QUELLE ETHIQUE POUR QUELLE FAMILLE AUJOURD’HUI?

Abstract: 

This editorial outlines specific questions about the concept “family” as a foundation for life. It points to ethical signals that guide the reader’s move throughout the articles on family issues. Indeed, despite the current life mutations and complexities of today’s society, the ideal family consists of a father, a mother and their children. This family is to be seen as the locus of life birth, its protection and the education to life as well. As a result, the moral value of marriage and the responsibility of “becoming human” should be the leading ethical principles that make the family stable in its development of education for life as a key role in society. This editorial ends up with a panoramic view on various contributions to this issue of family within ethical framework.      

Le thème du volume 10 est « La famille ». C’est le volume du dixième anniversaire de Revue Ethique et Société. La famille dont il est question, c’est, évidemment, la famille humaine en tant qu’elle implique l’homme, la femme et leurs descendances d’une part, et d’autre part, en tant que lieu d’engendrement, de protection et d’éducation. Cet éditorial souligne certaines questions posées sur la famille aujourd’hui et propose deux principes éthiques comme repères pour éclairer le cadre dans lequel les articles du présent numéro peuvent être lus.

  1. Des questions posées sur la famille

Comme nous le disions dans l’appel des contributions à ce volume, nos sociétés se modernisent et passent ainsi de l’état simple à l’état complexe. Dans ce processus, de nombreuses questions sont beaucoup plus posées que répondues. Que devient la famille face à la mobilité du travail ? Que devient la famille face à une nouvelle compréhension du mariage et de la sexualité? Que devient la famille face à la question du genre et les choix individuels qui sont à l’ordre du jour dans les politiques de nos pays? Que devient la famille face à l’éducation qui est de plus en plus privatisée ? Que devient la famille face aux valeurs qui sont de plus en plus matérialisées ? Que devient la famille face à la mondialisation et aux nouvelles technologies de l’information ? Que devient la famille dans ce contexte les relations se concluent sur www.jetaime.com, donc, en ligne ? Que devient la famille dans le contexte des mutations profondes qui sont à l’œuvre dans nos sociétés aujourd’hui?

Faudrait-il revisiter le contexte traditionnel de la famille ? Le contexte traditionnel a-t-il quelque chose à nous apprendre ? Faudrait-il embrasser la modernité ? Le contexte de la modernité a-t-elle quelque chose à nous offrir en substance? La famille n’est-elle pas une réalité appelée à disparaitre ? Pouvons-nous la sauver s’il s’avérait qu’elle est en train de disparaître? Pourquoi la sauver? Est-il nécessaire de la sauver ? Par quel(s) moyen(s) pourrions-nous la sauver? Pouvons-nous encore parler du mariage comme fondement de la famille? Pouvons-nous encore parler du partage des rôles des membres d’un couple dans l’éducation des enfants ? L’affection est-elle encore un limon de la famille dans ce contexte de mobilité et de la technologie de l’information? Pouvons-nous encore parler de la procréation comme un devoir primordial des mariés ?

 

Toutes ces nombreuses questions semblent converger vers deux questions majeures, à savoir celle de la redéfinition de la famille d’une part, et celle de l’éthique de la famille d’autre part. Faut-il redéfinir la famille, ce concept simple devenu complexe dans le contexte d’aujourd’hui? Quelle éthique pour la famille toujours en devenir? Plus précisément, pouvons-nous parler d’une éthique de la famille aujourd’hui ? Quels sont ou quels seraient ses principes?

Nous sommes devant un questionnement qui n’est pas facile à cerner. La société étant devenue complexe aujourd’hui, la famille est aussi devenue plus complexe. La société humaine n’est pas statique. La famille, une réalité sociale très liée à la société, n’est pas statique non plus. Elle suit le mouvement de la société dont elle est la structure de base: elle est donc appelée à être dynamique. Mais qu’est-ce qui reste de permanent dans la famille toujours en devenir.

