DEMOCRATIE, INTEGRATION ET IDENTITES NATIONALES EN AFRIQUE

Abstract: 

The fathers of African independence had as their ultimate political project, to move away from the kind of territories inherited from colonisation in order to build nation-states for free citizens. However, since the independence period up until the era of democracy in the 90s, the predominance of one party rule suppressed people’s freedoms. The African leaders wanted to prevent the affirmation of ethnic identities which were thought to undermine national unity and the democratic process.

A quick judgment might lead people to believe that identity claims undermine the objectives of democracy.

 

In reality, identity claims do not downgrade democracy. Instead, they enrich democracy by forcing the political majority to take seriously the aspirations of the minority. For those who adhere to the exigencies of democracy, the challenge for the political future in Africa could consist of putting on the agenda a “context of open solidarity”. Thus the claim of this paper is that the future of a prosperous Africa will result from a social contract by which Africans themselves decide to live together and pursue a common destiny beyond national boundaries.

1.       La question dans son contexte : tension entre la vie héritée et la vie voulue

 

La démocratie occidentale introduite en Afrique et expérimentée par         les Africains est caractérisée par un double mouvement (Afan 2010 :  95-105). D’une part, la pratique du jeu démocratique consiste à dé-construire le lien social hérité de la colonisation, entretenu et renforcé par les partis uniques et leurs chefs. D’autre part, les acteurs du processus démocratique essayent, dans un contexte parfois hostile, de re-construire un nouveau lien social, librement consenti. Selon ce double mouvement, il n’y a pour l’homme d’obligation légitime que celle à laquelle il a préalablement consenti ; et il n’y a de lien social légitime que celui dans lequel les hommes sont libres. Finalement, le jeu démocratique consisterait, pour les dirigeants africains, à faire passer les citoyens d’une vie héritée à une vie voulue.

 

Pour atteindre cet objectif dans le contexte africain, il serait nécessaire d’articuler la notion de communauté qui repose sur une volonté organique et irréfléchie, et la notion de société qui suppose une volonté réfléchie (Tönnies 1977).De fait, le projet avoué des pères des indépendances africaines était de partir des territoires hérités de la colonisation, pour bâtir des Etats-nations pour des citoyens libres. Mais, depuis les indépendances, le règne des partis uniques a brimé les libertés jusqu’aux revendications de la démocratie par les peuples dans les années 1990. Par ailleurs, les différentes identités ethniques et nationales ne rendent pas facile la réalisation du projet démocratique africain.

 

Dans le contexte de la mondialisation, la tendance est aux regroupements régionaux ; l’Afrique n’a d’autre choix que de surmonter les conflits identitaires afin de se présenter au reste du monde comme un peuple uni et libre ; elle en a les moyens culturels et humains.

 

 

2.      Tension entre la souveraineté et la démocratie:           l’indépendance 

 

La nouvelle société démocratique encore au stade expérimental exige que soit assurée la liberté de lutte des populations pour qu’elles puissent s’affranchir du joug des dictateurs. Cette préoccupation était prise en charge dans la société africaine précoloniale. En effet, il serait erroné de considérer la société traditionnelle africaine comme le lieu la liberté et le consentement étaient absents, les populations restaient sans réaction face aux mauvais comportements de leurs chefs. Il serait également inexact d’envisager le régime démocratique, soucieux de la liberté individuelle, comme visant à pousser les citoyens à refuser toute soumission, à bannir de leurs conduites le dévouement généreux à la cause communautaire, à remplacer la pratique de la solidarité par le repli sur soi.

 

Au moment la plupart des pays africains célèbrent les 50 ans d’indépendancel’indépendance politique ne s’est pas traduite par l’indépendance économique et sociale. Même la création de communautés économiques régionales telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Communauté de l’Afrique de l’Est (ECA) et le Marché commun pour l’Afrique Australe et  de l’Est (COMESA), entre autres, n’a pas développé un type d’intégration économique qui puisse sortir le continent du marasme.

 

En réclamant l’indépendance, les pays africains visaient une libération à la fois économique, politique et culturelle :l’indépendance devrait ouvrir la voie à la formation d’une identité nationale. Cependant, plusieurs décennies après le départ des colonisateurs, les faits attestent que l’indépendance des pays africains n’est réelle, dans une certaine mesure, que sur le plan politique (et encore !), dans le sens la matérialisation des frontières héritées de la Conférence de Berlin (du 15 novembre 1884 au 26 février 1885) a donné une identité politique à des portions de terre. L’indépendance politique correspond ainsi à l’accession à la souveraineté nationale. Théoriquement, chaque pays indépendant détermine souverainement son action extérieure, choisit ses relations bilatérales. C’est pourquoi la crainte, partagée par les dirigeants, était que les pays africains perdent cette indépendance à la création, en 1963, de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).

