Abstract:
The paper focuses on family law within the parallel of tradition and modernity. Objectively, the major challenge facing African countries is the adequacy between the modern law and the customs of various tribes. The issue of the dowry in the matrimonial transactions is a fact. While peoples tend to stick to their traditional practices of marriage according to customs, the state tends to modernise it through the vote for modern laws in order to transcend particular tribal customs. Consequently, African states fail to impose one common practice of the dowry. Some states have legally cancelled the dowry although the population customarily practice it. In other states it is legally recognized although peoples repel it, particularly in urban settings. On the other hand, some other states tolerate the dowry to accommodate both the traditional customs and the modern law. In this confusion surrounding the dowry, the states experience difficulties in monitoring the rights and obligations of family members in the present Africa. Thus, there is a need to reconcile tradition and modernity with regard to family law by considering the traditional values that can fecund modernity on the one hand, and the modern values that shade light on tradition. Dowry should be considered against this background.
1.Introduction
Les codifications du droit de la famillene sauraient adéquatementêtreanalyséesque si l’on prend en compte lanatureparticulièreducadre juridique des Etats africains. Ceux-ci ont, en effet, hérité de deux modèles juridiquesdontlacoexistencerendproblématiquelaproductionetl’unification duDroit.Lepremiermodèle,fondésurla «légalitérationnelle» est lelegscolonial tandis que le second communément appelé droit coutumier oudroittraditionneltrouvesonsupportdanslesusetcoutumes.Face à cette dualité, deux tendances se sont dessinées parmi les législateurs africains. Certainsont pris une option moderniste en accordant peu d’importance aux traditions, c’est le cas du législateur ivoirien. Par contre, la seconde tendance, majoritaire,soucieusedel’adéquationentrelaloietlesréalitéssociales,a prisencompte certainesnormestraditionnellespour lesintroduiredansledroitpositif.Pris dans une telle bipolarité, que peut bien impliquer le mariage dans le contexte africain?
Lemariage estdéfini à l’article330ducodecongolaisdelafamillecommeétant
L’acte parlequelunhommeetunefemmequinesontengagésni l’unnil’autredanslesliens d’unprécédentmariage enregistré,établissententreeuxuneunionlégaleetdurable dontlesconditionsdeformation,les effets etladissolutionsontdéterminéesparla présenteloi.» (Journal officiel, 1er août 1987).
C’est unedéfinitioninspiréedudroitdesanciennes métropoles:«unactejuridiqueparlequelunhommeetunefemme établissent entre eux une union dont la loi civilerègleimpérativementlesconditions,les effets et la dissolution(Weill et Terré, 1998 :166).Cette conception du mariage telle que disposée dans le code congolais de la famillen’apasreçu l’aval de certains auteurs congolais qui, dans le cadre des contributions attendues en vue de l’élaboration du code de la familleont trouvéquelaspécificitédumariageafricainnerequiertpasunetranspositiondes cadres juridiques qui lui sont étrangers. L’un des opposants à cet «impérialisme juridique», le professeur Epenge Mboyo voit dans le mariage :
Une institutionqui,àlademandepropredejeunesgensdesexesdifférents,futursépoux,ou àlademanded’unmembreduclan,enaccordavecunautremembred’unautreclan nonapparenté,réunitsolennellementetpubliquementlesmembresduclandesfuturs époux,enprésenceounondecesderniers,envuedeproclamer,aprèsacceptationde ladot,l’unionconjugaledejeunesgensetdeleurclanenleursouhaitantbonheuret procréation (Mboyo 1986 :19).
En comparantcettedernièredéfinitionaveccelle adoptée parle codecongolais dela famille, il existe une concordanceau niveaude l’objet de ces définitions : il s’agit du mariage. Cependant,lesdeuxconceptionssont discordantes sur plusieurs points en l’occurrence : les personnes devant donner leur consentement au mariage, l’absence d’une précédente union conjugale et la dot.
S’agissant des personnes devant consentir au mariage, alors que Mboyo,s’appuyant davantagesurles coutumes,élargitce pouvoiraux chefsdeclans, l’article 315 du code congolais de la famille tout comme la plupart des codes des pays africains ont coupé court avec des telles pratiques et font du consentement personnel de chaque futur époux une des conditions essentielles du mariage sans laquelle le mariage est nul. Le législateur congolais est revenu sur ce point avec la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006 portant sur les violences sexuelles en érigeant le mariage forcé en infraction pénale.
Dès lors, la difficulté de rupture avec les traditions se situe plutôt au niveau de l’institution coutumière de la dot. Nous essayerons de la définir et d’en donner des interprétations. Ce sera notre premier point. En deuxième lieu, nous verrons comment les législateurs africains ont essayé de tenir compte de cette institution dans le droit positif régissant le mariage civil. La conclusion suivra.
