CORRUPTION ET ASSOMPTION DE L’ETRE HUMAIN : CONTOURS ETHIQUES ET POLITIQUES DE LA QUESTION

Abstract: 

The theme of corruption seems to be at the intersection of two different yet complementary issues. On the one hand, it provides a scheme of intelligibility of ethical and political practices. On the other hand, it combines the pathological metaphor (which naturalises misbehaviour) and the typically modern issue of evil, which is based on an anthropology rooted in absolute values. This allows us to ask several questions. The human being is under the power of matter. What is the way out?  Could art have anything to do with the practice of corruption? Do worksof art tell us anything about the corruption of human beings? How can the new order of things give birth to a situation of extreme corruption or profound crisis?

 

Against this background, this paper makes a triple claim: The first claim is that the human being is a finite being. The clearest expression of this finitude is corruption.  The second claim is that corruption cannot be reduced merely to various punctual acts such as financial or social advantages. Rather, corruption extends  beyond appearance and informs us about the decay of the mental dynamism of the human being, which can be verified in the negative implications of the political order. The third claim is that the situation of ontological deficiency of the human being caused by corruption can be the beginning of a process of ascent, once people accept to engage themselves in a radical conversion.

  1. Introduction

La corruption est plus que jamais devenue la gangrène de nos systèmes socio-politiques. Les acteurs politiques et les activistes de la société civile, engagés dans la lutte contre ce mal, le déplorent, mais personne ne semble être capable d’en venir à bout. Tous donnent l’impression d’être dépassés par le phénomène. Aussi proposent-ils des solutions qui s’attaquent plus aux avatars de la corruption qu’aux racines qui l’innervent souterrainement.

 

La corruption est un mal. A ce titre, elle a une intelligibilité propre à tout mal qui se trouve dans le plus profond de l’ego. Ainsi, elle ne peut être réduite à des remises des sommes d’argent ou de chèques, des cadeaux de toute nature, à des avantages financiers, à une offre ou exigence de relations sexuelles. Elle n'est pas non plus réductible  au crime organisé, ni à la collusion entre les multinationales  et certains politiciens, ni à l'or amassé des affairistes et des trafiquants. Autrement dit, les chiffres d'affaire du crime organisé et des complexes militaro-industriels ne sont qu’une manifestation extérieure (certes transversale) de la corruption, ou encore le contenu d'une forme sociale de relation à autrui, un « accident » de        « l'essence de la corruption ». Pour le dire radicalement, la corruption n'est pas la même chose que l'essence de la corruption. En effet, « le definitivum de la corruption, ses caractères essentiels récurrents, ce qui appartient à la chose comme telle, il faut les chercher ailleurs que dans la pluralité des formes qu'elle prend historiquement » (Morin-Ulmann 2006/09).

 

Considérée sur ce plan, la corruption constitue une des qualités fondamentales des êtres qui évoluent dans le monde sublunaire. En permettant l’assignation de ces êtres à une certaine idée de la nature, la notion de corruption participe à un repérage ontologique : c’est-à-dire qu’elle qualifie un certain type d’être dans sa nature essentielle. Celle-ci, soumise au temps et à l’altération, est perçue comme mouvante et dynamique. Il faut ajouter à ce registre un ordre tragique qui évoque l’impureté, la saleté et la souillure. Dans cette optique, la corruption

trouve son emploi dans le champ de l’axiologie, qu’il s’agisse, dans les domaines moral, social et politique, d’évoquer l’indignité ou l’insalubrité de certaines pratiques, ou bien de souligner, par la désignation a contrario de certaines valeurs positives, les limites que la condition humaine ne saurait dépasser sans se dénaturer (Menessier 2012).

 

Le thème de la corruption ainsi envisagé semble se situer à l’intersection de deux problématiques différentes, mais complémentaires. Le thème fournit, en effet, un schème d’intelligibilité des pratiques éthiques et politiques en combinant la métaphore pathologique- qui naturalise les comportements d’inconduite- et la thématique typiquement moderne du mal qui repose sur une anthropologie déterminée par des valeurs absolues. 

 

Cette double problématique a le mérite de nous instruire sur l’idée générale suivante : La corruption révèle la déficience ontologique comme l’irréductible auquel fait face l’être humain. Cette finitude vulnérable, au lieu de l’ouvrir à la générosité philanthropique, l’incite plutôt à poser souvent des actes de misanthropie qui dévoilent davantage le caractère précaire du politique. Mais en ses massifs intérieurs se terrent les capacités de conversion inouïes dont il ne peut prendre conscience que grâce à l’ouverture à soi-même et à l’altérité.

 

Je me propose de débattre cette idée en analysant les points suivants :

1. Corruption comme pratique dialectisante de la finitude et de l’assomption de l’être humain.

2. Ruine de nos villes, incendie de nos ressorts mentaux : réflexion sur la vulnérabilité de l’être humain.

3. Vulnérabilité de l’humain, précarité du politique.

 

Ce triptyque semble donner lieu à un ensemble des éléments ‘‘inco-ordonnables’’. Pourtant, ces trois composantes sont inextricablement liées et toutes puisent à la même fontaine: l’homme comme être fini en attente de  l’élévation personnelle et communautaire.     

 

2.       La corruption comme pratique dialectisante  de la finitude et de l’assomption de l’être humain

D’une manière quelque peu voilée, j’ai insinué, en introduisant cet article, que la corruption est un mal. Insinuation pleine de conséquences, car elle nous fait prendre conscience que la corruption est une pratique où l’être humain se trouve totalement engagé. Ceci révèle l’irréductible auquel fait face l’homme, à savoir la déficience ontologique propre à tout être incarné. Ceci recouvre les faits par lesquels s’exprime en quelque sorte notre finitude : le dépérissement, la pourriture, la perversion et la dépravation sans oublier l’ensemble des limites, des déterminations et des servitudes qui décorent la condition humaine. A ce sujet d’ailleurs, la remarque d’Ariane, dans Le Chemin de la crête, est tout à fait éclairante : « Il n’y a pas de femmes supérieures- pas plus qu’il n’y a d’hommes supérieurs. Nous sommes tous des infirmes…, des mutilés » (Marcel 1936 : 224).

L’être incarné est inévitablement mêlé à la finitude dans le temps. Celui-ci a des effets de torsions sur le réel et le corps humain qui corrompent ou altèrent permanemment la matière. Le temps est donc « corrupteur » au sens  d’anéantissement des objets dans le Cosmos. Le temps comme ce ‘‘ce-par-quoi-arrive-la-mort’’ est le temps d’éternité, mais d’une éternité révélatrice de l’usure et de la finitude de l’être incarné. Okambawa semble abonder dans le même sens que nous lorsqu’il affirme :

 

 L’homme est un être fini. Il est limité par la faute qui tend à l’enfermer dans la prison de son moi. La manifestation la plus évidente de cette limitation est la mort, le salaire du péché. La peur de perdre notre vie, la peur de devoir réduire notre liberté, la peur de ne pas être aimé, la peur d’échouer, la peur de devoir partager, sont autant de maux qui limitent notre action et notre être (Okambawa 2008 : 144)

 

La faute est la ‘‘situation – limite’’ la plus troublante. Elle est inévitable dans la relation de ‘‘je à je’’. Elle trouve son origine dans les effets lointains de l’action du sujet humain. De cette façon, tout acte que je pose semble me ‘‘déresponsabiliser’’, car je me convaincs que « les choses sont ainsi, je n’y puis rien, je ne suis pas responsable de la structure des choses ; si elle rend la faute inévitable, celle-ci cesse d’être ma faute » (Marcel 1940 : 369). Et pourtant ma faute se trouve justement dans ce monastère de l’invisible. Elle est, en effet, liée à ma responsabilité originelle :

 

 Quand j’assume mon caractère, (par exemple), c’est comme si je m’étais choisi avant le temps et faisais mien ce choix que je n’ai jamais réellement produit. C’est dans ce sens que je me trouve dans la faute, puisque mon commencement est avant ma liberté, et que je me rends coupable, puisque je fais mienne mon origine (Dufrenne et Ricœur  1947: 190).

