DEVELOPMENT DURABLE : QUEL REGARD SURLES OBJECTIFS DU MILLENAIRE POUR LE DEVELOPPEMENT?

Abstract: 

This paper will explore the possibility that the realization of the Millennium Development Goals (MDG) is threatened by our inability to rigorously reconsider concepts central to the formulation of its goals and targets. Well-intentioned commitments to notions such as “sustainability” allow certain problematic assumptions to go unchallenged. In fact, notions such as sustainability may contain within themselves elements that are oxymoronic. For the purposes of this paper, I will be analyzing typical global sustainability rhetoric, and seek to indicate that in and of itself the use of the term “sustainability” does little to foster ethical responsiveness. Does this mean that the notion has to be abandoned? Not necessarily. It does, however mean that terms associated with it constantly need to be revaluated, which will include an ongoing reassessment of therelational dynamics informing it. [1]




[1]Une version de cet article a été présentée  au Congrès International de International Society for Business Ethics and Economics au Cap Town, Afrique du Sud, en juillet 2008, et à la conférence organisée par Goethe Institute in Copenhagen sur l’Ethique et l’Economie, Septembre 2008. 

 

1.       Introduction

En lisant les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) pour la première fois, on est frappé par leur sagesse et leur réponse pratiques aux soucis les plus vitaux du monde: la pauvreté mondiale, les crises sanitaires, les inégalités et les dangers environnementaux. Il y a très peu à critiquer en termes d'esprit de cette initiative. Cependant c’est quand on commence à voir de plus près le succès limité de chacun des objectifs que la désillusion tombe progressivement.[1] C’est particulièrement dans les domaines de l’environnement et du développement durable que beaucoup de travail reste à faire. Le rapport déclare qu’une action immédiate est nécessaire pour contenir des émissions de gaz à effet de serre. Il met également en garde le fait qu’en raison de la plus grande utilisation de l'eau, presque la moitié de la population mondiale fait face à une pénurie de l'eau. Un autre souci est que la diminution de l'aide au développement rendra difficile la possibilité d'atteindre certains Objectifs du Millénaire pour le Développement. L'auteur de cet article n'est pas instruit en économie politique, et ainsi, ne peut pas analyser les causes de cet échec en termes de dimensions macro-économiques.[2] Cependant, quelques regards philosophiques peuvent nous aider à comprendre pourquoi nous avons du mal à faire face aux buts fixés par les OMD. Je tacherai de montrer que si le projet du Millénaire pour le  Développement doit réussir pour faire de ce monde un lieu tout le monde trouve un sens de vivre, on doit comprendre d’abord ce qu’on veut exactement dire par « durable » et « développement ». Par exemple, les Objectifs 7 et 8 du  programme du millénaire pour le développement sont concernés par la question du l’environnement durable et le développement d’un partenariat mondiale pour le développement. Comme un de ses objectifs clés, il cherche l'intégration des principes du développement durable dans les politiques et les programmes des pays. En fait, dans la plupart des OMD, les mots « durable » et « développement » sont employés sans s’arrêter un peu pour se poser la question critique de savoir ce qu’on veut dire exactement. On fait appel au concept de « durable » quand on évalue les programmes de développement qui sont envisagés, pourtant on ne s’arrête pas un peu pour s’interroger en vue de savoir si les concepts de « développement » et « durable » ne mettent pas en question notre capacité de responsabilité morale. En fait il y a la question de savoir si notre responsabilité morale ne pourrait pas perpétuer certaines valeurs et styles de vie qui mettent en danger la possibilité même du développement durable.

La question que je voudrais poser est celle de savoir si nous comprenons vraiment le contenu de ce que nous voulons voir « durer » et «développer». Ceci exige un processus d’évaluation morale, c.-à-d. un processus qui consiste à analyser et revoir ce qu’on considère comme valeurs. L'éthique a ses racines dans le mot grec ethos, ou lieu d’habitation. Elle est censée nous aider à évaluer comment nous voulons vivre, et ce que nous devons faire pour protéger ce que nous considérons comme valeur. L'éthique des affaires a été importante pour nous dire ce qu'il faut faire, et comment « gérer », mais pour quelque raison, elle a cessé de poser la première, qui est la question la plus importante - à savoir, comment devrions-nous vivre? Qu'est ce que nous considérons comme valeur?

L'ironie est que, dans notre belle intention de poursuivre le « durable », nous pouvons miner notre plus important « talent » moral, c.-à-d. la capacité de responsabilité  morale. En mon sens, la conscience morale nécessite au moins les aspects suivants

 

1)       la capacité de réévaluation,

2)       la possibilité d'une réponse unique aux besoins spécifiques,

3)       la capacité de remise en question.

J'arguerai que tel qu’il est, le principe durabilité, laissé à lui seul, contribuerait peu à n'importe quel aspect de notre responsabilité morale.

  1. Réévaluer les notions du « besoin » et du « développement »

Alors qu’est-ce qui est alors vérité ? Une armée mobile des métaphores, des métonymies, et des anthropomorphismes - en bref, une somme de relations humaines, qui ont été augmentées, transposées, et embellies poétiquement et rhétoriquement, et qui après un long usage semblent ferme, canonique et obligatoire pour un peuple ; la vérité consiste en des fictions au sujet desquelles il a été oublié que ceci est ce qu’elles sont : métaphores qui sont endommagées et sans puissance sensuelle ; pièces de monnaie qui ont perdu leurs images et ne sont plus que métal, jamais plus comme pièces de monnaie.  » (Nietzsche 1954:42)

Ce qui semble être en jeu dans cette citation est lié au langage, ce que le langage est capable de faire ou ne pas faire. Nietzsche a conclu que tout  langage est un dictionnaire des métaphores fanées (Emden 2005). Il a cru que les figures de style et de la rhétorique précèdent toute la conceptualisationÀ cet égard, sa définition des tropes ou « figures de style» est unique. Il ne croyait pas que les tropes jurent avec l’usage linguistique, parce que toute langue se fonde sur des désignations indirectes.[3] Pour lui, les tropes devraient donc être considérés comme un paradigme linguistique fondamental et non pas une déviation. Pour Nietzsche, tout langage met en évidence certaines constructions anthropologiques nécessaires qui nous aident à organiser notre environnement et à donner sens à l’expérience (Ibid, 79).

Comme son approche au langage et son point de vue sur le corps sont étroitement liés, la perspective trope-icale de Nietzsche sur le langage est enracinée à la fois dans la rhétorique et dans physiologie. La conscience que nous avons de nos corps et de notre être en relation avec les autres nous incitent à employer des mots en tant que « allusion incertaine aux choses ». Dans ce processus, nous mettons un lien entre notre conscience des objets et de l’expérience et d'autres objets et de l’expérience. Comme chaque désignation se fonde sur un large réseau des références, elle est capable de réunir une variété de symboles, d'images, et d'allusions dans un réseau dense du sens.

