LE LEADERSHIP EN QUESTION DIMENSIONS THÉOLOGIQUES ET VALEURS ÉTHIQUES

Abstract: 

Defining  leadership means that leadership is a  phenomenon  that  is  contextual  and  suggests  that everyone  is  capable  of  exercising  leadership.  There is no universally accepted definition of a leadership.  Through the exegetical study of Mark 10.35-45, this paper tries to show that the concept of leadership is originally shaped by the theological definition of the leader. Contrary to popular perception, a leader is not just the one at the top organization, who exercises a power. He is who has the ability to apply a specific form of leadership. He is who recognizes how coercion, power, and management are different from leadership. He is a person with God-given capacity and God-given responsibility who influences a group of followers toward God’s purposes for the group. Leadership means showing the way, blazing the trail, establishing  the  pace  and  setting  an  example  that  others  can  follow.  Since being comes from doing, a leader should become what they desire others to be and go first where they call others to follow. They should resemble a leader that Jesus portrays in Mark 10: 35-45. Without this imagery in mind, leadership will become leadership for selfishness that jeopardizes the good and wellbeing of society. Therefore, leadership has both, theological and ethical dimensions in as much as society is God's creature. A leader should reflect on their consciousness of evil before God, to rescue good from the unjustifiable evil thought in society, to a regain of the self for society's good.

 

  1. Introduction

Parler du leadership, c’est évoquer un phénomène à la fois ambiant, omniprésent et ambigu. Le concept lui-même est flou et complexe. Il en est question dans le milieu politique,  dans le milieu des affaires, dans les structures ecclésiastiques, dans la vie familiale, bref, partout. Le leadership fait référence aux êtres humains en société, soumis à une diversité de pouvoirs. Pour en saisir un tant soit peu l’essence et la substance, il est nécessaire de s’attaquer à la compréhension de la nature humaine même, aux relations interpersonnelles, en lien avec le leadership dans une société organisée. Car, depuis que l’homme est l’homme et qu’il s’est organisé pour vivre en société, la question du pouvoir qu’exercent les uns sur les autres se pose. On ne peut se demander si l’existence d’un tel pouvoir est nécessaire, et si tel est le cas, à qui appartient le droit de décider, ce qui légitime ceux qui dirigent,  de quelle manière le leadership doit être exercé et comment le pouvoir doit être appliqué. En outre, l’exercice du pouvoir soulève nécessairement la question des limites. Jusqu’où le pouvoir peut-il aller pour atteindre ses buts, et quelle est la limite entre un pouvoir utile et nécessaire et un pouvoir tyrannique et dangereux. De surcroît, plus les sociétés deviennent complexes, plus leurs espaces d’influence sont vastes, plus les pouvoirs qui s’y exercent peuvent sembler lointains et incontrôlables à ceux qui y vivent (Macchi 2012: 195).

Ainsi, la question du pouvoir en leadership recouvre de multiples aspects, parmi lesquels nous retenons  en particulier la thématique de l’opposition entre pouvoir humain (politique ou religieux) et pouvoir divin. Car, d’aucuns savent que les dérives du leadership sont plus que jamais d’actualité et inhérentes à la nature humaine (Blandenier 1993 : 44).  Être leader de nos jours, c’est penser en termes de rangs à occuper, de titres à porter, de grades à atteindre, du pouvoir à exercer. Au fond, l’idée consiste à viser la dimension verticale du pouvoir relative à la notion de commander-obéir (De Connick 1993: 24). Par conséquent, l’on pense souvent que le fait d’exercer le pouvoir ou détenir l’autorité, c’est l’opportunité d’acquérir prestiges et privilèges. L’Église de Christ n’est pas sans connaître cette crise. Et cela est dû au fait que les modèles de leadership adoptés par une grande partie de l’Église sont majoritairement dérivés des cosmovisions culturelles et des modèles institutionnels séculiers. Face à cela, une des causes de ce paradigme réside, d’une part, dans l’absence de réflexion sérieuse sur les modèles vertueux d’exercer l’autorité, et d’autre part, dans la tension entre la théorie extraite des modèles séculiers et leur adaptation dans les institutions religieuses. La conséquence en est que l’Église s’est liée à ces modèles de leadership, en créant soit la déception à cause de ses abus d’autorité, de son intégrité douteuse et de ses comportements déviants, soit l’indifférence et le manque de véritable leadership dû à la perte d’autorité ; ce qui a provoqué le dépérissement de certaines institutions missionnaires.

À cet égard, l’Église est interpellée  à repenser sa théologie du leadership afin de s’orienter de manière plus viable vers un leadership conforme à la vision du Christ, en se basant sur les modèles bibliques adaptés, pour une Église et une mission plus saines.

Pour ce faire, cette étude propose de se pencher sur différents passages qui retracent d’une façon ou d’une autre l’antagonisme et la tension existant entre le concept séculier et le concept chrétien du leadership dans l’exercice du pouvoir et d’autorité. Comment, de fait, est pensée la question du pouvoir et de l’autorité dans l’Évangile, si l’on considère ceux-ci comme significativement constitutifs du leadership ? Dans la perspective d’une recherche sur ces deux termes (pouvoir et autorité), cette interrogation apportera quelques éléments de réflexion sur la théologie du leadership prônée par l’Évangile.

De manière plus précise, nous étudierons l’un des récits les plus marquants (Mc 10.35-45) afin d’en dégager l’antagonisme auquel Jésus fait référence, indiquant que le modèle séculier du leadership à son époque n’était pas compatible avec la vision du Royaume de Dieu. La manipulation et l’aliénation de la dignité et de la liberté de l’être humain sont très éloignées de l’humilité et du service exigés par le leadership à l’image de Christ. Ainsi, la perspective théologique de ce récit montre qu’en réalité, du point de vue leadership, le conflit du pouvoir se joue toujours entre Dieu lui-même et les détenteurs du pouvoir dans ce monde.

Comme le titre de cette étude l’indique, l’on ne peut parler du leadership sans évoquer les questions liées à ses dimensions théologiques et à ses valeurs éthiques. Car, dans Rm 13,1-2, l’Apôtre Paul fait valoir la soumission de tout individu à l’autorité :

Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures; car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu; et les puissances qui subsistent, ont été établies de Dieu.  C'est pourquoi, celui qui s'oppose à la puissance, s'oppose à l'ordre que Dieu a établi; or ceux qui s'y opposent, attireront la condamnation sur eux-mêmes

Il est vrai que l’apôtre n’exhorte pas à la loyauté, mais pas davantage à l’obéissance, seulement à une soumission en conscience de bon gré. Chez Paul, en effet, la soumission, même volontaire, n’équivaut pas à l’obéissance ; elle consiste à reconnaître et respecter des statuts supérieurs, elle est l’attitude de l’inférieur envers le supérieur, alors que l’obéissance décrit une adhésion totale de la volonté, sans d’abord considérer les statuts (celui de l’inférieur et celui du supérieur). En effet, la légitimation divine des autorités vise à justifier la soumission du peuple. Dit autrement : le pouvoir est délégué par Dieu et personne ne peut y être insoumise, de même aucun leader ne peut s’en approprier afin d’en faire ce qu’il veut. Si les leaders sont établis par Dieu et maintenus aussi par Lui, notre soumission est entière. La seule exception concerne le cas où l’exercice de ce pouvoir serait en contradiction avec la volonté de Dieu, comme il est écrit en Actes 4:20 et 5:29: « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Il paraît de tout cela que ceux qui détiennent le pouvoir doivent savoir que leur puissance venant d'en haut, ils ne doivent pas croire qu'ils en soient les maîtres pour en user à leur gré ; mais ils doivent s'en servir avec crainte et retenue, comme d'une chose qui leur vient de Dieu, et dont Dieu leur demandera compte. 

