ENGAGEMENT POLITIQUE DES FEMMES AU BURUNDI: LUTTE POLITIQUE POUR UNE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

Abstract: 

This article addresses the issue of women participation in the politics of Burundi. It aims to engage women into politics for a participative democracy. This is against the methodological background rooted in Max Weber’s perspective that, women are part of Burundi society, and they need to fight for their inclusion in political struggles, to regain their right and dignity, by participating in democratic talks. Thus, the article analyses incentives, strategies, actions, the grandeur women experience and challenges they face on their journey towards their involvement in politics. In a relatively optimistic attitude, the article proposes a route to undertake for a better participation of women in politics from their political parties. For instance, for women to engage into politics, there is a need for men to change their mindset. Similarly, men need to adopt a culture of women integration at all levels of society, to avoid gender imbalance on the labor market. Therefore, bearing gender balance in mind, the politics of a participative democracy should build women capacity through education of the girl-child for a last long financial independence and a cooperative democracy. The education of a girl-child is, fundamentally, education of a whole nation. The advent of laws on women should, thus advocate for change where they are actively involved in politics for the development of Burundi. There will not be genuine democracy in Burundi without women participation in politics.

  1. Introduction : La question dans son cadre méthodologique

A la veille des élections de 2015, nous avons entrepris une étude pour scruter davantage la participation de la femme burundaise aux activités des partis politiques. Cette étude a été aiguillonnée par la question suivante : comment comprendre la qualité de l’engagement politique des femmes dans les partis politiques au Burundi ? La réponse provisoire à cette question, en somme notre hypothèse, est contenue dans les propositions suivantes : Pour comprendre la qualité de l’engagement politique des femmes dans les partis politiques au Burundi, il faut d’abord saisir les motivations de leur adhésion partisane. Ensuite comprendre la grandeur de ce militantisme ainsi que les embûches dressées sur son chemin pour, enfin, résoudre l’épineuse question de leur participation.

L’étude demande une méthodologie adéquate, c’est-à-dire des techniques et des méthodes capables de nous faire entrer dans l’univers politique des femmes. Nous avons employé trois types de techniques : l’entretien, le focus group et la technique documentaire.

L’entretien visait d’abord les femmes membres des partis politiques, tentant de saisir, entre autres questions, les motivations de leur militantisme, les relations entretenues avec leurs homologues hommes membres des mêmes partis, leur place dans la hiérarchie du parti, les décisions importantes qu’elles pouvaient prendre. Mais cette technique concernait aussi les hommes et leur image de la participation des femmes membres des partis politiques. Ne jouissent-il pas, dans nombre de sociétés, et en particulier la nôtre, d’un pouvoir phallocratique ?

A travers la technique du focus group, nous avons essayé de résumer ces questions pour un groupe de 11 personnes, à savoir 6 femmes vendeuses de fruits aux alentours de l’ancien marché central de Bujumbura et 5 hommes de condition sociale assez modeste. Alors que l’entretien visait davantage les hommes et les femmes d’une catégorie sociale élevée et nous brossait le politique par le haut, le focus group rétablissait l’équilibre en décrivant le politique par le bas. Cela permettait de ne pas lire seulement le discours des dominants à travers leur propre miroir, mais de confronter ce dernier avec l’image des dominés sur les premiers.

Enfin, la technique documentaire nous permettait de revisiter les ouvrages de science et de sociologie politiques traitant de la thématique en question.

Ces techniques se référaient à des méthodes particulières. D’abord la méthode compréhensive chère à Max Weber, par laquelle l’on cherche à se mettre à la place d’autrui pour tenter de le comprendre. Ainsi, à travers les différents questionnaires d’entretien, on tentait d’entrer dans l’univers politique des femmes membres des partis politiques. Mais cette méthode wébérienne ne peut se comprendre sans l’individualisme méthodologique. Celui-ci consiste à saisir le fait social comme une addition, une sommation de différentes actions individuelles significativement orientées. Comment, autrement, comprendre cet univers politique des femmes sans saisir leurs choix individuels au niveau de leur engagement en faveur du changement en général et d’autres femmes en particulier ?

Cependant, la participation politique de ces femmes rencontre des contraintes au sens durkheimien du terme. Dans ce sens, le fait social est un fait précisément extérieur, contraignant et général. Ainsi, parlant des difficultés qui empêchent aux femmes une pleine participation politique, nous sommes en mesure de montrer que ces obstacles ont un caractère d’extériorité, c’est-à-dire qu’elles proviennent de la nature même de la société burundaise. Contraignants, dans la mesure où si la femme ne se soumet pas aux règles de cette domination patriarcale, elle se voit durement sanctionnée. Enfin, un caractère de généralité, dans le sens où ces obstacles ne se dressent pas contre telle ou telle femme particulière, mais contre tout un groupe social.

Ainsi, nous convoquons ici, tour à tour, pour la réussite de notre recherche, les deux grandes tendances de la sociologie, à savoir l’individualisme méthodologique et le holisme. Nous espérons ainsi embrasser la participation politique des femmes membres des partis politiques comme fait social, dans sa totalité.

A partir de cet outil épistémologique, nous dégageons alors quatre parties de notre plan. Dans la première, nous analysons les chemins et les motivations du militantisme partisan féminin. Dans la deuxième, nous examinons la grandeur de ce type de militantisme. Dans un troisième volet, nous étudions les obstacles dressés contre ce militantisme et, enfin, nous proposerons la manière d’atteindre une plus grande participation politique.

  1. Chemins et motivations du militantisme partisan féminin

Différents facteurs semblent rendre compte de ces voies de l’adhésion et du militantisme partisans féminins.

    1. L’identification normative aux grands hommes.

D’abord, il y aurait comme une identification normative des femmes partisanes aux pères fondateurs du parti. Ce sont des pontifes qui donnent une signification au vécu, plus largement à l’histoire humaine. Des leaders charismatiques, c’est-à-dire jugés par leurs partisans comme dotés de qualités exceptionnelles. Des personnalités féminines militantes connaissent ce genre de leaders.

Une, du FRODEBU, a connu une socialisation politique par deux grands ténors du parti, déjà dans la clandestinité, à partir des années 1987-1988.

A cette époque, raconte-t-elle, « J’étais dans la Commission nationale chargée de la propagande dirigée par un d’entre eux ». Après, elle fera partie de la Commission chargée de la campagne électorale de 1993.

