LA PARITE HOMME/FEMME DANS LE DOMAINE PUBLIC : UN PRINCIPE CONSTITUTIONNEL

Abstract: 

Although it is sanctioned in the constitution, gender parity in decision-making bodies is far from being a reality in the Democratic Republic of Congo. In effect, women were less than successful in the 2006 elections; and as a result they are underrepresented in the public institutions. Even if that voting result were a matter of accident, the situation of women appointed in various bodies of decision-making did not really change their fate since the statistics show that their number is far less than that of men. There are many factors that explain this inequality. This reflection concentrates on two of these namely: the normality established in the social belief, and the biases which attribute to each sex a specific role to the extent that they make of politics a reserved field of men.

 

The real problem that underlies the various claims on gender equality is the encouragement of a growing awareness of the equal dignity of all human beings. Human societies being sexually different mainly for the sake of procreation, the belonging to either sex which is purely accidental should not constitute a basis for gender discrimination, nor should give more rights to one sex than to the other. The biases are difficult to eradicate. However, Congolese women should not give up and should keep facing the challenge

 

 

  1. La question de parité dans son contexte

 

La particularité du droit positif congolais est d’avoir osé ériger en principe constitutionnel le problème de l’égale représentativité entre homme et femme dans les instances de prise de décision. En effet, l’article 14 de la Constitution du 18 février 2006 dispose :

 

Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme assurant la protection et la promotion de ses droits. Ils prennent dans tous les domaines notamment dans le domaine civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation. Ils prennent des mesures pour lutter contre toute forme de violence faite à la femme dans la vie publique et dans la vie privée. La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales et locales. L’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions. La loi fixe les modalités d’application de ces droits »

 

Cet article constitue un programme dans la réorganisation des rapports entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie. Dans l’impossibilité de nous pencher sur tous les aspects du problème, nous voulons baliser notre contribution sur la question de la représentativité féminine dans le domaine politique, un événement de taille vécu avec les élections de 2006.

 

Il est vrai que l’article 14 prône une représentation équitable des femmes au sein des institutions nationales et locales et que la Constitution mette à la charge de l’Etat l’obligation de garantir la mise en œuvre de la parité homme-femme dans les dites institutions. Il nous revient dès lors de  nous interroger sur la situation politique des femmes non pas à travers leur droit au suffrage qui ne pose plus formellement de problème majeur le suffrage étant devenu universel. Notre préoccupation majeure tourne autour  de leur droit en tant qu’éligibles et de la réalité de leur pouvoir en tant que femmes nommées à des hauts postes de responsabilité.

 

S’agissant de leur éligibilité, les candidatures massives des femmes aux élections tant présidentielles que législatives constituaient un phénomène nouveau qui, aux dires de certains, serait importé de l’Occident parce que ne cadrant pas trop avec la vision congolaise des rôles dévolus à chaque sexeCette prise de position n’est pas dénuée d’une logique intrinsèque puisque  notre sociétédepuis la nuit des temps, a établi des règles ou des normes. Faut-il le rappeler en passant que l’adjectif normal vient du terme norme. Ceci pour dire que la société congolaise, dans la quête de son organisation,  a établi que « c’était normal » de confier la chose publique aux individus dusexemasculin.

 

Cette normalité qui s’est pérennisée à travers les imaginaires sociaux, a été intériorisée tant par les hommes que par les femmes et l’on trouve aujourd’hui normal que ce soit seul le sexe masculin qui soit apte ou mieux indiqué à s’occuper des affaires politiquesMais comme à toute règle il y a des exceptions, la société congolaise, loin d’être complètement fermée à toute émergence féminine admet toutefois que quelques femmes puissent figurer parmi les décideurs. Cette ouverture, loin d’être une quête de l’amorce de l’égalité entre les deux sexes sur le plan politique ne pourra-t-elle pas être interprétée comme une sorte d’alibi pouvant permettre de parler aussi de « l’émancipation » de la femme congolaise au niveau interne et surtout pour répondre aux exigences de l’égalité des chances tant souhaitée sur le plan international.

 

Aussi, quand on essaie de sortir du carcan de la normalité établie par notre culture, la problématique des candidatures féminines et des nominations de femmes à occuper les postes de décision n’est-elle pas la chose la plus naturelle, si on admet et on reprend conscience que l’humanité est faite des individus de deux sexes et qu’il n’y a pas de raison qu’un seul sexe évince l’autre en monopolisant le pouvoir.

Afin de rendre compte de la situation réelle qui prévaut au Congo malgré l’euphorie provoquée par l’article 14 de la Constitution, nous articulons notre réflexion autour de trois axes. Dans un premier temps, nous ferons l’état des lieux des élections  de 2006 et des nominations qui en ont découlés. Ensuite, nous rappellerons le fondement du partage de pouvoir entre sexes et enfin, nous stigmatiserons quelques préjugés qui handicapent l’émergence des femmes en politique avant de conclure.

 

  1. L’état des lieux des élections de 2006

 

Après plus de 16 ans de transition démocratique, le peuple congolais a été appelé à passer aux urnes. Pour l’élection présidentielle, il y avait 33 candidats dont 4 femmes soit 12%. Au niveau des législatives nationales, on a enregistré 9707 candidats dont 1320 femmes soit 13,5%. Et enfin au niveau des législatives provinciales, on a dénombré 13474 candidats dont 1590 femmes ; soit environ 11%.  A la proclamation des résultats, aucune femme n’a pu obtenir des voix suffisantes pouvant lui permettre de concourir au 2e tour de l’élection présidentielle.  Et d’après les résultats des élections législatives, sur 500 sièges, seulement 42 femmes ont été élues à la députation nationale. Dans la province du Kasaï Occidental, sur 54 députés provinciaux, figurent 4 femmes seulement.

