APRES L’INDEPENDANCE POLITIQUE, QUE RESTE-T-IL A L’AFRIQUE: LEURRE ET LUEUR

Abstract: 

Many African countries have been celebrating their golden years of independence. Yet many Africans still live in very difficult political, economic and social conditions. The question this article seeks to answer is: “facing such challenges, does Africa have a chance to rise above its endemic wars and internal conflicts in order to become a continent of hope?”A brief historical survey of African politics has led to the discovery on the issue: The results reveal that functionalist and historical arguments do not offer sufficient response to the African case. Thus, the argument contends that the fundamental problem of Africa and Africans is what Engelbert Mveng called “anthropological poverty”, which can only be dealt with by focusing on internal causes. Therefore, without neglecting the external causes, Africa suffers from anthropological poverty. With this shortcoming, the paper argues that Africans should look for the possibility of creating another Africa.  The future is source of hope of this possibility as it is an empty time to be filled with/by a creative imagination and an imaginative creativity. 

1.       La matrice de la question : de l’autonomie à la colonisation

 

Historiquement parlant, on peut subdiviser l’histoire politique de l’Afrique en trois grandes périodes, dont le point central est, à coup sûr, la colonisation. La première période est celle d’avant la colonisation, c'est-à-dire, jusqu’en 1885 (Mudimbe, 1988 ; 1994 ; Taiwo, 2010). Quoique diversifiée, l’Afrique était indépendante pendant cette période, ayant développé des structures politiques assez viables pour assurer la survie des différentes nations et protéger leur souveraineté. Il est vrai qu’elles succombèrent à la puissance des armes occidentales, mais cela ne ternit pas les grands empires développés dans l’Afrique de l’Ouest, les grandes constructions en Afrique australe, ainsi que les différents royaumes solidifiés à travers tout le continent. Comme partout ailleurs, cette histoire glorieuse fut marquée par l’apogée des unes et la chute des autres entités politiques, et  elle ne fut pas épargnée des guerres intestines entre différents royaumes, ainsi que des conflits internes aux classes princières. Mais dans l’ensemble, l’Afrique comme continent n’était pas sous la domination étrangère quelle qu’elle fût. Même s’il n’est pas impossible—encore une fois comme partout ailleurs !—que certaines des organisations politiques fussent dictatoriales, beaucoup d’auteurs soulignent le caractère démocratique des institutions politiques en Afrique pré-coloniale (Gyekye 1997 : 115-143).

 

D’autres auteurs affirment même qu’avant la colonisation, l’Afrique avait su s’approprier la modernité occidentale, aussi bien dans sa dimension culturelle que sociale. C’est le point de vue de Taiwo qui définit la modernité suivant le principe hégélien de subjectivité, lequel principe promeut l’affirmation du sujet comme individu dans la société en tant que sujet de droit, mais aussi comme sujet capable de la connaissance scientifique par la méthode rationnelle et expérimentale. Il résume tout ce processus par trois concepts : l’individualisme, le gouvernement par consentement et la centralité de la raison (Táíwò 2010 : 101-103). Pour Táíwò, telle était la méthode suivie par le Christianisme –au moins dans l’Afrique anglophonemais qui, malheureusement fut contrecarré par la colonisation[1]. Le fruit d’une telle entreprise est ce que l’auteur appelle « les prophètes sans honneur » : un évêque anglican, Samuel Ajayi Crowher; un docteur médical, James Africanus Beale Horton et un journaliste,  Rev. S. R. B. Attoh-Ahuma. Ces derniers, selon notre auteur, surent s’imbiber des valeurs de la modernité et les traduire dans la culture africaine pour les besoins des Africains. En d’autres termes, non seulement l’Afrique pré-coloniale érigea-t-elle ses propres institutions politiques, mais elle sut également s’inspirer des idées et idéaux de la modernité –tout au moins dans son acception occidentale.

 

La colonisation, toutefois, changea la donne. L’Afrique perdit sa totale souveraineté à son insu. Sous le déguisement de l’apport de la civilisation à un continent soi-disant sans histoire et de la lumière « to the Heart of Darkness », la colonisation consacra la soumission de l’Afrique à une autorité étrangère sans contrat ni possibilité de récriminer. Néanmoins, Berlin ne fit que généraliser un projet déjà en œuvre depuis des années. Mudimbe souligne, par exemple, qu’

une réunion sur la géographie internationale eut lieu en 1876 à Bruxelles, en Belgique. Parmi ses objectifs, elle stipulait trois projets principaux : l’exploration de l’Afrique centrale, l’introduction de la civilisation Européenne dans la région, et un engagement explicite d’opposer les pratiques de la traite négrière toujours en activités (Mudimbe 1994 : 105).

 

D’après plusieurs auteurs, contrairement à la promesse annoncée, la colonisation répondait plus aux besoins impérialistes de l’Occident qu’à l’impératif civilisationnel des Noirs d’Afrique. Pour Asafa Jalata, la colonisation constitua une deuxième vague de terrorisme occidental sur le reste du monde, en plus de la première vague de la traite négrière. Selon lui, cette deuxième phase du terrorisme colonial «débuta dans la première moitié du dix-neuvième siècle et s’intensifia dans les dernières décennies de ce même siècle » (Jalata, 2013 : 9). Toujours selon le même auteur, non seulement la colonisation amena avec elle l’aliénation politique des peuples africains, mais pire encore, elle fut menée à coup d’actes de génocide et de crimes contre l’humanité.

 

Quant à Taiwo, à part le fait que la colonisation sonna le glas à l’autonomie et la souveraineté politiques, elle était en totale opposition avec l’entreprise missionnaire qui était mue par (et avait réussi à instiller) les idéaux de la modernité qui favorisent l’émergence du sujet. Selon Taiwo,

 

quoique les missionnaires du début du dix-neuvième siècle eussent introduit les éléments de la modernité aux Africains et se fussent engagés à former des sujets modernes à partir de leurs prosélytes africains, depuis le milieu de ce siècle—une période qui assista à un empire informel et, plus tard, à la colonisation formelle—leurs successeurs marchands et les administrateurs ou bien inversèrent ou alors arrêtèrent complètement le processus. […] les administrateurs n’avaient aucun enthousiasme à procurer une transformation authentique des formations sociales africaines, qui ressembleraient en quoi que ce soit au programme missionnaire (…) au-delà des échanges voulues pour extraire les matières premières des colonies…. Ceux qui pensèrent et exécutèrent les politiques coloniales ne considéraient pas les colonisés Africains comme étant dignes et capables de participer à la culture de la modernité, surtout dans ces aspects liés à la centralité de la raison, et l’autonomie de l’action  (Taiwo, 2010 : 79-80).

