationnelles : l’urgence d’un choix public de l’intelligence, pour reprendre l’expression du philosophe Kasereka Kavwahirehi (2009, Katubadi 2008).

 

2.2.2 L’exigence de former l’homme éthique au Congo comme partout en Afrique.

A la même période je militais pour l’Afrique de nouvelles rationalités, en rupture avec les archaïsmes dictatoriaux du mobutisme, l’inefficacité économique de nos systèmes financiers et du parapluie des organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale dans leurs programmes d’ajustement structurel, j’étais devenu très sensible à la problématique fondamentale des valeurs dans une société. Avec un autre groupe de jeunes universitaires africains réunis autour du philosophe égyptologue Bilolo Mubabinge dans l’Académie de la Pensée Africaine, nous rêvions de construire une conscience historique africaine fondée sur les valeurs d’humanité que notre continent a promues dans l’histoire, depuis l’Egypte pharaonique jusqu’à nos jours. C’était dans des années d’effervescence philosophique un autre groupe de penseurs africains du Cercle pour la réactivation des valeurs africaines (CERVA) promouvait les mêmes idées à Paris.

 

Au centre de nos quêtes brûlaient le souci de redécouvrir l’éthique de la Mâat dans l’Egypte ancienne, l’éthique de l’Ubuntu dans la pensée traditionnelle africaine et l’éthique de la force vitale que le Père Placide Tempels avait théorisée de manière maladroite mais qui nous semblait fondamentale pour une nouvelle vision de l’authenticité africaine dévoyée par la farce mobutiste de la philosophie de l’authenticité. La Mâat, c’était l’idéal d’incarner toutes les valeurs qu’un être humain voulant assumer vraiment son humanité devait accomplir pour être digne de l’humain. Personne ne peut prétendre ne pas ressentir ces valeurs en son propre cœur ni les entendre répéter par toutes les religions du monde que l’Egypte ancienne avait, d’une manière ou d’une autre, influencé. L’Ubuntu, c’était la traduction et l’incarnation de la Mâat dans l’Afrique traditionnelle ; il s’agissait de l’art d’être pleinement humain, contre les forces de destruction et du mal.

Quant à l’éthique de la nouvelle authenticité, elle représentait la quête d’une puissance africaine dans tous les domaines, selon les lois de la fertilisation de soi par toutes les forces dont l’être humain et la société humaine sont dotées. Nous y voyions la capacité d’entrée dans l’ordre mondial de manière créative : dans l’invention des sciences, de l’économie, de la politique, de la société et d’une culture d’humanisation. Nous avions trouvé, dans Amadou Hampaté Ba et dans le philosophe congolais Tshiamalenga Ntumba,  nos philosophes de prédilection. Hampaté Ba nous fascinait par sa définition de l’idéal éthique de l’homme digne de considération : un homme de grande écoute, de grande vision, du grand parler et du grand agir.

 

Tshiamalenga Ntumba avait modernisé l’Ubuntu dans une philosophie de la primauté du « nous » (Bisso, en langue lingala) sur le « je », cassant ainsi l’individualisme et le subjectivisme de la tradition philosophique occidentale pour imposer une vision communautaire de la politique, de l’économie, de la vie sociale et de la spiritualité. Son bissoïsme nous fournissait une bissoïté dont nous faisions la substance critique contre tous les régimes politiques africains aliénés et corrompus. Dans la pédagogie de la transformation sociale qui devrait guider les pratiques éducatives en Afrique dans tous les lieux du changement et dans toutes les forces de la jeunesse montante, la construction de la conscience mâatiste, ubuntuïste et bissoïste demeure une ligne de fond, le limon de la dynamique éducative pour notre société (Kenmogne 2013). La production des grands hommes que vise la pédagogie à promouvoir aujourd’hui est cette force de la réflexion et de l’action pour les valeurs de l’humain: l’urgence d’un choix public de l’éthique, pour parodier Kasereka Kavwahirehi.

 

2.2.3 L’exigence de former l’homme spirituel au Congo et en Afrique

Toujours au temps de nos combats de jeunes universitaires africains d’Europe pour l’invention de l’Afrique nouvelle, nous avions senti le danger et le côté complètement nocif du surgissement de nouvelles spiritualités du délire et des irrationalités qui envahissaient le continent africain et le territoire congolais. Certains doctes analystes européens et américains avaient beau nous expliquer  qu’il s’agissait d’un renouveau semblable à la Réforme protestante au temps de Luther, de Calvin et de Zwingli, nous savions que le feu qui brûlait l’Afrique et le Congo n’était pas le feu de l’Esprit Saint mais le feu de la diabolique idiotie, du point de vue des grands enjeux de l’avenir du monde.

 

Maintenant que nous disposons des années de recul pour voir ce que le pays et le continent sont devenus sous la domination spiritualiste des pentecôtismes de tous genres, nous voyons que nous avions raison de nous méfier.

 

Les théologies d’imbécillisation collective et de crétinisation orageuse des esprits, que nous dénoncions depuis lors, ont le vent en poupe aujourd’hui encore, mais le pays a la tête dans l’eau. En même temps, le continent courbe l’échine sous les fourches caudines de la mondialisation néolibérale. C’est le moment d’inventer une nouvelle spiritualité inspirée de la grandeur spirituelle des temps pharaoniques, de l’Afrique ancestrale quand elle était libre,  de grandes religions du livre qui nous ont apporté un vrai souffle de la vie en abondance ainsi que de vrais mouvements de foi qui, dans le chaos spiritualiste actuel, travaillent ardemment à l’engendrement de nouveaux cieux et de la nouvelle terre.