Nietzsche soutient que la vérité est essentiellement une estimation de valeur liée à nos soucis ou préoccupations pratiques. La « vérité » est le résultat des tentatives humaines de créer un point stable de référence sur lequel nous pouvons nous baser pour agir selon une dynamique relationnelle particulière. Bien que la « vérité » soit une construction utile, elle devient un mensonge quand les gens commencent à le voir comme quelque chose de permanent et d’inchangeable. La vérité ne peut donc jamais être fixe, parce que faire ainsi, serait nier la vitalité même de la vie (Heidegger, 1987:66). Dans la lecture de Heidegger et de Nietzsche, les valeurs font partie du processus par lequel nous schématisons le chaos, tant il nous est requis de mouvoir dans la direction du renforcement de notre auto-transcendance (Ibid, 80). Pour Nietzsche, la reconstruction continue des valeurs fait partie du processus créateur qui nous maintient vivants, physiquement et mentalement. Heidegger précise que le mot grec « khaos » veut dire littéralement, « large ouverture » (Ibid, 76). Pour lui le chaos dénote une projection préliminaire particulière du monde et les forces qui régissent sa dynamique. Cette schématisation a lieu dans et par notre existence corporelle. Ainsi, la vie, pour Nietzsche est « le mandat intimé au corps de s’étendre ». Nietzsche est devenu convaincu que notre expérience en tant qu'êtres corporels détermine non seulement ce quenous voyons et comment nous voyons, mais également ce que nous imaginons. Il croyait que c'est de la particularité de notre expérience corporelle que nous commençons à découvrir la valeur relative de ce que nous rencontrons dans le monde.

Il y a une opportunité et une menace cachées dans notre acceptation du fait que nous naviguons dans notre environnement et dans nos relations à travers cette apparente figure de style linguistique par lesquelles nous avons une expérience du monde. Le danger consiste à croire que toute vérité morale est complètement relative, qu’une personne la façonne littéralement au fur et à mesure qu’elle évolue. Cette menace existe seulement si nous croyons que les individus vivent dans une caverne solleptique de l'isolement et de l'autosuffisance. Cependant nous ne vivons pas isolés … et ici, c'est précisément nos relations qui font de la nature trope-semblant des valeurs une opportunité plutôt qu'une menace. Il peut signifier que comme nos relations  changent, nous pouvons réévaluer le terme sur base de la dynamique des relations que nous avons envers les personnes et les lieux. C'est une opportunité morale.

Concernant le sujet de notre article, la question que Nietzsche nous amènerait à poser est celle-ci: Que faut-il accepter comme « vérité » quant aux principes globaux de durabilité? En lisant des principes de durabilité, ils apparaissent relativement évidents en soi. Ce que je voudrais défendre ceci : c’est précisément le fait que ces principes semblent être « évidents en soi » qui permet aux concepts relationnels cachés qui les sous-tendent de passer sans être interrogés.

La définition typique de la durabilité est celle-ci: « Subvenir à nos besoins présents sans compromettre la capacité des autres, ou nuire à la capacité desgénérations futures de satisfaire leurs besoins ». Ce qui n'est pas souvent considéré, est le contenu relationnel qui est derrière la notion du « besoin ». Nous traitons typiquement les besoins des autres comme instances ou légèrement des différentes itérations de nos propres besoins. Rarement, nous permettons à nos relations avec les autres de défier la légitimité de nos propres besoins. Au contraire, nous supposons sans problème que c'est la meilleure chose à faire de donner la priorité au concept du premier monde. Les besoins de l'homme se définissent aujourd’hui comme les besoins des consommateurs. Si ces consommateurs n'existent pas, ils sont vite créés. Nous ne nous arrêtons jamais pour nous demander si les besoins d'autres peuvent conçus de cette façon. Nous n'avons aucune perspicacité dans le fait le besoin lui-même est un concept relationnel qui ne peut se comprendre en dehors des relations. Ce qui a besoin d’être considéré est la dynamique relationnelle au sein des divers contextes dans lesquels des « projets de durabilité » sont lancés. On voit, par exemple, que les petites et moyennes entreprises n'utiliseront pas le terme de la « responsabilité sociale des corporations (RSC), bien qu'elles répondent au besoin de la communauté à leur façon, et emploient divers concepts pour parler de ces « besoins ».

Ce qui semble se produire est que certains concepts relationnels, normalement conçus par ceux qui ont le pouvoir et l’influence s’enracinent comme une base fixe sur laquelle le besoin est défini et opérationnalisé. Le « besoin » que personne ne doit remettre en question est la nécessité de maintenir l'intérêt de ceux qui prétendent apporter la démocratie au monde. Paradoxalement, il glisse un contenu idéologique très spécifique dans la notion de la « liberté, de la démocratie » et des « droites » », et finalement,  la « durabilité » elle-même.

Banerjee (2006 : 68) soutient que la politique étrangère américaine qui prétend promouvoir « les valeurs démocratiques » favorise un aspect de la démocratie libérale américaine que « crée un système mondial basé sur les besoins du capital privé comprenant la protection des capitaux et l’accès libre aux marchés ». Les faits semblent confirmer cet argument. Le rapport de 2008 sur les OMD nous dit que les subventions agricoles des pays développés sont encore supérieures au montant de l’aide au développement. En outre, l'accès libre aux marchés semble être une rue à sens unique, car l'accès au marché pour les pays en voie de développement ne s’est pas beaucoup amélioré (MDG Report 2008, 45-46). Ce qui est plus problématique, Banerjee précise, est que tous les aspects de démocratie ne sont pas considérés au même pied d’égalité dans ce processus : les droits de propriété et l’Etat de droit sont obligatoire, mais les élections justes, la société civile active etc. ne sont pas considérés comme indispensable. Dans ce processus, la liberté devient la liberté de consommer, qui naturellement crée les marchés pour les produits du monde développé. Le libre échange devient le processus de créer des conditions pour l'exploitation des ressources de pays en voie de développement : les ressources naturelles et la main d'oeuvre à bas prix. La démocratie devient le processus par lequel les intérêts pétroliers et les styles de vie du premier qui en dépendent sont protégés, mais peu est fait pour l’avantage de tout le monde. La durabilité est très souvent définie comme la capacité de prospérer à perpétuité. Mais est-ce que tout business doit être perpétué? Ce qui n'est pas remis en question est la croissance pour la croissance, le « motif profit », et les disparités de pouvoir qui demeurent souvent incontestées dans la plupart de la rhétorique de RSC et de la durabilité.

En outre, le vrai contexte des ressources mondiales limitées est complètement laissé en hors de l'équation. La Chine a 1.3 milliard de personnes, et l'Inde presque autant, qui veulent vivre comme des Américains. Cela n'est simplement pas possible étant donné l’énergie et d'autres ressources environnementales limitées. La pénurie de l'eau rapportée dans le rapport 2008 des OMD est un exemple frappant. Tout le concept du besoin devra être réévalué dans la perspective des diverses dynamiques relationnelles qui a changé et continuer à changer globalement.La question est de savoir s’il y a une possibilité de le redéfinir? Nous ne pouvons pas connaître les « besoins » des futures générations, pourtant ceci nous rend DAVANTAGE, et pas moins responsable. C’est notre responsabilité de deviner, reconnaître le fait que nous ne pouvons pas savoir, et que, par conséquent nous devons être très, très prudent dans ce que nous assumons. Nous devons également nous disposer à être surpris, car le monde change très vite et nous pouvons être confrontés à la nécessité de répondre à un ensemble des dynamiques uniques. La révision des mêmes stratégies et la répétition de vieilles incantations pourraient nous faire échouer. William McDonough et Michael Braungart (2002) font ce point très bien en arguant que pendant longtemps nous avons compté sur les procédures de production qui « prend, fait et produit des déchets» (takes makes and wastes). Cependant, ce qui devient important maintenant est non seulement de satisfaire nos besoins par une conception plus écologiquement amicale et efficace, mais de repenser nos besoins, et permettre aux autres de penser et redéfinir les leurs.