Dans le même ordre d’idée, dans Dt 17,18-20, il est prescrit que le roi devait être un citoyen modèle. La capacité d’exercer le pouvoir qui était la sienne ne devait pas être différente de celle de Dieu. Que le roi respecte donc son pouvoir, parce que ce n'est pas son pouvoir, mais celui de Dieu, dont il faut user saintement et religieusement. Attachés aux principes divins, les moyens d’exercer le pouvoir du roi étaient ainsi fortement limités, pour une raison précise : ne pas faire retourner le peuple en Egypte dans la situation de servitude (Dt 17,16-17). Saint Grégoire de Nazianze, pour la même raison, dénonçait les abus de l’empereur Julien l’Apostat en ces termes :

Respectez votre pourpre : reconnaissez le grand mystère de Dieu dans vos personnes : Il gouverne par lui-même les choses célestes; Il partage celles de la terre avec vous. Soyez donc des dieux à vos sujets. C'est-à-dire, gouvernez-les comme Dieu gouverne, d'une manière noble, désintéressée, bienfaisante, en un mot divine(Grégoire de Nazianze, 1735).

Toutes ces prescriptions assignées au pouvoir du roi, semblent ignorées par la manière de gouverner la plupart de nos pays africains, où le pouvoir est source de beaucoup de controverses et les sentiments à leur endroit se révèlent souvent très équivoques. Le pouvoir suscite tantôt la peur, tantôt l’attrait, tantôt le mépris, tantôt l’admiration. C’est un sujet que toutes et tous connaissent pour l’avoir subi et pour l’avoir exercé. Les perceptions que les gens s’en font sont habituellement composées d’une mixture d’opinions, d’idées, de préjugés, d’idéaux, de craintes, de fantasmes, de symboles. Rares sont les personnes qui en ont une représentation claire et sereine. Les attitudes à l’endroit du pouvoir et d’autorité sont souvent marquées par un paradoxe, si d’un côté les aspirations à la dictature sont rejetées, de l’autre côté les actes d’impuissance sont méprisés. Confusion, préjugés, hantise, envie sont autant de réactions qui cohabitent lorsqu’il est question du pouvoir ou de l’autorité. Un mal à éviter pour plusieurs, le pouvoir et l’autorité sont néanmoins omniprésents dans les rapports humains. Cet état de tension et cette atmosphère de méfiance font du pouvoir dans nos sociétés africaines  un sujet difficile à traiter. Non seulement est-il délicat, mais il couvre une réalité très complexe où se manifeste toute la gamme des comportements humains.

Un des aspects à prendre en compte dans l’étude de ce thème du leadership, c’est aussi l’influence de nos cultures et nos traditions sur la façon de gouverner en Afrique. Depuis toujours, notons-le, dans les traditions africaines, le pouvoir était exercé dans des contextes où l’image du chef était associée à un certain prestige, une certaine noblesse, une souveraineté absolue. Cela a engendré également la soumission presque naturelle que les sujets doivent avoir vis-à-vis de leurs chefs. Comme conséquence, cette conception a laissé une empreinte sociale sur la compréhension et l’exercice du pouvoir, donnant lieu à l’émergence de la figure du « chef », prototype du leadership autocratique. À ce propos, de même que nous pouvons dire que l’action de l’Église a influencé les sociétés africaines, nous pouvons également admettre que les cultures africaines ont, elles aussi, façonné le leadership de l’Église.

En fin de compte, il paraît nécessaire de savoir d’où le leader tient-il son pouvoir. C’est ce que nous allons souligner en tout premier lieu dans les prochaines lignes. En d’autres termes,  il est question de savoir ce que c’est que le pouvoir. Quelles relations entretiennent leadership et pouvoir ? Sont-ils antinomiques ? Comment maîtriser l’un et/ou l’autre en allant au cœur de leur définition ?

À partir de ces interrogations, nous estimons qu’il serait mieux d’apprécier d’abord, à l’issue de cette étude, l’usage du pouvoir et de l’autorité. Cela implique que l’on saura dire quelles sont les valeurs éthiques qui s’en dégagent, les buts qui justifient l’autorité et le pouvoir et quels sont les usages justifiés et les usages abusifs du pouvoir. En d’autres mots, il faut donner au pouvoir et à l’autorité leur raison d’être aussi bien que leurs limites. Puisqu’il est parfois difficile de donner une signification exacte à ces deux termes, il serait mieux de les définir. Ensuite, l’étude de Mc 10.35-45 permettrade faire l’écho du leadership de Jésus,  de ce que veut dire le leadership dans une perspective biblique. Enfin, il sera question d’identifier les valeurs éthiques du leadership en contraste avec les façons personnelles qu’on a d’être leaders en Afrique.

  1. Pouvoir et Autorité
  2.  L’analyse des concepts

En leadership, peut-on parler de pouvoir sans parler d’autorité ? C’est la question récurrente que l’on se pose : tout simplement parce que certains pensent qu’il est difficile de parler de l’autorité sans parler de pouvoir (Weber 1971 ; voir aussi Meeks 1983 : 136-137). Pour ces derniers,  parler de l’autorité en leadership, c’est aussi parler de pouvoir. Quand on exerce une autorité, on exerce en même temps un pouvoir. In contrario, d’autres les dissocient assez souvent, voire même les opposent. Pour expliquer cette gêne, nous tenterons de donner sens à ces deux mots :pouvoir et autorité. On gagnerait ainsi à les expliciter.

Le mot pouvoir vient du latin populaire pŏtēre qui dérive du verbe classique posse signifiant “avoir de l’importance, de l’influence, de l’efficacité” mais aussi “être capable de”, “être en puissance de”. Ce mot est donc en lui-même assez indéterminé et moralement neutre.  Toutefois, le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé. Lorsque nous déclarons que quelqu’un est « au pouvoir », nous entendons par là qu’il a reçu d’un certain nombre de personnes le pouvoir d’agir en leur nom. Lorsque le groupe d’où vient le pouvoir à l’origine se dissout, (potestas in poplo – s’il n’y a pas de peuple ou de groupe),  il ne saurait y avoir de pouvoir ; car, son « pouvoir » se dissipe également. Dans le langage courant, lorsqu’il nous arrive de parler du « pouvoir d’un homme », du « pouvoir d’une personnalité », nous donnons déjà au mot « pouvoir » un sens métaphorique : nous faisons, en fait, allusion à sa « puissance » ou à sa « capacité d’agir ». Mais, le pouvoir peut aussi résulter de bien d’autres choses que de l’apti­tude à diriger : pouvoir fondé sur la force, les armes, la menace, la terreur, les leviers juridiques, etc. Et beaucoup d’hommes de pouvoir ont peu d’apti­tudes naturelles au leadership. C’est dire qu’être un leader et être un homme de pouvoir sont nettement distincts. Un leader est en situation d’exercer du pou­voir et de l’auto­rité sur les gens, du fait précisé­ment de ses talents de leader. Mais l’usage qu’il en fait varie d’un leader à l’autre : tout le monde connaît des leaders qui ont fait du bien aux gens qu’ils dirigent et sont devenus des héros et d’autres qui ont fait mauvais usage de leur pouvoir et sont devenus des despotes. Le pouvoir est, pour un lea­der, une conséquence directe de son leadership. Mais, ce pouvoir peut aussi se trouver entre les mains d’un individu sans vrai leadership (Luc, 2004 : 65).

