Abstract:
Within the parameters of the general theme of this issue: “The democratic processes in post-conflict societies”, this editorial reflection tries to ask and to answer the question concerning the foundations of democracy in its universality and particularity. It argues that democracy is, indeed, one of “the things necessary for the good life”, not only because it is a socio-political framework where people test their self-determination, self–definition and the definition of their destiny, but it is also the framework of the fundamental values, namely: dignity, equality, and freedom.
However, this perception seems often to be obscured by an ideological conception of democracy meant to justify the neoliberal triumphalism. The problem of neo-liberal triumphalism is that it makes it practically impossible to refer to the ontological make-up of a people and their socio-historical itinerary to vindicate the particularity of democracy for a given society. The suggestion is that democracy be considered as a socio-political ordering achieved as people realise the knowledge and the consciousness of themselves as political beings. It is this understanding that leads to the view democracy from Sen’s perspective as the “government by discussion” in which “human agency” and “public reasoning” are displayed. The three issues of the volume 6 as well as the articles of the present issue are introduced
Nous en sommes au volume 6 de la revue d’Ethique et Société. Son centre de gravité portera sur « Les processus démocratiques dans les sociétés post-conflits ». Pourquoi ce thème ? Pourquoi pas un thème comme «Indépendance» étant donné que la plupart des pays africains célèbrent le 50ème anniversaire de leur indépendance ? Si la plupart des pays africains post-conflits se rendent aux urnes cette année, d’autres, par contre, l’ont soit déjà fait, soit le feront. Nous ne sommes pas devant des événements ponctuels mais des processus. Notre but n’est pas de nous intéresser aux nouvelles ou aux opinions à court terme, mais plutôt de remorquer ces dernières pour les conduire vers une vision durable. Pour la Revue Ethique et Société, il s’agit de prendre au sérieux la mission d’interroger et de creuser les faits en vue d’atteindre « les choses nécessaires à la vie », la bonne vie.
Si donc nous avons pris un thème des « processus démocratiques » c’est que ces derniers représentent un enjeu important pour la bonne vie et même l’indépendance. La démocratie suppose l’indépendance, l’autodétermination, la possibilité de s’auto-définir et de définir sa destinée comme individu et comme peuple. Mais plus encore, la démocratie incarne les valeurs fondamentales, universelles et particulières, qui constituent le socle même des droits humains à savoir la dignité, l’égalité et la liberté des individus et des peuples.
J’ai toujours considéré la démocratie comme étant une forme de gestion socio-politique liée à l’évolution de la connaissance et de la conscience de soi et de sa dignité, donc un accomplissement socio-historique atteint au fur et à mesure que les citoyens deviennent politiquement conscients, ou mieux, prennent conscience de leur maturité politique. D’ailleurs aujourd’hui, on tend à redéfinir la démocratie non pas en termes traditionnels du gouvernement par le peuple et pour le peuple, mais plutôt, comme le dit Sen (dont l’œuvre, The Idea of Justice, est recensée dans cette parution), en reprenant les mots de Stuart Mill, un « gouvernement par discussion ». Ceci implique que la démocratie ne peut pas se définir en termes des institutions qui en résultent, mais plutôt la possibilité du « raisonnement public » qui la fonde (Sen 2009 : xiii ; voir aussi son livre, The argumentative Indian, 2005).
Cette conception de la démocratie que propose Sen est très importante parce qu’elle nous écarte de la conception idéologique de cette forme de gouvernement héritée du triomphalisme néolibéral. Il me semble qu’il y a un problème qui relève de ce triomphalisme, notamment, la négligence dont je soulignerai deux aspects.
En premier lieu, d’un point de vue ontologique, il y a la négligence apparemment délibérée de la réalité socio-politico-culturelle d’un peuple obligé de démocratiser son système politique bon gré mal gré. Or la base, et /ou la texture ontologique de ces sociétés qui veulent faire triompher le néolibéralisme politique prétextant qu’il offre des dividendes économiques importants est différente de celle des sociétés en développement. Et même si la démocratie était imposée au nom des valeurs universelles, existe-t-il une raison suffisante de mise à l’écart des valeurs particulières des peuples ?
En deuxième lieu, du point de vue historique, il y a la négligence de la dynamique historique des peuples. La démocratie occidentale qui tend à être universalisée est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, au prix d’une longue et laborieuse histoire intellectuelle et scientifique parsemée de chambardements sociaux et politiques dont le corollaire a été justement la nouvelle texture ontologique. Les itinéraires socio-historiques et les textures ontologiques des peuples ne diffèrent-ils pas ?
