L’EUROPE ET LES MIGRATIONS

Abstract: 

This chronicle focuses on the current phenomenon of migrations.  It aims to dig into historical development of asylum seekers, to establish its state in Europe since the beginning of Syria war in 2011. It analyses and reflects on its impact on the politics of European Union and the Church by differentiating the advantages and threats of migrations. Reading between the lines, the chronicle poses two poignant questions that lie behind the issue of migrations and asylum seekers. First, it looks into the kind of leadership that has to plan by taking into consideration the current mutations that underlie the world mobility of people with what they are and have. Second, the ethics that should lead immigrants in the future if they are to live well should be considered. Therefore, migrations phenomenon rests on questionable ethics in a multicultural environment.

 

Depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011, la question de l’accueil des réfugiés, des demandeurs d’asile et plus largement des migrants s’est imposée à l’actualité de façon devenue difficile et conflictuelle en Europe, en particulier au sein de l’Union Européenne. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quels sont les enjeux ?

  1. Brève esquisse historique

Le phénomène migratoire n’est pas une nouveauté en Europe. L’histoire européenne a connu au cours du temps de nombreux mouvements de populations. Mais il y a aussi beaucoup de fantasmes à ce sujet, tant en ce qui concerne le passé que le présent. L’Europe a été colonisée par Rome, intégrée ainsi à l’Empire romain. Mais cette conquête n’a pas fondamentalement changé la population : il y seulement eu, pour une part, l’importation d’une culture nouvelle. L’Empire s’est effondré, effondrement qui a ouvert à ce qu’on appelle traditionnellement l’invasion des barbares, du 3e au 6e siècle. Migrations successives de Goths, de Vandales, de Huns. Ils ont bouleversé les institutions, mais n’ont pas fondamentalement changé les populations : très minoritaires, au bout de deux ou trois générations, ils se sont fondus dans les populations locales. Il en a été de même des Magyars à la fin du 9e siècle en Europe centrale.

Au 8e siècle, les musulmans conquièrent l’Espagne contre le royaume wisigoth : ils n’en seront chassés définitivement qu’à la fin du 16e s. Ils y auront un important apport culturel. Quant aux Ottomans, ils étendent leur empire et conquièrent progressivement toute une partie de l’Europe à partir de l’Est. Ils arriveront jusqu’à Vienne où, en 1532, ils seront défaits. Mais il s’agit de conquêtes politiques sans véritable implantation de l’islam.

Les guerres de religion, aux 16e et 17e siècles, opposant catholiques et protestants, ont provoqué le déplacement de très nombreux réfugiés.

Si dans l’ensemble, les populations ont été relativement stables en Europe, malgré certains mouvements de population, la culture a évolué: évangélisation progressive, influence du droit romain, au Moyen Âge redécouverte de la culture grecque, à partir du 18e siècle, les Lumières, etc.

À l’inverse des différentes invasions et guerres de conquête en Europe, l’entreprise de conquête et de colonisation en Amérique y a fondamentalement changé la population, par élimination des populations indigènes plus ou moins importante selon les pays. En Afrique du Sud, plus tard, il y a eu aussi colonie de peuplement.

Aux époques plus récentes, l’Europe a surtout été terre d’émigration. Entre 1820 et 1930, ce sont près de 40 millions d’Européens qui ont migré en Amérique du Nord et du Sud, principalement pour des raisons économiques : ils s’y sont fondus aux populations d’origine européenne qui y résidaient depuis l’époque de la colonisation. Entre 1845 et 1852, période de famine en Irlande, un million et demi d’Irlandais émigrent aux États-Unis : ils marqueront durablement le catholicisme nord-américain.

Les empires coloniaux ont exporté nombre de leurs nationaux : Français en Afrique, Belges au Congo, Anglais en Inde… S’ils ont profondément bouleversé les structures institutionnelles, ils n’ont pas changé les pays quant à leur population, étant beaucoup trop minoritaires.

