DERRIERE LES FAÇADES ESPOIR POUR LE RWANDA

Abstract: 

The article attempts to describe the situation of Rwanda at the set of 2013. Three façades of the development of Rwanda have been identified. The first records positive achievements of which Rwanda Government is proud of. Its antithesis is the second façade. Indeed, critics obscure those achievements with different view about the Country achievements. The third façade is the counter-critique of Rwanda Government against the different opinion. The article has discovered that both façades are similar and this has blurred Rwanda development reality. The argument of the article targets the ego that has ignited confrontation instead of cooperation. Thus, to achieve cooperation, humankind should transcend the ego in the self in order to recover humanity essence where humans are no more limited to physical appearances. This move beyond the ego follows three steps; two of which are its levels, namely, the socio-cultural level in which humans are born with, and the individualistic ego which makes them assume responsibilities. The third level creates the passage from the individual to collectivity, and from the nation, as entity, to humanity. The actors of this third level are all stakeholders engaged in the process of awakening the conscience of the whole nation. The article equally  signals this level as follows: perception of the quality of “the other”, even when “that other” is the enemy, recognizing  self-weaknesses and the will to address them immediately when they are perceived, avoid  provocation of the other’s ego uselessly, and ask for  forgiveness. Therefore, those are the results the article has discovered and named “the good power”, the very hope for Rwanda.

  1. Introduction

Je vais essayer de décrire la situation du Rwanda telle que je la perçois en ce début de l’an 2013. Cette année est consacrée par des visionnaires « An 0 de la Nouvelle Terre ». Comme dirait Eckhart Tolle, « Nouvelle Terre » signifie ici un changement majeur dans la conscience de l’humanité, le passage au-delà de l’ego enclenché sans retour.

 

Arrêtons-nous un instant sur ce « passage au-delà de l’ego », c’est lui qui justifie le choix de mon titre « derrière les façades : espoir pour le Rwanda ». Qu’est-ce que l’ego ? C’est notre forme extérieure, l’écorce qui protège notre nature véritable de « Single Outflows of the Universal Life. » Selon cette nature véritable, il est clair que nous participons tous à l’unité de la Vie Universelle, mais sans nous y perdre puisque chacun reste unique. En tant que « gardien de notre individualité », l’ego nous fait rapidement oublier cette communion-pivot et crée la division en nous identifiant avec des objets matériels (mon corps, mon sexe, ma voiture, ma maison, mon champ et mes titres) et symboliques (ma nationalité, mon ethnie, ma religion et mon parti politique). Dans son fonctionnement, l’ego utilise deux forces : une force d’attraction et d’attachement à ce qu’il désire et une force de répulsion, de rejet de ce qu’il éprouve comme menaçant sa sécurité. Ce sont ces deux forces magnétiques d’attraction-attachement et répulsion-rejet qui alimentent les conflits entre des êtres déjà divisés par l’identification aux objets. Voilà comment naissent et se perpétuent les guerres.

 

En cette année 0 du dépassement collectif de l’ego résolument engagé, il convient de garder en mémoire ce fonctionnement de l’ego lorsqu’on observe les sociétés.  On parvient alors à passer « derrière les façades » pour observer les processus d’identification aux objets qui nous divisent et re-percevoir notre unité et notre communion-pivot.  Le seul espoir que nous avons d’arrêter l’état de guerre latent ou manifeste entre nous se trouve dans ce passage derrière les façades nous nous redécouvrons comme « UN » et commençons à « traiter les autres comme nous-mêmes ». Le corollaire de cette prise en compte de notre fraternité est de désactiver les forces magnétiques d’attraction-attachement et répulsion-rejet. Elles sont alors remplacées par la bonne puissance de notre conscience-témoin, capable de sortir de l’illusion de séparation et ainsi d’observer notre mental pour désactiver ses menées divisionnistes. Voilà, pour moi, la signification de la « Nouvelle Terre ». Que donne ce mode de penser quand il est appliqué au cas du Rwanda ?

 

  1.  Les façades

 

Quand des analystes parlent de « façades » à propos du Rwanda, ils désignent le fait que ce pays semble avoir une image de marque à montrer aux étrangers, faite d’aspects positifs, image qui est réputée occulter une réalité moins reluisante, celle vécue au quotidien par le peuple et que les autorités de Kigali ne toléreraient  pas de voir déployée au grand jour.