 

S’il est vrai que la sous-représentation des femmes élues s’explique par les aléas du vote, comment alors expliquer que les nominations aux postes de prise de décisions n’aient pas tenu compte de la représentation équitable des femmes tant souhaitée par l’Article 14 de la Constitution?A ce propos, on peut relever au niveau central que sur environ 50 Ministres du Gouvernement Kizenga, il n’y avait que 8 femmes soit 16%. Actuellement sous le gouvernement Muzito, on compte 7 femmes sur 45, soit environ 17%.Au niveau provincial, pour ne prendre que l’exemple de la Province du Kasaï Occidental, sur 11 Ministres du  premier Gouvernement Kapuku il n’y avait que 2 femmes dont l’une est décédée. Après remaniement, sur 10 Ministres, le nombre des femmes est resté figé à deux.

 

Et pourtant, s’agissant des élections, plusieurs sessions de sensibilisation ont été organisées par les Eglises et les ONG. Au niveau des médias des émissions ont été diffusées pour conscientiser les femmes sur leur droit au vote et à l’éligibilité. Des ateliers et des séminaires ayant pour objet l’augmentation des capacités des femmes en matière électorale ont permis aux femmes d’être informées sur cette matière et surtout d’avoir confiance en elles-mêmes.

 

Du côté vote formel, comme on l’a souligné plus haut, la question ne s’est pas tellement posée.   C’était  même une grande aubaine du fait que les femmes constituent, de par leur supériorité numérique, une masse électorale non négligeable pour les candidats "masculins". Il y a eu même des subterfuges consistant à détourner les voix des femmes analphabètes pour les candidats qui n’étaient pas de leur choix.

 

Le vrai problème réside aujourd’hui quant à l’éligibilité  et aux  nominations des femmes en termes de parité, consacrées par l’Article 14 de la Constitution. Comme on l’a mentionné plus haut, cet Article 14 dans son alinéa 4 dispose que : « la femme a droit à une représentation équitable au sein des Institutions nationales, provinciales et locales» et il est mis à la charge de l’Etat le soin de garantir la parité homme/femme au sein desdites Institutions.

 

Cette disposition a fait couler beaucoup d’encre tant du côté des hommes que des femmes elles-mêmes tantôt par des réactions positives, tantôt par des réactions négatives. L’accueil de l’Article 14 était salué comme une intégration du Congo dans la marche du siècle et surtout la conformité de sa législation aux Conventions internationales anti-discriminatoires. A cet effet, il est souligné dans l’exposé des motifs de la Constitution que :

 

Le constituant tient à réaffirmer l’attachement de la République Démocratique du Congo aux Droits humains et aux libertés publiques tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux auxquels elle a adhéré. Aussi a-t-elle intégré les droits et libertés dans le corps même de la Constitution. A cet égard, répondant aux signes du temps, l’actuelle constitution introduit une innovation de taille en formalisant la parité homme-femme » (Constitution 2006 : exposé des motifs).  

 

En revanche, les réactions négatives n’ont pas manqué de la part des adeptes tant masculins que féminins du statu quo. Pour convaincre de l’absurdité de la quête de la parité, on a surtout fait allusion aux propos de celles pour qui l’article 14 plaide la cause. Si les prises de position défavorables des femmes analphabètes ou semi-lettrées ne pouvaient retenir une attention particulière, celles de certaines femmes universitaires ou ayant un niveau d’instruction et de compréhension assez élevé étaient souvent mises en exergue. Leurs arguments font souvent état soit de l’incapacité des femmes à gérer la res publica  soit du  non réalisme de la Constitution du fait que les mentalités n’étaient pas suffisamment préparées à un changement aussi brusque. Une telle attitude est qualifiée de la « doxa du sexe » signifiant une projection de son incapacité sur les autres, ce n’est pas parce qu’on est incapable d’assumer une fonction que les autres individus de sa catégorie le sont également.[1]

 

A moins de vivre dans une ignorance totale des droits humains ou de faire preuve d’une cécité devant l’évolution actuelle du monde, on en revient à la question fondamentale de la contemporanéité pour la plupart des Congolais. D’après Tassou (1997), la contemporanéité consiste non pas seulement à vivre à la même époque, mais surtout vivre la même époque c'est-à-dire être en mesure d’en saisir les tenants et les aboutissants.

 

Si la parité homme/femme dans les instances décisionnelles est érigée en principe constitutionnel, il en découle qu’elle repose sur une base très solide non pas seulement du fait que la constitution est la loi fondamentale mais surtout parce qu’elle a une base philosophico-anthropologique qui pose le principe de la mixité de l’humanité et de l’égale dignité que partagent tous les êtres humains. Mais en dépit d’un fondement aussi solide, comment alors expliquer  les résultats en deçà de toute attente et le nombre infime des postes nommés attribués aux femmes ?  

 

Pour tenter de répondre à cette question, nous partons de l’hypothèse selon laquelle, la débâcle des femmes aux élections et leur sous-représentation aux postes ministériels est un signe révélateur du rôle assigné à chaque sexe dans les imaginaires sociaux. En effet, la politique, dans l’imaginaire des Congolais, reste et doit rester la chasse gardée des hommes.  Avant de vérifier cette hypothèse, l’on doit préciser que l’exclusion des femmes de la sphère politique n’a jamais été expresse parce qu’aucune candidature n’a été rejetée au motif de la féminité. Au contraire les partis politiques, pour propulser les candidats, ont profité de l’opportunité de la parité à travers ce qu’on a qualifié des « listes zébrées »[2] pour rafler le plus de voix. Lors des campagnes, la fibre maternelle des candidates était mise en avant, leur statut des mères utilisé à outrance et faisant d’elles celles qui prendraient à corps les problèmes de leurs « enfants »[3]. Toutefois, l’apparent engouement de la quête d’égalité entre homme et femme en matière politique ne peut nous entraîner dans un leurre car, au delà des discours officiels, la mise à l’écart des femmes a été pourtant tacite à travers des propos et des comportements que les femmes elles-mêmes ont fini par intérioriser comme «normaux».