 Écouter : Permettre que le « besoin » des autres parle de lui-même

Reconnaître le fait que les valeurs sous-tendant la rhétorique de la durabilité pourraient nécessiter d’être révisées continuellement est seulement une partie du processus. Ce qui est, peut être, plus contraignant est la nécessité de redécouvrir le genre de réponse qui rend des actes moraux spécifiques possibles. Ce qui est durable dans un contexte, n'est pas nécessairement durable dans un autre. Ce qui est juste, doit être déterminé en tenant compte des divers défis contextuels, les divers besoins et intérêts, et permettre à notre propre compréhension d'être radicalement défiée. Ce qui semble être nécessaire est une conscience du fait que la signification est toujours un résultat de la façon dont un mot, un concept, ou une expérience est en lien avec d'autres mots, concepts ou expériences, qui peuvent naturellement changer à un temps donné. Un concept comme « justice » ne représente donc pas une « chose », mais est plutôt une réflexion des relations entre personnes sur un temps donné, et en tant que tels, dans età travers le temps.

L'analyse de Foucault sur ce problème porte sur la fameuse peinture d'un Magritte célèbre. Son œuvre porte le nom même de la peinture, This is not a pipe  (1973), et nous aide à comprendre ce que nous venons de dire.  Foucaultjette la lumière sur la manière dont Magritte est parvenu à combiner des mots et des images pour précisément mettre à risque ces références représentationnelles sur lesquelles les mots et les images se basent pour avoir un sens.  Dans son interprétation de la distinction de Foucault entre la similitude et la ressemblance, Mark Taylor (2001) nous rappelle que la ressemblance mène à la similitude quand le sens est relationnel plutôt que référentiel. Dans mon esprit, nous sommes allés jusqu’à confondre les principes que nous avons intelligemment formulés comme éthique elle-même. L'image de la pipe est perçue comme pipe elle-même. Nous avons perdu la boucle de l’autoréflexion  qui nous rappelle le jeu relationnel de la similitude qui rend le concept significatif en premier lieu.

Qu’est-ce que cela signifie pour les OMD ? Cela signifie que l'image que nous nous sommes fait de la durabilité peut ne plus être durabilité. Développer des économies de marché pour entretenir la croissance pour la croissance pourrait ne plus être ni juste ni équitable. La durabilité exige que nous reconsidérons nos propres besoins, et permettre à d'autres de placer leur propre valeur sur certaines choses qu’ils  voudraient maintenir,  nourrir, et développer. Il n'y a aucune justice globale à adopter pour tous.

La justice exige la discrétion et la conscience que nos meilleures tentatives pour la cerner ont toujours quelque défaut. La justice ne devient possible que s'il y a une réévaluation radicale continue de ce qu’elle signifierait dans un contexte spécifique, c.-à-d. une reconnaissance que nous ne savons jamais tout à fait ce qu’elle est avant de l’avoir vue.

L'idée de la « durabilité » se fonde fortement sur notre conception de la justice. Dans la définition, nous disons qu'il n'est pas juste de satisfaire nos besoins dans une perspective qui peut compromettre la capacité des autres, ou  des générations futures, de satisfaire leurs besoins. En regardant de près la notion de la justice qui est derrière la rhétorique de la durabilité, nous faisons une étape de plus vers ce qui nous exigé pour renforcer notre responsabilité morale. Il y a un rapport important entre les principes globaux, tels que la justice, et la spécificité qui est exigée d’eux pour avoir une force réelle. Derrida a fait une distinction entre la loi en général (la loi) et la loi dans le sens strict ou la justice légale (le droit). Il est donc possible de tenir compte de l'existence de la loi (la loi) sans se référer nécessairement aux questions légales. Pourtant on ne peut pas faire un jugement légal spécifique, par exemple, sans faire appel à l'autre forme plus générale de loi, c.-à-d. la loi. De même, la loi entre en vigueur seulement dans les institutions qui lui donnent sa force.  Toute forme de loi (le droit) donc évoque inévitablement diverses apories. Le juge doit se référer à la notion de loi dans son jugement ; mais pour faire appel à la loi (la loi) on s'attend à ce qu’elle/il juge à nouveau en même temps, comme s’il /elle inventait constamment la loi. La réflexion de Derrida sur l'obligation du juge de suivre la règle ou de ne pas suivre la règle nous aide à développer un sens du genre de mission qui est en jeu quand on emploie des principes généraux. La responsabilité morale est immédiatement régulée et non régulée. Johan van der Walt (2005) soutient que la Force of Law de  Derrida décrit le genre de jugement qui implique une suspension phénoménologique de la règle. Ceci implique aussi la suspension de la conscience naturelle opérant dans les   “réductions” qui constituent typiquement la méthode phénoménologique. Quand nous sommes confrontés avec n'importe quelle décision spécifique, nous sommes chargés de la responsabilité de suivre son essentiel mais aussi de redéfinir ce qu’elle signifie. Critchley (2004: 174) explique, la règle elle-même prend forme dans cette décision, elle n'est pas formulée à l'avance. Pourtant le critère par lequel la règle émerge est universel. Dans l'éthique, c'est également le point où nous confrontons la question de quoi faire ou la façon procéder. Ce n'est pas tellement l’« application » d'une certaine vérité générale à un problème spécifique, mais plutôt « l'invention » d'une réponse morale qui montre la congruence dans le cadre normatif qui existe, qui, pourtant ne doit pas ou ne devrait jamais être consommée ou combinée avec elle.

Nous nous basons sur ce que nous sommes arrivés à associer avec les termes comme la « justice », mais la justice est toujours quelque peu nouvelle quand elle est perçue dans un nouveau contexte ; et si nous voulons parler de la responsabilité morale,  il est de notre responsabilité de faciliter ce processus. Une chose à laquelle nous sommes confrontés dans la spécificité d’un moment donné de l’histoire doit déterrée notre compréhension enfouie des concepts que nous utilisons sans attention ou sans problématiser la violence qu’elle implique. Pourtant nous devons toujours retourner encore au concept afin de donner au principe sa force. C'est un vaste ordre qui ne se produit pas simplement d’une manière miraculeuse quand nous lisons les principes généraux, quand nous les signons ou développons des stratégies autour d’eux. Il exige quelque chose d’autre.

