L’ASSURANCE-QUALITÉ ET L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU BURUNDI: AU-DELÀ DU BESOIN DE CULTURE INSTITUTIONNELLE, UN PROBLÈME D’APPROPRIATION LOCALE

Abstract: 

This paper has traced back quality insurance issues since the creation of National Higher Education Council, and the enactment of new legislations that organise Higher Education Institutions (HEIs) in Burundi. The objective is to invest the author’s experience at Université du Lac Tanganyika, and in Burundi context from 2014 to 2016, as a substantive contribution to benchmark quality insurance in higher education of the country. Indeed, the board of quality insurance have become a requirement for all Burundian HEIs. If it is good to improve quality insurance in each HEI, the crucial question clicks, “Do Higher Education Institutions authorities really commit themselves to invest in quality insurance?” To get to answer this question, a two-year field participatory observation harvested data from Higher Education Institutions from bottom up to top down managers of quality insurance services. Results reveal that, there is a want for quality insurance ownership, both; at the levels of senior management and administrative staff. Quality insurance is a product of liberalization of the field of public action. Thus, the actors involved in quality insurance should go beyond normative views to focus on the instruments that may accelerate those views. Otherwise, quality insurance in Burundi Higher Education Institutions would merely be jumping on the bandwagon without the support of reality and need of higher education institutions. Quality insurance should be the culture of higher education in Burundi. In other words, quality insurance should open up an avenue for quality improvement of Higher Education Institutions. In quality assurance as a product of the liberalization of the field of public action, the actors involved must go beyond normative views to focus on the instruments that can push to implementation of these normative views.

1. Introduction

Cette communication est un témoignage de ce que j’ai observé au Burundi par rapport à la question de l’Assurance-Qualité (AQ) depuis que j’ai été chargé de ce volet dans mon université (Université du Lac Tanganyika) et dans une moindre mesure depuis que j’ai été élu Vice-président du Forum burundais d’Assurance qualité (FOBAQ). C’est une contribution qui part des observations faites et dégage une série de questionnements sur la pratique de l’Assurance qualité en l’insérant dans une approche de contemplation critique de l’implémentation d’une norme publique relevant du transfert des politiques internationales dans le contexte d’intense libéralisation de l’offre en matière d’enseignement supérieur, et ce dans un contexte de demande d’appropriation locale des politiques publiques ( OCDE, 2005). Méthodologiquement basée sur une approche ethnographique (observation participante et participation observante) (Bastien 2007), cette contribution dégage les défis quotidiens qui hantent le domaine de l’Assurance qualité au Burundi en tant que nouvelle politique publique pour asseoir la qualité au sein des institutions d’enseignement supérieur. Il ne s’agit pas donc, loin s’en faut, d’une évaluation effectuée sur le fonctionnement des agences d’Assurance Qualité établies dans les différentes universités mais d’un partage d’expérience qui tente de dégager les zones grises d’une politique publique au cœur de la réforme du système d’enseignement supérieur burundais. 