 

Platon situe l’origine de l’homme dans le dépérissement. Pour le justifier, il oppose l’Idée au corps. L’un vivant le monde de l’érosion, l’autre celui de l’immuable. Entre les deux se situe l’âme. Celle-ci est le mouvement vers l’un et l’autre. Vers l’Idée par la géométrie et la dialectique, vers le corps par le vertige du désir. Dans Phédon, il présente le corps comme «Celui qui… trouble l’âme et ne lui permet pas d’acquérir vérité et pensée, quand elle a commercé avec lui » (1983 : 26).  C’est pourquoi la recherche de la vérité et de la pensée exige que l’on meure dans le corps afin de regarder l’âme isolée en elle-même.

 

Il appert que la dualité de l’âme et du corps est consécutive à la mort du corps. Est-ce pour cette raison que Socrate de Gorgias éprouvait le pur  désir d’aller « habiter les Iles des Bienheureux dans un état complet de béatitude et d’exemption de tous maux » (Gorgias 1950 : 483) ? Le corps ne lui paraissait-il pas un lieu propre au mal ? Notre âme n’est-elle pas, selon lui, pétrie avec une chose mauvaise, à savoir le corps ? C’est pourquoi, Platon affirme que « l’objet propre de l’exercice des philosophes est de détacher l’âme et de la séparer du corps » (1983 : 28). Ainsi se dessine le mythe de l’âme exilée et du corps- geôle. Beaucoup plus tard, Descartes reposera à son tour sur un dualisme fondamental. L’âme et le corps sont posés comme deux substances réellement séparées et hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre :

 

 (…) je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie, et vraiment existante, mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense. Et quoi davantage ? J’exciterai encore mon imagination, pour chercher si je ne suis point quelque chose de plus. Je ne suis point cet assemblage de membres, que l’on appelle le corps humain (…) (Descartes 1986 : 41).  

 

Le corps est  méprisé. Ceci se traduit chez l’un et l’autre par quelques expressions très révélatrices. Ainsi, pour Platon, l’homme idéal n’est-il pas celui qui cherche à

 

séparer le plus possible l’âme du corps, et l’habituer à se rassembler elle-même, à se ramasser sur elle-même à partir de tous les points où elle s’était dispersée dans le corps, pour demeurer, autant qu’elle peut, dans le présent et dans le temps à venir, isolée en elle-même, déliée du corps comme de chaînes qui la retiennent ? (Platon 1992 : 205).

 

Dans ce sens, selon lui, l’homme n’est rien d’autre que l’âme. Que dire ! l’âme elle-même est l’homme. Le mépris va s’exacerbant lorsque l’auteur de Timée affirme que « …Dieu, lui, a formé l’Ame avant le corps : il l’a faite plus ancienne que le corps par l’âge et par la vertu, pour commander en maîtresse et le corps pour obéir. » (Platon 1956 : 147). D’où, l’âme doit se libérer de ce corps-carcan, « … ce tombeau que sous le nom de corps nous portons avec nous, attaché à lui comme l’huître à sa coquille… » (Platon 1985 : 250c). 

 

Descartes insiste sur l’impossibilité d’admettre que le corps pense. Seul l’esprit est requis pour les actes d’intellection pure, « car je nie absolument que je sois un corps » (Descartes 1953 : 479).  Ainsi donc, seul l’acte pur de penser et de juger définit le sujet. Seule l’effectuation du cogito, authentifiant la présence de la présence à elle-même, marque toute la distance de la chose pensante que je suis par rapport à la chose étendue qu’est le corps. Par voie de conséquence, aucun mouvement du corps, aucune sensation ne permet au sujet de s’atteindre lui-même.

 

L’homme, selon la double anthropologie de Platon et de Descartes, est composé de l’âme et du corps avec le primat de celle-là sur celui-ci. L’homme comme ‘‘matière’’ souffre des limites de la matière et cherche à s’en affranchir. Quelle situation paradoxale ? Teilhard de Chardin a décrit ce paradoxe en ces termes :

 

La matière, c’est l’allégresse physique, le contrat exaltant, l’effort virilisant, la joie de grandir. C’est ce qui attire, ce qui renouvelle, ce qui unit, ce qui fleurit ; par elle nous sommes alimentés, soulevés, reliés au reste, envahis par la vie. En être dépouillés nous est intolérable. Qui nous donnera un corps immortel ? Mais d’autre part, la matière c’est le fardeau, la chaîne, la douleur, la menace. C’est ce qui alourdit, ce qui souffre, ce qui blesse, ce qui vieillit ; par elle nous sommes pesants, paralysés, vulnérables. Qui nous délivrera de ce corps de mort ! (Teilhard de Chardin, cité par Barreau 2001 : 130)

 

‘‘Qui nous délivrera de ce corps de mort ?’’ Dans la meilleure des hypothèses envisageables comme réponse à cette interrogation, il est possible d’admettre que la corruption de l’être humain à son degré extrême peut devenir l’amorce d’un processus de régénération. Le concept de résurrection emprunté au vocabulaire théologique nous semble le mieux indiqué pour expliquer ce processus. L’homme qui ressuscite est celui qui meurt à soi pour renaître comme cette graine de maïs qui, enfoui dans la terre, meurt pour engendrer. Il est comme cette chenille dont le ‘‘pourrissement’’ permet au papillon de se déployer dans la nature. Le moi qui rentre en soi-même n’est-il pas celui-là qui cesse d’être à lui-même ? « Il nous suffit de revenir à nous-mêmes non pas au sujet moderne qui se dissipe dans la vanité de ses processus intérieurs, mais à la pensée  qui nous habite, pour sentir cette autre présence qui nous appelle à penser » (Mattéi2006 : 151). Ce dont il est question ici, c’est de l’amour de la pensée qui permet à l’être humain de purger  des monstres au-dedans de lui. Epictète le dit si bien en ces termes : 

 

Tu as dedans de toi le sanglier, le lion, l’hydre ; dompte-les. Au lieu de dompter Procuste et Sciron, dompte la douleur, la crainte, la cupidité, l’envie, la malignité, l’avarice, la noblesse et l’intempérance. Le seul moyen de dompter ces monstres, c’est de n’avoir que les dieux seuls en vue, c’est de leur être attaché, de leur être dévoué et de n’obéir qu’à leurs ordres(Epictète, cité par Brun 1998 : 86).

