LA RHÉTORIQUE AUTOUR DES OPÉRATIONS INTERNATIONALES DE MAINTIEN DE LA PAIX : CHANGEMENT DE DISCOURS ET CHANGEMENT PAR LES DISCOURS?

Abstract: 

This article argues that the United Nations has developed a rhetoric that aimed to consolidate peace and security in the world since its establishment and Charter. Indeed, three chapters of the Charter focus on political and diplomatic ballet in the consolidation of peace and security. Thus, the transition from theory to practice has always required both structures and stakeholders to deeply engage with this cause.  Obviously, the Security Council is the key agent within the UN system while member States of the organization assume their obligations of membership through participation in peacekeeping operations. However, individual political and/or collective issues of states and individuals open to another destiny for these operations. The depth of changes can be analyzed through the evolvement of rhetoric in the arenas of this organization. Therefore, this contribution attempts an exploration of the changes in discourse and their impact on the design as well as on the implementation of peacekeeping operations that  the UN Security Council authorizes.

 

  1. Introduction

Depuis sa création en 1945, l’Organisation des Nations Unies produit des déclarations, des résolutions, des rapports, des correspondances et des analyses sur la situation de la paix et de la sécurité dans le monde. Il s’agit d’une littérature au vrai sens du terme, mais qui reste peu ou pas exploitée en termes d’analyse scientifique. En effet, la Charte des Nations Unies consacre trois chapitres importants sur les processus à engager pour affermir la paix et la sécurité internationales. La mise en œuvre des prescrits desdits chapitres a exigé de l’ONU la mise en place non seulement des instruments et des institutions qui veuillent au quotidien sur la paix et la sécurité, mais beaucoup plus des mécanismes de surveillance, de contrôle, d’alerte et d’intervention. Cette contribution se focalise sur la rhétorique produite par cette organisation autour des opérations internationales de maintien de la paix, lesquelles sont en effet au cœur du fonctionnement des Nations Unies étant donné que la Charte constitutive de cette organisation fonde sa raison d’être sur le maintien de la paix et de la sécurité internationale (Charte des Nations Unies, art. 1.). Nous fondons notre analyse sur une revue des littératures scientifique et prise autour des Opérations de Maintien de la Paix (OMP). Ainsi, dans un premier temps nous entendons remonter le temps pour montrer l’évolution du discours autour des OMP depuis la création de l’ONU (I). Dans un second temps, nous explorons la rhétorique autour de l’apparition de nouvelles doctrines onusiennes pour faire face aux nouveaux types de conflits (II).

 

  1.  Discours autour des OMP

Le discours sur les opérations de Maintien de la Paix (OMP) prend racine dans la Charte des Nations Unies. Cette dernière dans son article premier se donne une série de missions à remplir. Il s’agit entre autres de:

 

1. /…/maintenir la paix et la sécurité internationales ». Cette mission au cœur de son existence en tant qu’organisation supra-étatique, l’oblige à prendre des mesures   collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix.

2. de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix.

3. réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du          droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de   caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix /…/ (Charte des Nations Unies, art.1.)

Au-delà de ces considérations générales, d’un point de vue juridique, il s’agit des chapitres V, VI, et VII de la charte qui tracent les contours de la matérialisation d’une aussi ambitieuse mission. Les OMP restent considérées comme une réponse à l’incapacité de mettre en œuvre les dispositions et système d’intervention originel du chapitre VII. Ce chapitre prévoit la mise sur pied d’un dispositif permettant d’agir chaque fois que l’ordre international serait menacé et les principes fondamentaux de la Charte violés. Néanmoins, d’aucuns considèrent que le chapitre VII s’est invité dans les OMP alors qu’il ne pose pas convenablement les bases juridiques de telles interventions. D’où en quelque sorte l’invention par les concepteurs, d’une doctrine des OMP qu’ils ont appelé faute de mieux le « Chapitre VI et demi » pour donner une base politico-juridique à ces types d’opérations (Novosseloff 2010). Cette nomenclature voudrait signifier que ces opérations se situent quelque part entre le chapitre VI et le chapitre VII. Autrement dit, que les OMP constituent de fait un autre moyen d’action (Novosseloff 2010 : 1-2) que les enquêtes, les médiations, les conciliations, les bons offices, les arbitrages ou règlements judiciaires prévus dans l’article 33 du chapitre VI (Charte des Nations Unies, art. 33).

Pourtant, d’un point de vue politique, le but des OMP n’en reste pas moins une autre forme de règlement pacifique des différends. Ces opérations, au regard des discours qui les instituent et les accompagnent à travers les résolutions et les déclarations sont en effet d’abord et avant tout l’instrument de l’action politique et diplomatique de gestion des crises internationales (Novosselof 2010 :2).

La logique est avant tout politique et non militaire. Les articles 37 et 38 de la Charte prévoient que si les voies de règlement pacifique des conflits ne suffisent pas et que la «prolongation du différend semble menacer le maintien de la paix et la sécurité internationales », le Conseil de sécurité peut alors recommander sans plus de précisions « tels termes de règlement qu’il juge appropriés» (Charte des Nations Unies, art. 37 et 38).