2.Définition et interprétations de la dot
Contrairement à la dot pratiquée jadis en Occident et qui se composaitdebiensmobilierset/ouimmobiliersconstitués parlesparentsdelamariée comme contribution aux charges du nouveau ménage sans pour autant que la mariée en perde lapropriété, la dot africaineestuneremise d’une somme d’argent etdebiens, ouuneprestationdeservicedelapartdufiancéet/oudesafamilleàlafiancée et/ouà sa famille. De cette définition se dégagent d’une part, les personnes appelées à percevoir la dot : la fiancée elle-même ou sa famille, et, d’autre part les modalités dotalesen rapport avec les spécificités culturelles: il peut s’agir de la dot en argent, en nature ou par service communément appelé la « dot à la Jacob » ensouvenirdesseptansdeservice quecedernierrenditàsonbeau-pèreLaban avant d’épouser sa fille Léa, puis, sept ans de plus pour pouvoir obtenir la main de Rachel (Gen 29, 15 et svt). Au delà de ces diversités, cette institution traditionnelle, l’un des facteurs déterminants dans la compréhension des modalités des tractations matrimoniales, est sujette à des interprétations socio-économiques dont certaines frisent le bon sens.
Certains auteurs y voient le prix d’achat de l’épouse, une vision sortie principalement de la plume des premiers anthropologues et juristes occidentaux stupéfaits devant cette façon particulière de conclure le mariage. C’est le cas du pasteur Keller qui écrit : « la dot devenant argent, la femme est devenue marchandisemonnayable etqu’onchercheàmonnayer auplushautprix » (Keller cité par Dede 1962 : 56).Il en va de même de Solus qui dans les années 50 écrit:
Leversementd’unesommed’argentquelefuturépouxfait aupèredefamilleenvued’obtenirsafilleprenddeplusenpluslecaractèrejuridique d’unprixd’achat,etaltèreainsilanaturemêmedumariagequ’iltransformeenune véritable vente (Solus, in Dede 1962 : 89).
En vue de réfuter une telle interprétation commençons par définir le contrat de vente : c’est une opération juridique par laquelle un vendeur transmet la chose dont il a la propriété à un acheteur qui lui donne le prix. Lefaitd’assimilerladotà un prixd’achatdelafemme reviendrait doncà souleverplusieurs questions. D’abord, on doit se demander : qui, - des parents ou du mari -, peut prétendre avoir le droit à transmettre ou à acquérir la propriété d’une personne dès lors que l’on sait que l’esclavage a déjà été aboli ? Ensuite, le contrat de vente supposant le transfert d’une chose,lanaturedelapersonnehumaineest-ellecompatibleavec celle d’unbien ?Enfin, le prix étantlavaleuroulacontrepartiedel’objetàaliéner doitcorrespondre– à moins quelespartiess’accordentpourunprixsymbolique - àlavaleurdela choseàtransférer. Au cas contraire, on parlerait d’une vente aveclésion.
Quelquesoitlemontant versé pour la dot, sa qualification en prix d’achat s’avère inadéquate. En plus, beaucoup des mots juridiques telsquel’échange,ledépôt, lalocation…font égalementintervenirunedimension pécuniaire.Pourquoi alors préférer la qualification du contrat de venteaux autres? Pour Dede (1962), la dot fait une analyse judicieuseenpartantde la neutralité des biens économiques. Il partdel’hypothèse selonlaquelle le bien change de qualification en fonction des contextes juridiques. Ainsi, unevachedansunenclosestunbien économiquetoutcourt ;lamêmevacheintroduitedanslecommercejuridiquedevient tantôtunobjetdedroitdejouissance,tantôtuneredevanced’unbailfoncierouunedot danslecadred’unetractationmatrimoniale.Ilenvademêmed’unesommed’argentgardéedansunportefeuille qui est unbienéconomique.Maissicettemême sommed’argentintervientdansuncontratdevente,ilporteralenomdeprix, dansun bail, ils’appelleraloyer,dansunedonation,ceseraundon…Alors, se demande-t-il :pourquoidansune tractation matrimoniale ne serait-t-elle pas appelée dot ? Pourquoi l’interprète-t-on commeunprixd’achatdelafemmeetnonungage,undépôtouunelocation alorsque danstouscescasdefigureinterviennentunecirculationdebienséconomiquessans pour autant que ça soit des ventes (cf. Dede 1962).
S’inscrivant également en faux contre cette qualification de la dot en prix d’achat l’anthropologue anglais Radcliffe-Brown a tenu à relever que les dépenses qui entourent les mariages ne sont pas spécifiques aux seules sociétés africaines. Il écrit:
Ilyanaturellementune grande diversité dans les prestations faites à l’occasion des fiançailles dans les différentes sociétés. Ilest nécessaire de considérer que, quelleque puisse être l’importanceéconomiquedequelques-unes,c’estàleuraspectsymboliquequ’il convient surtout de s’attacher tout d’abord. Ceci est clairement démontré par la coutumeanglaisedelabaguedefiançailles,l’anneaudumariageetdescadeauxdu mariage.Bienqu’unebaguedefiançaillespuisseavoirunevaleurconsidérable(plus que cequebeaucoupd’Africains«paient»pourleursfemmes),cedonn’estpas considéré comme une transaction économique ou du moins une affaire, il est symbolique(Radcliffe-Brown 1953 : 95).