Les auteurs tels que Levinas ont argué que le fait d’utiliser le langage philosophique ne s’ouvre presque jamais comme résultat d’un langage de face qui constitue la relation morale. C'est-à-dire, si la rencontre de l'Autre et la question de la justice envers tous autres Autres, perturbent la fermeture ontologique de l'individu comme dit… Comme les principes généraux tendent à généraliser, et par conséquent effacent au lieu de faciliter les relations face-à-face, on peut se demander si ceci ne bloque pas la possibilité morale en premier lieu. Cela ne nous sort pas du piège du langage non plus - l'éthique de la rencontre face-à-face dépend également de l'existence du langage dans lequel n'importe quelle réponse aurait lieu. Puisqu'ilest clair que beaucoup de relations de business sont « sans visage », comment les principes généraux de gestion nous aident-ils à re-imaginer ou revivre la relation humaine face-à-face par laquelle ces principes viennent à l'existence de prime abord?

Certains théoriciens intéressés parlent des dangers de généralisations théoriques exagérées quand ils en viennent à l'éthique des affaires. Ils arguent que la « thèse de séparation », c.-à-d. la notion que les affaires et l'éthique ne vont pas ensemble, est le résultat d'une perception selon laquelle l'éthique dépend d'un engagement philosophique ou théorique aux principes qui ont très peu à faire avec le réel. Les affaires et l'éthique viennent ensemble là où les vraies personnes se rencontrent. Il y a donc une reconnaissance croissante que ce qui fait de l'éthique une réalité est la capacité de répondre à de vraies personnes avec des noms, des visages et des familles. McVea et Freeman (2005 : 57) montrent comment les compagnies, comme Herz, ont amélioré sensiblement leur modèle des affaires en remodelant leurs opérations pour se concentrer sur les personnes réelles avec des noms et en traitant avec elles d’une façon personnalisée. Le défi supplémentaire cependant est comment amener ces personnes réelles, avec des noms et des visages, à problématiser la notion des « affaires comme à l’accoutumer », même quand ce n’est pas commode ou expédient de faire ainsi. Les relations avec de personnes réelles n’ont pas de sens si elles ne nous permettent pas de remettre en cause notre propre éthique et l'insuffisance possible de notre réponse.

Derrida indique clairement que chaque loi ou ordre confirme et enferme la possibilité d’une question. Pourtant il y a malheureusement très peu de ce questionnement qui reste dans le fonctionnement des principes généraux. Les principes généraux, même ceux qui cherchent à favoriser la « durabilité », traduisent l'autre en termes de soi-même, et cela les rend agréables et sûrs. Ils incorporent et effacent de ce fait les défis auxquels le « soi-même » fait face.[4] Notez par exemple, l'extrait suivant des « principes de gestion » de Compagnies multinationale (Anglo-Américain) :

Bien que fournir de grands profits pour nos actionnaires reste notre objectif principal, nous ne croyons pas que ceux-ci doivent être réalisés aux dépens des considérations sociales, environnementales et morales. En effet, des affaires comme les nôtres prospéreront à long terme seulement si elles tiennent compte également des besoins d'autres actionnaires tels que les gouvernements, les employés, les fournisseurs, les communautés et les clients.

Les actionnaires viennent toujours en premier lieu parce que les multinationales croient que l’effet de la richesse basée sur la triade (société, environnement et éthique) s’occupera en quelque sorte des autres actionnaires. Cette croyance semble s’enraciner malgré les nombreux échecs « de la main invisible » que nous avons observés dans les dernières décennies. La concentration sur les actionnaires peut sembler compréhensible – parce que, par définition, les actionnaires « partagent » l'intérêt qui définit la réalité de la corporation.  On ne devrait pas prétendre cependant que cette concentration est basée sur un argument moral. L'éthique comporte un processus de questionnement: de nos propres intentions et de nos visés, et la désirabilité d’un monde que nous voulons créer en eux et par eux.

Le problème qui est dans le fait de toujours traduire les besoins des autres en termes de nos propres besoins est qu'il rend impossible de voir les intérêts des autres en leurs propres termes. Dans la rhétorique actuelle de corporation, les « parts » des autres Autres sont définis en termes d'intérêts de soi-même à long terme. Ainsi, nous perdons les diverses relations qui devraient permettre l’auto- réflexivité dont nous avons besoin. Comment sortir de cette combine? Derrida explore le concept Levinassienne de la troisième personne pour discuter le rapport entre l'éthique et la politique, et ainsi, entre les demandes morales impossibles et les réalités institutionnelles (Derrida, 1997:60). La troisième personne et la question de la justice émergent de la première instance dans la rencontre face-à-face, et n'importe quelle rencontre présuppose le langage. Quand la relation face-à-face entre moi et l’autre précipite une considération de tous les autres Autres qui doivent être inclus dans l’exigence morale, à ce moment là je considère the question de la justice (Naas 2003:104). Naas nous réfère à cela comme une possibilité de « contradiction », un contre-sens qui se produit quand l'existence des multiples Autres (troisièmes personnes) se cassent dans notre arrangement ordonné de « principe »[5]. Le troisième comme la possibilité même de « compter » et /ou de « tenir compte » peut nous présenter une manière de repenser la responsabilité des corporations et de ses agents dans la spécificité des relations de corporations (Ibid, 105).

L'éthique est là où l'engagement de la philosophie dans le « pouvoir et l'aventure du questionnement lui-même » devient réel (Derrida, 1997 : 99). Ce que nous devons redécouvrir est l'aspect relationnel et contextuel du genre de langage moral auquel nous avons fait référence plus haut. C'est le fait que « le langage est censé être au sujet des relations » qui semble être absent… Dans les principes généraux, la possibilité des rencontres face-à-face peut nous être cachée, et ceci peut nous permettre de nous regarder différemment. L'éthique se fonde sur le genre de relations qui met le soi à risque, remet tout en question. Naas explique que l'autre interrompt l'ontologie, mais le troisième interrompt cette interruption même afin de retourner à l'ontologie avec tous ses termes, et permettre la possibilité d'une expérience et d'une analyse phénoménologiques. Il permet l'accueil de l'autre, et les Autres, dont l'existence peut me remettre en question et remettre en question mes actes (Naas 2003:108). Naas argue qu'avec la question qui se pose dans et à travers le troisième, la conscience intentionnelle, la thématisation, l'objectification, la compréhension et même le calcul deviennent possibles. Sans elle, une conscience de la question morale, la conscience elle-même, ne se pose pas. La question, selon Naas, est située au seuil entre l'éthique et la politique. Le troisième et la question ouvrent une intelligibilité qui présente la possibilité des défis politiques et institutionnels. Le questionnement précipité par le troisième permet à la justice d’être pensée. Il nous permet de naviguer dans l'espace moral entre l’exigence morale immédiate qui se produit entre moi et l'autre et la question de la justice pour, et la responsabilité envers tous les autres Autres. Le fait que cette plus grande question politique, juridique, et institutionnelle est soulevée, met celui (la personne ou l'institution) qui la pose en question. Il précipite la question : « Qui suis-je ?  Ou encore qui sommes nous comme corporation ?» Car comme Levinas le dit, « accueillir l'autre c’est remettre en cause ma liberté ».  Le développement durable ne deviendra la réalité que quand des questions sérieuses seront posées sur les limites de la liberté d’une corporation de pouvoir produire, créer les besoins du consommateur, et promettre les styles de vie qui ne sont pas durable par leur nature même.