De même, une autre, du CNDD, a connu dès les débuts la proximité des

hommes politiques. Ainsi, dira-t-elle, « je suis avec Tel depuis les débuts du FRODEBU, c’est lui qui m’a enseigné la politique. C’est lui qui m’a poussée à avoir confiance en moi-même, à suivre une idéologie, son idéologie. Quand ils sont partis dans le maquis, j’ai continué à les soutenir moralement et matériellement ».

Cette militante a été informée aux premières heures de la création du parti FRODEBU par le grand homme en question.

« Nous allons, me dit-il, commencer un nouveau parti, mais on va nous mettre en prison, du fait que nous voulons faire émerger l’idéologie socialiste. Il m’a expliqué que les socialistes se préoccupent du sort des petites gens comme les ouvriers, les gens pauvres. J’ai alors beaucoup travaillé avec le FRODEBU dans la clandestinité »

.

D’après toujours cette militante, il poussait les femmes du FRODEBU à se faire confiance comme leaders. Il voulait nommer beaucoup de femmes comme gouverneurs ou comme administrateurs, mais la plupart ont refusé.

De même, une femme cadre de l’UPD-Zigamibanga a suivi le président du parti qui lui parlait de l’idéologie de l’unité nationale et de l’inclusivité. Elle, musulmane comme lui, s’était sentie aussi exclue. A ce sujet, un membre influent de l’UPD affirme: « L’UPD est un parti fondé sur l’intégration de tous les exclus politiques au Burundi. Les femmes se sentent à l’aise à l’UPD parce que dans le passé, elles étaient dans la classe des exclus politiques. C’est pour cela aussi que beaucoup de musulmans ont adhéré au parti. Une femme twa est arrivée au poste de députée via la liste de l’UPD ».

Grâce au président

de l’UPD, la femme cadre en question a compris qu’elle pouvait faire partie des femmes leaders, voire un jour devenir ministre ou députée.

Une représentante de MSD en Mairie de Bujumbura éprouve, quant à elle, beaucoup d’admiration envers le président et fondateur du parti. A son sujet, elle dit: « Notre président m’a beaucoup inspirée. Je l’admirais pour les actions qu’il menait en plaidant pour les gens qui n’étaient pas ses proches au niveau des idées comme un ancien président de la République et son vice-président… Quand ils ont eu des problèmes, il s’est levé sans se prévaloir d’aucune force physique et a dit : « Ces hommes sont en train de souffrir des injustices graves ».

Et la militante d’ajouter : «  Il faisait ce que je souhaitais depuis longtemps. Avant, je n’avais jamais pensé à la politique, aucun parti ne m’inspirait. Mais j’avais cet esprit de révolte, souhaitant que ce pays soit bien gouverné. Et que chacun puisse trouver son compte dans cette gouvernance » .

    1. La mémoire douloureuse des différentes crises et frustrations

Si la plupart de ces femmes leaders admirent deux grandes figures du FRODEBU, c’est aussi, en grande partie, parce qu’ils ont su procéder à une imposition de sens à la souffrance et à la violence rentrée liées à la mémoire, notamment de la crise de 1972. Une d’entre elles en a directement souffert, puisqu’elle a perdu son père, un officier hutu, à cette époque. La mémoire de 1972 et celle, plus tard, d’autres événements comme ceux de Ntega et Marangara en août 1988, mais aussi celle des souffrances individuelles liées à l’identité hutue, constituent peut-être la motivation la plus forte de cette adhésion partisane.

La référence à cette mémoire procure en même temps un attachement, une sorte de dévouement, une conviction forte à l’endroit d’un parti comme le FRODEBU qui se présente finalement en libérateur. Quand nous avons posé à un des responsables du FRODEBU la question de savoir comment ces femmes sont entrées dans le parti, il répond par un euphémisme : « Celles qui sont entrées avant 1993, c’était pour des raisons historiques bien connues… ». Bien entendu, s’il parle du vent de la démocratie, de l’aspiration à changer « l’ancien régime », l’arrière-fond, on le perçoit bien, est la force de cette mémoire, de ce passé douloureux toujours réinterprété à travers des usages politiques. Voici, à titre d’exemple, le témoignage d’une militante :

« Mon père est mort en 1972, il était militaire au camp Muha. Nous n’avons jamais vu son cadavre. Quand nous avons posé la question, une parenté de ma mère, alors aumônier militaire, nous a répondu qu’il était parti en mission. Le Colonel M. m’a demandé pardon, regrettant de n’avoir pas pu protéger papa, disant que celui-ci était un homme de bien, qui ne savait rien de ce qui se passait. En somme, qui a été emporté par le courant ».

Le même colonel lui aurait confié qu’à la Présidence, on l’aurait envoyé enquêter sur les raisons qui ont poussé des responsables du Projet Caprin de Ngozi à envoyer des Hutu en mission en Allemagne. « Il m’a assuré qu’il comptait m’envoyer en Allemagne pour faire du bien à ma mère ». « Par ailleurs, il y avait quelque temps seulement un homme avait fait annuler mon projet de mariage avec un Hutu établi en Europe. Cela m’a radicalisée car beaucoup de malheurs s’étaient déjà abattus sur moi ».

De même, la mémoire des événements de Ntega et de Marangara n’a jamais quitté une des militantes du FRODEBU. « On nous donnait de grosses gifles, nous demandant de dire où se trouvaient les signataires de la lettre ouverte au Président de la République ». Avec le FRODEBU, je voulais le changement. La démocratie, les droits humains, c’était cela qui me tenait à cœur. On avait de grands hommes qui nous encadraient. J’ai distribué « l’Aube de la Démocratie » dès le début. Je ne militais pas pour avoir quelque chose, mais pour le changement ».

Tel qu’elle l’exprime, cette femme ne concevait pas les rétributions du militantisme d’abord en termes de postes futurs, mais de poursuite de valeurs, ce que le sociologue Max Weber appelle l’intérêt en valeur. Elles sont nombreuses de telles femmes qui ont encore la mémoire vive de la crise de 1972 ainsi que des exclusions des régimes passés.