Au 19e siècle, se développe une immigration économique intra-européenne en lien avec le développement de l’industrialisation, et l’Italie connaît une très forte émigration.

Au cours de la Première guerre mondiale, la France fait largement appel à ses colonies : 565 000 étrangers, surtout africains, viennent combattre dans les armées françaises. Suite à la guerre, il y a cinq millions de réfugiés en Europe. Puis entre les deux guerres, c’est l’appel à la main-d’œuvre étrangère, en particulier dans les mines: Polonais en Belgique, par exemple.

Pendant la seconde Guerre mondiale, 30 millions de personnes ont été déplacées ou expulsées par les Allemands et les Russes. En mai 1945, il y avait 40 millions de réfugiés sur le sol européen. Dans la suite, l’extension du pouvoir soviétique a provoqué aussi un flux rès important de réfugiés. En 1956, 200 000 Hongrois fuient la répression et se réfugient à l’Ouest.

Traditionnellement, certains pays européens sont des pays d’immigration (France, Allemagne, Angleterre, Belgique…), tandis que d’autres sont des pays d’émigration (Portugal, Espagne, Italie, Pologne…).

Après la Seconde guerre, il y a une nouvelle vague d’immigration économique: appel à la main-d’œuvre pour la reconstruction, les mines et l’industrie (sans compter le retour des coloniaux suite à la décolonisation): Maghrébins en France, Italiens puis Marocains et Turcs en Belgique, Turcs en Allemagne, Pakistanais en Angleterre, Portugais au Luxembourg…Cela concerne à peu près exclusivement l’Europe occidentale.

Alors qu’au 19e siècle et au 20e jusque dans les années 70, les mouvements migratoires étaient essentiellement intra-européens, à partir du milieu des années 70, les migrations sont en provenance d’autres aires de civilisation : Asie, Afrique, Moyen-Orient. Cela pose des questions nouvelles d’intégration, et on voit se constituer dans les villes des quartiers ethniques assez étanches. Ces migrations répondent cependant à un appel des économies européennes : les migrants sont des « invités » qui s’intègrent plus ou moins bien dans le marché du travail.

L’important ralentissement de la croissance et la crise économique que connaissent nombre de pays européens conduit à une fermeture des frontières pour l’immigration de main-d’œuvre et la mise en place de restrictions et de contrôles de plus en plus forts visant à exclure toute immigration. Il en est résulté une forte croissance des clandestins et des migrants irréguliers, avec régulièrement des opérations de régularisation.

  1. Réfugiés, demandeurs d’asile, exilés économiques…

Il est important de distinguer deux types de migrations. Il y a la migration de choix, parce que professionnellement ou économiquement partir dans un autre pays est plus avantageux, migration qui est souvent le fait de classes aisées, universitaires entre autres. Et il y a les migrations forcées dues à la guerre, à la violence, à la persécution ou à la misère.

Si on parle des migrations en Europe, et en particulier des réfugiés, sans sous-estimer la difficulté de la question, il faut aussi relativiser le phénomène. Selon les Nations Unies, en 2016 il y avait 65,6 millions de personnes déplacées dans le monde, dont 40,3 millions à l’intérieur de leur propre pays.

Toutes les guerres provoquent des flots de réfugiés : en 1914, lors de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, particulièrement brutales, près de deux millions de Belges, sur une population comptant à l’époque un peu plus de sept millions et demi,  se réfugient en France…