Cette imprécision profite de toute évidence aux acteurs investis de pouvoir de prendre de telles décisions en l’occurrence le Conseil de sécurité, et à travers lui les « Cinq grands » qui disposent du droit de veto. C’est d’ailleurs ce que montre l’article 40 de la Charte qui pose que le Conseil de sécurité a toute latitude pour décider de la nature des mesures prises dans le cadre des opérations de maintien de la paix, qu’il se situe dans un esprit de conciliation ou dans une attitude plus contraignante et dissuasive. Comme cela est consigné dans la doctrine des OMP (Nations Unies, Rapport A/55/305-S/2000/809), ce qui compte, ce sont les termes utilisés par le Conseil de sécurité, et non la référence à tel ou tel chapitre. Or, comme le sociologue français Pierre Bourdieu l’a bien montré dans ces travaux sur la production du discours, la légitimité ou la force d’un discours dépend de la personne ou de l’organe qui le prononce. C’est ce qu’il appelle «monopole de la parole autorisée» (Bourdieu1982). Cela signifie en interligne que dans une large mesure, le discours sur les opérations de maintien de la paix a été inscrit dans les rapports de force de ceux qui ont la parole autorisée au Conseil de sécurité.

Pour revenir sur l’histoire des Nations Unies, quand eut lieu sa création, la question qui se posait avec acuité était relative aux guerres interétatiques ou ce que la charte des Nations Unies qualifie de « menace contre la paix », de « rupture de la paix » ou d'un « acte d'agression » (Charte des Nations Unies, art.39). Si toutes les premières interventions pour la paix s’inscrivent dans ces trois aspects du discours, ce qui demeure à plus d’un titre intéressant ce sont les positions prises par les acteurs impliqués, c’est-à-dire les membres du Conseil de sécurité, au sujet de chaque cas de crise internationale dont la gestion exigeait le recours aux chapitres VI et VII de la charte. Nous allons nous focaliser sur des situations qui embarrassent le sens du discours de la Charte à travers trois cas archétypiques dans l’histoire des Nations Unies : la gestion des actes d’agression à travers le cas de la crise de Suez (1), l’intervention pour cause de menace à la souveraineté comme dans le cas du Congo (2) et, enfin, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à partir du cas du Sahara occidental (3).

2.1.La crise de Suez et les considérations du Conseil de sécurité

La crise de Suez de 1956 (Adebajo2011 :25-65) a été la première à interpeller le Conseil de sécurité jusqu’à déployer une opération de maintien de la paix, la première de l’histoire de l’ONU créée une décennie plus tôt. Il s’agissait d’arrêter et de mettre fin à une crise qui opposait Israël et l’Egypte au sujet de la nationalisation du Canal de Suez par le Général Nasser, mais qui entrainait énormément de dommages collatéraux aux différentes puissances en tant que le conflit perturbait les transactions commerciales dans le Canal de Suez. La France et l’Angleterre ont fini par mener une opération militaire en soutien à l’Israël.

 

Cette Crise de Suez qui a vu l’invasion du Sinaï par Israël le 26 octobre 1956 a mis à nu les contradictions dans l’interprétation de la notion d’agression contenue dans la Charte et l’usage des vetos des impondérables du Conseil pour protéger beaucoup plus leurs intérêts stratégiques que la cause de la paix,per se. Les opérations de maintien de la paix, invention de l’ancien secrétaire des Nations Unies Dag Hammarskjöld (et de Lester Pearson) en tant que telles n’existent pas encore, mais au niveau du Conseil de sécurité les interprétations divergent quant à la qualification des faits. Rien qu’en prenant les grandes puissances du Conseil de sécurité, il y a des voix dissonantes. Les Etats Unis évoquent la rupture de l’armistice (suite à la Guerre des 7 jours), la France et la Grande Bretagne parlent d’acte de légitime défense de la part d’Israël, la Chine fustige l’absence de disproportionnalité entre les forces mobilisées par Israël et les dommages causés par les forces égyptiennes tandis que l’URSS évoque purement et simplement des actes d’agression. Même les opinions des autres membres non permanents du Conseil de sécurité de l’époque ne tarissent pas de divergences. L’Iran évoque la violation des principes de la charte, tandis que la Yougoslavie et l’Australie évoquent respectivement l’agression de l’Egypte et la violation de l’armistice (Corten 2011).

Ce genre de discours autour de l’acte d’agression devrait aussi interférer sur le genre d’opérations de paix que le Conseil de sécurité devrait mettre en place. La Force rapide des Nations Unies (UNEF) n’a pas cherché à ramener la paix en s’attaquant aux puissances accusées d’agression d’un Etat souverain conformément à l’esprit de la Charte des Nations, mais à faire observer un cessez-le-feu, l’évacuation des troupes étrangères du sol Egyptien, le contrôle des frontières et la détection des incursions militaires, et surtout l’observation de l’armistice entre l’Egypte et l’Israël. Comme le souligne Adekeye Adebajo, la résolution du Conseil de sécurité créant l’UNEF dont les premiers éléments débarquèrent en Egypte en novembre 1956 crée un précédent dans la politique des opérations de maintien de la paix. En effet, les pays contributeurs de troupe ont soigneusement entretenu un équilibre entre les intérêts des Egyptiens et des Israéliens dans une subtilité politique qui ne devrait que se poursuivre tout au long de l’opération des Nations Unies (Adebajo 2011:37).