 

La nouvelle spiritualité africaine dont nous voulons l’avènement nous tournera vers l’avenir grâce à l’imagination spirituelle attentive à l’énergie de la transcendance. Celle qui donne à un peuple la capacité de résoudre ses problème non pas en les déposant entre les mains d’un destin manipulé par un Dieu glorieusement tout-puissant au plus-haut des cieux, mais en s’appuyant sur l’énergétique de Dieu en l’homme pour voir grand, agir efficace et rêver fort, en vue de se construire une puissante et rayonnante destinée. 

 

Dans la pédagogie de la transformation sociale qui devrait guider les pratiques éducatives en Afrique dans tous les lieux du changement et dans toutes les forces de la jeunesse montante, l’invention d’une spiritualité de la responsabilité et de la créativité demeure, aujourd’hui encore en notre esprit, l’une des lignes de fond  majeures de notre vision de l’Afrique et du Congo, le limon de la dynamique éducative pour toute notre société. La production des grands hommes que vise cette pédagogie à promouvoir aujourd’hui est cette force de transcendance et de son action transformatrice : l’urgence d’un choix public de la spiritualité, pour parodier encore Kasereka Kavwahirehi.[2]

 

Avec ces deux principes-leviers que je viens de présenter, la pédagogie de la transformation sociale dispose de son point d’ancrage fondamental et de sa substance fécondatrice : des lieux à animer avec des énergies de création d’une forte dynamique de personnalité créatrice.

 

3. Les cinq leviers pratiques dans une pédagogie de la transformation sociale

Pour changer une société positivement et en profondeur, un lieu et une vision de la personnalité humaine à forger ne suffisent pas. Il faut autre chose, pour reprendre encore le mot du penseur Elikia M’Bokolo : « les procédures, les méthodes et les moyens par lesquels on peut redresser la marche d’un pays à la dérive », comme l’est le Congo actuellement. Ce sont ces procédures, ces méthodes et ces moyens que je me propose de présenter ici.

 

Je les présente autour des responsabilités indispensables à tout pédagogue qui veut contribuer à la transformation sociale profonde et positive. Que doit-il faire ? Actionner cinq leviers fondamentaux.

 

3.1     Premier levier : ouvrir les yeux, les oreilles et la matière grise à ceux qui veulent changer la société pour qu’ils comprennent le monde dans lequel ils vivent et qu’ils doivent transformer.

 

Savoir voir, savoir entendre et savoir se servir de la matière grise pour saisir les problèmes d’une société et les résoudre n’est une tâche facile ni un travail à la portée de tout le monde. De même que les sens, comme l’avait bien vu Descartes, nous trompent souvent et nous fourvoient souvent en nous poussant, nous les humains, dans des interprétations superficielles ou fantaisistes des situations, les approches des événements de manière précipitée conduit souvent à se tromper d’enjeux dans l’intelligence des problèmes. Une pédagogie de la transformation sociale doit veiller à être une hygiène de l’intelligence face aux questions qui se posent aux individus comme aux groupes sociaux. A nos yeux, cette hygiène consiste à se doter d’un cadre théorique susceptible de donner à voir les événements selon leurs dimensions les plus significatives et de fournir aux dépositaires d’enjeux les outils les plus performants pour changer la réalité.

 

Pour la pédagogie de la transformation sociale comme pouvoir d’interprétation des problèmes et des réalités, nous pensons qu’il convient d’avoir recours à quatre grilles de théories sociologiques qui conduisent à répondre à la question centrale du changement dans une communauté historique et sociale : la question de savoir quels sont les problèmes auxquels il faut s’atteler en priorité et en profondeur pour sortir les populations d’une crise profonde.

 

Ces grilles théoriques n’ont pas été choisies au hasard. En effet, dans la sociologie contemporaine, elles sont sans doute celles qui ont déjà le plus montré leur fécondité dans les analyses sociales des problèmes des mutations au sein des communautés historiques. En plus, en les mettant ensemble dans le contexte africain actuel auquel nous les appliquons, nous savons qu’elles constituent un canon scientifiquement pertinent pour saisir les traits importants des sociétés en crise, afin de mettre en lumière ce qu’il convient de faire pour résoudre leurs problèmes les plus virulents.  La première dynamique théorique, c’est celle de la sociologie des mutations sociales de Georges Balandier (1973). Elle distingue un triple palier des transformations sociales :

 

-          Le palier des mutations de surface,qui concernent les manières de vivre, de s’habiller, de se comporter socialement dans la vie de tous les jours. C’est le palier qui change le plus rapidement dans une société.

-          Le palier des institutions qui structurent l’existence collective et l’organisentpour animer l’ordre social en tant que tel. Les mutations à ce niveau sont plus lentes.

-          Le palier des valeurs qui sous-tendent la vie des institutions et des habitudes.C’est le palier plus en profondeur, où se forgent les significations de  l’existence et le sens de l’être-ensemble. Les changements à ce niveau sont très difficiles à obtenir.

Avec un groupe de jeunes, nous avions un jour testé la fécondité de cette grille d’approche en l’appliquant à la ville de Goma dans une enquête dirigée par Bernardin Ulimwengu Biregeya. La grille balandienne révéla comment, derrière les problèmes visibles de misère, d’insécurité, d’effondrement économique, d’insalubrité, de délinquance juvénile, de mariage précoce, d’alcoolisme, du désœuvrement, du chômage, de consommation de drogues et de la désorganisation des institutions, c’est le noyau des valeurs de vie qui est atteint comme capacité de résoudre tous ces problèmes, surtout pour les jeunes générations qui ont perdu l’espérance. Au lieu d’avoir comme valeurs de profondeur la force et le pouvoir de ne pas subir le destin, elles ont intériorisé l’impuissance, le défaitisme, le pessimisme et le fatalisme. Ces traits sont devenus le cœur d’une personnalité collective qu’ils structurent en systèmes d’antivaleurs démobilisatrices. C’est la lutte contre cette culture de profondeur qui doit être la priorité des priorités. C’est d’elle que dépendent, et la transformation des institutions par une nouvelle culture de créativité, et la construction de nouvelles capacités pour vaincre la misère et bâtir une société de paix et de prospérité. Au fond, selon la grille de la sociologie des mutations sociales de Georges Balandier, c’est le palier en profondeur des pathologies de l’impuissance qu’il faut guérir, avant qu’il ne soit trop tard.