Ces différentes apologies n’ont cependant pas convaincu Maurice Kouendji Yotndaqui, danssacontributionaunouveauDroitdelafamilleauCameroun, a réitéré l’interprétation de la dot en termes de prix d’achaten sefondantsur l’une des caractéristiques du mariage africain, àsavoirledéplacementdelafilledudomicileparentalvers celuidel’époux. Il écrit:
Ce départs’expliqueparlanaturemêmedel’union:ils’agitd’unachat,il estnécessairedeprocéder(commeentoutematièredevente)àl’enlèvementd’autant plusquelevendeurdésireleplussouventdégagersaresponsabilitédelagardeauplus tôt (Kouendji : 1975, p.149).
Mais lorsqueM.Nkouendjiparledel’enlèvement visant à dégager le plutôt le vendeur de sa responsabilité de garde, serait-ce àdirequ’unefoisladotversée,lepèrenetolèrepluslaprésencedesafilleàlamaison commes’il s’agissaitd’unemarchandisedontlanon-livraisonl’exposeraitàassumer touslesrisquesquipeuventsurvenirencasdevol,deperteoudedétérioration ?On se rend comptequel’auteurfait applicationdelathéoriedesrisquesen faisantpesersurlepère,quimariesafillemoyennantla dot,larègleresperitdomino consacré à l’article1138duCodecivilfrançais et repris dans tous les codes civils africainsquiédicte que « la choseresteauxrisquesdudébiteur,c’est-à-direduvendeur,encasdevente,toutesles foisquelaperteestsurvenuealorsquelevendeurétaitencorepropriétairedelachose vendue».Or cetteexigencequipousselesparentsàuntelempressementest dictéenon pas parle soucidesedégagerd’unequelconqueresponsabilitédegarde, mais elleest plutôtdictéeparlaprudenceetsejustifieparlacraintequetantquelafilledemeure sousleurtoit,uneinfidélitéouuneéventuellegrossessedontl’auteurseraitautrequele prétendant,engagerait non pasleurresponsabilitécivile, maisd’entamerait l’honneur de la famille.
Cette analyse erronée, loin d’être livresque se rencontre dans les agissements de certains maris qui considèrent que les prestationsdotales commeleurconféranttouslesdroits surleursépouses, ce qui se traduit par unabus delangagefaisantsouventréférenceàladotverséepourjustifierdesmaltraitancesou desmanquesd’égard. La musique, un des supports delaculturelocale n’a-t-elle pas traduit cet état de fait à travers une chanson de l’Orchestre OK Jazz où l‘on chante:«mwasi nabalanamosolo,naniatindiyeatunaepayinawuti… » (Mianda 1996 :120),ce qui signifiesubstantiellement : lafemmequej’aiépouséeavecl’argent,de quel droit va-t-ellemedemanderd’où je viensoume demander de justifierleretardaveclequel je suisrentréà la maison.
La réfutation decettemauvaiseinterprétationdeladotenprixd’achatne doit cependant pas nous empêcher de condamner despratiquessociales quivoientdansladotune opération mercantile. En effet, la dégradation des conditions économiquesetde lamisèrecroissantefontquecertainsparentstrouventdanslemariage deleurfilleuneoccasionespéréepour rehausserleurniveaudevie.Onassistedoncàdes surenchèresdetoutgenreprenantparfoisles alluresd’escroquerie chez certains chefs de famille qui vont jusqu’à percevoir plusieurs dots pour une même fille. Aujourd’hui, dans une ville comme Kinshasa, on ne peut se marier si on ne dispose pas d’un minimum de 1000 dollars américains pour la dot. Ce qui fait qu’aujourd’hui, beaucoup de mariages coûtent plus cher que ce qu’ils valent.
Laraison inavouée pour beaucoup mais quelque fois évoquée par certains seraitle remboursementdesfraisengagés pouréduquerlafille surtout lorsque celle-ci a poussé loin avec les études sous prétexte que c’est le mari qui va plus profiter des dividendes de son activité professionnelle. Cette façon de faire qui ressemble à un recouvrement de créance dénote d’une irresponsabilité face au devoirquiincombe auxparentsdesubvenirauxbesoinsessentiels deleurprogéniturejusqu’àlamajorité. C’est également un non sens car l’entretien ne se résume pas aux seuls frais liés aux dépenses de scolarité. Aussi, pourêtre conséquent,des telsparentsdevraient tenir une comptabilité rigoureuse detousles fraisengagésdepuislaconceptionjusqu’aumariage deleurfille.