 

L’intégration régionale africaine a connu un remarquable renouveau depuis l’établissement formel de l’Union Africaine (UA) en 2002. Suite       au Traité d’Abuja, entré en vigueur depuis 2004, il a été envisagé de créer en six étapes, d’ici 2028, une Communauté économique africaine. De même, suivant le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), a été lancée en 2002 l’initiative imposée par l’Union Africaine de créer le Mécanisme africain du NEPAD d’évaluation par les pairs (procédé propre à l’UA), en vue de mesurer la bonne gouvernance… L’Union Africaine est devenue le cadre d’un nouveau régionalisme africain.

 

La crainte d’une organisation continentale toute puissante ne manquait peut-être pas de fondement pour des Etats jaloux de leur souveraineté. En effet, l’indépendance des Etats-nations africains a été accompagnée et appuyée par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). L’OUA avait pour objectif de protéger la souveraineté de chaque Etat africain. Une des priorités de l’OUA était d’empêcher la révision des frontières, souvent délimitées de manière artificielle durant l’époque coloniale. La non-intervention dans les affaires intérieures est devenue la principale application du principe de protection de la souveraineté nationale. Toutefois l’OUA n’a pas réussi à lier le principe de souveraineté nationale avec le principe de souveraineté populaire, qui est lui-même attaché aux principes des droits humains, de la règle de Droit, de la responsabilisation démocratique et de la bonne gouvernance.

 

Mais il est tout aussi légitime de lier la fin de l’indépendance politique à l’ingérence des troupes militaires étrangères, surtout françaises dans les affaires africaines. Elles interviennent souvent pour décider du départ de quelques chefs d’Etat ou de leur maintien contre le gré des populations. Leur présence a eu des conséquences plutôt malheureuses sur l’évolution politique des pays africains, tout comme leur discrétion depuis un moment a produit des effets positifs. Avec la présence massive des ex-colonisateurs sur le continent, les tentatives des pays pour affirmer leur indépendance politique ou diplomatique se soldent souvent par un échec. En témoignage l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, où des troupes étrangères, notamment françaises, sont intervenues dans un conflit postélectoral pour imposer un candidat à la présidence de la République.

 

Ensuite, parler d’indépendance économique semble tautologique dans la mesure où la première manifestation de la volonté d’indépendance est l’appel des dirigeants à consommer africain, à vivre des seules ressources locales. L’indépendance économique ainsi prônée correspondait, pour les pays, à pouvoir survivre sans tendre la main à l’extérieur. Cette idéologie faisait croire naïvement qu’on peut vivre en autarcie sans importer des biens et des services, sans échanger ; elle renvoie à une attitude de fermeture et de repli sur soi. Historiquement, un seul pays a pris le risque de cette autarcie: la Guinée Conakry. En disant non au Général Charles de Gaulle, Sékou Touré choisissait dès 1958 de couper son pays de toute influence extérieure. Pour le reste des pays francophones, dès la proclamation des indépendances, et malgré l’esprit et l’enthousiasme nationalistes de l’époque, les pays s’ouvrirent réellement et parfois systématiquement au marché extérieur. La crainte que suscite la présence des étrangers (Africains ou non) dans les pays africains ne découle pas seulement de la conviction, justifiée ou non, que cette présence contribue fortement au chômage dans les pays hôtes; l’inquiétude est grande parce que la présence des étrangers blesse le sentiment d’indépendance économique, inséparable de la fierté et de l’identité nationales des pays.

 

Enfin, l’indépendance culturelle signifie la prise de conscience collective, sur un même territoire, d’une identité propre à une communauté qui lui permet d’exprimer aux autres un sentiment, soit positif d’accueil et de tolérance, soit négatif de rejet, de crainte ou même de mépris. En d’autres termes, pour que l’indépendance culturelle soit effective, il faut que les habitants d’un même pays se sentent exister avec une identité propre. L’identité culturelle est différente du simple sentiment national même si celui-ci en fait partie. Cette conception n’est du reste pas étrangère à l’Afrique traditionnelle où l’appartenance à une communauté est marquée par l’unité et l’homogénéité familiales ou tribales. La notion de culture est complexe lorsqu’elle est introduite dans le domaine politique. Dans la mesure où les frontières n’obéissent à aucun critère (géographique, sociologique, linguistique ou culturel), logique ou évident, la notion de culture peut jouer à un double niveau: soit pour diviser les populations d’un pays donné au lieu de servir de lien d’unité; soit pour réunir par-delà les frontières, les populations d’un pays donné et celles des pays voisins.