 

En effet, la difficile émergence des femmes sur le plan politique découlerait d’une part des traditions congolaises qui ne permettaient pas aux femmes de donner publiquement leur opinion sur la vie communautaireUne pensée ancestrale très révélatrice  chez les Bena lulua du Kasaï occidental la relégation des femmes dans la sphère privée est exprimée à travers cet adage : « Mamu Kapinga mukua diyaya, kaping’anyi akula ebe malu nga bipongo, a ditunga balume badiakuile (Reynaert 1995 :132). Ce qui signifie substantiellement« vous les femmes, occupez-vous des travaux champêtres et laissez aux hommes la gestion de la cité ». Même si plusieurs acteurs et ONG font un grand travail de sensibilisation en rapport avec les questions du genre, les traditions demeurent vivaces dans certains milieux surtout à la campagne. Ce qui ne voudrait pas dire que le milieu urbain soit pour autant épargné car les attitudes de la majorité des femmes vivant en ville dénotent souvent de la survivance des coutumes.

 

Au-delà de l’impact des traditions dans l’exclusion tacite des femmes de la sphère publique, la dimension historique particulière du Continent n’est pas à négliger car comme cela fut le cas pour les femmes partout en Afrique, les femmes congolaises ont été lésées par le système colonial qui s’était appuyé sur le pouvoir masculin. Il est vrai que la période coloniale correspond à peu près avec les premières réclamations féminines des droits en Occident. Les colons étant les hommes de leur époquec’est aux hommes seuls, en tant que chefs coutumiers, qu’était reconnu la faculté de participer aux affaires publiques comme représentants de leurs sujets auprès des nouvelles autorités administratives. On pourra rétorquer à cette opinion en arguant l’accession des Etats africains à l’indépendance politique et le passé lointain de la période coloniale. Un tel argument, plausible peut-être a priori, comporterait la faille de ne pas tenir compte de l’imprégnation de la marque du passé dans la vie de tout individu.

 

Et  même si depuis l’indépendance, notre pays - à travers sa législation interne et aussi à travers différentes Conventions qu’il ratifiereconnaît une égalité en droit entre les deux sexes, est-ce- à dire que cette égalité formelle se traduit dans les faits ?  Cette question posée dans ce cadre spécifique de la conquête du pouvoir politique par les femmes nous renvoie à un problème récurrent qui est devenu une sorte de maladie des pays africains : il s’agit de l’inadéquation entre les droits formellementreconnus aux individus et leur effectivité. En d’autres termes,  les lois prônant l’égalité ne font pas défaut dans notre pays, de plus le Congo a  adhéré à presque toutes les Conventions Internationales anti-discriminatoires et a même ratifié la Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDEF).  On peut donc sans crainte parler en la matière d’une inflation législative à laquelle s’ajoutent autant de résolutions d’ateliers et de séminaires de formations financés par les organismes internationaux et qui traitent des questions d’égalité entre les sexes. Mais arrivera-t-on un jour à l’application effective de toutes ces lois et  résolutions ?

 

Pour revenir à notre préoccupation concernant l’éligibilité des femmes, le verdict des urnes a été clair car le score des résultats était insignifiant pour les femmes.  Comme disait le Président De Gaulle, la bataille a peut-être été perdue et pas le combat, ceci pour dire qu’avec ces premières élections qui ont sorti le pays de la longue période de transition, si les femmes n’ont pas été élues conformément au principe de la parité, est-ce à dire qu’elles rangent leurs armes et que le combat ne puisse être poursuivi ?  De quel combat peut-il bien s’agir sinon d’une quête de justice sociale qui tendrait à considérer les femmes comme une des catégories sociales digne d’être représentée quantitativement dans la politique au même titre que les hommes. Cette augmentation numérique des femmes dans les instances de décision exige donc que soient rappelées les  raisons qui militent à sa mise en œuvre.

           

 3Le fondement du partage du pouvoir entre les sexes

 

Le problème de fond qui sous-tend les réclamations féminines en matière du partage du  pouvoir dans les instances de décision peut se formuler de la manière suivante : comment dans des sociétés composées d’individus des sexes masculin et féminin, on en soit arrivé à ne reconnaître principalement qu’aux seuls hommes la gestion des affaires publiques ? Pour répondre à cette préoccupation, on doit rappeler que dans la quasi-totalité des pays tout comme ici au Congo, les femmes étaient au départ exclues de toute participation aux urnes. Le droit de vote reconnu tardivement aux femmes a certes constitué un correctif du monopole masculin de la désignation des représentants sans pour autant résoudre la totalité de déséquilibre entre homme et femme en matière politique. Désormais le problème se déplace sur un autre terrain.  On reconnaît certes aux femmes le droit d’élire, d’être éligibles et aujourd’hui on essaie d’aller plus loin dans l’exigence consistant à ce qu’elles puissent être représentées autant que les hommes dans les instances de décisions. Mais, force est de constater que les préjugés de tout genre planent toujours comme des épées de Damoclès sur les têtes des femmes.

 

Devant ce constat de la faible émergence des femmes dans les instances de décision, constat enregistré dans presque tous les pays du monde et qui n’est pas seulement l’apanage du Congo, des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer une meilleure représentation féminine ou plutôt une représentation équitable des deux sexes.  Et l’on va même jusqu'à une redéfinition de la démocratie qui prend en compte ce paramètre. C’est ainsi que « le 4e plan d’Action pour l’égalité des chances » définit la nouvelle conception de la démocratie en soulignant que

l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes est un principe de droit ; l’égalité de chance entre les femmes et les hommes est une composante à part entière d’une citoyenneté démocratique … et aussi … la participation pleine et entière sur une base égalitaire des femmes à la vie politique, économique, sociale, culturelle et au processus de la décision sont les exigences de la démocratie » (cité par Quintin 1997 :63).

           

Ce plan d’action se veut une volonté manifeste d’inscrire concrètement et dans tous les domaines la quête d’égalité en matière politique déjà promue dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 il est clairement disposé à l’article 21 alinéa1 que : «Toute personne a droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire des représentants librement choisis».  Et quatre décennies plus tard, soit 1988, la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par le Congo en mars 1990, était encore plus explicite car elle dispose dans son article 7 que :

 

Les Etats partis prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans la vie politique en leur assurant … de prendre part à l’élaboration de la politique de l’Etat … à occuper des emplois et à exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons de gouvernement.

