Empty Planet: The Shock of Global Population Decline

Darrell Bricker & John Ibbitson (2019)
Empty Planet: The Shock of Global Population Decline
London: Robinson, 288 pages+ notes et index

Ce livre qui porte sur la démographie mondiale surprend par son titre: Planète vide: le choque du déclin de la population mondiale.[1] Alors que nous sommes habitués au credo selon lequel la démographie mondiale est dangereusement galopante, Bricker et Ibbitson nous arrêtent pour nous ramener dans un sens contraire:

…la décroissance de la population mondiale qui pointe à l’horizon: le plus grand événement qui définira le 21ème siècle, l’un des grands événements de l’histoire, s’observera dans les trois décennies à venir, quand la population mondiale va commencer à décroître. Nous ne faisons pas face au boom de la population, mais à son éclatement(p.2). La fécondité est décroissante partout dans le monde même dans les pays pauvres comme ceux d’Afrique sub-saharienne et certains pays du Moyen Orient où elle est toujours très élevée (p.3).

Cet argument est élaboré dans une préface, 13 chapitres et 456 notes dont certaines vont au-delà des simples références bibliographiques.  

Avant de plonger dans le vif de leur point, Bricker et Ibbitson donnent un parcours historique et soulignent quatre phases de l’évolution démographique. La première phase court du début de l’humanité jusqu’au 18ème siècle. Dans cette phase, le taux de natalité et celui de mortalité sont élevés à cause des famines, des maladies et des guerres. La croissance de la population est lente et variable. Durant la période médiévale dont la société est typique de cette première phase, un tiers des enfants mourraient avant l’âge de 5ans. Ceux qui parvenaient à l’âge adulte mourraient dans leur cinquantaine à cause de la malnutrition et des maladies consécutives.

La deuxième phase commence avec le 18ème siècle. Cette phase est caractérisée par un taux élevé de natalité et une décroissance progressive du taux de mortalité. Les gens résistaient de plus en plus aux maladies grâce à l’amélioration de la productivité agricole qui a enrichi le régime alimentaire, aux conditions relatives de paix et aux nouveaux produits agricoles comme le maïs, patates et tomates venus des Amériques. 

La troisième phase se situe autour du 19ème siècle. Sa caractéristique est la décroissance du taux de mortalité et celui de la natalité. Deux facteurs expliquent cette décroissance. Le premier facteur est l’urbanisation. L’urbanisation  des sociétés est le résultat de leur essor économique. Tandis que dans le milieu rural les enfants sont un investissement pour les champêtres, ils sont un poids économique dans le milieu urbain. Donc l’urbanisation réduit la fécondité.

Le deuxième facteur est l’éducation. Le mouvement vers les villes va avec l’éducation dont les femmes sont aussi bénéficiaires. Plus les femmes sont éduquées, plus elles sont autonomes et réclament l’égalité des droits, et plus elles sont autonomes, plus elles ont moins d’enfants.

La quatrième phase se situe après la deuxième guerre mondiale. Elle est caractérisée par la stabilité du taux de natalité et l’augmentation de l’espérance de vie. L’urbanisation et l’autonomie de la femme se consolident. Le développement de la médicine et de la santé publique d’une part, l’amélioration de la nutrition grâce à la révolution verte d’autre part augmentent l’espérance de vie même dans le pays en développement où la fécondité est toujours bien au-dessus de la moyenne (pp.27-28).

La question est de savoir ce qu’il faut attendre de cette stabilisation. La réponse des auteurs est claire : Pas une autre croissance, mais une décroissance. Ainsi, à partir du 18ème siècle, il a pris 125 ans pour doubler la population mondiale d’un milliard à 2 milliards, trois décennies pour passer à trois milliards, 15 ans pour avoir 4 milliards, et 13 ans pour avoir 5 milliards et 13 autres années pour arriver à 6 milliards et, presque le même temps pour avoir 7 milliards. Il prendra environs 13 ans pour arriver à 8 milliards (pp.28-29). Dans les dernières décennies, le taux de croissance de la population s’est stabilisée jusqu’à même ralentir (p.29). De là, les deux auteurs affirment que dans un proche avenir, la croissance pourrait ralentir davantage, s’arrêter pour commencer à chuter. Ils soutiennent que l’avenir démographique contient quelque chose de nouveau : la population décroit non pas par destin mais par dessein.

Après cet aperçu historique, les auteurs analysent les cas concrets de pays, de régions et des continents pour établir la tendance générale. Ils donnent trois facteurs qui expliquent la décroissance de la fécondité et donc à la base de la stabilisation de la population et sa prochaine décroissance.

Le premier est l’urbanisation qui change le calcul économique d’avoir des enfants. L’urbanisation est la principale cause de diminution de la fécondité. A part que les enfants sont un poids économique, le contexte urbain accroit l’émancipation et l’autonomie des femmes qui  désormais choisissent d’avoir peu d’enfants d’autant plus qu’elles peuvent contrôler leurs corps. Ainsi, dans les pays en développement, l’urbanisation et le renforcement de la capacité de la femme sont en train d’avoir les mêmes  effets qu’ils ont eus sur les pays développés.