Une telle acception s’explique par le fait que les positions aussi bien dans le discours au Conseil de sécurité que sur les terrains des opérations devraient prendre en considération les intérêts politiques et géostratégiques des puissances au conseil de sécurité. Une pratique qui devrait se répercuter dans les pratiques des Etats face aux conflits qui interpellent l’intervention des Nations Unies. C’est notamment les cas des interventions dites «conservatoires »,  c’est-à-dire des interventions pour protéger d’abord les intérêts communs. Tel est le cas des mesures qui remontent aux expéditions franco-britanniques dans la zone du canal de Suez pour appuyer l’action militaire israéliennes en violation des principes de la Charte des Nations Unies. Le Conseil de sécurité qui a condamné dans son discours l’action franco-britannique, mais qui n’a pas pu empêcher l’envoie des troupes, a ouvert la boîte de Pandore. D’autres Etats n’hésiteront pas à violer les principes de la charte comme dans le cas du Congo et du Sahara.

2.2.Le cas de la République Démocratique du Congo: la question de la souveraineté et de l’unité nationale

La Crise du Congo (RD) est liée au départ prétendument «prématuré» de la Belgique de sa province conquise depuis la conférence de Berlin de 1884-1885. Les Belges qui supportent mal que le Congo avec ses richesses puissent lui échapper avec toutes les richesses et éventuellement les espoirs nourris autour d’eux concoctent avec des « séparatistes » Katangais la sécession de cette vaste région minière. Mais l’envoi des troupes paras belges pour soutenir Moïse Tshombe fut considéré comme une violation de la souveraineté de l’Etat congolais au regard du droit international. Dans sa Résolution 143 du 14 juillet 1960, le Conseil de sécurité fait appel au Gouvernement belge pour qu’il retire ses troupes du territoire de la République du Congo ( le nom de la République Démocratique du Congo au lendemain de l’indépendance) et décide d’autoriser le Secrétaire général à prendre les mesures nécessaires visant à fournir au gouvernement congolais l’assistance militaire dont il a besoin et ce jusqu’au moment où les forces nationales de sécurité seront à même de remplir entièrement leurs tâches (Nations Unies, Résolution 143).

Dans la Résolution 161 du 21 février 1961, le Conseil de sécurité

/…/ demande instamment que les Nations Unies prennent immédiatement toutes les mesures appropriées pour empêcher le déclenchement d’une guerre civile au Congo, notamment des dispositions concernant un cessez-le-feu, la cessation de toutes les opérations militaires, la prévention des combats et le recours à la force, si besoin est, en dernier ressort (Nations Unies, Résolution 161)

Cette résolution n’a pas empêché que la situation puisse s’empirer si bien que dans la Résolution 169, le Conseil de Sécurité veut passer à la vitesse supérieure en demandant au secrétaire Général des Nations Unies

/…/à entreprendre une action vigoureuse y compris le cas échéant l’emploi de la force dans la mesure requise, pour faire immédiatement appréhender, placer en détention dans l’attente des poursuites légales ou expulser tous les personnels militaire et paramilitaire et conseillers politiques étrangers ne relevant pas du commandement des Nations Unies ainsi que des mercenaires» (Nations Unies, Résolution 169).

Cette rhétorique qui a certes été vaine au regard des attentes de la partie congolaise, aura tout de même montré que les résolutions se prennent ailleurs. L’intervention des Nations Unies à travers l’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC) déployée en juillet 1960, n’a pas empêché que les Etats Unis par l’entremise de ses services secrets (CIA) orchestre l’assassinat du Premier ministre Patrice Lumumba et l’ascension de Mobutu pour freiner la sécession de Katanga. Cela fut le cas alors que l’Union soviétique avait tout fait pour armer les troupes de Lumumba. Bien évidemment, les retombées d’une telle situation ont eu un impact sur l’ONU. Cette dernière a été fortement critiquée par les pays africains et plus brutalement par l’Union soviétique de n’avoir pas pu protéger le premier Ministre alors qu’un contingent important avait été déployé.

Le discours sur la souveraineté et l’unité du Congo a été interprété comme un leurre. Mais au-delà, cette situation a produit une cassure au niveau des responsables en chef de l’opération au Congo. Les puissances occidentales accusant le représentant spécial (Rajeshwar Dayal) d’être Lumumbiste et le représentant au Katanga -l’Irlandais Cruise O’Brien-, d’être de gauche, c’est-à-dire implicitement procommuniste et obligeant le Secrétaire général Dag Hammarskjöld à renvoyer ses deux représentants. La mort de ce dernier dans un crash d’avion et les enquêtes qui n’ont pas abouti a été inscrite dans les proximités des deux blocs avec les protagonistes du conflit congolais.

L’impact de cette cassure générée par cette crise congolaise a produit un discours de laxisme au sein du Conseil de sécurité consistant à réfuter toute intervention dans les majeures crises qu’allait connaître le continent africain, conduisant tantôt à des interventions dans des contextes néocoloniales, la France, par exemple, intervenant dans sa « chassée garde francophone », les Britanniques dans leur sphère d’influence (Ambrosetti & Cathelin 2007 :69-77). Certains Etats africains furent portés à ne pas prendre en considération les résolutions du Conseil de sécurité comme dans le contexte de l’auto-détermination du Sahara occidental.

 

 

2.3.Sahara occidental: le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes face l’obsolescence du discours du Conseil de sécurité

Sans revenir sur l’histoire du Sahara occidental, parce qu’il faut l’inscrire dans le processus global de colonisation, il faut noter que tout remonte à la cession des droits espagnols au Maroc en 1975 pour calmer les tensions et l’opposition interne espagnole. D’aucuns y ont par ailleurs vu l’irresponsabilité espagnole dans le processus de décolonisation. Il faut dire à juste titre que le Sahara occidental a purement été annexé par le Maroc et la Mauritanie malgré le droit des peuples à l’autodétermination garanti par la Charte des Nations Unies, un droit que même récemment le Timor Est a fait prévaloir face à l’Indonésie (Charte des Nations Unies, art.1 §2).