L’interprétation financière de la dot comme un bien d’achat s’étant avérée erronée, les sociologues et les anthropologues ont mis au point la terminologie « compensation matrimoniale » en vue d’expliquer la spécificité des tractations matrimoniales en Afrique et lever ainsi toute équivoque avec la dot telle que pratiquée jadis en Occident. A. Sohier, dans le traité élémentaire du droit coutumier au Congo belge, considère la dot sous cet aspect de compensation et ce, par opposition à la question de l’achat de la mariée, en ces termes :
Enfin,ilapparaîtqu’ailleurs,onala conceptionplusutilitaired’exigeruneindemnité ;nonpaspourlacessiondelafemme ensoi,maispourlapertequelegroupeéprouveenétantprivédesonactivitéetpour lesdroitsplusoumoinsétendusquelafamilledumariaurasurlesenfantsànaître d’elle (Sohier 1950, cité par Dede 1962 :102).
D’après cet auteur, la dot comme compensation matrimoniale s’explique d’une part, par sa dimension de perte économique et d’autre part, elle investiraitlafamilleduprétendant des droits surles enfants. Examinons ces deux assertions pour voir si elles rendent vraiment compte de la spécificité de la dot africaine.
Partant d’abord de la compensation économique, une telle explication ne peut être soutenue au regard de la signification juridique du terme compensation :«l’extinctionsimultanéededeuxobligationsdemêmenatureexistantentredeux personnesréciproquementcréancièresetdébitricesl’unedel’autre.»Etlesauteursde préciserqu’«enraison de l’exigencedel’identitédenature,ilvadesoiqueles conditionsdelacompensationsonttrèsrarementréuniespourdesdettesautresquede sommesd’argent. » (Terré, Simler et Lequette1993 : 972-973). Ils’avère donc que dans son sens strictement juridique, la compensation est soumise à une condition sine qua non : l’identité de nature des objets appelés à se compenser.Ordanslecasdeladot,onad’uncôtédesbiensetdel’autreunepersonne humaine, de ce fait :laremisedeladotcontreledépartd’unefillenesauraitêtreadéquatement désignée sous le nom de la compensation matrimoniale.Enoutre,pardelàcettedésignation inappropriée,sepose un autre problème relatif à la portée de la dite compensation qui supposeque les deuxcréances appelées à se compensersoientdéterminéesouà défaut déterminables. Comment pouvoir évaluer ou déterminer d’avanceunecréanceconsistantenuneactivitéàvenirdontseraprivéelafamilledela mariée au profit de celle de l’époux ? Sur quelles bases reposeraientde telscalculs ;serait-ceenfonctionduvolumevirtueldeproductionoudesa durée dans le temps ? Bien plus, peut-on vraiment affirmer que le mariage entraine pour la femme la rupture des liens juridiques avec sa parentèle alors qu’on sait que les femmes mariéescontinuent à aiderdanslamesuredupossible leurs famillesaveclesfruitsde leurtravail?
Cette vision économique de la compensation matrimoniale a été réfutée par M.Doumbe quiadmet,poursapart,qu’ilexisteunecompensation d’un genre particulier avecladot.Doumbe poselaquestion :ladot est-elleune
compensationéconomiqueausensactueldumot?Non. Compensation originale à l’effigie africaine ? Oui…Elle doit rapporter une autre personneappeléeàremplir, par l’effetdesubstitution,textuellementlerôledeson homologue.C’estenquelquesorteunéchangequinerecèlepasforcémentdevisées économiques…,leproduitdeladotenprincipaln’a jamaisserviqu’au«rachat» d’une autre femme dans la famille…(Doumbe 1972 : 75).
Si l’auteur écarte toute considérationéconomique dans la compensation matrimoniale, il retientune desfinalités de la dot,àsavoir,latransformationde celle-cienuneautredotenvued'unnouveau mariage.Dèslorsle départ d’une fillesetrouveêtre compensépar l’arrivée d’une autre dans sa famille etcettecompensation ditespécifiquementafricaineest qualifiéeparl’auteur d’unéchange.
Or,juridiquement, ondéfinitl’échange commeétant«uncontratpar lequellespartiessedonnentrespectivementunechosepouruneautre » (art. 365 code civil congolais livre III). De cette définition,seules les choses peuvent faire l’objet d’échange dans une réciprocité immédiate. De là, on déduit d’une part, l’inadéquationdutermeéchange, la femme n’étant pas une chose. D’autre part, laréciprocitéimmédiatefait défaut car danslaperspectivedeDoumbe,la dot sert d’intermédiaire dans la transaction entrelafillepromiseenmariage etéventuellementuneautrefilleàépouser.
C’est suite à ces explications peu convaincantes que Dedea rejetétoute interprétation faisant appel à la compensation. Il souligne à cet effet :
L’hypothèsedelaperteéconomiqueaunsemblantdevéritétoutenétanterronée. Toutd’abordiln’yaaucuneéquivalenceentrelavaleurobjectivedelafemmeetla valeurréelledeladot.Deplusonnesauraitcompenseréconomiquementuneréalité queparsonsubstitut(lesucredebetteraveet lesucredecanne)etnonparson symbole,commec’estlecasdeladot... (Dede 1962 :20).