 

La colonisation n’avait pas l’intention d’introduire la civilisation moderne en Afrique, dans la mesure où ses vrais mobiles étaient de soutenir l’impérialisme occidental en exploitant les ressources économiques des colonies. La déchéance politique s’accompagna de l’exploitation économique et c’est la raison pour laquelle cette deuxième période de l’histoire politique africaine laissa des traces indélébiles et devint une référence malgré sa mémoire douloureuse (voir MacCarthy 2009).

 

La troisième période est celle qui nous occupera le plus dans cet essai. En effet, après un bref aperçu de ce qui caractérisa cette période, on s’interrogera sur les raisons de son échec et on examinera s’il y a raison d’espérer.

2.       L’indépendance retrouvée ou un leurre ? 

 

La période de l’indépendance jusqu’à aujourd’hui peut elle-même être subdivisée en trois parties : le temps des pères de la nation ; l’ère des héritiers et l’ouragan démocratique.

 

La première partie de la période postindépendance concerne la période de la lutte pour l’indépendance et celle qui suivit immédiatement les indépendances, dans la plupart des cas avec des gouvernements dirigés par les héros qui ont lutté pour la libération de l’Afrique. Cette partie fit marquée par un enthousiasme d’une indépendance retrouvée après une période si longue d’oppression coloniale, ainsi qu’un espoir d’un décollage économique, maintenant que la gestion du pays revenait aux Africains. Ces derniers avaient professé et continuaient de professer un nationalisme non dissimulé. Schématiquement, l’on pourrait situer cette période entre l’acquisition de l’indépendance à la fin des années soixante.

 

Néanmoins, les espoirs ont été très vite déchantés. La plupart des leaders des indépendances furent assassinés (comme Lumumba de la République Démocratique du Congo, l’ex-Zaïre ; Rwagasore du Burundi, etc.), et même ceux qui restèrent ne tardèrent pas de s’établir confortablement dans le fauteuil de l’ancien maître au grand dam de la masse africaine qui avait cru que l’indépendance politique impliquait l’amélioration de sa condition de vie. L’on ne sait que trop bien cette bourde d’un paysan africain qui demandait quand reviendrait la colonisation, parce que les conditions de l’Afrique post-indépendante devenaient pire que celles de la colonisation. Telle fut donc l’inauguration de l’ère des héritiers, qui devint un néocolonialisme que Franz Fanon exprimait en termes de « peau noire, masques blancs ». Même ceux qui plaidèrent pour une politique africaine concoctée à base de la réalité africaine (ici viennent directement les noms de Julius Nyerere et Kwame Nkrumah), n’échappèrent pas au mal qui rongeait le reste de l’Afrique. Comme David Hoekema (2013: 128) le souligne, « quand on regarde derrière à partir du point de vue du début du vingt-unième siècle au demi-siècle de l’indépendance africaine, le résultat du socialisme africain est loin d’être inspirant ». Il est vrai que les raisons de cet échec varient. Toutefois, on doit reconnaître avec Hoekema que les raisons internes jouèrent un rôle de premier plan. En effet,

 

Quand les leadeurs populaires des mouvements de libération quittèrent les cachettes des forêts et les maisons urbaines sécurisées pour occuper les bâtiments du parlement et les palais présidentiels, ils y’installèrent très vite et se dotèrent eux-mêmes de beaucoup de bénéfices et prérogatives que leurs prédécesseurs dans le régime colonial avaient joui, nécessitant des taxes élevées et des ‘contributions’ régulières de ceux qui attendaient bénéficier de leurs actes officiels. Corruption et népotisme étaient déjà les caractéristiques communes aux administrations coloniales, mais les officiels Africains nouvellement indépendants les élevèrent à un art plus élevé  (Hoekema 2013 : 128-9).

 

Notre auteur ajoute que « quand les politiques socialistes devaient être mises en vigueur, le plus souvent elles étaient exécutées par décret gouvernemental, avec une insuffisante considération de la manière dont elles seraient reçues ou de leur possible succès » (Hoekema 2013 : 129).

 

Ainsi, que ce soient les néocolonialistes qui remplacèrent les héros des indépendances par coups et/ou par assassinats, ou les pères de la nation qui restèrent au pouvoir, tous recoururent aux mêmes méthodes de gouverner qui n’avaient rien à envier aux règles colonialistes. En outre, il faut remarquer que ce temps correspond à la consolidation du monopartisme et l’essor du parti-Etat. Le multipartisme qui marqua la lutte des indépendances avait cédé la place au parti vainqueur qui phagocyta les autres partis. Encore une fois, l’on pourrait schématiquement situer cette période à la décennie entre 1970-80.

 

La dernière partie de cette troisième période de l’histoire politique de l’Afrique correspond à l’ouragan démocratique qui, techniquement, correspond aux années 90, mais qui fut, en fait, précédé par la pression de la communauté internationale envers les Etats Africains par l’ajustement structurel. Comme le remarque Jeffrey Herbest (1990), quand le Fond Monétaire Internationale et la Banque Mondiale imposèrent leurs mesures sur les pays africains, l’attention fut braquée aux conséquences économiques et dividendes sociales, en oubliant les retombées politiques. Pourtant de telles mesures étaient de nature à affecter la conception et la pratique politiques jusqu’alors appliquées en Afrique. Ainsi, il a été souligné que les héritiers des colons gouvernèrent par corruption et népotisme ; ils établirent un système de gouvernance basé sur le patronage et non sur les politiques sociales (Hyden 2006, 229 : Heberst, 1990, 949 ; Platteau 2009). C’est ce que Hyden théorise sous le thème de « Big  Man» le grand homme avec qui il faut absolument être connecté soit directement, soit à travers ses lieutenants afin de bénéficier des avantages publics. Le résultat est un « néo-patrimonialisme où l’acquisition du ‘bien’ public est utilisée pour soutenir un réseau clientéliste duquel dépend le support politique (Chabal 2000 : 826 ; Hyden 2006 : 94-115). Et pour entretenir un tel système, il faut avoir accès aux ressources.

 

Or, « l’objectif de l’ajustement structural [était] d’éliminer, ou tout au moins de réduire significativement la possibilité du gouvernement d’offrir de telles sortes d’avantages » à leurs clients (Herbest 1990 : 952). C’est dans ce sens que l’ajustement structurel finit par bousculer les pratiques politiques qui aboutirent à la reprise démocratique des années 90. Mais il n’était pas seul. Le contexte international aussi changeait irréversiblement. La guerre froide qui avait marqué le temps des indépendances se soldait par la chute du mur de Berlin qui mit fin à la concurrence du socialisme comme idéologie. Comme avant 1989 plusieurs leaders Africains avaient choisi de rester non-alignés par rapport au capitalisme et au socialisme, préférant tirer avantage des deux (Hoekema 2013 : 123), ils pouvaient gérer les affaires internes de leur pays sans interférence des donneurs d’aides, eux-mêmes plus occupés à acheter la loyauté qu’à contrôler l’usage de leurs dons. Avec la chute du mur de Berlin et la fin du socialisme, le capitalisme devenait le système dominant sans une autre alternative, et pouvait ainsi imposer ses régler de jeux à ceux qui sollicitaient ses services, dont les Etats Africains. Ainsi, le discours du président français d’alors, François Mitterrand à la Baule, inaugura une ère nouvelle dans les relations Afrique-Occident, puisque l’aide était dorénavant conditionnée par l’adoption du système démocratique et la rhétorique des droits de l’homme[2].