 

En posant la question « que devient la famille ? », nous sommes ramenés à ce principe philosophique: ce qui devient doit être d’abord. Cependant cela ne veut pas dire que nous souscrivons au principe héraclitéen selon lequel « tout coule, rien n’est permanent ». Nous n’en restons pas non plus au principe parménidien selon lequel « l’être est, le non-être n’est pas ». Au contraire, nous réconcilions les deux en soutenant que l’être et le devenir sont deux aspects de la même réalité sans sombrer dans l’« idéelisme platonicien ». Dans la perspective de ce dernier courant, l’être de la famille devient constamment au risque de disparaître dans la solidarité étatiste. En effet, l’histoireconnu des types de socialisme réticent à la famille. C’est le cas du nazisme  d’Hitler en Allemagne. Peu avant, Engels et Marx avaient justifié l’abolition de la famille en arguant qu’avant les régimes bourgeois, la société humaine était polygame ou polyandre. Mais c’était la famille quand même !

 

Dans son livre, Une société sans père ni mari, Cai Hua (1997) soutient que le mariage et la famille ne peuvent plus être considérés comme universels, ni logiquement ni historiquement ; et que sans mariage, une société peut se maintenir et fonctionner comme les autres (Hua 1997 :359-360). Nous pouvons soupçonner que Hua veut passer pour universel ce qui n’est qu’un cas marginal. En tout cas, le communisme marxiste chinois ne semble pas avoir emprunté la voie que suggère subtilement Hua ! D’ailleurs, le socialisme marxiste n’a plus de prise pour craindre l’abolition de la famille que justifiaient Engels et Marx. Cependant la réticence des socialistes vis-à-vis de la famille est de plus en plus réifiée par la société qui favorise la recrudescence des divorces et le concubinage motivée par la culture hédoniste qui veut démocratiser les relations sexuelles (voir la chronique européenne).  Cette démocratisation du sexe est suivie par des politiques qui favorisent les droits des enfants et des femmes sans les balancer avec les responsabilités en famille d’une part, et la tendance à universaliser des unions homosexuelles et l’homoparentalité (adoption des enfants par des couples homosexuels) d’autre part. Dans ce contexte, l’homme lui-même est déresponsabilisé et ir-responsabilisé d’autant plus qu’il perd sa place comme garant de la famille.

 

Pourtant, malgré cette réticence, l’histoire montre que nous cherchons à ériger la cité humaine à l’image de la famillecomme une communauté dont la densité ontologique consiste en des liens de parenté avec comme implication, l’obligation de solidarité morale entre les membres. C’est pour cela que l’Etat continue à sanctionner le mariage et la famille par des systèmes de lois qui doivent les régir. Cela suggère que la famille reste une réalité aussi longtemps que l’être humain est ce qui l’est : l’être social qui cherche à vivre et à bien vivre. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour répondre à cette question, nous proposons deux  principes éthiques comme repères pouvant donner à la famille un caractère de résilience.

 

  1. Deux principes éthiques comme repères

 

2.1.La valeur morale du mariage

 

Nous devons réaffirmer la valeur morale du mariage. Le mariage est la dimension essentielle de l’être humain comme être social. Dans le mariage deux personnes décident de vivre ensemble dans un lien de complémentarité. Dans certaines sociétés de philosophie individualiste, le mariage est un contrat entre deux individus qui décident de vivre ensemble, légalement dans la plupart des cas. Dans les sociétés communautaristes, le mariage n’engage pas seulement les deux individus, mais il engage aussi leurs familles respectives avec comme implication l’extension du réseau social et de sociabilité. Mais au-delà de ce bien qui est dans la complémentarité, le bien des époux, il y a la procréation qui fait que le mariage ne peut pas se réduire à la jouissance stérile et égoïste. Il s’agit ici d’un aspect important d’autant plus que la vie ne se termine pas avec les deux individus qui décident de vivre ensemble. La vie continue par leur progéniture sans laquelle il n’y aurait plus d’humains sur la terre. Dans cet ordre de choses, la famille suppose des parents et des enfants. Comme le dirait Serge Vallon (2006), le parent produit l’enfant et l’enfant produit le parent si bien qu’on est ensemble parce qu’on nait ensemble. La famille devient la matrice d’où sort non seulement chaque membre, mais aussi le lieu l’avenir de l’humanité est en jeu. Parce qu’ « on naît ensemble », la famille devient un lieu de la solidarité, de l’éducation et de l’humanisation. Voilà pourquoi, le mariage est une valeur à favoriser pour la famille. Ainsi, l’Eglise catholique a raison d’interpeller les Etats

 

à mettre en œuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l’intégrité de la famille fondé sur le mariage d’un homme et d’une femme, cellule première et véritable de la société […] dans le respect de sa nature relationnelle (Veritas in Caritate, 44).