3. Réponse morale comme capacité pour l'interrogation

Ce que j'ai proposé jusqu'ici est que nous pouvons devoir employer « l'infrastructure (con)textuelle» des notions comme la justice pour décrire le genre de dynamique relationnelle qui pourrait nous amener à repenser la durabilité dans divers contextes. Avec l'examen minutieusement soigneux, nous pouvons constater que le principe général lui-même est un jeu des différences, et un ensemble de questions qui pourraient ébranler même les individus les plus autosuffisants. La question est celle-ci : qu’est ce qui pourrait permettre ce genre de problématisation ou de  contestation de soi, de la compréhension de soi, d'avoir lieu ? Comme tels, le langage de l'intérêt de soi peut être précisément le point où nous devons commencer la remise en de nous-mêmes, afin de nous munir des voies par lesquelles notre conscience morale peut être stimulée. Même ce langage reflète une certaine compréhension des relations- et il se pourrait que nous commencions le questionnement ici même.

De  quel  « besoin » cette rhétorique de la durabilité parle-t-elle? Du besoin de qui parle-t-elle ? La réévaluation de la durabilité signifie repenser nos besoins ; et pour y parvenir, nous devrons repenser qui nous sommes comme individus, et de quelles corporations il s’agit. 

La manière typique de penser à la corporation est comme personnification de l’intérêt privé et comme moyens de production des marchandises et des profits. Cependant, dans un environnement mondial, la corporation est un véhicule d’investissement «à la possession» de multiples entités diverses, des fonds de pension, et des personnes comme toi et moi. Ainsi nos points de vue sur le « besoin » et la « justice » import.

Cependant même l’“investissement social” implique toujours l’exigence de la maximisation de la croissance et du profit. Certains auteurs, comme James Gustave Speth(2006) vont plus loin pour suggérer une forme de capitalisme de post-croissance, qui défie l'idée que la « croissance » est dans la façon dont le succès de corporation doit être défini. Il argue d'une façon convaincante que le capitalisme du consommateur est incompatible avec la qualité de la vie pour la plupart sur cette planète. Speth soutient que la croissance est dans la façon dont les sociétés occidentales essayent de réconcilier la liberté et l'égalité - le seul problème est que cela ne marche pas. Son argument de base semble être que le progrès doit être défini en termes de nos relations avec d'autres. Le problème est que les relations sont possibles seulement quand il y a la proximité entre les personnes ; et dans une économie globale, il est tout à fait difficile de l’établir.

La clef pour repenser la durabilité pourrait se situer dans le fait de repenser les affaires comme telles. Pourquoi les corporations existent-elles ? Quel est leur rôle dans la société? Dans la littérature récente sur la responsabilité sociale des corporations, des corporations sont définies comme étant des « citoyens » des sociétés multiples, et même comme des acteurs politiques plus influents que les gouvernements nationaux.[6]  Ne pourrions-nous nous arrêter un peu pour voir ce que cela signifie ? Les compagnies multinationales semblent de plus en plus être coulées dans un rôle politique, pourtant elles ne partagent pas les autres caractéristiques exigées pour qualifier comme des « agents » politiques. C'est une notion très effrayante si nous considérons le fait que les multinationales ne sont pas élues et ont une très petite  capacité de représenter les intérêts de la majorité du peuple.

Les corporations sont aussi typiquement décrites comme des centres de l’actionnariat. Nous devrions savoir si ceci reflète la réalité actuelle de nos relations humaines. Face à cette dynamique actuellement complexe, la corporation se trouve dans diverses positions sur la carte de l’actionnariat, et doit redéfinir sa réponse aux actionnaires en termes plus contingents. Ceci nécessiterait un processus par lequel une corporation pourrait repenser ses objectifs de croissance à la lumière des relations qu'elle veut stimuler et soutenir, au lieu des marges bénéficiaires qu’elle veut renforcer. Certaines compagnies ont déjà commencé à le faire. Certaines décident même contre la croissance parce qu'elles sentent que soutenir leurs produits actuels, leurs employés et les relations avec les communautés est plus raisonnable comme réalité relationnelle durable. Maintenir les liens relationnels des clients et les fournisseurs ,t renforcer les bonnes relations avec les employés et les groupes, et rester en contact avec leur communauté locale sont une partie des préoccupations de ces compagnies (Burlingham, 2006).

Malheureusement, cette dynamique relationnelle semble être abandonnée dans les grandes sociétés multinationales. Au lieu de voir ces relations comme des fins en elles-mêmes, elles sont considérées de manière instrumentale. Typiquement les relations doivent servir les profits et la réputation. Dans leurs rapports basés sur un triple fond, les multinationales tendent à se féliciter de leur performance sociale et environnementale dans leur chaîne d'approvisionnements alors que celle-ci a une  valeur de réputation. En même temps, ces multinationales sont rapides à faire la résistance dans la chaîne d'approvisionnements quand vient la question de la responsabilité pour la violation des normes sociales et environnementales - toutes les deux en termes d’attribution et du coût.

La rhétorique de chercher « la grande base morale » en termes de standards sociaux et  environnementaux peut, dans certains cas, relever de la ruse que les multinationales utilisent pour avoir des profits sans déranger leur model de faire les affaires. Dans beaucoup de cas, cela leur permet de passer les coûts de surveillance et d’audit sur les  normes de la responsabilité sociale des corporations à leur chaîne d'approvisionnements qui , souvent, n’ont pas les moyens pour porter ce fardeau additionnel. Le résultat paradoxal est que certaines de ces initiatives internationales de « RSC » augmentent en fait la pauvreté au lieu de faire avancer le développement durable. Le problème avec ces standards est également le fait qu'ils reflètent typiquement les technologies régnantes et les meilleures pratiques des pays dans lesquels ils ont été développés et ne sont pas convenable au contexte de petites et moyennes entreprises dans les pays en voie de développement (UNIDO, 2006:49).

Dans l'usage courant de la rhétorique sur la durabilité, il n’est donc pas difficile de voir que la motivation est la longévité de la compagnie elle-même. Il y a à peine l’évidence d'un moment d’autoréflexion étant donné que la rhétorique courante sur la durabilité se fonde sur un model unidirectionnelle de l'autre en termes soi. La nature instrumentale de la formulation employée en construisant des arguments sur pourquoi certaines normes générales doivent être acceptées confirme une incapacité des compagnies de remettre en cause leur présent modèle de faire des affaires. Au contraire, la légitimité de la durabilité des projets, ou n'importe quelle action de RSC d’une compagnie, est typiquement définie en termes d'efficacité dans le modèle courant de faire des affaires. Nous tendons à penser que si celui-ci ne peut pas être traduit à un autre il constitue une dichotomie, une crise de confiance, une impasse. Banerjee (2006 : 62) argue que le problème avec cette dichotomie se situe dans le fait que la légitimité de la politique publique est subordonnée à l'efficacité. Ce qui se produit en effet est que les « notions de légitimité sont discursivement produites et définies sur des critères d’efficacité économique ».

