Dambisa Moyo (2009) Dead Aid: Why aid is not working and how there is another way for Africa. London: Allen Lane, 188 pages+xx

La littérature sur l’aide au développement qui fleurit aujourd’hui défie de plus en plus la sagesse conventionnelle. La question qui, jadis, se posait plus en termes de « comment améliorer l’efficacité de l’aide pour plus d’impact », est ainsi formulée aujourd’hui : « pourquoi faut-il en découdre avec l’aide et qu’est ce que cela pourrait signifier » ? Dead Aid (Aide Morte) de Dambisa Moyo, une économiste zambienne et ancienne consultante de la Banque Mondiale, abonde dans le sens de cette double question. Il s’agit de toute l’histoire de la faillite de la politique du développement basée sur l’aide  depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le choix de l’aide était conçu comme solution optimale au problème de la pauvreté due au manque de développement (p.xix). La faillite de cette politique entraîne celle de l’aide avec comme implication : la persistance toujours évidente du sous-développement et de la pauvreté.

Mais pourquoi cette faillite de l’aide et la politique du développement qui la sous-tend en Afrique ? Beaucoup de réponses ont été données à cette question : insuffisance de l’aide, politiques économiques inadéquates, institutions politiques corrompues et absence de bonne gouvernance, impossibilité des pays bénéficiaires de l’aide de pouvoir mettre en place des politiques de développement qui ne dépendent  pas de la seule volonté des bailleurs. Aujourd’hui comme hier, l’argument avancé par le cercle des architectes de l’aide enAfriquetend à rendre cette dernière, principale responsable de la plupart de ses problèmes de développement. L’œuvre de Calderisi, The Trouble with Africa: Why foreign aid isn’t working (2006), représente cette tendance.

 

Après avoir brièvement passé en revue ces différentes raisons souvent données par les architectes de l’aide, Moyo souligne en rouge que l’ « aide n’est pas bénigne, elle est [plutôt] maligne. Elle (l’aide) ne fait plus partie d’une solution potentielle, elle fait partie du problème – en fait, l’aide est un problème » (p.47). Le problème essentiel de l’aide est qu’elle tue silencieusement la croissance économique à tous les niveaux : l’aide étrangle l’investissement en nourrissant une culture de dépendance et en facilitant une corruption rampante et systématique (p.49). Cette culture de dépendance et de corruption fait qu’au lieu d’avoir une Afrique qui est gérée par les Africains pour les Africains, on a plutôt une Afrique dont le destin est défini par les forces extérieures. Moyo se réfère, par exemple, au fait que le discours de l’aide est usurpé par les (pop) stars et les politiciens occidentaux (p.66).

 

Pour sortir l’Afrique de cet imbroglio de l’aide qui tue la croissance économique, Moyo propose une alternative à l’aidequelque peu radicale. Elle propose des solutions financières enracinées dans le système du libre marché (considéré aujourd’hui comme le credo économique) malgré les déboires que nous connaissons : la récente crise financière. Elle est convaincue que le financement du développement requiert une nouvelle façon de penser. Dans cette nouvelle manière de penser le financement du développement, les Africains qui avaient l’habitude de regarder vers l’Occident pour l’aide doivent tourner leur regard vers la Chine « for trade » (ch.7). Ce commerce avec la Chine représenterait à lui seul 30 % des ressources financières dont l’Afrique a besoin pour sa machine du développement. Premièrement parce que la Chine a une croissance économique annuelle la plus spectaculaire de 10% durant les dix dernières années, donc une économie la plus dynamique du monde ; deuxièmement parce que l’Afrique regorge des ressources naturelles capables de défier l’appétit économique de la Chine. Et troisièmement, contrairement à l’Occident qui a conquis l’Afrique par le pouvoir des armes, la Chine voudrait une conquête fondée sur le pouvoir financier. On le voit par l’investissement massif et les projets d’infrastructure réalisés et encours de réalisation comme les routes en Ethiopie, les oléoducs au Soudan, les chemins de fer au Nigeria, électricité au Ghana, etc. Ces macro- projets représentent des sommes colossales que même le « big push » des bailleurs de fonds occidentaux et des institutions financières mondiales n’ont jamais pu débourser pour mettre au défi le sous-développement en Afrique. Les autres 70% des finances viendraient respectivement de l’Investissement Direct Etranger (30%), des rémittences des diasporas et l’épargne locale (25%), du marché des capitaux (10%),  et  de l’aide (5%).

 

L’analyse de Moyo de l’aide et l’alternative proposée sont très provocantes. Son objectif est de déconstruire le mythe de l’aide et son impact sur la croissance économique.De plus, son étudedéconstruit en même temps le lien souvent mis entre la démocratie libérale et la croissance économique.Sur le plan strictement politique, elle soutient que l’Afrique a besoin d’un « dictateur bénévole décisif » comme type de leadership capable de catalyser les politiques de la croissance et du développement économiques (p.42). Ici on voit bien que la Zambienne a été séduite par l’expérience économico-politique de l’Asie de K‘ung Chung-ni (Confucius) le développement économique précède la démocratie. Ce qui contredit la vision de l’Occident à ce sujet.