 

La R.D. Congo, l’avons-nous déjà signalé, a réaffirmé dans la Constitution du 18 fév. 2006 son attachement aux Droits humains. De plus l’article 215 de ladite Constitution donne aux Conventions régulièrement conclues une valeur supérieure à celle des lois dans la hiérarchie des normes, les intégrant ainsi dans le droit interne dès leur publication. Il est donc étonnant que des mesures anti-discriminatoires - en l’occurrence la quête de la parité en matière politique - soient encore considérées comme une incursion de la vision féministe occidentale dans la législation et la culture congolaise.

 

Au-delà des préjugés, sur quelle base peut-on fonder le principe de la parité ? La parité pourrait se fonder sur cette assertion qui,  pourtant, est une évidence à laquelle on est tellement habitué au point de ne plus y prêter attention. Elle peut être postulée de la façon suivante :les sociétés humaines étant sexuées, il est injuste de constater que les hommes continuent à détenir le monopole dans l’exercice des mandats électifs et dans les postes de prises de décisions, et ce, malgré les nombreuses dispositions légales égalitaires. C’est au regard de cette situation que les femmes  proposent d’établir un équilibre à l’image de la société, l’optique étant de dépasser la simple mixité dans la vie publique pour essayer d’asseoir une égalité  numérique. Cette démarche vise divers domaines importants d’exercice des pouvoirs politique, économique et  culturel car dans ces secteurs, les femmes sont souvent victimes des stéréotypes masculins et des blocages du système d’accès aux postes de responsabilité malgré leur compétence et leur compétitivité sur le marché du travail.

 

Dès lors, on peut se demander pourquoi aux hommes seuls il est reconnu la capacité de décider de l’orientation générale de la vie publique et aussi la capacité d’être en mesure de bien mener cette action au nom et dans l’intérêt des deux sexes (Bitota 2003) ? 

 

A ce propos, Sylviane Agacinski (1996) rappelle avec insistance la prise de conscience de la dimension sexuée de l’humanité  en soulignant qu’il n’y a que deux façons essentielles d’exister comme personne humaine. L’adjectif «essentiel»  est utilisé dans le sens philosophique de la nécessité par opposition à ce que est contingent. On doit poser comme principe qu’essentiellement, on est soit un homme soit une femme. La preuve est qu’à la naissance, la première question spontanée n’a trait ni à la couleur ni au poids du bébé, elle consiste plutôt à savoir si le nouveau-né est du sexe masculin ou féminin. Il en découle que le reste des considérations qui entourent l’être humain ayant trait à la race, à la couleur de la peau, à la religion, ne sont que des contingences pouvant disparaître. Autrement dit, à force des brassages, une race peut disparaître au profit d’une autre, on peut changer de religion, de nationalité ou adopter une autre culture, mais l’on restera cependant un homme ou une femme, sauf pour des cas exceptionnels de sexe psychique défaillant certains individus recourent au transsexualismeC’est ainsi que Agacinski (1996 :190) écrit :

 

 Si être femme constitue bien l’une des façons essentielles d’être un être humainet si on est d’accord sur ce point …on ne peut accorder que l’homme (au sens générique) n’existe que divisé et refuser à une nation cette manière d’être…En ce sens, la mixité universelle de l’humanité doit [aussi] être incluse dans les principes de la vie politique

 

La mixité dont il est question ne doit donc pas être conçue sous l’angle de l’utilitarisme qui justifierait l’introduction de la féminitédans la sphère politique mais on doit plutôt viser à une féminisation accrue des instances de prise de décision.  Et l’on doit veiller à ce que le sexe féminin ne soit pas considéré comme un alibi, mais une catégorie digne d’être représentée et de partager le pouvoir avec le genre masculin.Or les  pratiques politiques surtout en matière de nomination laissent entrevoir une logique utilitaire qu’on pourra essayer de démontrer en nous posant quelques questions.  Ces quelques Congolaises propulsées affichent-elles leur détermination face au pouvoir des hommes qui n’abordent les problèmes des femmes qu’à des fins électoralistes ? Leur nomination est-elle objectivement justifiée par la conformité aux impératifs de l’article 14 de la Constitution ?

 

Pour répondre à ces questions, nous devons remonter à l’histoire proche et considérer que les premières participantes aux postes de prise de décision dans les pays africains  remontent en grande partie aux années qui ont suivi l’Année Internationale de la Femme décrétée par l’ONU en 1975. Mais la tendance générale qui sous-tend cette participation laisse voir un conservatisme dans la répartition des rôles.

 

Le poste le plus souvent attribué aux femmes est celui qui a été créé à cette époque afin de les impliquer davantage dans la prise de décision ; il s’agit du Ministère appelé dans certains pays africains : Condition féminine et affaires sociales. En R.D. Congo, on parle de la Condition féminine et famille (CONDIFFA). Ce qui reviendrait à dire que les problèmes des femmes n’intéressent pas outre mesure les hommes, on en laisse la charge aux femmes elles-mêmes car supposées être en mesure de les comprendre et d’y trouver solution. Cette conception est une caricature de la réalité car la mixité de l’humanité conduit à ce que les problèmes sociaux soient traités indifféremment et surtout ensemble par les deux sexes. Que serait la transposition de cette logique en médecine si on devrait considérer par exemple que la gynécologie ne soit étudiée que par les femmes ? Et pourtant il y a des gynécologues hommes plus habiles que les femmes.

 

Cette perspective dictée peut-être par des raisons de discriminations positives a fait créer une habitude qui tend à devenir une norme. On trouve normal aujourd’hui que le Ministère de la CONDIFFA et ses sections provinciales ne soient dirigés que par des femmes. La CONDIFFA de la Province du Kasaï occidental a eu à sa tête il y a quelques temps un homme. Il faisait tellement l’exception au point que sur sa correspondance ou dans les rencontres il n’était pas connu, il était souvent désigné par le titre de « madame ».

 

Par leur présence à la CONDIFFA, les femmes sont certes fières de mener le combat pour la reconnaissance de leurs droits, mais si l’on pousse loin la logique, on aboutit au cloisonnement des capacités féminines. Le Ministère de la condition féminine ne serait rien d’autre que la transposition au niveau de l’Etat des activités relevant du ménage et de la vie familiale car derrière la désignation Condition féminine et famille, on voit se profiler une réaffirmation de la finalité assignée à toute femme ; à savoir être une mère de famille et y trouver son épanouissement.