Les multiples essais pour souligner le lien entre la performance sociale et financière est un exemple. Un des arguments les plus complets sur les mérites d'une approche de durabilité plus compréhensive aux affaires est fourni par Freeman, Pierce, et Dodd (2000), qui soutiennent que le modèle des affaires que la plupart des corporation utilisent peut et devrait être repensé considérablement si les entreprises veulent maintenir leur viabilité et leur rentabilité à long terme. Margolis et Walsch (2006) incluent les chercheurs suivants dans la liste de ceux qui plaident pour un rapport positif entre les résultats financiers et les soucis sociaux et environnementaux : Waddock et Graves (1997), Verschoor (2000, 2003, 2004) et Tsoutsoura (2004). Malheureusement, il semble y avoir autant de dissidents qui ne voient aucune corrélation positive entre l’agenda social et environnemental et l’économie des affaires, et qui réfutent la méthodologie des disciples qui ont un avis contraire (Farrari (2000), McWilliams et Siegel (2000).  Lynn Sharp Paine (2000 : 319) indique que le lien entre l'éthique et l’économie a été fortement variable, pour dire le moindre.

En dépit du succès limité de cet argument, les conseils des entreprises demandent toujours une preuve que le succès du triple fond peut être traduit en termes du succès financier. Le « non financier » doit être traduit en termes financiers pour avoir de la valeur, c.-à-d. la valeur instrumentale seulement. Ceci naturellement exige que des biens incommensurables soient comparés sur une même échelle afin de faire fonctionner l’ « équation ». S’il y a quelque chose, la préoccupation de cet exercice, plutôt sans signification, nous distrait des questions pressantes qui fourniraient un (con) texte plus significatif pour la notion de durabilité. Les questions au sujet de ce qui est apprécié, pourquoi il est apprécié,  et par qui il est apprécié, ne se posent jamais. Serait-il possible que certaines choses qui sont appréciées ne soient pas, par la nature, « durable? Y’aurait-il quelque chose dans cette logique des échanges économiques qui rendrait la responsabilité morale impossible ? Si nous ne nous engageons pas dans ces questions, la « durabilité » perd sa signification réelle.

Ce que nous pourrions considérer ici est les implications du fait que la durabilité est toujours mesurée en termes monétaires. L'interaction et le calcul monétaires sont le véhicule suprême de la neutralisation et de la généralisation, et de cette façon rendent la conversation sur le sujet de la durabilité incapable de stimuler le genre de responsabilité morale que nous cherchons. Dans son analyse du travail de Simmel, Bauman décrit l'argent comme « cette abstraction Eigenschaftlos de la quantité pure et neutre exempte de substance et de différentiation qualitative » (Bauman, 1992 : 152). Des transactions qui impliquent l'argent peuvent être faites correctement seulement dans des conditions de neutralité émotionnelle, et il dépend de notre capacité d'être complètement libre d’influence.

C’est ce monde sans émotion, incorporel dans lequel nous vivons qui rend très difficile de refaire le tissu relationnel dans lequel et par lequel nous pouvons comprendre les notions telles que le « besoin », «le soin » et  la « justice » qui sous-tendent la durabilité. Sans singularité caractéristique des corps, des émotions, des événements, les principes généraux perdent les contextes qui peuvent faire d’eux un texte viable. Seyla Benhabib (1992) illustre ceci quand elle soutient que « l’autre généralisé» de la philosophie morale est censé représenter chacun, mais en réalité il ne représente que le puissant. Ce qu'elle propose à la place est « un universalisme interactif » qui considère la différence comme  point de départ. Pour elle, quand nous arrivons à un point de vue moral nous devrions le percevoir comme un point contingent au lieu de le considérer un fondement immuable de la raison législative. C’est le maintient de cette contingence dans notre engagement aux principes globaux qui demeure un défi dans un environnement économique mondial.

La durabilité comme notre responsabilité morale: Éthique, esthétique et les OMD

Nous avons vu que si nous voulons redécouvrir la dynamique sociale, politique et économique qui sous-tendent la durabilité, nous devons aller au delà de la réassurance des formulations apparemment « évidentes par soi» de la « justice » et du « besoin ». Beaucoup se trouve entre les lignes, et dans les concepts mêmes que nous utilisons. Nous devons redécouvrir la possibilité d’être dérangés, distraits, et interrompus par  la spécificité des exigences morales issues de la dynamique relationnelle dans laquelle nous sommes immergés au sein du contexte mondial.

La question est de savoir comment retenir cette responsabilité sans abandonner la consistance dans notre engagement aux principes généraux. Ceci nécessite de stimuler l'autoréflexité capable de prendre au sérieux l’appel moral d'un principe général tel que la justice, tout en maintenant l'acceptation des différences qu'un tel principe lui-même contient. Le problème n’est pas susceptible d’avoir lieu délibérément, rationnellement, comme un tel un processus conscient nous jette encore dans les pièges universalisant du langage et de l'argumentation instrumentale.  Beaucoup d'auteurs se sont tournés vers la dimension esthétique pour chercher une voie de sortie de la maîtrise du sujet rationnel, le solipsisme inévitable ainsi que l'arrogance qu’il implique.

L'esthétique a été longtemps créditée pour capacité de médiation entre le général et le particulier, et entre l'autonomie rationnelle et la préoccupation relationnelle. Dans l’œuvre d’Emmanuel Kant, nous voyons que  l'esthétique contient la capacité de jouer la médiation entre la connaissance (raison) et la volition (la volonté). La troisième critique de Kant nous aide à comprendre comment il est possible que quelque chose comme la loi morale peut coexister avec la croyance en l'agence morale autonome. Ceci semble être tout à fait un exploit, et cela peut nous donner quelques indications quant à la façon dont on pourrait donner aux principes généraux leur contenu de responsabilité morale. Taylor (2004) soutient que pour Kant, la belle oeuvre d'art est « auto-organisé », fonctionnant selon une téléologie intérieure qui émerge d’un effet complexe de ses différentes parties.[7] Cette relation complexe constitue l'activité du tout. Les moyens et les fins sont intérieurement connexes et co-constitués les uns les autres, rendant ainsi l’auto-réfléxivité possible et non-utilitariste. C’est ici que se trouve le repère qui nous permet d’envisager les principes de durabilité en termes non-utilitaires et non-instrumentaux.  Il y a une dynamique opérative dans la notion de la durabilité lui-même qui devrait tenir compte du l'auto-réfléxivité, mais pour l'explorer, nous avons besoin de l'esthétique, plutôt que de la connaissance.

Est-il possible qu'une partie du problème des OMD serait que quelque chose est perdu dans l’engagement vigoureux basé sur les objectifs et les indicateurs? Que les noms et les visages, et la richesse des expériences qui devraient informer notre compréhension du besoin ont été perdus dans une recherche des statistiques et des évaluations quantitatives? Cependant je ne voudrais pas soutenir que les cibles, les objectifs, et les indicateurs sont inutiles ou nécessairement néfastes. Je suggère simplement de ne pas perdre de vue ce pour quoi ils sont en premier lieu. Pour le faire, nous voudrions explorer les manières de parvenir à une certaine compréhension du besoin qui pourraient  défier les techniques, les programmes et les statistiques.