 

Cependant Moyo fait une analyse parcellaire. Elle propose une solution profondément quantitative àune question qui a d’abord besoin d’une analyse essentiellement qualitative. De ce fait, Dead aid demeure untype d’œuvre d’une économiste ou une spécialiste en sciences sociales quelque peu oublieuse de l’inéluctable connexion entre l’être et l’avoir en ce genre d’analyse. Autrement dit, l’analyse et la solution de Moyo séduisent facilement ceux qui n’arrivent pas à percevoir le lien génétique entre l’élan spirituel (qui va avec l’être) et le développement matériel (qui va avec l’avoir). Moyo n’est pas encore sortie du club d’intellectuels africains qui se complaisent avec l’épistémologie de l’extraversion et de la dépendance, et qui souffrent sans le savoir (ou même en le sachant) de l’ « intériorisation pathologique de la haine de soi ». Je tenterai de le montrer en soulignant deux des sources principales de financement qu’elle propose.

 

Le regard sur la Chine comme source de financement. Personne ne doute que le dynamisme économique de la Chine est impressionnant et imposant. Pour que ce dynamisme reste ce qu’il est, il faut que la Chine ait des partenaires qui servent son double objectif : être la source de matières premières, et devenir des consommateurs de ses produits transformés. Il faudrait peut-être se poser la question de savoir d’où la Chine, en fait,tout l’Est et du Sud- Est asiatique, puise ce dynamisme. Est-il vraiment une génération spontanée ? Ce dynamisme vient sans doute d’un élan spirituel,glèbe nourricière de toute conscience oeuvrante, de l’innovation ainsi que du sens d’ambition d’un peuple. Cet élan spirituel est au cœur même du statut ontologique, c’est-à-dire, ce qu’un peuple est, croit profondément, et détient comme valeur. En ne creusant pas la question d’élan spirituel et du statut ontologique de l’Africain à l’ère du « meiji » économique mondiale, Moyo et le club qu’elle représente nous enterrent encore une fois dans la tombe de la dépendance au lieu de nous ressusciter. En effet, Moyo veut rendre les Africains tributaires des forces extérieures et des matières premières (un don naturel de Dieu) au 21ème  siècle après JC comme ils dépendaient de la chasse et de la cueillette avant la révolution agricole. La valeur des matières premières et même des produits agricoles (que les Africains ne peuvent pas manger pour échapper à la faim tels que le thé, le café, et le coton) mises au cœur du «trade » avec la « Chine » est toujours inférieure à celle des produits transformés qui ont une valeur ajoutée. Cette valeur ne peut provenir que du génie issude l’élan spirituel d’un peuple décidé à poursuivre l’horizon qui le fuit au fur et à mesure qu’il avance.

 

Les rémittences sont la deuxième source de financement que propose Moyo. Elles représentent, en fait, l’attitude du vaincu en développement économique. C’est vrai  que le montant des rémittences ne cesserait d’augmenter, probablement en fonction de l’augmentation des émigrants. Mais, au fond, d’où viennent ces rémittences sinon de la population formée dont l’Afrique se vide. Or ces ressources humaines coûtent énormément cher à l’Afrique pour les remplacer.

 

Dans l’article éditorial du numéro 1 du 5ème volume d’Ethique et Société (2008), j’ai noté que, depuis 1990, 20 000 intellectuels de diverses occupations professionnelles quittent l’Afrique annuellement au profit des pays développés. En retour, l’Afrique importe à peu près 100 000 consultants étrangers qui coûtent au continent plus de 4 milliards de dollars américains annuellement. Si on a ajoute à ce montant le coût de la formation de ces intellectuels, il serait difficile de se satisfaire de l’idée des rémittences. En effet, si l’argument des rémittences peut tenir du point de vue de l’économie familiale (survie quotidienne des ménages),  il ne tient pas du tout au point de vue de l’économie nationale ou continentale (survie économique d’un Etat ou du continent) à long terme. Les grandes stratégies de développement de l’Afrique ne peuvent pas être financées par de simples miettes financières qui tombent des tables (mal servies) des émigrants. N’est-il pas honteux, pour l’Afrique, de vouloir accepter de dépendre des miettes (l’avoir d’un mendiant) de ceux qui devraient être la force spirituelle même sans laquelle un développement durable soutenu est impossible ?

 

Mais les rémittences cachent un autre enjeu lié à l’Investissement Direct Etranger (IDE) que Moyo propose comme une deuxième source de financement en Afrique. A part d’autres paramètres tels que l’absence de corruption, la bonne gouvernance, un cadre judiciaire adéquat, le disfonctionnement institutionnel et structurel,  l’IDEveut qu’il y ait sur place une main d’œuvre qualifiée et d’appui. Or cette main d’œuvre est insuffisante et absente parce que, justement, l’Afrique est victime de l’exode des cerveaux et de la population jeune formée ou en formation qui devrait lui donner cet espoir. Moyo s’étonne que les pays africains ne fassent pas partie des pays qui attirent l’IDE (pp.98-106). Je suis plutôt surpris qu’elle n’ait pas mis de lien entre ces émigrés qui envoient des rémittences et le manque de main d’œuvre qualifiée pour attirer les IDE en Afrique.

 

Malgré cette critique, l’œuvre de Moyo est à prendre au sérieux. Elle est parmi les rares œuvres d’intellectuels Africains qui osent défier fondamentalement cette aide qui s’est érigée en une entreprise de « business » contrairement à ceux qui nous font croire qu’elle est seulement le produit d’une responsabilité morale et philanthropique des riches et des institutions financières mondiales.

 

Symphorien Ntibagirirwa

Université de Pretoria, Afrique du Sud

Domaine: 

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