 

L’amalgame des problèmes féminins avec la maternité n’est-il pas traduit dans le fait d’associer souvent les droits des femmes et des enfants ? On a coutume de justifier ce duo par la vulnérabilité de ces deux catégories. Mais à y voir de près, ces deux entités ne devraient pas être associées, car être femme est une catégorie sexuelle qui s’oppose au sexe masculin, alors qu’être enfant est une étape dans la vie d’un individu quel que soit son sexe et de ce fait, s’oppose à l’état adulte. Dès lors les femmes en qualité de citoyenne participante se trouvent infantilisées et leurs problèmes en quelque sorte sous-évalués et minorés. Comme on l’a démontré ci-haut, il est devenu normal qu’au Congo, le portefeuille ministériel de la Condition féminine ou des affaires sociales soient attribués aux femmes. Pourquoi alors les Ministères clés tels que la Défense, la Justice ou les Affaires Etrangères ne leur sont pas jusque attribués malgré la compétence dont peuvent faire preuve certaines Ministres ?

 

4.  Les présupposés du faible taux d’élection des femmes

 

D’emblée une remarque s’impose: les candidatures des femmes n’ont jamais été écartées des listes électorales pour des raisons d’appartenance au sexe féminin. Par présupposés de la non-émergence des femmes, nous voulons souligner quelques préjugés qui ont  constitué des freins à l’élection massive des femmes. Deux arguments sont souvent avancés par les hommes pour justifier leur main mise sur la sphère politique. Il s’agirait de la supposée incapacité politique des femmes et aussi de leur incompétence(Bitota 2003).

 

S’agissant de l’incapacité politique, il paraît que les femmes seraient par nature moins disposées à s’intéresser à la politiqueD’une part, leur apathie  se serait révélée par le passé car elles n’ont pas prouvé leur capacité à combattre pour leur propre cause s’agissant du droit de vote.  C’est vrai que le droit de vote a été reconnu aux femmes congolaises 10 ans après les hommes et sans aucun combat de leur part.  Mais force est de constater que les hommes congolais n’ont pas non plus combattu  pour accéder aux urnesC’est uniquement au nom de leur masculinité qu’ils ont été associés les premiers à la gestion coloniale et que leur droit leur fut reconnu en préparation de l’accession du pays à l’indépendance. De plus, l’incapacité politique des femmes, d’après le discours masculin se manifesterait également par leur «agoraphobie» (Gaspard1992).  On voudrait dire que de par leur psychologie, elles sont enclines à la peur de la foule.  Or en politique, il faut aborder nécessairement les foules.

 

Le deuxième argument servant d’alibi à l’exclusion tacite des femmes en politique et par leur sous-représentativité seraitleur incompétence, laquelle s’évalue à l’aune des diplômes, des études faites et d’une certaine culture politique (Gaspard1992). Cet argument n’est pas entièrement faux dans la mesure l’analphabétisme et le semi-lettrisme frappe plus de 60% les femmes que les hommes. Et celles qui ont pu émerger sont minoritaires par rapport au grand nombre. A partir de ce constat, la minorité numérique ne saurait prétendre à une représentation conséquente d’une majorité incapable de comprendre les enjeux politiques. Mais à y voir de près, cet argument n’est qu’un prétexte visant à décourager les femmes car l’on constate que le même argument est toujours avancé même dans les pays occidentaux le nombre des filles et leur taux de réussite scolaire et universitaire sont supérieurs à ceux des garçons. Gaspard s’insurge contre des telles considérations quand elle écrit :

 

L’argument est aussi gentil qu’hypocrite. Depuis quand les assemblées sont-elles élues sur base  de la compétence ? Nous serions bien incapables pour notre part de définir les critères qui permettent de la cerner. Si la capacité se mesurait par le niveau d’études des candidats, les hommes devraient bientôt renoncer à leur domination et craindre de se voir supplanter dans un avenir prévisible…Ainsi l’argument de la compétence mesurée à l’aune des diplômes acquis pourrait-il un jour se retourner contre ceux qui, pendant longtemps, l’ont plus ou moins ouvertement utilisé afin de se réserver la gestion publique (Gaspard 1992 :161-2). 

 

Dans le contexte congolais, on se rend compte qu’on est très exigeant vis à vis des femmes en préconisant non pas une parité quantitative mais qualitative, c’est-à-dire qu’on aimerait qu’il n’y ait que des femmes ayant un bon niveau d’instruction pour figurer dans les instances de décision. Or, sous nos yeux, beaucoup d’élus  masculins ne sont pas des grands universitaires car si tel était le cas, pour ne prendre que le cas de la ville de Kananga, il n’y aurait pas de raison que le Centre Interdisciplinaire de développement pour l’éducation permanente(CIDEP) et les Instituts Supérieurs de la place regorgent des nouveaux élus à la quête d’un diplôme du premier ou du deuxième cycle. Au-delà du  cursus classique, plusieurs séminaires et ateliers sont animés dans le but de renforcement des capacités des élus. Il appert donc que l’incompétence politique évaluée à l’aune des études faites est un problème commun aux deux sexes. On peut dès lors se demander pourquoi cette politique de deux poids deux mesures quand il s’agit des femmes.

 

Alors qu’on a soutenu que par nature, les femmes étaient peu enclines à s’occuper des affaires publiques, on déplace désormais leur inaptitude sur le terrain de la culture. A la déficience politique innée, vient donc s’ajouter l’insuffisance du bagage politico-culturel acquis. En d’autres termes, pour monopoliser le pouvoir politique, les hommes ont procédé par un glissement dans leur argument allant de la soi-disant défaillance dans la qualité à celle de l’insuffisance dans la qualification

 

A ces deux arguments de taille, il faut ajouter un troisième ayant trait à la moralité des femmes. A la lecture attentive de la loi électorale, une des conditions requises pour postuler à un mandat électif est le fait de n’avoir pas été « privé par décision judiciaire définitive des droits civils et politiques (Art 7 Loi n°06/006 2006 ». Ceci pour dire que tant que le jugement n’a pas acquis la force de la chose jugée et qu’il existe une éventualité des voies de recours, le candidat ne peut être empêché de poser sa candidature.