 

L’homme a donc en lui les empreintes de la nature divine (ici comprise comme l’Eros ouvert à l’altérité), source intarissable de bien, qu’il ne peut découvrir qu’à condition de faire le travail de spéléologue : celui de fouille systématique de ses massifs intérieurs à partir de laquelle toute objectivation devient possible. La célèbre formule dont Thalès de Milet serait le père, devenue la ligne fondamentale de la pensée de  Socrate est ici éclairante : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et ses dieux ». Cette formule induit, en fait, à la révision à nouveaux frais de l’homo mensura (l’homme mesure de toutes choses) de Protagoras. Grâce à elle, en effet, l’intériorité et l’extériorité dialectisent. L’extériorité désigne les contraintes qui s’imposent à un sujet sans lui sur le mode d’un objet. Evoquons, pour l’illustrer, les puissances sociales, économiques, civiles et politiques. L’intériorité, quant à elle, circonscrit les propriétés du sujet par la vertu desquelles il engendre lui-même ses conditions de possibilité. En langage phénoménologique, cet acte comporte une intentionnalité, celle dont la marche s’échoue sur le calme  se rapportant «à la transcendance que l’homme prend conscience d’être un être libre… » (Jaspers 1994 : 49).

 

L’homme libre est celui qui s’arrache au monde pour s’échoir sur la Transcendance qu’il n’est pas. Mais de l’arrachement de l’être-soi à l’être-là en vue de l’échouage sur l’être en soi le parcours déjà long se fait à travers les déchirures et épreuves. Les incidences philosophiques de la conversion de Saint Augustin peuvent servir d’étaiement de cette considération peu ou prou sibylline[1].

 

Le repositionnement du sujet converti chez Saint Augustin passe par cette négation préalable : Ne vas pas au dehors, rentre en toi-même, c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité. Cet acte de retournement pousse le sujet converti à cultiver l’ignorance du sensible et l’indifférence aux convoitises de l’extériorité où l’être humain est menacé par l’abîme de sa propre perdition. Tout le programme de conversion tend vers la délivrance des distractions superflues. C’est pourquoi, l’être humain doit tenir ferme face au commerce du monde, aux séductions du corps et aux affolements de l’âme. Il doit douter des sollicitations des sens et du règne des choses. Il ne peut se fier qu’à la certitude de soi, car le meilleur est le dedans. Au total, les Confessions recommandent deux choses au sujet converti : la crainte de céder aux apparences et la prise en main de soi-même.

 

Dans cette perspective, le vrai sujet converti cesse d’être ce pécheur mis en déroute, gémissant sur son passé, pleurant son égarement et ne se cherchant que dans la détresse. Le vrai sujet converti renvoie réellement au converti, c’est-à-dire à celui dont le devenir ne saurait être qu’une progressive assomption vers la transcendance. Toute la consistance de cet acte de conversion n’est dès lors décryptable qu’à travers les chiffres de l’espérance et du souci constant du devenir plus. La formule ternaire, mieux trinitaire du cogito augustinien, -‘‘je suis, je connais, je veux’’-, exprime cette position ontologique en tant qu’elle est orientée vers une visée téléologique. Elle situe le sujet converti entre cette double postulation de l’être et de l’être-plus, entre le désir et la volonté. Ce qui en surgit tient fondamentalement à l’interdépendance des deux dimensions complémentaires : l’intériorité comme appartenance à soi-même n’est concevable comme position que par une altérité de référence.

 

La subjectivité augustinienne est mue par une impulsion paradoxale. Son identité est représentée par une descente en soi qui fournit en même temps le lieu d’accès vers un sommet, vers une supériorité insurpassable. Le sujet converti augustinien n’est pas un sujet narcissique, ni solipsiste, s’admirant à l’infini. C’est un sujet vulnérable prêt à accueillir l’altérité de référence. Sa perfectibilité tient à cette relation car celle-ci n’est qu’une entreprise constante, et non une dotation originelle et innéiste. L’humilité de son parcours le condamne, dans son moment interrogatif, à la précarité de son parcours.   

    

3.       Ruine de nos villes, incendie de nos ressorts mentaux : réflexion sur la vulnérabilité de l’être humain

L’art a-t-il quelque chose à voir avec la pratique de la corruption ? Qu’ont vraiment les œuvres d’art à nous apprendre sur le dépérissement de l’être humain ? Visiblement, pas grand-chose. En voici la raison fondamentale : la corruption trouve sa place dans un régime foncièrement naturel ou naturaliste. Ainsi, on parle de corps vivant corrompu à cause de la maladie ou d’une pathologie endogène, et donc non exogène, au corps lui-même. C’est l’exemple d’une graine de haricot rongée de l’intérieur par un insecte. Dans ce cas, on peut bien considérer le haricot comme corrompu. Ceci suppose donc l’action des dynamismes internes, le jeu de puissances ou encore les rapports de force. Ce régime semble contrevenir au régime culturel: celui de l’art. 

 

L’humanité a connu beaucoup de cas de ruine des sites touristiques.  Le 11 septembre 2001, le monde se souvient encore de l’attentat de Wall Street aux Etats Unis.  Avec la guerre au Mali, les médias ont fait état des actes de vandalisme perpétrés à Tombouctou par les  djihadistes. Doit-on oublier la toute récente brûlure du marché central de Bujumbura et dont les ruines nous rappellent l’incendie des ressorts psychologiques de l’être humain ? Dans tous ces cas, la ruine

 

 fait disparaître, mieux elle pulvérise : la pierre retourne à l’état de poussière. Elle inverse ou renverse : ce qui se dressait gît à terre, ce qui était en haut se retrouve en bas. Elle mélange les genres et les règnes : le végétal gagne sur le minéral, l’ouvrage humain (la pierre taillée) en revient à un état naturel (la roche brute) »(Prévost 2012) 

 

Ce que la corruption vient critiquer sous la figure de la ruine, c’est en définitive tous les modèles organicistes de la société. Cette critique engendre la question suivante : la corruption en art  est-elle une simple métaphore ou doit-elle être prise comme une véritable manifestation de la vulnérabilité humaine ? Nous allons, pour répondre à cette question, nous intéresser particulièrement à la ruine du Marché Central de Bujumbura, considéré comme le ‘‘Wall Street’’ du Burundi. L’hypothèse centrale  que je défends ici est la suivante : la ruine du marché central de Bujumbura révèle à la fois l’incendie des ressorts mentaux et la vulnérabilité de l’être humain.

 

Quelle explication peut être donnée à cet incendie, mieux vaudrait dire à cet acte de violence de l’homme contre l’humain? La ruine du marché central de Bujumbura et les événements tragiques que le Burundi a connus, toutes ces expériences lugubres, confirment l’une des idées émise précédemment selon laquelle le mal vient du dedans de l’homme. Déjà à son époque, Jésus faisait remarquer que le pire n’est pas ce qui assaille l’homme de l’extérieur, mais au contraire ce qui sort de son cœur : « haine, vol, trahison » (Marc 7 : 18, 23). Le mal le plus grave est celui que les hommes se font entre eux.  L’homme, avec l’hominisation, a certes échappé aux contraintes génétiques, mais reste prisonnier des sentiments de thanatos, la personnification de la mort.