 

La deuxième dynamique de la sociologie du changement qui nous guide dans l’interprétation des données de cette enquête est la sociologie de la domination et de la violence symbolique chez Pierre Bourdieu (1998). Comme l’écrit avec pertinence le philosophe congolais Benoît Awazi Mbambi Kungua (2012), la force de cette sociologie est « de décrypter et de démonter les mécanismes occultes » de domination et de manipulation grâce auxquels la société devient un champ des forces où les dominateurs exercent une violence matérielle qu’ils parviennent, grâce aux dynamiques de « production culturelle, politique, économique et intellectuelle du savoir et du pouvoir », à faire intérioriser aux dominés dans une violence symbolique imposante. Celle que l’on entretient en soi-même en acceptant l’ordre établi sans aucune distance critique. Bourdieu écrit : «  le pouvoir symbolique est en effet ce pouvoir invisible qui ne peut s’exercer qu’avec la complicité de ceux qui ne veulent pas savoir qu’ils le subissent  ou même qu’ils l’exercent ». Dans le monde d’aujourd’hui, ce sont le Marché, les Médias et les idéologies inhérentes à leurs pratiques qui exercent ce pouvoir, en constituant un même champ social de « totalisation technique, économique, matérielle, scientifique et unidimensionnelle de l’existence humaine », comme le dit Benoît Awazi Mbambi Kungua. Comment lutte-t-on contre un tel pouvoir ? Le philosophe congolais répond : il faut « montrer les résistances symboliques, culturelles et religieuses » de la part de dominés, en même temps que l’on met en branle une éducation solide pour « lutter contre la marginalisation économique et technologique », contre l’inaptitude organisationnelle et contre l’incapacité à maîtriser les logiques et les moyens par lesquels les dominants dominent.

 

Dans la ville de Goma, l’enquête de terrain menée avec les jeunes par Bernardin Ulimwengu Biregeya a permis de saisir le champ social dans ses structures de dominations à la fois politiques, économiques et militaires. En même temps, elle a montré comment la ville dispose des forces, des puissances et des pouvoirs symboliques que sont les Eglises, la société civile, les partis politiques, les institutions éducatives et la masse des jeunes qui n’ont rien à faire et qui ont perdu foi en eux-mêmes. Mais ces forces ignorent les pouvoirs dont elles disposent et qu’elles peuvent utiliser comme dynamique de critique, de résistance, de révolte, de subversion et de créativité contre les ordres de domination politique et économique, de manipulation médiatique et culturelle, d’endormissement spirituel et religieux.

 

Le problème de fond qui se dégage de la vision de la sociologie de Pierre Bourdieu appliquée au champ social de Goma, c’est l’urgence de réveiller et de mettre en branle tout le pouvoir des ces forces d’alternatives dans une stratégie éducative de transformation sociale fondée sur la créativité de tous ceux qui ont intérêt à voir changer l’ordre actuel des dominants, contre les politiciens qui manipulent les identités ethniques, contre les militaires, les milices, les opérateurs économiques locaux, les mafias mondiales et tous ceux que l’on appelle actuellement les petites mains du capitalisme.

 

Comment atteindre et mobiliser les forces du changement pour créer un nouvel ordre social ? La solution à ce problème dépend d’une autre dynamique de la sociologie du changement social : la sociologie des imaginaires sociaux de Bronislaw Baczko (1994). L’imaginaire, à ses yeux, est constitué par des « représentations collectives, idées-images de la société globale et de tout ce qui se rapporte à elle ». Il est le monde socio-mental où une société se dit à elle-même ce qu’elle est et veut être. Il détermine ainsi l’usage des forces intérieures par lesquelles se construit un grand destin ou se délitent les pouvoirs créateurs.

 

Si, comme l’a bien vu Georges Balandier, c’est au palier plus en profondeur qu’il est capital de changer une société ; si, comme le perçoit Pierre Bourdieu, c’est dans le pouvoir symbolique que réside la transformation de l’ordre d’un champ de domination, on comprend que l’éducation des imaginaires sociaux est d’une importance capitale pour un peuple ou une communauté historico-sociale. C’est à travers elle que l’on parvient à donner une orientation positive ou négative à la vie d’un pays. C’est en elle qu’on forge une culture et qu’on construit des rêves pour l’avenir.

 

A travers l’enquête menée à Goma sous la conduite de Bernard Ulimwengu Biregeya, c’est dans l’imaginaire social que semblent résider les pathologies qu’il faut absolument éradiquer. De quoi s’agit-il ? De l’accoutumance aux négativités sociales : manque d’eau et d’électricité, manque d’infrastructures routières et sanitaires, défaillance du système scolaire et universitaire, banalisation du crime et de la mort, banditisme et tant d’autres fléaux.  L’acceptation de cette situation a créé un imaginaire social pathologique et c’est contre lui qu’il faut se mettre en lutte. Ou plus exactement : il n’y a pas de possibilité de changer la ville de Goma si les schèmes et les conditionnements de l’imaginaire sont ce qu’ils sont aujourd’hui. C’est le rôle d’une pédagogie de la transformation sociale de s’attaquer à ces schèmes de manière radicale.