 

Avec mon introduction, vous aurez compris que j’utilise personnellement le terme de « façade » dans une acception plus large et plus subtile. La façade pour moi, c’est tout simplement ce qui est manifeste, immédiatement visible, et qui peut cacher ou non une autre réalité, non-manifeste, connue ou non des personnes ou des sociétés soumises à notre observation.

 

Il y a ainsi plusieurs façades derrière lesquelles il faut savoir se couler pour atteindre le lieu d’où peut-être enclenché un changement 2, ce genre de changement qui n’affecte pas seulement les éléments d’un système (changement 1, qui contribue à l’autocorrection du système et donc à sa perpétuation), mais atteint le système dans ses bases et sa totalité pour le faire muter vers un point de manifestation matérielle plus inclusif, et donc plus pacifique. Etre plus inclusif, c’est simplement être capable d’intégrer le point de vue de l’autre, « autre » désignant ici surtout celui qui ne pense pas comme nous.

 

La première façade que nous allons observer, ce seront les accomplissements positifs dont les autorités rwandaises sont légitimement fières. Passant derrière cette première façade à la faveur des critiques de l’opposition, nous essayerons de cerner cette autre réalité, le négatif laissé volontairement ou inconsciemment dans l’ombre par le bilan positif des autorités. Puis, prenant ces critiques elles-mêmes pour une autre façadecelle de l’opinion contraire à celle des autorités rwandaises – nous essayerons d’atteindre la réalité que cette opinion occulte. Les démentis des autorités rwandaises nous servirons d’hypothèse de travail. Enfin, nous tenterons d’appréhender le mécanisme qui, en l’occurrence, pousse à l’opposition plutôt qu’à la coopération. Car c’est la déconstruction de ce mécanisme qui est la véritable semence d’espérance pour le Rwanda.

 

Comme vous pouvez le voir, notre programme est trop ambitieux. Nous invoquons déjà l’indulgence de l’auditoire car nous ne sommes pas du tout certain de le mener à bon terme, mais nous espérons avoir tracé ainsi un cadre et confectionné un outil qui peut permettre à chacun d’interpréter les données qu’il glane à travers les media et autres sources d’information.

 

 

2.1. Façade 1 : Accomplissements dont les autorités rwandaises sont légitimement fières

 

Nos sources ici sont le site http://paulkagame.com/, rubrique « achievements » (accomplissements), le discours du président rwandais à l’occasion du nouvel an 2013 où il décrit l’  « état actuel de la nation » et le Rwanda Reconciliation Barometer. Voici l’essentiel de ce qu’on y peut trouver :

 

2.1.1. Domaine économique

 

Il existe au Rwanda un plan de développement économique à long terme appelé « Vision 2020 » et sa stratégie à moyen terme appelée « Stratégie de Développement Economique et Réduction de la Pauvreté » (EDPRS en anglais). C’est ce plan qui indique les voies et moyens pour passer de l’état de pays pauvre à l’état de pays à revenu moyen. De ce plan global sont issus des programmes et des politiques mis en œuvre dans plusieurs secteurs-clés tels que l’agriculture, l’investissement, le tourisme et la technologie de l’information et de la communication (siglé ICT en anglais).

 

2.1.2. Agriculture

 

On parle ici de « révolution verte ». En 2007 fut proclamée la fin de l’agriculture de subsistance et le président initia le programme de développement intégré (IDP) avec pour but d’augmenter la production agricole en unifiant les terres, en ne cultivant que les variétés les plus appropriées à chaque région et en utilisant mieux les engrais et les semences sélectionnées. Le résultat fut une croissance de 7,6% en 2010 contre seulement 2,7% en 2007. Ce programme fut complété par une attention particulière aux plus démunis exprimée dans le programme « une vache par famille pauvre », ce qui veut dire que l’Etat se charge de donner une vache à élever aux familles reconnues comme les plus pauvres pour leur permettre d’avoir du lait pour les enfants, des revenus par la vente du lait et de l’engrais pour les champs. 100.000 familles étaient servies en 2010.