 

Dans le premier cas, la langue, considérée comme l’élément central d’une culture, est un exemple frappant. Depuis les indépendances, pour ne pas remonter à la Conférence de Berlin, la langue a plus divisé les populations africaines qu’elle ne les a réunies. En effet, les Etats africains ont été constitués sur des clivages linguistiques jamais surmontés. Même si l’on suppose que les populations africaines, de part et d’autre des frontières nationales, pratiquent la politique du bon voisinage (ce n’est malheureusement pas toujours le cas), dans quelle mesure une langue particulière d’un pays pourrait-elle constituer la base de l’unité régionale quand chacune réclame un statut d’hégémonie ? Si la langue était la base de l’identité nationale, les peuples parlant la même langue seraient d’un même pays, ce qui est loin d’être vérifié pour le moment. La frontière n’est pas seulement une ligne tracée sur les cartes géographiques ; elle est aussi un élément qui échappe parfois à toute objectivation. Chaque Africain est tendu entre plusieurs appartenances qui s’opposent parfois entre elles et l’obligent à faire des choix déchirants. L’Africain, de part et d’autre des frontières, vit un tiraillement entre son appartenance à une culture traditionnelle et son appartenance à une nation qui se construit. Une revendication identitaire exprimée par l’exclusion et le mépris peut rendre les relations entre populations voisines de plus en plus difficiles et provoquer à terme des affrontements et des guerres civiles.

 

Dans le second cas de figure, l’exemple du droit lié au sol (lieu de naissance) pourrait être significatif. Plusieurs personnes sont exclues de la scène politique nationale parce qu’elles ne sont pas reconnues comme natives du territoire national. La plupart des pays africains ont déjà célébré leur cinquantième anniversaire d’indépendance ; d’autres le préparent. Or l’accession à la souveraineté nationale et internationale est postérieure à la date de naissance de plusieurs responsables politiques actuels. Tout en trouvant légitime les normes restrictives, au nom du principe démocratique qui veut que le peuple élabore ses propres critères de représentativité, force est de reconnaître que le critère du lieu de naissance ne suffit pas encore à définir positivement une identité nationale en Afrique.

3.       Majorité, minorité et l’identité nationale: l’enjeu démocratique

Un jugement rapide pourrait faire croire que les revendications identitaires ébranlent les objectifs de la démocratie. En réalité, les manifestations identitaires ne sont pas une dégradation de la vie démocratique; elles l’enrichissent au contraire en contraignant la majorité politique à prendre plus en compte les aspirations de la minorité. Des situations concrètes appellent l’intervention du législateur pour le respect des droits des minorités. Dans les faits hélas ! La situation est grave dans certains pays ; il faut même avancer que malgré les déclarations rassurantes des hommes politiques, la tendance est à la banalisation du problème identitaire.

Pourtant, de plus en plus des groupes sociaux se persuadent à tort ou à raison, qu’ils sont menacés soit sur plan physique, soit sur le plan politique. Les conflits identitaires naissent lorsque la survie réelle ou fantasmatique du groupe est en jeu, quand celui-ci se sent dépossédé non seulement d’un territoire ou de son territoire, mais plus gravement, lorsqu’il se sent privé de son droit de vivre, de sa spécificité. Par exemple, au Sénégal, la rébellion casamançaise a longtemps utilisé l'argument de la faiblesse des investissements effectués sur place. Et l'île d'Anjouan a évoqué le même motif pour demander son détachement des Comores.

Une inégale répartition des richesses nationales peut avoir pour conséquence des replis identitaires et des conflits difficilement maîtrisables. En effet, qu'il s'agisse du Congo, de la République Démocratique du Congo, ou de la Sierra Léone, la stratégie des belligérants repose sur le contrôle des zones diamantifères ou des champs pétroliers. Ces conflits créent des blessures narcissiques plus ou moins difficiles à surmonter ou à guérir. Autant de facteur de déstabilisation, de déséquilibre, de désordre qui menacent le processus démocratique en Afrique.