 

La dernière dynamique d’interprétation de l’enquête de terrain, c’est la sociologie de l’action d’Alain Touraine (1965). Contrairement aux sociologies qui mettent l’accent sur les structures sociales ou sur les systèmes sociaux, Touraine se penche sur le Sujet comme acteur de la transformation. C’est le sujet créateur qui est producteur de systèmes et de structures. C’est en lui et par lui que se développent des systèmes d’action historiques et s’organisent des forces de changement qui, en politique comme en économie, dans le champ scientifique et culturel comme dans les utopies et les mentalités collectives, font évoluer l’histoire dans son mouvement. D’où l’importance, pour chaque société, d’avoir des sujets à la hauteur des exigences des transformations décisives.

 

Dans l’enquête menée à Goma par Bernardin Ulimwengu Biregeya, il est apparu vite que le problème qui gangrène cette ville est celui du déficit des sujets historiques responsables et d’acteurs déterminés à changer l’ordre des choses. Un leadership faible et fragile y  flotte sur une population sans capacité de prise en charge de son destin historique pour construire, par le pouvoir créateur de la volonté et de l’organisation, une société d’initiatives historiques crédibles. Si l’on veut changer cette situation, il faut agir sur les subjectivités passives et les transformer en sujets créateurs déterminés à changer l’ordre des choses.

 

3.2 Deuxième levier : féconder le concret de l’existence avec la réalité dévoilée par les grilles théoriques de la sociologie des mutations 

Souvent, on reproche aux théories de n’être que des théories et de ne pas savoir peser sur les réalités concrètes pour les changer vraiment. Dans notre pédagogie de la transformation sociale, cet écueil est jugulé par le souci de faire du concret non seulement ce que dévoile les théories, mais surtout le champ d’invention d’outils pour agir sur ces problèmes dévoilés.

 

Cette idée du concret, nous la devons à un pédagogue camerounais, Eugène Fonssi, de l’université Evangélique du Cameroun (Fonssi 2011). A ses yeux, le concret, ce sont les problèmes massifs, monumentaux, gigantesques qui s’imposent à la société et à toutes les structures de son organisation vitale. Il faut inventorier ces problèmes, les classer, les hiérarchiser et les aborder de manière à proposer, sur chacun d’eux, des solutions vraiment idoines, crédibles et fertiles. C’est là le principe d’efficacité : il vise à faire quelque chose, à le faire réellement et à le faire bien, de la meilleure manière qui soit. C’est grâce à ce principe que les jeunes engagés dans l’enquête  sur la ville de Goma sont parvenus à se constituer en petites équipes d’action pour un maillage politique de la ville en vue de penser et de vivre autrement la politique, selon une perspective essentiellement éthique et tournée vers des changements de fond. Se forge ainsi peu à peu un leadership dont on peut espérer qu’il sera en rupture avec les pratiques politiques existantes.

 

Le concret, pour le pédagogue Fonssi, c’est aussi les outils qu’on se donne pour travailler à construire un esprit capable de se confronter au réel dans tous les champs de la vie, surtout dans le champ éducatif. Cela sans se perdre dans les brouillards des théories fumeuses et mystificatrices, dont on ne voit pas en quoi elles se réalisent dans la vie de tous les jours, selon les rythmes des exigences de changements de fond à opérer. C’est le principe de performativité, véritable source d’invention d’instrumentspédagogiques et didactiquesde qualité. Si les idées ne sont pas incarnées dans des outils visibles, elles deviennent des incantations vaines ou des mantras stériles. La pédagogie de la transformation sociale doit se donner comme stratégie de produire, spécifiquement, les types d’outils nécessaires au changement. Notamment :

 

3.2.1 Les outils d’observation 

Concevoir des protocoles logiques et mettre sur pied des instruments objectifs de saisie des réalités sociales à partir desquelles la formation humaine peut se déployer dans toutes ses dimensions. Dans l’enquête de Goma avec les jeunes, les protocoles d’enquête préparent, guident et orientent la recherche afin que l’observation soit la plus objective possible, à partir d’une définition claire des objectifs et d’un schéma d’encadrement qui diminue la possibilité de dérapage. Un spécialiste des techniques d’enquête suit tout cela de près et recueille les données récoltées qu’ils confrontent aux résultats d’autres chercheurs sur les mêmes thèmes. L’enquête devient elle-même une épreuve éthique pour évaluer la solidité et la crédibilité du personnel enquêteur.

 

3.2.2 Les outils d’encadrement

Il est clair qu’une telle procédure élabore des mécanismes à travers lesquels les acteurs, surtout ceux de l’éducation, peuvent intégrer de la manière la plus fructueuse leur vision du profil de personnalité pour le changement, sans que leur cadre d’intelligibilité et d’analyse soit un moule implacable ni une prison idéologico-conceptuelle. Dans l’enquête de Goma, on a vu une équipe d’orientation de l’enquête devenir peu à peu un comité permanent de déontologie pour mieux encadrer les enquêteurs, à la fois au plan scientifique qu’au plan éthique et déontologique, avec des résultats reconnus comme salutaires par les enquêteurs eux-mêmes.

 

3.2.3 Les outils d’analyse

Il s’agit, comme dans la perspective théorique proposée par les chercheurs dans l’enquête de Goma, de fournir aux forces sur le terrain les modèles théoriques d’interprétation valide des réalités sociales dans leur complexité, dans leur évolution et dans leurs mutations. Les sociologies de Balandier, de Baczko, de Bourdieu et de Touraine ont joué ce rôle : elles ont permis que la réalité soit cernée avec suffisamment de rigueur scientifique et de fécondité éthique pour ouvrir de vraies voies de mutations positives.