Depuis les années 2000, il y a véritable crise de l’immigration à cause de l’afflux de réfugiés en provenance de pays en guerre aux frontières de l’Europe. Les guerres en Afghanistan (2001), puis en Irak (2003), et plus récemment en Syrie et de nouveau en Irak (2011) changent la donne. Ce sont aussi les conflits en Afrique : Nigéria, Cameroun, Tchad, Niger, Sud Soudan, Centrafrique… Mais il n’y a pas que les conflits internes, c’est aussi la misère qui pousse nombre d’Africains à chercher un avenir en Europe. L’Europe du Sud connaît dès lors un afflux très important de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Selon les conventions de Genève, toute personne dont la vie est menacée en raison de ses convictions politiques ou religieuses, de son appartenance à une minorité, de sa race, etc., ou qui est menacée de dommages graves comme la torture, a le droit d’obtenir le statut de réfugié dans un autre pays qui doit lui assurer la sécurité. Mais c’est à la personne qu’il appartient de prouver qu’elle est dans cette situation. En Europe, il existe aussi dans le droit des États un statut de protection subsidiaire, proche de celui de l’asile, dans les situations de guerre (comme c’est le cas en Syrie[1]) : ce statut vaut tant que le pays n’a pas retrouvé la sécurité. Il y a en outre la multitude d’exilés qu’on peut appeler économiques : personnes qui fuient la misère et cherchent à améliorer leur sort. C’est le cas de la majorité des migrants provenant d’Afrique. La misère est la résultante d’une démographie dont la croissance n’est pas gérable, des désordres politiques et de l’absence de saine gouvernance des États, des conséquences des guerres et conflits internes et de la politique d’exploitation des ressources par les États et les entreprises du Nord…

Depuis mars 2011, la guerre en Syrie déplace le plus grand nombre de personnes à l’échelle du monde, selon l’UNHCR (le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés). Actuellement on évalue qu’il y a 6,3 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, 5 millions de réfugiés se trouvent à l’extérieur principalement dans les pays limitrophes. Il y en a près de 3 millions en Turquie et plus d’un million au Liban (pour une population de 6 millions !).

Le conflit en Syrie et en Irak a conduit les demandeurs d’asile, dans un premier temps, à chercher à rejoindre l’Europe occidentale par voie terrestre en passant par la Turquie. Mais cette voie a été bloquée par la construction de murs empêchant le passage aux frontières de la Hongrie, de la Slovénie et de l’Autriche. Ce fut alors le passage par la mer Égée, de la Turquie vers la Grèce.

Des dizaines de  milliers de réfugiés sont passés de Turquie à l’île de Lesbos, île grecque proche de la Turquie. Nombre d’embarcations se perdent en mer. Selon les lois européennes (règlement de Dublin), le dossier d’enregistrement et de reconnaissance du statut de réfugié doit se faire dans le pays d’accueil. La Grèce a été et reste totalement débordée et incapable d’assurer cette procédure. La Commission européenne a lancé dès 2015 un appel aux États membres afin de répartir la charge de l’accueil et du statut de ces réfugiés. L’Allemagne en accueilli plus d’un million. Cette demande de répartition de la charge de l’accueil s’est heurtée à un refus total de la majorité des États d’Europe centrale et orientale. La Cour européenne de Justice vient de les condamner.

Pour les migrants en provenance de l’Afrique noire, il y a principalement le passage méditerranéen via la Libye pour atteindre l’Italie[2], l’île de Lampedusa étant la plus proche. Kadhafi est tué dans une opération dite de mise en ordre du pays. La transition démocratique échoue totalement et c’est le chaos : guerre interne et violence croissante. La Libye devient lieu de transit de réfugiés et demandeurs d’asile. Des dizaines de milliers de personnes en provenance de Somalie, d’Érythrée, du Soudan, du Niger, fuient la guerre et la misère. Des trafiquants, qui les rançonnent lourdement, leur assurent un passage à travers la Lybie (combien de morts en cours de route ?), puis des passeurs les lancent sur la mer dans des embarcations dangereuses, mais les abandonnant rapidement à leur sort : l’objectif à atteindre est l’Italie puis l’Europe. Les plus chanceux aboutissent à Lampedusa. On se souvient que Lampedusa a été le premier déplacement du pape François. Des navires européens sillonnent la Méditerranée pour venir au secours de ces réfugiés en difficulté. Mais des milliers d’entre eux périssent chaque année en mer.

