Greg Mills (2010). Why Africa is poor and what Africans can do about it? Johannesburg: Penguin Books, 418 + xviii pages

Comme le titre l’indique, Mills essaie de répondre à une double question. Pourquoi l’Afrique est pauvre ? Que peuvent faire les Africains pour sortir de la pauvreté ? La réponse à la première question, qui est, par ailleurs, le point d’ancrage de l’ouvrage, est que les Africains sont pauvres parce que leurs leaders en ont fait le choix (p.1). Mills analyse plusieurs cas  à travers le monde et conclue que les pays qui connaissent une croissance économique soutenue et qui se développent rapidement sont ceux-là dont les leaders ont pris des décisions pour l’intérêt national. De ce point de vue l’œuvre de Mills converge avec certaines autres œuvres sur le développement économique de l’Afrique comme The trouble with Africa de Calderisi, The architects of poverty de Mbeki, et même Dead aid de Moyo. La deuxième question peut se poser autrement : quels choix les leaders Africains peuvent opérer pour un changement positif (p. 15) ? Pour Mills, il suffit de mettre en place des politiques économiques qui favorisent la croissance économique, du fait qu’elles stimulent l’investissement. Cette solution est aussi familière surtout pour ceux qui connaissent la littérature du consensus post-Washington dont la particularité est d’avoir récupéré l’Etat en décadence (surtout en Afrique) pour la mise en place des politiques économiques crédibles en vue de réduire la pauvreté.

 

Ces deux thèses sont élaborées dans six chapitres suivis d’une conclusion générale. Le premier  chapitre analyse les facteurs de la mondialisation économique : Comment celle-ci fonctionne-t-elle globalement ? Quels choix de politiques économiques locales elle requiert-elle ? Pour Mills, les Etats qui sont pauvres le sont parce qu’ils n’ont pas su tirer l’avantage de la mondialisation économique dont les règles de jeu se basent sur la trilogie : innover, produire, échanger (trade) (p.54). La première règle rappelle que l’économie d’aujourd’hui est une économie de connaissance. Pour insister sur ce point, Mills donne l’exemple de l’Inde, un pays économiquement émergent qui, en 2000, a produit 2,5 millions de diplômés dont 350 000 ingénieurs (pp. 57-58). En donnant ces chiffres, Mills nous amène à une réalité qui a été plutôt idéologisée : que la démographie est un facteur de changement comme les échanges (trade) sont un facteur de croissance économique

 

Le deuxième chapitre est une analyse des cas de pays (Singapore, Vietman, El Salvador, Costa Rica, Colombia, Maroc, Kazakhstan, Azerbaïdjan, etc) qui ont économiquement réussi en s’intégrant dans une économie mondialisée ainsi que le rôle déterminant joué par leurs leaders respectifs. Mills note que chaque pays a une formule différente de croissance économique. Pour lui, de l’Amérique Latine, l’Afrique doit apprendre deux choses à savoir : trois piliers de la croissance économique     (investissement, productivité, et exportation) ainsi que la sécurité de biens et des citoyens. Pour y parvenir il faut des institutions responsables et compétentes (p.98). De l’Asie, l’Afrique doit apprendre l’investissent dans une main d’œuvre éduquée et en bonne santé, l’infrastructure, la bonne gouvernance, et l’accès au marché mondial. D’emblée il faut noter une chose, Mills évite de poser la démocratie comme condition du développement économique  pour insister sur le fait qu’il faut «accepter la différence» (p.94).  Ainsi, pour lui, ce qui compte plus c’est la qualité et le courage du leadership, un leadership qui « a des objectifs clairs, honnête pour dire à ses citoyens ce qu’il va faire, même si ses décisions paraissent impopulaires à la première vue » (p. 97, voir aussi p. 32).