 

 

Quand on parle de la privation des droits civils et politiques, de quoi  peut-il bien s’agir ? La peine privative des droits est une technique répressive et en même temps l’expression de l’indignité morale du condamné dont l’infraction commise a été si grave qu’elle le rend indigne de capacité juridique. En d’autres termes, ce sont des peines accessoires automatiquement attachés à la peine principale affectant le droit de participation à la vie publique ou familiale. Des telles peines consistent en une simple incapacité d’exercice alors que le condamné conserve sa capacité de jouissance. La privation des droits politiques a donc pour but la protection sociale. Ainsi, le législateur impose une souffrance à certains délinquants en les écartant de la vie politique de la nation. Dans le cadre de la protection sociale, on veut assainir la vie politique en en écartant des personnes indignes d’y jouer un certain rôle (Merle Vitu 1984). La peine d’interdiction des droits civils et civiques

 

 peut s’étendre à tout ou partie des droits suivants : droit d’être tuteur ou curateur, droit d’être expert  devant une juridiction, droit de représenter ou d’assister une partie devant la justice, droit de témoigner en justice, droit d’exercer une fonction juridictionnelle, droit de voter, droit d’être élu (Soyer 2004 :157).

 

 La faiblesse de la condition de la jouissance des droits politiques pour l’éligibilité consiste dans le fait que parmi les éléments exigés dans le dossier de candidature ne figure pas le casier judiciaire pouvant renseigner sur les antécédents judiciaires du candidat. Il appert donc que l’exigence objective de la moralité en politique tend à être soumise à des conditions draconiennes quand il s’agit des femmes. Les détenteurs des règles de jeu tâchent alors de se rassurer que les prétendantes en politique répondent à une grille d’appréciation qui ressemblerait à un examen de passage au bout duquel on peut sanctionner celles qui sont dignes d’assumer les charges politiques.

 

Malgré les compétences, les convictions et l’activisme dont peuvent faire preuve certaines candidates, on s’est souvent demandé si certaines femmes étaient dignes de représenter la population au cas elles seraient élues.Le« politiquement correct » devrait passer par l’incursion dans la vie privée de femmes lors qu’une telle exigence n’était pas de mise s’agissant des hommes pour lesquels notre société est indulgente  en tolérant facilement leurs incartades.

 

Une autre tactique mise également à contribution pour freiner l’émergence féminine dans la vie politique n’est plus cette sorte d’inquisition en vue de trouver des failles dans la moralité des candidates, on a également recouru à une recherche minutieuse des instruments juridiques susceptibles de porter préjudice aux femmes. Il s’agit des dispositions de l’article 444 du code de la famille libellées en ces termes : « le mari est chef du ménage. Il doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son mari ». Le code de la famille, qui loin d’être une prétendue vision congolaise des rapports entre époux, n’a fait que recopier mot à mot en combinant les anciennes dispositions du code civil français ayant trait à la puissance maritale et celles établissant le mari comme chef du ménage.

 

Cette disposition a trouvé un répondant car elle correspond à la vision congolaise des rôles entre époux. De plus, elle arrangeait bien les hommes ayant été nombreux au parlement en 1987 lors de l’adoption du code de la famille et qui ne concèdent pas à leur autorité et ce, en dépit de l’existence des régimes matrilinéaires dans certaines provinces telles que le Bas-Congo ou le Bandundu.  En effet, l’article 213  de l’édition originale du code civil français de 1804 dispose : « le mari doit protection à la femme, la femme doit obéissance à son mari.» Ce devoir d’obéissance remonte d’un très ancien coutumier normand  que Napoléon aurait récupéré pour avoir eu, dit-on, quelque mal à faire régner l’obéissance dans son propre ménage[4].La puissance maritale a été abolie en France en 1938 et remplacé par la qualité du chef de famille supprimée aussi en 1970 au profit de la codirection du foyer par les deux conjoints. Gérard Cornu écrit à ce propos :

 

la puissance maritale avait été remplacée par la qualité de chef de famille. Sa suppression avait débouché sur la collation au mari de la fonction de chef unique de la famille. Du chef de la femme [« Vir est caput mulieris »] au chef de la famille, c’était un transfert en decrescendo mais révélateur. Depuis 1970, le mari n’est plus chef de la famille. A la vérité, la qualité de chef de famille était conférée  au mari, non dans son intérêt personnel, comme une prérogative discrétionnaire, mais dans l’intérêt de la famille, comme une fonction. Dès avant 1970, beaucoup d’options fondamentales dans le ménage étaient considérées comme échappant déjà à la décision unilatérale ou même à l’influence du chef de famille : ainsi pour la femme, la liberté confessionnelle (religieuse), la liberté politique… L’attribution au mari de la qualité de chef de famille n’avait pas empêché  le principe du respect mutuel des personnalités de l’emporter  (Cornu 2006 :43).

 

Cette longue citation prise à dessein se veut une explication de l’origine et de l’évolution de la pré-éminence maritale dans la législation nous ayant servi d’inspiration. On constate que quand  les choses arrangent le législateur congolais, la référence aux autres législations est permise. Mais on se rend compte que le même législateur est du coup frappé de cécité pour suivre l’évolution en prétendant de ne pas jouer au mimétisme. Il faut en déduire que le Droit congolais, dans sa politique d’autruche, tient donc mordicus à ne pas porter atteinte à l’hégémonie maritale. De la qualité du mari en tant que chef de famille découle le maintien de l’incapacité de la femme mariée à l’article 448 du code de la famille qui dispose que :« la femme doit obtenir l’autorisation de son  mari pour tous les actes  juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne ». Si l’autorisation écrite du mari n’a pas figuré parmi les éléments du dossier de candidature pour les  femmes mariées, certains maris ont de manière discrétionnaire arrêté les élans de leurs femmes à postuler aux différentes élections

 

Donc la qualité du chef de famille attribuée au mari conduit à faire croire que la femme, placée sous son autorité, perdrait son autonomie de pensée. Ce qui est contraire à l’article 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme reconnaissant à chacun la jouissance des droits politiques et aussi à l’article 22 de la Constitution prônant pour toute personne la liberté de pensée et d’opinion. Ainsi, pour arriver à l’effectivité de la parité, ne faudrait-il pas que le législateur congolais aille jusqu’au bout de la logique en essayant d’harmoniser dans tous les domaines sa législation de façon que les principes ne se contredisent mutuellement.