2. L’Assurance Qualité, une politique publique internationale transférée au Burundi ? 

Si actuellement, l’Assurance-qualité est une politique nationale en voie d’implémentation dans toutes les structures d’enseignement supérieur, elle est d’abord une politique internationale qui, dans le domaine de l’enseignement supérieur, prend route au lendemain de ce qui a été appelé le  processus de Bologne et ayant visé  le renforcement de la cohérence des systèmes d’enseignement supérieur en Europe afin de rendre l’enseignement supérieur européen plus inclusif, accessible, compétitif et attrayant à l’échelle mondiale (Commission Européenne 2020). Ce processus de Bologne a eu des implications d’abord au sein des Etats membres de l’Union européenne (Lavdas, Papodakis et Gidarakou, 2006 ; Bellonbet-Frier 2005; Serrano-Velarde 2008) avant de s’internationaliser (Hugonnier 2006) par le phénomène d’imitation entre les pays, de transfert volontaire ou imposé (Musselin 2008). Cette internationalisation aura porté sur une norme devenue centrale à tous les systèmes d’enseignement supérieur de plus en plus tourné vers les dynamiques de l’offre et de la demande: l’assurance qualité. L’assurance qualité s’entend des moyens par lesquels une institution d’enseignement supérieur peut garantir avec confiance et certitude que les normes et la qualité de son offre éducative sont maintenues (Friend-Pereira, Lutz & Heerens 2002). Autrement dit, le nouveau paradigme de l’enseignement issu du processus de Bologne rapproche l’éducation supérieure de la compétition marchande s’exerçant tant au niveau local qu’international, et faisant de la qualité de l’offre éducative ce qui distingue une université d’une autre (Renaut 2007). Au Burundi, l’avènement du paradigme de Bologne et son approche de l’assurance qualité a coïncidé à d’une part avec la libéralisation de l’enseignement supérieur. 
Sous le poids des conséquences des réformes structurelles de la décennie 1980, le gouvernement a jeté du lest, en permettant aux acteurs privés de participer à l’éducation supérieure (OAG 2012). Autant dire que le besoin d’assurer la qualité de l’offre de l’enseignement supérieur au travers des agences d’assurance qualité s’est invité dans le débat de la réforme de l’enseignement supérieur visant le passage de l’ancien système Licence-Diplôme d’Etudes Approfondies-Doctorat vers le système Licence-Maîtrise-Doctorat promu par le système de Bologne dans un contexte de fragilité et de crise de l’Etat consécutive à une décennie de guerre civile (Provini 2017). 
Mais d’autre part,  son avènement se situe à l’interstice entre sa promotion sur le plan international et les besoins de l’intégration régionale et de la constitution d’une offre régionale commune d’enseignement supérieure (Shabani, Okebukola & Oyenola 2014).  

2.1. L’AQ au Burundi: entre le paradigme global et les besoins de l’intégration régionale 

Sans mettre une emphase particulière sur les aspects théoriques puisque cette contribution se veut un témoignage issu de mon expérience dans le domaine de l’assurance qualité ; d’une part, il faut rappeler que l’AQ en tant que politique publique dans le domaine de l’enseignement supérieur vise d’une part à contribuer à accroitre la responsabilité et la transparence dans les institutions d’enseignement supérieur. D’autre part cette politique publique vise à permettre aux institutions d’enseignement supérieur de constituer une base d’informations assez nombreuses et fiables sur la performance ; et enfin de faciliter des interactions entre les institutions d’enseignement supérieur ainsi que l’harmonisation des pratiques d’accréditation et d’évaluation. Il y a d’une part, la dimension normative impliquant ici les différentes normes ou les différents  standards qui sous-tendent l’action publique ; et d’autre part la dimension matérielle, c’est-à-dire au niveau des instruments développés pour opérationnaliser les visions, les normes, etc., et les rendre plus réels, vivables. 
Bien évidemment, comme toute politique publique internationale, il s’agit d’un transfert de modèle, mais chaque contexte essaie de trouver la réponse à certaines de ses interrogations par rapport aux actions à menées. En récapitulant, les objectifs de l’Assurance qualité ne peuvent être mieux compris qu’une fois abordés en deux dimensions intrinsèquement liés. 
La dynamique de l’intégration régionale au sein de la communauté est-africaine a aussi une part de responsabilité dans l’accélération du processus de mise en place du cadre de l’Assurance qualité. Le traité auquel le Burundi a adhéré en 2007, insiste sur la mise en place des mécanismes qui renforcent la coopération en matière d’éducation au sein de la communauté, en particulier l’harmonisation des systèmes d’éducation et de formation pour rendre plus compatibles et comparables les qualifications (harmonisation des curricula, examination, certification et accréditation des institutions d’enseignement et de formation) pour aussi les besoins du marché ( comme en Europe aussi) dans la perspective de la mise en œuvre du protocole sur le Marché unique est-africain.  La mise en place d’un système/cadre régional de qualifications a contraint le Burundi d’accélérer la mise en place des structures d’Assurance qualité  dans toutes les institutions d’enseignement supérieur.  Mais il ne faut pas se limiter à ces deux aspects pour expliquer le transfert de modèle/ politique, il faut surtout se rendre à l’évidence que les conditions internes s’y prêtaient aussi. 