La question de l’accueil des réfugiés est compliquée non seulement en raison du nombre, mais aussi parce que les multiples attentats revendiqués par Daech sur le sol européen[3]marquent profondément les opinions publiques. Pour une partie significative de celles-ci, il y a une équivalence : immigré-réfugié = musulman = terroriste potentiel. Or il faut observer que la majorité des auteurs d’attentats ne proviennent pas de cette immigration de refuge récente, mais sont des hommes et des femmes qui ont la nationalité française, belge, espagnole, etc., certains d’entre eux, une minorité, ayant fait un séjour en Syrie dans les troupes de Daech. De plus parmi les réfugiés de Syrie et d’Irak, il y a aussi une minorité chrétienne, très menacée dans ces pays. Quant aux immigrés-réfugiés provenant d’Afrique, une partie d’entre eux seulement sont musulmans.

Il faut aussi observer qu’en ce qui concerne l’immigration musulmane et la présence musulmane, il y a beaucoup de fantasmes.

Dans tous les pays européens où il y a une présence musulmane significative, c’est-à-dire en Europe occidentale, on constate un contraste très fort entre l’image que la population d’origine nationale a de cette présence et la réalité. Ainsi, en France il y a actuellement 8,9% d’immigrés, c’est-à-dire de personnes nées à l’étranger ou ayant à la naissance une autre nationalité ; sont comptés parmi eux ceux qui ont ensuite obtenu la nationale française. Parmi eux, plus du tiers sont d’origine européenne (de l’un des 27 autres États membres). Or, quand on interroge les gens, ils donnent des proportions bien plus importantes : plus de 25% ! Et les gens pensent qu’il y a plus de 30% de musulmans en France, alors qu’on évalue qu’ils sont 7,5%, et pas tous pratiquants… Les chiffres sont comparables en Belgique : 23% estimés, 7% réels.

Bruxelles est parmi les villes les plus cosmopolites du monde, et il y a dans cette ville une présence musulmane importante. La région bruxelloise compte un peu plus d’un million d’habitants[4]. On évalue la présence musulmane à environ 236 000 personnes[5]. Cela fait donc un peu plus d’un quart de la population bruxelloise. Nombre d’entre eux sont plutôt des musulmans culturels : ils ne fréquentent pas régulièrement les mosquées, mais fêtent les grands moments : le ramadan et surtout la fête de la fin du ramadan (Aïd el Fitr) et la fête du sacrifice (Aïd el Kébir). Une minorité (grandissante ?) a complètement rompu avec l’islam. Les pratiquants sont entre 120 et 130 000. Ils sont en moyenne plus rigoristes dans leur pratique qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. Ils sont très visibles dans certaines communes et surtout dans certains quartiers. La fécondité des familles musulmanes étant plus élevée (mais elle baisse significativement à partir de la deuxième ou troisième génération) va s’accroître. Toutes les études démographiques sérieuses démentent cependant les projections alarmistes (et très populistes) annonçant qu’en 2030 la sharia sera la loi à Bruxelles.

  1. Migrations et politique européenne

Depuis les années 90, à l’exception de l’Allemagne, les pays d’Europe occidentale (France, Belgique, Pays-Bas, Angleterre), pays traditionnels d’immigration, ont cherché à fermer leurs frontières sans y réussir vraiment[6]. En principe ces pays déclarent respecter les conventions de Genève concernant l’asile, mais mettent en place toutes sortes d’obstacles pour leur mise en œuvre (exemple : il faut des papiers d’identité pour introduire une demande de reconnaissance du droit à l’asile, mais bien souvent les passeurs retirent tous les documents d’identités des personnes concernées…). Face à l’afflux des réfugiés passant par la Grèce, la Croatie, la Slovaquie, l’Autriche et la Hongrie ont construit des murs de barbelés à leurs frontières (comme pour une partie de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, Trump voulant couvrir toute la frontière aux frais du Mexique). Les pays d’Europe centrale sont marqués par la montée des droites populistes (Pologne, Hongrie) et même de l’extrême droite présente jusque dans les gouvernements (Slovaquie).