 

L’aviateur Guillaumet parlant de son courage à cheminer dans les Andes après un atterrissage forcé disait : « Ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait » (cité par J.C. Barreau 2001 : 145).  Cette célèbre phrase appliquée à notre cas d’illustration peut être ainsi formulée: C’est certain, l’incendie du marché central de Bujumbura, aucune bête n’aurait pu faire ça ! Dois-je m’exclamer outre mesure ? Le philosophe allemand F. Nietzsche ne disait-il pas que « partout où il y a encore sur terre solennité, gravité, secret, couleurs sombres dans la vie d’un homme et d’un peuple, il survit quelque chose de la terreur »  (Nietzsche 2006 : 11) ?  Cet acte d’incendie ne montre-t-il pas que l’homme dans cette partie du monde est devenu grave ? Ceci ne dévoile-t-il pas ce qui a de plus profond en lui et l’agite souterrainement ?

 

La prise de conscience, que la part la plus tragique du mal vient de l’homme, n’exonère pas Dieu. Lors de la ruine du marché central de Bujumbura, la plupart des marchands, travailleurs dans cette infrastructure commerciale, n’ont pas hésité de prendre Dieu à témoin, voire à parti, se sentant quelque peu abandonnés par Lui. Pourquoi Dieu Tout-Puissant a-t-il permis un tel événement tragique, survenu le Dimanche, jour de Sa Magnificence ? Pourquoi Dieu, Lui la Providence, n’a-t-il pas empêché ce désastre de se produire? Questionnement de la théodicée qui me permet de discuter brièvement de la question de la double vulnérabilité divine et humaine. Débattons donc.

 

 

A la question posée tout à l’heure correspond la réponse philosophique suivante :

Dieu n’empêche pas l’homme de faire quoique ce soit par respect pour sa liberté.

Cette réponse suscite la question de la ‘‘Toute puissance’’ de Dieu. En y réfléchissant, Thucydide écrivait à son époque : « Nous croyons par tradition au sujet des dieux et voyons par expérience au sujet des hommes, que toujours, par nécessité de nature, tout être exerce tout le pouvoir dont il peut disposer » (cité par Jean Claude Barreau (2001 : 146). Je tiens à faire remarquer que ce Dieu de Thucydide est fort éloigné de celui dont nous parlent les évangiles. Dans ces textes, en effet, la Toute puissance de Dieu ne saurait ressembler à celle des tyrans. Elle est faite pour servir et non pour être servie. « Dieu ne peut faire, écrit Porphyre, que deux fois deux fassent cent et non pas quatre. Sa puissance n’est pas l’unique règle de ses actes. Il observe les lois de ce monde ». Le Christ ne disait-il pas que la puissance de Dieu est seulement celle de l’amour qui accepte tout, espère tout et supporte tout. « Répudie-t-on la femme de sa jeunesse demande Dieu ?» (Isaïe 54, 6). L’amour de Dieu est pur. Il est une dilection. C’est un amour qui aime sans quoi il ne serait rien.

 

Ce débat entre les doctes est loin de convaincre le petit commerçant dont tout le capital d’affaires a été ‘‘consumé’’ à cause de l’incendie survenu le jour du Seigneur. Un Dieu qui se retire du monde après l’avoir créé pour laisser la liberté humaine s’exprimer n’est-il pas aussi coupable qu’un Dieu ‘‘omniprésent’’ et interventionniste ? Dieu a-t-il vraiment abandonné le peuple burundais ? Ou plutôt le contraire ? C’est la question à laquelle font encore face ces anciens vendeurs et travailleurs du marché central de Bujumbura.

 

A leur époque, les Pères de l’Eglise ont médité sur le mystère d’un Dieu qui s’est dépouillé de sa divinité et a renoncé à son Etre propre pour permettre à l’homme d’exister. Le psalmiste reconnait la seigneurie de l’homme lorsqu’il s’interroge :

 

Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui,

Le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?

Tu l’as voulu un peu moindre qu’un Dieu,

Le couronnant de gloire et d’honneur,

Tu l’établis sur les œuvres de tes mains,

Tu mets toute chose à ses pieds (Ps. 8, 1-7).

 

Le contenu de ces paroles est incontestablement frappant, car il nous invite à penser l’absolu à travers la tradition patristique dite de la ‘‘kénose’’ ; celle  d’après laquelle la création pour Dieu n’a pas consisté à s’étendre mais à se retirer et ainsi à ne pas commander partout où il avait le pouvoir. Le geste kénotique permet à Dieu de se mettre en jeu et d’entamer ainsi une relation avec une altérité du sujet libre. Il faut voir dans ce geste kénotique

 

 l’idée d’un Dieu faible qui a renoncé à son pouvoir, qui s’est retiré totalement du monde et de l’histoire pour permettre à l’altérité d’exister. (Ce Dieu qui) est allé jusqu’à révoquer son omnipotence en faveur du monde, de l’homme et de sa liberté (Rea 2002 : 536).

 

L’image de Dieu passe désormais sous la responsabilité de l’homme qui en fait ce qu’il veut. Il peut le sauver ou l’altérer par ce qu’il fait de lui-même ou du monde. Ce Dieu vulnérable est toujours exposé à l’homme qu’Il a voulu laisser exister en tant qu’autre. C’est ce Dieu qui s’identifie au nouveau-né de la crèche, être fragile que l’on peut facilement étouffer ou laisser grandir à force de soins et d’amour. Ce Dieu est aussi Celui torturé, puis pendu à un gilet. C’est donc un Dieu qui souffre et se fait anxieux devant les actions inhumaines de l’homme parce qu’il peut continuellement, sur la croix de la bestialité humaine, dire qu’Il a soif. Mais il n’intervient pas, ni pourrait jamais intervenir dans le cours du monde. Il a irrévocablement renoncé à sa toute puissance.

 

Dans un geste d’humilité et de discrétion, l’Infini se retire et laisse sa place à l’autre que soi afin que cet autre grandisse. Mais, en se faisant présent ailleurs, l’Absolu laisse derrière Lui un vide impossible à combler. C’est dans cet espace que se déroule le drame de la responsabilité et le prix de la liberté humaine. C’est là dedans que se commettent toutes les déficiences humaines parmi lesquelles je range l’incendie du marché central de Bujumbura.

 

La vulnérabilité de l’homme se pose à ce niveau. Elle est celle d’un être incapable d’assumer l’énorme responsabilité que Dieu lui a confiée. Cette situation est due à la détresse ou à l’angoisse d’un être qui semble vivre l’expérience d’abandon ou de déréliction. Heidegger exprime encore mieux cette expérience de déréliction à travers un des modes constitutifs du Dasein, à savoir: la disposibilité. Connue sous le nom de disponibilité, la« disposibilité » est ontologiquement une constitution corriginaire du Dasein. Elle est « la révélation de la condition foncière de l’homme. C’est l’impression, abrupte et aveuglante, de se trouver là, dans le monde, face à la nudité de notre situation originelle » (Heidegger cité par Corvez 1961: 34).