    1. L’exil comme facteur d’éveil politique

L’exil est un facteur d’éveil politique pour certaines femmes. Ainsi, par exemple, une étudiante en exil au Bénin depuis 1997-1998, soutenait matériellement le CNDD-FDD dans la clandestinité : elle donnait 500 F CFA par jour pour nourrir les combattants. En 2001, lors des élections au Bénin, elle aurait été recrutée parmi ceux qui assuraient le monitoring des élections. Par ailleurs, elle aurait aussi été marquée par la vision de la politique acquise au Bénin :

« Jusqu’à présent, dit-elle, je vois que je peux faire autre chose que de m’asseoir au Palais de Kigobe. Je ne veux pas me focaliser autour de la lutte pour les places politiques. Je suis encore influencée par ma vision du Bénin où je voyais les plus âgés occuper ce genre de postes au parlement ».

Une militante du MSD, en exil à Nairobi juste après l’assassinat de Melchior Ndadaye en 1993, n’a pas pu supporter la vie de l’exil. «… La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, on m’a fait passer un concours pour entrer dans une école réputée de grande qualité. Cependant, parce que j’étais étrangère, on avait mis la barre trop haut, c’est-à-dire atteindre au minimum 75 % au concours. Je me suis alors rappelée que j’étais inscrite à l’Université du Burundi. J’ai pris la décision de rentrer en janvier 1996, mes sœurs ne comprenaient pas. Je venais de me rendre compte de la valeur de mon pays, combien je l’aimais et que je n’allais vivre nulle part ailleurs qu’au Burundi… Je n’ai pas d’autre choix ».

    1. La socialisation familiale, scolaire et dans les groupes de référence

D’autres, telle une femme cadre de l’UPRONA, ont connu une socialisation familiale et scolaire, les préparant, assez tôt, à affronter les hommes et à assumer des postes de responsabilité, même dans un monde phallocratique hostile. Sur huit enfants à la maison, elle était la seule fille. A l’école secondaire, précisément au lycée de B., elle a été nommée doyenne générale de l’école. « Cela, dit-elle, m’a donné des ailes ; je pouvais faire quelque chose ». Depuis l’école secondaire, elle avait été sensibilisée sur les principes du parti UPRONA (parti unique à l’époque).

Elle est membre effectif du parti depuis 2009, après la réunification de l’aile Mukasi et de l’aile gouvernementale. Elle serait entrée dans le parti pour concrétiser les valeurs de son éducation politique reçue à l’école secondaire : le sens de la responsabilité, du citoyen accompli au service de l’autre.

Mais c’était aussi une ouverture qui s’offrait aux femmes via le Code électoral avec les quotas. Dans ce cadre, même au parti politique, on cherchait les femmes, elles avaient quelque chose à faire en tant qu’intellectuelles.

Dans son entourage, elle était parmi les rares filles à avoir fait l’université dans un rayon de plus de 7 km. « Cela m’a posé un problème. En tant que fille intellectuelle, que dois-je faire pour changer cette situation ? ».

D’autres femmes font leur entrée dans un parti politique, plus simplement en suivant des groupes de référence comme ces jeunes filles qui suivent leurs copains de la Centrale des Jeunes Démocrates ; d’autres sont recrutées par l’Organisation des Femmes Socio-Démocrates du FRODEBU.

A cette étape de la recherche, l’on peut nous poser la question suivante : pourquoi vous ne signalez nulle part des motivations d’ordre matériel ? Parce que les militantes interrogées sont, pour la plupart, des militantes de première heure. Certaines même sont parmi les membres fondateurs de leur parti. D’autres ont subi une socialisation qui les a rendues plutôt sensibles à certaines valeurs fondamentales. Elles poursuivent donc d’abord des intérêts en valeur. Cependant, intérêts en valeur et intérêts en finalité (à savoir la recherche des postes, ou, plus prosaïquement, de l’argent) ne s’excluent nullement.

Ces deux types d’intérêt nous poussent à creuser la question de la grandeur du militantisme féminin.

  1. Grandeur du militantisme partisan

    féminin

La grandeur du militantisme partisan féminin vient justement de ces femmes leaders très engagées, et ceci, contre vents et marées. Un certain nombre de ces dernières mènent des actions concrètes en faveur d’autres femmes et se vouent entre elles une forte estime mutuelle.

    1. Femmes leaders très engagées

Force est de constater que ce genre de femmes ne sont pas vraiment nombreuses, comme nous le verrons dans la 3e partie de ce travail.

Quand ce sont des membres fondateurs du parti, elles se font beaucoup respecter par leurs collègues hommes membres de leur parti. Elles ne connaissent aucune forme d’exclusion de leur part et forcent même l’admiration des hommes et des femmes d’autres partis politiques.

La plupart des partis ont déjà gagné suite à la participation de ces femmes leaders. A travers les organisations des femmes du parti, elles constituent un outil important de mobilisation à l’instar des organisations de jeunes. Ce sont elles qui recrutent d’autres femmes, tâche parfois très difficile.

Comme elles sont dans les organes au sommet du parti, elles sont très influentes et aucune décision ne saurait être prise sans elles. Elles n’ont pas besoin d’être les conseillères de l’ombre, elles sont consultées en plein jour, sur les postes à attribuer aux membres du parti au sein et en dehors de celui-ci. Au CNDD, par exemple, il y a deux femmes clés : la vice-présidente, et, de l’avis d’un haut cadre du parti, rien ne peut être décidé sans elle, surtout aujourd’hui que le président n’est pas là. Une autre, dont nous avons déjà parlé, s’occupe en particulier du mouvement associatif dans le parti. Dans ses relations avec ses collègues hommes du CNDD, elle est connue pour son franc-parler, même vis-à-vis du président fondateur.

Ainsi du FRODEBU, avec trois femmes au Comité Exécutif National. La Secrétaire générale, une de ces femmes, est parmi les trois grands du parti, aux côtés du président et du vice-président. On ne donne pas ce poste à n’importe qui. En effet, comme Secrétaire générale, elle est chargée de la gestion du FRODEBU au quotidien dans tous les domaines, en particulier la trésorerie, la mobilisation des fonds et la gestion de la permanence nationale. Elle est élue par le Congrès, comme le président et le vice-président.

C’est ce genre de femmes dont un haut cadre du MSD dit : « Quand elles sont engagées, elles sont meilleures que les hommes ».