La Résolution 3292 du Conseil de sécurité, qui par ailleurs est dotée d’une force contraignante, sur base d’un arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui reconnait que des liens juridiques mais de souveraineté avec le Maroc et la Mauritanie aient existé mais qu’ils ne sont pas de nature à entraver l’application du principe d’autodétermination des populations du Sahara espagnol ne sera jamais mis en application (Nations Unies, Résolution S/RES/3292). Ce conflit qualifié « de conflit le plus mondialement négligé » (Adebajo 2011 :38), ne suscite pas toujours d’intérêt de la part du Conseil de sécurité pour sa terminaison. Pourtant la Résolution 621 du 20 septembre 1988 a demandé d’établir un rapport sur la tenue d’un référendum d’autodétermination du peuple du Sahara occidental, quand, au même moment la Résolution 658 du 27 juin 1990 permettait de mettre sur pied une Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. Ces deux résolutions ont été prises par le Conseil de sécurité sans qu'elles puissent produire les effets escomptés.

En effet, il n’a pas été possible au peuple du Sahara occidental de se prononcer sur son autodétermination, c’est-à-dire de choisir entre l’indépendance et l’intégration comme cela était posé dans les différentes résolutions du Conseil de sécurité. La mise en place de la Mission des Nations Unies pour le Referendum du Sahara Occidental (MINURSO) a buté sur l’absence de détermination de la part du Conseil de sécurité de celui qui devrait être considéré comme Saharien. Or le référendum devrait être précédé d’un recensement des votants. Depuis cette période, le Sahara occidental demeure sous occupation marocaine et mauritanienne.

L’absence de la mise en œuvre de toutes ces résolutions se justifie par les rapports de force au Conseil de sécurité qui ont transposé le problème du Sahara occidental au niveau continental surtout que les grands pays challengers étaient le Maroc et la Mauritanie d’un côté et l’Algérie de l’autre. Bien évidemment depuis la crise congolaise, le retrait des troupes africaines du contingent de l’ONUC, a donné l’illusion que l’Afrique à travers l’OUA allait prendre en charge la gestion des crises sur le continent africain. Mais la rupture entre le Maroc et l’OUA depuis la reconnaissance de la République Arabe démocratique du Sahara, n’a pas permis à l’OUA de supplanter les Nations Unies. Autant dire qu’il s’est créée une situation d’indifférence vis-à-vis des conflits sur le continent jusqu’à l’émergence de ce que Mary Kaldor a appelé à juste titre les « Nouvelles guerres » consécutives à la fin de la guerre froide (Kaldor1999). Ces nouvelles guerres ont donné un nouveau souffle au discours du Conseil de sécurité annonçant la seconde génération des opérations de maintien de la paix.

3.      Nouvelles conflictualités et l’art de maintenir la paix: changement de discours et changement par le discours

La fin de la Guerre froide, est certes la fin d’une « Histoire », -celle du bipolarisme- comme l’écrivait à juste titre Francis Fukuyama (Fukuyama 1992). Elle n’a cependant pas mis fin aux guerres et conflits devant faire appel à l’intervention du Conseil de sécurité de l’ONU. Par contre les conflits se sont métamorphosés et complexifiés passant des conflits latents entre parties de populations à des guerres civiles généralisées, internes et dans certaines circonstances internationalisées. Ces conflits qui sont considérés être d’une intensité de violence inouïe, ont suscité un nouveau discours dans l’interprétation du chapitre VII aussi bien par le Conseil de sécurité que par certains Etats membres. En fait, en soi comme nous l’avons souligné dans la partie antérieure, le chapitre VI reste mou et ambiguë pour signifier l’imposition de la paix par la force puisque le maintien de la paix des Nations Unies se déploie dans une logique de consentement aussi bien du Conseil de sécurité,  des pays contributeurs de troupes et des pays en conflits. Mais c’est surtout ce dernier aspect qui pousse à réinventer un discours sur les opérations de maintien de la paix (Nations Unies 2008). Dans cette section nous distinguons cinq éléments qui mettent en exergue les changements du discours et par les discours produits au sein du Conseil de sécurité. En effet, face aux violations massives des droits humains et à la multiplication des crimes internationaux consécutifs aux conflits armés non internationaux (moins codifiés par le droit international), le chapitre VII a généré le discours sur l’importance de la responsabilité de protéger accordant l’intervention d’un Etat ou d’une organisation internationale dans les affaires intérieures de l’Etat par la voie armée (1). Mais le plus souvent, les conflits se terminent par des accords de paix, et l’interpellation du recours à la force fonde son argumentaire sur le discours de la consolidation de la paix inscrite dans les accords politiques de paix (2) jusqu’à inoculer l’idée des interventions robustes (3) chaque fois que la paix est menacée tout en exigeant la protection responsable (4). Enfin en se basant sur l’expérience déjà acquise,  le chapitre VI structure progressivement le discours sur la nécessité de privilégier la connaissance du contexte des conflits en donnant plus de place aux organisations régionales (5).

3.1.La responsabilité de protéger : nouveau discours pour le recours à la force autorisée par le Conseil de sécurité.