 

Mais alors, quand nous parlons de mariage comme ce qui fonde la famille, voulons-nous dire que la famille monoparentale (selon qu’il s’agit d’une femme ou un homme avec un enfant ou des enfants) n’est pas une famille ? Voulons-nous dire qu’un enfant-parent avec des enfants n’est pas une famille ? Voulons-nous dire que des « couples » homosexuels et des enfants ne sont pas des familles? Voulons-nous dire que des couples avec des enfants adoptifs ne sont pas des familles? Ces questions montrent le caractère complexe du mariage et de la famille aujourd’hui. Cependant, il s’agit ici des exceptions qui ne peuvent pas s’imposer comme l’universel. Le particulier n’a de valeur que par rapport à l’universel. Le fait que la naissance de l’être humain suppose un homme et une femme devrait nous amener à voir dans le mariage une valeur morale qui alimente la famille dans son aspect universel. Dans tous les cas, le principe moral de la responsabilité se recommande comme incontournable.

 

2.2.La responsabilité dans le devenir de l’être humaine

 

Nous devons réaffirmer notre responsabilité dans le devenir de l’être humain. Le mot responsabilité est un mot double : Répondre et habilité (response-ability en anglais). Responsabilité c’est l’habilité à répondre. L’homme doit avoir l’habilité de répondre à sa femme, la femme doit avoir l’habilité de répondre à son mari, les parents doivent avoir l’habilité à répondre à leurs enfants, et les enfants doivent avoir l’habilité de répondre à leurs parents. La famille et chaque membre de la famille doit répondre au devoir d’être humain dans la société. Répondre c’est communiquer et la communication appelle le dialogue. On répond à une question posée. La vraie famille est le lieu de communication et de dialogue. La vraie communication et le vrai dialogue rendent plus humain; ils humanisent.

 

Serge Vallon (2006: 157-8) parle de trois responsabilités fonctionnelles de la famille à savoir: engendrer, protéger et éduquer, tout en les réduisant en une seule : transmettre. La responsabilité fonctionnelle principale de la famille est de transmettre la vie par l’engendrement, la protection et l’éducation. Même s’il est vrai que la vie peut subir des agressions en famille (abus, viol, violence domestique, inégalités, déni des droits, etc), la famille est le lieu idéal une nouvelle vie est engendrée, protégée et éduquée. C’est pour cela que les Etats disposent de codes de la famille. Ainsi donc, fondamentalement, la famille a l’habilité de répondre à la question de la vie.

 

Vallon a raison de poursuivre en rappelant que la transmission dont il est question ne consiste pas seulement à produire une vie identique, mais aussi et surtout transmettre la vie en tant qu’une question :

 

Il faut transmettre une question : par exemple, qu’est-ce qu’un adulte, un homme, un enfant, un parent, un ancien, ect. C’est transmettre un problème plus qu’une solution. Mais si le problème est mal posé ou croit être résolu, danger ! Les sujets seront mal préparés à la vie (Vallon 2006 : 158).

 

Notre humanité est aussi dans l’habilité à poser et répondre à la question de la vie, notre vie. Si la responsabilité fonctionnelle est mieux assumée dans la famille, l’aspect question de la vie  (qui va au-delà du biologique et du psychique pour embrasser ce qui nous différencie des autres vivants) concerne les autres formes de famille. Les familles dites déstructurées comme les familles monoparentales, les familles adoptives et les familles homoparentales qui s’imposent de facto doivent assumer la responsabilité de transmettre la vie comme question. Ce sont les questions sur la vie (la vie issue de « bien vivre ») que nous nous posons comme humains qui nous rendent plus humains même quand nous ne trouvons pas de réponse.

 

C’est dans ce cadre que les articles de ce numéro doivent être lus.

 

 

 

 

  1. Aperçu du contenu de ce numéro

 

Dans « Le droit de la famille entre tradition et modernité », Joséphine Bitota soutient que la grande difficulté à laquelle sont confrontés les pays africains est la recherche de l’adéquation entre le droit moderne et les coutumes qui régissent des multiples tribus au quotidien. Bitota se concentre sur la question particulière de la dot et souligne que sa suppression, sa consécration ou sa tolérance reflètent effectivement le parallélisme entre le droit moderne hérité de la colonisation et la coutume à laquelle recourt la population pour régler les questions du mariage et de la famille. La question reste de savoir comment réconcilier les deux perspectives d’une manière qui respecte les valeurs culturelles africaines tout en profitant des valeurs de la modernité. Pour répondre à cette question, il faut casser l’os de la tradition et celui de la modernité pour y retirer la moelle des valeurs qui éclairent le mariage et la famille comme lieux la vie est transmise.

