AFFIRMER SON IDENTITE POUR BIEN S’INTEGRER AU MONDE ET CONTRIBUER A SON HUMANISATION

Abstract: 

This editorial note revisits Clegg’s song, “I am seating on the top of Kilimanjaro”, and Mandela’s dream of the “rain-bow nation” to suggest that the affirmation of one’s identity is a sure ground for the regional integration and one’s contribution to its humanisation. The result of this dynamics cannot be the kind of limited world premised on the dogma of the market and in which human relationships are thought of in terms of selling and buying only. It is an integration that takes seriously the individual and the social nature of the human being. Seen from this point of view, the regional integration should be the starting point of a rain-bow world and the civilisation of the universal. It is within this framework that the various articles in this issue should be read and understood.

Le chanteur Sud Africain Johny Clegg a une chanson qui me semble être un bon lieu commencer cet éditorial. I am seating on the top of Kilimandjaro, I can see a new tomorrow.(Je suis assis sur le sommet du Kilimandjaro, je peux voir l’avenir). Cette chanson de celui qui est vu comme le Zulu blanc peut être interprétée de deux manières. Premièrement, le contexte de sa composition : celui de l’apartheid. Ce Zulu blanc tentait de transcender le problème des races dans une Afrique du Sud en plein apartheid pour rêver d’un avenir la couleur de la peau et la provenance géographique des peuples seraient rendues caduques. Nelson Mandela traduira plus tard le rêve de Clegg en termes de «nation arc-en-ciel». Ici il faut poser une question et demander à Clegg de composer une autre chanson éventuellement. Si les différentes races peuvent former une seule nation, peut-on envisager un avenir différentes nations pourraient composer pour devenir une seule nation? Certains pourraient répondre dans l’affirmative en citant l’exemple des Etats-Unis entre autres, et même l’Union Européenne bien que les pays qui composent celle-ci soient des entités indépendantes.

 

Mais, à la même question, on pourrait aussi répondre négativement à la même question. Depuis la période des indépendances, les leaders africains rêvent d’une entité qui serait appelée les Etats-Unis d’Afrique. Plus d’un demi-siècle après, le continent n’est jamais parvenu à transcender des groupements régionaux, économiquement fragiles et socio-politiquement peu viables, souvent sabotés par la main invisible des puissances mondiales. L’une des causes majeures de la faillite du projet des Etats Unis d’Afrique est le problème de l’ « autonomie dépendante ». De fait, après la colonisation, chaque état africain voulait être autonome et souverain. Or cette autonomie et cette souveraineté étaient des concepts qui n’avaient de valeur que dans la mesure ils donnaient plus de pouvoir aux leaders politiques. Paradoxalement, ce pouvoir n’était pouvoir que par rapport aux citoyens qui le subissaient. En effet, le pouvoir de la plupart des leaders africains dépend des anciennes puissances coloniales, alliés idéologiques, et/ou de certaines organisations internationales. Cette double dépendance n’a pas permis à l’Afrique et aux Africains de réaliser ce rêve d’unir au mieux tout le continent, au pire ses différentes régions. Pis encore, elle a phagocyté tous les efforts des Africains devenus incapables de travailler à l’avènement d’une identité africaine comme l’affirmation du « Niger sein », une identité sans laquelle l’intégration de l’Afrique dans le concert des nations et sa contribution à l’édification des valeurs humaines seront hypothéquées.

 

Qu’on ne voit pas dans ces propos ceux d’un apologiste impénitent qui veut ériger l’Afrique en une valeur d’aimantation ou sacro-sainte. L’exemple de l’Afrique me permet, par contre, de montrer que la portée universelle des valeurs ne peut pas se passer de leur enculturation.

 

L’intégration est impossible sans l’affirmation de l’identité et, sans l’affirmation de l’identité, il est difficile de contribuer consciencieusement à l’entité résultant de l’intégration. Affirmer son identité, c’est être capable de répondre à la question « qui suis-je ? ». Tout l’enjeu de l’ouverture à l’autre porte sur cette problématique. Quand on vit son identité, il est fort possible de savoir ce qu’on peut apporter aux autres et ce qu’on peut attendre d’eux en retour. Un tel don constitue la base d’une véritable philosophie de la solidarité.

 

Considérons le deuxième aspect de « I am seating on the top of Kilimanjaro». Il s’agit bien sûr de la chanson de Clegg, mais aussi de l’idée de la « nation arc-en-ciel ». Les deux choses nous rappellent peut-être une réalité que Teilhard de Chardin contemplait, à savoir la « coalescence des centres ». Il s’agit de comprendre la vie comme un mouvement vers l’unification qui déboucherait à la cohésion et à  la solidarité (De Chardin 1964: 274). Nous tombons alors dans un autre rêve ou plutôt une utopie, celle du « monde-arc-en-ciel ». En effet, l’idée de la « nation-arc-en-ciel » est venue au moment où le concept de la mondialisation ou du « village planétaire » entrait dans le vocabulaire populaire, mais qui ne satisfait pas tout le monde.