2.2. Politique d’Assurance qualité : plus qu’un transfert de modèle, un imminent besoin !

Au Burundi, cette politique est en action aussi et est venue répondre à certaines interrogations qui se posaient en amont comme en aval dans le système d’enseignement supérieur. La crise de l’Etat manifeste depuis 1993 a eu une implication sur la qualité de la formation et des enseignements délivrés depuis cette période. 
Partons de quelques exemples. Bien de travaux des chercheurs burundais et/ou internationaux soulignent l’impact de la crise de l’Etat sur la qualité de l’enseignement depuis le primaire jusqu’au supérieur (CRIDIS, 2012:15-16). En fait, nul n’ignore que l’école secondaire est la véritable pépinière pour les universités et autres institutions d’enseignement supérieur. L’accès à l’école secondaire a été facilité par la conjoncture nationale et internationale des années 1980. Cette accessibilité des écoles qui a été, certes, un pas franchi. Mais il reste encore un autre pas pour asseoir la qualité de la formation. Le nombre de collèges communaux a sensiblement augmenté allant de 5 en 1990 à 738 en 2010. Mais ces collèges communaux demeurent actuellement sans bibliothèque, sans laboratoire encore moins avec des enseignants qualifiés. Mise à part la qualité des enseignements reçus qui est, par ailleurs, soulignée dans bien de travaux d’évaluation (OAG 2001, 2012), l’augmentation des élèves devant entrer à l’université a eu un effet Spill-over sur les institutions d’enseignement supérieur, générant de fait la naissance des universités privées. Certaines sont nées et continuent de naitre un peu, ceteris paribus, comme les collèges communaux : pas d’infrastructure, pas de ressources humaines qualifiées, pas de bibliothèque ou laboratoires. 
Les statistiques montrent qu’au Burundi il existe déjà 7 universités et établissements d’enseignement supérieur publics (mis en place par le gouvernement) et 33 universités et établissements d’enseignement supérieur privés. Et les effectifs des universités privées font le double du public, soit 29.963 contre 14.466 (CNES, 2016). La question qui reste pendante dans ces universités est la qualité de l’enseignement supérieur et les résultats à escompter quand on peut avoir un département d’ingénierie informatique sans identifier un parc d’ordinateurs ; ou un département de Génie civil sans laboratoires de génie civile,  un département de criminologie sans un seul criminologue dans le pays de niveau doctorat, encore moins du matériel approprié.  Un ancien ministre de l’enseignement supérieur a un certain moment parlé ‘d’universités boutiques’ pour fustiger l’allure marchande que prenait la formation au supérieur. Un véritable gâchis ?  Mais c’est à ce niveau qu’il faut justement questionner l’appropriation locale de cette politique d’Assurance qualité devant l’ampleur des dégâts causés par la crise de l’Etat et la crise de la conscience intellectuelle. 

3. L’Assurance qualité entre l’enclume du transfert et le marteau des réalités locales : le défi d’absence d’appropriation locale 

Dans cette section, sur base des observations faites tout au long de mes deux ans dans le domaine de l’Assurance qualité, nous interrogeons les faits par rapport à ce qui devrait être fait à partir d’un triple niveau de réflexion sur la notion même d’appropriation locale et comment cette dernière peut être opérationnalisée dans un contexte comme celui de la mise en œuvre de l’Assurance qualité au Burundi. 
Partant du fait que l’on ne peut s’approprier que ce qui n’est pas à soi, et dans ce contexte, l’AQ devient une politique publique internationale internalisée dans le contexte burundais, l’appropriation de cette politique par les acteurs locaux peut être faite en ayant en trame de fond le triptyque dimension que charrierait cette notion : la conviction des acteurs locaux, la formulation et la mise en œuvre des politiques par les acteurs locaux, et enfin la coordination des acteurs et des actions. 