En résumé, le pouvoir n’existe pas en soi. Même s’il a ses emblèmes, il n’est pas de l’ordre d’un objet que l’on détient, mais d’une modalité imprégnant les relations sociales. Il apparaît dès lors qu’un individu peut imposer sa volonté à un autre de manière coercitive ou positive.

Par contre, le mot autorité vient du latin auctoritas, qui dérive de la racine indo-européennne aug exprimant l’idée d’augmenter, de faire croître.  On retrouve cette racine dans le mot grec auxô (augmenter). Dans le mot autorité, il y a donc l’idée d’une puissance créatrice, d’une puissance qui fait croître, qui valorise, qui fait progresser, qui pousse à agir.  Mais qu’est-ce que l’autoritédoit faire croître dans les sujets qu’elle dirige ? On peut parler d’autorité personnelle, par exemple dans les rapports entre parents et enfants, entre professeurs et élèves – ou encore elle peut constituer un attribut  des institutions, comme, par exemple, dans le cas du Sénat romain (auctoritas in senatu) ou de la hiérarchie de l’Eglise. Sa caractéristique essentielle est que ceux dont l’obéissance est requise la reconnaissent inconditionnellement ; il n’est en ce cas nul besoin de contrainte ou de persuasion. (Un père peut prendre son autorité, soit en battant son fils, soit en acceptant de discuter avec lui, c’est-à-dire soit en se conduisant comme un tyran, soit en le traitant en égal). L’autorité ne peut se maintenir qu’autant que l’institution ou la personne dont elle émane sont respectées. Le mépris est ainsi le plus grand ennemi de l’autorité, et la moquerie est pour elle la menace la plus redoutable.

Par conséquent, il faut affirmer que l’autorité est un pouvoir, mais tout pouvoir n’est pas autorité ; l’autorité est un pouvoir moral, et parce qu’il est pouvoir de gouverner, c’est-à-dire, de conduire un être vers sa finalité, son sujet, son dépositaire doit être sage ; celui-ci doit connaître, en effet, la raison de la finalité, la congruence des moyens à cette dernière, il doit être capable d’établir les nécessaires relations de dépendance de ceux-là par rapport à celle-ci; il doit, en un mot, être capable de promouvoir le bien-être de ses sujets.

Toutefois, il faut savoir distinguer l’usage du pouvoir et de l’autorité. Comme le professeur Claude Javeau le définit : le pouvoir est une question de place de l’individu dans une structure, un appareil, tandis que l’autorité peut provenir du charisme personnel, voire reposer sur la menace ou la corruption. Détenir le pouvoir ne confère pas toujours de l’autorité et avoir de l’autorité ne signifie pas toujours détenir le pouvoir.  Ainsi, il est évident de dire avec H. Arendt ceci : « Puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant, l’autorité exclut l’usage des moyens extérieurs de coercition et  là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’autre part,  est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre égalitaire de la persuasion, se tient l’ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique. S’il faut vraiment définir l’autorité, et alors, ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune ni sur le pouvoir de celui qui commande, ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et les deux ont d’avance leur place fixée (Arendt, 1972:122). C’est dire que le leadership est plus une question d’autorité que de pouvoir. Si être leader confère de l’autorité, le leader ne recherche pas pour autant le pouvoir. Celui qui a le leadership aime le pouvoir mais n’oc­cupe pas son poste pour cette raison.

Par contre, avoir besoin de beaucoup de pouvoirs en tant que leader révèle souvent une grande faiblesse, un déficit de puissance. Un gouvernement réclame les pleins pouvoirs quand il n’arrive pas à se faire respecter ou à agir sur les événements et qu'il se sent faible. Un professeur ou un officier de l’armée qui punit beaucoup témoigne par là qu’il manque d’autorité et ne parvient pas à remplir normalement sa fonction. Le véritable pouvoir se doit ainsi de reconnaître sa vulnérabilité et sa fragilité. En effet, il ne s'évalue pas en quantité mais en qualité. Quand on pense l’action de Dieu en termes de pouvoir, elle devient un déterminisme écrasant. Si on la comprend en termes de puissance, elle se caractérise par un dynamisme qui, au lieu de nier, de supprimer ou de brider d’autres puissances, les attire, les mobilise, les oriente ou réoriente et les fait converger. Le pouvoir ainsi compris correspondrait assez bien aux termes grecs d’exousia ou dunamis souvent employés dans le Nouveau Testament pour qualifier l’action de Dieu ou celle du Christ.

  1. Pouvoir et autorité dans la perspective néotestamentaire

Tout comme il existe plusieurs mots pour désigner l'amour en grec,  de même nous retrouvons au moins cinq mots en grec qui nous parlent de pouvoir et de puissance : exousia, dunamis, energeia, kratos, ischus. Mais, dans le nouveau testament, le mot « exousia » est riche de significations. La signification primordiale est : autorité, pouvoir d'exercer l'autorité, qui vient du sens de capacité d'exercer l'autorité, capacité de déléguer l'autorité. Cela veut littéralement  dire que : « le pouvoir légitime, réel et libre d’agir, de posséder, de contrôler, d’user ou de disposer de quelque chose ou de quelqu’un » (Mounce 1993 ; voir aussi Liddel, Scott et Jones 1996). Par exemple, le président de la république après son élection a le pouvoir d’agir pendant son mandat. Toutefois son autorité est limitée dans le temps et dans l'espace selon la constitution du pays. S’il est élu pour cinq ans, il ne peut exercer son autorité en dehors des frontières. Tout cela est déterminé par la constitution ou par les lois. Il en est de même pour le maire d'une commune, ou d’un responsable soumis à un mandat, etc. Dit autrement : l’autorité n’est pas un pouvoir que l’on possède en soi, mais octroie l’autorisation, le droit de faire quelque chose accordé par une instance supérieure. Seule l'autorité de Dieu est éternelle et omniprésente. Personne ne lui a donné cette autorité, il en est la source, l'origine. Elle est l'expression de sa souveraineté universelle et éternelle, rien n'échappe à son autorité[1]. Jésus, Lui-même, nous dit que le pouvoir lui a été donné dans le ciel et sur la terre. C'est-à-dire que Jésus a le pouvoir absolu d'exercer son autorité[2]. Jésus délègue son autorité: « Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions… » (Lc 10,19). Jésus donne à ses disciples et aux ministres religieux la capacité d’exercer aussi ce pouvoir[3].