 

Toutefois, il n’est pas sûr que la mondialisation soit une réponse satisfaisante à la question qui se trouve à l’arrière plan de la chanson de Clegg. Ce dernier veut s’élever au plérôme du questionnement suivant: y-a-il un monde au-delà des identités singulières ? Y a-t-il une société qui puisse transcender ma société, un pays qui puisse transcender mon pays? Y a-t-il une supra-souveraineté qui défie la souveraineté de mon pays ? Toutes ces questions visent une chose. S’auto-centrer et se décentrer. Il s’agit d’affirmer son identité et sa particularité, d’une part; et voir comment conjuguer avec les autres qui affirment leurs identités et ainsi embrasser l’universalité, d’autre part ; et cela d’une manière qui avantage tout le monde. L’être humain est individuel et social. Cela vaut autant pour les sociétés et les pays pris singulièrement.

 

Hélas ! Il semble qu’il y a un problème majeur qui se glisse dans ce dynamisme naturel humain. Il s’agit du problème de l’économisme qui veut que la prémisse majeure de l’intégration soit la seule satisfaction des besoins économiques. Le monde tend à évoluer ainsi, les uns copiant les expériences des autres, forcés par la dictature du marché. L’intégration régionale issue de l’économisme ne nous donne pas accès à cet aspect fondamental de l’homme. Il est possible que cette perspective de l’intégration puisse aussi déboucher sur le besoin social de l’homme. Mais cela ne serait qu’une pure tricherie d’autant  plus que la réalisation de la nature sociale de l’homme viendrait pour justifier les intérêts matériels égoïstes.  

 

La dictature du marché ne peut étancher la soif ontologique dont Senghor avait parlé, en reprenant par ailleurs la philosophie de Teilhard de Chardin: celle de la civilisation de l’universel. Cette civilisation de l’universel est celle où tout le monde se reconnait comme frères avec l’implication axiologique du partage de ce qu’on est et ce qu’on a. Pour l’Afrique, la civilisation de l’universel permettrait aux familles, que les frontières coloniales ont séparé, de se retrouver sans référence aux simples échanges économiques, se défaire des frontières consolidées par la colonisation entre des peuples qui sont en fait les mêmes, et, dans le processus, dissoudre les fausses divisions sociales. Cette perspective rend à l’homme sa nature sociale à grande échelle.

 

C’est dans ce cadre que les articles proposés ici peuvent être lus et compris.

 

Dans «Les arcanes insondables de la quête des identités», Jean Marie Katubadi confronte la question de l’identité qui préoccupe tant de conscience sur le continent Africain. Katubadi situe l’identité sur deux plans. En premier lieu, l’identité répond à une logique de définition du sujet pour préciser en quoi « je diffère de tout autre que moi ». En deuxième lieu, l’identité répond à la logique d’appartenance (Sur quoi ma sociabilité se fonde-t-elle ?) comme base du lien social unissant tous ceux qui partagent les mêmes valeurs symboliques, les mêmes pratiques sociales et les mêmes formes de langage.

 

Dans « L’intégration régionale à l’épreuve des frontières », Fidèle Ingiyimbere soutient que l’intégration régionale va au-delà de la sphère économique. Ingiyimbere construit son argument en trois points. Premièrement, il argue que l’intégration régionale n’est pas conçue pour défendre la cause de la mondialisation économique. Deuxièmement, l’intégration régionale implique plus que l’économie. Et enfin, l’intégration régionale est un moyen de résister contre la dissolution des sociétés dans le processus de la mondialisation économique

 

Dans « La fédération du Kilimanjaro », Melchior Mbonimpa salue la naissance de la Communauté Est-Africaine dont il a rêvé l’édification depuis plus qu’un quart de siècle. Il voit dans le projet de la fédération du Kilimandjaro non seulement une solution au désenclavement du Rwanda et du Burundi, deux pays séparés par une frontière perméable, mais aussi une entité capable d’absorber le conflit Hutu-Tutsi.

 

Dans« Démocratie, intégration et identités nationales en Afrique », Roger Afan soutient que les manifestations identitaires, loin d’être une dégradation de la démocratie, sont plutôt un enrichissement qui pourrait forcer la majorité politique à prendre au sérieux les aspirations des minorités. Afan suggère la construction d’un cadre d’une solidarité ouverte basée sur le contrat social par lequel les Africains décideraient par eux-mêmes de vivre ensemble et viser le destin commun au-delà des frontières nationales. C’est dans ce cadre que la démocratie comme lieu sûr des libertés peut être forgée.

 

Enfin, dans la Chronique européenne, Ignace Berten réfléchit sur la question de La montée des nationalismes en Europe. Il revient sur les aspects économiques, sociaux et politiques qui rongent l’Union Européenne.  Sur base de l’expérience de 60 ans déjà parcourus par l’Union Européenne, Berten soutient que personne ne peut prédire, sans risque de se tromper, que la crise actuelle fera ou ne fera pas éclater cette entité. Aussi suggère-t-il de fonder l’avenir de l’Union sur un saut démocratique et éthique.              

 

Je vous souhaite une bonne lecture !

 

Domaine: 

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