 

Ainsi comprise,  la disposibilité place l’homme devant son existence. Elle lui révèle sa condition d’être là. L’homme est, en effet, ce « Da » qui s’aperçoit qu’il existe sans l’avoir voulu. Son être lui apparaît comme un « être-jeté ». Il existe comme un « être-jeté-là », engagé sans son consentement dans tel milieu, « embarqué » malgré lui dans telle situation historique. Cette situation d’être-jeté s’accompagne du sentiment d’être abandonné à son sort parmi les existants qui le pressent. Le Dasein vit ainsi un état d’abandon ou de déréliction  de permanence qui laisse éclater à ses yeux la contingence et la précarité de sa situation dans le monde. Le sentiment qu’elle engendre est celui d’angoisse.

 

Celle-ci est une catégorie fondamentale et irréductible de l’existence humaine. A cet effet,  elle nous révèle notre véritable situation de vulnérabilité et cesse d’être un simple état affectif. Mais seulement, la révélation de l’angoisse est tragique. Aussi pousse-t-elle l’être humain à s’en protéger, à fuir ce qui constitue l’indice de sa finitude radicale et à chercher le refuge dans l’anonymité du bavardage quotidien.C’est là l’aspect de l’existence inauthentique dans laquelle se sont dégradés les pyromanes du marché central de Bujumbura, la plupart animés par la volupté et la recherche effrénée  de l’avoir-possession. De quoi est-il question lorsque je parle de l’avoir-possession ? En fait, qu’implique-t-il? Quel impact a-t-il sur l’agir humain ?  

 

En clair, l’avoir-possession implique une certaine revendication centrée sur le moi et exclusive d’autrui, un souci lancinant d’entretien, une puissante revendication de se faire obéir et de disposer de ses choses à l’aise. Le processus qui est irréversiblement enclenché ici va du ‘‘qui’’ vers le ‘‘quid’’. Le ‘‘qui’’ est bien le prototype de l’ego centralisateur. Toute affirmation portant sur l’avoir s’y réfère. Tout avoir n’est senti dans sa force et ne prend toute sa valeur qu’à l’intérieur du ‘‘j’ai’’. Et « si un tu as ou un il a est possible, ce n’est qu’en vertu d’une sorte de transfert qui d’ailleurs ne peut jamais s’effectuer sans une certaine déperdition» (Marcel 1991 : 114).  De cette manière, le moi plongé dans la ‘‘possessivité’’ s’apparaît à la fois comme central par rapport à son avoir et en tension avec les autres sujets qui pourraient le convoiter.

 

Ce qui semble compter dans cette idée de lien, c’est la  tension réelle entre le ‘‘qui’’ et le ‘‘quid’’, c’est-à-dire entre  possesseur et  chose possédée ; une chose possédée  soumise naturellement aux vicissitudes et prédisposée à la perdition ainsi qu’à la destruction.

 

C’est cela  qui fait l’une des tragédies de l’avoir et poussent les gens à commettre les actes comme celui d’incendier le marché central de Bujumbura. En effet, exposé à la précarité, l’avoir peut devenir pour son possesseur un objet de crainte, d’anxiété et de tension ; le plongeant de la sorte dans un état d’éternel souci. Il s’ensuit une exacerbation du désir et de la convoitise  qui laisse le possesseur dans un tourbillon d’inquiétude et de vacuité. Car,

 

Désirer c’est en quelque manière avoir en n’ayant pas ; et par là s’explique l’espèce de souffrance, de brûlure essentielle au désir, et qui est au fond l’expression d’une sorte de contradiction, de frottement à l’intérieur d’une situation intenable  (Marcel 1991: 116-117).

 

La tragédie de l’avoir est une preuve irréfutable de la fragilité de l’avoir. Il existe en effet dans l’avoir une double permanence : permanence du qui et du quid. Mais  Marcel constate que « cette permanence est par essence menacée…Et cette menace, c’est la prise de l’autre en tant qu’autre, l’autre qui peut être le monde en lui-même, et en face duquel je me sens si douloureusement moi… » (Marcel 1991: 116-117). A la racine de cette menace se discerne la conscience du temps qui passe, de l’irrévocable ‘‘dissolution’’ de la chose. Quelle impression cela produit-il ? La vie devient courte. Elle est éphémère. Toujours déjà entraînée par le temps, elle approche du gouffre affreux. Sur cet océan existentiel navigable, l’homme, comme ce temps qui n’a pas de rive, n’a pas de ‘‘ port’’ ; comme ce temps qui coule, il doit passer. D’où cette ferme détermination : il faut que « je serre contre moi cette chose qui va m’être arrachée… ».  Ainsi, il tente désespérément de se l’incorporer, de former avec elle un complexe unique et indécomposable.

 

Le cas face auquel nous nous ‘‘positionnons’’ est plus ou moins atypique : le possesseur possédé et l’avoir possédant. Ainsi le possesseur devient asservi et dépendant, alors que  l’avoir asservissant demeure indépendant. Avertie, S. Plourde ne semble pas surprise par cette relation  travestie et cette inversion des rôles. Trop souvent, pris aux filets de l’avoir, (les possesseurs) veulent connaître et posséder les choses et les personnes, ils tentent de prendre chez autrui tout ce qui peut satisfaire leurs désirs, leur égoïsme, leur amour-propre (Plourde 1975 : 25).  Que peut-il advenir dans ce cas ? L’être incarné se prélasse dans le fauteuil de l’avoir. Il vit dans ‘‘ le mirage de la possession’’. L’avoir devient pour lui la seule valeur sacro-sainte. Il devient l’unique norme de sa ‘‘moralité’’. La tentation est ici forte. On sera tellement obnubilé par son envers ‘‘eudémonique’’  que l’on oubliera qu’en chaque avoir il y a un revers d’indice d’indisponibilité virtuelle. On soutiendra sans vergogne que « n’avoir plus rien, c’est n’être plus ». On ne consentira pas que « l’avoir est une pente naturelle qui porte les hommes à s’identifier à leurs possessions. » (Plourde 1975 : 25).

 

Et pourtant l’homme de ‘‘mirage de possession’’ est un individu à la ‘‘main raidie’’, c’est-à-dire un individu à la main « qui saisit la chose, qui l’empoigne dans une étreinte plus ou moins vigoureuse et se referme sur l’objet de sa convoitise »(Plourde 1975: 26). Dans la plupart des cas, cette attitude adoptée à l’égard des objets est souvent transposée dans les relations avec les personnes. Le mirage de possession engendre la soif de possession. L’homme esseulé peut-il étancher une telle soif ? 

 

Une telle question exige une analyse approfondie de la responsabilité éthique. La ruine du marché central de Bujumbura révèle à l’homme le poids énorme de sa responsabilité. Il est

 

le seul maître de son propre destin, le destin commun de toute l’humanité, mais que chaque individu contribue à dessiner par son propre agir. Comme si une image devait être tracée, la mosaïque de la condition humaine, à laquelle chacun par son comportement apporte sa contribution avec la possibilité toujours ouverte de perfectionner cette image, mais aussi de l'enlaidir. Dans cette œuvre commune, personne n'est seul, car les conséquences des actions retombent aussi sur les autres, sur l'image de l'homme, voire sur celle de Dieu (Rea, op.cit).