    1. Contre vents et marées

Parmi les femmes leaders, il y a des figures, nous l’avons déjà dit, qui forcent l’admiration : ainsi d’une militante de l’UPRONA dont il était question plus haut. Nous avons déjà parlé du type de socialisation qui l’a préparée, sans qu’elle s’en rende compte, à être aujourd’hui un vrai leader. Présidente d’un Conseil communal, « ce qui, nous dit-elle, est rare pour un parti comme l’Uprona, calqué sur la tradition rundi de patriarcat, et de surcroît conservateur ».

« Le militantisme des femmes à l’UPRONA, dit-elle, paie mal. Le parti te prend tout (idées, actions, temps, moyens financiers lors des campagnes) et te donne peu, voire rien ».

Contre vents et marées, elle ose affronter ces hommes  et leur dire, de 2010 à aujourd’hui : « Réformez-vous au risque de disparaître »: évitez tout ce qui peut diviser le parti, que ce soit le positionnement des individus, ceux qui tournent depuis 40 ans, semblant dire : « Sans moi, rien ne va ». Evitez le positionnement des migrants d’autres partis qui n’ont jamais appris l’idéologie et les principes fondateurs (…). Cela frustre les militants d’autres partis. En effet, ce sont les greffons du parti [que l’on récompense] ».

Une telle femme, forcément, milite en faveur du changement de mentalité au sujet de la capacité des femmes à gérer les affaires publiques, en commençant à la base : par exemple, en traçant une route reliant deux zones. Au sujet de la construction de cette route, elle dira : « J’ai d’abord voulu changer à la base la mentalité patriarcale, à partir de ma colline natale. Là, j’ai initié un projet et fait tracer une route reliant deux zones de la Commune. A travers une des rivières, maintenant en amont et en aval, la route est tracée, il ne manque que le pont. Je suis en train d’entreprendre des contacts pour que ce pont existe. J’initie un changement qui, quelque part, laissera des traces ». « Ma motivation, nous a-t-elle confié pendant l’entretien, ce ne sont pas les places politiques d’abord, mais de construire une société d’ubuntu ».

    1. Actions concrètes en faveur des femmes

On sent chez les femmes leaders membres des partis politiques, ce désir de changer la société, en passant par l’amélioration de la vie des femmes. Nous donnerons quelques exemples.

Ainsi, une des femmes leaders de l’UPD a fondé une « Association de Prise en charge des Femmes Veuves et des Orphelins » (APEVO). La sollicitude de la dame envers ces veuves leur a fait dire : « Nous ne quitterons jamais cette maman ». On peut imaginer les retombées politiques positives d’une telle marque de solidarité.

Quant à une autre, elle participe elle aussi activement en faveur des femmes vulnérables de la commune, tous partis confondus. « Celles qui n’ont pas d’habitat décent, nous construisons pour elles : par exemple, pour des mamans âgées sans enfants ou avec des enfants en difficultés financières. Nous mobilisons la population pour qu’elle soit sensible à cette question existentielle. Nous voulons cultiver l’humanité (« l’ubuntu ») et cette sensibilité doit se transmettre de génération en génération ».

L’autre catégorie de femmes dont elle s’occupe, ce sont les veuves : «  Je fais un plaidoyer pour que leurs droits soient sauvegardés. Socialement, on dirait qu’elles sont déchues et c’est dommage. Je les branche sur un service d’aide juridique qui les assiste pour les rétablir dans leurs droits. J’en ai déjà assisté un nombre assez considérable. Nous demandons même des clarifications au sein de la police au cas où celle-ci ne les protège pas en acceptant des pots de vin. J’ai donné mon numéro à tout le monde : j’ai toujours des appels de femmes. Elles peuvent même passer par leurs cousines à Bujumbura pour me contacter ».

Pour une femme haut-cadre du CNDD-FDD, c’est la lutte contre la malnutrition qui importe, et elle voit loin, i.e. au-delà de son propre parti. La malnutrition de toutes les femmes et de tous les enfants, sans distinction de partis politiques. Exemple : dans la lutte contre la malnutrition des enfants, elle a initié un élevage de poules dans certaines collines de Kayanza, Karusi, Gitega, Bubanza, Bujumbura rural, Cibitoke, sans que les ligues des femmes sautent un seul rugo sur cette colline. Elle appuie les associations appartenant aux Ligues des Femmes, en leur donnant, en plus des enseignements, des houes. Elle entend ainsi diffuser une culture de la solidarité, comme celle citée plus haut à propos de la culture de l’ ‘’Ubuntu’’.

Une autre, du CNDD, a imaginé, à l’extérieur du cadre du parti, la création d’une société assistée par les membres du parti et des sympathisants qui veulent cheminer ensemble vers le développement. « Vainqueurs des élections ou pas, nous devons consolider le développement. C’est cela l’idéologie de notre parti. Et l’on m’a demandé de concevoir cette Société de développement communautaire qui a commencé en 2009 ». Dans ce cadre, elle crée des coopératives, les appuie en crédits et en semences maraîchères. Dans ces coopératives, il y a beaucoup de femmes. A Mubone, en commune Kabezi, elle assiste deux coopératives en semences. Là, ce sont des veuves âgées qu’elle aide spécialement en semences. Ces dernières lui ont déjà apporté 300.000 FBU pour une action dans le Fonds de Développement Communautaire (FODECO).

    1. L’estime mutuelle

Il est intéressant, et cela en contradiction avec nos préjugés, de remarquer à quel point les femmes leaders membres des différents partis politiques estiment l’autre en tant que femme dont l’identité partisane est différente de la leur. Ainsi, une militante du MSD aime dans les autres partis « les femmes intelligentes comme Telle du FRODEBU. J’aime, continue-t-elle, m’identifier à ce genre de femmes. Je sens que je gagnerais à m’entretenir avec elles ».

Cette femme avait organisé un Forum National des Femmes du MSD dans lequel elle avait invité des personnes ressources de la SPPDF et de la COSOME pour les conscientiser sur la participation politique de la femme. Chose plus intéressante encore, elle avait invité des femmes d’autres partis politiques plus expérimentées, « Inararibonye », pour partager avec les femmes du MSD leur expérience de participation politique. Des femmes qui avaient occupé des postes de responsabilité politique dans le passé. « Elles nous disaient ceci : « On va vous calomnier pour vous décourager ; on passera par vos maris pour vous déstabiliser. Elles nous ont révélé que les grandes décisions, les nominations, se prennent à des heures trop avancées quand les femmes dorment. Nous les femmes, ajoutaient-elles, nous ne rentrons pas à la maison au-delà de 9 h du soir. Si non, ce sont alors des démêlés avec nos maris. Après, tu commences à te demander quand est-ce que cette décision a été prise alors qu’elle l’a été lorsque, entre temps, tu étais déjà rentrée. »

Ces femmes ajoutaient : « Avant de partir en réunion, dites à vos maris ce que vous allez faire et au retour, donnez-leur rapport de la réunion ».