 

Nul n’est besoin de le rappeler que les candidatures dans le contexte africain et spécifiquement dans le contexte congolais s’inscrivent dans une logique de géopolitique d’appartenance régionale ou tribale. Même les hommes, installés depuis plusieurs décennies dans une Province dont  ils ne sont pas originaires et y ayant gravé l’empreinte d’un dur labeur et d’une intégration sans faille, ont de la peine à se faire élire parce que considérés toujours comme étrangers. Qu’en serait-il pour la situation des femmes mariées ? Il sera certain qu’elles ont peu de chance de triompher si leur choix de la circonscription n’est motivé que par le lien de mariage. Il n’y aurait peut-être pas de problème si la femme et le mari proviennent de la même circonscription, mais en cas des couples qu’on peut qualifier de mixtes parce que provenant des coins différents et surtout des provinces différentes avec le handicap de la barrière linguistique, il est apparu que  quelle que soit l’intégration de la femme dans la belle famille, elle sera toujours une étrangère pour pouvoir prétendre à être élue dans la circonscription de son mari.           

 

Enfin, l’on doit bien considérer que la liste des arguments avoués ou subtils ne favorisant pas l’émergence des femmes en politique n’est pas exhaustive. Tous ces motifs peuvent être résumés en deux idées maîtresses. D’une part, on en vient à considérer que la politique n’est pas une affaire de femmes. Sylvain Maréchal l’exprime quand il écrit :

 

La raison veut que chaque sexe soit à sa place et s’y tienne.  Les choses vont mal quand les deux sexes empiètent l’un sur l’autre (...). La raison veut que les femmes tiennent le spectre de la politesse sans aspirer à celui de la politique (Maréchal cité par Rosavallon 1992 :132).

 

Et d’autre part, on estime que l’engagement des femmes en politique serait une activité contre nature dès lors qu’on se réfère à la logique de la normalité assignant à chaque sexe son domaine de prédilection : les hommes dans la sphère publique et les femmes dans la sphère privée. Alain Lipietz relève cette dimension en considérant que le succès politique exige, dans la logique masculine une disponibilité totale consistant en  n’avoir que ça à faire (Lipietz1998).Ce qui est contraire aux multiples occupations des femmes considérées à juste titre comme des chivas à plusieurs bras. On considère qu’il leur est donc difficile de concilier la vie du ménage et la politique, deux activités qui demandent chacune une grande disponibilité en temps et donc antinomiques par nature. Fatou Sow abonde dans le même sens quand elle écrit : 

 

Le fonctionnement de la vie politique est une reproduction du système patriarcal dont les acteurs sont constamment sollicitésIls ont des programmes chargés, des réunions tardives, des voyages fréquents, etc.  Ils peuvent se permettre ce rythme effréné car toutes leurs charges familiales et sociales sont gérées par les femmes (épouses, mères, sœurs, militantes).  Les femmes pour réussir en politique sont astreintes à se conformer à ce modèle en dehors de tout support de leur environnement social. Elles en paient très souvent un coût affectif très élevé dans leur famille et leur entourage.  On cite constamment les exemples d’Africaines engagées en politique qui, loin d’être soutenues par un conjoint souvent jaloux de leur auréole, sont menacées de répudiation ou de polygamie (Sow 1997 :138).

 

5. Les raisons qui expliquent l’échec des femmes au Congo

 

Sans être exhaustive, voici quelques raisons très subtiles qui ont participé à l’échec des femmes aux élections au Congo.  Ces préjugés imprègnent tellement la culture que les femmes elles-mêmes ont fini par les intérioriser et les intégrer dans le canevas de la  normalité. Car si tel n’était pas le cas, comment peut-on expliquer que malgré la mobilisation pour le vote utile, beaucoup d’électeurs et surtout d’électrices n’ont pas été convaincus  par la campagne des candidates aux élections. En effet, on a assisté à des slogans tels que « katshi ka lelu kakena kona » signifiant littéralement le vote de cette  fois n’est pas à gaspiller, une façon d’inviter au vote utile. Un autre slogan était libellé en ces termes : «  katshi ka ba mamu bua ba mamu » pour inciter les femmes à voter pour les femmes candidates parce que supposées mieux placées à défendre les problèmes spécifiquement féminins.

De tels slogans, pouvant être a priori admis au nom de la discrimination positive du fait que les femmes sont moins nombreuses que les hommes dans les arcanes du pouvoir, nécessitent cependant une remise en question quand on se place du côté de la liberté de pensée et d’opinion et par même la culture politique. Le vote doit en principe répondre à un projet de société présenté par le candidat qui a su convaincre son électorat et non à l’appartenance au même sexe. Dans un Congo plongé dans la paupérisation à outrance, que peut bien signifier pour les électrices la défense des intérêts féminins quand on sait que les voix ont été soit achetées avec des cadeaux, soit obtenues du fait de la même appartenance tribale exprimée par l’expression « kuetu kakujiminyi »[5]. Et même si les femmes avaient voté massivement pour les candidates, quelle est la garantie que celles qui seraient élues défendraient la cause des autres femmes pour la plupart analphabètes, semi-lettrées ou de basses classes. Teyssier (1997 :236-237)  n’a-t-elle pas raison de souligner à juste titre qu’

 

« on constate que souvent les femmes élues [ou nommées] ne sont que des « femmes- alibi ». Quel est leur droit à la parole, leurs avis sont-ils pris en considération ? [...] Par ailleurs, les femmes élues tendent à se « recruter » parmi les personnes bénéficiant déjà d’un statut social supérieur. C’est toute la problématique du « leadership » l’on constate que ce sont souvent les mêmes personnes qui assument diverses responsabilités dans les organisations. Ces élues ne seraient en ce sens pas forcément représentatives des « femmes » et de leurs problèmes particuliers dans la mesure leur propre statut les éloigne des contraintes « normales » de celles-ci (différenciation sociale entre femmes). De ce fait, elles ne seraient pas en position de se faire l’écho de l’opinion des femmes… »

.