 

3.2.4 Les outils d’organisation 

Il s’agit de structurer les espaces de formation de telle manière qu’ils permettent l’efflorescence des principes et leur réussite en termes de débats, de dialogues, d’inter-fécondation et d’enrichissement permanents. Dans l’enquête de Goma, il est apparu  qu’il n’y a pas de force de changement véritable sans l’invention des lieux alternatifs qui complètent, critiquent,

changent ou dépassent les visées déjà viciées par les lieux éducatifs traditionnels. A Goma, l’enquête a mis en lumière la nécessité des synergies des maisons de la culture pour la construction d’une culture de la rencontre des peuples des Grands Lacs et une identité supra-ethnique grâce au génie créateur de chaque ethnie dans ce qu’elle a de plus humainement fécondateur. Cela s’appelle, comme on dit à Pole Institute, la lutte contre les identités meurtrières, même quand elles ont été elles-mêmes meurtries.

 

3.2.5.        Les outils d’enseignement

Ils’agit de forger des supports participatifs et des méthodes d’activation de la créativité pour la transmission et la construction concrète des savoirs. On renonce ainsi au modèle pyramidal qui a rendu possible l’accoutumance de caniches, de moutons de Panurge et  d’ânes oiseux aux pires pouvoirs autoritaires et aux pires pratiques de destruction du génie créateur chez les individus et dans les groupes sociaux. On espère que cette nouvelle orientation, si elle est vigoureusement conduite et fermement assumée comme voie d’avenir, construira une nouvelle personnalité d’action démocratique, du moins dans la ville de Goma où les expériences d’enseignement alternatif pourront se multiplier avec les générations montantes.

 

3.2.6 Les outils de recherche

Ils ont pour fonction de faire germer des énergies pour affronter les problèmes selon une méthodologie précise et les résoudre grâce à l’inventivité permanente en vue de la transformation sociale. Les protocoles d’enquêtes, les synergies entre les lieux alternatifs, le maillage de la ville par la toile d’araignée des acteurs du changement parmi les jeunes, c’est là une orientation qui guide les efforts pour conduire les recherches de terrain et en transformer les résultats pour des  énergies d’action en vue des changements de longue haleine et de grande envergure.

 

3.2.7 Les outils d’évaluation 

Dans la perspective d’une pédagogie de la transformation sociale, il faut, sur la base de tous les outils dont nous avons parlé, veiller à faire progresser les apprenants et les enseignants grâce à une grille d’approche du développement des connaissances que l’on a et des pratiques que l’on en infère. Dans l’enquête sur Goma, toutes les périodes de recherche se concluent par une séance de tous les acteurs pour tirer les conclusions et ouvrir de grandes perspectives de changement, en mettant en lumière les moments les plus lumineux vécus par les enquêteurs et les tristesses les plus virulentes  éprouvées sur le terrain. 

 

3.2.8 Les outils d’innovation 

Leur but est de proposer des moyens de savoir à quel moment on passe de la logique du bloc des connaissances déjà constitué à la logique des ruptures en vue de proposer quelque chose de nouveau. L’idée d’université alternative a joué ce rôle dans l’enquête menée par les jeunes dans la ville de Goma. 

Avec ces outils, on voit en quoi consiste exactement le principe de performativité : savoir faire faire quelque chose à quelqu’un ou à un groupe des personnes, grâce aux armes théoriques et aux dispositifs d’action qui développent le sens de la créativité et de l’innovation.

 

 

3.3 Troisième levier : proposer des analyses des expériences qui ont transformé la vie  d’autres peuples et d’autres pays et créer ainsi les synergies de modèles

 

Ce que je viens de dire sur les outils n’est qu’une dimension de la méthode. L’autre dimension sur laquelle il convient de se pencher est celle que l’on appelait, au temps de Mobutu, la révolution-comparaison : la force d’étudier tout ce qui réussit ailleurs et de l’utiliser comme un miroir pour son propre développement à soi. Le concret à ce niveau, c’est la méthode mise en œuvre par les autres et dont on doit s’inspirer. Le raisonnement est alors le suivant, par rapport à ces autres : « S’ils sont capables de tels résultats, avec le potentiel de notre pays, nous devons  être capables d’en faire autant et même plus » (voir Boisredon 2006).[3] Il faut dans ce cas utiliser les outils qu’ils ont utilisés, les recettes qu’ils ont mises en œuvre. Il s’agit d’un travail d’étude et d’analyse serrée, travail fondé sur la logique de l’imitation et du dépassement. La pédagogie de la transformation sociale devra faire de cela une véritable voie méthodologique de réussite. Les Chinois l’ont fait face aux Japonais et aux Occidentaux. Ils se sont lancés dans la voie de la modernisation forcée et accélérée. Marianne de Boisredon écrit à ce sujet : « Parmi les hauts fonctionnaires rouges, Deng Xiaoping incarne le mieux cette volonté de modernisation. Se lançant dans le défi du dépassement, les réformes en 1978 concernent quatre priorités : l’industrie, l’agriculture, la défense nationale, les sciences et les techniques. Pragmatique, le leader chinois embarque son pays dans un vaste programme de restructuration de l’appareil productif, dont le moteur est emprunté au monde occidental, version japonaise. En déclarant : « Il est glorieux de s’enrichir » ou encore : « Peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape des souris », il encourage une volonté d’enrichissement par tous les moyens licites. Il suscite ainsi une « économie socialiste de marché ».

