UN EUROPÉEN PERPLEXE ET INQUIET

Abstract: 

This chronicler sheds light on the great moments and the great project that marked the European Union since its inception. It argues that the margin of undeclared objectives lays the declared objective to ensure peace and achieve common economic growth. However, internal and external constraints currently threaten such noble objective.  These constraints include competition of national interests, bureaucracy, the market which is victim of its own game, the Brexit, hostility of the geopolitical environment, failure of the defense project, the challenge of Islam, migration, and similar constraints that hinder the objective achievements. All these leave any European country worried. Therefore, the hope for a political lead has established three requirements: the courage to proclaim solidarity, ascertain and balance the market and trade and ascertain the national interest in order to achieve the good of all Europeans. Therefore, the European Union should find a gate pass for all its countries to reach peace and achieve economic growth that will develop their country partners.

 

  1. Aperçu général

en est aujourd’hui l’Union Européenne[1] ? va-t-elle ? C’est le brouillard le plus total. Depuis vingt-cinq ans, je me suis engagé pour promouvoir le projet européen, concrétisé par l’Union Européenne. Je reste convaincu de l’importance d’une institution européenne au service de l’ensemble des citoyens, et afin de garantir la paix intérieure, de contribuer à la paix aux frontières et dans le monde, de contribuer à la justice, à la solidarité, à la démocratie et à l’État de droit. Tout cela était inclus comme projet politique dès l’appel de Schuman à la réconciliation de la France et de l’Allemagne en 1950 en prenant le chemin de l’économie (la CECA mise en commun des industries du charbon et de l’acier, industries de base de la guerre à l’époque). Clairement, un double objectif était déclaré : assurer la paix et favoriser une croissance partagée.

Le Traité de Rome (1957) structure le projet en créant la Communauté européenne entre six États (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg). Mais un autre objectif, soutenu par les États-Unis, était aussi à l’œuvre sans être clairement déclaré : constituer un bloc homogène Europe - États-Unis pour contrer l’URSS. Et la paix a moins été l’effet de l’union économique que la garantie des États-Unis par l’OTAN, l’unité se faisant contre un ennemi commun. Ce que la Communauté européenne a réellement apporté c’est la réconciliation entre les États européens occidentaux qui avaient connu trois guerres en un siècle.

Schuman et Adenauer visaient à terme une Europe fédérale. Le premier pas était l’économie. Un deuxième pas aurait été la création d’une défense commune (Communauté européenne de défense, CED), mais la France a fait capoter le projet (1952). Ce traité de la CED prévoyait lui-même l’étape suivante : l’institution d’une Communauté politique européenne. L’échec de la CED a entraîné l’enterrement de l’Europe politique. Et l’économie s’est mise aux commandes. L’intégration de la Grande-Bretagne a confirmé cette orientation : seul importe le grand marché, à l’exclusion de tout projet politique européen. Il n’y a donc pas eu réellement de projet politique, et on voit ce que cela coûte aujourd’hui en termes de crédibilité européenne en interne et en externe.

D’élargissement en élargissement, on a franchi le pas du grand élargissement, après la chute des pays communistes sous la domination de l’URSS, en intégrant les pays d’Europe centrale. D’un petit noyau de six États à l’origine, on en est maintenant à vingt-huit. Élargissement voulu pour des raisons politiques (réunifier l’Europe), mal préparé, mal mis en œuvre du fait que les institutions n’étaient pas adaptées à gérer un nombre aussi élevé d’États. De plus, les nouveaux États membres avaient en vue avant tout leurs intérêts économiques dans une perspective très libérale capitaliste, sans partager les objectifs plus politiques de souveraineté partagée portés par l’États fondateurs. En outre, pour eux, appartenance à l’Union Européenne et à l’OTAN était étroitement liée : gage de sécurité. Les timides avancées vers une Europe plus politique offertes par les traités de Maastricht (1992) puis de Lisbonne (2007), dernier traité européen, n’ont pas donné les résultats espérés. Et non seulement l’économie a été mise à la commande, mais le marché lui-même est aujourd’hui déstabilisé.