Quant à l’Allemagne, l’accueil d’un million de réfugiés n’est pas pure solidarité. Certes la chancelière, Madame Merkel de confession chrétienne, est sensible à la question éthique de l’accueil, mais il y aussi un calcul économique : la population allemande est en déclin, en raison d’une fécondité beaucoup trop basse, il manque dès maintenant des forces de travail, et cela va s’accentuer dans les années à venir. L’immigration vient combler un vide. Si économiquement, il y a de sérieux arguments, politiquement c’est plus difficile : une  partie significative de la population ne veut pas d’un tel accueil, et un mouvement comme Pegida (abréviation en allemand de « Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) le fait bruyamment entendre. Un parti s’est constitué, AfD  (Alternative pour l’Allemagne), militant contre toute présence immigrée.Actuellement Merkel met le pied sur la pédale de frein en ce qui concerne l’accueil en raison d’une large opposition de l’opinion publique sur cette question.

En 2017, l’Union Européenne a signé un accord honteux avec la Turquie. Celle-ci s’engage à empêcher le passage à Lesbos ; l’Europe s’engage à fournir une aide financière pour l’accueil interne. La Turquie a charge d’examiner la demande de droit à l’exil : pour tout réfugié obtenant cette reconnaissance de la part du gouvernement Turc, l’Union accepte ce réfugié, mais renvoie en Turquie un réfugié qui ne répond pas aux critères de l’asile… Il en résulte, pour la situation présente, que la condition de vie des réfugiés dans les camps en Turquie est de plus en plus dramatique et qu’ils sont souvent victimes de violences ; qu’à Lesbos, la question de la gestion des réfugiés n’est toujours pas réglée, et que là aussi les conditions d’existence sont très mauvaise ; et que globalement, le flux migratoire entre la Turquie et la Grèce a très fortement diminué.

Par ailleurs, l’Union Européenne fait pression sur la Libye (ou c’est le chaos politique et militaire) pour qu’on empêche les gens de s’engager sur la mer et pour poursuivre les passeurs (mais ceux-ci sont en connivence avec diverses factions qui contrôlent le pays !). La Libye a récemment interdit aux navires européens de Frontex – la surveillance des frontières – et à ceux des ONG, qui recueillent les exilés à la dérive, de naviguer dans ses eaux territoriales. Les Libyens s’engagent à porter secours aux embarcations à la dérive et de les ramener sur leurs côtes : ces exilés sont ensuite enfermés dans des camps, souvent maltraités voire torturés, à moins qu’on leur extorque de nouveau de l’argent pour retenter leur chance…
 

Le 28 août 2017, à l’initiative du président Macron (France), les chefs d’État de France, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, avec la présence de la Haute représentante de l’Union Européenne aux affaires étrangères, Frederica Mogherini, d’un côté, et les chefs d’État du Tchad, du Niger et de la Libye, de l’autre, se sont réunis à Paris et ont publié une « Déclaration conjointe : relever le défi de la migration et de l’asile ». Que faut-il en retenir ? Dans le texte des déclarations d’intention importantes : respect du droit international ; volonté de chercher des solutions à long terme par un véritable développement solidaire, et l’affirmation que les migrants irréguliers doivent être reconduits dans leur pays d’origine dans la sécurité. Il y a aussi la déclaration d’un objectif : « endiguer les flux d’immigration bien avant qu’ils n’atteignent les côtes méditerranéennes ». Comment ? en installant des contrôles aux frontières et des postes chargés de faire le tri entre personnes ayant droit à l’asile ou à la protection temporaire et immigrés économiques qui n’ont pas de droits, alors qu’il est évident qu’il n’y a pas sur place les moyens d’une telle opération, et en intensifiant la lutte contre les passeurs.

