Steven Andreasson (2010). Africa’s Development impasse: Rethinking the Political Economy of ransformation. London/New York: Zed Books, 258 pages

Andreasson confronte la question de savoir si une alternative aux politiques de développement dites orthodoxes (étatisme et néolibéralisme) peut être envisagée et concrétisée en Afrique Australe ; et quelle pourrait être sa base sociale et politique. Cette question part de trois présupposés hypothétiques, à savoir:

 

-          La politique économique seule ne nous permet pas d’engager un effort commun pour repenser nos objectifs et nos aspirations. Donc, nous avons besoin de jeter un regard conscient sur les principes moteurs de la théorisation post-développemental ;

 

-          Le développement conçu dans le contexte du libéralisme et du darwinisme social nous aliène de la nature et de nos semblables. Donc, nous avons besoin d’une perspective holistique du développement qui tient compte de nos relations humaines et de l’environnement;

 

-          La civilisation moderne telle qu’elle a été développée et existe aujourd’hui est incompatible avec le développement durable de toute l’humanité dans son ensemble. Donc, une approche hétérodoxe est nécessaire (p.5).

 

Comme on peut s’en rendre compte le troisième présupposé combine le premier et le deuxième. En fait, Andreasson nous amène à réaliser que, bien que son analyse concerne la problématique du développement africain, son œuvre a une valeur dans des contextes autres que ceux de l’Afrique.

 

Dans sa tentative de répondre à sa question, Andreasson, un expert en politique comparée, étudie trois cas à savoir le Botswana, le Zimbabwe, et l’Afrique du Sud. Il recourt à une méthode comparative et soutient qu’une nouvelle pensée de la politique du développement dans la perspective post-développementale (connu aussi comme développement alternatif, développement participatif) offre une meilleure opportunité pour transcender l’impasse causé par l’étatisme et le néolibéralisme. En d’autres termes, ni l’état ni le marché seul ne peuvent nous obtenir un développement universel et durable.

                                                  

 

Pour élaborer son argument, Andreasson subdivise son œuvre en six chapitres répartis dans deux sections suivies d’une conclusion, de notes, et d’une bibliographie. La première section traite du shift du développement au post-développement. Le point central de cette section comporte deux aspects.

 

Le premier aspect est la nature du nœud entre l’Etat, le Marché, et la Société civile en Afrique Australe postcoloniale. Ce nœud est articulé différemment dans les trois pays étudiés. Au Botswana, il est articulé d’une manière qui réponde à la structure d’une démocratie enracinée dans la tradition Africaine avec comme résultat une gestion paternaliste et un état développemental. Au Zimbabwe, ce nœud est articulé d’une manière qui reflète la politique de confrontation entre les ethnies et les races d’une part, et l’autoritarisme d’autre part. En Afrique du Sud, NEDLAC[1]été une tentative d’articuler le même nœud dans un contexte d’une tension entre les cultures et les inégalités socio-économiques postapartheid.

 

Le deuxième aspect est la dynamique politique et économique régionale et son implication sur les possibilités d’une véritable transformation socio-économique. Cette dynamique consiste à confronter le défi de transcender l’héritage débilitant du colonialisme et de l’apartheid dans le contexte de la politique économique mondiale. Comme solution, Andreasson propose une re-conceptualisation de la politique économique du développement pour accommoder les principes de la pensée post-développemental dont voici les trois grandes articulations:

 

-          Inclusion des peuples marginalisés et la prise en compte de leur héritage culturel dans les décisions qui affectent leur avenir.

 

-          La conceptualisation de l’harmonie sociale d’une manière qui intègre les aspects culturel, spirituel et écologique du développement pour éviter de les séparer des aspects politiques et économiques.

 

-          Le rejet de la notion moderniste selon laquelle le développement doit être basé sur des valeurs matérialistes qui se manifestent dans l’exploitation effrénée des ressources naturelles et humaines, la croissance économique, l’accumulation matérielle et le consumérisme

D’une manière générale, Andreasson fait un plaidoyer d’une plateforme sur laquelle les peuples de l’Afrique Australe peuvent enclencher un dialogue qui les libère de l’imposition du paradigme du modernisme occidental et ses variantes, libérale et socialiste, en vue d’une politique plus émancipée.

 

Evidemment, Andreasson ne confronte pas suffisamment la problématique des traumatismes et la perte de confiance en soi dont souffrent les Noirs. Or cela a des implications sur un type de développement qui libère. C’est ici que le projet de renaissance dont parlait le Président Mbeki est crucial parce qu’il visait à revigorer l’esprit essoufflé du Noir afin de l’équiper de l’élan vital nécessaire pour le développement libérateur

 

La deuxième section est une étude comparative des trois géants économiques de l’Afrique Australe. Dans l’analyse de chaque cas, Andreasson poursuit trois objectifs à savoir: les trajectoires du développement suivies ; les fondements socioculturels et politiques qui les sous-tendent ; et les relations entre l’état, le marché et la société civile. Ce sont ces trois objectifs qui assurent une analyse et une réflexion cohérente de notre auteur.

 

Bien que les trois pays partagent le contexte du système d’apartheid régional ainsi que le contexte théorique du développement en vogue depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale, ils diffèrent par leur manière d’utiliser le fond culturel et le développement qui en résulte.  Botswana poursuit une économie d’exportation avec des politiques de développement orthodoxe rendues possibles par une gouvernance démocratique de type paternaliste qui fait de lui un état développemental à l’asiatique (p.104).