Dans les évangiles synoptiques, le terme exousia apparaît dans environ 13 contextes différents et recouvre une pluralité de sens qui renvoient, suivant les cas, aux questions d’autorité et de pouvoir. Dans Mc 13.34 et Mt 8.9, par exemple,  il est utilisé pour faire référence  à la fois à l’autorité ou au pouvoir divin. Dans d’autres textes, il se réfère aux pouvoirs séculiers des magistrats (Lc 12.11 ; Rm 13.1 ; Tt 3.1), des politiques (Rm 13.2 ; 1Pi 2.13), et des institutions de l’Etat (Lc 12.11 ; 1Tm 2.2 ; Tt 3.1). Dans une autre série de textes enfin, il fait allusion aux puissances célestes (1Cor 15.24 ; Col 1.16 ; 2.10-15 ; Eph 1.21 ; 3.10 ; 6.12 ; 1Pi. 3.22).

Au final, il paraît évident qu’exousia par elle-même exprime la notion de pouvoir, sans autre détermination plus précise. Ce qui est souligné, c’est que si exousia est un pouvoir  divin ou humain, qu’il soit de caractère politique, économique ou militaire, c’est au contexte qu’il faut recourir nécessairement pour le dire. Ce qui est caractéristique dans ce mot, c’est évidemment qu’il n’est pas du tout compromis dans un sens particulier, ni péjoratif, ni laudatif, ni in bonam, ni in malum partem. 

Toutefois, il est à retenir que l’exousia de Dieu agit non pas en obligeant, en forçant, en déterminant, mais en convaincant. Elle ne nous réduit pas au rang d’objets, elle nous traite en sujets. Dieu ne contraint pas, il convainc. Il ne nous manipule pas ; il met et entretient en nous une envie qui nous mobilise. Sa puissance est celle de l'avenir, du Royaume qui vient, et non de l’origine ou du passé.  Si tel est le cas, comment alors allier leadership et pouvoir si les deux concepts sont diamétralement opposés? Quel enseignement Jésus donne-t-il alors à ce propos ?  

 

  1. Le pouvoir lié au leadership de Jésus : Mc 10. 35-45

3.1.  Le style du leadership dénoncé   (vv.35-41)

Il est bon lorsqu’on étudie la question du pouvoir dans la Bible de s’intéresser à la manière dont Jésus gérait le pouvoir qui lui a été donné. Pour cela, on ne peut faire impasse sur le récit de Mc 10.35-45. Marc utilise dans ce texte un schéma qui lui est habituel. Après chaque annonce de la Passion, il place une scène d’incompréhension des disciples, qui entraîne un enseignement de Jésus sur la façon dont ils doivent se comporter pour être fidèle à leur Maître[4]. Ici, la troisième annonce de la Passion ne peut faire que ressortir plus encore l’inconscience des disciples. Dès que Jésus eut fini de parler de sa mort et de sa résurrection (vv.32-34), Jacques et Jean n’ont qu’une seule ambition : demander à devancer leurs condisciples et à retenir d’avance les meilleures places dans le royaume à venir (Hale et Thorson, 1999 : 243). Dans cette demande déplacée, ils visent non seulement une place d’honneur à côté de Jésus dans son Royaume, mais aussi un réel pouvoir de domination au v.37 (Cuvillier, 2002 : 215). C’est-à-dire, l’essentiel est bien la gloire promise, une gloire qui est, avant tout, une glorification de leur personne[5]. Ainsi se profile derrière leur requête la conception classique selon laquelle l’autorité se fonde sur la position et le rang, et se mesure par la prééminence.

De ce fait, la demande des fils de Zébédée (Mc 3.17) d’être « à la droite et à la gauche » de Jésus trahit bien leur ambition. Cette ambition est centrée sur eux-mêmes ou ayant pour but  de satisfaire leur « moi »  exprimée par cette phrase: « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons » (v.35). Le mot «ambition» utilisé ici, dérive d’un terme latin ambitio qui signifie : demander avec insistance, faire campagne en vue d’une promotion (Le Petit Larousse, 1997). Il évoque aussi un désir ardent de rechercher de façon exagérée (et parfois obsédante) la gloire et les honneurs.  

Devant la vaine prétention des deux frères, Jésus prend tout d’abord un ton d’une mise en garde : « Vous ne savez pas ce que vous demandez » (v.38). Une mise en garde ponctuée par « vous ne savez pas » (ouk oidate) qui souligne la dimension de leur incompréhension. Viennent ainsi deux raisons sous-jacentes qui justifient le rejet de leur demande : première raison, ils ne se rendent pas compte de ce qu’implique leur ambitieuse requête. Demander une place d’honneur à côté de Jésus, c’est aussi demander de partager ses souffrances, puisque l’une ne va pas sans l’autre.[6] Car, c’est dans les souffrances et les épreuves que la gloire de Dieu vient faire son chemin. Il ne peut en aller autrement, sinon ce n’est pas de la gloire de Dieu dont il est question, mais de ce que les hommes ne cessent de vouloir en faire. Dès lors, la requête ambitieuse traduit leur incapacité à comprendre la voie de Jésus qu’ils doivent pourtant emprunter. L’image de la «coupe» à boire qui est le plus souvent, dans la Bible, le symbole de souffrances à subir (cf. Ps 75.9 ; Is 51.17-22 ; etc.) et celle du « baptême » qui exprime une pensée parallèle sont constitutives du chemin de la gloire de Dieu. Deuxième raison, ils ignorent que Jésus ne peut accéder à leur demande: c’est un pouvoir qu’il ne possède pas. Néanmoins, seul Dieu le Père accordera la place ambitionnée à ceux qui en seront dignes et non à ceux qui cherchent à l’obtenir par favoritisme ou par népotisme. Jésus récuse ainsi le pouvoir qu’on lui prête de vouloir procurer à ses disciples préférés de bonnes places dans sa gloire. Il est conscient que ce pouvoir ne lui est pas échu. Il place toute cette question de rang à occuper dans la perspective de la souveraineté de Dieu. Dieu seul détermine les places que les uns et les autres ont à occuper. D’ailleurs, en s’indignant contre Jacques et Jean, les dix autres disciples sont censés ne pas retenir la même leçon. On peut voir, en arrière-plan de leur indignation, un sentiment d’aigreur: si les deux frères avaient obtenu satisfaction, les dix autres n’auraient cessé de regretter de n’avoir pas fait la demande avant eux.

En tout cas, ce n’est pas la première fois que les disciples de Jésus se livrent à de telles demandes motivées par des soucis d’accéder aux honneurs (Cf. Mc 9.33-34). Ils ont toujours été imbibés par l’esprit d’être favorisés par affinité ou par une forme de népotisme. Le népotisme est la tendance du leader à favoriser l'ascension de membres de sa famille ou de son entourage dans la hiérarchie, indépendamment de leurs compétences et au détriment du mérite et de l'intérêt général.  C’est le souci permanent des disciples de Jésus : être « à sa droite et à sa gauche ».