Mais on doit se poser des questions : pourquoi ces États africains-là, et pas l’Érythrée ou le Mali ? Quant à la Libye, le gouvernement officiel qui était représenté n’a de fait aucun pouvoir sur la majeure partie du territoire. Du côté européen, l’objectif clair est d’endiguer la migration à partir de l’Afrique elle-même : on déclare qu’il n’y a pas de solution à long terme sans développement, mais de fait les crédits pour le développement au sein de la coopération européenne (tant au niveau de l’Union que des États) ont diminué ces dernières années, en raison des mesures d’austérité. Les mesures demandées pour mettre un terme aux flux d’immigration seront financées par les budgets de développement et coopération. Autrement dit : on cherche à parer au plus pressé en travaillant sur les symptômes du mal (la migration économique), mais on néglige les urgences à moyen et plus long terme, l’amélioration réelle des conditions de vie des populations locales, et les causes profondes, la mauvaise gouvernance, la corruption, la non maîtrise de la croissance démographique, et la mainmise par les multinationales sur les ressources des pays.

  1. Et l’Église

Dans beaucoup d’endroits, en Europe occidentale, de nombreux chrétiens se sont mobilisés et se mobilisent toujours pour assurer un certain accueil aux réfugiés et demandeurs d’asile (alimentation, soin, logement, etc.). Ils ont répondu à un appel très clair du pape. Beaucoup de paroisses se sont mobilisées pour un tel accueil. Ces actions de solidarité sont généralement soutenues par les évêques, certains d’entre eux se sont exprimés avec force en ce sens.

En Europe centrale et orientale, par contre, les évêques se montrent beaucoup plus réticents voire opposés à l’accueil de ces réfugiés et s’opposent avec leurs gouvernements à la politique de répartition de la Commission européenne. Certains évêques ont dit publiquement qu’on pourrait accueillir seulement des chrétiens, parce que les musulmans risquent d’éroder la culture chrétienne qui constitue le tissu de l’identité nationale (le cardinal Duka, archevêque de Budapest en Hongrie, s’est exprimé en ce sens).

En Pologne, Mariusz Błaszczak, ministre de l’intérieur, déclare récemment : « La Pologne n’acceptera aucun réfugié. » Et il précise : « Paris, Stockholm, Bruxelles, Berlin, Manchester, Barcelone. Combien de villes européennes doivent-elles être attaquées par les terroristes avant que l’Union européenne se réveille ? Avant que la Commission européenne admette finalement qu’accepter ‘aveuglément’ tous ceux qui atteignent les côtes européennes revient à passer un nœud coulant autour du cou du continent[1]. » Mais l’Eglise se tait.

Le pape François ne cesse d’interpeller les croyants à temps et à contretemps en faveur d’une ouverture, d’un accueil des réfugiés. Il le fait au nom de l’Évangile, et sa voix est forte. Ses gestes le sont aussi : son premier déplacement a été à l’île de Lampedusa (8 juillet 2013), il s’est aussi rendu à l’île de Lesbos (16 avril 2016, d’où il a ramené douze familles de réfugiés syriens). Il en appelle systématiquement à la solidarité, et s’en prend fortement à la « mondialisation de l’indifférence ».

Sa lettre pour la Journée mondiale des migrants 2018 (14 janvier), publiée le 15 août, va clairement en ce sens. Un mot d’ordre : « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ». François demande d’agir « avec générosité, rapidité, sagesse et clairvoyance ». Il commence son message en citant le Lévitique (19,34) : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même. » Il met en avant les conditions d’un accueil qui respecte pleinement la dignité humaine et l’avenir des personnes. Il s’adresse donc aux personnes et institutions, croyantes ou autres, qui se trouvent en présence d’immigrés pour expliciter ce que doit être la qualité de leur accueil. Il demande « des visas temporaires spéciaux pour les personnes qui fuient les conflits ». Il insiste sur le droit au regroupement familial (qui est de plus en plus restrictif dans nos pays).