  1. La concurrence des intérêts nationaux

L’Europe en tant que projet commun et solidaire s’est peu à peu délitée. L’ultralibéralisme est devenu l’idéologie dominante. Dans tous les États, la droite s’est renforcée et durcie et la gauche de gouvernement, les partis socialistes classiques, s’est de plus en plus rapprochée de la droite (typiquement le gouvernement de Hollande en France). Selon les premiers traités, c’est la Commission européenne qui est l’acteur principal et le garant du projet communautaire : elle représente l’intérêt général européen. Au départ, il y avait une réunion informelle, plus ou moins régulière des chefs d’État et de gouvernement. Les décisions législatives et réglementaires étaient prises sur proposition de la Commission par les différents conseils des ministres compétents (à la majorité qualifiée dans le domaine économique, à l’unanimité dans tous les autres domaines : fiscalité, social, affaires étrangères, etc.).

Depuis le traité de Maastricht, le Conseil européen, réunissant chefs d’État et de gouvernement est officiellement institué comme l’une des institutions européennes. Dans les faits, il va prendre de plus en plus de pouvoir : les orientations et décisions majeures sont prises à ce niveau. Or ce Conseil n’est pas porté par l’intérêt général européen : il est dans les faits le lieu de la négociation et parfois de l’affrontement des intérêts nationaux divergents et parfois concurrents. Depuis le traité de Lisbonne, la présidence de ce conseil est assurée par un ancien chef d’État élu par les membres du conseil (pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois : le premier président pour deux mandats a été Herman Van Rompuy, belge, l’actuel président est Donald Tusk, polonais). Ce président a une fonction de coordination, mais pas de pouvoir propre, il est plus un facilitateur de décisions si possibles communes qu’un décideur, et il a peu d’autorité sur la scène étrangère.

Le Parlement européen, qui est le lieu normal de représentation des citoyens européens, à la fois selon leur tendance idéologico-politique et leur nationalité, a acquis, selon les traités, davantage de pouvoir, mais il est de fait court-circuité par le Conseil européen, concernant toutes les décisions à caractère plus politique.

L’Union est aujourd’hui incapable de définir une politique étrangère commune, en particulier vis-à-vis de la Russie, les intérêts étant trop divergents (intérêts commerciaux des grands États, intérêts de sécurité des petits États limitrophes à la frontière russe). Elle est incapable d’assumer une défense commune et intégrée, la majorité des États étant membres de l’OTAN et directement dépendants des États-Unis pour la logistique de transport par exemple. Or il n’y a pas de politique étrangère autonome possible sans défense autonome. Et à l’heure actuelle, il n’est pas sûr que les États-Unis interviendraient si la Russie de Poutine en venait à menacer les petits États baltes, comme elle le fait actuellement dans la partie orientale de l’Ukraine, après s’être emparée de la Crimée. Ce ne serait peut-être pas de son intérêt de risquer une confrontation armée avec la Russie.

Face au drame des mouvements migratoires et des demandeurs d’asile en provenance du Proche-Orient (guerre en Syrie et en Irak) et d’Afrique noire (guerres, misère dans les régions de guerre…), l’Europe est incapable de définir une politique commune d’asile et de migration. Malgré les efforts de la Commission demandant que la charge de l’accueil soit réparti, nombre d’États s’opposent à toute mesure en ce sens (en Hongrie il y aura prochainement un référendum visant à exclure toute autorité des institutions européennes dans ce domaine[2]).