 

Depuis lors, diverses expériences furent tentées. Plusieurs potentats qui étaient restés au pouvoir par coups et/ou magouilles durent accepter la mort dans l’âme la venue du multipartisme. Le monopartisme et le parti-Etat vivaient leurs dernières heures. Dans cet engouement démocratique, on voulut essayer une expérience démocratique à l’africaine sous le nom des conférences nationales (surtout dans les pays francophones). Le but de celles-ci était de rédiger de nouvelles constitutions, « en engageant les dirigeants et les dirigés dans un dialogue sur les principes constitutionnels et légaux » (Hyden, 2006 : 107). Même si ces expériences varièrent d’un pays à l’autre, leurs résultats furent mitigés (Eboussi, 1993 ; Hyden, 2006 : 106-113). Toutefois, ces nouvelles constitutions et le retour du multipartisme conduisirent aux élections qui, dans la plupart des cas, aboutirent à des troubles, soit parce que les anciens dirigeants refusaient de céder le pouvoir, soit parce que les nouveaux candidats ne pouvaient accepter la défaite. Certains de ces troubles polarisèrent la société comme le pouvoir utilisait les forces de sécurité pour mater les opposants, pendant que d’autres dégénéraient en guerres civiles, parfois culminant malheureusement en des génocides (par ex. le Rwanda, le Burundi ou la RDC).

 

Pendant cette même période d’après l’indépendance, il y eut création d’organisations.  Au niveau continental, OUA fondée en 1963 devint UA en 2009). Au niveau régional, SADC, EAC, ECOWAS, etc. virent le jour. Mais ces organisations ne changèrent pas visiblement la situation de l’Afrique. Ainsi, malgré cette longue histoire de développement politique et les différentes initiatives dans plusieurs domaines, le continent reste la risée du monde dont on désespère de son développement. Face à ce désespoir envahissant, l’ancien Président Sud-Africain Thabo Mbeki initia son projet pour la renaissance de l’Afrique à travers ce qui est aujourd’hui connu sous NEPAD (Jonas, 2012). Lancé en pompe en 2001 au Nigéria par l’OUA, NEPAD était un projet ambitieux qui voulait restituer la voix à l’Afrique dans le concert des nations. Aussi reçut-il un accueil chaleureux de la part de la communauté internationale comme un forum des Africains conçu et développé pour le bien des Africains. Il visait le renouvellement de l’Afrique sur tous les plans aussi bien politique, social qu’économique. Pourtant, aujourd’hui, du NEPAD comme les autres projets avant lui, la montagne a accouché d’une souri. Selon Jonas, « aujourd’hui, même les pionniers les plus dévoués du NEPAD admettent la mort dans l’âme qu’il n’a pas été un succès ». Il citait Abdulaye Wade, un ardent défenseur du NEPAD dès le départ,  qui disait :

 

Je suis déçu. Quand les gens dans mon pays ou ailleurs me demandent, j’ai du mal à expliquer ce que nous avons réalisé. Nous dépensons beaucoup d’argent et, plus que tout, nous perdons le temps avec des répétitions et conférences, et à la fin on n’est pas sûr du résultat.

 

Il ajoute, « des centaines de millions de dollars ont été dépensées pour les voyages (et) les hôtels. Mais pas une seule salle de classe n’a été construite, pas un seul centre de santé achevé. NEPAD n’a pas pu faire ce pour quoi il était créé » (Jonas 2012 : 98). Mbeki n’est pas d’avis contraire. Alors qu’il était le chef et le parrain du projet, il est cité disant : « Je suis désolé ; nous n’avons pas fait les progrès que nous avions espérés. En effet, et avec regret, je crois que nous avons perdu un peu l’élan qui avait animé le lancement…du NEPAD… » (Jonas 2012 : 98). 

 

Cette expérience du NEPAD vient allonger la liste des échecs subis par l’Afrique dans ses tentatives de se bâtir des institutions politiques viables. L’évidente question aurait été de savoir pourquoi, mais la littérature abonde qui y propose des réponses aussi variées qu’insatisfaisantes. Hyden (2006 : 228-231) estime que les spécialistes de la question africaine s’entendent sur au moins dix causes qui sont, croit-il, à l’origine de la débâcle africaine. Le premier est qu’en Afrique, on privilégie la société plutôt que l’Etat ; on exerce le pouvoir plus sur les gens que sur le territoire ; pas une distinction claire entre la sphère publique et la sphère privée ; le gouvernement s’appuie sur le patronage plutôt que sur les politiques claires ; l’économie africaine est marginalement intégrée dans l’économie mondiale ; les institutions sont plus informelles que formelles ; il y a plus la concentration plutôt que la séparation du pouvoir ; le pouvoir renforce le contrôle plutôt que la facilitation ; absence de délibération sur les affaires publiques, et enfin, la dépendance africaine au monde extérieur grandit au lieu de diminuer.

 

Cette réponse est insatisfaisante. Même si elle fournit une description juste de la pratique politique africaine, elle ne répond pas à cette question fondamentale: pourquoi ces institutions politiques sont ainsi formulées de telle sorte qu’elles deviennent l’obstacle au développement de l’Afrique? Répondre à cette question nécessite le dépassement de la description de la réalité sociale africaine et l’approche fonctionnaliste des sciences politiques, pour oser aborder les causes profondes du mal africain. Le point suivant traite de ce projet ambitieux.

3.       Face à face avec soi

 

La réalité sociale et les pratiques traditionnelles africaines en soi, par exemple la multiplicité ethnique et la solidarité communautaire (Platteau, 2000), ne peuvent pas expliquer à elles seules la situation actuelle de l’Afrique. D’une part, étant des faits, ils n’acquièrent leur valeur sociale qu’en fonction de l’usage qu’on en fait. En d’autres termes, en soi la réalité multi-ethnique de l’Afrique est neutre quant à son impact sur la vie réelle du continent. Son importance vient de son usage manipulateur par les différents acteurs sociaux, mais surtout les acteurs politiques (Hyden 2006: 183-205). Sinon, la première puissance mondiale que sont les Etats-Unis d’Amérique sont une nation multi-ethnique, comme le sont d’ailleurs la plupart des Etats modernes. Quant à la solidarité sociale qui peut peser sur l’entreprenariat et l’initiative individuels (Platteau 2009), elle ne peut non plus fournir une explication convaincante dans la mesure où le développement ne veut pas dire absolument et seulement l’individualisme capitaliste et libéral. S’il est vrai que la solidarité communautaire a des tares, cela ne signifie pas que la seule alternative est le rejet de toute solidarité, parce qu’après tout, il n’est pas sûr que l’Afrique ait besoin d’un développement qui aliène l’être humain de son enracinement social. Encore une fois, la dimension politique de la solidarité communautaire devient le terreau où il faut s’orienter pour blâmer ou bénir son usage actuel dans le contexte africain.