Et d’affirmer : « Il arrive, lorsque vous l’informez régulièrement, que votre mari devienne votre premier conseiller. En effet, vous considérez d’abord les conseils de votre mari ». Elle avait, on le sent, bien assimilé la leçon des sages.

Une militante du FRODEBU voue une grande admiration envers une femme leader de l’UPRONA. « On s’entraidait au sein du parlement pour les questions des femmes. On réfléchissait ensemble pour une collaboration avec les organisations féminines pour la défense de la cause de la femme. Même aujourd’hui, on travaille toujours ensemble au sein de « Solidarité Femmes Parlementaires ».

Après ces considérations, peut-être faudrait-il voir le regard que des hommes membres des partis politiques posent sur certaines grandes figures politiques féminines. Ainsi, un haut cadre du CNDD, après avoir donné les noms de deux grandes militantes du FRODEBU, avoue admirer une de l’UPRONA, particulièrement pour la façon dont elle a gouverné une des provinces du pays.

Le 2e homme retenu est un sénateur de l’UPRONA, avec son appréciation de deux femmes leaders du FRODEBU : une, dotée d’ubuntu (humanité) et d’intelligence ainsi que la veuve de Melchior Ndadaye. Celle-ci « a enduré une souffrance indescriptible. Sauf mauvaise information de ma part, je ne l’ai jamais entendue en train de prononcer des discours de division et de revanche. Elle a observé un comportement digne dans les malheurs qu’elle a endurés. Ce comportement peut inspirer celui de nombreuses familles qui ont également vécu de dures épreuves durant les crises sanglantes de notre pays. Je ne l’ai jamais entendue dire : « Brûlez tout puisque je viens de perdre mon mari, frappez ces traitres ». « C’est cela le comportement digne ».

Toutefois, soulignons le revers de la médaille, tel qu’il est pointé du doigt par une femme leader du CNDD avant de terminer cette section. Pour elle, en effet, « Ce groupe de femmes qui émergent s’y prennent parfois mal : elles veulent s’imposer sur leurs maris et, partant, perdent toute crédibilité auprès d’eux. Habituées à s’exprimer haut et fort dans des réunions publiques, elles transposent cette façon de faire dans leurs foyers. Et c’est pour cela que ces derniers se disloquent. On remarque, en général, que ces femmes toutes puissantes en politique, sont incapables de construire un foyer stable. On dirait que c’est pour elles l’occasion de la revanche sur leurs maris ».

Mais alors, que penser de ces regards croisés ? Nous devons nous rendre à l’évidence : les divisions entre partis ne sont pas aussi fortes que cela puisse paraître, en ce qui concerne les femmes membres des différents partis politiques. Celles-ci sont peut-être plus unies que nous ne le pensons, partageant un certain nombre de problèmes transversaux. Ne constituent-elles pas un groupe social particulier, au-delà de l’adhésion partisane ? Ne faudrait-il pas étudier en profondeur les sympathies, les complicités, les interactions, les solidarités entre femmes politiquement différentes ?

Toutefois, s’arrêter à ce niveau de la grandeur du militantisme féminin empêcherait de scruter les choses de fond en comble. Nous avons probablement juste effleuré la question de la participation politique des femmes membres des partis politiques. En effet, nous avons traité la question de la politique par le haut, en parlant des femmes qui ont réussi. Mais, pourquoi ne pas aborder le problème autrement, en parlant des embûches parsemées sur le chemin de la participation politique des femmes ? Nous allons nous astreindre à cet exercice de désenchantement.

  1. Obstacles à l’endroit du militantisme féminin

Un exercice de désenchantement, car les obstacles sont à un niveau profond, anthropologique. De ce niveau, découlent tous les autres obstacles, à savoir : les obstacles causés par les hommes, ceux causés par les femmes elles-mêmes ainsi que les obstacles financiers.

    1. Niveau anthropologique : les affaires du dedans et du dehors

A ce niveau anthropologique, nous observons une division du travail entre hommes et femmes sur le plan de l’occupation de l’espace social. Il y aurait en effet, l’espace des affaires du dedans, occupé par les femmes et celui des affaires du dehors, domaine privilégié, espace de souveraineté des hommes.

Ce niveau anthropologique est vraiment contraignant pour les femmes, si bien que certaines le vivent sans s’en rendre compte, comprenant les choses sur le registre moral ou, pire, celui de la fatalité. C’est ce que tous nos informateurs ont appelé le poids de la culture, de la tradition et des coutumes.

En effet, les femmes sont confinées dans cet espace des affaires intérieures : la tradition les appelle « abanyakigo », « celles qui demeurent derrière dans l’enclos », occupées à de menus travaux domestiques. Et pour que les hommes burundais marquent cette séparation du dedans et du dehors, la tradition ne permet pas à la femme une prise de parole en public, se voyant même représentée dans cette tâche bien masculine par un de ses enfants mâles, si elle est veuve. C’est pour cela que, nous dit une militante de l’UPRONA, en général, « elle ne sait pas éclore et parler en public de façon convaincante ».

Dans cet espace du dedans, vit la femme épouse et mère, sous la responsabilité et l’autorité du mari. Mère, parce qu’elle est chargée d’élever les enfants et de perpétuer les traditions « Nous sommes ghettoïsées, dira une des femmes leaders» : « Urya ntavugira hejuru…Ni umupfasoni ». Ce qui veut dire : « Celle-là, quand elle parle, elle n’élève pas le ton, c’est une femme sage, bien élevée ». « Cela pèse sur le cerveau des femmes et les rend inaptes ».

Et la même femme leader, de se poser cette question inquiète, à laquelle elle se presse de donner une réponse : « Obéir, perpétuer la tradition, mettre au monde, éduquer, parmi ces verbes, y a-t-il un rôle public ? Non, car la gestion de la femme revient à l’homme ».