Dans toutes ses Résolutions,  le Conseil de sécurité fait toujours référence au chapitre VII qui lui donne la prérogative de se saisir d’une situation dont tout présage qu’elle menacerait ou risquerait de menacer la paix et la sécurité internationales. Cependant, certains Etats ont durant les deux dernières décennies résistées aux résolutions du Conseil de sécurité au nom de la non-ingérence dans les affaires internes consacrée par l’article 2 §7 de la Charte. Invoquer le Chapitre VII permet au Conseil de sécurité de contourner cet article et de «traiter» tout particulièrement les conflits d’ordre interne, sans préjuger des moyens utilisés, sans se soucier des accusations d’ingérence. Cet usage récurrent, comme le note Alexandra Novosseloff, aura le mérite de susciter une réflexion internationale d’abord sur le droit d’ingérence humanitaire (Herlemont-Zoritchak 2009 ; Delpal 1993), et ensuite sur la responsabilité de protéger (Delcourt 2014 :53-66; Société Française de Droit international 2008).

Le premier permet une intrusion dans les affaires internes par une avalanche d’organisations internationales humanitaires gouvernementales et non gouvernementales, tandis que la seconde a permis l’usage de la force armée par des Etats ou des organisations régionales même sans l’aval du Conseil de sécurité. Dans les deux cas, en principe, un Etat souverain a le devoir de protéger sa population. Le discours développé souligne la dimension morale de la nouvelle diplomatie internationale. Tout tourne autour de la protection des populations qui sont aux prises avec leurs Etats dans ce sens qu’ils ne sont pas en mesure de protéger ou tout simplement qu’ils ne veulent pas protéger alors qu’il y a un risque que ses citoyens soient victimes des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou de génocide. La communauté internationale est appelée à intervenir en violation du principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats. Les bombardements de l’Irak par les Etats Unis et la Grande Bretagne en 2002, de la Yougoslavie par l’OTAN en 1999 ou plus récemment de la Libye d’abord par la France-Grande Bretagne et ensuite par une coalition internationale autour de l’OTAN, l’ont été au nom de cette notion, pourtant pas moins contestée (Chandler 2004; Delcourt2014 :58-60).

Ce qui est important à souligner, c’est le développement de ce discours à travers les Résolutions du Conseil de sécurité qui font une emphase sur la responsabilité internationale de protéger les civils. Les résolutions qui autorisent les interventions de maintien de la paix au nom du chapitre VII de la Charte focalisent l’attention sur trois modalités, considérées comme généralement admises pour mettre en œuvre la responsabilité de protéger (Delcourt2014 :54). Il s’agit d’une part de la mobilisation des institutions étatiques de l’Etat responsable (police, gouvernement, tribunaux) qui doivent faire en sorte d’éviter la perpétuation d’actes repris dans la définition (Nations Unies, Résolution S/RES/1970).

Rappelant la responsabilité qui incombe aux autorités libyennes de protéger la population libyenne et réaffirmant qu’il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des civils.

Ensuite, la communauté internationale (ONU, organisations internationales, Etats tiers) aide et encourage l’Etat à assumer ses responsabilités. Enfin par rapport à l’échec des initiatives prises antérieurement, elle envisage une intervention plus robuste voir l’usage des moyens plus coercitifs par des Etats tiers (Nations Unies, Résolution S/RES/1975)[1].

En somme la responsabilité de protéger a été critiquée comme un nouveau mode d’action de la communauté internationale pour intervenir dans les affaires internes des Etats. Elle aura permis surtout de dévoiler que les actions menées s’inscrivaient en contradiction des prescrits des résolutions (Delcourt 2014 :54 et ss). Dans certains cas, il a été observé que les Etats ayant reçu l’autorisation du Conseil de sécurité n’ont pas pu protéger les populations civiles, ou ont parfois commis des crimes qui s’apparentent aux crimes de guerre. D’où le développement d’un autre type de discours pour amener les Etats engagés dans les opérations de maintien de la paix à œuvrer non pas seulement à l’arrêt des hostilités mais beaucoup plus à implémenter les accords politiques de paix signés par des acteurs qui se regardent encore en chien de faïence.

 