Cette attitude fait  l’écho du népotisme érigé en mode de gouvernance en Afrique. Il est à noter que la plupart de nos leaders africains sont pris dans ce piège d’encenser  leurs clans, leurs ethnies ou leurs régions à certains privilèges démérités. L’homme qu’il faut n’étant jamais à la place qu’il faut, on assiste impuissamment au clientélisme et au népotisme : les amis et les parents ont plus de chance de trouver des emplois de choix que ceux qui n’ont que la compétence et le professionnalisme à faire valoir. Cette dérive a également donné lieu, au sein de l’église, à des tensions face aux principes bibliques de l’autorité. En effet, le « chef » n’est pas là pour servir mais pour être servi, ce qui entraîne, par conséquent, un flou dans l’image biblique du leader et donne lieu à un leadership affublé d’un syndrome de philoprimatose (désir d’occuper la première place) et à une polarisation de la relation leadership-église. 

Du coup, la promotion et autres privilèges sont uniquement réservés aux proches du leader. Bien pire, la tendance du népotisme instrumentalise l’ethnie à des fins du monopole de pouvoir. De fait, les intérêts personnels non seulement recouvrent, mais aussi se dissimulent derrière des revendications liées à l’appartenance ethnique ou tribale. Les conflits et les intolérances interethniques qui en découlent prennent souvent la forme de luttes régionales au sein desquelles l’appartenance nationale est moins importante que l’identité ethnique.

Mais, comme déjà évoqué ci-haut, la poursuite du pouvoir et prestiges ou la propension au favoritisme est une ambition indécente pour ceux qui veulent instrumentaliser Dieu afin de conforter leur position du leader. De ce fait, Jésus saisit l’occasion pour recadrer la compréhension des disciples et de préciser dans quelle logique ils doivent se situer en tant que responsable. Être leader, pour Jésus, ne consiste pas à favoriser les siens, ni à promouvoir le clanisme, le népotisme ou le tribalisme, mais c’est d’être au service de tous sans exclusive. De même, les positions privilégiées et l’autorité ne sont acquises ni par des influences, ni par la réputation, ni par les apparences, ni par l’ancienneté, ni par le titre, ni par le ton de la voix, ni par toute autre chose différente du service envers les autres. Seul le vêtement du « serviteur » rend apte à occuper une position d’autorité dans la communauté de Christ, l’Église, Son Église. Toute autre attribution pour occuper cette position créera des conflits et sera hors de propos.

  1. Le leadership comme service  (vv.42-45)

De ce fait, pour souligner à nouveau la vraie signification de l’exousia (9.35-37), Jésus met en contraste le fait de diriger (de la bonne ou de la mauvaise façon) et de servir. Il développe ainsi une argumentation en trois temps.

Premier temps: Il fait prendre conscience à ses disciples (les futurs responsables de la communauté chrétienne) de la façon dont l’Empire romain et les sociétés civiles conçoivent pouvoir et autorité (exousia). La logique de leurs pouvoirs et des « grands » qui les exercent se fonde sur la domination. Deux mots grecs utilisés ici caractérisent l’exercice de cette autorité : d’abord, le verbe katakurieuô,traduit par dominer (Moulton, 1988 : 111ss) comporte l’idée du règne d’un fort sur un faible (cf. Mt 20.25; Act 19.16 ; 1Pi 5.3)[7]. Dans le même ordre d’idée, Ezéchiel décriait les faux bergers ainsi : « vous les avez dominées avec violence et dureté. Elles se sont dispersées, parce qu’elles n’avaient point de berger » (Ez 34.4, 3) ; ensuite, le verbe katexousiazô  qui résulte de la combinaison de deux mots, kata signifiant « au-dessus » ou « par-dessus » et exousiazô signifiant « exercer l’autorité » (dans Luc le même sens est préservé, quoique les mots diffèrent quelque peu). L’exercice de ce genre de pouvoir et d’autorité provient souvent d’une erreur de jugement de valeur : ceux qui pensent exercer le pouvoir semblent oublier d’où ils le tiennent. En d’autres termes, une autorité qui s’exerce dans l’autoritarisme et dans l’esprit de domination n’est pas d’en haut, elle est terrestre ; elle ne vient pas de l’Esprit, mais de la nature humaine la plus brute ; enfin, elle n’a rien avoir avec Dieu, mais au contraire avec les forces du péché. Et où mène-t-elle ? A l’anarchie et toutes ses conséquences. Ces mœurs de régimes païens sont aux antipodes de ce que Jésus entrevoit pour le gouvernement de son Église (v.42-43a). C’est ainsi que dans le deuxième temps, Jésus va accentuer le caractère tout à fait original de sa conception du pouvoir dans son Église.

Deuxième temps: La logique du pouvoir de Dieu est fondée sur un renversement radical de la logique du pouvoir des dirigeants de ce monde qui consiste à chercher à être premier (philoprimatose), à renforcer leur pouvoir, à asseoir leur autorité par la force dans leur propre intérêt. Dans le royaume de Dieu, vouloir être grand suppose de consentir à être serviteur ; vouloir être le premier implique d’être l’esclave des autres. On remarquera que les vv. 43-44 ne situent pas le moyen de la grandeur ou de l’autorité dans l’humiliation du cœur ou dans l’ascèse, mais dans l’abaissement devant les « autres » et le service. Les « autres » apparaissent ici, aux yeux des disciples, comme des inférieurs ou des rivaux. Celui qui veut être le premier devra maintenant les regarder comme ses maîtres.

Pourtant, l’abaissement sonne plutôt mal à nos oreilles car il a un sens très nettement péjoratif.  Cet abaissement, et du même coup l’humilité, n’évoquent-ils pas pour nous l’idée de ramper, de s’écraser, de démissionner, de refouler les énergies qui poussent l’homme à grandir ? Quelle place donner à l’humilité devant la demande de l’homme : l’épanouissement de sa personne, sa promotion sociale, humaine ? Osera-t-on braver de front, et ce n’est pas une mince affaire, tout ce que la publicité moderne rejoint en nous de plus profond : briller, séduire, avoir du succès et de l’avancement, être à la mode et devenir puissant ? Et pourtant, tout cela consiste à s’élever par rapport aux autres et à essayer de les dominer d’une manière ou d’une autre. La psychologie nous rend attentifs à tout ce qu’il peut y avoir d’inconsciemment morbide dans certains abaissements. Cela peut être la haine ou le mépris de soi, la fuite des affrontements.