Cet obstacle d’ordre culturel, cette absence de rôle public, un cadre de l’UPD le considère comme un poids terrible vis-à-vis de l’égalité entre les hommes et les femmes et, partant, de l’émancipation politique de la femme. Il se rappelle comment, l’UPD, aux élections de 2010, avait placé une femme à la candidature de la présidence de la République. « Aussitôt cette candidature annoncée, nous avons perdu directement 30 % des voix au profit du MSD, d’après nos sondages ». De l’avis de plusieurs femmes interrogées, le principal obstacle à la participation des femmes membres des partis politiques, c’est le fardeau de la vie domestique. Vu cette surcharge des travaux domestiques et de l’éducation des enfants, va-t-elle oser participer aux réunions qui se passent le soir ou tard dans la nuit ? Non, certes. Le foyer risquerait de se disloquer. Dans cette atmosphère, les moments de s’exprimer politiquement sont réduits, voire inexistants.

    1. Les obstacles dressés par les hommes

Dans ce mouvement dialectique entre les affaires du dedans et du dehors, les hommes règnent en maîtres sur les deux espaces. La femme censée pourtant maîtriser les affaires du dedans, n’en est pas la maîtresse véritable. L’homme tient à s’assurer qu’elle est bien confinée dans cet espace, sans pouvoir en sortir. Une des enquêtées dira : « Nous devons toujours demander la permission à nos maris. Si le mari refuse, vous n’allez pas à la réunion ou, tout court, vous n’êtes pas membre du parti ». C’est donc le mari qui permet la sortie du dedans pour le dehors. Certains profitent de ce contrôle pour empêcher la participation aux femmes, les frappant même après les réunions. Serait-ce pour cela que certaines femmes, dans la condition de veuves, éprouvent, selon un cadre du CNDD, le sentiment d’être décolonisées ?

Ainsi, rien d’étonnant, remarque une militante du FRODEBU, que les hommes manquent la volonté politique de changer les lois : les intérêts des hommes des partis politiques sont intouchables et les leaders n’ont pas de vision pour une politique équitable.

Mais les femmes sont-elles, pour autant, lavées de tout soupçon ? Non, certes. C’est ce que nous allons examiner.

    1. Les obstacles dressés par les femmes

En effet, les femmes sont instrumentalisées dans cette destruction systématique d’autres femmes membres des partis politiques, usant de la diabolisation de ces dernières. « Ntaco yibanga », « Elle n’a de respect pour personne », diront-elles, sans même se rendre compte de cette instrumentalisation. Les femmes ne se soutiennent pas mutuellement, elles n’ont pas confiance en elles-mêmes et elles ne se font pas confiance mutuellement, sinon elles seraient solidaires pour la conquête du pouvoir. C’est la raison pour laquelle une des femmes cadres de l’UPRONA est franchement pessimiste lorsqu’on lui demande de citer les noms des femmes leaders : « Il s’agit dit-elle d’une affaire de clientélisme (« ni ikimenyane »). La démocratie participative des femmes est jeune, les parcours éphémères. On nous casse vite, on en sort les ailes brisées. Les femmes ne connaissent pas de longévité politique ».

Mais pourquoi ce manque de confiance mutuelle entre les femmes ? L’explication de cet état de choses est, encore une fois, anthropologique. Confinées depuis longtemps, de par leur socialisation, dans les affaires intérieures, elles vivent dans un monde fermé et trouvent anormal que leurs consœurs fassent une sortie remarquée vers les affaires du dehors, censées réservées aux seuls hommes. Ghettoïsées dans un tel espace, elles ne seront pas par exemple attirées par les nouvelles politiques de la radio ou de la télévision. Encore moins par la lecture des journaux.

C’est pour cela que, pensant à ce monde fermé des femmes, une des militantes est amère. Pour elle, les principaux obstacles viennent d’abord des femmes elles-mêmes (« de nous-mêmes les femmes »). « Nous occupons à peine 30 % alors que le MSD avait accordé 50 % des places aux femmes. En fait, il s’agit d’une très faible participation des femmes. Ainsi, les blocages sont les suivants : la peur de s’engager ; le manque de confiance en elles-mêmes. Par ailleurs, elles ne mettent pas les activités politiques au premier plan, mais d’autres activités sociales comme la participation à des comités de mariage, les prières de louange. Ou bien, elles diront : « nta mukozi mfise », je n’ai pas de domestique ».

L’autre obstacle sur lequel un ancien député du CNDD insiste tant, c’est la préférence du niveau national aux dépens de la base. En effet, si le niveau de participation des femmes membres des partis politiques est très faible, c’est parce qu’elles préfèrent une plus grande visibilité au niveau des organes dirigeants, profitant en cela de ce que la loi l’exige. Au niveau des collines et des communes, les intérêts ne sont pas immédiatement perceptibles. Ici, fait-il remarquer, les femmes intellectuelles préféreront se laisser gérer par des analphabètes. Pourtant, selon lui, c’est à la base que se trouve le parti (écoles primaires, dispensaires, etc.). Mais elles se bousculent pour des postes au plus haut niveau, notamment ceux de ministres et de députés.

Quand nous lui posions la question de l’image qu’il se faisait des collègues femmes membres des partis politiques, il répond, quelque peu désabusé :

« Il y a certaines femmes qui entrent en politique pour que le quota du tiers des postes soit atteint, mais sans réellement savoir ce qu’elles vont y faire. Par exemple, vous avez déjà été témoin de la façon dont ces femmes vendeuses de fruits ont été malmenées et frappées par les policiers. Nous avons pourtant 30 % de femmes dans les institutions (voire plus au Sénat). Cependant, pas une seule déclaration n’a été rendue publique pour dénoncer les agissements de la police ni pour appuyer ces femmes ou ces enfants de la rue. Normalement, la femme devrait être sensible à ce genre de réalités et proposer que dans le budget de l’Etat on crée une ligne budgétaire y relative. Les 30 % ne leur servent à rien, sinon pour être députée ou nommée ministre. Les femmes vendeuses dont on a confisqué les pagnes au marché dit « Kwa Siyoni », aucune femme parlementaire n’a plaidé pour elles ».