Il est de la capacité de l'esthétique de contourner la prise de fer de la raison et se fonder sur les aspects tacites, subconscients et affectifs de notre subjectivité qui est l’avenue que beaucoup poststructuralistes, postmodernistes et théoriciens critiques ont poursuivie. Pour Nietzsche, la riche variété et le dynamisme absolu du monde que nous vivons en tant qu’êtres corporels ne peuvent jamais être réifié comme vérité ou connaissance. Il propose donc que nous retournions à l'art pour comprendre notre expérience. Pour lui, l'art nous permet de révéler l'ordre du monde comme un corps riche en symboles, images et approximations. Il y a quelque chose dans l'esthétique qui nous permet de toquer sur la sagesse que le corps a développée dans et à travers la dynamique relationnelle de plusieurs générations. Ceci nous aide à découvrir l’essentiel de notre souci et de découvrir les aspects de nous-mêmes qui existent comme une possibilité absolue. Une des articulations les plus concises de Nietzsche sur le rapport entre les émotions et les convictions morales est son idée selon laquelle la moralité est la « langage-signe des émotions ». Nietzsche  (1973: 92) défie ses lecteurs de reconnaître la nature des valeurs et de choisir les valeurs qui donnent la forme créatrice aux vies qu’ils désirent.

 Il y a cependant le risque que l'esthétique devienne simplement une autre forme de solipsisme, où chaque agent devient l'auteur créateur de sa propre histoire. Le flaneur post-moderne avec son fluide, sa position vague et ses relations éphémères n'est certainement pas l'agent moralement responsable que nous recherchons. Son texte auto-écrit n’est pas le contexte relationnel que nous avons à l'esprit en essayant de mettre sur pied un cadre interrelationnel qui pourrait mettre du souffle dans les principes généraux.  Plutôt, nous avons besoin du genre d'art qui émerge de la dynamique relationnelle de la vie communautaire dans un contexte spécifique.

Ce qui semble être nécessaire est une sorte d’engagement esthétique branché sur le tissu relationnel qui est créé dans et à travers letemps. Ce tissu relationnel constitue notre subjectivité et cela opérationnalise les différences dans et par ses engagements avec diverses expériences, institutions, discours, medias, et genres artistiques. C'est ce genre d'esthétique que Brenda Carr Vellino (2004) réfléchit dans son analyse du parler lyrique de Bronwyn Wallace. Elle croit que le « réseau des relations » qui informe cette forme de poésie mène à une interdépendance morale de laquelle le sujet parle toujours et est en même temps parlé par une toile de communautés fragiles, contingentes et interdépendantes.

Dans sa forme lyrique hybride, Wallace tisse des médias littéraires, visuels, musicaux et documentaires ensemble. Ceci ne défait pas seulement les hiérarchies entre l'élite et la culture populaire, il permet également des discours qui ne font pas typiquement partie des discours d'éthique académique de voir le jour.  La plupart de ces discours sont ceux des femmes maltraitées et d'autres groupes marginalisés qui n’ont pratiquement pas da voix dans les conversations morales de principes précisément à cause du fait qu’une grande partie de leur douleur passe sous silence. Il est de la capacité de certaines formes esthétiques d'aller au delà de ce qui peut être dit, précisément articulé et catégorisé dans un principe, qui pourrait nous offrir la médiation entre le détail et le général. C'est souvent les silences qui exigent notre attention si nous voulons être moralement responsables.  Dans ce silence il y a une conscience de la contingence qui rend le principe réel.

Une partie de ce qui pourrait être important serait de témoigner dans le temps, raconter des histoires, de diverses manières et dans les différentes voix. Cela crée une prise de conscience du fait que chaque phrase morale générale est seulement possible à raison de multiples expériences, dynamique relationnelle et des événements réels qui se produisent dans le temps. Contrairement à la manière dont nous reflétons normalement les relations entre le général et le particulier, ce n'est pas le principe global général qu’on applique au contexte. Les divers con-textes à travers le temps créent le principe, et pourraient aussi lui retirer le sens. La narrative tisse le tissu qui donne de la substance au principe. Il y a quelque chose qui est dans ce qu’on s’engage avec les histoires que les gens racontent à travers le temps et qui cassent la généralité neutre qui tend à effacer les relations humaines. L'histoire ne sera très probablement pas une grande narrative très ordonnée, avec une ligne et un protagoniste clairs. En fait, si l'histoire se lit comme cela nous devrions nous inquiéter. Beaucoup de voix assujetties se situent en marges de telles narratives, et c'est ici que la « durabilité » finit ou commence. Nous pouvons donc devoir lire pour combler les lacunes. Ce peut être précisément à cause de la cassure de cette histoire à certains points, qui fait qu’une autre sorte d’engagement est possible. Ce qui semble manquer dans le Rapport 2008 des OMD est justement ces histoires. C’est vrai que des études de cas, ou une photo sont incluses ici et là, mais très peu en termes de ces détails qui nous donneraient un sens des vraies réalités relationnelles du peuple qui est la finalité même de la durabilité.

Souvent, ces rapports et statistiques fournissent également un récit qui ne présente pas de problèmes, où de vastes différences contextuelles sont présentées comme si elles sont incommensurables sur une même échelle. Certaines communications semblent être concernées davantage par des relations publiques qu'avec des données réelles. Tout et tout, les  rapports sur la durabilité comme telle sont devenus trop « ordonné ». Dans sa poésie, Wallace utilise des « intervalles », c.-à-d. des moments de silence, ou pause, pour évoquer l'impossibilité de parler face aux traumatismes spécifiques. Cela lui permet de négocier entre l'expérience spécifique qui ne peut pas être exprimée dans le mot, et l'utilisation des mots qui nous permet de nous engager dans cette expérience. Le silence (évoqué par un « espace » dans l'écriture) et les mots qui suivent se mettent mutuellement en la perspective. Il crée, dans les mots de Mark Taylor, « un cercle auto-réfléchi » qui nous permet de faire face à notre responsabilité de parler sans dire beaucoup dans le processus réifiant et minant le moment moral.

Qu’est-ce que cela signifie dans notre réévaluation des principes de durabilité ? Et bien, en premier lieu, elle nous exigera d'explorer la dynamique relationnelle qui sous-tend notre entendement de la rhétorique de la durabilité et de voir la richesse (con)textuelle qui se trouve la-dans. Ce processus nécessite beaucoup plus qu'une analyse consciente du contenu. Il nécessitera d'écouter les histoires qui ont été racontées autour de la durabilité depuis des décennies, même bien avant l’usage  courant du mot « durabilité ». Le (con) texte de ces principes a été tissé non seulement dans les discours académiques autour de ce terme, mais aussi dans les journaux, les médias, l'activité d'ONG., etc. Mais plus important encore, les contours de la « durabilité » sont tissées autour des feux de camp où les vieillards racontent des histoires au sujet de la façon dont la vie était avant,  et où les chefs des communautés discutent comment satisfaire leur besoin de pêche dans les temps qui ont changés.