Malgré tout, la vérité de la parole de Jésus sur l’abaissement apparaît dans le fait qu’il a vécu lui-même cette parole comme la vérité même de sa personne et de sa mission. Quitter la première place pour prendre la dernière, c’est le sens même de son incarnation. Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave (Ph 2, 6-8).  Il n’y a rien ici qui rappelle la trop fréquente exaltation de l’humilité comme vertu privée et sécrète, comme méthode purificatrice, comme moyen de sanctification personnelle, et qui laisse finalement l’homme dans le même isolement que l’orgueil, dont elle n’est alors qu’un autre nom (Valette, 1986 : 300). L’humilité, ici, est relation et service. Le mot « serviteur » au v.43b est relayé par celui d’ « esclave » au v.44b. A l’époque, les esclaves étaient au dernier rang de la société (Loew et Meslin, 1978 : 99)[8]. L’image se veut frappante : se faire eschatos (dernier) n’est rien d’autre que se faire diakonos (serviteur) ou doulos (esclave). Toutefois, le disciple n’est pas appelé à se considérer comme le dernier, et moins encore, à confesser bien haut qu’il l’est, mais à se mettre effectivement dans la situation du dernier, pour être le serviteur, et le serviteur de tous, puisqu’il ne laisse personne au-dessous de lui.

Dans la vie de Jésus, abaissement et élévation ne sont pas deux mouvements contradictoires, mais un seul mouvement : l’élévation finale révèle que l’abaissement n’est pas un but en soi, et l’abaissement donne à l’élévation finale sa qualité nécessaire, celle d’une victoire de l’amour au lieu d’une affirmation de soi. L’humilité est donc un chemin de liberté, la liberté de sortir de l’illusion pour être réaliste. Le réalisme sur nous-mêmes, c’est de constater que nous ne sommes ni des moins que rien, ni tellement sensationnels, mais pauvres, limités, minables parfois, fragiles toujours. Nous n’avons pas besoin de nous sous-estimer artificiellement pour nous abaisser, il suffit de nous regarder tels que nous sommes. Ainsi, si les disciples rêvent de domination, de supériorité, il leur faut renoncer à cette chimère, et accepter de «servir» dans la condition la plus humble qui soit.

Être humble, c’est renoncer non pas au besoin de grandeur mais à l’illusion de le combler soi-même. C’est se reconnaître en même temps fait pour Dieu, car lui seul peut nous combler, et fait pour les autres, car seule la communion fraternelle fait grandir. C’est ce que Jésus appelle "s’abaisser", la seule voie possible de la grandeur. S’abaisser, considérer les autres supérieurs à nous, ce n’est pas se comparer à eux mais c’est considérer qu’ils sont, de notre part, plus dignes d’attention que nous-mêmes. C’est en se décentrant de soi que l’amour devient en nous une vraie grandeur. En effet, une telle logique paraîtrait paradoxale et pourrait n’être qu’une façon ironique de critiquer les pouvoirs de ce monde si elle ne se fondait sur le troisième temps de l’argumentation.

Troisième temps : Jésus choisit ce moment pour justifier sa position en donnant pour modèle sa propre personne : il est venu « non pour être servi mais pour servir» en allant jusqu’au don de sa vie « en rançon pour la multitude » (v.45).  L’allusion au Fils de l’homme serviteur et mort « en rançon pour beaucoup » reprend les paroles de 8.34-38 et de 9.35-37. Contrairement aux maîtres de ce monde, qui ne rêvent que d’autorité et de puissance, les disciples doivent servir comme Jésus, qui est venu « pour servir, c’est-à-dire pour donner volontairement sa vie (dounai indique l’offrande volontaire), « en rançon pour la multitude » (Jérémias, 1980 : 365). On distingue ainsi dans son œuvre deux éléments importants : servir et donner. Le verbe « servir » (diakoneô), employé trente-sept fois dans le Nouveau Testament, est utilisé dans des sens différents ; il signifie servir aux tables (Mc 1.31 ; Lc 10.40 ; 17.8 ; Ac6.2), pourvoir aux besoins d’une personne (Mt 4.11 ; 25.44 ; Mc 15.41 ; Lc 8.3), accomplir des services dans une assemblée (2Tim 1.18 ; 2 Co 8.19). Il est aussi utilisé pour parler de différents services spirituels comme l’annonce de la Parole de Dieu (2 Co 3.3 ;11.8 ; 1Pi1.12). Il est à noter que le terme diakonéô désigne aussi toutes les formes du ministère, de l’apostolat au dernier échelon de l’échelle hiérarchique (cf. Act 1.25 ; 1Co 3.5). La « rançon pour beaucoup » a une signification inclusive et se fait l’écho de Es 53.12. Loin de se faire, comme il l’aurait pu, le chef autoritaire de ses disciples et du peuple de Dieu qu’il est venu sauver, Jésus s’est présenté comme l’humble serviteur de tous. Ce service ne s’arrêtera pas à quelques abaissements au bénéfice de ses seuls amis. Il ira jusqu’à donner sa vie pour le salut des hommes. Cela est exprimé avec les images du temps. Jésus donnera sa vie « en rançon », c’est-à-dire qu’il en versera le prix pour le péché de l’humanité. Ce don de son existence, il le fera « pour la multitude », c’est-à-dire « pour tous les hommes » sans exception. Dans le NT, le mot « rançon » (lutron) ne revient qu’ici et dans Matthieu 20.28. En tant que « prix de la libération », il fait allusion au paiement pour libérer de l’esclavage des esclaves ou des captifs. Il inclut également le concept de substitution[9] .

Au final de cette lecture, il est à retenir ce qui suit : pour ceux qui suivent Jésus, le leadership ne doit pas être exercé comme il l’est dans la sphère politique des nations. Le leadership ne doit pas être une domination, mais un service. Celui qui aspire à être le plus grand doit devenir le plus petit, le serviteur. Le service est ainsi la principale marque de l’autorité dans le Nouveau Testament. Ainsi se veut le leadership prôné par le Christ. Le Pape François définit également le leadership sacerdotal par le terme de « service ». Selon lui, « on peut avoir toutes les qualités humaines, mais si elles ne deviennent pas "service", elles ne portent pas. Et ce service, à son tour, signifie la proximité efficace du bon pasteur, qui pousse, guide et accompagne les gens[10] ».

C’est donc dans cette perspective que les disciples doivent envisager leur participation au ministère de Christ. Surtout qu’il n’en reste pas à une simple dénonciation d’abus ou à l’interdiction de pratiques tyranniques. Mais, il établit le principe fondamental qui régit l’exercice de l’autorité dans la communauté chrétienne : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (v.43). « En un mot, le leadership est un service de nature spirituelle, exercée "en Christ" ou "dans le Seigneur", pour parler comme l’Apôtre Paul,  et trouve sa légitimité dans la dépendance et la ressemblance au Christ, le Seigneur-Serviteur » (Blandenier, op.cit.,: 31).

Ainsi, « dans notre société, empoisonnée par l’esprit de compétition, obsédée par la promotion, Jésus est venu fonder une communauté de leaders qui aspirent à un statut de serviteurs, qui ont pour ambition de venir en aide aux autres et de les servir jusqu’au sacrifice de soi » (Bilezikian 2000 : 87). Pour ce faire, le leadership se doit d’être redéfini comme un système des valeurs fondé sur :

  • l’adhésion, et non sur le pouvoir ni la contrainte,
  • l’autorité de l’exemplarité (donner/incarner un bel exemple),
  • la noblesse d’une cause, d’idées et d’objectifs solides et inspirés,
  • l’affection : la passion pour une cause collective.