De l’éclairage de cet auteur, il appert donc quele termecompensationne peut être concevabledanssonsenséconomiqueàcausedeladifférencede nature entrelafemmeetla dot appeléeàsesubstitueràelle. Quelquesoit son montant, la dot demeure aux yeux de l’auteur un symbole qui ne peut être mis sur la balance au titre d’une quelconque compensation de la femme.
Toutefois, si le terme de compensation matrimoniale doit être maintenu au sens anthropologique, il pourrait à la rigueur s’adresser à la dimension affective: la dot serait un symbole exprimant l’impossibilité à pouvoir amortir le choc de la séparation occasionnée par le départ de la fille du toit paternel et non un regret face à la perte d’un agent de production économique.
Si tel peut être conçue l’interprétation de la dot comme une compensation matrimoniale, que peuvent bien être, d’après Sohier, les droits que celle-ci confère à la famille du mari sur les enfants ? Cette question nous parait judicieuse car elle nous renvoie d’une part, à la filiation légitime des enfants, conditionnée dans beaucoup de coutumes par le versement de la dot. D’autre part, elle nous permettra de fustiger des coutumes encore en vogue dans certains pays comme le Bénin, le Cameroun, la RD Congo, où l’on estime que le lien qui lie la femme à l’homme ne s’éteint pas en cas de séparation ou pour cause de mort tant que la dot n’est pas remboursée.
QuelquescasintéressantsenregistrésauCamerounpeuvent nous aider à mieux illustrer notre propos. Eneffet,unarrêtédu16mars1935réorganisantl’étatcivilauCameroundisposait que:
Lareconnaissance,parlepère,d’unenfantnéhorsmariage,nepeutrésulter qued’unjugement.Ils’ensuitd’unepartqu’unedemandepersonnelledeceluiquise prétend le père de l’enfant est nécessaire et d’autre part à l’exclusion de toute considération basée sur la dot, la paternité naturelle a pour unique fondement l’existencedesliensdesangentrel’enfantetleprétendupèrequienpossèdelapreuve intime.
A la lecture decetarrêté,on peut déduirelanon-priseencomptedeladotpourétablirlafiliation,etparconséquent,la réaffirmationdesliensdesangdansladéterminationdelapaternité.
Sidenosjourscela paraît un truisme à bien d’endroits,iln’enapasététoujoursainsiparle passé.Letextecitérompaitavecledroitcoutumierencoreenvigueuràcetteépoquecoloniale, celui-ciétantfondésurunprincipequiamotivéunedécisiond’un tribunalauCameroun :
Uneveuveremariéecoutumièrementdans une autrefamilleavaiteuunenfantdecettenouvelleunion.Unjugementdutribunaldu premier degré l’avait déclarée libre sous la réserve express qu’elle rembourse à l’héritierdumaridécédéunesommedonnée,àtitrededot,ce,dansundélaiimparti parlejugement.Cedélaiavaitexpiréalorsqu’ellenes’étaitpasentièrementlibéréede sacréance.Commel’enfantétaitnédansl’intervalle,l’héritierdudéfuntmariactionna letribunalpourenréclamerlapaternité.Ilyeutbienentenduoppositiondelafemme etdesonnouveaumari.Enexécutiondetextesenvigueur,iln’yavaitqu’unesolution et une seule du différend : l’attribution de l’enfant au demandeur (Doumbe 1972 : 39-40).
Mais au fond,quedisposaientlestextesenvigueur à l’époque?L’arrêtédu26mai1934portant surlemariage indigèneénonçait :
Lesenfantsnésavantlacélébrationdu mariage appartiennentàlafamilledelafemme.Lesenfantsnéspendantladuréedumariageet aprèssa dissolutiondansundélaicorrespondantàladuréemaximadelagrossesse appartiennent à la famille du mari. Les enfants d’une veuve ou d’une divorcée appartiennentàlafamilledumarisiladotn’apasétérembourséedanslesconditions fixéesparlejugementquiadéclarélaveuvelibreouquiaprononcéledivorceetàla famille de la femme si la dot a été remboursée.
Lecas de la veuve et l’arrêté du 26 mai 1934 cités plus haut ont donc un fondement uniquequifaitdeladotleprincipedeladéterminationdelafiliation paternelle.Sidanscecontextecamerounaislemariagen’étaitconcluqueparladot,la dissolutionn’étaiteffectivequ’avecleremboursement de celle-ci.Dès lors, tant que subsistait la dette de la dot,la femmerestait liée àsonmari et/ouàlafamilledecelui-ciadvitametparconséquenttouteprogénitureànaîtreleur restaitliéeaussi. Ce pouvoir quasi tutélaire sur la femme est celui qui fait incomber à la femme le devoir de fidélitémoinsenréférenceàsonmari,maissurtoutàcausedeladot. L’expression «kusambuka biuma pour exprimer l’infidélité féminine dans la culture kasaïenne n’est-elle pas révélatrice» dans le sens qu’elle signifie : « enjamber ou passer par dessus la dot » ?