 

Il faut donc penser davantage à la responsabilité comme tâche propre à tout citoyen burundais. La ruine du marché central de Bujumbura est un mal moral, c’est-à-dire un agir fou et pervers indéclinable. Jusqu'à quel point le pyromane pourra-t-il s'y soustraire, étant donné que son action a laissé une trace indélébile? Cet acte qui relève de la pratique d’avilissement de l’autre n’a-t-il pas créé une défenestration et fêlure ontologique chez bon nombre de citoyens burundais, et dont la réparation prendre encore beaucoup de temps. La ruine du marché central n’est imputable ni à la Providence toute-puissante, ni à la nécessité douée de sagesse dialectique, par exemple comme une démarche antithético-synthétique exigée et bénéfique en direction du salut qui répond à une quelconque logique de la marche de l’histoire au nom bien évidemment de la ruse de la raison. Il faut y déceler la main de l’homme, ce maître et possesseur malheureux du monde, responsable de cet acte mortifère dont les conséquences néfastes pèseront encore longtemps sur le vécu quotidien de ces pauvres commerçants voire sur la majorité du peuple burundais et les peuples des pays limitrophes du Burundi.    

 

4.       Vulnérabilité de l’humain, précarité politique

La ruine du marché central de Bujumbura étudiée ci-haut à titre paradigmatique (actualité oblige) illustre beaucoup d’autres cas similaires. J’ai pour cela d’ailleurs cité les cas de vandalisme commis à Tombouctou, l’attentat du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. On peut y ajouter les cas d’iconoclasme commis par le Talibanen Afghanistan, l’incendie du marché de Lomé au Togo ou de la cargaison militaire à Brazzaville en République du Congo. La liste de ces exemples est inexhaustive et tous tiennent uniquement à la vitalité de cet article : la corruption. Celle-ci, dans le cadre de la polis, pose la question de ‘‘la guerre’’, de polemos (conflit) pour reprendre le concept utilisé par Héraclite.

 

De fait, ce dernier, hanté par l’idée d’écoulement perpétuel des choses (par lui comparé à l’eau toujours nouvelle du fleuve toujours le même), professait que rien n’est absolu ni définitif, que les choses sont et ne sont pas, que tout n’est qu’instants passagers d’un devenir sans fin, que ce mouvement incessant a pour moteur le jeu des forces opposées et pourtant complémentaires : leur frottement mutuel, leur lutte ou guerre. Guerre, ‘‘polemos’’, le mot était pris par Héraclite au sens propre et non seulement au sens métaphorique : polemos, disait-il, est père de tout et roi de tout ; des uns il a fait des dieux, des autres des hommes libres ou des esclaves ; si bien que prier pour que s’éteignit la guerre, le désaccord, c’était demander la destruction du cosmos ; car si, par impossible, une telle prière était exaucée, ‘‘toutes choses périraient’’.

 

La première appréhension de la définition du polemos, conflit, c’est que celui-ci est atavique à tout ordre social. C’est pourquoi son extinction entraînerait ipso facto la destruction du monde. A ce titre, le conflit est bénéfique pour toute société humaine. Mais à quel étalon ? Vise-t-il à renforcer la coopération ? Je répondrai à cette question après. Pour le moment, permettez-moi, de m’intéresser particulièrement aux effets corrosifs de polemos qui, dans son pouvoir, peut rendre certains êtres des dieux, d’autres des hommes libres, d’autres encore des esclaves. Ainsi, le polemos ravive davantage les différences et exacerbe la recherche sans limite des intérêts individualistes. Dans une telle situation conflictuelle,  il ne pourra jamais être question que chaque sociétaire traite l’humanité dans sa propre personne et dans celle d’autrui  comme une fin en soi et non pas seulement comme un moyen (Kant 1999 :150). La fine ligne fondamentale de l’analytique ontologique, dont la grande révélation était que l’être humain reste vulnérable, revient ici au galop. Pour nous y attarder encore un peu, développons brièvement l’impératif kantien auquel l’allusion vient d’être faite tout à l’heure.

 

En clair, l’impératif kantien veut insister sur le principe dit de l’humanité. Ce principe peut être enfreint de deux façons. D’abord, l’homme digne est celui qui sait que le fait de se donner la mort ne s’accorde pas 

 

avec l’idée de l’humanité comme fin en soi. Car, si, pour échapper à une situation pénible, il se détruit lui-même, il se sert d’une personne uniquement comme d’un moyen destiné à maintenir une situation supportable jusqu’à la fin de la vie », et oublie que l’homme n’est ni une chose, ni un objet « qui puisse être traité simplement comme un moyen, au lieu d’être toujours comme une fin en soi» (Kant 1999 :151). 

 

Puis, l’homme contrevient au principe de l’humanité dans la personne des autres, et en devient indigne par conséquent, s’il porte atteinte à leur liberté ou à leur propriété. De ce fait, il transgresse les droits de l’homme à cause bien entendu de son intention de se servir simplement de la personne des autres comme d’un moyen, sans considérer qu’en leur qualité d’êtres raisonnables, ils doivent être toujours estimés uniquement et, en même temps, comme des fins (Ibid. :152).

 

Pour chevaler cette seconde façon d’enfreindre le principe de l’humanité, nous pouvons citer le cas des techniques d’avilissement souvent pratiquées sur l’être humain par l’homme. Par techniques d’avilissement, il faut entendre 

 

l’ensembledes procédés délibérément mis en œuvre pour attaquer et détruire chez des individus appartenant à une catégorie déterminée le respect qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes, et pour les transformer peu à peu en un déchet qui s’appréhende lui-même comme tel, et ne peut en fin de compte que désespérer non pas simplement intellectuellement, mais vitalement de lui-même  (Marcel 1991 : 37).

 

Comprises de cette manière, les techniques d’avilissement sont périlleuses pour l’intégrité et la dignité de l’être incarné. Leur danger consiste effectivement à extraire à ce dernier son noyau ontologique afin de le maintenir dans un état d’éternelle néantisation ou de total dépouillement de tout respect de lui-même. Les violences sexuelles faites aux femmes, les mutilations génitales, l’amputation des parties du corps humain (exemple des méthodes de terreur utilisées par les islamistes de toute mouvance), la prostitution, le test de virginité (exemple de la pratique imposée, pour les humilier, aux femmes tunisiennes engagées dans des manifestations lors du printemps arabe), le sérum de vérité (injection faite à certains prisonniers pour leur arracher les aveux), l’appauvrissement de la population, la répression violente des manifestations pacifiques, -la liste est inexhaustive-, sont des pratiques dont la philosophie est, en fait, une ‘‘misosophie’’ de la dignité humaine. Je voulais faire remarquer ici que ces pratiques se fondent sur la dyade antinomique du monologue et du dialogue. Toutes « se construisent à partir d’une rationalité auto-référentielle de type instrumental ou égologique » ( Katubadi 2004 : 271). Ce qui en résulte, c’est la production de l’ego réducteur ou du cogito cogitans se considérant comme absolu ou Surhomme avilisseur hanté par une seule idée : L’autre est un simple rebut de l’espèce humaine.  

 

L’illustration sur  la pratique des techniques d’avilissement avait été introduite ici pour comprendre les causes de la corruption. Il devient clair que celles-ci sont liées au désir naturel de domination et de chosification de l’autre. C’est cette vulnérabilité humaine qui pose problème et incite d’ailleurs à se poser des questions sur la nature de la précarité du politique.