On peut se dire sans doute que François aurait peut-être pu être plus explicite sur les destinataires de son discours. Il y a des différences considérables entre les pays africains où certaines régions sont complètement submergées par les personnes déplacées par les conflits, les États européens eux aussi submergés par l’arrivée des réfugiés et demandeurs d’asile, comme l’Italie et la Grèce, les États européens très modérément et souvent restrictivement ouverts et les États européens totalement fermés, et encore les États-Unis où la politique de Trump veut explicitement fermer le pays à toute immigration musulmane. Quelques distinctions et appels à un vrai discernement politique auraient évité d’alimenter une fois de plus les critiques d’une certaine droite qui se revendique catholique contre tout le discours du pape sur la migration[2]. Après tout, l’appel de François est fondamentalement évangélique. Jésus non plus ne s’embarrassait pas de trop de nuances! Il y a toujours ceux qui ne veulent pas entendre l’interpellation. Il appartient aux Églises locales, mais aussi à tous les citoyens de bonne volonté, d’accueillir en conscience cette interpellation et de discerner les actions concrètes à mener.

De nombreux migrants venus d’Afrique, avec ceux d’Amérique latine de migration plus ancienne, implantent de nouvelles communautés évangéliques. Ils sont porteurs d’une expérience de la foi différente, qui peut enrichir l’expérience européenne très marquée par la sécularisation et parfois un certain intellectualisme. La rencontre de croyants musulmans, de leur expérience spirituelle, lorsqu’il y a vrai dialogue, élargit la compréhension de la foi. Malgré toutes les difficultés réelles et les peurs, l’accueil des migrants est un enrichissement humain, culturel et spirituel.

 

 


[1]Mais pratiquement dans tous ces attentats, ce ne sont pas des réfugiés, mais des citoyens des différents pays qui en sont les auteurs.

[2]Le 21 août, l’hebdomadaire Familles chrétiennes, soit quelques jours après la publication de la lettre pour la Journée mondiale des migrants, publie une interview de Philippe de Villiers (extrême droite catholique) sous le titre « Les déclarations du pape sur les migrants encouragent le suicide de l’Occident ».

 

 

 


[1]Ce droit est reconnu en Belgique aux Syriens, mais pas aux Irakiens.

[2]Le passage vers l’Espagne à partir des enclaves Melilla et Ceuta est très contrôlé et n’existe quasi plus.

[3]En ne retenant que les principaux ayant fait plusieurs morts et le plus souvent de très nombreux blessés : 2004 : Madrid, 191 morts ; 2005 : Londres, 56 morts ; 2012 : Toulouse, 4 morts ; Bruxelles, 4 morts ; 2015 : Paris, 12 morts ; Paris, 130 morts ; 2006 : Bruxelles, 32 morts ; Nice, 86 morts ; Berlin, 12 morts ; 2017 : Manchester, 22 morts, Londres ; 7 morts, Barcelone, 15 morts.

[4]La région de Bruxelles-Capitale comporte dix-neuf communes. L’aire urbaine réelle de Bruxelles est beaucoup plus large et compte plus de deux millions d’habitants. La présence musulmane est très fortement concentrée dans quelques-unes de ces dix-neuf communes (Molenbeek, Schaerbeek, Saint-Josse…), mais est quasi absente dans l’ensemble des communes périphériques.

[5]Il n’y a pas de statistiques officielles : cette évaluation repose sur l’origine d’un pays à majorité musulmane des personnes ou de leurs parents.

[6]De fait, ils accueillent encore des personnes qualifiées pour des emplois non satisfaits. C’est particulièrement le cas dans le domaine de la santé : médecin, infirmiers et infirmières.

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