 

2.1.3. Investissement

 

Le Rwanda est internationalement reconnu comme un des dix pays au monde où il est le plus facile de faire des affaires. En 2012, il était classé premier dans la communauté Est-africaine et troisième en Afrique. Ceci est rendu possible par la stabilité politique, le fonctionnement fluide des institutions, le respect de la loi et la tolérance 0 par rapport à la corruption. Des réformes juridiques ont permis à quiconque d’ouvrir une entreprise en seulement 2 jours ouvrables ! En 2012, USD 570 millions ont été investis dans des secteurs qui ont un impact direct sur l’économie, comme le secteur de l’énergie, le secteur de l’hôtellerie et du transport aérien.

 

2.1.4. Tourisme

 

Le tourisme au Rwanda est en plein essor. En effet, le Rwanda est internationalement reconnu comme un des pays les plus sûrs au monde. La ville de Kigali a reçu le prestigieux « Habitat Scroll of Honor Award »[1] en reconnaissance de sa propreté, son calme et sa sécurité. Le « pays des mille collines » draine beaucoup de touristes qui viennent visiter les derniers gorilles de montagne au monde qu’on ne trouve plus que dans le parc des volcans au Rwanda et en RDC, mais aussi le parc de l’Akagera à l’est, la forêt naturelle de Nyungwe au sud-ouest et les rivages du  magnifique lac Kivu à l’ouest. En 2010, le Rwanda a accueilli 666.000 visiteurs qui ont rapporté quelque USD 200 millions. Ce chiffre est passé à 232 millions en 2012, faisant du secteur touristique le premier à rapporter des devises au Rwanda.

 

2.1.5. Technologie de l’information et de la communication

 

En ce qui concerne la technologie de l’information et de la communication, le pays entier est maintenant parcouru par une fibre optique qui permet des connections internet plus puissantes et plus rapides. Il est devenu beaucoup plus facile d’accéder à l’information, de transférer de l’argent en un clic ou par téléphone, etc. Tout le monde est poussé à « se connecter », y compris le secteur agricole (instauration du système d’information sur le marché agricole appelé E-Soko) et rural. Les jeunes sont les plus encouragés à s’intéresser à la technologie de l’information et de la communication (ICT).

 

2.1.6. Domaine politique

 

Sur le plan intérieur, les autorités rwandaises sont fières du cadre institutionnel réputé démocratique qu’elles ont su instaurer au Rwanda depuis 1994, avec une nouvelle Constitution, la séparation des trois branches du pouvoir, la bonne gouvernance à travers une décentralisation effective, la lutte contre la corruption et un nouveau système judiciaire. En ce qui concerne le respect et la promotion des droits humains, le Rwanda est fier de sa Commission Nationale des Droits de la Personne (CNDP), de l’Office de l’Ombudsman et de l’organisation de la société civile. En politique étrangère, les autorités sont fières de la position du Rwanda sur l’échiquier régional (East African Community, etc.) et international (un petit pays, d’accord, mais admiré ou craint, qui participe au maintien de la paix dans le monde et dispose d’un siège non permanent au Conseil de sécurité, etc.).

 

2.1.7.Domaine socio-culturel

 

Les autorités rwandaises sont fières du progrès réalisé dans le domaine socio-culturel depuis 1994 grâce à des réformes innovatrices. Elles aiment évoquer ici le domaine du genre (le Rwanda est le premier pays au monde à disposer d’une majorité féminine (56 %) au parlement), le domaine de l’éducation (Education Primaire Universelle qui doit durer 12 ans, modernisation des écoles primaires avec le programme « un ordinateur par enfant »), le domaine de la santé (avec l’instauration des mutuelles de santé, l’extension du réseau médical, la réduction significative de la malaria et la maîtrise de la pandémie du SIDA), le domaine de la justice (avec la réforme des lois suivant les meilleures pratiques internationales, le raccourcissement des peines et la transformation des prisons d’institutions punitives en centres de redressement, l’affermissement de l’institution de médiation dite « Abunzi » ou les « réconciliateurs ») ainsi que le domaine de la réconciliation après la catastrophe du génocide (le baromètre de la réconciliation confectionné en 2010 indique que les Rwandais sont réconciliés à plus de 80%[2]).

Que Conclure ?  Le président rwandais l’a répété lors de son discours de fin-début d’année, le Rwanda se sent sur la bonne voie. Il a une vision grandiose de lui-même et entend suivre sans désemparer les plans, politiques et programmes issus de cette vision. Il est capable d’inventer des « solutions endogènes » pour répondre aux défis, comme les tribunaux gacaca (pour répondre au défi de la justice après le génocide), les contrats de performance dits  imihigo (pour obliger les communautés et autorités locales à donner le meilleur d’elles-mêmes) et le fonds « dignité » - agaciro (créé pour répondre à la coupure de l’aide par certains bailleurs) pour ne citer que ceux-là.