 

Ce cadre économico-politique, dans lequel la confrontation n’a pratiquement pas de place, est ancré dans une tradition socioculturelle dont les vertus sont la transparence et le respect mutuel issus du concept de la kgotla[2] commelieu du consensus social, politique et économique.C’est cette continuité entre le système précolonial et le système postcolonial qui fait du Botswana une exception sociopolitique de l’Afrique Australe et un miracle économique en Afrique.

 

Le cas du Zimbabwe est plutôt le contraire de celui du Botswana. A l’encontre du kgotla, c’est plutôt le chimurenga[3] qui informe la politique du conflit issu des divisions ethniques et raciales sous un régime autoritaire (p .119). L’héritage du  chimurenga est un état en faillite dans lequel le besoin du développement économique (pouvoir économique des Blancs) cède la place à la reconfiguration inégalitaire du pouvoir politique (ascendance politique des Noirs). Il s’agit d’un contexte dans lequel il n’est pas facile d’envisager la promotion d’un développement élargi dans lequel l’Etat, le marché et la société civile peuvent négocier sur une même table.

 

Le cas de l’Afrique du Sud se situe entre les deux premiers. L’Afrique du Sud est parvenue à dépasser un passé oppressif. Cela fait qu’elle est perçue comme le modèle d’un pays capable de développer des politiques économiques crédibles et une culture de la démocratie. Cependant le défi reste toujours celui de dépasser les discours, libéral et socialiste, de façon à intégrer les différentes réalités culturelles sud africaines, et de permettre à tous les Sud-Africains de jouir d’une croissance économique et d’une stabilité politique. La tentative d’inculturer la transformation socioéconomique à travers la promotion du Black Economic Empowerment (BEE) ne semble pas porter des fruits pour l’ensemble des Noirs d’une part,  au lieu de transformer l’économie, le BEE s’est transformé en club des consommateurs laissant à leur sort une majorité qui pourrait incarner les valeurs fondatrices d’un développement inclusif, d’autre part.  Dans ce contexte, les relations vraies entre l’Etat, le marché et la société civile ne peuvent être qu’un projet à l’horizon.

 

La conclusion générale d’Andreasson est qu’il est nécessaire de s’éloigner du développement tel qu’il est traditionnellement compris et entrepris pour embrasser le post-développement qui ouvre à des alternatives de développement durable.

 

La réflexion d’Andreasson est originale, tant dans son analyse que dans l’horizon envisagé. Elle est d’abord originale dans son étude comparative.

Andreasson prend trois pays qui, d’un point de vue de la population dominante, les Noirs, partagent un même système de croyances et de valeurs culturelles, mais qui diffèrent d’un point de vue sociohistorique et économico-politique. La réflexion est aussi originale dans la lecture de la cause de l’impasse du développement en Afrique en général. En fait, cette réflexion est en même temps une critique des politiques économiques que les pays développés tendent à universaliser sans tenir compte des particularités socioculturelles des pays en développement. Or le miracle économique de l’Asie vient de ce que les Asiatiques ont refusé cet universalisme et ont opté pour l’Etat pilote du développement enraciné dans la philosophie confucéenne et la culture du « maître-disciple».

 

Personne ne peut douter que l’impasse du développement Africain consiste au fait de suivre des paradigmes imposés ou fraudés de l’extérieur sans qu’ils soient articulés avec les réalités socioculturelles africaines. Or, comme Claude Ake le dit dans son livre Democracy and Development in Africa (1996), la culture africaine a toujours résisté et aussi menacé même tout projet de développement qui ne s’accorde pas avec elle au point de faire croire à certains que les Africains sont ennemis du progrès. Ainsi, en proposant le post-développement comme cadre conceptuel, Andreasson nous amène à nous poser la question de savoir si les cultures africaines ont un contenu qu’on peut valider en termes des politiques du développement.    

 

Jusqu’à maintenant, nous dit Andreasson, _ et je partage son point de vue_, l’approche «orthodoxe» au développement n’offre pas de place à ce que j’appelle  le «triangle de solidarité» consistant en synergie entre l’Etat, le peuple,  et le marché comme lieu adéquat du développement durable. En fait, il faut le dire, la perspective ou l’approche orthodoxe du développement favorise plus la compétition exclusive au lieu de la coopération inclusive. Le cadre post-développemental que propose Andreasson semble résoudre ce problème. Comme le suggère Mbigi dans son livre The Spirit of African Leadership (2005), il s’agit d’un cadre dans lequel la politique, la culture et l’économie s’harmonisent pour un objectif commun: le progrès économique.

 

Cette harmonie rendrait aussi possible la coopération entre les nations, ainsi que les relations salutaires de l’homme et de             l’environnement. C’est sur cet aperçu que je recommande ce chef-d’œuvre.

 

Symphorien Ntibagirirwa
Université de Pretori
a

 

 


[1]National Economic Development and Labour Council

[2]Ce mot tswanasignifie une plateforme de délibération et de dialogue entre le roi ou les chefs et le peuple. Ce concept est le même que le « gacaca » en Kinyarwanda et « intahe yo ku mugina » en Kirundi, sauf que le mot kgotla, en plus d’être un concept social, a des implications politiques et économiques qui lui assigne le leadership du Botswana.

[3]Guerre de libération en Shona.

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