3.1. La première marque de l’appropriation locale, c’est la Conviction des acteurs locaux 

La conviction soulève la question de penser aux acteurs du changement. Les études sur le transfert des politiques publiques insistent sur la conviction des acteurs locaux. Pour ces études, les acteurs sont à la quête d’un modèle parce qu’ils sont convaincus d’abord du besoin de trouver une réponse effective à leurs problèmes. Dans le cas d’espèce, l’AQ vient répondre à tous ces défis inventoriés plus haut par rapport au besoin de la qualité de l’enseignement supérieur. S’approprier un modèle revient donc à établir un lien entre le modèle tel qu’il est formulé au niveau global et l’assimilation du contenu de ce modèle aux besoins des acteurs locaux. 
Au regard du fait que la quasi-totalité des structures d’enseignement supérieur ont mis en place une direction ou une cellule de l’Assurance qualité, d’aucuns pourraient penser à l’émergence et à l’enracinement de la culture de la qualité. Ce sont des cellules quasi-inopérationnelles faute d’une part des ressources humaines qualifiées pour jouer pleinement le rôle : il y a généralement une unité chargée de l’AQ, généralement pas de personnels d’appui. En outre, les budgets des universités ne prévoient pas une ligne pour la direction d’AQ: du coup le chargé d’AQ ne peut ni organiser des séances d’informations sur l’AQ, ni mener un processus interne de contrôle de la qualité. Ce phénomène il est répandu dans nos universités. Alors qu’à l’instar des cellules d’audit interne dans les entreprises, l’autorité de tutelle en obligeant les universités à mettre en place des agences de qualité, voudrait en faire des organes de premier plan pour asseoir la qualité dans toute institution d’enseignement supérieur, par la force des circonstances, elles deviennent des agences dont on peut se passer. C’est ce qui pose la question de la conviction des acteurs à tous les niveaux : au niveau des responsables des agences; au niveau des universités et au niveau de la Commission nationale de l’enseignement supérieur et, enfin au niveau du Ministère de l’éducation nationale. 
Pour prendre un exemple, en juin 2016, j’ai participé à une conférence sur l’Assurance qualité dans l’espace est-africain à Entebbe en Ouganda. Comme on échangeait sur les critères fondamentaux dans l’évaluation de la qualité, un collègue kenyan nous signifia pour prétendre ouvrir une université au Kenya, il faut avoir d’abord le terrain de 50 ha et des infrastructures de base (Bloc administratif, un bureau pour les inscriptions des étudiants, des salles de cours). Pour eux, c’est le plus petit dénominateur commun. 
Étrangement, au Burundi des universités naissent dans des kiosques et l’autorité considère cela comme normal. Je connais une université qui a quasiment toutes les facultés, qui est à la pointe de la réforme BMD mais qui n’a qu’un petit bureau de 6m2 pour la représentation légale, la comptabilité et le service des inscriptions. Les trois services sont assurés par deux personnes travaillant dans ce même bureau, qui seraient par ailleurs des époux mais qui assument toutes les fonctions institutionnelles. 
Mais en fait, l’autorité de tutelle y est aussi pour beaucoup dans cette cacophonie. Il suffit de voir la fiche d’évaluation de la qualité des infrastructures (CNES 2014), il est demandé combien d’années de loyer déjà payé  mais en aucun le site et les infrastructures propres à l’institution. L’Etat à travers l’autorité de tutelle ne peut pas demander ça. Ces terrains n’ont jamais été mis à la disposition de ces universités. Les terrains qui relèvent du domaine de l’Etat sont vendus au plus offrant. Or, si des universités privées qui en principe viennent épauler l’Etat dans son devoir de pourvoir aux citoyens le droit à l’éducation doivent acheter un terrain pour construire les locaux qui par la suite sont mis au service de d’intérêt national, pourquoi voudriez-vous qu’un processus de marchandisation ne s’installe en aval dans le domaine de l’enseignement supérieur ? Cela peut aussi expliquer que la recherche du lucre peut, dans certaines circonstances, supplanter le besoin de la qualité. Et comme l’autorité de tutelle ne demande pas de disposer d’infrastructures mais plutôt de montrer la capacité de payer le loyer, une université privée trouverait normal de louer ses locaux à une autre université qui paierait mieux le loyer, et pourra louer à son tour des salles à des particuliers en gardant un certain bénéfice mais en sacrifiant la qualité. 
La qualité des infrastructures qui est pourtant un critère largement pondéré dans le système d’évaluation des institutions d’enseignement supérieur au Burundi s’avère dans cette circonstance d’une moindre importance parce que les uns et les autres sont inscrits dans le schéma de la marchandisation des services d’enseignement supérieur. La conviction des acteurs qui relève de l’éthique de responsabilité est sacrifiée à l’autel  du tout lucratif.  