Le deuxième facteur est l’éducation. L’éducation renforce la capacité de la femme, qui désormais agit sur base de la formation et de l’information. Pour faire ce point, les auteurs reprennent l’argument avancé par un démographe autrichien, Wolfgang Lutz:

…une fois qu’une femme est socialisée pour avoir une éducation et une carrière, elle est socialisée pour avoir une petite famille. Une fois qu’une femme reçoit assez d’information et d’autonomie pour faire un choix informé et autonome concernant quand avoir des enfants et combien en avoir, immédiatement, elle en a peu et plus tard(p.46).

Ainsi, aujourd’hui, la moyenne d’âge pour avoir un enfant est 30 ans. Certains parents choisissent d’en avoir un ou deux seulement (p. 93). L’Afrique subsaharienne suit cette tendance, donc un taux décroissant de fécondité (p.113). Le cas du Kenya illustre le point :

Si une femme kenyane veut avoir un travail qui lui offre un bon salaire en ville, elle doit avoir une éducation supérieure. Obtenir cette éducation et un travail fait d’elle éligible pour les meilleurs copains. Avoir un diplôme universitaire et un bureau vaut mieux que les vaches et les chèvres. Cela veut dire aussi retarder le mariage et la chance d’avoir des enfants. Le mari potentiel doit travailler longtemps en vue du capital pour payer la dot. Et l’épouse potentielle est contente d’attendre (p.115).

Le troisième facteur est le déclin de la religion et son pouvoir dans certains pays du monde, la sécularisation en d’autres mots. Selon les auteurs, il y a une corrélation entre la décroissance de la fécondité et le déclin de l’influence de la religion visible en Occident. Ils se réfèrent à l’influence que jouaient les catholiques et les protestants sur les politiques publiques incluant les rapports sexuels hors mariage, l’avortement et la contraception. Cela avait comme implication des familles nombreuses dans lesquelles le mari et l’épouse jouaient leurs fonctions traditionnelles. La vague de sécularisation qui a commencé après la deuxième guerre mondiale suivie des accusations des scandales d’abus sexuels ont précipité le déclin de l’influence de l’église sur le mariage, la contraception et de la famille. Cela s’observerait autant en Europe (p.64) qu’en Amérique Latine qui subissent une crise de foi et la baisse de la religiosité dans ces dernières décennies (p.130-32). L’Afrique n’échappe pas à cet ordre. Les questions du genre, de contraception et de l’avortement sont à l’ordre du jour dans les politiques pour contenir la démographie (dite) galopante tandis que la morale religieuse est remise en question (cf. p.131). 

A la fin de leur analyse, les deux auteurs se posent cette question: Comment sera le monde pour un enfant né aujourd’hui quand il atteindra un âge adulte dans le contexte de la décroissance de la population? S’agit-il de la question des implications de la décroissance de la population mondiale et sa gestion? J’en soulignerai cinq plus saillantes.

La première implication est le passage de la quantité à la qualité de la vie que les auteurs décrivent avec un optimisme exubérant:

Nous croyons qu’il y aura beaucoup à admirer dans  ce monde. Il sera propre, paisible et calme. Les océans commenceront à guérir et l’atmosphère sera fraiche, ou, au moins le réchauffement climatique s’arrêtera. Les gens pourront ne pas être trop riches, mais cela ne sera pas un problème (p. 225).

D’autres gains de la décroissance démographique incluent les grands salaires pour le peu de gens employés, l’autonomie accrue des femmes et la disparition des risques de famines.

La deuxième implication est le shift des centres de pouvoir, d’innovation et de créativité. Nous vivrons dans des villes qui se démarqueront les uns des autres par l’innovation et la créativité comme lieux de pouvoir. Dr. Laurent Alexandre parle déjà de La Guerre des Intelligences (2017) qui démarque non seulement l’intelligence artificielle de l’intelligence humaine ; mais aussi les centres plus innovants des centres moins innovants et non innovants. L’urbanisation est un phénomène mondial. Les pays développés sont déjà très urbanisés. Des plans futuristes de villes rivalisent de perfection. Les gratte-ciels rivalisent de hauteurs et mesurent le degré de puissance socio-économico-politique. Les Nations Unies prédisent qu’en 2060, deux-tiers de la population mondiale vivront en villes (pp.225-26). 

La troisième implication est celle du changement climatique. Les auteurs soutiennent que si nous voulons contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, nous devons vivre dans les villes surtout dans les appartements en hauteur pour jouir plus de la température ambiante plutôt que du chauffage artificiel, utiliser le transport commun qui s’améliore plutôt que faire usage des voitures qui polluent. Ainsi, l’urbanisation, l’innovation et la dépopulation seront la meilleure solution pour arrêter le réchauffement climatique (p. 231). Cependant, les matériaux utilisés pour la construction de ces villes sont exploités au prix de la destruction de l’environnement, sans oublier que le processus de construction lui-même pollue. Pollution et prospérité se côtoient.