 

Les détracteurs du régime rwandais trouvent que cela n’est qu’une façade en trompe l’œil pour cacher des lacunes et des tares énormes, considérées comme fondamentales et dirimantes par certains. Que disent-ils ?

 

2.2.Derrière la façade 1 : Critiques de l’opinion contraire à celle des autorités rwandaises

 

Nous n’irons pas en profondeur, notre intention étant simplement d’indiquer notre méthodologie lorsque nous auscultons la situation de notre pays : accorder d’abord l’attention à la version des responsables de la chose publique en la prenant autant que possible sous son plus beau jour et dans sa plus grande force, puis écouter la « contre-pente » en prêtant attention à ceux qui ne l’entendent pas de cette oreille !

Les critiques sont nombreuses et fusent de toutes parts, c’est pour cela qu’il est ardu d’en faire la synthèse. Qui sont les critiqueurs ? Il y a les critiques du citoyen lamda, mais comme il ne peut pas vraiment les exprimer à l’intérieur du pays sans mettre en danger sa vie ou sa liberté, elles sont relayées et répercutées par l’opposition extérieure. Celle-ci est composée de plusieurs associations et partis politiques qui naissent, s’associent et se défont constamment, suivant les lignes d’intérêts communs ou contradictoires de leurs créateurs, et sous les coups de boutoir du pouvoir de Kigali qui, évidemment, ne peut pas ne pas se défendre.  Il y a aussi des media internationaux et la communauté internationale - certains  Etats, certains organes des NU et des ONG - qui n’est pas tendre pour le Rwanda ces derniers temps. Voici une vue rapide et loin d’être exhaustive des principales critiques exprimées.

 

2.2.1. Domaine économique

 

La fameuse « Vision 2020 » est appelée « Vision vite-vite » par des détracteurs pour dénoncer le fait que le régime va trop vite et ne s’adapte pas au rythme du petit peuple mené « manu militari ». La Vision ferait du Rwanda un bon élève du FMI et de la BM dont on sait qu’ils sont au service non pas du développement durable des pays, mais du capitalisme financier multinational qui déstructure les Etats et les met entre les mains du secteur privé. C’est pour cette raison, dit-on, que la plupart des réformes (agriculture, investissements, etc.) dont s’enorgueillissent les autorités rwandaises sont en fait planifiées pour mettre la richesse du pays entre les mains d’une petite oligarchie qui devient de plus en plus scandaleusement riche face à une misère populaire croissante.

 

 

2.2.2.Domaine politique

 

Sur le plan intérieur, l’opposition dénonce une dérive dictatoriale. La fameuse séparation des pouvoirs n’est que de façade ; en réalité tous les pouvoirs sont entre les mains d’une seule personne, le président. La décentralisation elle-même n’est, dit-on, qu’un trompe l’œil; la véritable autorité est détenue par l’armée et les services de renseignements. L’espace politique est occupé par un seul parti devenu parti-Etat : le Front Patriotique Rwandais (FPR). Les autres partis sont ou satellisés par le FPR à travers le fameux « Forum des partis » ou condamnés à l’inexistence par l’emprisonnement, le meurtre ou la condamnation à l’exil de leurs chefs. Le mode de gouvernement est une coercition permanente, ouverte ou larvée, qui fait vivre le peuple dans la peur et la frustration, même et surtout quand on lui  dit qu’il est contraint pour son bien. Le pire ici c’est que le peuple est toujours considéré comme non mature, et que donc les autorités se permettent de ne pas le faire participer aux décisions le concernant. En effet, malgré toutes les institutions ad hoc, la consultation du peuple reste faible et totalement manipulée.

 

En matière des droits de la Personne, les critiques dénoncent une justice du vainqueur, la non prise en compte du travail de la CNDP qui a pourtant dénoncé certaines dérives des tribunaux gacaca par exemple, la faiblesse du service de l’Ombudsman qui ne paraît avoir ni la volonté ferme ni les moyens de bien faire son travail de défense du peuple contre les exactions des autorités, le musellement de la société civile, les arrestations arbitraires et le harcèlement de certains citoyens, la torture, etc.