3.2. La deuxième marque de l’appropriation locale, c’est la formulation des politiques et leur mise en œuvre

La formulation et la mise en œuvre de (s) politique(s) d’AQ est l’étape essentielle qui traduit l’appropriation. Cela signifie que les acteurs locaux prennent en main cette politique en faisant eux-mêmes des propositions sur ce qui doit être fait. Bien évidemment l’appropriation peut emprunter deux voies. Les acteurs locaux peuvent prendre les choses en main pour formuler et mettre en œuvre des politiques en anticipant sur ce que visent les acteurs étrangers dans leur soutien de l’implémentation. La seconde voie est celle d’accepter purement et simplement le modèle tel qu’il a été formulé sans tenir compte des réalités locales. 
Le deuxième aspect qui indique le degré d’appropriation, c’est la manière dont les politiques sont formulées et mises en œuvre par les différents acteurs et institutions de la chaine d’Assurance qualité. 
Sur cette dimension, il y a une ou plusieurs choses à dire tant au niveau du Ministère de l’éducation qu’au  niveau des structures de l’enseignement supérieur 

3.2.1. Au  niveau du Ministère de l’Enseignement supérieur 

Des réformes ont été initiées. La plus emblématique reste la Réforme LMD/BMD pour laquelle l’Assurance qualité reste la trame de fond dans le processus d’implémentation. Mais il s’agit d’un processus qui a été mené dans la précipitation sans que tous les acteurs concernés soient vraiment au courant des exigences de ce système (enseignants, administratifs, étudiants) et les questions que devrait poser la mise en œuvre. J’ai assisté à une grève des étudiants du privé et du public pour une période de deux mois. Le mobile de la crise était de savoir le type de diplôme et son équivalence par rapport à l’ancien système. Les réponses de l’autorité du ministère étaient trop vagues, alors que les étudiants voulaient être mieux fixés sur leur sort à la sortie. Le diplôme de bachelier n’étant pas une Licence, j’ai cru comprendre que les autorités du ministère hésitaient justement à souligner la différence et mettre en exergue concrètement l’équivalence de diplôme sur le marché du travail. 
L’autre exemple est celui de la validation des programmes de Licence au sein de mon université. Les personnes désignées pour l’atelier de validation des programmes représentant le Ministère n’avaient pas encore retiré les exemplaires des programmes déposés à la CNES la veille de la validation. Faut-il prendre au sérieux que la politique de validation des programmes retient vraiment l’attention du ministère comme une donnée impondérable pour asseoir la qualité des enseignements ? A supposer que cela se passe pour tous les cas de validation, il y a anguille sous roche. Mais au-delà ne faudrait-il pas se poser la question de leur raison d’être dans un domaine qu’ils maitrisent le moins et finalement considérer leur présence comme juste une obligation de service?  