L’Union n’a pas autorité directe concernant la fiscalité (toute décision en ce sens est soumise à l’unanimité). Depuis plusieurs années, dans le contexte très concurrentiel de la mondialisation, les États européens se font entre eux une guerre fiscale : en réduisant la fiscalité sur les entreprises et sur le coût du travail, ils se font concurrence entre eux. Les sociétés multinationales ne paient pratiquement pas d’impôt en Europe. Une partie de l’endettement trop lourd de nombre d’États est le résultat direct de cette concurrence : une fiscalité plus basse, c’est moins de ressources, et donc il faut emprunter pour continuer à faire fonctionner l’État.

La libre circulation des travailleurs aboutit aussi à une concurrence déloyale : dans les domaines des transports et de la construction principalement, des travailleurs d’Europe centrale (Pologne, Roumanie, Hongrie…) viennent travailler en Europe occidentale (France, Belgique, Allemagne…) aux taux salariaux et de cotisations sociales des pays d’origine très inférieurs à ceux des pays où ils viennent travailler : aucun accord n’est actuellement possible pour réglementer cette concurrence.

  1. Un appareil bureaucratique loin des citoyens

La Commission européenne est devenue une très grosse machine, beaucoup plus bureaucratique. Elle a été marquée par une tendance très réglementariste, soucieuse de normalisation des règles et des normes au service du marché commun. La Commission connaît,  par ailleurs, une certaine tension entre, d’une part, une approche très libérale capitaliste de tout ce qui concerne le marché, le commerce, etc. et, d’autre part, une vision plus positive de solidarité vis-à-vis des questions d’immigration ou d’exil, domaine dans lequel elle n’a pas réellement d’autorité. Le fonctionnement de la Commission et l’orientation de ses positions sont de plus marqués par un déséquilibre entre la puissance des lobbies qui représentent  les entreprises et les grands secteurs industriels et commerciaux et, d’autre part, les différentes ONG qui représentent les consommateurs, les intérêts proprement sociaux ou culturels, etc.

Dans pratiquement tous les pays, il y a une rupture de communication et de confiance entre les citoyens et les institutions européennes. Les citoyens se sentent frustrés par l’impression que la machine européenne décide pour eux sans tenir compte d’eux, qu’elle impose des règles et des normes dont ils ne voient pas l’intérêt, et ils ne perçoivent pas en quoi l’appartenance à l’Union pourrait constituer pour eux un plus. Bien sûr, il y a eu l’apport de la paix : mais cela c’est du passé (et pour beaucoup, c’est un passe lointain) ; bien sûr il y a la libre circulation des personnes, mais on voit surtout les menaces que constituent l’ouverture interne des frontières (Schengen). Bien sûr l’euro facilite un certain nombre de choses, mais il a surtout profité aux plus grands pays, et avant tout l’Allemagne, et a mis dans une situation difficile la Grèce, l’Espagne, l’Italie… Partout le chômage a augmenté et la pauvreté aussi, et pour beaucoup le pouvoir d’achat est en baisse. Si ce n’est pas nécessairement la faute à l’Europe, on se dit quand même que l’Europe ne s’est pas montrée capable de préserver les citoyens de ces réalités négatives concernant le bien-être des citoyens.

Les partis de droite et les parti populistes surfent sur ce mécontentement (et pour une part sur ce manque d’information sur le fonctionnement réel de l’Union) pour animer les sentiments antieuropéens, eurosceptiques, nationalistes, anti-immigrés… Dans pratiquement tous les pays, les partis d’extrême-droite progressent et sont représentés au parlement, voire au gouvernement.

Dans ce contexte, depuis quelques années, et dans tous les pays européens sauf la Belgique, « Bruxelles » désigne l’institution européenne, et l’expression est toujours négative. Les gouvernements eux-mêmes ont largement contribué à ce caractère négatif de l’expression, en incriminant systématiquement l’Europe pour toutes les décisions difficiles à accepter pour les citoyens, décisions que la plupart du temps ils ont eux-mêmes prises collectivement…

  1. Le marché victime de son propre jeu

Schuman et Adenauer ont parié sur l’économie comme facteur d’unification, et ils ont parié sur un débouché politique de cette démarche. Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, grand européen, donne un nouvel élan au projet européen, mais il parie aussi sur le marché pour conduire au politique. Trois éléments ont cependant fait obstacle à toute avancée sérieuse dans le domaine d’une plus grande union politique.