 

Sur le plan de la politique étrangère, la communauté internationale et l’opposition rwandaise extérieure dénoncent les « visées hégémoniques » du Rwanda vis-à-vis de la RDC, notamment son soutien présumé au M23.

 

2.2.3.Domaine socio-culturel

 

Les critiques s’opposent ici presque terme à terme aux résultats du baromètre de la réconciliation dans quasiment toutes ses variables. En matière de culture politique par exemple, elles affirment que les institutions politiques rwandaises n’ont pas l’aval de la population puisqu’elles seraient issues d’élections et de consultations populaires truquées par le FPR que d’aucuns n’hésitent pas à considérer comme une confrérie de criminels et autres gens avides qui ont fait main basse sur l’Etat.

 

La sécurité physique n’est pas si assurée que ça puisque n’importe qui sait qu’il peut être arrêté, voire torturé n’importe quand, d’où la peur qui est devenue une obsession dans toute la population ; quant à la sécurité économique, elle n’existe pas pour la majorité de la population puisque le coût de la vie augmente sans cesse et que 90% n’ont pas les moyens d’y faire face.

 

L’enseignement coûte trop cher et n’est pas de grande qualité parce qu’il se délivre dans une langue que professeurs et élèves ne maîtrisent pas encore (passage brutal du français à l’anglais), ainsi qu’un changement trop fréquent de programmes. Il ne permet pas non plus d’accéder au monde du travail où le chômage et le chômage déguisé font des ravages. Les soins de santé sont prohibitifs et les mutuelles de santé font partie du problème au lieu d’être un élément de solution : beaucoup se font harceler et mettre en prison pour n’avoir pas pu payer leur cotisation.

En ce qui concerne la citoyenneté et l’identité, ce que dit le baromètre de la réconciliation est considéré comme faux : les gens s’identifient encore d’abord par l’ethnie (et même la région dans les communautés rwandaises de la diaspora), seulement ils savent qu’ils ne peuvent pas l’avouer publiquement sans tomber sous le coup de la loi sur le divisionnisme et l’idéologie génocidaire. L’interdiction de parler des ethnies n’empêche pas, au contraire, l’ethnie de demeurer un critère pertinent en politique, notamment quand il s’agit de distribuer les postes de responsabilité et les meilleures places dans les écoles et les institutions publiques.

 

La justice transitionnelle est réputée par les critiques avoir divisé plus que réconcilié la nation, notamment à cause des peines injustes et souvent trop lourdes infligées à des innocents par les juridictions gacaca, pendant que de vrais coupables du crime de génocide et de crimes contre l’humanité sont parvenus à acheter leur liberté ou n’ont tout simplement pas été concernés (on parle ici évidemment de l’aile FPR).

 

La compréhension du passé reste une pomme de discorde parce que les critiques considèrent que le nouveau pouvoir tombe dans le piège habituel de manipulation de l’histoire à des fins idéologiques. D’après les critiques, des pans entiers de l’histoire sont passés sous silence, notamment les épisodes qui pourraient lever le rideau sur la responsabilité criminelle des nouvelles autorités. Une partie de la population doit encore se taire et n’a pas encore le droit d’enterrer ses morts en dignité et faire publiquement leur deuil. D’aucuns considèrent que le traitement officiel de la mémoire du génocide, loin de conduire réellement au « plus jamais ça », risque de remettre en route cette machine du diable, raison pour laquelle même le baromètre reconnaît qu’il existe encore dans la population un bon pourcentage de gens qui ont peur d’une récidive.

Quant à la cohésion sociale, les critiques considèrent qu’elle est tout en trompe l’œil et plus idéologique que réelle : la méfiance règne sous le manteau de la peur et de la politesse. A écouter les gens, une métaphore s’est formée dans mon esprit, celle des serre-joints ! Le pouvoir de Kagame serait comparable à un serre-joint qui maintiendrait ensemble le pays. Cependant, comme il n’y a pas de principe réel de cohésion interne, le pays partirait dans tous les sens si on enlevait le serre-joints.

 

Voilà donc ce qui, d’après les critiques, se trouverait occulté par les accomplissements chantés par le régime de Kigali. Que pense ce dernier de ces critiques ?