La démocratie suppose l’existence d’un Etat dont les membres se reconnaissent dans un ensemble, un et indivisible ; cette unité se manifeste à travers des comportements nationalistes au sens positif du terme nationalisme proposé par Gellner :

 

 Le nationalisme est essentiellement un principe politique qui affirme que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes. Le nationalisme est une théorie de la légitimité politique qui exige que les limites ethniques coïncident avec les limites politiques, et, en particulier, que les limites ethniques au sein d’un Etat donné […] ne séparent pas les détenteurs du pouvoir du reste du peuple. »  (Gellner 1989 : 11)

Cette définition souligne bien les aspects essentiels de la démocratie dans sa version moderne. En effet, il est nécessaire que les dirigeants soient issus du même Etat que le peuple qu’ils représentent. De fait, si les dirigeants ne sont pas de la même nationalité que le peuple, celui-ci se sentira opprimé et mal représenté. La pratique démocratique présuppose un type de société unifiée, intérieurement uniforme, renforcée par la communauté de langue, de culture et de lieu de naissance. Les nouvelles communautés démocratiques sont composées

 

Des êtres portant en eux des appartenances qui, aujourd’hui, s’affrontent violemment ; des êtres frontaliers, en quelque sorte, traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou autres. En raison même de cette situation […], ils ont un rôle à jouer pour tisser des liens, dissiper des malentendus, raisonner les uns, tempérer les autres, aplanir, raccommoder […] Ils ont pour vocation d’être des traits d’union, des passerelles, des médiateurs entre les diverses communautés, les diverses cultures […]. Si ces personnes elles-mêmes ne peuvent assumer leurs appartenances multiples, si elles sont constamment mises en demeure de choisir leur camp, sommées de réintégrer les rangs de leur tribu, alors nous sommes en droit de nous inquiéter sur le fonctionnement du monde(Maalouf 1998 : 11)

Les dirigeants africains appartenaient à la tribu dont les arbres généalogiques permettent de remonter le cours ; les récits généalogiques peuvent conduire dans des réseaux qui ne tiennent pas du tout compte des frontières d’appartenance immédiate. Ainsi, des chefs pouvaient être étrangers au groupe qu’ils dirigent par des jeux d’alliances. La tribu recouvre des personnes liées par une solidarité biologique suffisante pouvant leur conférer une identité propre. Elle ne se définit pas seulement par une langue, un territoire ou une religion, mais principalement par le lien de l’appartenance historique qui unit le groupe pour le moins bon et pour le meilleur, même dans la dispersion.

 

La tradition orale rapporte des types d’appartenance portés par des enjeux aussi bien économiques, sociaux que militaires et religieux. Ainsi furent enregistrées des cohabitations pacifiques, mais aussi des guerres de conquête ou d'endoctrinement. Dans l’histoire du Mali, par exemple, on peut distinguer au moins quatre types de conflits armés : les guerres d’expansion, dont l’exemple accompli fut la guerre que Soumaworo Kanté, le roi-forgeron livra aux anciennes provinces du Ghana dont le Mandé au XIIIème siècle. La Djihâd de El Hadj Omar, à travers le Soudan Occidental (1852-1864), et les conquêtes de l’Almamy Samory Touré (1883-1888) en constituent d’autres exemples ; les guerres défensives ou de libération que les malinké nomment «Horoya Kele». La lutte héroïque de Soundiata Keïta contre Soumaworo Kanté pour la libération du Mandé en constitue l’exemple emblématique pour les malinké. La résistance des troupes du Songhoi contre les conquérants marocains (1590-1592), la résistance des forces du Kénédougou à l’attaque des armées samoriennes (1887-1888) en sont aussi des exemples célèbres. Dans la catégorie des guerres punitives, on peut citer les expéditions des généraux de Soundiata contre les roitelets récalcitrants au pouvoir du vainqueur. C’est aussi le cas des nombreuses expéditions des rois de Ségou contre les hégémonies voisines tels les Peuls du Macina. Les guerres de razzia et de rapine n’avaient d’autre but que de procurer aux belligérants du butin ( Konaré Ba 1987).

Qu'elles soient de nature belliqueuse, conflictuelle ou pacifique, les relations entre personnes et entre communautés sont guidées, soit par un souci d'accroissement démographique, soit par une quête d'extension territoriale. En dépit de l'importance des liens et des processus conduisant à leur établissement dans les systèmes d'organisation des sociétés, les filiations biologiques et historiques y demeurent les déterminants majeurs des liens sociaux (Akindès 2003 : 379-403).