 

Cette politique se met en œuvre grâce à une délégation du pouvoir vers la province, les régions et les grandes villes… La conscience de  l’enjeu sur le terrain se diffuse. L’impulsion est lancée d’en haut, mais l’initiative économique se diffuse d’en bas. Les Chinois sont très concrets. Ils développent de multiples astuces pour faciliter leur quotidien. Que ce soit les pantalons fendus des petits enfants pour leur permettre de faire leurs besoins ou les soupes de nouilles toutes prêtes, ils ont un sens pratique indéniable. Les initiatives individuelles n’attendent pas. Ils regorgent d’idées et de créativité. Ils n’ont pas peur d’entreprendre » (Boisredon 2006 : 156-157).

 

Quand on sait que cet art et cette science du dépassement et de l’ingéniosité créatrice font partie d’une culture glorieuse, on comprend que l’étude de la culture et de l’histoire de la Chine doit devenir en RDC une des dynamiques fondamentales de la pédagogie de la transformation sociale. On devrait faire de même pour le Japon, l’Inde, le Brésil, dans une approche scientifique de leur méthode et de leurs outils de développement, afin de faire entrer le Congo dans une perspective de révolution comparaison plus sérieuse et plus solide que les farces et les prestidigitations stériles du mobutisme. 

 

Plus proche de nous encore, les lions africains qui commencent un processus d’émergence en visant une croissance à deux chiffres devraient être une interpellation pour notre pays. S’ils font ce qu’ils font, c’est le signe que nous devons aussi faire ce que nous avons à faire, chez nous, le regard rivé sur la créativité des autres afin de féconder notre propre créativité. Il appartient aux universités alternatives, nouveaux lieux de créativité, de promouvoir une telle science et un tel art du développement par la capacité d’imitation et de dépassement. Cet art et cette science s’apprennent et ils sont au cœur de notre stratégie de la pédagogie de transformation sociale : celle-ci rassemble un arsenal de modèles qu’elle met en synergies pour forger un outil de développement.

 

Ce modèle met ensemble les géants américains et européens, les BRICS et les lions émergents en Afrique bien sûr, mais il est aussi sensible à des expériences de terrain plus modestes sans être insignifiantes. Je pense aux initiatives fortement significatives, comme celles des Banques de pauvres, des réseaux des microcrédits, des initiatives de solidarité rurale, tout ce qui a permis aux pauvres, dans des pays comme le Pakistan, le Bengladesh ou le Chili, de sortir de la misère et de se construire quelque peu une espérance.

 

Dans l’étude de ces expériences, on vise à donner aux jeunes Congolais le sens de l’invention pour résoudre les problèmes, dans  la mise en commun des intelligences et des volontés  pour agir d’une manière fertile, en suivant une certaine voie de transformation éthique de la société et en visant des buts concrets et des grandes utopies, avec une ambition vraiment communautaire. Il s’agit ici du principe des synergies d’approches, une sorte de tir groupé  devant une cible concrète : le changement social au sens le plus radical et le plus global du terme.

 

3.4 Quatrième levier : développer les attitudes sociétales d’un imaginaire de la puissance

Une pensée de Reinhart Koselleck éclaire la démarche de la pédagogie de la transformation sociale que nous développons :

 

C’est dans la nature de la crise d’être l’échéance d’une décision qu’on attend. Et cette décision attendue reste incertaine. Dans l’insécurité générale d’une situation critique, il y a donc cette seule certitude qu’une fin de l’état critique se prépare, sans qu’on sache quand et comment on y parviendra(Mudimbe in Procesi & Kavwahirehi  2012).[4]

 

Nous sommes dans cette situation en RDC et le travail de fond est de pouvoir éduquer les générations montantes à développer des attitudes de personnalité et certains réflexes d’action capables de faire pencher l’issue de la crise du bon côté. Le rôle des universités alternatives, que nous pensons être les nouveaux lieux pour le changement, serait justement de définir ces attitudes et d’en faire le fond d’un imaginaire collectif dont nous espérons qu’il pourra être un imaginaire de bonne puissance, pour reprendre une expression du penseur rwandais Laurien Ntezimana. La bonne puissance dont il s’agit, la pédagogie de la transformation sociale l’articule en quatre pouvoirs intérieurs qui permettent d’agir sur les réalités sociétales, comme disent avec pédantisme les doctes chercheurs d’aujourd’hui, en vue de les changer dans le sens d’un humanisme solidaire et généreux.[5]

 

La première de ces dynamiques[6] du pouvoir intérieur d’action sur la société est ce que les penseurs de l’école psychanalytique de Jung appellent la « Régrédience ». Dans son livre, Le temps revient, Michel Mafesolli définit cela comme « une marche ne se faisant pas en sens unique mais empruntant les multiples chemins qui sont ceux de l’humaine nature ». Si j’évoque ce concept ici, c’est pour indiquer que l’éducation à la transformation sociale est une dynamique de l’humaine condition et que le Congo est appelé à connaître les possibilités de cette dynamique en étudiant, dans tout le champ mondial, les expériences qui peuvent l’aider à construire sa propre réalité, sa propre personnalité en fonction de ses problèmes ; ainsi que je  l’ai déjà proposé au sujet de la Chine, des BRICS, des dragons asiatiques et des nouveaux lions africains qui sortent déjà maintenant leurs griffes économiques et financières.