 

Partant, on doit reconnaître que la production des analystes politiques de ces dernières décennies a montré le rôle prépondérant de la pratique politique dans l’état actuel de l’Afrique. Toutefois, comme indiqué ci-haut, cette approche met en exergue les conséquences de la pratique politique, mais elle ne répond pas à la question de savoir pourquoi les institutions sont ainsi formées et/ou travaillent ainsi. C’est la raison pour laquelle il faut aller au-delà du fonctionnalisme politique pour s’interroger sur les raisons derrière le fonctionnement et la pratique de la politique africaine. Ainsi, après avoir écarté l’explication ethno-sociale et exprimé le besoin d’aller au-delà de l’approche fonctionnaliste des sciences politiques dans l’explication du mal africain, une des voies dans ce sens est l’explication historique. Celle-ci attribue la situation actuelle de l’Afrique aux événements que subit l’Afrique depuis sa rencontre avec l’Occident. Par exemple, après avoir parcouru historiquement ce qu’il appelle les deux vagues du terrorisme occidental, à savoir la traite négrière et la colonisation de l’Afrique, Jalata conclut :

 

Depuis la colonisation, les Africains en entier ont été exposés aux formes variées de violence et de génocide, ils ont perdu leur souveraineté et ont été exposés à l’oppression et exploitation. Conséquemment, la majorité des Africains souffrent des dictatures, de la pauvreté absolue, maladies, crises sociales et critiques, et l’impuissance » (Jalata 2013 : 28).

 

Plus loin, il continue :

La plupart des spécialistes modernistes et marxistes ignorent ces problèmes complexes des Africains, et les pays européens ont continué ses systèmes de domination et d’exploitation des peuples Africains à travers des formes de gouvernement créées pour l’Afrique ». […] malgré le fait que la plupart des peuples Africains ont atteint l’indépendance du drapeau [i.e. indépendance politique] depuis la moitié du vingtième siècle, presque tous les Africains sont toujours exposés à plusieurs formes de violence, la pauvreté absolue, et la maladie. On ne peut critiquement comprendre tous ces problèmes sans pleinement et critiquement comprendre les impacts de l’esclavage racial et le terrorisme et guerre coloniaux européens »(Jalata 2013 : 29).

 

Pour Jalata, les problèmes actuels explicitement mis en exergue, sont imputés à l’esclavage et à la colonisation de l’Afrique par l’Occident, que ce soit dans leur réalité ou dans leur compréhension. Cette explication, toutefois, n’avance pas non plus la cause africaine. Malgré la validité et l’importance de l’argument historique sur les conséquences de la traite négrière et la colonisation—qu’il faut vigoureusement dénoncer et au besoin demander réparation—il n’est pas facile de voir comment elles deviennent la source d’explication et de compréhension du mal actuel de l’Afrique. Ainsi, nous ne nions pas que la traite négrière et la colonisation eurent de l’impact et de l’influence négatifs sur l’Afrique, dont les conséquences peuvent survivre jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, ce sont des Africains qui luttèrent et obtinrent l’indépendance –fût-elle du drapeau seulement !—pour l’Afrique. Les mouvements des indépendances sont le signe qu’il y a moyen de dépasser les conséquences des maux historiques infligés à l’Afrique pour son plus grand bien. De plus, s’il fut possible de s’élever contre la colonisation sous/dans son propre domaine, qu’est-ce qui manque aux Africains d’après la colonisation de promouvoir le bien-être et le développement de l’Afrique? Certainement qu’une réponse rapide est celle du néocolonialisme déjà mentionné, sous l’expression captivante de Franz Fanon, « peau noire, masques blancs ». Mais cela n’est pas non plus assez convaincant parce qu’avant ce travestissement, il y eut une confrontation sans faux-fuyants entre les Africains fiers de leur africanité et se sentant bien dans leur peau d’ébène et le pouvoir colon et colonisateur dans toutes ses formes. Pourquoi serait-il impossible aujourd’hui ? Autrement dit, la lutte et le succès des indépendances démontrent une possibilité de dépasser les handicaps historiques, dont l’impossibilité suggère qu’il faut creuser ailleurs pour mieux comprendre ce qui ronge l’Afrique. Et cela conduit au dernier point concernant les limites de l’argument historique.

 

Quoique regrettable –et même douloureux—que cela puisse être, force est de reconnaître que les Africains ont souvent collaboré et participé dans les maux qui ont assailli l’histoire de l’Afrique et infligé une souffrance innommable aux Africains (voir Bayart, 2000). Jalata lui-même reconnaît qu’« aujourd’hui la plupart des pays africains sont gouvernés par une terreur militaire sous le patronage de l’Occident ainsi que la Chine. Les leadeurs Africains comme Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, et Amilcar Cabral qui cherchaient la souveraineté des peuples Africains furent renversés ou assassinés par les pouvoirs Euro-Américains et leurs collaborateurs Africains qui ont opposé l’émergence de la démocratie populaire et la transformation fondamentale de l’Afrique » (Jalata 2013 : 29). De ce constat de Jalata, on peut y tirer deux conséquences. La première est que le mal africain d’aujourd’hui est causé par « une terreur militaire » collaboratrice avec l’Occident, soit en tuant les leadeurs qui voulaient l’émancipation africaine; soit en s’opposant à l’émergence de la démocratie populaire. La deuxième est que l’Occident n’est que le patron de ceux-ci. A cette position, deux questions se posent : à supposer que la situation est telle que décrite, est-ce que si l’Occident retirait son patronage, les militaires et les autres dictateurs africains lâcheraient leur pouvoir ? L’argument semble suggérer que sans le patronage de l’Occident, la démocratie populaire émergerait et l’Afrique se transformerait. Mais quelles seraient et d’où viendraient les conditions de ce processus de transformation ?  Pourquoi ces Africains acceptent-ils de collaborer avec ‘l’ennemi’ de leurs propres peuples ? Pourquoi cette incapacité de refus ? Quant à ces leadeurs dont on regrette –certainement avec raison—leur départ précipité qui coûta à l’Afrique son émancipation –presqu’assurée ?—nous avons déjà souligné que même ceux qui survécurent ne tardèrent pas à emboiter le pas du néocolonialisme à l’instar de leurs homologues qui s’installaient dans les fauteuils présidentiels par coups d’état et assassinats.