 

Depuis les essais d’application des principes démocratiques, le sentiment nationaliste pousse des gens à désigner certains dirigeants avec hostilité comme des étrangers. En même temps, avec la démocratie moderne, personne n’est déterminé en droit par son appartenance. La place de chacun dans la société moderne est déterminée par l’éducation et la compétence. Aucune séparation publique ne saurait empêcher la mobilité sociale dans une société où les hommes sont égaux en droit. Ce programme comporte des germes de rivalités et de conflits, étant donné que la démocratie suppose non seulement l’égalité mais aussi la liberté pour les groupes comme pour les personnes de participer à la gestion des affaires publiques (Afan 2001). L’idée d’une identité nationale, reposant sur la culture, est sinon creuse, du moins confuse, dans les pays africains.

 

Cependant, il est difficile de renoncer à parler d’identité nationale si l’on veut que la démocratie soit pratiquée en Afrique. Une identité nationale doit se définir d’abord politiquement et non pas culturellement dans la mesure où le découpage territorial de l’Afrique n’est pas fait en fonction des cultures. Pour l’instant, les pays vivent dans l’indétermination politique et l’indéfinition nationale à cause de la nouveauté de l’expérience démocratique. Il en ressort que l’affirmation de l’identité nationale est à la fois condition et expression de la démocratie ; elle est aussi la référence et la source des conflits. Le paradoxe de la démocratie en Afrique réside donc dans l’ambivalence de la notion d’identité nationale.

 

La dérive identitaire peut conduire à l’exclusion, à se désintéresser de ce qui se passe dans les autres pays. Ainsi, dans la Charte d’Addis-Abeba, le principe du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat révélait à lui seul la nature de l’OUA qui n’était pas une organisation des peuples chargée de donner un corps à « la personnalité africaine » mais une organisation des Etats et plus exactement une organisation des Chefs d’Etat qui se sont donnés pour objectif, dans les années 1970, de construire la nation.

 

4.      De l’identité nationale à l’intégration régionale

 

Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres, destiné à protéger la souveraineté nationale, a empêché l’OUA d’avoir un droit de regard sur les conflits internes et les violations des droits humains. Il était devenu nécessaire de promouvoir les regroupements politiques régionaux. Un certain nombre de pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont en commun le franc CFA comme monnaie. Il faut espérer qu’en s’étendant, l’initiative provoque la naissance d’une monnaie qui exprime une indépendance économique et d’institutions régionales communes. Seulement, cet espoir serait profondément mis en cause si des pays aussi importants géographiquement et économiquement que le Nigeria et le Ghana devraient continuer à évoluer en dehors de la monnaie commune.

 

L’intégration régionale qui mobilise tant de rencontres ne saurait se réaliser, si les Africains restent agrippés à leur souveraineté nationale envers et contre la réalité. De plus en plus, les pays qui se sont consolidés sous le parapluie de l’intangibilité des frontières, subissent des tractions sociales qui les conduisent au bord de la rupture (Yameogo 1993 : 14).Le rappel du colonialisme et de la tradition africaine pour comprendre la question de l’identité nationale, dans l’Etat postcolonial, n’est pas une régression de la pensée ; on pourra se référer également au racisme qui prend des formes nouvelles. De fait,                   le nouveau racisme n’a pas pour base la couleur de la peau.

 

Lorsque la question de l’identité nationale est évoquée pour justifier           le mépris, il ne  s’agit plus de l’exclusion mais de la discrimination.           Le nouveau racisme date de l’époque de la décolonisation, de l’inversion des mouvements de populations entre les anciennes colonies et les anciennes métropoles, et de la scission des communautés traditionnelles entre plusieurs espaces politiques. Le racisme n’a donc pas disparu avec l’indépendance des pays. Au contraire, idéologiquement, le racisme actuel, centré sur le complexe d’immigration, est un racisme sans races, un racisme dont le thème dominant n’est pas l’hérédité biologique, mais l’irréductibilité des différences culturelles ; un racisme qui, à première vue, ne postule pas la supériorité de certains groupes ou peuples par rapport à d’autres. Il s’agit de ce qu’on peut appeler un racisme différentialiste.

 

Pour vivre l’ère véritablement démocratique, l’Afrique doit faire siens les principes générateurs de l’Etat moderne. D’abord, il y a l’acceptation de l’égalité des situations, un principe qui fonde une société animée par l’idée que les hommes naissent égaux en droit ; ensuite, l’acception de la liberté de l’homme, un principe qui caractérise une société dans laquelle les normes qui président à la vie sociale sont intégrées à la nature de l’homme, et doivent viser à préserver la possibilité d’une liberté constitutive de l’humanité de l’homme : cela signifie pour tout homme, la possibilité de refuser toute détermination identitaire, de tempérer ses tendances égoïstes, nationalistes, régionalistes et ethnicistes. Enfin, il est nécessaire d’affirmer le principe de l’autonomie des personnes.                  Il caractérise une société au sein de laquelle les personnes sont reconnues dans leur dignité. Elles ne sont traitées ni définies uniquement en fonction de leur appartenance à une classe sociale, à une religion ou à une tribu.