Dans le focus group organisé le 25 novembre 2014, bien que les 5 hommes étaient plus nuancés dans leurs réponses, les femmes s’exprimaient totalement dans le sens du député ci-haut cité, voire de façon plus radicale. Rappelons que ce focus group était composé en réalité de deux sous-groupes : 5 hommes dont un agent de sécurité, un échangeur de monnaie, un commerçant et 2 chômeurs ; 6 femmes, toutes petites vendeuses de fruits et de vivres.

A la question de savoir en quoi ces femmes membres des partis politiques leur ont été utiles, elles répondent qu’elles ne leur ont servi à rien du tout. En effet, elles n’auraient jamais plaidé leur cause, en particulier toutes les fois qu’elles ont été malmenées par la police. Amassant le plus qu’elles peuvent, elles ne mettent en avant que leurs intérêts et pratiquent la politique du silence, rendant ainsi leur condition sociale stationnaire. Suite à cet égoïsme, ces femmes membres des partis politiques n’ont jamais songé à rassembler les femmes vulnérables en question dans des associations de développement (notamment agricoles ou d’élevage). Désespérées, ces dernières pensent qu’elles ne feront jamais rien pour elles, et ne sont capables d’aucune initiative en leur faveur.

Une attitude, somme toute, d’un groupe de femmes vulnérables, qui montre que les femmes membres des partis politiques ont raté peut-être l’occasion la plus favorable pour se rendre concrètement utiles. Un exemple, parmi tant d’autres, d’obstacle à leur participation politique. Finalement, ne pas savoir pourquoi l’on fait la politique.

Après, nos informateurs, tel un cadre du FRODEBU, ont parlé de manque d’indépendance financière qui complexe les femmes. Ce qui, selon une militante de l’UPRONA, peut mettre celle qui s’engage sous le parrainage d’un homme du parti. Nous avons compris qu’il s’agissait d’un des aspects cachés de la vie des partis, où parfois le sexe, l’argent et le pouvoir s’enchevêtrent.

    1. Les obstacles financiers

La pauvreté frappe un grand nombre de femmes qui ne disposent pas de moyens pour payer les travaux domestiques. Ainsi, elles ne peuvent pas se faire remplacer, ne fut-ce que pour un certain temps, pour une plus grande participation politique. On se rend compte, en effet, de la pauvreté extrême dans laquelle certaines femmes vivent sur les collines, mais aussi dans les quartiers de plusieurs villes du pays, leur donnant un sentiment d’incompétence, voire d’incapacité politique. Et pour cause ! Lorsqu’elles ne peuvent pas verser leurs cotisations, financer certaines manifestations partisanes, elles sont considérées comme des membres de seconde zone, toute prise de parole en étant ainsi rendue improbable. Il faudrait donc un soutien financier envers ces femmes, notamment à travers certaines ONG, pour leur participation dans les campagnes électorales.

On pourrait globalement parler, comme ce sénateur, d’une participation sur incitation, c’est-à-dire non spontanée, non réellement volontaire.

  1. Pur une plus grande participation politique

Que faut-il faire pour favoriser la participation active des femmes politiques aux activités des partis politiques ? Doivent-elles nécessairement, pour s’adonner à la profession de femme politique, être des « super-femmes » avec une attitude individualiste rude et austère ? Ceci ne leur demanderait-il pas beaucoup de détermination au travail et d’organisation dans leur agenda? Seraient-elles capables de s’occuper en même temps de la vie politique et de l’éducation des enfants au foyer ? Nous débattons de ces questions dans les sous-points ci-dessous.

    1. Changer d’abord les hommes

Nous l’avons déjà fait remarquer, nous vivons dans une société phallocratique, celle de la domination toute puissante du mâle. Une femme cadre de l’UPRONA y va directement : « C’est l’homme burundais qui doit changer. Et quand il change, il change avec sa femme. Que les hommes ne veuillent pas une chose et son contraire ! Si l’homme change, il lâche, déroge, desserre l’étau sur les traditions, pilote le changement des mentalités ». Un cadre de l’UPD reconnaît qu’«Il s’agit d’une grande violence que les hommes, sur le plan symbolique, doivent s’infliger. En effet, il y a des hommes qui ne voient pas cela d’un bon œil. Ils disent que le parti ne peut pas se consolider aussi longtemps qu’il y a beaucoup de femmes dans les structures dirigeantes ». Et pour les faire plus participer, il faut demander aux hommes de commencer par intéresser à la politique leurs épouses ou leurs filles. Les hommes qui ont pu le faire sont très peu nombreux. En fait, les hommes burundais aiment participer seuls dans les partis politiques. Ils voudraient s’occuper seuls des « affaires du dehors ».

Les hommes et leurs femmes accepteront d’être fréquemment sensibilisés pour dépasser certaines traditions, comme dit un proverbe burundais: « la poule ne chante pas en présence du coq » (« Inkoko ntibika isake iriho »). L’homme aura vraiment changé, s’il accepte que les femmes occupent une place de choix dans les structures du parti.

Mais, c’est en définitive le couple qu’il faut changer, de telle sorte que l’homme et la femme comprennent de la même façon la mutation à vivre.

    1. Une nouvelle conception de la division sexuelle du travail

Il faut donc changer l’homme, notamment en le sensibilisant à aider sa femme dans les activités familiales pour lui donner le temps de se consacrer aux activités politiques. A ce sujet, un cadre de l’UPD fait remarquer : « Pendant que la femme est en train d’éplucher les patates douces, si toi tu te mets à cuire le haricot, qu’est-ce que cela te fera ? Rien du tout, sinon renforcer la relation entre l’homme et la femme dans un foyer ». « Nous tenons des réunions du parti les samedis et les dimanches et c’est là que nous enseignons ces choses à nos militants. A l’origine, en effet, ce parti est un parti révolutionnaire : nous voulons changer la société à partir du foyer ».

C’est donc toute une civilisation des mœurs dont il faudrait tenter l’apprentissage à la maison, avant même l’école maternelle. Si non, même ces sensibilisations fréquentes à l’endroit des femmes ne serviront pas à grand-chose.

    1. Soigner l’éducation

Pour le sénateur cité ci-haut, « Nous entendons ici à la fois l’éducation des femmes et des hommes : il faut que les femmes des associations invitent les hommes. Mais aussi l’éducation par l’école classique: que l’égalité hommes-femmes fasse partie des programmes de formation. L’école par le biais des formations tenues par la société civile, les plaidoiries, les séminaires, etc. Apprendre à l’école secondaire et à l’université les droits de l’homme. Le genre rentre d’ailleurs dans cette thématique globale. Nous sommes victimes de la discrimination, de l’exclusion, des privilèges contraires à la dignité humaine ». Par ailleurs, comment ne pas penser à « encourager la scolarisation de la fille burundaise ? Une scolarisation obligatoire : quelqu’un de formé sait aussi revendiquer ses droits ».