3.2.2. Au niveau de la Commission Nationale de l’Enseignement Supérieur (CNES)

La CNES a dans ces missions la question de l’Assurance-Qualité. Dispose-t-elle des ressources matérielles et humaines nécessaires pour formuler de bonnes politiques afin d’asseoir la culture de la qualité dans les institutions d’enseignement supérieur ? L’élaboration des standards par le CNES fait rarement la distinction entre les universités publiques et les universités privées qui n’ont pas la même capacité de mobilisation des ressources matérielles et humaines, les mêmes opportunités de coopération interuniversitaire, etc. La volonté d’harmoniser les standards doit tenir compter de ces réalités. Les ignorer c’est faire preuve d’un bureaucratisme. A titre d’exemple, il a été conduit une évaluation de la qualité institutionnelle qui a permis de classer les universités. Cet outil qui est fort appréciable en soi repose néanmoins sur des faits qui dénotent d’une absence de l’analyse des réalités pour formuler un outil adéquat. Prenons l’exemple le cas des Bureaux des cadres agents de l’administration : beaucoup d’universités privées n’ont pas déjà les infrastructures basiques comme les salles de cours, et ont recours aux enseignants à temps partiel, voire des administratifs à temps partiel (les doyens, les chefs de départements) qui assument quelques heures de prestation. En faire un critère d’évaluation est une très bonne chose, sauf que les résultats ne vont pas coller à la réalité : on aura des fiches qui seront complétées sans que cela reflète la réalité comme l’a montré la dernière évaluation. Les universités qui ont été mieux cotées sont celles-là même qui n’inspirent pas beaucoup de confiance, qui n’ont pas de structures administratives, ni de personnels qualifiés (des chefs de départements ayant le niveau licence ; des étudiants la journée, et administratifs la nuit dans la même université, etc.). Face à tous ces manquements, la CNES doit chercher à asseoir des politiques cohérentes, inspirées de ces réalités. 

3.2.3. Au niveau des Universités 

Au niveau des différentes universités, les structures d’Assurance qualité ont été mises en place. Mis à part le fait que ces structures ne sont pas dotées de ressources humaines et matérielles suffisantes comme déjà évoqué plus haut, c’est la qualité de ceux qui sont chargés de l’AQ qui montre aussi l’absence d’une politique visant à asseoir la culture de la qualité. Deux exemples à cela. La plupart des gens qui sont nommés dans ces structures sont généralement nouveaux dans le staff de l’université. Ces gens nommés ne reçoivent pas pour la plupart un briefing sur leur cahier de charge, parce que pour la plupart des universités, il n’y en a pas de manière concise. Il s’agit plus d’une nomination pour anticiper sur les évaluations de la CNES que réellement pour asseoir la qualité. Pour les universités publiques, c’est quasiment le même problème qui se pose : ils sont nommés par décret présidentiel et parfois ceux qui ont été formés pour cette tâche ne sont pas forcément ceux qui sont promus. Un autre exemple est celui de la formation de ces personnels en charge de l’AQ que ce soit au niveau interne ou régional. Ce n’est pas facile qu’un responsable de l’AQ qui n’a pas été formé, sera capable à son tour de former le personnel. Parce qu’en fait, l’AQ ce n’est pas faire de l’inspection, mais beaucoup plus d’asseoir les mécanismes cohérents au sein de chaque structure quitte à ce que l’inspection aille de soi. A ce titre dans mon université, on a instauré, par exemple, un système d’évaluation par les pairs basé sur des indicateurs objectivement vérifiables, mais déjà avant que les résultats ne soient communiqués, il y avait déjà qui avaient averti tel ou tel autre qu’il a été mal noté par les collègues générant de ce fait un climat malsain au sein de toute l’institution. Il en est de même  de l’évaluation des enseignements par les étudiants. Cette évaluation n’a pas poussé les gens à plus de sérieux par rapport aux exigences du système BMD, par contre elle a ouvert une sorte de confrontation larvée entre les étudiants et les enseignants. La place des bénéficiaires qui est central dans ce nouveau système de Nouvelle Gestion Publique (NGP) n’est pas non plus appréciée par les enseignants, surtout ceux qui manifestent des manquements par rapport à l’un ou l’autre aspect (transmission du savoir ; préparation des syllabus et organisation des TP.
Enfin je citerai le domaine de la recherche qui est aussi une grande référence de la qualité dans les systèmes d’enseignement. Au Burundi, quelle université dispose d’une revue qui parait régulièrement ? Quelle université privée parvient à organiser un cycle de conférences sur une année pour la dissémination des connaissances? C’est-à-dire qu’au –delà de la dimension pécuniaire, il y a surtout l’absence d’une politique claire de recherche. Or cela ne permettra pas de rendre compétitifs les étudiants sur le marché de la recherche. 