 

Le souhait d’une intégration régionale demeure profond. Pour la majorité, elle apparaît comme une réponse de bon sens à la mondialisation et une opportunité de désenclaver des économies et des sociétés marginalisées en raison de la faiblesse de leur développement. Le potentiel de croissance d’une région intégrée est reconnu, mais               il manque la volonté politique de sortir d’un cercle vicieux qui, à travers des prétextes historiques, entretient le blocage.

 

 

 

 

5.      Conclusion : promotion du bien commun dans une solidarité ouverte

 

L’enjeu de l’avenir politique de l’Afrique semble consister, pour ceux qui adhèrent aux exigences de la démocratie, à inscrire la promotion du bien commun dans le cadre d’une solidarité ouverte. Pour cela, il est urgent de repenser en profondeur les principes habituellement invoqués pour justifier les institutions qui mettent en pratique la solidarité.            Au nom de la solidarité, la communauté doit fournir à chacun, autant qu’il est techniquement possible, les moyens lui permettant de vivre dignement. Par ailleurs, la solidarité entre générations ne demande pas seulement que la jeunesse actuelle fasse pour la génération de ses parents ce qu’eux-mêmes ont fait pour la génération des leurs, mais à la fois plus et mieux.

 

Refonder la solidarité en ce sens, ne signifie pas se mettre en quête de principes inébranlables, définitifs et absolus ; c’est mener une réflexion critique conduisant à la formulation, toujours provisoire, d’un ensemble cohérent de valeurs qui, tout bien considéré, mérite l’adhésion des populations (Van Parijs 1996). En effet, l’avenir d’une Afrique prospère, présuppose un contrat social par lequel les Africains décident par eux-mêmes, au-delà des frontières fixées par le partage des colonisateurs, de vivre ensemble et de viser une destinée commune (Obenga 2007). Il s’agit d’un chemin d’unité, de solidarité, de partage, de concertation panafricaine, de grande vision continentale, transcendant lignages, clans, villages, tribus et ethnies.

 

Référence Bibliographique: 

Afan, R  2001. La participation démocratique en Afrique. Paris: Cerf.

 

Afan, R 2010. Les masques du pouvoir politique en Afrique. Paris: L’Harmattan.

 

Akindès, F 2003. Le lien social en question dans une Afrique en mutation. In  

Josiane Boulad-Ayoub et Luc Bonneville (dirs), Souverainetés en crise,pp. 379-403. Collection Mercure du Nord. Québec: L'Harmattan et Les Presses de l'Université Laval

 

Gellner, E 1989. Nation et nationalisme, Paris: Payot.

 

Konaré Ba, A 1987. L’épopée de Ségou, Da Monzon : Un pouvoir guerrier. Paris:

Pierre

 

Maalouf, A 1998. Les identités meurtrières, Paris: Editions Grasset, Lausanne :

Marcel-Favre.

 

Obenga, T 2007. Appel à la Jeunesse Africaine: contrat social africain pour le 21ème

siècle.Conférence tenue le 31 juillet 2007 au CAPE (Centre d'Accueil de la Presse Etrangère).

 

Tönnies, F 1977. Communauté et sociétés.  Paris: Retz Coll

 

Van Parijs, Ph 1996. Refonder la solidarité. Paris:  Cerf.

 

Yameogo, H 1993. Repenser l’Etat africain. Paris:  L’Harmattan.

 

 

 

 

Domaine: 

Rubrique: 

Français

Revue Ethique et Société
Fraternité St. Dominique
B.P : 2960 Bujumbura, Burundi

Tél: +257 22 22 6956
Cell: +250 78 639 5583; +257 79 944 690
e-mail : info@res.bi
site web: www.res.bi

 

Fraternité Saint Dominique de Bujumbura

Nous, Dominicains du Burundi sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de...

Lire la Suite

Couvent Saint Dominique de Kigali

Nous, Dominicains du Rwanda sommes des membres d'un Ordre religieux international et multiséculaire dont le charisme fondateur s'articule autour de

Lire la Suite