 

Le troisième chapitre se focalise sur l’Afrique et ses données économiques avec comme référence le Rwanda (dont il a été consultant en 2008 au côté de Tony Blair et son équipe ainsi que International Financial Corporation entre autres) comme un pays qui essaye d’imiter le modèle Singapourien et le leadership de Lee Kuan Yew. Mills pose une question que je trouve pertinente. Est-ce que le leadership africain peut se consacrer au bien être populaire qu’on retrouve chez la plupart des leaders asiatiques ? En d’autres termes, est-ce que le leadership Africain peut investir là où les expatriés ne veulent pas investir? C’est ici qu’il prend au sérieux la dimension culturelle du développement que les experts en économie institutionnelle ont tendance à négliger (p. 179ff). Or c’est justement la culture et les valeurs culturelles qui sont la radicelle même du miracle asiatique. Il note que même certaines idées occidentales de la modernité sont acceptées en premier lieu parce qu’elles sont d’abord perçues comme « indigènes ». Ainsi la modernisation asiatique n’est pas guidée par des emprunts culturels de l’Occident mais par la capacité de son peuple de transformer ces emprunts pour une modernisation à la manière asiatique. Ainsi la conclusion de Mills est la suivante : « Si l’Afrique doit apprendre de l’expérience des autres pays, il devra le faire d’une manière propre aux Africains et conçue par les Africains eux-mêmes » (p.131). Il ne s’agit pas d’imiter contrairement à ce que suggèrent Reinert et Mbeki dont les œuvres ont été recensées dans Ethique et Société.

 

Dans le quatrième chapitre, Mills se concentre sur la question de pourquoi les leaders africains ont fait de mauvais choix économiques. Il montre que cela est dû à l’incapacité de dépasser l’identité et la personnalité du leadership pour développer un consensus sur les politiques nationales en galvanisant les différentes identités et diversités (p.208). Il en profite pour faire éloge à Nyerere et Kaunda comme des politiciens intègres qui ont dépassé leurs intérêts propres dans leurs projets et politiques économiques (p.173ff). Cependant cela ne veut pas dire que ces deux leaders ont suivi des politiques économiques appropriées et crédibles capables de donner naissance au développement économique. Seulement il veut montrer que le grand problème des économies africaines est politique. Souvent les leaders africains font des mauvais choix de politiques économiques parce que les meilleurs choix qui visent l’intérêt public ne sont pas pour la plupart des cas dans leur intérêt personnel et/ou financier (p.243). Cela caractérise les systèmes politiques immatures (p.245ff). Mills élimine certaines  raisons souvent données pour expliquer la pauvreté de l’Afrique entre autres, l’accès au marché international, la fainéantise, la culture, la géographie, le climat, absence du secteur privé, influences extérieures, etc.

 

Le chapitre 5 analyse le rôle joué par les puissances étrangères en particulier l’aide que l’auteur considère comme une récompense aux échecs et crée les conditions de les promouvoir. Selon Mills, l’aide donne à l’Afrique une raison de plus pour externaliser  ses problèmes au lieu de les résoudre (p.251). Or la capacité de les résoudre dépendrait d’une détermination et d’un nationalisme à l’Asiatique. Pour le montrer, Mills cite l’exemple du Vietnam où les bailleurs de fonds ont été informés qu’ils sont importants mais pas essentiels. Et par conséquent, le Vietnam ne se permettra jamais de se mettre en position de dépendance sur l’aide (p.262). L’exemple du Vietnam est une leçon sur l’indépendance et le caractère nationaliste que doit prendre l’économie. Au lieu de mettre en place des capacités locales et de décider de son destin pour un développement durable, les gouvernements africains ouvrent une grande porte aux ONG étrangères perpétuant ainsi une conviction qui s’étend sur plusieurs générations selon laquelle le salut du développement  viendra de l’extérieur (p.280). D’ailleurs les pays développés ne se sont pas développés à cause de l’aide.

 

Le chapitre 6 considère les efforts faits par la communauté internationale pour aider les Etats fragiles à sortir de leur fragilité et /ou de leurs conflits au-delà de la simple intervention humanitaire. Cependant Mills note qu’on ne peut pas imposer aux Africains ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire. En effet, argue-t-il, la stabilisation d’un état post-conflit nécessite une vision commune partagée entre l’autorité locale et les intervenants internationaux surtout pour trouver les moyens de la croissance et les opportunités économiques (p.312). Quant à l’édification de l’Etat comme tel, il s’agit d’un processus local, lent, de bas en haut sur base des coutumes et des intérêts locaux (p.324). Ces derniers doivent être respectés et encouragés par les experts internationaux du développement (p.328). La question est de savoir si c’est dans leur intérêt de faire ainsi. Mills ne semble s’y attarder comme il veut souligner fortement le rôle joué par le leadership dans l’appauvrissement de l’Afrique.   