 

Dans « Eglise et Sida en Afrique du Sud », Philippe Denis revient sur l’engagement de l’Eglise dans lutte contre le SIDA. Denis soutient que l’Eglise est une famille qui est présente aux victimes du SIDA comme « un réseau de sens pour donner le sens ». C’est la voie de la prévention. Cependant, la question de savoir si le christianisme est un obstacle ou un atout pour la lutte contre le SIDA reste posée. Tandis que l’Eglise prêche l’abstinence et la fidélité pour réduire le risque d’infection, ce même message accroît le sentiment de la honte pour ceux et celles qui ne peuvent pas se soumettre à une telle discipline et, partant, produit des effets contraire. Si l’abstinence et la fidélité n’ont de finalité que le mariage modelé à l’union du Christ à son Eglise -famille, la honte et le risque d’infection ne peuvent pas être défiés sans prendre au sérieux la valeur de notre responsabilité pour l’avenir de l’être humain.

 

Dans «La famille dans les instruments régionaux des droits de l’homme», Fidèle Ingiyimbere rappelle que les droits de l’homme ont marqué l’histoiredepuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale. Ingiyimbere relit les principaux instruments légaux internationaux des droits humains et essaye de répondre à trois questions majeures: Quelle famille est concernée par le discours des droits humains ? Les droits humains définissent-ils ce qu’est la famille ? Y a-t-il des droits de l’homme attribués à la famille ? Il conclue que tous les instruments des droits humains partagent une même compréhension de la famille bien qu’ils ne s’accordent pas sur le fait qu’elle est une institution fondamentale et naturelle. Or il faut affirmer le caractère fondamental et naturel de la famille comme base même de sa responsabilité morale dans la société : celle d’engendrer, de protéger et d’éduquer en vue de transmettre la vie dans le sens global du terme.

 

Dans « Anthropologie de la famille africaine: le cas de la famille « Akebu » du Togo », Benjamin Kokou Akotia décrit les mécanismes du fonctionnement de la famille africaine en partant du cas de la famille Akebu, une tribu du Togo en Afrique de l’Ouest. En revisitant la pratique de la dot, du culte des ancêtres et de la sorcellerie dans la dynamique de la famille africaine, Akotia voit l’organisation familiale de l’ancêtre aux enfants par le mariage le socle même de l’identité africaine. Cependant cette famille subit des mutations profondes issues de la mondialisation qui tend à produire des individus absolus. La conséquence en est l’éclatement du mariage et le fait que la famille perd sa densité ontologique. La suggestion est qu’il est urgent de repenser la famille africaine comme lieu de vie en réconciliant les valeurs traditionnelles et modernes avec un regard sur la question de la responsabilité de ses membres.

 

Dans la Chronique européenne, Ignace Berten pose la question “Où va la famille ?” en jetant un regard sur la situation de la famille et ses défis en Europe Occidentale. Il souligne que, suite à l’autorité du Christianisme qui s’effrite en Europe, le modèle de famille que propose l’Eglise cesse de plus en plus d’être la norme. Sur base de son expérience et la réflexion théologique qui l’inspire, Berten propose une piste d’éthique théologique qui fait écho du risque évangélique pris par le Pape en proposant un synode sur la famille si bien que même l’Etat doit le prendre au sérieux. Il réconcilie l’hier et l’aujourd’hui en suggérant que la famille traditionnelle est un idéal à valoriser sans ignorer ou négliger les nouvelles formes d’union qui s’imposent de fait. Ces dernières doivent être confrontées sur base de la responsabilité humaine d’engendrer, de protéger, d’éduquer, bref de transmettre la question de la vie.

Référence Bibliographique: 

Benedict XVI (Pope) 2009. Caritas in Veritate. Vatican : Libreria Editrice
Vaticana
Hua, C 1997. Une société sans père ni mari: Les Na de Chine. Paris : PUF
Vallon, S 2006. Qu’est-ce qu’une famille ? Fonctions et représentations
familiales. Vie sociale et traitements, 89 : 154-161.

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