Notre intime conviction est que le leadership est une force plus noble, pour ne pas dire plus nécessaire. Il est temps que les vertus du leadership prennent dans nos vies une place majeure. Notre ardente aspiration est que le rôle du pouvoir doit voir sa place réduite, et que la place du leadership augmente. L’avènement du leadership, comme mode de gouvernance, est façonné et rendu possible par les principes enseignés par le Christ, d’où certaines valeurs éthiques sont mises en valeur.

 

4. Deux valeurs contrastées au service du pouvoir

4.1. Pouvoir humainet  pouvoir divin

Bien souvent, le concept de leadership est réduit à la simple notion de pouvoir ou de charisme. Pourtant, le leadership, pour être efficace, ne se décrète pas mais se légitime par la capacité d’un individu à construire une vision et une straté­gie. De plus, si l'on résume l'enseignement de Jésus, les concepts de pouvoir du monde et le pouvoir de Dieu sont donc deux visions diamétralement opposées. De la même manière qu’il est bien mentionné qu’il y a deux trônes dans l’Apocalypse, celui de Dieu (Ap 4) et celui de Satan (2.3), sur lesquels sont respectivement  le Christ (3.2 ; 2.5) et la Bête (13.1-8), l’on se doit de souligner que deux pouvoirs de nature différente s’affrontent dans ce monde comme décrit ci-dessous :

En premier lieu, le pouvoir de ce monde est une force qui va du haut (de la hiérarchie) vers le bas, du fort vers le faible. À l’inverse, le pouvoir prôné par le Christ est une force qui va du bas (de la hiérarchie) vers le haut : on est « fait » ou reconnu leader par son groupe. L'autorité est reconnue à ceux dont le caractère ressemble à celui de Jésus. Remarquez comment il décrit celui qui doit diriger : "Qu'il soit un serviteur" et "Qu'il soit comme l’esclave". C’est dire qu’aux yeux du Christ, l'être précède le faire, et le faire vient de l'être. Autrement dit, la valeur du leadership découle de l’être du leader. Ceux qui servent le font parce qu'ils sont des serviteurs. Le pape François aime dire : « Soyez comme votre troupeau ». Lui qui n’a pas hésité en 2001, lorsqu’il n’était encore que cardinal-prêtre, à laver les pieds à 12 malades du Sida à Buenos Aires, prône le rapprochement entre la hiérarchie ecclésiastique et les fidèles. 

En deuxième lieu, le pouvoir de ce monde tend à « diviser pour mieux régner », comme dit l’adage. Si diviser, c’est organiser et répartir les tâches, pour­quoi pas? Si diviser permet de limiter tout contre-pouvoir alors s’ouvre la porte de l’arbitraire, de l’abus de pouvoir, de la violence au visage légitime. À l’inverse, aux yeux de Jésus, le pouvoir, fondé sur l’adhé­sion, tend à « unifier pour mieux régner ». Il rassemble au lieu de diviser, et n’a pas peur de voir le groupe soudé, car cette union est symbole de l’adhésion de tous à un objectif,  à des valeurs afférentes, à un projet que les forces combinées d’une équipe permettent d’atteindre.

En troisième lieu, le pouvoir de ce monde donne des ordres, des ins­tructions. Il ne prend pas le temps de l’écoute, se prive partiellement de la créa­tivité des autres, sauf pour exécuter. À l’inverse, le pouvoir du Christ permet au leader de consulter, d’écouter, et de fonder son autorité sur ce qu’il entend et conçoit avec les autres. Un exemple biblique : si le pouvoir de Pharaon réduit les hébreux en esclavage, la puissance de Dieu les en arrache, en les appelant à sortir d'Égypte, en leur offrant une vie différente, plus responsable et plus inventive. Le pouvoir de Dieu appelle ainsi à des décisions et pousse à entreprendre. Il suscite et ne détruit pas l'autonomie, l'initiative, la novation. Il n’est pas un pouvoir qui s’exerce sur des objets et sur des personnes ; il agit dans les êtres et les choses.

4.2. Des valeurs éthiques du leadership 

4.2.1.  Sur le  plan social

L’autorité et le pouvoir sont des réalités incontournables dans un groupe humain. Selon Hannah Arendt, « l’autorité diffère du pouvoir autant qu’une relation coopérative diffère d’une relation compétitive. Le pouvoir se garde, se conquiert. Quand il augmente d’un côté, il diminue de l’autre. L’autorité, au contraire, se partage et s’expose, favorise la contribution de l’autre dans les prises de décision » (cité par Vincent 1997: 5). En d’autres termes, l’autorité ne s’exerce pas contre d’autres, mais pour eux, en leur faveur. L’autorité est dévoyée lorsqu’elle entrave l’efficacité (par exemple en n’utilisant pas correctement les ressources ou en faisant reposer tout l’effort sur quelques-uns) ou lorsqu’elle ne permet pas une redistribution équitable du profit (lorsqu’elle prive certains du fruit de l’action commune ou lorsqu’elle n’assure pas la protection des biens acquis). L’autorité prend alors le visage d’un pouvoir despotique qui spolie et tyrannise tout en prétendant le contraire. Le pouvoir inclus dans l’autorité n’est donc pas tant un « pouvoir sur », mais surtout un «pouvoir pour» (De Connick 1993 : 18); pour le service du groupe. Service d’efficacité, service de pacification, service d’unité. L’autorité est donc à comprendre dans le cadre d’une relation établie  en vue d’une qualité de vivre ensemble et de servir les uns les autres. Ces deux critères sont essentiels à la survie d’une nation. L’autorité doit être comprise dans cette perspective. Sur le plan social, les structures d’autorité sont établies pour favoriser le rendement de l’activité d’une société et pour contenir, voire éliminer la violence au sein de celle-ci par un bénéfice satisfaisant pour tous.

4.2.2. Sur le  plan ecclésial

Certes,l’Église reste encore très hiérarchique. Cependant, le concile Vatican II a vraiment essayé d’encourager une plus grande participation des membres de la base[11]. Pour Vatican II, l’Église est une « communion » de membres qui partagent une même vision et la mission de convaincre les gens du monde que Dieu les aime, et de désigner le Christ comme le modèle de la manière d’aimer et de servir Dieu. Dans cette Église, les laïcs ne sont plus les spectateurs passifs qu’ils furent pendant longtemps ; ils sont désormais encouragés à être des ouvriers actifs dans la vigne du Seigneur. Ainsi, cela demande aux leaders religieux de comprendre autrement leur rôle et leur type de gouvernance. D’un modèle monarchique, fortement centralisé, on est passé, du moins dans certaines congrégations, à une structure plus circulaire et à une ouverture favorisant de se mettre à l’écoute des membres de la base dans la communauté.