 

3. Façade 2 : contre-critique des autorités rwandaises à l’encontre de l’opinion contraire

 

Le régime pense bien sûr que ces critiques constituent elles-mêmes une façade destinée à occulter les intérêts partisans de leurs auteurs. Le président rwandais n’hésite pas à pourfendre, dans ses discours qui deviennent parfois de violentes diatribes, l’impérialisme de la communauté internationale, l’aveuglement volontaire et intéressé des journalistes et des media, ainsi que la mauvaise foi de l’opposition rwandaise. Et le régime dépense des tonnes d’énergie et des millions de dollars pour combattre ses détracteurs.

 

Nous n’allons pas nous engager dans le détail de cette contre-critique puisqu’il faudrait ensuite considérer la critique de la contre-critique et ainsi de suite à l’infini. Tout en continuant à écouter les uns et les autres avec respect – car toute parole humaine mérite d’être entendue -, il convient, nous semble-t-il, de nous intéresser au mécanisme qui engage les uns et les autres sur la voie de la confrontation plutôt que sur celle de la coopération. Il nous semble en effet que c’est en défaisant ce mécanisme qu’on parviendrait à une meilleure entente et une fécondation mutuelle des points de vue divergents.

 

4. Derrière les façades : le mécanisme à l’œuvre, qui fait que « ce camp-ci ressemble étrangement à celui d’en face »

 

Qu’est-ce qui fausse notre perception et nous oppose à mort dans notre lecture de la réalité ? Je l’ai évoqué dans mon introduction : c’est l’ego. J’ai trouvé dans les Lettres du Christ une description exacte de ce processus:

 

Quand vous rencontrez de l'opposition, votre ego humain se dresse en se hérissant dans une attitude d'autodéfense. Le travail de Votre Ego en tant que « Gardien de votre Individualité » est d’assurer votre survie. C’est pourquoi il se rue à votre secours et vous estimez que l'opposition, sous n'importe quelle forme, est intolérable et ne doit pas être tolérée. En conséquence, vous voyez votre esprit et vos émotions s’agiter, s’échauffer, se fâcher et vous voulez riposter pour faire disparaître l'opposition, qu’elle soit justifiée ou non. C’est là quelque chose que les gens doivent comprendre à propos de l’Ego – il manque totalement de discernement, d’objectivité et du sens élémentaire de la justice. Lorsque  vous  êtes  sous  l’emprise  des  impulsions  de  l’Ego,  les  vibrations  de  conscience  que  vous émettez sont si déséquilibrées, si dénuées de bon sens qu’elles ont un effet négatif sur les gens qui vous entourent ; et elles créent des empreintes de conscience d’une telle dysharmonie qu’elles commencent à affecter vos futures expériences, activités ou situations. Il est d’importance vitale pour votre bien-être et votre vie future de vous réveiller au fait que vous n’êtes pas les victimes des circonstances et des expériences que vous vivez, mais leur créateur(Lettres du Christ 2013).

Voilà donc un avis autorisé, responsabilisant et non culpabilisant. La clef de la transformation harmonieuse des situations ne se trouve pas dans le changement de « ces gens-là », -ceux d’en face -, mais dans mon propre dégagement des griffes de mon ego. Voilà le vrai levier du changement, et il est mis à la portée de chacun en cet « an 0 de la nouvelle Terre. »

 

5. Espoir pour le Rwanda

 

J’ose espérer que de plus en plus de Rwandais vont entreprendre de travailler consciemment et constamment à dépasser l’ego. C’est ainsi qu’ils cesseront de faire « toujours plus de la même chose » en croyant changer profondément les choses.

 

L’ego comporte au moins deux niveaux de conscience. Le premier, auquel nous naissons tous, est appelé par Olivier Clouzot (2000 : 63-73) « niveau socio-culturel ». Il est constitué des conditionnements subis dès la petite enfance, conditionnements familiaux, sociaux, culturels et politiques qui concoctent la personnalité de base d’une société. Il comporte lui-même deux degrés. « Au premier », écrit Clouzot, « la personne accepte inconsciemment l’ensemble de ses conditionnements et se résigne en quelque sorte à rester déterminée par eux : elle n’a donc pas de trajectoire propre, parce qu’elle ne fait pas de choix qui l’engagent personnellement, se contentant de suivre des programmes de comportement acquis pendant les premières années de sa vie et sur lesquels elle n’a aucune prise ; même si elle maugrée contre son destin, en fait, elle lui obéit. Elle est conformiste et sensible au qu’en dira-t-on. » C’est ici que je situerais l’immense foule des Rwandais des collines.