La quatrième implication est celle de la régénération écologique. Selon les auteurs, l’urbanisation contribuera aussi à la lutte contre les vandalisassions de l’environnement. Le mouvement vers les villes permettra à certaines espèces d’arbres de se régénérer tandis que les espaces jadis cultivés deviendront des brousses comme cela est observable dans certains pays développés aujourd’hui ! La quantité des espaces cultivés dans le monde diminuera non seulement à cause de la décroissance démographique, mais aussi grâce à l’amélioration de la technologie agricole. Les océans aussi seront moins sollicités: la réduction de la population mondiale veut dire moins de bouches pour le poisson et les fruits de mer dont certaines espèces sont déjà en danger. 

La cinquième implication peut être soulignée sous forme de questions-défis: Que deviendront les cultures et des communautés fragiles ? Disparaitront-elles comme les auteurs le suggèrent ? Subsisteront-elles ? A quelle condition? Que se passera-t-il avec beaucoup de jeunes gens qui ne pourront pas se marier dans les pays comme l’Inde et la Chine où des avortements sélectifs et l’infanticide ont affecté les femmes surtout ? Que deviendra une société qui perd l’énergie créative du fait de la diminution des jeunes? Ces deux dernières questions avaient déjà été posées dans Le monde en 2035 vu par la CIA : Paradoxe du progrès (2017). 

Quelle solution à la question de décroissance démographique ? L’immigration, proposent les auteurs. L’immigration permet aux sociétés surtout celles qui sont en train de vieillir de développer une sorte d’élasticité sociale (pp.237-38). Pour réussir, l’immigration doit être accompagnée du multiculturalisme qui permet d’échapper à l’exclusion, la ghettoïsation, la marginalisation, la violence et tout ce qui peut saper l’espace public sur lequel différents groupes peuvent partager des fondements humains et certaines valeurs dans une même société. Cependant cette solution me paraît parcellaire et partiale. Il ne peut avantager que les vieux pays du monde développé. C’est ici que le lecteur découvrira vite que Bricker et Ibbitson restent tributaires du monde occidental et surtout le Canada dont ils sont originaires. J’y reviendrai !

En somme, les auteurs développent une analyse démographique passionnée et assez convaincante malgré la solution partiale et partielle qu’ils proposent. Ils tentent de nous rallier à un nouveau credo démographique: la décroissance de la population mondiale d’ici trois décennies. Ce credo séduit par le réalisme de la situation et des exemples concrets que les auteurs utilisent pour illustrer et éclairer leur point. Les filles scolarisées se marient (ont des enfants) plus tard que celles qui ne le sont pas. L’éducation les aide à se marier et avoir les enfants par choix et non par destin. Qui peut contester que le monde s’urbanise de plus en plus et que, dans les villes, les couples ont moins d’enfants que dans le contexte rural; pour des raisons économiques? Nous ne pouvons pas, non plus, nier le fait que la sécularisation et la relativisation des croyances religieuses ont un impact sur la dynamique démographique même là où la soif du spirituel se fait sentir.

Si leur argument de la décroissance démographique est convaincant, la solution proposée l’est moins. Les auteurs proposent l’immigration accompagnée par le multiculturalisme pour répondre au déclin de la population. Cette solution est dictée par l’expérience du Canada qui est un pays d’immigrations. Il s’agit d’une solution à court terme qui durera aussi longtemps que, dans les pays riches, la population est vieillissante tandis qu’elle est jeune dans les pays pauvres comme le montrent les tendances lourdes mondiales(Conseil National de Renseignement (NIC), 2017, p. 29). Vrai ! Les pays riches et urbanisés vieillissent. Mais il est vrai aussi que les pays pauvres sont sur cette voie de développement et finiront par vieillir. Les pays pauvres s’urbanisent de plus en plus, les femmes sont gagnées à la politique de la scolarisation universelle qui fera que, non seulement elles se marieront plus tard que d’habitude, mais aussi agiront en fonction de leur formation et information.

Pour conclure, Bricker et Ibbitson ont le mérite de nous mettre en garde sur l’avenir dont nous ne pouvons pas freiner le cours mais que nous pouvons orienter.

Je partage bien leur conclusion : L’avenir fera son cours, nous devons faire le nôtre (p.240). Les décideurs des politiques démographiques de nos pays (africains) devraient lire ce livre avec intérêt, pour se plaindre moins de la démographie galopante (qui me paraît être  une illusion dans certains pays de faible population sur de vastes étendus), car le temps de la décroissance démographique viendra.

Tout compte fait, Bricker et Ibbitson ne peuvent pas prétendre avoir trouvé une réponse aux grandes questions de la démographie mondiale. Plutôt, ils nous  les ont posées à nouveau frais! 

 

 


[1]La traduction est la mienne

Français

Revue Ethique et Société
Fraternité St. Dominique
B.P : 2960 Bujumbura, Burundi

Tél: +257 22 22 6956
Cell: +250 78 639 5583; +257 79 944 690
e-mail : info@res.bi
site web: www.res.bi

 

Fraternité Saint Dominique de Bujumbura

Nous, Dominicains du Burundi sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de...

Lire la Suite

Couvent Saint Dominique de Kigali

Nous, Dominicains du Rwanda sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de

Lire la Suite