Il ne s’agit pas ici de défendre l’attitude multiforme de l’Occident –la Chine est aussi aujourd’hui pointée du doigt !—envers l’Afrique. Plutôt s’agit-il de rappeler le principe que John Locke[3] formula bien il y a longtemps et qui passa dans la postérité comme du réalisme politique : il n’y pas de pays amis ; il n’y a que des intérêts. Pour ce faire, pas plus hier qu’aujourd’hui, l’Occident comme d’autres pays cherchent leurs intérêts et utilisent tous les moyens possibles pour les avoir, les conserver et les défendre. Ainsi, si en Afrique, ils ne peuvent aboutir à leur but qu’en protégeant leurs clients, ils le feront. Est-ce moral ? Bien sûr que ça ne l’est pas. Mais c’est un fait. Nous devons partir de ce fait pour proposer des solutions à des problèmes réels que connaissent aujourd’hui l’Afrique et les Africains.

 

Ainsi, pas plus que l’argument fonctionnaliste, l’argument historique ne saurait répondre à ces interrogations. Et ne pouvant y répondre, il laisse le lecteur avec la question : que faire alors ? Oui il y a eu tous ces crimes historiquement identifiés. Est-ce à dire que c’est la fatalité pour l’Afrique de ne plus se reconstituer puisqu’il est du caractère négatif du passé de ne plus être, même si l’on peut se l’approprier sous la forme de « ce qui a été »  (Ricœur, 2000) ? Au lieu de cette attitude victimiste, ne faut-il pas plutôt embrasser l’attitude existentialiste qui dit que « ce qui est important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais plutôt ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous » ? Il ne s’agit pas d’oublier ou de négliger « ce qu’on a fait de nous » ! Mais n’y a-t-il pas moyens de l’utiliser pour nous reconstruire et bâtir une autre Afrique que celle du désespoir qu’on voudrait expliquer par un autre ?

 

Posés dans ces termes, les problèmes de l’Afrique dépassent de loin ce qu’on a touché jusqu’ici pour être une question anthropologique sur laquelle s’érige une conception du politique. Il nous semble que c’est ce qu’Engelbert Mveng (1985) décelait dans ce qu’il a appelé « la pauvreté anthropologique », une pauvreté qui touche tous les aspects de l’être africain : politique, social, économique, spirituel, moral. Même si elle s’enracine dans les vicissitudes de l’histoire africaine, surtout la traite négrière et la colonisation, cette pauvreté est présente et actuelle. Sans les principes moraux, et ayant détruit les bases de l’éducation et les fondements spirituels de l’identité africaine, le leader africain finit par être qui il est : un dictateur égoïste dont le seul souci est se tailler une bonne part de ce qui devait être le bien commun, sans tenir compte du reste des Africains. De plus, sur base d’une telle pauvreté anthropologique ne pouvait et ne peut s’ériger qu’un système politique bigarré, lui-même sans substance.

 

Le leader Africain de la période postindépendance n’avait devant lui que deux modèles de fonctionnement politique (Ingiyimbere 2005) : le règne du colon et la mémoire fébrile des institutions traditionnelles africaines. Ces dernières n’ayant pas réussi à résister avec succès à l’invasion, l’occupation et la colonisation, elles se révélaient plutôt « faibles ». Il a fallu alors se raconter le récit des anciens royaumes et empires d’antan qui furent la gloire d’une Afrique alors humiliée et spoliée. Mais ce récit ne pouvait convaincre ceux qui avaient plutôt accueilli à bras ouverts les nouveaux venus, en rejoignant leurs missions et leurs écoles. Selon Bayart (2000), les futurs chefs de file des mouvements indépendantistes étaient les anciens catéchistes, moniteurs ou instituteurs qui avaient saisi l’opportunité de la nouvelle éducation –donc la nouvelle civilisation—quitte à entrer en conflit avec la tradition[4]. En dernier recours, quand ils se sont transformés en politiciens nationalistes, il n’y a pas eu de surprise qu’ils ont adopté et élevé à un niveau encore plus haut la méthode colonial de gouverner, surtout que les colons eux-mêmes ne partaient pas à volonté et/ou avec joie.

 

La pauvreté anthropologique fournit une meilleure base pour conceptualiser les problèmes africains et donne raison à Axelle Kabou (1991) qui diagnostiqua que l’Afrique était malade d’elle-même. En effet, il faut remarquer que la plupart de la littérature sur l’Afrique part toujours « de l’état économique de l’Afrique ». Aussi l’ordre politique est-il analysé comme cause du sous- (sinon non-) développement de l’Afrique. Une telle attitude cache mal l’ambition impérialiste à laquelle plus d’un participe pour sa propagation, croyant militer pour le développement de l’Afrique. On approche l’Afrique dans ce qu’elle a à offrir au monde en matière économique et non en ce qu’elle est elle-même. C’est comme si l’Afrique existait seule au monde, elle ne susciterait aucun intérêt et que si son économie fonctionnait de manière à offrir ce que la faim capitaliste réclame, l’Afrique serait chantée comme un beau continent, parce que bon élève de la Banque Mondiale, du Fond Monétaire Internationale et de Washington Consensus. Effectivement, la soi-disant communauté internationale n’hésite pas à attribuer la meilleure note aux pays africains qui rendent bien les comptes de l’argent dépensé mais qui nuisent aux opposants politiques et gouvernent leurs peuples avec une main de fer. Face à une telle rhétorique, Kabou avait osé suggérer une voie inverse : le refus du développement tel que chanté par les relais de l’impérialisme capitaliste, parce que le problème africain est plus que le développement économique (Nkouatchet 2013). Celui-ci n’est qu’une conséquence d’une Afrique paupérisée anthropologiquement, pour paraphraser Mveng.

 

Si l’Afrique est dans son état actuel cinquante ans après son indépendance, c’est parce qu’elle n’a pas pris au sérieux de telles remarques sur ses propres maux ; les maux qui lui étaient et qui lui restent internes, et dont elle ne pourra se défaire qu’en les affrontant sans faux-fuyant. Mveng ( 1985 : 213) proposait de « rendre à l’homme africain sa dignité, son identité, et sa présence au monde ». Je souscris à ce remède, mais je récuse cette passivité qu’il sous-tend. Au lieu de lui rendre tout cela, les Africains doivent se rendre eux-mêmes leur dignité, leur identité et s’assurer de leur présence au monde. Ce ‘se’ de réflexivité est très important, parce qu’il implique l’activité d’un sujet actif. La personne humaine africaine réalise que personne d’autre ne le fera à sa place ; personne ne lui rendra sa dignité et son identité, tout simplement parce que de telles qualités supposent la volonté d’être et la projection en ce qu’on veut être. Ainsi, la première maladie dont souffre l’Africain c’est de ne pas s’assumer et de chercher toujours la responsabilité ailleurs. Pour prendre un exemple extrême, il serait hautement préférable, de voir de gens qui se battent et assument leur combat—parce qu’alors on espère qu’ils se battent pour un idéal—plutôt que ceux qui se battent et ensuite jettent le tort aux entreprises qui fabriquent les armes. La face cachée d’une telle posture, comme on l’entend malheureusement si souvent dans les discours officiels, est l’enfantillage éternel de l’Africain qui ne peut pas choisir pour lui-même.