3.3. La troisième marque d’appropriation, c’est la coordination des actions et des acteurs 

La coordination dans ce contexte des politiques d’AQ peut vouloir dire le fait de permettre aux décideurs à tous les niveaux le droit de regard sur les activités et les actions menées aussi bien par les acteurs nationaux qu’internationaux œuvrant dans ce domaine de l’AQ. L’objectif premier de la coordination c’est de rendre compatible les actions menées aux objectifs de la politique en question. La coordination est un contrôle assez sérieux qui permet, soit de rectifier ce qui se fait par rapport à ce qui a été conçu, soit d’imposer des lignes directrices à suivre à tous les acteurs impliqués. 
Sans trop entrer en détails, la coordination des actions et des acteurs du domaine de l’AQ revient à quatre organes  que j’ai identifiés essentiellement à savoir le Ministère de l’enseignement supérieur au niveau le plus élevé, la Commission nationale de l’enseignement supérieur au niveau médiane et le Forum burundais de l’AQ au niveau des Institutions d’enseignement supérieur. 

3.3.1. Le ministère de l’enseignement supérieur

En adhérant à la politique internationale et régionale d’Assurance qualité comme déjà souligné, il y a en amont un engagement du gouvernement Burundi  à construire ses propres standards d’AQ, à les harmoniser avec les standards régionaux et internationaux. A ce titre, il y a des écarts à ce que devrait être la coordination de toutes les interventions. Face aux besoins d’établissement d’un système de qualifications pour l’enseignement supérieur dans la Communauté Est Africaine (EAQF 2015) conformément à la charte d’intégration EA, il aurait fallu la coordination du ministère pour exiger des universités à disposer d’un personnel compétent sur ces questions d’AQ, de se faire évaluer par les experts de la région et d’être référencé dans la région. Bientôt 5 ans, la situation reste quasi la même. Il est plus que nécessaire pour le ministère d’amener les universités à comprendre qu’elles doivent dépenser des sommes importantes pour payer les experts en évaluation des qualifications.  Et le ministère devrait contrôler si les universités ont envoyé les agents en charge de l’AQ dans des formations, parce que  c’est de là qu’il peut constituer un pool d’experts d’évaluer en internes ce qui se fait et établir des principes et des lignes directrices en interne. 

3.3.2. L’Association des Universités privées 

Pourquoi parler l’Association des universités privées dans ce contexte de l’AQ ? Il suffit de voir que sur les 40 universités et établissements d’enseignement supérieur, seuls 7 relèvent du public. Nous avons évoqué plus haut, que les moyens humains et matériels, sont ce qui leur manque en comparaison avec les universités publiques. En même temps, les standards d’évaluation s’appliquent de la même manière. 
Ce cadre de concertation des universités privées, devrait jouer un rôle important dans la réflexion allant dans le sens de créer un environnement qui privilégie la synergie pour surmonter leurs faiblesses. Plutôt que d’avoir un bureau d’assurance qualité fantoche, le mieux serait d’en avoir un bureau pour dix universités avec des divisions disposant des compétences et des moyens pour procéder à l’évaluation de l’Assurance qualité.  