Mais en tout état de cause, force est de constater que la réticence et le conservatisme de l’électorat habitué à ne voir principalement que les hommes en politique sont des facteurs à charge contre celles qui veulent se frayer un passage dans ce monde masculin. Ces diverses manœuvres ne traduisent que la volonté de pérenniser le sexisme politique bien que l’appel à la démocratisation et son corollaire, la participation de deux sexes dans la gestion de la chose publique traduite par le principe de la parité, aient donné espoir aux femmes.

 

Ainsi donc, la parité mal comprise est devenue pour beaucoup d’hommes aujourd’hui un terme de dérision visant à dénigrer les femmes qui, fortes de l’appui constitutionnel et légal, veulent prendre leur destinée en main.  Il en va de même pour certaines femmes qui ne se trouvent même pas dignes de l’attention particulière accordée au genre féminin. Cette légèreté tient au fait que la parité a été proposée aux congolaises sur un plateau d’argent sans aucun combat préalable. Cependant, parler d’absence d’un combat préalable ne voudrait pas dire que les femmes congolaises croisent les bras quant aux questions ayant trait à la représentativité équitable des deux sexes dans les instances de prise de décision. On voudrait préciser que l’idée de la parité n’a pas son origine au Congo, elle a vu naissance avec les combats des femmes en Occident. C’est ainsi que la majorité des femmes congolaises ne perçoivent ni sa valeur ni ses véritables enjeux.

 

Eu égard à ce qui précède, on peut également considérer que le rôle marginal confié aux femmes nommées à participer à la gestion publique indique non seulement le conservatisme masculin, mais aussi une sorte d’alibi visant à répondre à certaines pressions. La première forme de pression est celle qui vient de l’extérieur, car depuis la Conférence de Mexico de 1975 pour l’Année Internationale de la femme, différentes Conférences internationales sur les femmes ne cessent de rappeler en direction des pays pauvres la place de celles-ci dans le développement économique et social, et par conséquent la nécessité qu’elles soient représentées à tous les niveaux de la vie publique.

La deuxième forme de pression résulte de l’utilisation des femmes à des fins politiciennes. Sous le parti unique, les femmes ont constitué la cheville ouvrière de la propagande idéologique. Elles intervenaient sur la scène publique au cours des circonstances exceptionnelles telles que les fêtes nationales, les anniversaires de prise de pouvoir, les visites officielles des chefs d’Etat étrangers… En tenues d’apparat faites à l’effigie du Président- Fondateur, ces femmes assuraient ce qui était connu sous la dénomination « d’animation politique ». Ainsi, la promotion politique de quelques unes d’entre elles n’était qu’une manière pour les hommes au pouvoir de s’acquitter d’une dette morale ; car leur dévouement et leur militantisme méritaient bien une récompense. Avec le multipartisme, peut-on réellement affirmer que les conditions de nomination des femmes au poste de prise de décision ont vraiment changé ? A cet effet, Amougou (1998 :177) souligne :

 

Aujourd’hui, certains pays africains se targuent…de brandir le nombre des femmes qu’ils ont dans leurs rangs gouvernementaux. Comment peut-on imaginer que des tels positionnements politiques puissent relever de la soi-disant compétence de ces femmes quand on sait qu’elles appartiennent, pour une grande partie d’entre elles, à des « sections des femmes » des partis politiques d’hier qui, aujourd’hui encore,  continuent de diriger les pays dans un contexte de pseudo-démocratie et d’un multipartisme dont les modes de fonctionnement sont fondés sur des logiques traditionnelles, c’est- à -dire tribales ? Ces femmes à n’en pas douter, partagent la même vision « politique » du monde africain que les hommes qui les placent elles sont…

 

Conclusion

 

Notre propos a consisté à interroger l’effectivité de l’article 14 de la Constitution. Nous avons jugé que la pensée de Servan-Schreiber (1997 :36)  mérite d’être soulignée.  Elle écrit en effet  que « la parité est un horizon, unobjectif qui, une fois atteint, fera progresser l’égalité des sexes ».L’image de l’horizon nous parait plus qu’éloquente et traduit mieux la réalité, car plus on avance vers le point de mire, plus on s’aperçoit que le ciel ne touche pas effectivement la terre.  Et le fait qu’on essaie de se rapprocher de ce point qui fuit toujours constitue d’une part une avancée par rapport au conservatisme et à l’immobilisme intellectuel de ceux qui, invoquant «l’éternel hier» estiment que toucher à l’ordre établi ou à la normalité constitue un sacrilège.

 

D’autre part, la poursuite de l’horizon est un signe révélateur qu’on n’est arrivé nulle part dans la quête de l’égalité des chances entre les deux sexes.  Au lieu de nous reposer sur  nos lauriers par l’invocation à outrance de la consécration constitutionnelle du principe de la parité, l’effort est toujours de mise afin de déraciner tant de préjugés séculaires et asseoir dans le vécu des Congolais cette quête dans la représentation équitable et pourquoi pas égalitaire de chaque sexe au niveau des instances de prise de décisions.

 

 


[1]Cf. atelier sur  « le Gender à l’Université »organisé par le PNUD, Kananga, novembre 2008

[2]A l’image du zèbre dont le pelage est fait des rayures de couleurs différentes, la liste zébrée est celle sur laquelle figure en alternance les candidats et les candidates

[3]Dans la mentalité congolaise, le titre de respectabilité pour les femmes n’est pas Madame, mais Maman car d’après l’idéologie de l’authenticité prônée par le Président Mobutu, tout homme provient d’une femme, les femmes sont les mamans des adultes comme des enfants

 

[5]Un adage du Kasaï signifiant substantiellement  qu’en toute chose, il ne faut jamais oublier ses origines

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Bitota, M J 2003. Recherches sur le statut juridique des femmes en Afrique. Thèse de

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Rosavallon, P.1992. Le sacre du citoyen. Paris : Gallimard.

 

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Tassou, T E 1997. Des Etats africains problématiques, pour une problématique de

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