3.2.Le discours de la consolidation de la paix

Sans que l’on puisse avoir des statistiques bien faites, l’on peut admettre que dans la plupart des cas les accords politiques dans les conflits armés internes sont le dénominateur commun  de la fin des conflits. Le cas de l’Accord de paix entre les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie et l’Etat colombien après un demi-siècle de conflit, reste le plus emblématique (Le Monde 2016). Cependant il s’agit d’une paix fragile qui demeure menacée par les protagonistes qui sont en mesure de faire volte-face une fois que des pans entiers de l’Accord ne sont pas mis en œuvre dans l’intérêt de toutes les parties du conflit. C’est dans ce contexte que les Nations Unies en vertu du chapitre VII autorisent l’envoi d’une mission de maintien de la paix pour aider dans la mise en application de l’Accord. Cette mission qui est dite dans le discours onusien de « Consolidation de la Paix » comprend plusieurs paliers en relations avec l’accord de paix lui-même. Il s’agit globalement pour les missionnaires de la paix (militaires, policiers, experts civils) de procéder non seulement au processus classique d’interposition entre les belligérants qui ont par ailleurs accepté de cesser le feu, mais beaucoup plus d’amorcer un processus de reconstruction des institutions de l’Etat à travers la compression des effectifs via des programmes de démobilisation et de réintégration ; de restructuration des institutions de sécurité à travers la mise en œuvre des programmes de réforme du secteur de la sécurité ( Birantamije 2014), de renouvellement des élites au pouvoir à travers l’organisation des élections, sans oublier des programmes de relance économique. La région des Grands Lacs en tant que terreau fertile des conflits internes pourrait être présentée comme un laboratoire de la mise en application de ce discours sur la consolidation de la paix pour protéger et garantir les accords politiques de Paix. En effet, en 1993, le Rwanda après la signature de l’Accord de paix d’Arusha entre le Gouvernement et le Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ONU a déployé une force internationale neutre de maintien de la paix- Mission des Nations unies pour l’Assistance au Rwanda. L’article 3 de la résolution créant cette force énumère le contenu du mandat, qui va au-delà de la simple interposition jusqu’à la coordination de l’assistance humanitaire (Nations Unies, 1993). Au Burundi, la crise politico-sociale et institutionnelle consécutive à l’Assassinat du président Ndadaye, des massacres des populations civiles  et de la prolifération des groupes rebelles contre l’Etat, ont abouti à la signature de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la réconciliation au Burundi en 2000. La mise en œuvre concrète de ce programme politique a exigé que les Nations Unies envoient une mission de maintien de la Paix : l’Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) à partir de 2004. Sans entrer dans le bilan de cette opération, le mandat de l’intervention comprenait le monitoring du respect des accords de cessez-le-feu entre les différents Partis et mouvements politiques armés et le Gouvernement de transition, le processus de Désarmement, de Démobilisation et de réintégration des anciens combattants, l’assistance dans l’organisation des élections libres , transparentes et paisibles en 2005 (Boutelis 2015). Avec des fortunes diverses, les paliers de ce mandat ont été remplis, et l’Accord d’Arusha a produit, quoiqu’actuellement remis en cause, une décennie de paix. Enfin, la République Démocratique du Congo (RDC) est un autre pays de la Région des Grands Lacs qui  expérimente encore une mission de maintien de la paix pour accompagner et protéger un accord politique de paix qui a pris du temps et beaucoup d’énergies pour être signé : L’accord global et Inclusif sur la Transition en RDC signé à Sun City. Pour affermir cet accord et donner l’espoir de paix au peuple congolais après deux guerres internes internationalisées, l’ONU a déployé la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo Cette mission a vu son mandat évolué suivant les étapes du conflit congolais. Dans un premier temps, la mission a été déployée pour aider dans la mise en œuvre des Accords de cessez-le-feu de Lusaka en 1999. A partir de 2003, la MONUC devrait accompagner tout le processus de mise en place du gouvernement et des institutions de transition conformément aux accords de Sun City sur le partage du pouvoir entre tous les belligérants. Enfin, il a été question que la mission soit reconduite à partir de 2007 jusqu’en 2010 pour la stabilisation de la situation politique après les premières élections démocratiques (Doss 2015).

En somme, à travers ces exemples, l’on voit que le but des Nations Unies dans la mise en place des opérations de maintien de la paix à la suite des accords politiques, ne visent pas la seule interposition entre les belligérants mais une paix positive sur le long terme. D’où l’implication des forces des missions onusiennes parfois dans des actions plus robustes nécessitant une force spéciale pour anéantir les forces qui perturbent la paix sociale issue des accords politiques.

3.3.Le maintien de la paix robuste

La doctrine « robuste » des opérations de maintien de la paix remonte au Rapport du Groupe d’étude sur les opérations de maintien de la paix de l’ONU connu sous le nom de Rapport Brahimi (Nations Unies, Rapport A/55/305-S/2000/809) Il s’agit juridiquement, comme le souligne Laëtitia Pierry, des opérations prioritairement conservatoires, exceptionnellement coercitives et nécessairement menées sur une base consensuelle (Pierry 2014 :78). Mais au fond, le discours qui promeut les opérations robustes induit une lecture complexe du chapitre VII. Si pour la doctrine onusienne la robustesse des mandats tel que cela peut se voir dans le « chapitre VI et demi » ne constitue pas une fin, mais juste un moyen au service d’une fin, l’évolution du discours consistant à dire que les opérations de maintien de la paix jusqu’à la fin de la guerre froide ont consisté à traiter des symptômes plutôt que des sources du conflit, a conduit les Etats à envisager des activités dont le dispositif implique un grand nombre d’activités autres que militaires allant de la construction de l’Etat, la protection des droits de l’homme, les réformes institutionnelles comme la réforme du secteur de la sécurité, le désarmement et la démobilisation, etc. Il s’agit des pratiques que l’ONU ne pouvait pas se prévaloir durant la période bipolaire parce que tout simplement le régime juridique de ce genre d’opérations ne s’y prêtait pas. Le consentement des parties locales, pierre angulaire (Nations Unies, Rapport A/55/305-S/2000/809), était pour la plupart des cas comme nous l’avons montré dans la première section de ce travail, remis en cause par la souveraineté des parties locales, à laquelle s’attache contre vents et marées par ailleurs la Charte des Nations Unies.