 

Enfin, la conclusion souligne quelques aspects qui nécessitent des choix judicieux ou plutôt les meilleures politiques à choisir. En premier lieu, Mills suggère de ne pas faire le choix entre l’Etat et le marché dans le processus du développement économique. En effet, argue-t-il, un Etat fort et un secteur privé qui se défendent sont tous deux nécessaires et même inséparables. Plutôt, le défi de l’Afrique est, d’une part,  de trouver les moyens pour tirer profit des avantages comparatifs, et d’autre part d’améliorer la compétitivité. Les deux aspects de l’économie requièrent des institutions politiques fortes et responsables ainsi que des politiques économiques crédibles de la part du leadership (pp. 338-9). Mills épingle un certain nombre d’avantages qui, avec de bonnes politiques économiques, peuvent permettre à l’Afrique de tirer profit de l’économie mondiale. Ces avantages sont entre autres : la population croissante comme main d’œuvre, l’essor économique de la Chine et de l’Inde comme exemple stimulant, la collaboration entre les hommes d’affaires et le gouvernement pour bien accéder au marché mondial, et même la possibilité d’entrer en compétition avec la Chine et l’Inde. Un bon choix consisterait à maximiser ces avantages. Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir des institutions fortes pour bien gérer les ressources naturelles, des politiques économiques qui s’harmonisent avec le marché (investisseurs privés), le secteur du tourisme et l’agriculture. Ainsi, pour Mills, le défi économique de l’Afrique est un défi politique.

 

Que dire de l’œuvre de Mills? Voici un livre que je recommande surtout aux leaders Africains et leurs consultants en matière des politiques économiques. Et cela pour un certain nombre de raisons dont je mentionnerai trois. La première, c’est l’expérience personnelle de l’auteur comme ancien consultant dans la plupart des pays  dont il se sert comme cas illustratifs de son étude, mais aussi comme directeur du Brenthurst Foundation qui s’occupe de l’amélioration des performances économiques en Afrique. De ce point de vue, il écrit non pas de manière idéaliste mais expérimentale. Et le livre de Mills se résume comme suit : Dis moi quel leadership existe dans ton  pays, je te dirai son niveau de développement économique.

 

En deuxième lieu, il s’agit de l’invitation à la différence dans la conception et la pratique du développement économique. Contrairement à ceux qui suggèrent d’imiter, de copier, Mills recommande de prêter attention à la particularité culturelle, à l’originalité et à la capacité de synthèse. Plus précisément, il montre qu’il ne s’agit plus d’apprendre mais plutôt de penser et ainsi « trouver sa propre route vers le développement » (p.131).

 

En troisième lieu, Mills pose en fait une question convaincu que tout commence par la tête : Quel leadership pour l’Afrique ? En tentant de répondre à cette question, il refuse de politiser un problème déjà politique. En d’autres termes il est assez économique dans son approche au risque de tomber dans l’économisme. On le voit dans le fait qu’il parle trop de la croissance économique quantitative au lieu s’insister sur l’économie des capabilités dont Armatya Sen nous parle dans Developpement as Freedom et qui est devenue aussi une approche pour évaluer « le développement de tout homme et de tout l’homme ». Pour s’en convaincre, le Rapport Mondial sur l’Investissement de 2010 donne comme pays africains qui sont sur la voie de la croissance économique l’Angola, le Nigeria, le Soudan et même le Congo dont  les PIB/PNB dépendent des revenus du pétrole. Pourtant ces pays sont loin d’être développés.

 

Cependant, en parlant du rôle des puissances étrangères, il semble minimiser leur impact dans les efforts de développement des pays africains. Or des leaders audacieux et ambitieux ont été sauvagement assassinés ou affaiblis souvent pour mettre au pouvoir des marionnettes qui servent les intérêts divers de ces mêmes puissances. C’est bien sûr une question civique ici. Ces puissances passent par les citoyens de ces mêmes pays pour arriver à leurs objectifs. Si tel est le cas, le développement requiert toute une transformation spirituelle d’une nation jusqu’à ce que chaque citoyen puisse dire : « je suis prêt à mourir pour le bonheur de ma patrie plutôt que de la trahir », Je suis prêt à faire des sacrifices pour le développement économique de ma nation. De cet être qui précède l’avoir, le développement intégral en dépend. 

 

Symphorien Ntibagirirwa

Université de Pretoria

Afrique du Sud

   

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