 

«Au deuxième degré du niveau socioculturel », poursuit Clouzot, « la personne choisit au contraire un groupe social particulier dans lequel elle veut s’insérer parce qu’il va l’aider à se structurer : elle épouse les croyances et les règles de ce groupe qui deviennent pour elle des vérités auxquelles elle est identifiée. Cela crée une attitude dogmatique lorsqu’il s’agit d’un groupe professionnel, attitude qui peut conduire jusqu’à l’intolérance et au fanatisme dans le cas d’un groupe politique ou religieux.» C’est ici que je situerais les différents groupes d’activistes que le FPR s’efforce de mettre en place et les groupements religieux qui envahissent le pays.

 

« Ces deux degrés du niveau socioculturel », achève Clouzot, « ont en commun le fait que la conscience est complètement attachée aux apparences du monde extérieur, ce qui rend la personne très dépendante de ce qu’elle croit être la réalité ; ses perceptions subjectives induisent donc pour elle des certitudes absolues, quiconque contestant ces jugements devenant automatiquement un adversaire qui doit être combattu. » Où l’on peut comprendre pourquoi les Rwandais applaudissent les discours musclés de leurs chefs et sont en général prêts à en découdre avec ceux qui voient les choses autrement.

 

Le premier pas dans le dépassement de ce niveau de conscience consiste donc à devenir plus personnel et à dépendre moins des groupes et des apparences. Ce pas conduit au deuxième niveau de conscience, appelé par Clouzot « niveau de l’ego individualiste » niveau « où le moi commence à prendre des responsabilités, ce qui lui permet de découvrir en lui des forces qui n’avaient pas pu s’exprimer auparavant. Il y a là un renversement complet de tendances : l’être n’existait avant que par référence au monde extérieur et au groupe qui le protégeait, tandis qu’il est maintenant capable d’exister par et pour lui-même en devenant sa propre référence et en étant l’auteur principal de son histoire, au lieu d’être le jouet d’un destin capricieux qui le dominait. Il jouit alors pour la première fois d’un sentiment exaltant de liberté. » Je crois entendre ici certains accents de fierté dans les discours des autorités rwandaises.

 

Poursuivant sa description, Clouzot note cependant que « la personnalité qui s’est affirmée dans un sursaut d’indépendance, ou plutôt de contre-dépendance par rapport au milieu familial et social par lequel elle avait été conditionnée, est structurée de manière plus qu’hasardeuse sur des oppositions systématiques ou impulsives aux normes de comportement instituées par les éducateurs et les parents, et sur un ensemble d’appétits et de désirs, de pulsions et de compulsions, d’attractions et de répulsions, qui constituent un conglomérat disharmonieux et incohérent qui fluctue au gré des situations, des modes et des humeurs. » Et d’achever :

 

Un des effets les plus pervers du niveau de l’ego individualiste est qu’il produit des êtres séparés, isolés dans leur ambition d’acquérir du pouvoir, de recevoir de la considération, de gagner de l’argent. Il y a une avidité de possession tout à fait caractéristique de ce niveau, même si elle est souvent inconsciente, en particulier chez ceux qui se sentent frustrés de ne pas avoir assez.

 

Je propose de prendre ce modèle de Clouzot comme outil d’analyse non seulement des individus, mais aussi du pays considéré comme un être en évolution et qui en est précisément au deuxième niveau de conscience. Nous pourrions alors remercier les autorités rwandaises actuelles de lui avoir fait faire ce pas.

 

On doit alors ensuite interpréter les critiques comme la mise en lumière du côté sombre de ce développement, mise en lumière qui invite à ne pas prendre le nouvel état pour un aboutissement, mais comme une étape qui doit être dépassée en direction du troisième niveau. Ce niveau n’est plus un niveau de l’ego, mais un niveau de l’essence de l’humain. Nous dépassons ici « les apparences extérieures » (ibintu en langue du Rwanda), - les « façades », pour atteindre « la vraie réalité », l’essence de la vie (ubuntu en langue du Rwanda). Clouzot l’appelle « niveau de l’individu individualisé. »

 