 

De fait, l’histoire du politique est l’histoire de  la précarité ; mieux vaudrait dire de la dégénérescence. Le politique n’existe que s’il subsiste dans une communauté historique un vouloir vivre et agir commun. L’historicité de la communauté est ce qui caractérise le mieux possible tout être humain. Celui-ci, ne pouvant pas vivre en dehors du cadre spatio-temporel, partage sa vie avec les autres. Toute vie humaine, dit-on, est commune. A ce titre, elle est encline aux obstacles de divers ordres. En effet,

 

La vie partagée implique la tension entre les différents partenaires sociaux. De ce point de vue, une éthique fondée sur la société fait face à une certaine limite. Pensons, sur le plan économico- social, à la lutte pour la sauvegarde des biens, du pouvoir et des honneurs. Nos sociétés sont souvent ces grands étangs où les gros poissons font plus exercer le droit de la force que la force du droit (Katubadi 2009 : 62).

 

Le vivre-ensemble humain est basé sur les tensions : d’une part la tension entre les sociétaires, d’autre part la tension entre ceux-ci et l’Etat. Ce dernier est considéré comme « une réalité supérieure par ses préoccupations au jeu des intérêts et même au rêve du bonheur pour tous… » (Dufrenne et Ricœur, op.cit.: 219). De manière effective, seul l’Etat doit assumer la fonction autoritaire pour une double finalité capitale : mettre fin au désordre des intérêts et veiller à l’harmonie naturelle de la société. Dans cette optique, le citoyen qui veut se prévaloir de sa dignité ne le peut qu’en participant à l’organisation de la Cité. Son destin doit, et c’est un impératif non hypothétique, être pétri dans le moule de l’Etat. Mais le citoyen refuse cet ‘‘encapsulage’’. Bien qu’il participe à l’élaboration et à l’application des grands idéaux de la Cité, il n’en décèle pas moins les failles et les abus parfois monstrueux.

 

En pareille situation, la corruption altère les lois de la Cité et affecte les dirigeants. Ceux-ci, si souvent, édifient le système de corruption tout en veillant à sa pérennité et en s’opposant aux obstacles susceptibles de lui ôter toute extension. Montesquieu, dans De l’esprit des lois[2], nous livre son analyse sur la corruption du politique. Selon lui, la corruption de chaque gouvernement commence généralement par celle des principes. Ainsi, lorsque la nature d’un gouvernement se modifie, son principe s’altère, et inversement, une fois le principe corrompu, la constitution se trouve dénaturée. 

 

Prenons pour l’étayer l’exemple de la démocratie. Celle-ci peut faire face au dysfonctionnement de la totalité nature/principe. Le risque de corruption est double. La vertu que semble incarner la démocratie peut se perdre par défaut et par excès: l’esprit d’égalité et d’inégalité extrêmes forment les deux vices symétriques qui produisent également la dégénérescence du corps politique. La vertu se perd d’abord par défaut d’égalité lorsque le luxe s’introduit dans les mœurs de la gestion de la république. Le dirigeant cesse d’être un Roi-philosophe ou un Philosophe-roi parce qu’il est loin d’incarner la vertu de la sagesse. A mesure que la recherche du lucre s’établit dans son mode de gestion, son esprit se tourne en même temps vers l’intérêt particulier. Cette inclination à la poursuite du bonheur personnel peut se formater en moi d’aimantation dont l’idéal reste la réduction de l’autre au ‘‘ moi résonateur ou amplificateur’’ et l’annihilation des lois gênantes. De la sorte, la corruption atteint son paroxysme lorsque le système d’éducation est en crise et ne suffit pas à contrer les tendances égoïstes de l’homme et à réorienter ses passions de l’intérêt particulier vers l’intérêt commun. Il en découle la perte du sens des valeurs républicaines désormais assujetties aux nouveaux critères individualistes du jugement moral.

 

A l’inverse, la vertu se perd par excès d’égalité lorsque les hommes en viennent à refuser toute hiérarchie et toute subordination : chacun veut être égal à ces dirigeants. Or l’esprit d’égalité ne consiste pas à faire que tout le monde commande, mais « à obéir et à commander à ses égaux ». La démocratie se dérègle profondément lorsque les hommes ne veulent plus seulement être égaux en tant que citoyens, mais aussi « comme magistrats, comme sénateur, comme juge, comme père, comme mari, comme maître ». Avec l’abolition de la hiérarchie s’introduit la corruption des mœurs : pas de mœurs, et donc pas d’ordre. Une telle dégénérescence peut faire basculer la démocratie vers une ochlocratie. 

 

Il appert de ce qui précède que la corruption est intrinsèque à nos organisations sociales. Le cas de la démocratie étudié ici à titre d’illustration en a sans doute démontrer leur caractère de précarité. Nous pouvons noter qu’à propos de la démocratie deux types de corruption sont possibles : l’un, lorsque le peuple n’observe point les lois, l’autre, lorsque ce peuple est corrompu par les lois. Ce dernier type constitue l’exemple symptomatique du mal incurable parce qu’il est dans le remède à prescrire.

 

Ce qui vient d’être affirmé soulève la question ci-après: comment un nouvel ordre de chose peut-il naître d’une situation d’extrême corruption ou de crise profonde? La réponse à une telle question, si elle est de l’ordre du possible, contient en elle-même d’autres interrogations. Dans chaque cas de figure, toute tentative de solution nous poussera d’aller de solution en solution au point d’être rattrapé par un certain immobilisme. D’où justement la situation aporétique. La raison théorique ne peut en être le seul fil d’Ariane. Il faut plutôt lui adjoindre la raison pratique. Car, dit Paul Ricœur,

 

quand l’esprit d’un peuple est perverti au point de nourrir une Sittlichkeit[3] meurtrière, c’est finalement dans la conscience morale d’un petit nombre d’individus, inaccessibles à la peur et à la corruption, que se réfugie l’esprit qui a déserté les institutions devenues criminelles (Ricœur 1990 : 298).

 

La méditation de Saint Augustin déjà évoquée dans cet article peut nous servir de passerelle à ce stade de notre analyse. Son ‘‘moi vulnérable’’ nous parle, comme ce pécheur qui confesse en reconnaissant:

 

 Moi, je suis né dans la faute, J’étais pécheur dès le sein de ma mère.

Mais tu veux au fond de moi la vérité ;

Dans le secret, tu m’apprends la sagesse » (Ps. 50, 7-8).

 

La parole du Psalmiste peut nous faire prendre conscience du caractère paradoxal du mal. Aussi la seule voie qui puisse nous aider à y accéder reste-t-elle elle-même paradoxale. En voici la formulation :

 

le mal est réel, nous ne pouvons récuser cette réalité sans porter atteinte à ce sérieux fondamental de l’existence qui ne peut être contesté sans qu’elle dégénère en un non-sens ou en une espèce de bouffonnerie affreuse ; et pourtant, le Mal n’est pas réel absolument parlant ; nous avons à accéder non à une certitude, mais à la fois en la possibilité de le surmonter, non pas abstraitement…mais hic et nunc (Marcel 1968 : 212-213)

 

C’est ici qu’il faut faire intervenir l’idée de l’herméneutique du mal. Le mal, sous quelque forme que ce soit, doit être triomphé ‘‘hic et nunc’’. L’urgence de l’action à mener pour l’endiguer nécessite l’apport de la communauté politique. C’est en s’ouvrant à celle-ci que le mal d’un individu change en quelque manière de nature, et devient le mal de l’ensemble de la communauté, celui dont un ‘‘toi’’ ou un ‘‘vous’’ peut triompher. Mais qui est  ce ‘‘toi’’ ou ce ‘‘vous’’ ? Ce peut être tel ou tel sociétaire (vivant ou trépassé) qui demeure pour la communauté le Témoin archétype,  celui que tout témoignage invoque explicitement ou de manière latente en exemplarité.