3.3.3. Le Forum Burundais d’Assurance qualité

C’est un jeune organe chargé de promouvoir, consolider et maintenir l’AQ intégrale dans les institutions d’enseignement supérieur. La spécificité de ce forum est qu’il est de l’initiative des membres que sont les universités publiques et privées. L’article 5 énumère les fonctions à remplir : 
  • soutenir le développement des structures d’assurance qualité à travers des programmes de renforcement des capacités, des séminaires, des ateliers et des conférences;
  • diffuser des informations à travers des bulletins d’information, des journaux, des livres et d’autres documents sous forme imprimée et électronique ;
  • participer et collaborer en matière de projets de recherche sur les questions d’assurance qualité ;
  • mobiliser des ressources pour les activités d’assurance qualité ;
  • développer et maintenir une base de données sur les organes d’assurance qualité et les experts ;
  • créer, animer et assurer la pérennité d’un site web ;
  • Coordonner les comités d’assurance qualité avec les institutions gouvernementales et les autres partenaires de développement intéressés par l’assurance qualité. 
Sans lui faire un procès d’intention,  la grande question reste celle de son autonomie vis-à-vis d’une part du gouvernement et d’autre part vis-à-vis des structures d’enseignement supérieur dont il dépendra en termes de ressources humaines et matérielles. Comment pourrait-elle organiser  le renforcement des capacités si les moyens ne peuvent pas être disponibles ? Si les ressources humaines qui gèrent ces structures n’ont pas fait des formations et sont accréditées pour le faire ? Comment  mettre en place des structures d’informations et de diffusion des informations sur l’assurance qualité lorsqu’on n’a ni le personnel technique qui s’en occupe ni les moyens financiers. Bref, il y a des questions qui restent pendantes et qui me poussent à émettre des réserves sur les capacités de coordination des acteurs et des actions. 

Conclusion 

L’objectif de cette contribution n’était pas de fustiger l’action publique menée dans le domaine de l’Assurance qualité, pas plus d’ailleurs qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation faite. Il s’agit ni moins ni plus qu’un témoignage axé sur mon travail dans ce domaine précis d’Assurance qualité entre 2014 et 2016. Cela fait quatre ans que je ne suis pas dans ce domaine. Ce n’est qu’un retour de l’ascenseur basé sur l’observation participante et la participation observante. Je n’ignore pas qu’il y a de nombreuses et déterminantes actions menées dans le sillage de l’introduction de ce nouveau référentiel en matière d’enseignement supérieur. 
Mon objectif aura été de mettre en exergue les écueils observés jusqu’en 2016. De ces écueils,  des questions qui restent pendantes. Dans la pratique, ces questions montrent des limites quant à la mise en œuvre de la politique d’assurance qualité. Je trouve que les institutions publiques (Deuxième Vice-Présidence, Ministère, CNES) agissent dans une culture de dépendance au sentier. Les changements intervenus dans le paradigme global de l’enseignement supérieur brillent par l’absence d’appropriation nationale de ce nouveau référentiel. 
Les institutions d’enseignement supérieur peinent à développer une culture d’assurance qualité. Je pense qu’il serait indispensable et judicieux de développer une culture d’Assurance qualité dans la marge des moyens et suivant les dynamiques institutionnelles sans cesse changeantes. Certes, je sais bien qu’une culture d’Assurance qualité ne peut se construire que sur le temps long que ces institutions n’ont pas encore eu. Mais le temps ne doit pas constituer la matrice de base des excuses que les uns et les autres peuvent invoquer. Pourquoi ne pas commencer par ce qui est pratique et faisable au niveau local : développer une culture d’assurance qualité au niveau des agences d’AQ pour en faire le reflet de la qualité recherchée. 
Cette culture ne peut être une réalité que si et seulement si les gestionnaires des institutions d’enseignement supérieur sont convaincus qu’ils peuvent formuler des politiques d’assurance qualité en interne et qu’ils sont en mesure de les coordonner. Ce qui reviendrait d’abord à revoir en interne le cadre légal et normatif, ensuite initier un processus de légitimation des agences d’Assurance qualité en offrant plus d’espace d’actions, et enfin collaborer avec les autres agences locales ou internationales pour profiter des meilleurs pratiques.  

Référence Bibliographique: 

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