 

Les cas du Rwanda et du Burundi, pour ne citer que ceux-ci, ont malheureusement démontré qu’on n’a pas besoin de chars et drones pour commettre l’inouï et l’irréparable. Par conséquent, nous assumer nous-mêmes et assumer notre histoire comme des sujets de cette histoire, malgré le fait que nous ne sommes que des héritiers parce que, parfois, elle s’est faite sans nous, nous insufflera une énergie nouvelle pour nous vouloir autrement afin de nous réaliser autres. Pouvoir s’imputer ses propres actes et actions est non seulement le chemin pour reconquérir son identité, mais aussi et encore sa dignité puisqu’il constitue également la croissance dans la responsabilité morale. Etre vrai avec soi est la condition sine qua non pour être honnête avec autrui.

 

Nous disions ci-dessus que c’est sur le problème anthropologique que se situe la conception du politique. Partant de cette suggestion anthropologique d’un sujet s’assumant et assumant sa propre histoire comme chemin vers la reconquête de sa dignité et la construction de son identité, la responsabilité du mal africain devient partagé entre les leaders africains et leurs peuples, et la solution aussi doit venir des deux. On n’a pas besoin de pousser jusqu’au cynisme pour dire que les peuples ont des dirigeants qu’ils méritent, mais on doit reconnaître que le comportement des dirigeants africains trouvent une certaine tolérance de la part de leurs peuples. Certes il y a la peur de mourir, surtout quand on sait que les tenants du pouvoir peuvent recourir à tous les moyens pour le conserver. Toutefois, comme disait Hegel, « l’esclave est celui qui a accepté de vivre à tout prix ». Les puissances coloniales non plus n’étaient pas moins armées et elles commirent beaucoup de crimes contre l’humanité et même de génocide envers tous les groupes qui résistaient leur oppression. Mais le sang versé par ces « freedom fighters » nous valut l’indépendance politique et aujourd’hui ces anciennes puissances se retrouvent devant le tribunal moral de l’histoire en train de répondre à ces actes[5].

 

Aujourd’hui aussi, en se levant contre l’oppression exercée par les leaders actuels, il y aura certes des morts, mais ils finiront par lâcher grâce à cette pression morale. Comme disait Martin Luther King Jr., « nous savons à travers une expérience douloureuse que la liberté n’est jamais donnée volontairement par l’oppresseur; elle doit être demandée par l’oppressé » (1986 : 292). C’est donc aux peuples africains de réclamer leur totale liberté de la part de qui que ce soit qui la détiendrait illégitimement, soit-il Africain ou non-Africain. Pour cela il faut un sujet qui prend sur soi sa propre destinée.

 

Aussi le problème n’est-il pas celui que Taiwo identifie. Pour lui, tout discours de modernité repose sur le règne du droit qui implique deux présuppositions : premièrement, la capacité de choisir pour soi sa conception d’une vie bonne et le droit de la poursuivre, aussi longtemps que cela n’empiète pas sur le droit des autres ; deuxièmement, l’interdiction d’imposer une vision du bien comme supérieure à toutes les autres. Pour Taiwo, « ceux-ci sont les éléments fondamentaux du discours politique de la modernité qui ont échoué à s’enraciner en Afrique » (Taiwo 2010 : 157), et il se propose à les utiliser pour analyser et critiquer la situation politico-légale de l’Afrique. Taiwo ici oublie que le discours politique moderne développé en Occident  s’enracine dans une réalité socio-historique particulière à l’Occident. Comme il s’inscrit dans la logique hégélienne de la modernité qui commence avec le principe de la subjectivité, il devrait aussi souligner que, pour Hegel, un des moments forts de l’émergence de cette modernité est la Réforme (Habermas, 1990), laquelle réforme rappelle les guerres des religions du dix-septième siècle qui prirent fin avec la convention de Westphalie en 1648. Ainsi, depuis ce temps, le discours politique moderne en Occident est hanté par la construction d’une morale politique qui permet l’expression plurielle et pluraliste de conceptions de vie. Après le Léviathan de Thomas Hobbes, John Locke donna le ton avec sa Lettre concernant la tolérance à une interrogation qui allait trouver sa radicale formulation en John Rawls dans ce qu’il appelle « the fact of pluralism » (Rawls, 2005)[6].

 

Ainsi, juger les institutions politiques africaines par ces standards de modernité occidentale, c’est obliger l’Afrique à s’aliéner davantage, puisque la conception du politique viable pour l’Afrique devra prendre en compte son histoire particulière ainsi que ses conditions culturelles et sociales. En outre, sauf depuis ces dernières années, les guerres de religion n’étaient pas très communes en Afrique, pour caractériser l’Afrique post-indépendante. Par contre, suite à la paupérisation qu’on a déjà identifiée et non à cause de l’incarnation des idéaux occidentaux, la loi n’a pas encore atteint l’abstraction nécessaire qu’elle requiert pour obliger et protéger tous, indépendamment de toute autre affinité à part celle d’être sujet de droit. La majesté de la loi n’a pas encore marqué la moralité politique pour obliger chacun à s’incliner en sa présence. Au contraire, les dirigeants plient le droit à leurs intérêts et ceux des leurs. En d’autres termes, le délabrement politique de l’Afrique n’est pas dû à l’absence de lois, mais plutôt à leur manipulation, si bien que Migai Akech (2011) propose de créer des lois qui limitent au lieu d’autoriser le gouvernement à s’en servir n’importe quand et pour n’importe quel motif. Hyden (2006 : 111) fait la même remarque quand il considère les amendements constitutionnels qui furent un outil utile aux potentats du pouvoir pour s’y maintenir. Pour limiter un tel tripotage constitutionnel et aboutir à l’abstraction de la loi pour le bien de tous, vu que les Etats de l’Afrique postindépendance sont pluriethniques parce qu’ayant hérité des frontières qui subdivisaient différentes nations entre différents Etats, la loi doit être la source et la garante de droits pour tous. Elle doit s’appuyer sur le respect de l’homme dans sa singularité et l’assurer dans sa socialité. En tenant tous, étrangers comme nationaux, à la même distance, à la distance même qu’impose le respect, elle saura créer une communauté plurielle et pluraliste, pourtant stable. Pour que cela advienne, ce sont les sujets de droit eux-mêmes qui doivent lutter et bâtir une telle communauté. Mais, est-ce possible et y a-t-il raison d’espérer ?