Celle-ciaapparemmentune viepluslonguequele couplelui-mêmeou l’hommequis’enestacquitté.C’estcequiexpliqueque,d’une part,lemarimêmeséparé,sedonneundroitderegardsursonex-épousesicelle-cilui estencore«redevable.»Etd’autrepart,c’est latransmissibilitédecedroitauxhéritiersde l’épouxdéfunt qui est àl’originedulévirat. Si, comme déjà signalé, le consentement de chaque époux, une des conditions du fond du mariage fait de celui-ci un contrat intuitu personae, la coutume de la dot en fait au contraire un contrat qui lie la femme au clan du mari. Bien plus, cette coutume va plus loin avec les autres réclamationspost-mortem en ne laissant pas échapper du jougde lapaternitéfictive lesenfantsnésaprèsdissolutiondumariagesans que leur mère n’ait été «libérée ».
Ceux-cise trouvent déchirésentre l’exigencebiologiquequi,enfaitdevraitdéterminerleurfiliation,et l’ordresocialquilesattribueàunpèreenvertudeladot.UnarrêtdelaCourSuprême duCamerounfaisaitétatdecettesituationen cestermes :
Despauvrespetitsêtres, réclaméspourtantparleursauteurs,sontainsipassésparlaforcedestextesetaunom delacoutume,entrelesmainsdessoi-disantpèreslégitimesdontles famillesont souvent,hélasusédemépris,sinondecruauté;plutôtdel’affectionàleurendroit… (Arrêt Cour Suprême du Cameroun 1961 cité par Doumbe 1972 :71).
On voit aveclarécupération desenfantsque ceux-cisontdoublement sanctionnés :d’uncôté,ilshéritentd’unedettequipèsesurleurmère et sont considérés comme« unesortedegagede ladettede ladot contractée » par la famille maternelle.Del’autre,bien querécupérésparlesprétendusparents,leurtitrenecorrespondpasà la possession d’état.Autrementdit,bienqueréclaméscommeenfantsdulignageducréancier,ces enfantsnesontpastraitéscommetels ;cartoutlemondeestconscientque,par-delà cette recherche de paternité, l’objectif n’est pas l’intérêt de l’enfant comme le préconise le droit modernemais le recouvrementdeladot.
A voir les dates des textes cités, on croirait que ces faits appartiennent à l’histoire en se laissant désabuser par leur déperdition et non leur disparition que ce soit en milieux urbains ou ruraux. Il n’en est pas question car la confiscation des enfants pour non versement de dot est une pratique en vogue en RD Congo surtout dans la province du Kasaï. Quant à la non disparition du lévirat elle ne fait aucun doute : il n’y a qu’à voir les mentions écrites sur les pancartes de sensibilisation actuellement affichés par le Programme National de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le sida (PNMLS): « éviter d’hériter les veuves » parce que vous ne savez pas de quoi est mort le mari.
C’est donc face à toutes ces quelques difficultés non exhaustives soulevées par les interprétations de la dot que la plupart des Etats africains ont essayé de réglementer cette institution coutumière dans leurs codes respectifs.
3.La réglementation de la dot dans quelques codes africains de la famille
Ladotafricaineneposepasseulementunproblèmed’interprétationcommenous l’avonsanalysé, mais du fait de son enracinement dans les us et coutumes,elle aconstituéunvéritablenœudgordienpourleslégislateursafricains quant à son intégration ou nondansle domaine légal. Alalecturedecertainstextesdeloienlamatière,onpeutrelevertroisgrandes tendances.Lapremièreestcellequi,aunomd’unepolitiquededéfensedestraditions africaines,faitdeladotunélémentfondamentaldansleprocessusdumariage.La secondeenrevanchel’exclutdelalégislationaunomdelanécessairemodernisationde laviesociale.Ladernièretendanceregroupedesprisesdepositiondiverses,mais avecunpointcommun:uneimportancemitigéeaccordéeàladot parlelégislateur. Dans tous ces cas de figure, le rôle de la dot repose sur des a priori idéologiques.
La première tendance faisant de la dot une des conditions de fond du mariage est celle du législateur zaïrois de l’époque qui a consacré la dot dans les articles 361 à 367 du code congolais de la famille. L’Article 361 alinéa 2 dispose en effet: le mariage ne peut être célébré que si la dot a été effectivement versée au moins en partie.Cettedispositionfaitdonc de la dot une des conditions de fond du mariage à côté du consentement et de la capacité et ce, en référence aux pratiques coutumièrescongolaises.L’importanceaccordéeàcette institutions’expliquedavantage parlanaturemêmeducontratquiest scelléentrelesdeuxfamilles comme il ressort del’exposédesmotifs du code :«la dot doit être versée et reçue coutumièrementcarlemariagedanslaconceptioncongolaiseestuneaffairedesfamilles et non des individus » (Code congolais de la famille 1987 :16). Cette place reconnuenepeutsecomprendrequ’en référence à l’idéologie politique connue jadis au Zaïre sous l’appellation de la «politiquederecoursàl’authenticité»préconisée parlePrésidentMobutu comme étant
Uneprisedeconsciencedupeuple zaïrois de recourir à ses sources propres, de rechercher les valeurs de ses ancêtres, afin d’enappréciercellesquicontribuentàsondéveloppementharmonieuxetnaturel.C’est lerefusdupeuplezaïroisd’épouseraveuglémentlesidéologiesimportées (Mobutu 1974).