Il y a d’abord un facteur proprement interne : l’opposition décidée de la Grande-Bretagne à tout projet politique européen. Pour ce pays, le seul horizon est celui du marché dans la perspective la plus libérale possible.

Il y a ensuite le fait de l’élargissement : les pays d’Europe centrale et orientale se sont montrés systématiquement méfiants par rapport à toute délégation de pouvoir à l’institution européenne : ils gardent mémoire très négative de l’étatisme communiste.

Il y enfin un facteur externe : le grand marché a été conçu sur un modèle largement interne et un peu en vase clos. Mais la mondialisation a fait tomber toutes les frontières, et l’Europe est traversée de part en part par les vents de cette mondialisation et de la concurrence intense que celle-ci introduit. Les États sont de plus en plus dépossédés de leur pouvoir politique sur l’économie et le social. Si le grand traité commercial transatlantique (TTIP ou TAFTA) devait être ratifié, les pays européens seraient encore moins autonomes dans la définition interne des normes sociales, environnementales, sanitaires, etc., et livrés au pouvoir des grandes entreprises mondialisées.

  1. Le social sacrifié

Le commercial et tout ce qui y est lié relevant de la décision majoritaire (majorité qualifiée c’est-à-dire environ des deux-tiers des États et des populations), tandis que le social et le fiscal qui l’alimente relève de l’unanimité, ce social est en position de faiblesse dans le marché. La concurrence fiscale n’a fait qu’accentuer cette faiblesse.

À l’époque de croissance forte et dans un espace largement protégé, dans les années 50 et jusqu’à la moitié des années 70, les gains de la croissance pouvaient assez facilement être partagés, d’autant plus que les syndicats étaient puissants. Tout le monde y a gagné : la pauvreté a été très significativement réduite, les conditions salariales et de vie des travailleurs ainsi que les conditions de vie des personnes âgées ont été substantiellement améliorées. Et les inégalités s’étaient aussi réduites. La croissance s’est fortement ralentie et il y a eu la crise financière, rebondissant en crise économique. L’Allemagne a imposé au sein de l’euro une politique d’austérité. Les inégalités ont recommencé à se creuser. Le pouvoir d’achat d’une fraction significative de la population s’est réduit. La pauvreté a augmenté.

Dans nombre de pays l’emploi industriel se contracte ou même s’effondre : des régions entières sont de ce point de vue dévastées. Le chômage s’est fortement développé. Et presque partout, des conditions plus strictes ou moins favorables ont été imposées pour l’obtention d’allocations de chômage.

L’Union n’a pas les instruments qui permettraient d’affronter politiquement et économiquement les questions sociales. Et pour le citoyens moyens, cette dégradation sociale, c’est la faute à l’Europe, oubliant que l’Europe c’est, pour l’essentiel, le résultat des décisions des différents gouvernements nationaux.

  1. Le défi de l’islam

Dans nombre de pays, mais de façon très différente selon les pays, il y a maintenant une présence significative d’une population musulmane, ou d’origine musulmane, ou encore d’origine de pays musulmans. Cette population au départ immigrée pour des raisons de travail s’est installée et on en est à la deuxième, la troisième, voire la quatrième génération. Cette population s’est au départ faite très discrète, cherchant au mieux à trouver sa place et donc à s’intégrer. Les nouvelles générations, dont une partie relativement importante ne trouve pas de place sur le marché de l’emploi, affirment davantage leur identité et leur présence visible.

Cette visibilité nouvelle est aussi doublement liée au contexte international et géopolitique.