 

Ce Témoin archétype représente ce petit nombre d’individus inaccessibles à la corruption dont nous parlions avec P. Ricœur. Il est en quelque sorte ce Saint laïc dont a besoin la société. Celui grâce à qui des conflitssociaux trouvent chaque fois des dénouements rétablissant ainsi l’ordre aussi bien dans le rapport vertical entre gouvernants /gouvernés que dans le rapport horizontal entre les  différents groupes rivaux. Les conflits propres à ces sphères de la praxis sont essentiels et bénéfiques pour toute société. Prier pour qu’ils s’éteignent, c’est demander la destruction du cosmos et la disparition  de toutes choses.

 

Paul Ricœur (1990: 300-303) nous parle de trois niveaux radicaux des conflits. Au premier niveau, celui de la discussion quotidienne dans un Etat de droit dont les règles du jeu font l’objet d’un assentiment large, le conflit est de règle dans les activités de délibération politique dont l’objet est l’établissement toujours provisoire et révisable d’un ordre de priorité. Pour ce faire, il est vain d’escompter un consensus qui voudrait mettre fin aux conflits. La discussion politique est sans conclusion bien qu’elle ne soit pas sans décision. Elle est le fruit d’un pluralisme des opinions souvent considéré comme expression du caractère non décidable de façon scientifique ou dogmatique du bien public. Pour étançonner cette idée, Paul Ricœur affirme que ladémocratie n’est pas un régime politique sans conflits, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et négociables selon les règles d’arbitrage connues. Dans une société de plus en plus complexe, les conflits ne diminueront pas en nombre de gravité, mais se multiplieront et s’approfondiront

A un second niveau de discussion, le débat porte sur les fins du bon gouvernement. Loin d’être un simple débat idéologique, le débat sur le bon gouvernement fait partie intégrante de la médiation politique à travers laquelle l’homme aspire à une vie accomplie, à la ‘‘vie bonne’’. C’est pourquoi d’ailleurs la question du rapport entre la morale et la politique est de plus en plus posée aujourd’hui. La controverse se joue autour de mots clés tels que la sécurité, la prospérité, la liberté, l’égalité ou la solidarité. Ces termes sont emblématiques dans toute discussion politique. « Leur fonction, dit P. Ricœur, est de justifier, non pas l’obligation de vivre dans un Etat en général, mais la préférence pour une forme d’Etat ». Il faut dire que le débat porte sur les règles de délibération à l’intérieur d’une forme de constitution déjà consentie et les principes de légitimation.

 

Au troisième niveau, le débat porte sur la légitimation de la démocratie sous la variété de ses guises. On parle de crise de légitimation pour désigner le manque de fondement qui paraît affecter le choix même d’un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. Conçue en ces termes, la crise de légitimation suscite la question suivante: pourquoi la pratique politique serait-elle le lieu de conflits spécifiques ? Pour y répondre, il faut partir de la différence entre le pouvoir et la domination. Et à ce propos Paul Ricœur note ceci :             

 

L’écart entre domination et pouvoir se marque, au sein de la structure étatique, par la dialectique….du paradoxe politique où ne cessent de s’affronter au sein de la même instance la forme et la force. Tandis que la forme a son expression dans l’approximation par la constitution du rapport de reconnaissance mutuelle entre les individus et entre ceux-ci et l’instance supérieure, la force a sa marque dans toutes les cicatrices qu’a laissées la naissance dans la violence de tous les Etats devenus Etats de droit ; force et forme se conjuguent dans l’usage légitime de la violence…  

 

Conclusion

 

La corruption a une intelligibilité propre à tout mal qui se trouve dans le plus profond de l’ego. Ainsi, elle ne peut être réduite à des remises des sommes d’argent ou de chèques, des cadeaux de toute nature, à des avantages financiers, à une offre ou exigence de relations sexuelles. Ceci révèle l’irréductible auquel fait face l’homme, à savoir la déficience ontologique propre à tout être incarné. Ceci recouvre les faits par lesquels s’exprime en quelque sorte notre finitude : le dépérissement, la pourriture, la perversion et la dépravation sans oublier l’ensemble des limites, des déterminations et servitudes qui décorent la condition humaine.

 

L’anthropologie dualiste de Platon et de Descartes a délivré la belle démonstration  des limites de la matière dont l’être humain est victime. Dans la perspective platonicienne et cartésienne,  la matière est le fardeau, la chaîne, la douleur, la menace. C’est ce qui alourdit, ce qui souffre, ce qui blesse, ce qui vieillit ; par elle l’être humain est pesant, paralysé, vulnérable. Qui délivrera le corps de cette lourdeur  mortifère? Dans la meilleure des hypothèses envisageables comme réponse à cette interrogation, il est possible d’admettre que la corruption de l’être humain à son degré extrême peut devenir l’amorce d’un processus de régénération.  Le  sujet converti de St. Augustin nous a permis d’envisager une telle possibilité. En donnant ce conseil: ne vas pas au dehors, rentre en toi-même, c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité,l’auteur des Confessions recommande deux choses au sujet converti : la crainte de céder aux apparences et la prise en main de soi-même.

 

L’exemple de la ruine du marché de Bujumbura introduit dans l’article vient non seulement étayer la longue théorie sur la corruption, mais celle-ci sous cette figure  vient critiquer tous les modèles organicistes de la société. Cette critique engendre la question suivante : la corruption en art  est-elle une simple métaphore ou doit-elle être prise comme une véritable manifestation de la vulnérabilité humaine ? Le point intitulé : Vulnérabilité de l’humain, précarité politique nous a permis de débattre de cette question. Le condensé suivant peut en sortir: la corruption est  le mal réel, nous ne pouvons récuser cette réalité sans porter atteinte à ce sérieux fondamental de l’existence qui ne peut être contesté sans qu’elle dégénère en un non-sens ou en une espèce de bouffonnerie affreuse ; et pourtant, le Mal n’est pas réel absolument parlant ; nous avons à accéder non à une certitude, mais à la fois en la possibilité de le surmonter, non pas abstraitement…mais hic et nunc. 

 


[1]Je suivrai Saint Augustin des  Confessions. Livres IX-XIII : Livre onzième, t.2, 5ème éd., Paris, Ed. Les Belles Lettres, 1954.

 

[2]Cfr. De l’esprit des lois, Paris, PUF, 1998

[3]Dans Soi-même comme un autre, Paul Ricœur, se référant à Hegel, comprend  le concept Sittlichkeit  « comme une morale effective et concrète qui est censée prendre la relève de la Moralität, de la morale abstraite, et qui trouve précisément son centre de gravité dans la sphère des institutions… » (p. 291).

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