Mais en tant qu’institution traditionnelle, il faudrait nous enquérir sur les rapports que la dot entretientavec le mariage civil qui, par essence est emprunt de la modernité.
Danslecontextecongolais, il est en effet prévudeuxmodalitésconduisantaumariagecivil.Lapremière, deloinlaplusrépandueconsisteàpasserdu mariage coutumier à une étape suivante qui estlemariageconstatation.Autrementdit,ilestfaitobligationàtouslesconjointsde passerdevantl’officierdel’étatcivildansundélaidetroismoisafindefaireconstater leuruniondéjàcélébréecoutumièrement.L’intérêtdecettedémarcherésidedansson opposabilitéàtouscarbienquelelégislateurreconnaisselemariagecoutumier,celui-ci n’ad’effetsqu’àl’égarddeceuxquiyontassisté.Lasecondemodalitéestplusl’affaire d’
Unecatégoriedecitoyensqui,parlaforcedescirconstances,viventenmargedes coutumes, spécialement dans les milieux urbains. Pour eux, est prévu le mariage célébré devant l’officier de l’état civil. C’est le type de mariage qui s’appellera mariage-célébration (Bayona 1980 : 237).
Dansl’unoul’autredescas,latoiledefonddemeureladot. Aux termes de l’article426ducodecongolaisdelafamille«estnullemariagecontracté sansuneconventionrelativeàladot.Lanullitépeutêtredemandéeparlesépoux,les créanciersdeladotouparleMinistèrepublicduvivantdesépoux».
Silareconnaissancedeladotviseàenracinerlemariagedans son contexte social, ne serait-ce pas une occasion offerteà certains parents sans scrupule pour faire monter les enchères dotales? Lelégislateurde l’époqueétait conscientdecerisquededérivesmaisilfut confrontéà unedifficulté relativeàladiversitédesbiensdotauxenrapportaveclesdiversités ethniques et lui a été difficile depouvoir fixerunelimitemaximum de la dot à verseràpartirdumomentoùiciil s’agitd’animaux(vaches,chèvres,poules, etc),làde l’argent,etailleurs un supplémentdeprestationsde services comme la construction d’une case pour les beaux-parents ou le défrichage d’un champ.Aussi, pourrésoudreenapparencecettedifficulté,ilaété prévuquelemontant maximalserafixépourchaqueRégionparordonnanceduPrésidentdelaRépublique surpropositiondesautoritésrégionale.
Malheureusement,cetteordonnancen’ajamaisvulejour bienquel’article427 ducode de la familleprévoitdessanctionsàl’encontredeceuxquiy contreviendraient.
Une telle optique n’a pas été retenue par d’autres pays africains dont certains ont opté pour une suppression pure et simple de la dot. C’est le cas despayscommelaRépubliqueCentrafricaine,leGabon,laCôte-d’Ivoire. Ceux -ciont privé le mariage de son fondement dotal pour deux raisons principales : lapremièreplusimpliciteviseàmettresurle même piedd’égalitétouteslescoutumesen matièredotale.Ainsipournefrustreraucune traditionauprofitd’uneautre,
Undroitd’inspirationétrangère,sesituantau-dessus des particularismes locaux du fait même de son origine, a l’avantage d’être plus rapidementélaboréetjouerdanslelongtermelerôlededénominateur commun (Conac 1980 :16).
C’estdanscesensquetrèstôt,leslégislateurs des Etats sus cités ont œuvré en faveur de lamodernisationdumariage.Laseconderaisonplusexplicitequelapremièrepartdu postulatselon lequel le développement économique, objectif que se sont assignés tous les Etats africains après les indépendances politiques,nepeutêtreatteintsansuncadrejuridiquemoderne susceptible de découragertoutes lespratiquessocialesinduisant desgaspillages.C’est donc dans cettelogique que
Leslégislateursafricains sesontattaquésplusparticulièrementaux manifestationsostentatoires qui accompagnent les cérémonies de circoncision, de mariage,dedécès…Laréglementationdeladotetlesdépensesexcessivesàl’occasion descérémoniesfamilialesvisentàéliminerlesaberrationsmonétairesetéconomiques des coutumes (Costa-Lascoux 1980 : 187-188).