D’une part, l’enseignement de l’islam diffusé par les mosquées a été largement défini par le salafisme wahhabite, qui diffuse le mépris de l’autre, qui est le mécréant. Cet enseignement n’est pas par lui-même violent, mais il ensemence le terrain d’où peut s’enraciner et croître la violence par ce mépris de l’autre. Ce wahhabisme favorise en interne une observance plus rigoureuse, alors que les générations précédentes développaient un islam pieux, assez souple et tolérant : port du voile, viande halal, rythmes de prière, etc., qui ne favorisent pas la convivialité.

D’autre part, il y a le contexte géopolitique : le conflit en Israël, la guerre en Syrie et en Irak, l’échec total en Lybie, etc. L’Occident est tenu pour directement responsable de ce chaos. Et dans ce contexte, il y a eu Al Qaïda et puis maintenant l’État islamique.

En 2001, c’est le massacre spectaculaire des tours de New-York. Depuis, et surtout ces dernières années, il y a eu les multiples attentats terroristes sur le sol européen, en particulier en France et en Belgique.

Dans ce contexte, le sentiment antimusulman (ou islamophobe) se développe partout. Les crispations s’alimentent réciproquement. En France ou en Belgique, une certaine laïcité de tradition rationaliste et positiviste, avait cru que la raison et la science offriraient le fondement d’une société pacifiée et d’une éthique commune, et que les religions allaient progressivement disparaître. On pouvait bien tolérer le christianisme, et en particulier l’Église catholique, réalité dépassée qui allait se dissoudre par elle-même. Le fait que l’Église s’était faite plus discrète et que la pratique s’était effondrée, semblait leur donner raison. Mais voici que les musulmans s’affirment de façon visible sur la scène publique. D’où la crispation sur les femmes voilées, et le délire de l’épisode du burkini en France cet été[3]… Des chrétiens aussi se crispent dans une nouvelle forme du rejet de l’autre. Et les musulmans se sentent agressés par le regard posé sur eux, dans le contexte alourdi par les attentats terroristes, et ils cherchent à s’affirmer dans leur identité propre.

Des discours circulent sur l’invasion de l’Europe par les musulmans, sur le fantasme d’une imposition de la charia dans les grandes villes dans les dix ou quinze ans à venir… Tout cela ne contribue pas à un vivre ensemble pacifié.

  1. Le défi des migrations

Au Moyen Orient et en Afrique des pays sont ravagés par la guerre et la décomposition politique, souvent en lien avec l’islamisme conquérant et usant de terrorisme. De là, un flot brutal de demandeurs d’asile et de migrants sur le continent européen. Sans oublier l’Ukraine, autre source actuelle d’exil. Ces migrants fuient leur pays parce qu’ils sont menacés. Ils viennent se joindre à ceux qui quittent leur pays à cause de la faim et de toute possibilité de vie décente. Les États européens qui bordent la Méditerranée sont en première ligne de l’accueil et ne peuvent faire face. La Méditerranée est devenue un cimetière pour des milliers de candidats à l’exil. La Grèce (à partir de la Turquie) et l’Italie (à partir de la Lybie) sont les principales portes d’entrée en Europe. Il serait juste que la charge de l’accueil humanitaire soit répartie entre les différents pays de l’Union : la majorité des États refusent de mettre en œuvre cette solidarité.

L’accord politique signé avec la Turquie[4]exporte honteusement la responsabilité de la reconnaissance du droit à l’asile : les valeurs fondamentales déclarées dans les traités européens ne sont pas respectées.

L’Europe est profondément divisée. Il y a le refus de se répartir entre pays la charge de l’accueil, et division au sein des pays au sujet des politiques à mener. Certains acceptent les ‘bons’ exilés, c’est-à-dire les chrétiens, contre les autres, les musulmans ; d’autres veulent choisir les ‘bons’ immigrés, ceux qui sont économiquement utiles (bien formés…). Les frontières se ferment toujours davantage. La situation est instrumentalisée par les extrêmes droites pour imposer des régimes autoritaires et la limitation des droits fondamentaux pour tous les citoyens : la démocratie est de plus en plus menacée.

