VERITE SANS RECONCILIATION ? RECONCILIATION SANS VERITE ?!

Abstract: 

This editorial note tries to provide the framework within which different analyses and reflections of this edition will be better understood. It points out the ethical and political dimensions of this framework and highlights them as the two major aspects underpinning the issue of Truth and Reconciliation.

Ce titre qui pourrait paraître étonnant sinon décevant pour certains est un emprunt de Frederik Van Zyl Slabbert (2000) qui réfléchissait sur le processus de Vérité - Réconciliation en Afrique du Sud postapartheid.  En effet, avant d’écrire cet éditorial, je me suis proposé de lire un certain nombre de textes et d’œuvres sur Vérité-Réconciliation pour m’imbiber de cette réalité sociale de portée politique.   Aujourd’hui il passe comme un dogme que les sociétés post-conflit ne peuvent se réconcilier durablement que si la vérité qui (a) fait mal est déterrée et étalée au grand jour. Il faut le dire sans circonlocution, le couple vérité- réconciliation ne va pas de soi. Je veux dire qu’il faut s’interroger et interroger même le lien entre la vérité et la réconciliation. La vérité est-elle le lieu de la réconciliation ? Dans quelle mesure ? Ne peut-on pas avoir la réconcilier sans vérité ? Slabbert (2000 :70) qui n’a pas manqué de se poser des questions similaires a cité les exemples de l’Espagne et du Chili. L’Espagne a pris une décision formelle de ne pas parler du passé. Pourtant ce pays n’est pas moins réconcilié. Le Chili a pris une décision pas moins similaire en offrant une amnistie générale sans rendre compte des faits du passé. Est-elle plus réconciliée ?

 

Dans certaines cultures de discrétion, la vérité ne peut-elle pas plutôt conduire à la vengeance ouverte ou silencieuse, à court ou à long terme ? La question connexe est alors, quelle est la valeur de la vérité dans le couple vérité-réconciliation ? Qu’en est-il des gens qui peuvent dire la vérité de leurs crimes non pas pour s’en repentir et être réconciliés mais pour s’en vanter comme si leur passé était plutôt glorieux ? Qu’en serait-il si de telles gens obtenaient l’amnistie sur base technique d’avoir dit la « vérité »? La vérité de ceux qui ont souffert et la vérité de ceux qui ont fait souffrir est-elle la même ? Comment les deux catégories peuvent converger vers une même vérité ? Et quelle vérité ? Est-ce que les pauvres peuvent se réconcilier durablement même si la vérité était connue ? Comment réconcilier les vainqueurs et les perdants d’une élection démocratique dans les états fragiles et/ou économiquement pauvres ? On pourrait allonger la liste des questions. Toutes ces questions semblent conduire à une autre question beaucoup plus fondamentale : Le couple vérité - réconciliation ne serait-il pas beaucoup plus une question plutôt qu’une solution proposée à une société divisée par des conflits ?

 

Toutes ces questions pourraient conforter un esprit sceptique. Mais je voudrais relever deux aspects  qui pourraient nous aider à apprécier la valeur de la vérité comme condition de la réconciliation, tout en mettant en garde ceux qui peuvent s’enfermer dans le dogmatisme de l’expérience du processus de vérité-réconciliation. Il s’agit de l’aspect moral et l’aspect politique. Ces deux aspects constitueront aussi une toile de fond contre laquelle le lecteur pourra lire les différentes analyses et réflexions qui constituent la matière de cette parution.

 

Considérons d’abord le fondement moral de la vérité comme voie de la réconciliation durable. Si je mets ce fondement en premier lieu, c’est que justement il jouit d’une certaine priorité, non pas parce que l’éthique est la philosophie première comme le croit Levinas, mais simplement  parce que les humains sont des êtres doués d’une appréciation morale même ceux qui ne s’en soucient pas parfois. Je vais dire que l’appréciation morale est l’essence même de notre humanité.