[Ce niveau] se définit par la capacité de surmonter des crises et d’entrer dans un processus continu d’auto-transformation finalisé par le désir de permettre à l’être essentiel d’émerger et d’atteindre sa pleine maturité. La personne a vraiment ressenti, effectivement, la présence du moi essentiel et elle a donc compris que le moi existentiel, l’ego, qui se croyait le maître, n’est qu’un tyran frustré qui réclame toujours plus que ce qu’il a et qui empêche l’essence de se développer. A partir de ce moment, le travail pour affiner la conscience et la rendre capable de démasquer les jeux de l’ego devient le plus important. Le processus de l’individu change de nature : il n’est plus centré sur le désir d’acquérir du pouvoir sur le monde extérieur, mais sur celui de maîtriser son univers intérieur, et ce qu’il percevait auparavant comme des épreuves deviennent des défis susceptibles d’accélérer sa transformation. Parallèlement, les relations interpersonnelles se modifient en devenant plus authentiques et plus humaines, tandis que l’action extérieure est orientée vers le service à l’évolution générale. 

 

J’invite les Rwandais et leurs ami-e-s à travailler au niveau personnel pour passer au troisième niveau. Ils pourront alors transposer ce langage du niveau personnel au niveau collectif afin de travailler à faire croître en conscience la nation comme entité, lui permettant de contribuer à l’évolution générale de l’humanité. Voilà ce que j’appelle un patriotisme de bon aloi et je désigne du nom d’« acteurs de troisième niveau » ceux qui s’engagent dans cet éveil de la conscience de toute une nation. La formation de ce genre d’acteurs constitue un volet spécifique du travail de l’asbl de droit rwandais « Association Modeste et Innocent – AMI » (www.ami-ubuntu.net ).

 

Voici les signes majeurs qui caractérisent le passage de quelqu’un au troisième niveau : Il voit les qualités d’autrui, même quand cet autrui est réputé être un ennemi ; Il reconnait ses faiblesses et accepte de corriger ses défauts quand il vient à les percevoir ; Il veille toujours à ne pas provoquer inutilement l’ego d’autrui par un langage dur ou insultant ; (et) Il demande pardon quand il sent qu’il a blessé et pardonne unilatéralement les blessures que les autres lui infligent.

 

Ces signes sont des effets visibles de ce que nous appelons « bonne puissance ». Celle-ci est un facteur de la conscience de l’individu individualisé et c’est elle, le véritable espoir pour le Rwanda. Car derrière les façades se trouve l’ego, mais derrière l’ego et pour le transmuter se trouve la bonne puissance de la conscience-témoin.

 

 


[1]Un prix créé par les Nations Unies en 1989 pour récompenser les pays, organisations et individus qui se distinguent dans l’amélioration du logement urbain.

[2]Le baromètre prend en considération six variables : la culture politique (70 % de Rwandais trouvent légitimes et efficaces les structures, institutions et valeurs politiques du pays), la sécurité humaine (la majorité des Rwandais sont confiants dans leur sécurité, mais plus dans la sécurité  physique que dans la sécurité économique), la citoyenneté et l’identité (plus de 90% de Rwandais se considèrent d’abord comme Rwandais et non plus d’abord comme Hutus, Tutsis ou Twas), la justice transitionnelle (70% de Rwandais approuvent la justice des tribunaux gacaca), la compréhension du passé (de façon générale, les Rwandais pensent que c’est l’enseignement de l’histoire et la manipulation ethnique qui ont conduit à la division, raison pour laquelle la Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation et l’Université nationale du Rwanda viennent d’éditer un nouveau manuel d’Histoire du Rwanda réputé plus inclusif), et la cohésion sociale (c’est ici la variable-clé pour la réconciliation et elle indique que plus de 80% de la population nourrissent des perceptions, attitudes et comportements positifs en ce qui concerne la confiance entre les groupes ethniques. C’est plutôt le fossé entre riches et pauvres qui demeure la première source de division entre les Rwandais).

Référence Bibliographique: 

Achievements, en ligne sur  http://paulkagame.com(Consulté le 19 Janvier 2013).

 

Clouzot, O 2000. Eveil et verticalité : essai sur la transcendance et sur le chemin de

transformation qui y conduit. Paris : Le Souffle d’or.

 

Créez-vous une vie merveilleuse, Articles du Christ 2 en ligne sur

www.voiechristique.co.za (Consulté le 19 Janvier 2013).

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