  1. La démocratie et l’État de droit mis à mal

L’inquiétude face au terrorisme islamique grandit, la nécessité s’impose d’assurer la sécurité et de détecter les personnes radicalisées disposées à l’action violente. Des hommes et des femmes qui ont été combattre en Syrie et en Irak, y ont été formés idéologiquement et pratiquement en vue d’effectuer des attentats aussi meurtriers que possible. Ce contexte donne lieu à des politiques sécuritaires qui limitent les libertés, développent des moyens de surveillance généralisée, mettent en cause le principe de présomption d’innocence devant les tribunaux. Les musulmans sont victimes des contrôles de police parfois très arbitraires.

En Hongrie, la presse est mise sous contrôle, plusieurs centaines de juges ont été contraints de prendre leur retraite, les compétences de la Cour constitutionnelle ont été modifiées par la loi. En Pologne, les pouvoirs de la Cour constitutionnelle sont autoritairement réduits, des membres en sont démis et d’autres nommés à leur place. En Roumanie également, des décrets d’urgence portent atteinte aux droits de la Cour constitutionnelle, et des hauts magistrats sont démis de leur fonction. Dans plusieurs pays d’Europe centrale, les droits des demandeurs d’asile, définis par la Convention de Genève, ne sont pas respectés.

Malgré les critiques de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe, s’inquiétant de la mise à mal des institutions démocratiques, les gouvernements de ces pays, rejettent ces critiques et persistent.

  1. La géopolitique : un environnement déstabilisé

Il y a septante-cinq ans, avec la création de la CECA et l’embryon de la Communauté européenne, on a cru que la paix serait définitivement acquise en Europe occidentale. Il y aura bientôt trente ans, l’empire soviétique s’est effondré. On a cru qu’on entrait dans une ère de paix mondiale et d’ouverture à la démocratie. Il y a dix ans encore, on pensait qu’une guerre sur le sol européen était impensable…

L’horizon géopolitique se trouve bouleversé ces dernières années. Le conflit Israël-Palestine paraît de plus en plus sans issue, et il empoisonne les relations avec le monde arabo-musulman. L’échec des interventions en Irak et en Lybie a montré les limites de la puissance occidentale : au lieu d’apporter ordre et démocratie, on a créé le chaos. En Syrie, il y a de fait affrontement entre la Russie et les États-Unis, chacune des deux puissances cherchant ses intérêts propres. Pour la Russie, il y a le port de Tartous, seul accès naval à la Méditerranée, mais aussi le risque que le sunnisme intégriste renforce l’instabilité en Tchétchénie et au Daguestan. La sécurité de la population civile ou les droits de l’homme sont sans signification : à Alep, c’est l’opposition interne et non Daech qu’il faut écraser. Pour les États-Unis, il s’agit d’une voie d’approvisionnement de l’énergie à partir de l’Asie du Sud-Est en court-circuitant la Russie, mais ils veulent éviter l’affrontement direct. Et l’Europe assiste impuissante.

Les différents « printemps arabes » ont laissé croire qu’une démocratisation était en cours et serait consolidée en Algérie, en Tunisie, en Égypte. En Tunisie, un fragile équilibre des forces s’est établi. En Égypte, l’élection démocratique a mis au pouvoir les Frères musulmans, alors que Moubarak a été contraint à la démission. Mais les Frères avec le président Morsi ont cherché à imposer une islamisation de la société. L’armée est intervenue et s’est installé un régime autoritaire mené par le Maréchal Al Sissi. Quant à la Turquie, après le coup d’État manqué qui sert de prétexte, c’est aussi un régime autoritaire et très répressif qui s’impose : la presse est bâillonnée, nombre de juges sont démis de leur fonction, la moitié des officiers généraux ont été arrêtés ou écartés, des chefs d’entreprises sont arrêtés…

À l’autre frontière de l’Europe, c’est la Russie de Poutine qui inquiète : l’Europe a assisté impuissante à l’annexion de la Crimée partie intégrante de l’Ukraine, et l’intervention russe dans le Donbass conduit à un état de fait de séparation de la région et de contrôle par la Russie. Mais qu’adviendrait-il si les Russes en venaient à engager une opération dans les pays baltes (Lettonie, Estonie, Lituanie), qui faisaient partie de l’espace soviétique ?