4.       Que conclure ? Lueur à l’horizon 

 

Au début de cet article, nous nous posions la question de savoir si, cinquante ans après l’indépendance de l’Afrique, il lui reste une piste pour aller de l’avant. En effet, à voir les différentes expériences essayées et les résultats recueillis, il y a lieu de désespérer de l’Afrique, comme l’Economist Magizine qui, il y a dix ans, sortait un numéro intitulé « the hopeless continent » (continent sans espoir). Mais nous venons de voir qu’il y a moyen de reconstruire une autre base anthropologique pour une autre conception politique qui, nous l’espérons, aboutirait à une autre pratique de la politique. A-t-on raison d’y croire ?

 

La première chose à souligner comme positive, c’est l’indépendance politique elle-même, si limitée soit-elle. Lors des récentes commémorations du cinquantenaire des différents pays, c’était émouvant d’écouter les récits de ceux et celles qui assistèrent au remplacement des drapeaux coloniaux par les drapeaux nationaux. Ils vibraient d’une fierté retrouvée et ils étaient remplis d’un espoir d’un lendemain meilleur. Certains pleuraient, certes, leurs camarades tués ou abusés lors de lutte pour l’indépendance, mais ils honoraient leur mémoire avec gratitude, dans la promesse que leur sang ne serait pas versé inutilement. Que leurs espoirs furent déçus –quelque fois eux-mêmes n’ayant pas été à mesure d’honorer leur promesse—est une chose. Mais cela ne devrait pas obnubiler la grandeur de ce moment important dans l’histoire d’Afrique. En effet, si aujourd’hui nous pouvons retourner en arrière et examiner ce que furent les fruits de ces derniers cinquante ans, c’est parce que nous reconnaissons qu’ils n’étaient pas comme les autres. Même les divers échecs souvent mentionnés n’étaient possibles que parce qu’il eut ce moment fort que Jalata appelle « flag independance ». C’est à cette présupposition que nous pouvons même suggérer d’oser nous imputer nos fautes et nos inactions, parce que justement l’avoir accompli nous donne la confiance que nous pouvons lui donner la substance en construisant de nouvelles institutions politiques et en transformant nos conditions socio-économiques.

 

Une autre conséquence découlant de l’indépendance politique de l’Afrique est la force des peuples Africains. Pourtant non encore beaucoup instruits à l’école moderne, ils surent joindre la cause de ceux qui défendaient leurs intérêts au prix de grands sacrifices. Ils manifestèrent le même engouement lors des consultations populaires en vue de rédiger de nouvelles constitutions dans les années 90. Hyden (2006: 110) note que la commission ougandaise en charge de recueillir les opinions de différentes communautés ne reçut pas moins de 25. 547 documents. Et il conclut, « il y a quelque évidence, par conséquent, que la notion de la souveraineté populaire commence à voir quelque signification pour les gens » (Hyden 2006 : 110). Il faut juste corriger que ce n’est pas maintenant que la souveraineté populaire signifie quelque chose pour les peuples Africains. Chaque fois que les peuples Africains ont eu l’opportunité d’exprimer leur opinion, ils l’ont toujours fait. Donc la question n’est pas là. Il s’agit plutôt de ne pas devoir attendre de « recevoir cette opportunité » mais plutôt de la chercher eux-mêmes et de se rassurer que leurs opinions soient prises en compte.

 

Ici intervient le rôle de la société civile. Il est vrai qu’elle aussi peut ne pas être complètement indemne des limites qui affligent les leaders africains, utilisant la société civile comme moyen pour se promouvoir et promouvoir sa communauté et/ou sa famille, si bien que Hyden(2006 : 157) a raison d’observer que « beaucoup des caractéristiques qui sont identifiés avec le syndrome du Big Man en politique peuvent aussi être trouvés dans la vie associative à l’extérieur du gouvernement ». Toutefois, de récentes expériences du rôle de la société civile dans l’édification de l’Etat de droit donnent plutôt un grain d’espoir qu’aujourd’hui les leaders africains peuvent rencontrer une résistance quand ils veulent passer des lois taillées à la mesure de leurs intérêts. En guise d’exemples, les activistes Kenyans sont à l’origine des différents rapports sur les violences post-électorales qui aboutirent à l’incrimination de certaines hautes personnalités politiques dont l’actuel président et son vice-président devant la Cour Pénale Internationale. Et au risque d’être jetés en prison[7], ils sont en train d’opposer farouchement les nouveaux députés fraichement élus dont la première loi qu’ils veulent passer est celle d’augmenter leurs salaires, alors qu’ils sont déjà les mieux payés au monde. Un autre cas est celui du Burundi où les journalistes et certains membres de la société civile sont engagés dans un bras de fer avec le gouvernement qui vient de promulguer une loi qu’ils jugent liberticide. Même si le président l’a signée malgré les pétitions et les appels des différents acteurs, le parti présidentiel s’est retrouvé dans l’obligation d’expliquer aux Barundi et la communauté internationale du bien-fondé d’une telle loi.  Le fait que le pouvoir doive s’expliquer à cause de la pression civile sur une loi passée en bonne et due forme, est un progrès vers «l’accountability » en politique africaine.

 

L’autre élément qui peut inspirer l’espoir c’est le tournant du droit international. En effet, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, mais surtout après le génocide Rwandais de 1994, la conception de la souveraineté nationale a fondamentalement changé. Avec l’essor des droits de l’homme dans le concert du droit international, un pays n’est plus attitré à faire tout ce qu’il veut à ses citoyens sous les yeux de la communauté internationale. Plutôt, la souveraineté nationale est liée à la responsabilité envers son peuple, et la communauté s’est engagée dans la responsabilité de protéger les civils quand ils sont menacés par leurs gouvernements respectifs. Il est vrai qu’une telle attitude n’est pas toujours soutenue par une certaine élite africaine, qui voit dans cette « responsabilité à protéger » une autre ruse pour agrandir l’impérialisme Occidental sous le manteau de l’intervention humanitaire (Mamdani 2009). La manipulation de ce principe pour se défaire de vieux ennemis, est à craindre comme dans les cas de Kadhafi et Laurent Bagbo. Cependant, l’impact du mouvement des droits humains initié dès les années 50 ne peut plus être complètement ignoré. Alors qu’avec le courant démocratique, la rédaction des constitutions se contentait de consigner ces principes dans les instruments légaux, afin de satisfaire les bailleurs de fonds, aujourd’hui les activistes les utilisent pour réclamer leurs droits, prouvant la théorie de Hauke Brunkhorst (2013) que chaque révolution légale commence avec les tenants du pouvoir qui veulent se maintenir grâce à des lois qui les protègent, lesquelles lois finissent par être utilisées par les opprimés pour s’émanciper.