 

L’évolution des pratiques tend à limiter les remparts dressés par la souveraineté en focalisant l’attention sur la défense du mandat conféré par le Conseil de sécurité aux troupes mis en place par les Etats contributeurs. Autant dire que face à la légitimité d’entrée ou de moyens se dresse la légitimité des résultats comprise comme la production des résultats conformément aux objectifs annoncés au moment de l’intervention. Autrement dit, dans le cadre de l’usage de la force autorisée par les chapitres VI et VII de la Charte, il s’agit d’aller au-delà de la légitime défense envisagée à l’article 51 de la Charte, une disposition qui n’a pas empêché que des guerres continuent même au moment de la présence des forces onusiennes. Il est question de mobiliser des moyens de coercition armée plus importante et contraindre les fauteurs de trouble à déposer les armes comme dans le cas de la Brigade d’intervention de la MONUSCO pour faire face aux différents mouvements rebelles qui pullulaient dans l’Est de la RDC ( Novosseleff& Cathelin, 2013) ou encore dans l’opération régionale AMISOM en Somalie. Néanmoins, dans différents rapports, l’on s’aperçoit d’une volonté manifeste du Conseil de sécurité d’insister sur l’intérêt commun de la part des Etats engagés dans les opérations de maintien de la paix à ne pas violer les prescrits des résolutions du Conseil de sécurité même en cas d’interventions normales ou celles dites                « robustes» à travers un autre discours: la protection responsable.

3.4.La « Protection responsable »

Le point de départ de ce discours promu dans un premier temps par le Brésil dans son document de réflexion intitulé « Protection responsable: éléments pour l’élaboration et la promotion d’un concept » (Nations Unies, Rapport S/2011/701), a été une série de manquements observés dans l’application du principe de responsabilité de protéger et les contestations fournies par les Etats et les organisations régionales. Parmi ces derniers figurent le changement de régime politique, la provocation de nouvelles formes de violence ou l’instabilité comme dans le contexte irakien, où l’Etat peine toujours à se remettre de l’instabilité devenue quasi chronique. Les Nations Unies ont été toujours critiquées de la manière dont les opérations de maintien de la paix sont conduites et a fortiori sur les résultats auxquels elles aboutissent (Pouligny2004 :25 et suiv.).  La critique la plus récurrente est la violation des objectifs de l’intervention en l’occurrence la protection des populations. C’est notamment dans le cas de la Résolution 1970 sur la Libye où le Conseil demande aux Etats membres de geler les avoirs des leaders libyens ou des interdictions de voyager ( Nations Unies, Résolution S/RES/1970), mais aussi de certains abus commis par les troupes du maintien de la paix. Dans les différentes résolutions du Conseil de sécurité qui ponctuent les différents moments d’intervention pour la paix, un accent particulier est mis la responsabilité des Etats contributeurs de troupes. Bien évidemment, la participation des Etats dans des conflits armés internes ou internationalisés n’en fait pas de la part des Etats contributeurs des parties au conflit armé. Pour ne pas céder à l’actualité, la présence française en République centrafricaine dans le cadre de l’opération Sangaris reste émaillée d’abus sexuels sur mineurs commis par les troupes françaises (Le Monde diplomatique 2015). Cette situation est venue juste alimenter un débat déjà vieux d’une décennie sur l’immunité des casques bleus opposable à l’ONU et à l’Etat-hôte (Tardy2009 :175). Dans chacune des deux situations, c’est la légitimité des interventions pour la paix qui est remise en cause, et la protection responsable apparaît à la fois comme un passage obligé dans l’application de la responsabilité de protéger et comme la limitation des autorisations implicites de certaines puissances occidentales ou organisations régionales, finalement une manière d’amener ces dernières à observer les résolutions du Conseil de sécurité quant au mandat et aux missions.

Les derniers développements sur le comportement des troupes burundaises et congolaises sur les terrains des OMP laissent entrevoir une évolution spectaculaire de la doctrine de protection responsable. En fait, les soldats et/ou les policiers déployés doivent être et demeurer «lavés » de tout soupçon d’avoir commis des crimes contre les droits de l’homme aussi bien au niveau de leur Etat qu’au niveau du pays hôte. C’est dans ce contexte que les contingents de 807 militaires et de 118 policiers congolais (RDC) a été renvoyés de la Mission internationale des Nations Unies pour  la Stabilisation en Centrafrique. Ces derniers ont été accusés de viols sur des enfants mineurs et le gouvernement congolais aurait trainé pour établir les responsabilités se contentant de signifier que les troupes des autres pays présumés d’avoir commis les mêmes crimes restaient opérationnels dans cette opération (Habibou Bangré 2015).

Les troupes burundaises n’échappent à cette nouvelle donne éthique pour les opérations de maintien de la paix. A priori, on parlerait d’un cas d’Ecole dans l’opérationnalisation de la protection responsable. Les militaires et policiers qui sont renvoyés ne le sont du fait des crimes commis en terres étrangères, mais plutôt du fait des crimes commis à l’intérieur de leur pays avant le déploiement en mission de maintien de la paix. En effet, avec la crise consécutive à la volonté du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat en violation de la constitution et de l’Accord de Paix d’Arusha, a transformé la police en une machine répressive des opposants au troisième mandat si bien que des langues se sont déliées pour réclamer leur rapatriement (Organisation de la société civile, 2016). Ainsi, les deux unités de police constituées de 273 hommes et femmes n’ont pas été remplacées à la fin de leur séjour en mission. Contrairement au cas Congolais, la situation concerne les remplaçants qui, selon, les Nations Unies, se sont illustrées dans la répression des opposants dans les zones qui se sont opposées au 3e mandat de Nkurunziza (RFI 2016). Les militaires Burundais n’ont pas échappé eux-aussi à cette campagne onusienne. Quatre officiers de la Force de Défense Nationale  envoyés à la MINUSCA ont été rapatriés pour avoir trempé dans les massacres des populations civiles dans différents quartiers de Bujumbura les 11-12 décembre 2015 (Madirisha, et al. 2016; Ndayishimiye 2015).