Mais cette éducation peut se faire aussi au sein du parti, ainsi que le conçoit un cadre du CNDD, pour les femmes partisanes : « Je leur fais faire des formations de sensibilisation au sein du parti pour une plus grande participation politique. Des séances que nous faisons généralement tous les samedis de 9 h à 13 h à l’intérieur du pays comme à Matana et à Rumonge. A Bujumbura, je les ai formées en matière de communication. Je leur fais aussi la synthèse lorsque des lois viennent d’être adoptées et leur montre comment elles doivent se comporter ».

    1. Réfléchir sur l’indépendance financière de la femme

Nous avons vu combien la femme, si elle est pauvre, participe difficilement à la politique. Une militante du CNDD-FDD conseille la sensibilisation des femmes pour devenir membres des associations génératrices de revenus. Alors, le mari dira à sa femme : « Allez participer aux réunions parce que ça génère des revenus ». « Nous nous entendons sur cette question avec les femmes des associations et d’autres partis politiques ».

Selon un cadre du CNDD, c’est la volonté politique qui les fera sortir de la pauvreté : en introduisant, au  niveau agricole, des méthodes modernes pour produire plus et en renforçant le mouvement associatif à partir des collines. Alors, à ce moment, la connaissance mutuelle entre les femmes sera assurée parce qu’elles se seront rencontrées quelque part. Elles pourront se faire confiance et trouver des leaders parmi elles.

Ne devraient-elles pas être nombreuses à se faire élire au niveau des communes et des collines, vu que tous les problèmes commencent à la base ? Cela ne sera rendu possible que par le mouvement associatif sur les collines, lequel suppose des activités génératrices de revenus.

    1. La loi comme acteur de changement

Si de telles associations et ONG sont importantes pour le changement, une loi est nécessaire pour accompagner les femmes. Pour faire plus participer les femmes, « une réelle volonté politique s’impose : celle d’appliquer les lois, de promouvoir un agenda « genre » (par les hommes et les femmes de la société civile) », mettre en application la Constitution et les textes internationaux. Bref, un engagement politique ferme.

La loi peut-elle changer la culture et les traditions qui enchaînent les femmes en général et les femmes membres des partis politiques en particulier ? Oui, sans conteste, si elle est associée aux quatre conditions précédentes. Mais surtout si les leaders politiques y croient suffisamment pour en faire une boussole et un principe de bonne gouvernance.

Conclusion 

Nous nous étions assigné, comme objectif, de répondre à la question suivante : « Comment comprendre la qualité de participation politique des femmes burundaises membres des partis politiques ? ». Les résultats de nos enquêtes nous ont d’abord conduits à un type de réponse emplie de pessimisme. En effet, cette participation, malgré la grandeur des figures féminines citées ci-haut est encore pour la plupart des femmes partisanes, « une participation sur incitation, c’est-à-dire non spontanée, non réellement volontaire ». Et pour cause ! Nos enquêtes ont révélé les nombreuses embûches dressées sur le chemin du militantisme partisan féminin. Confinées dans l’espace étroit du ‘’rugo’’, les femmes font face aussi aux multiples obstacles dressés par les hommes, au niveau du foyer comme du parti, aux obstacles dressés par les femmes elles-mêmes et au manque d’indépendance financière.

Dès lors, la plupart d’entre elles n’ont pas accès à l’espace public, fondement de la démocratie participative. Ces obstacles sont d’ordre structurel et leur poids pèse même sur les femmes leaders. Faut-il dès lors s’étonner, qu’à certains moments de crise où les citoyens, surtout les plus vulnérables, attendaient de ces femmes une parole d’autorité et de plaidoirie en leur faveur, les langues soient restées attachées au palais ? 

Toutefois, en dépit de ce constat, un bon nombre de nos enquêtés nous ont poussé à plus d’optimisme. Nous sommes devant une évolution, voire une révolution des mentalités qui demande beaucoup d’efforts. D’abord de la part des hommes eux-mêmes pour leur propre changement de mentalité. Au niveau de l’espace public, pour une plus grande indépendance financière des femmes et un plus grand soin de l’éducation des filles et des femmes à tous les niveaux. Un effort, toujours dans l’espace public, pour faire de la loi un grand facteur de changement. N’est-ce pas déjà un bon signe, le fait que les Burundais considèrent, aujourd’hui, comme tout à fait normal, le quota des 30% réservé aux femmes au niveau des institutions ?

Référence Bibliographique: 

Braud, P 2010. Sociologie politique. 10e éd. Paris : LGDJ.
Ferrette, J & Ledent, D 2006. La sociologie à travers les grands auteurs, Ellipses.
Heywood, A 2002. Politics, New York : Palgrave.
Lagroye, J 1993. Sociologie politique, Paris : Presses de la FNSP et Dalloz.
Mauss, M 2003. Sociologie et anthropologie, 10e éd. Paris: PUF.
Weber, M 1995. Economie et société, t.1. Paris : Plon.
Entretiens
Entretien avec un cadre du FRODEBU, Bujumbura, le 12 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre de l’UPD-Zigamibanga, Bujumbura, le 17 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre de l’UPRONA, Bujumbura, le 18 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre du FRODEBU, Bujumbura, le 20 novembre 2014.
Entretien avec un cadre de l’UPRONA, Bujumbura, le 21 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre du MSD, Bujumbura, le 22 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre du CNDD-FDD, Bujumbura, le 26 novembre 2014.
Entretien avec un cadre du CNDD, Bujumbura, le 26 novembre 2014.
Entretien avec un cadre du FNL (aile J. Bigirimana), Bujumbura, le 27 novembre 2014.
Entretien avec une femme cadre du CNDD, Bujumbura, le 27 novembre 2014.
Entretien avec un cadre du MSD, Bujumbura, le 28 novembre 2014.
Entretien avec un cadre du parti UPD-Zigamibanga, Bujumbura, le 12 novembre 2014.
Focus groups (5 hommes et six femmes), Bujumbura, le 25 novembre 2014.

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