En s’engageant dans les processus démocratiques, ne faudrait-il pas engager en même une réflexion de fond sur les différentes formes de démocratie en fonction des textures ontologiques et des dynamiques historiques des peuples? Ne faudrait-il pas voir quelles valeurs morales et politiques issues des différentes textures ontologiques rencontrent les valeurs morales et politiques universelles de la démocratie. Ici nous sommes confrontés à la question de l’agence humaine (Sen 1999 :19)[1]. Celle-ci ne se concentre pas seulement sur l’objectif à atteindre mais aussi sur la meilleure manière de l’atteindre. On parle justement de la démocratie des sociétés ultralibérales, de la démocratie libérale tout court, de la démocratie sociale, ou de la démocratie marxienne, etc.
Aujourd’hui certains penseurs africains sont en train de réfléchir sur la démocratie consensuelle qui s’harmoniserait avec le caractère communautaire de la société africaine et qui tiendrait compte de l’aspect délibérative. Mais cette réflexion reste encore timide d’autant que l’expérience historique de l’Afrique est telle qu’un effort supplémentaire doit être fait pour se défaire de la colonisation des esprits et l’extraversion qui en est le corollaire (Cf. Hountondji 2002, Deng 1998, Wiredu 1996).
Est-ce que les médias pourront nous donner un « push » dans cet itinéraire et cet effort? Est-ce que les religions pourront nous aider à sortir de la démocratie idéologique de type occidentaliste pour nous pousser sur la voie de la démocratie réaliste inculturable? Est-ce que la démocratie pourrait s’approprier la tache de la vérité et de la réconciliation quand on sait que la vérité de la majorité n’est pas nécessairement la vérité de la minorité. Ici je pose en même temps, la question du point de convergence de ces deux blocs souvent opposés, mais aussi conflictuels dans les pays en quête de la stabilité sociopolitique et du développement économique.
Les articles du présent numéro se concentrent sur le rôle des médias dans les processus démocratiques. Ingiyimbere essaye de tracer les contours éthiques du droit d’expression dans la période électorale, en soulignant le fait qu’il s’agit d’un enjeu politique. Bitota Muamba explore la question de la parité homme/femme dans le domaine public. Elle essaye de défier la normalité établie par les imaginaires sociaux ainsi que les préjugés qui attribuent à chaque sexe un rôle spécifique et font de la politique la chasse gardée des hommes. Katubadi-Bakenge part du code de déontologie de la presse au Burundi et tente de théoriser l’éthique téléologique. Il suggère qu’il est nécessaire de dépasser la proscription qui pèse sur les fautes à éviter en vue de la prescription où il est possible de cultiver la vertu. En marge, les deux recensions nous lancent sur une nouvelle idée de la justice (en découdre avec les injustices avant de proposer une justice idéale et des institutions justes), et nous invitent à nous défaire de l’idée selon laquelle il y a un lien entre l’aide et la démocratie.
[1]Je traduis le concept en anglais « human agency » en français « agence humaine ». Ordinairement le concept « agent » duquel dérive « agency » veut dire celui qui agit pour le compte d’un autre et ses objectifs. Ce n’est pas dans ce sens que j’emploie « agence humaine ». Le concept agent dénote une personne en étant actif, et dont les actes peuvent être jugés en termes de ses propres valeurs et objectifs. Il est donc opposé à une personne passive. C’est en ce sens que je parle de l’agence humaine.
Référence Bibliographique:
Deng, L A 1998. Rethinking African Development : Toward a framework of
social integration and ecological harmony.Trenton/Asmara: Africa Word Press.
Hountondji, P 2002. The struggle for meaning: A reflection on philosophy,
culture, and democratie.Athens: Ohio University Centre for International Studies.
Sen, A K 2009. The Idea of Justice. Cambridge, MA: Harvard University
Press.
Sen, AK 2005. The Argumentative Indian: Writings on Indian, History,
Culture and Identity. New York: Picador
Wiredu, K 1996. Cultural Universals and Particulars: African Perspective.
Bloomington/Indianapolis: Indiana University Press.
« Le politicien pense aux prochaines élections ;
l’homme d’Etat à la prochaine génération ;
et le philosophe à un avenir indéterminé » (J. Rawls)
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