  1. Le Brexit et les tentations d’éclatement

Un référendum réalisé en Angleterre[5]a donné la majorité au vote demandant le retrait de l’Union Européenne. Que les partisans de cette sortie, le Brexit, ait procédé à des manipulations des données pour montrer les avantages de cette sortie pour les citoyens, ne change rien au fait que la majorité a voté en ce sens. Le gouvernement en place a démissionné, un nouveau gouvernement a été installé, qui s’est engagé à mettre en œuvre ce choix, c’est-à-dire à activer l’article 50, nouveau depuis le dernier traité, qui définit les modalités de sortie de l’Union. Cet article sera sans doute activé début 2017, et c’est alors que commenceront les négociations sur les conditions de ce retrait et sur les nouvelles relations entre l’Angleterre et l’Union.

Au niveau interne au Royaume-Uni, se pose une question précisément sur cette unité. En effet l’Écosse et l’Irlande du Nord ont très majoritairement voté contre ce retrait. Certains évoquent la possibilité d’un référendum en Écosse sur la séparation de la Grande-Bretagne et l’adhésion à l’Union comme État indépendant ; certains évoquent du côté de l’Irlande une réunification de l’île…

Dans la plupart des pays, les partis eurosceptiques se sont réjouis du résultat du référendum britannique. Sans doute évalueront-ils les possibles avantages ou inconvénients selon les résultats des négociations concernant la mise en œuvre de ce Brexit. Mais quoi qu’il en soit, cet événement fragilise encore davantage la cohésion de l’Union Européenne.

  1. Une défense européenne

En 1952, le projet de défense européenne a échoué. Depuis lors, la défense est confiée à l’OTAN[6]au sein duquel les États européens ne font pas le poids face aux États-Unis. Ce sont les États-Unis plus que les Européens qui ont voulu que la Turquie soit membre de l’OTAN, ce sont eux qui ont tout fait pour élargir l’OTAN après la chute de l’Union soviétique jusqu’aux frontières de la Russie. Très clairement, les pays d’Europe centrale et orientale s’en remettent à l’OTAN pour leur défense, pays pour lesquels la Russie est toujours perçue comme une menace.

Sur les questions de politique extérieure et de défense, l’Angleterre s’est toujours alignée sur les États-Unis (elle a soutenu l’intervention américaine en Irak sans mandat de l’ONU, à la différence de la France et de l’Allemagne). Pour elle il n’a jamais pu être question d’une défense européenne qui se distingue de l’OTAN. De leur côté, les États-Unis demandent de plus en plus que les Européens prennent davantage leur part dans le coût de la défense.

Il n’est pas question à l’heure actuelle que les pays européens se retirent de l’OTAN. Mais la question se pose : un certain nombre d’États européens ne pourraient-ils mettre en commun leurs moyens de défense dans une perspective politique commune ? L’Angleterre s’y est toujours opposée. Le Brexit et les possibilités de coopérations renforcées entre certains pays, prévues par les traités, permettraient-elles d’avancer en ce sens ?

Mais des questions plus profondes se posent. Si l’Europe veut avoir la possibilité d’une autonomie politique commune vis-à-vis des États-Unis, qui sont un partenaire nécessaire, il faudrait qu’au sein de l’OTAN elle constitue une entité commune (à présent, l’OTAN est seulement une alliance entre États, à ce niveau l’Union Européenne est inexistante). Or sans défense commune, l’Union Européenne n’a pratiquement aucun poids dans le domaine géopolitique. La gestion des différentes crises des dernières années (Géorgie, Ukraine, Irak, Syrie…) le manifeste clairement.