 

Il y a aussi des expériences récentes qui inspirent la confiance dans la possibilité d’une autre Afrique. Parmi celles-ci, Hoekema (2013) mentionne l’expérience de l’Afrique du Sud qui est parvenue à se bâtir des institutions viables après l’horrible expérience de l’apartheid, le Ghana qui semble être stable démocratiquement malgré son pluralisme ethnique, ainsi que la récente expérience kenyane qui a abouti à l’adoption d’une constitution qui a permis la tenue de récentes élections comme des points encourageants dans le sens de prendre en compte les réalités socio-historiques pour rédiger nos lois et asseoir nos institutions politiques. D’autres pays comme le Benin, la Zambie et le Sénégal peuvent aussi être ajoutés à cette liste. Pour dire que le mal africain, même s’il est profond, il n’est pas incurable.

 

Par-delà toutes ces expériences, il y a espoir aussi longtemps qu’il y a un lendemain. Le futur comme temps vide et creux, le-pas-encore du n’est-plus dans le-déjà-là est le futur toujours plein de promesses. Hannah Arendt (1998 : 237) l’appelle « l’océan de l’incertitude chaotique » qui limite la prédictibilité de nos actions, en ouvrant toutefois un large horizon de possibilité. Cet horizon des possibilités est ouvert par notre pouvoir de pardonner qui nous sauve alors de la tétanisation engendrée par l’irréversibilité de nos actions, liée à notre condition humaine. Selon Arendt, « la possible rédemption de la situation difficile de l’irréversibilité—d’être incapable de défaire ce qu’on a fait quoiqu’on ne sût pas, et ne pouvait savoir, n’a pas su ce que l’on faisait—c’est la faculté de pardonner » Arendt (1998 : 237). Cette fenêtre d’espoir offre deux avantages.

 

Le premier est de resituer le discours évaluatif de l’Afrique dans cette perspective de la condition humaine, où non seulement l’on assume ce qui a été fait parce que c’est irréversible, mais encore on ose penser à l’humanité même de ceux qui ne purent élever l’Afrique à ses espoirs. Eux-mêmes étant humains, ils ne pouvaient prédire toutes les conséquences de leurs actions et les effets que nous subissons aujourd’hui.

 

Le deuxième –qui est le plus important—est de libérer notre propre énergie dans la prudence et l’humilité. La prudence dans la mesure où nous devrons prendre en compte des expériences passées ; et l’humilité dans le fait que nous devrons savoir que, même si vivre à la hauteur des attentes de notre génération est ce qui nous est demandé, c’est juste une génération et non la consommation de l’Histoire.

 

Ainsi, notre contribution sera une pierre posée sur celle déjà en place, en attente des autres qui viendront après-nous. Aussi le futur devient-il le temps et l’espace des possibilités : possibilité de pardonner nos aïeux, nous pardonner nous-mêmes de nos échecs, et nous engager pour plus de bien. Dans ce sens, à la question que nous posions à ce qui reste à l’Afrique, la réponse est que tout lui reste à faire parce que le meilleur est dans le futur comme horizon des possibilités. Comme disait Heidegger, au-delà du fait est la possibilité. Ainsi le futur offre-t-il à l’Afrique cette possibilité de se vouloir et se réaliser autre, ainsi s’élever au-delà du « hopeless continent » pour être un continent plein de promesses et d’espoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1]Mudimbe propose une différente lecture, trouvant que l’entreprise missionnaire du Christianisme est intrinsèquement liée à la colonisation de l’Afrique. Pour lui, « plus on étudie avec attention l’histoire des missions en Afrique, plus il devient difficile de ne pas l’identifier avec la propagande culturelle, les motivations patriotiques et les intérêts économiques, puisque le programme des missions est en effet plus complexe que la simple transmission de la foi chrétienne »(1988: 45. La traduction est nôtre, comme toutes celles qui vont suivre). Il est intéressant de voir que si les deux auteurs diffèrent sur le rôle joué par le christianisme en Afrique, ce n’est pas simplement parce qu’ils considèrent des périodes différentes, et ont peut-être une différente compréhension de la modernité, surtout quand elle est appliquée à l’Afrique. C’est plutôt parce qu’ils considèrent également différents documents, et conséquemment différentes œuvres missionnaires. Mudimbe est focalisé sur les missions catholiques, alors que Taiwo met l’accent sur les missions anglicanes venant d’Angleterre. Dans ce sens, tous les deux ont raison en même temps qu’ils ont tort. Ils ont raison dans leur évaluation respective de l’influence chrétienne sur la culture africaine et ses liens avec le projet colonial.

 

Ils ont cependant tort de ne pas remarquer que l’évangélisation de l’Afrique avait plusieurs

facettes dues à ses diverses origines, de telle sorte qu’on ne saurait la subsumer sous un

seul modèle et/ou l’astreindre à un seul rôle.

[2]Selon François Bayart, le courant démocratique n’était que le fruit de « la résurgence de vieilles attentes et des mouvements sociaux qui étaient toujours en veilleuse » :

 

Contrairement à l’opinion largement répandue, la vague de l’agitation pro-démocratique de 1989-91 était causée moins par la chute du mur de Berlin ou du discours de François Mitterrand au sommet Franco-Africain à la Baule en juin 1990 ou par la pression des donneurs d’aide, que la résurgence de vieilles attentes et mouvements sociaux depuis longtemps en veilleuse, capables de s’affirmer eux-mêmes une fois de plus aussitôt que les organisations internationales modéraient leur soutien aux régimes autoritaires (Bayart 2000: 224).

L’impact de ces changements dans le contexte international sur le courant démocratique des années 90 est remarquable.

 

[3]Pour John Locke les Etats sont toujours en état de nature les uns envers les autres. Répondant à l’objection que l’état de nature n’existe pas historiquement, il dit : « …tous les princes et gouvernants des gouvernements indépendants à travers le monde entier sont en état de nature… » (Locke 2002 : 7).

 

[4]Things Fall Apart de Chinua Achebe et L’Aventure Ambiguë d’Amidou Kane semblent décrire la réalité qui nous occupe ici.

 

[5]Pour ne citer qu’un cas récent, la Grande Bretagne vient d’indemniser les anciens combattants Mau Mau du Kenya pour les atrocités leur infligées pendant la période des indépendances.

 

[6]C’est ce fait du pluralisme qui poussa Rawls à passer de sa théorie de justice comme une théorie politique en général à un libéralisme politique, synonyme d’un passage d’une épistémologie à une philosophie politique indépendante de tout soubassement métaphysique (voir Rawls, 1999 : 389-414 ; 2005 : 62).

 

[7]Il y a deux récentes actions menées contre la nouvelle assemblée. La première fois qu’ils vinrent manifester devant le parlement kenyan, ces activistes amenèrent des porcs morts pour symboliser la gourmandise des députés ; et la deuxième fois, ils versèrent du sang devant l’entrée du parlement pour signifier que les députés n’hésitaient pas à sucer le sang du pauvre paysan Kenyan qui les paie par ses taxes.

 

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