 

Marcher pour connaître les voies multiples de la réalité et les possibilités ouvertes dans le monde afin d’en exploiter le suc selon de sens divers, efflorescents, explosifs, c’est la sagesse de la régrédience. Je fais un pas de plus en la prenant ici non pas comme un simple instinct d’imitation, mais comme une dynamique d’intériorité créatrice. Si cette dynamique n’est pas seulement une pure imitation et une pure volonté de dépassement dont on peut se servir de temps à autre, c’est bien parce qu’il s’agit d’un nouveau mode d’être permanent, une logique existentielle applicable à tous les problèmes qui se posent. Vous comprenez bien : il s’agit d’une marche, d’une quête, d’une conquête, qui devront être au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage, de l’éducation et de l’initiation à la recherche.

 

La deuxième dynamique du pouvoir d’intériorité pour changer la société, c’est celle que tout le monde appelle maintenant, à la suite de Boris Cyrulnik,la résilience. C’est aussi une marche, une démarche intérieure, pour ainsi dire : la mobilisation des forces de dépassements de soi pour vaincre les cataclysmes psychiques, les effondrements moraux, les détresses intérieures et mêmes les catastrophes collectives. Toutes ces énergies du négatif qu’il faut affronter et vaincre par la résilience, nous les connaissons au Congo avec nos misères endémiques, nos politiques erratiques, nos désespérances chroniques et « l’effondrement total des bases de notre société », pour parler comme Etienne Tshisekedi. Dans un tel contexte, l’éducation à la transformation sociale a du sens comme lieu de résilience et d’initiation à la résilience, ou elle n’est rien du tout. Son devoir c’est de construire des mentalités de résilience, de forger des personnalités de résilience, de créer l’esprit de résilience à travers la production et l’utilisation des savoirs pour changer la condition malheureuse ou catastrophique de la société.[7]

 

La troisième réalité qui me paraît décisive, c’est celle qu’Edgar Morin désigne par le terme de Reliance, la capacité de relier entre elles les différentes dimensions du réel et de mettre en dynamique de synergie les différentes sphères du savoir en vue de transformer la réalité, positivement et profondément. La reliance fait saisir la complexité de la réalité et ouvre la voie à une intelligence complexe de cette réalité même.

 

Dans ce cadre, on comprend qu’il y a complexité et exigence de reliance comme l’écrit Morin :

 

Lorsquesont inséparables les éléments différents constituant un tout (comme l’économique, le politique, le sociologique, le psychologique, l’affectif, le mythologique) et qu’il y a tissu interdépendant, interactif et inter-rétroactif entre l’objet de connaissance et son contexte, les parties et le tout, le tout et les parties, les parties entre elles » (Morin 2000, voir aussi Morin 2013).

 

L’esprit de l’éducation à la transformation sociale introduit à cette vision du monde et permet à la régrédience de s’ancrer dans la réalité d’aujourd’hui, avec toutes ses composantes et ses exigences synergétiques, pour répondre aux défis de fond, ici et maintenant.[8]

 

Comment ne pas ajouter ici la quatrième force d’intériorité qui est capitale dans la vision que j’ai de la pédagogie de la transformation sociale ? C’est elle qui donne vraiment sens à la régrédience, à la résilience et à la reliance. Je la désigne par l’expression d’innovance et j’entends par là aussi une marche, une démarche, un esprit de quête fondamentale : la production, la création de personnalités d’innovation pour résoudre les problèmes cruciaux de la société. Aujourd’hui en RDC, l’éducation à la transformation sociale doit donner à notre nation une génération d’innovation, selon le mot qu’un professeur sud-africain adressa à l’un de nos compatriotes dont il avait dirigé la thèse, le pasteur Nupanga Weanzana. L’objectif est de sortir des sentiers battus et des atavismes inféconds pour oser de nouvelles voies, essayer de nouvelles solutions et proposer de nouvelles pistes, dans l’esprit d’une recherche permanente qui est le cœur même de la vie.

 

La quadruple voie de larégrédience, de la résilience, de la reliance et de l’innovance, je la crois être le chemin de l’esprit du changement pour développer notre pays aujourd’hui. Ces leviers de marche intérieure sont les forces qui devraient nous propulser vers notre avenir, dans l’intensité fortement entretenue d’une pédagogie de la transformation sociale.

 

 

3.5       Cinquième levier : conduire les esprits à élaborer les grandes initiatives locales du changement dans tous les domaines où cela est  possible

Toutes les réalités que j’ai évoquées mènent à quelque chose de capital et de décisif : l’élaboration et la mise sur pied d’une initiative pédagogique personnelle ou communautaire de transformation sociale. Toutes les théories comme toutes les stratégies et tous les outils du concret ont leur accomplissement dans ce que l’on décide de faire comme pédagogue du changement, à partir du choix d’un domaine d’action précis : politique, économique, social, culturel ou religieux. C’est par la solidité d’une telle initiative et d’un tel choix que l’on voit si l’on transforme vraiment la société ou pas. Ici l’on s’inscrit dans le long terme en agissant de manière locale pour répondre aux problèmes précis, sur la base du pouvoir créateur de l’imagination, de la capacité rationnelle d’organisation et de la force éthique d’engagement. Le local ouvrira vers le global et pourra ainsi offrir de nouveaux choix du changement à toute une société. 

 

Conclusion

 

Si les enjeux de la pédagogie de la transformation sociale sont tels que je viens de les décrire dans la présente réflexion, il est évident que l’avenir du pays dépend des énergies et des ressources humaines qu’il convient de gérer et de développer en vue d’ouvrir le Congo au futur dont il rêve. Ce futur est profondément lié aux énergies de la matière grise et à la solidité des êtres. C’est cette bataille de la qualité de l’homme que le Congo doit gagner, contre toutes les médiocrités, toutes les étroitesses d’esprit et toutes les logiques de la corruption qui ont fait de la  RDC le pays de toutes les désespérances  alors que, en son fond, elle est le pays de tous les possibles, au sens majestueux, splendide et merveilleux de ce terme.