Conclusion

Il faut bien constater qu’il n’y a plus de projet commun en Europe : l’Union Européenne est progressivement vidée de sa substance. Sans unité et sans projet politique, les différents États européens sont livrés au jeu de la mondialisation, du rouleau compresseur du marché non régulé, de la finance internationale et des rapports de force entre États-Unis, Russie et Chine. C’est toute la société qui en souffre. Les acquis sociaux sont de plus en plus rabotés. La sécurité et la paix à moyen et long terme ne sont plus assurées. Les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit sont menacés.

Un sursaut politique est-il possible ? On peut malheureusement en douter. Mais l’imprévu est toujours possible.

Il faut cependant faire vivre l’espérance. La tradition de foi, alimentée par les Écritures, donne des armes spirituelles et morales pour faire face à l’adversité ou à l’absence d’horizon. On a beaucoup parlé des racines chrétiennes de l’Europe à l’époque des débats sur le projet de Constitution européenne. Ce serait le moment pour les croyants non pas de proclamer les racines chrétiennes de l’Europe, mais de les faire vivre dans le présent :

-          Avoir le courage de faire entendre la voix de la solidarité dans le discours  politique, la voix du souci effectif des plus faibles.

-          Désabsolutiser le marché et le commerce dans les négociations internationales.

-          Relativiser les frontières de l’intérêt national pour le bien de tous les Européens.

Les citoyens attendent qu’on leur propose autre chose, qui fasse sens pour eux. L’Évangile n’offre-t-il pas des ressources si réellement on veut y croire ? Mais ici encore un sursaut de foi évangélique est, à vue humaine, fort improbable…

 

 

 

 

 


[1]Dans ce texte, quand je dis Europe, je vise pratiquement l’Union Européenne par souci de simplification.

[2]La formulation de ce référendum approuvée par la Cour constitutionnelle est : « Voulez-vous permettre à l’UE d’ordonner une relocalisation des citoyens qui ne sont pas Hongrois en Hongrie, sans l’approbation de l’Assemblée nationale ? » Il était évident que la réponse serait massivement négative. Seuls 45% des inscrits ont voté et 40% ont émis un vote valable. Ceux-ci à 98,32% ont voté non. Mais le référendum lui-même a été invalidé parce qu’il devait représenter au moins 50% des inscrits.

[3]Tenue de plage et de bain couvrant entièrement le corps qui est apparue cette année : des communes l’ont interdite, le Conseil d’État a cassé ces décisions…

[4]La Turquie s’engage à empêcher les migrants à s’embarquer à partir de son territoire vers la Grèce et à accepter que soient renvoyés chez elle ceux qui, malgré tout, auraient pu faire la traversée et ne répondent pas aux critères de l’asile ; pour tout Syrien renvoyé, l’Union accepte de recevoir de Turquie un Syrien répondant à ces critères, dans la limite de 72.000 personnes. L’Union de son côté dégage un fonds pour l’accueil des réfugiés en Turquie, et s’engage à supprimer la nécessité de visas pour les Turcs si toutes ces conditions sont remplies.

[5]Officiellement, l’Angleterre est l’une des nations constitutives du Royaume-Uni, à côté de l’Écosse et du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord ; la Grande-Bretagne est l’ensemble de l’île composée de l’Angleterre, de l’Écosse et du Pays de Galles. Dans le langage courant, on parle le plus souvent de l’Angleterre pour désigner le Royaume-Uni.

[6]Tous les pays membres de l’Union européenne ne sont cependant pas membres de l’OTAN : l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, Malte et la Suède sont neutres, mais ont un partenariat avec l’OTAN.

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