C’est pour dire que les structures d’autorité ont évolué et y ont pour but de contribuer à l’édification spirituelle des membres ainsi qu’à l’accroissement du groupe, et à une juste répartition des ressources et des bénéfices en vue de l’unité et de la communion fraternelle. Le texte d’Ephésiens 4:11 est à cet égard tout à fait exemplaire. Christ a établi les divers ministères pour le perfectionnement des saints, afin qu’ils puissent accomplir leur service. Ce service efficace aboutira à un bénéfice pour tout le corps, et chacun parviendra à la stature parfaite de Christ. Cette stature, accompagnée d’une profession de la vérité dans l’amour permet au corps de rester harmonieux, d’éliminer les risques d’explosions en écartant les hommes trompeurs et séducteurs qui n’œuvrent qu’à la destruction. Christ, autorité suprême du corps, est bien au final celui par qui le corps fonctionne de manière bien coordonnée, avec les ressources nécessaires à chaque partie, dans une solide unité, au bénéfice de tous. Le pape François, s’efforçant de donner une image de l’Eglise plus modeste, insiste par ailleurs sur le danger pour les leaders d’être trop sûrs d’eux: « Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui. Cela veut dire que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit » dit-il. 

Conclusion

En guise de conclusion, nous estimons que le leadership doit assumer deux dimensions. La première, c’est la force d’énonciation et de persuasion de ceux qui personnellement ou collégialement l’exercent. C’est-à-dire, l’exercice de pouvoir et de l’autorité se mesure par leur charisme, leur qualité relationnelle, le courage et la cohérence de leurs engagements, la crédibilité de leur parole. La deuxième dimension c’est tout ce qui contribue à faire de leadership, une autorité partagée impliquant une dimension coopérative. En d’autres termes, si la manière d’exercer l’autorité devait infantiliser les membres et leur refuser une part active à la marche et au développement de la communauté, elle ne correspondrait à aucun modèle biblique. Ainsi cette double dynamique d’édification et d’expansion permet la cohésion, l’unité. Elle établit un ordre qui honore celui qui est en position d’autorité comme celui qui est en position de soumission[12]. Par conséquent, il n’y a pas de pouvoir de domination des uns sur les autres mais il y a un service qui se vit d’ailleurs dans la soumission réciproque. Car, en Christ, Dieu est venu se faire le serviteur de tous afin que ses enfants puissent être serviteurs les uns des autres (vv.43-44). Les forts deviennent les soutiens des faibles. Le leadership n’est plus un pouvoir exercé sur d’autres, mais d’abord un pouvoir exercé en leur faveur, un service. Paul insistera particulièrement sur cette dimension soumission mutuelle dans ses lettres aux Églises (Cf. Eph 4.1-16 ; Col 3.9-17). C’est dans cet exercice de soumission mutuelle que la valeur d’intégrité du leader prend toute sa dimension. Pour éviter une perception négative de manipula­tion, le leader doit mettre en effet l’entièreté de son humilité au service d’une cause collective.

     Références bibliographiques

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     trad. Marie Claude Brosselet et Helen Pns, pp. 121-123. Paris : Gallimard.

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de Connick, F 1993.   Que signifie exercer l’autorité ? Une lecture sociologique de

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Luc, E 2004. Le leadership partagé: modèle d'apprentissage et d'actualisation. Paris : PUM.

Macci, J.D 2012.  Le refus, la ruse ou la force : le rapport au pouvoir dans le livre

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[1]Jésus, le Fils de Dieu, a autorité comme le Père. Il a tout pouvoir dans le ciel et sur la terre (Mt 28.18 ; Jn 17.2 ; Ac 5.31). Il a fait valoir son autorité à travers des miracles et avait le pouvoir de pardonner (Mt 9.6-8 ; 12.28 ; Mc 1.27 ; 2.5-12 ; Lc 4.36 ; 8.24s). Il est aussi serviteur de Dieu en exerçant le ministère de prophète, de prêtre et de roi auprès des hommes. En outre, en tant qu’enseignant, Jésus parlait du royaume de Dieu avec une autorité singulière  (Mt 7.28, 29 ;  Mc 1.21,22 ; 6.2,3).

[2]Dans l’évangile de Marc, en particulier, exousia se retrouvera appliqué à Jésus, en 1.27, 2.10, 11.28,29,33 et appliqué aux disciples, 3.15, 6.7, 13.34.

[3]Dans l’Eglise, les anciens ont une position d’autorité (Hb 13.17).Cette autorité  est réelle mais pas absolue et normative. C’est une autorité déléguée. Les détenteurs d’autorité dans l’Eglise sont responsables du bien des personnes qui leur sont confiées. 

[4]A la première  annonce de la Passion du Christ, Pierre a rebiffé, mais il s’est entendu traiter de Satan (Mc 8.31-33). Ensuite,  les disciples et la foule ont été avertis qu’on ne peut suivre Jésus sans se renoncer  et prendre sa croix (8.34). La deuxième annonce les trouve sans intelligence en Mc 9.30-32 et là encore,  leur souci de prendre la première place s’est encore manifestée. Enfin,  après la troisième annonce de la Passion, c’est le présent texte de 10.35-45 qui révèle leur ambition.

[5]Notons qu’être assis à la droite du roi dans l’antiquité était la plus haute position dans une cour royale et s’asseoir à sa gauche était la deuxième plus haute position (cf. Flavius, 6.11.9).

[6]La demande de Jacques et Jean d’être « à la droite et à la gauche » de Jésus pourrait bien trouver un écho surprenant dans la suite de l’Évangile. Il y a en effet, chez Marc, deux personnes qui vont se trouver « à la droite et à la gauche » de Jésus en Mc 15.27, mais cette fois-ci sur la croix.  Alors qu’on crucifie Jésus, on place « à sa droite et à sa gauche » deux bandits qui, un peu plus tard, l’un d’eux va l’insulter ( Mc 15.32).

[7]Il faut aussi noter que le terme katakureuô, composé de kata et kureuô signifiant « être le maître », souligne la nature tyrannique de l’exercice de l’autorité.

[8]Dans la société romaine, l’esclave, on le sait, ne compte pas. Simple objet, il ne possède ni droits politiques, ni familiaux, ni patrimoniaux : il ne peut contracter de mariage légal, ni fonder une famille, et sa condition est héréditaire.

[9]Dans l’AT, la rançon est le substitut de celui qui, sans elle, serait condamné à mourir ;  c’est le cas des garçons premiers-nés, où  l’on s’était mis à payer la rançon en argent (Lv 27.2 ; Nb3.49ss ; 18.16). Pour l’Exode, le rachat des premiers-nés est le signe du droit de possession que Dieu s’est acquis sur son peuple en le délivrant de l’Egypte (Ex 13.12ss).

[10]Rencontre du Saint-Père avec les recteurs et les étudiants des collèges pontificaux de Rome sur le thème « le service est le véritable leadership », le 12 Mai 2014.

[11]Cf. Lumen Gentium, 40 :

Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie; dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence... Ainsi la sainteté du Peuple de Dieu s’épanouira en fruits abondants, comme en témoigne avec éclat à travers la vie de tant de saints l’histoire de l’Église.

 

 

[12]Le principe est concrétisé par Jésus lui-même en Jn 13.1-17. Jésus savait qu’il avait  reçu toute autorité de Dieu, qu’il était venu de Dieu et qu’il retournerait auprès de lui ; néanmoins, il prit volontairement la place de l’esclave, en lavant les pieds de ses disciples. Son geste contraste de façon marquée avec leur attitude égocentrique (Cf. Mt 20.20-24; Mc9.33-36; Mc10.35-45).

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