Enfin, la « protection responsable » a bien toutefois suscité une rhétorique assez abondante et idéologiquement rangée en oscillant entre optimisme et scepticisme entre les puissances traditionnelles et les puissances émergentes chaque fois que le débat avançait sur son opérationnalisation certains craignant l’absence des preneurs ou l’institutionnalisation de l’inaction, d’autres le considérant comme un véritable cheval de Troie des pays occidentaux dans ce sens qu’il réhabilitait la Responsabilité de protéger considérée par les pays émergeants comme une ingérence déguisée (Christakis 2014 :135-146.).

Mais ce concept semble actuellement marquer des avancées en tant que doctrine des interventions pour la paix autorisées par le Conseil de sécurité. Il a été intégré dans les Rapports du Secrétaire général des Nations Unies aussi sur la responsabilité de protéger que celui sur la protection des civils en temps des conflits armés (Nations Unies, Rapport A/66/874-S/2012/578; Nations Unies, Rapport S/2012/376). Mais le plus souvent, les « faiseurs de paix » arrivent quand des drames sont déjà commis. Entre autres facteurs explicatifs figurent le coût matériel, humain et financier très important. Il s’ajoute la lourdeur administrative au niveau du centre (New York) que celui de la périphérie (la mobilisation des Etats contributeurs) ainsi que les connaissances disparates des dynamiques locales à la base des conflits internes. Ces facteurs combinés ont induit un nouveau discours dans l’art de faire la paix: la régionalisation des opérations de maintien de la paix. Il s’agit d’un discours qui tient route, mais qui ne développe pas moins de nouveaux enjeux aussi bien pour les pays contributeurs et leurs troupes que pour les grandes puissances qui y voient du renouveau dans la configuration géopolitique et géostratégique.

3.5.La régionalisation des opérations de maintien de la paix

Depuis la fin de la Guerre froide, il y a une implication croissante des organisations régionales dans le maintien de la paix (Liégeois2015 ; Guéhenno2002). Tel est le cas de l’intervention de l’Organisation des Etats Américains (OEA) en Haïti et au Salvador les années 1990, l’intervention des Etats de l’ASEAN au Cambodge et Timor Est; de l’Organisation du structures et différents modes d’interopérabilité sont mis en place et partant nécessitent de nouveaux cadres normatifs d’intervention dans ce sens que les structures et les procédures institutionnelles ainsi que les exigences de l’ONU Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au Kosovo ou de l’Organisation pour la sécurité collective en Europe (OSCE) dans les Balkans et plus récemment de l’Union africaine (Luntumbue2014) au Burundi, Mali, Centrafrique, Somalie ou aux Comores. Si certains y ont vu  un flou dans le rôle de l’ONU ou un désintérêt des puissances pour les conflits hors «zone d’influence», les fondements juridiques de la régionalisation se retrouvent timidement dans le chapitre VIII de la Charte des Nations Unies (Charte des Nations Unies, art.52 §1,2, 3; art.53) et de manière plus affirmée dans le célèbre agenda pour la Paix de Boutros Boutros-Ghali de 1992 et dans son supplément de 1995 (Boutros-Ghali1992, 1995). En effet, l’Agenda pour la paix montre le rôle croissant des organisations régionales dans le maintien de la paix, de même qu’il en trace une approche pragmatique. Le supplément à l’Agenda pour la paix à son tour pose les modalités de coopération,  à savoir la consultation, le soutien diplomatique, le co-déploiement et l’opération conjointe en plus des clarifications sur les principes généraux devant présider à ce genre d’opérations régionales. Ce document qu’on pourrait qualifier de nouvelle doctrine des opérations de maintien de la paix trace les mécanismes de consultation entre les Nations Unies et les organisations régionales, la primauté des Nations Unies dans cette entreprise de garantir la paix et la sécurité, le partage clair des tâches ainsi que la cohérence de l’action des Etats. Au-delà de cette dimension normative qui s’intègre dans les rapports de force et les enjeux de puissance (Birantamije 2015 : 33-60), c’est l’approche des organisations régionales de s’approprier les réponses aux défis sécuritaires qui mérite un approfondissement en tant que nouvel enjeu des OMP. Différentes des organisations régionales, cela porte un coup dur à la coopération entre différents acteurs impliqués (Nations Unies, Rapport A/65/762).

Conclusion

Cette contribution avait l’ambition de retracer l’évolution d’une rhétorique sur les opérations de maintien de la paix. Elle a clairement montré qu’elle a évolué au rythme des conflits et des dynamiques conflictuelles, et au regard de la configuration des enjeux internationaux en matière de paix et de sécurité. D’une rhétorique au départ centrée sur la charte des Nations Unies, les pratiques y afférentes consécutives aux différentes épisodes de conflits armés internes, internationaux ou internationalisés ont structuré de nouveaux discours sur de nouveaux objets à la croisée du droit de la guerre et du droit dans la guerre amenant en fait à des réflexions parfois « terre à terre » et impliquant des acteurs multiples. Cette contribution n’épuise pas le sujet, elle ne fait que poser les jalons d’une réflexion sur une littérature abondante et pas suffisamment traitée par l’analyse politologique Nous espérons que ces différents discours peuvent servir pour interroger et évaluer la pratique et interroger les résultats en termes de réussite ou d’échec des opérations de maintien de la paix dans la région des Grands Lacs et ailleurs.

 


[1]Cette résolution a porté sur la Côte d’Ivoire où le constat de probables crimes de guerre et crimes contre l’humanité a amené à une intervention pour en découdre avec le régime de Laurent Gbagbo.

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