 

La valeur de la vérité sur laquelle on voudrait baser la réconciliation consiste de prime abord à reconnaître que les méfaits commis dans le passé surtout les crimes contre l’humanité ainsi que les violations massives des droits humains n’ont aucun fondement moral justifiable. Il s’agit de se faire une idée de la situation conflictuelle connue et qui ne devrait pas l’être si les gens avaient une assez bonne dose de spiritualité pour réaliser leur humanité. C’est cela d’ailleurs qui peut faire que la vérité comme base de la réconciliation ne devrait pas constituer une base qui alimente la haine ou qui ouvre la porte à des actes de vengeance.

 

Selon John de Gruchy (2000 :167), la valeur de Vérité-Réconciliation réside dans le fait de reconnaître d’abord que les valeurs morales ont été violées. La vérité issue de ce processus consiste à exposer cette société du passé qui avait perdu la sensibilité morale, le sens de la honte, et l’indignation morale. Parlant du cas de l’Afrique du Sud, De Gruchy argue que la vérité réconciliation est possible dans le seul cas où les différentes parties jadis en conflit parviennent à un consensus moral. C’est-à-dire, quand les oppresseurs et ceux qui ont résisté à l’oppression par les guerres de libération reconnaissent tous qu’ils étaient impliqués dans la violation des valeurs morales et qu’ils sont déterminés à recouvrer l’humain qu’ils avaient perdu. Plus haut j’ai évoqué le cas de ceux qui peuvent confesser la vérité de leurs crimes pour s’en vanter. De Gruchy (2000 : 169) nous dit que dévoiler la vérité seul ne peut obtenir la réconciliation si les gens ne sont pas en train de contempler la reconstruction de leur société sur un fondement moral.

 

Dans l’optique du thème général de ce volume, le processus démocratique lui-même n’est possible que dans une société déterminée à affermir une culture morale, à chérir des valeurs morales; et dont les citoyens sont prêts à élargir la base du consensus moral. Dans une telle société que les oppresseurs et les opprimés d’hier, les gagnants et les perdants peuvent cheminer ensemble dans un processus politique sous-tendu par cette base morale qui les protège tous. 

 

Le deuxième aspect que je voudrais relever c’est l’aspect politique de la vérité-réconciliation. Il est vrai que la vérité-réconciliation a une portée sociale en tant que ce processus veut que les «criminels » confessent leur crime, avouent la responsabilité de leurs actions tandis que les victimes s’engagent à leur pardonner. Dans la religion, la confession et le pardon obtenu guérissent spirituellement. Cela est supposé être le cas pour le processus de la vérité-réconciliation (TRC SA 1998 :110ff). Mais il faut noter une chose. C’est que ce processus est normalement déclenché par les leaders politiques déterminés à gouverner un peuple uni et réconcilié. D’ailleurs comme le note Audrey Chapman et Patrick Ball (2008 :143), les commissions vérité-réconciliation sont créées durant les transitions politiques. Ainsi le mandat d’une commission vérité-réconciliation n’est pas simplement d’établir la vérité des faits mais de transcender ces faits et promouvoir l’unité nationale, de restaurer la dignité humaine et civile des citoyens qui ont été victimes des politiques qui divisent. Dans la plupart des cas, les situations des conflits étaient causées par certains politiciens immatures dont les règles et les principes de gestion de la cité étaient peu clairs, flous. Dans certains cas, ces règles et principes n’existaient même pas avec comme conséquence la tendance à naviguer à vue en privilégiant les intérêts individuels peu sûrs, saugrenus. La situation de la corruption, du clientélisme, du régionalisme, du népotisme, l’ethnisme le décrit fort bien. Je vais dire qu’à la base des conflits est la mauvaise gouvernance politique avec des implications économiques, bien sûr. Une des caractéristiques de la mauvaise gouvernance est le fait de privilégier les intérêts individuels et de refuser de regarder en face l’importance de l’intérêt général. On gouverne les uns et pas les autres, les uns acceptent la gouvernance et pas les autres. La vérité comme lieu de réconciliation vise la gouvernance universelle d’un peuple.