 

Je crois en tous ces possibles rayonnants et à leur avènement dans la force d’une pédagogie de transformation sociale fertile et inventive.

 

 




[1]Je rappelle ici quelques-uns de mes livres consacrés à la tragédie de mon pays :La RD Congo est à  réinventer, Kinshasa, Le Potentiel, 2009 ;  Il y a urgence, Pour une nouvelle indépendance de l’Afrique et de notre pays, Kinshasa, Editions universitaires africaines, 2010 ; Changer la République démocratique du Congo, Bafoussam-Yaoundé, CIPCRE, 2012.

 

[2]Toutes les grandes lignes de ce que nous développons ici est dans notre ouvrage :L’Afrique va-t-elle mourir ?, Paris Karthala, 1993 et dans nos deux autres livres : Christ d’Afrique, Paris, Karthala, 1994 etLa nouvelle évangélisation en Afrique, Paris, Karthala 2000:

 

[3]C’est par cette phrase que Marianne de Boisredon résume le raisonnement des Chinois par rapport à la réussite économique et technologique du Japon. Avec cette forme de raisonnement, les Chinois ont amorcé un extraordinaire processus de développement dont on voit les effets dans le monde d’aujourd’hui.

 

[4]Je prends cette pensée de Kosseleck dans un article de V.Y. Mudimbe publié dans un livre d’hommage à Fabien Eboussi Boulaga, sous la direction de Lidia Procesi et Kasereka Kavwahirehi :Au-delà des lignes, Eboussi Boulaga, Une pratique philosophique, LINCOM, Berlin, 2012.

[5]Les développements sur cette partie de ma réflexion sont tributaires d’un travail de recherche avec les étudiants de l’Université Evangélique du Cameroun sur les forces psychiques de transformation sociale et le problème du leadership en Afrique.

[6]Sur toutes ces dynamiques, lire mon entretien publié dans le premier numéro de la revue interuniversitaire Congo Monde, sous le titre : Pour une université alternative en République démocratique du Congo, 2013.

 

[7]Je dois mes réflexions sur la résilience chez Boris Cyrulnik à mes discussions avec feu Aubin Deckeyser Mikobi Tongo Lakik, qui avait fait de cette notion une force psychique d’ardeur, après une opération chirurgicale à haut risque. Une lecture attentive du livre Les nourritures affectives (Paris, Odile Jacob) de Cyrulnik m’a convaincu de l’importance de l’approche des problèmes par la résilience.

[8]Sur Edgar Morin, je suis profondément redevable aux recherches pédagogiques du penseur camerounais Gilbert Mboubou. Ses théories sur les nouvelles pédagogies ont énormément éclairé mon propre horizon de vision, à travers les discussions intenses qui nous unissent. C’est dans ces discussions que j’ai compris que le livre de Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, constituait un trésor extraordinaire pour penser une pédagogie de la transformation sociale.

 

Référence Bibliographique: 

Baczko, B 1994. Les Imaginaires sociaux, Mémoires et espoirs collectifs. Paris: Payot.

Balandier, G (dir.) 1973.Sociologie des mutations. Paris: Payot, Anthropos.

Boisredon (de), M 2006.Inventer une économie yin et yan, Témoignage d’une femme de

terrain pour un monde plus juste. Paris: Presses de la Renaissance.

Bourdieu, P 1998.La domination masculine. Paris: Seuil.

Fonssi,  E 2011. L’Université autrement. Bandjoun: Presses de l’Université

Evangélique du Cameroun.

Kä Mana, K G 2012. Eduquer l’imaginaire africain.Bandjoun: Presses de l’Université

Evangélique du Cameroun

Kä Mana, K G 2012. Changer la République démocratique du Congo.  Bafoussam-

Yaoundé: CIPCRE.

Kä Mana, K G 2011. Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine: Idées directrices et

orientations fondamentales.Yaoundé-Goma: Pole Institute Ais-Editions.

Kä Mana, K G 2010.  Il y a urgence, Pour une nouvelle indépendance de l’Afrique et de

notrepays, Kinshasa: Editions universitaires africaines.

Kä Mana, K G 2009. L’Afrique notre projet. Yaoundé: Editions Terroirs.

Kä Mana, K G 2009. La RD Congo est à  réinventer. Le Potentiel (2009) 

Kä Mana, K G 2000. La nouvelle évangélisation en Afrique. Paris: Karthala

Kä Mana, K G 1994. Christ d’Afrique. Paris: Karthala

Kä Mana, K G 1993. L’Afrique va-t-elle mourir ?Paris: Karthala,

Katubadi, JM 2008. Rationalisation comme condition de l’humanisation de

l’Afrique. Ethique et Société, 5(3): 293-309.

Kavwahirehi,K 2009. L’Afrique entre passé et futur, L’urgence d’un choix public de

l’intelligence.  Peter Lang.

Kenmogne, J-B 2013. L’Ethique des liens. Bafoussam: CIPCRE.

Mbambi-Kungua, B A 2012. De la post-colonie à la mondialisation néolibérale. Paris:

L’Harmattan.

M’bokolo, E 2002. Préface. In Baudouin Hamuli Kabarhuza, Donner sa chance au

peuple congolais. Paris: Karthala.

Morin, E 2013.La voie, Pour l’avenir de l’humanité. Paris: Seuil.

Morin, E  2000. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Paris: Seuil.

Procesi, L et Kavwahirehi, K (sous dir) 2012.Au-delà des lignes, Eboussi Boulaga,

Une pratique philosophique.Berlin: LINCOM.

Touraine,A 1965. Sociologie de l’action. Paris: Seuil (édition numérique).

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