Dans le processus de la découverte des contre - images et les contradictions inhérentes aux principes de durabilité, l’acceptation de nos limitations est cruciale. Ce peut être précisément notre incapacité d’articuler ce que Derrida appelle « le fondement mystique de l'autorité » sous-tendant notre jugement qui lui permet de fonctionner en premier lieu. Trouver ou fonder cette « base » de quelle que manière définitive que ce soit, serait de l'annihiler. Ceci nécessite une suspension délicate qui évite une prise trop forte et un « disempowerment » complet qui empêche toute action. Il nous permet d'avoir des soucis fondés sur des principes, les engagements qui continuent à nous défier et à nous tirer au delà de nous-mêmes dans nos relations quotidiennes avec d'autres. Mais il est également important de ne pas essayer et «posséder » la vérité dont il est question en décrivant son aspiration en termes finals. Georgio Agamben (2007 : 22) fait référence à ce que cela peut signifier en soulignant que la justice, comme la magie, n’a pas de nom.

Pour obtenir un meilleur sens de la durabilité, nous devrions également développer un regard vigilant sur les histoires qui informent notre autonomie courante – que ce soit au niveau personnel ou au niveau de la corporation. Nous ne pouvons comprendre qui nous sommes que quand nous savons d'où nous venons. Nous devons également développer un sens que nous ne saurons jamais tout ce que nous devons savoir sur notre origine…. La rhétorique de durabilité tend à se concentrer sur les besoins courants et ceux du futur, mais sûrement la notion du «  besoin » courant ne peut être compris que si les divers (con)textes tissés dans cet entendement sont explorés.

Pourrions-nous donc être si audacieux pour proposer à Anglo-American de déballer ses principes de durabilité en termes de son passé aussi bien qu’en terme de son avenir? Quelles sont les histoires qui informent et continuent à informer ce que l’Anglo-American devient aujourd'hui ? Est-ce que sa compréhension de lui-même, et de « durabilité », inclut les histoires de l'exploitation en Afrique du Sud et au Zimbabwe dans les années 1900? Cette compagnie peut-elle vraiment s’engager dans la durabilité sans tenir compte de ce passé ? Redécouvrir ce passé peut exiger plus que la lecture des archives sur les profits des actionnaires ou même des livres d'histoire. Une partie de l'histoire survit dans les danses de bottines et les chansons des mineurs qui sont encore chantées dans certaines mines. Et parfois, nous pouvonsvouloir regarder des photos, ou les peintures des vies vécues dans le temps. La photographie peut être un geste qui ne vise pas à représenter. Les photos font référence aux jugements finals qui peuvent être faits, qui sont toujours déjà faits par le fait même que la personne en cette image a existé.[8] Les photos peuvent nous aider à comprendre le genre de suspension qui est parfois exigée pour obtenir un sens de ce que la durabilité peut signifier : La photographie est toujours plus qu'une image, il est le site d’un écart, une coupure de sublimation entre le sensible et intelligible, entre copie et réalité, entre mémoire et espoir (Agamben, 2007:26)

Un exemple de la façon dont la photographie a introduit une vraie personne avec un vrai nom et le visage dans la discussion est le cas récent de la fille d'iPhone qui a été vigoureusement discutée sur des blogs d'Internet. Quand un blogger identifié seulement comme « markm49uk » a ouvert le paquet glacé de son nouvel iPhone et l'a allumé, il a trouvé une photo du technicien de l’usine qui l'a assemblé toujours sur le téléphone. Il a commenté sur la façon dont cette expérience était positive sur un blog, et la fille d'iPhone est devenue une sensation nocturne. Depuis lors certains bloggers demandent que tous les nouveaux iPhones devraient avoir une image du techniciens  de l'usine qui les a assemblée. Ils soutiennent que nous devons être rappelés d'où nos nouveaux outils ingénieux sont venus. Mais la vraie « durabilité » va encore plus loin - elle peut nous demander de permettre à la fille d'iPhone de nous dire ce qu'elle apprécie, et pourquoi – en ses propres termes. La fille d’iPhone ne devrait pas être simplement un autre produit par la sensation que sa présence a créée. Elle devrait être reconnue comme quelqu'un autre, une personne spécifique, qui peut jeter une nouvelle perspective sur le « besoin ».

Un poème appelé  « Bones », de la collection de Bronwyn Wallace, Stubborn Particulars nous donne des indices de la façon dont ceci peut se passer :

Ton histoire a fait marcher celle-ci,

Ainsi je la retourne maintenant, changée bien sûr,

Tout juste comme chaque personne que j’aime

est une relocalisation, où je prends

Une nouvelle place dans le monde.

Si nous comprenons quelque chose de la « durabilité », c’est à cause des histoires que beaucoup de gens ont racontées à un temps déterminé. Ces histoires changent, et elles le devraient bien si le concept doit garder son sens. C’est à nous qu'il appartient de continuer de les réécrire, avec grand soin, sur base de nos relations et expériences personnelles. Parfois nous pouvons même devoir accepter qu'une histoire ne se comprend plus, et l'abandonner. De cette façon, chaque contexte que nous rencontrons nous pousse à  être plus que nous-mêmes, de faire plus, plus que nous l’avions, peut-être, pensé avant. Et c’est peut-être cela que veut dire la responsabilité morale.

 

Traduit de l’Anglais par N D. Anonyme.

 


[1]Voir le Rapport  sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement, publié par les Nations Unies. Dans certains secteurs, il semble y avoir de progrès relativement encourageant, mais dans d'autres, un peu moins.  Pour les préoccupations concernant les gaz à effet de serre, pour la conservation des eaux maritimes et les terres arrosées, voir pp. 36-40 du rapport. Avec la chute de l’aide au développement, par exemple, beaucoup de projets seront affectés.

[2] Pour ce genre d'analyse détaillée, voir l'analyse excellente et compréhensive de Patrick Bond sur le site: http://www.nu.ac.za/ccs/default.asp?10,24,8,55

 

[3]Voir  à cet égard la recherche d’Emden Chrétien dans son livre  Nietzsche on Language, Consciousness and the Body (2005) pour une discussion sur la façon dont Nietzsche s’est inspiré du travail de Jean Paul et une multitude d’autres chercheurs de son temps pour développer son approche métaphorique de la vérité.

[4]Il a été noté que la plupart des disciples de Levinas soutiennent que les “corporations” ne peuvent être considérées comme des agents moraux de la même façon que les individus.

[5]Je défend davantage ce point dans un papier, Codes of ethics: Ethical questioning (and)(or) questionable ethics, présenté lors de la conférence “Derrida and Business Ethics Conference” le 15 Mai 2008 et proposé pour publication à Business Ethics: A European Review. 

 

[6]Voir la recherche d’Andrew Crane et Dirk Matten: Corporate Citizenship: Towards an extended theoretical conceptualization No. 04-2003 ICCSR Research Paper Series - ISSN 1479-5124

 

[7]La distinction que Kant fait entre les mécanismes et les organismes repose sur le fait les mécanismes sont guides par l’ordre extérieur, c’est-à-dire l’utilité alors que les organismes ont une téléologie interne ou une finalité intrinsèque

 

[8]Voir les pensées d’Agamben sur le lien entre la photographie et le jugement dans son livre Profanations (Zone Books, 2007).

 

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