 

Voilà l’arrière plan contre lequel nous invitons le lecteur à lire les articles de ce numéro.

 

Dans « Réconciliation revisité : Interface entre politique et religion », Friedli réfléchit sur la question de la justice transitionnelle ainsi que la contribution de la sociologie de la religion dans le processus de la réconciliation. Il part de son expérience de chercheur en cette matière pour thématiser les perspectives et les stratégies envisagées pour endiguer la violence et les conflits.

 

Dans « Le développement économique et la réconciliation nationale », Kinezero part du Burundi comme étude de cas et observe que la mauvaise gestion des maigres ressources est une source majeure des conflits. Il suggère la création et l’accroissement de la richesse et sa distribution équitable comme solution durable au conflit Burundais.

 

Dans « Paul, apôtre de la réconciliation », Ntumba réfléchit sur l’expérience de Saint Paul en matière de réconciliation. Il interroge les écrits de cet apôtre et propose ses conclusions comme leçon que l’Eglise Africaine doit apprendre.

 

Dans « De l’écriture de l’histoire à la justice aux vaincus », Ingiyimbere médite sur l’histoire avec Walter Benjamin en jetant, en même temps, un pont entre l’éthique et la politique. Il tente de proposer une nouvelle manière de considérer l’histoire et la tache de l’historien. Ce dernier consisterait à dévoiler la force messianique faible cachée dans le présent pour justifier les vaincus qui peuvent facilement tomber dans les oubliettes de l’histoire.

 

Dans « L’intégrité dans les transactions commerciales internationales au 21ème siècle (II) », Ntamwenge poursuit la réflexion qu’il avait commencée (voir V6N2). Il tente de discerner la responsabilité morale des agents organisationnels qui, souvent, le trouvent difficile de sortir de la tension entre la corruption systémique et la culture d’intégrité. Cette culture d’intégrité elle-même est un horizon fuyant, une question à la recherche d’une réponse.

 

La Chronique analyse et réfléchit sur la question de la religion dans le processus politique de l’Union Européenne. Contrairement à ceux qui voudraient nous faire croire que la religion disparaîtra, Berten voit plutôt un progrès politique remarquable concernant la place de la religion dans le processus politique de l’Union Européenne.

 

La note de lecture de l’œuvre de Mills,Why Africa is poor and what Africans can do about it?, souligne le rôle du leadership dans le processus économique ainsi que dans les processus sociopolitiques comme un enjeu important dans la réconciliation.     

 

 

 

Référence Bibliographique: 

Chapman, A R & Ball, P 2008. Levels of Truth: Macro-truth and the TRC. In

Audrey R. Chapman and Hugo van der Merwe (eds). Truth and Reconciliation in South Africa. Did the TRC Deliver?, pp. 143-168. Philadelphia: University of Pennsylvania Press.

 

Slabbert, F V Z 2000. Truth without Reconciliation, Reconciliation without

Truth. InWilmot James and Linda Van de Vijver (eds), After the TRC: Reflections on truth and reconciliation in South Africa, pp.62-72. Cap  Town: David Philip.

 

De Gruchy, J 2000. The TRC and the Building of a Moral Culture. In Wilmot

James and Linda Van de Vijver (eds), After the TRC: Reflections on truth and reconciliation in South Africa, pp.167-171. Cape  Town: David Philip.

 

 

 

 

Volume 7 / 2011: INTEGRATION REGIONALE

 

Numéro 1 :

 Intégration régionale: Etat des lieux et questions

 

Numéro 2 :

Identités et nationalisme : Vers une nouvelle identité

 

Numéro 3 :

Economie et politique de l’intégration: Quelles propositions

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Rubrique: 

Français

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