La dot ayant acquis une valeur marchande, les spéculations qui l’entourent parfois étaient donc considérées comme un frein à l’investissement à moyen ou à long terme; surtout, lorsqu’on sait que les festivités s’étalent à certains endroits sur de nombreuses journées sans rendement aucun. C’est ainsi qu’au lendemain de son indépendance, la République Centrafricaine dans l’ordonnance n° 66 du 25-31/ 3/ 1960 a supprimé la dot. Mais face à l’inanité de la loi, les autorités ont décidé, dans le projet de loi pour le nouveau code de la famille, de la réhabiliter (cf. Laroche-Gisserot 1999). DemêmeleGabon,paruneloidu21mai1963intervenuebienavant l’entréeenvigueurduCodecivil(1974),aaussiprocédéàl’interdictiondeladot.Selon sonarticle3 de la dite loi :
L’institutiondeladot,quiconsistedansleversementau profitdelapersonneayantautoritésurlafutureépouse,parlefuturépoux oula personneayantautoritésurlui,d’avantagesmatérielsconditionnantlaréalisationdu mariagetraditionnelestimmédiatementabolie.Toutementiondeladotdansunacte estinterditeettoute actionenpaiementouenremboursementestirrecevablesans préjudicesdespoursuitespénales.
On voit dans le cas d’espèce que lelégislateurgabonais, conscient del’enracinementdeladotdanslesmœurs,aappliquéunebrutalité législativequi a certes ses vertus, mais dont le revers de la médaille s’observe dans son inefficacité sociologique car en effet,danslespratiques,ladotperdure toujours. (cf. Pocanam : 1986).
Ce qui n’a pas été le cas pour la Côte d’Ivoire qui,de son côté, a adopté une politique différente dans sa modernisation dudroitdelafamille.Al’instarduGabon,l’interdictiondeladotest rigoureuseetassortiedes sanctions pénales telles qu’il ressort àl’article21delaloide1964qui disposeque :
Quiconqueaurasollicitéouagréédesoffresoudespromessesdeladotoucédéàdes sollicitationstendantauversementdeladot,s’exposeàunemprisonnementdesixmois àdeuxansetd’uneamendedoubledelavaleurdespromessesagrééesoudeschoses reçuesoudemandées…
L’article4 de lamêmeloisanctionne des mêmes peineslesintermédiaires. Mais la différenceavecleGabonintervientdansl’exposédesmotifsquantàl’applicationdela loi : le législateur ivoirien y a pris soin d’indiquer clairement que les nouvelles dispositions prisesn’entreraientenvigueurquedefaçonprogressive.Ildéclareàcepropos:
Lesloisproposentauxnationauxdesmodèles.Ellesfournissentuneimagedeceque pourra être la société de demain. Les populations sont invitées à s’approprier progressivementlesdroitsmodernesélaborésenleurnometpourleurcompte.Dansce contexte,ledroitaunevaleurplusincitativequenormative (Pocanam 1986 : 231).
Cesvertusincitativeset éducativesétaientfondéessurlapriseencomptedesréalitéssociologiquesquiévoluent pluslentementquelestextes.C’est donc ceréalismequi apoussélelégislateurivoirienàadmettreune périodetransitoireaucoursdelaquelle,encasdeséparation,ilétaitadmisd’éventuelles restitutions de la dot pour les mariages célébrés antérieurement à cette loi de 1964.
Cespolitiquesdesuppressiondeladot,aunomdelamodernisationdelavie juridique,nevontpassanssusciterla questionrelativeaux effetsréelsdudroitmodernesurlespratiquessociales.Mêmesicetteéradicationaun certain succès officiel, les reformes sont apparentes car on assiste souventdanslesfaits àuneconcurrenceentreledroitmoderneetledroittraditionnel. Etendépitdesmesurescoercitives,lecontrôle de l’Etat n’est pas siefficace surtoutdanslesarrière-paysoù lavieestplusrythméeparles pratiquescoutumières.L’on assiste plutôt au phénomène de la double appartenance juridique,c’est-à-dire qu’onsesoumetpartiellementaudroitdel’Etattouten continuantderespecterles règlestraditionnelles.Etlesfamillesnemanquentpasdemoyenspourcontournerlaloienversantladot.AinsienCôted’Ivoire,
Cetteinterdictionn’aen rienchangéleschoses;l’immensemajoritédesmariagess’accompagneduversement d’unedotenargent,entravail,encadeaux:plusimportantedansl’ouestpatrilinéaire quedansl’estmatrilinéaire. L’urbanisationneparaîtpasavoireuraisondecette coutume.Lescouplesenvilleviventuncertaintempsenconcubinageetontmêmedes enfantsmaiss’ilssouhaitentsemarier(coutumièrementoulégalement)la«dot»sera demandée.Encasderefus,onsaitbienquelesmenacesdemalédictionsontprisesau sérieux dans ce pays (Laroche- Gisserot 1999 : 74-75).
Le Cardinal Malula n’avait-il pas raison lors de la rencontre euro-africain à Yaoundé de s’interroger si on peut «légitimementimposerlamanièredesemarieret de consommer le mariage d’un peuple aux autres peuples qui ont leur manière multiséculairetoutaussi valable desemarier (Malula 1984 : 23).
Ainsi, siles pays sus indiqués ont opté pour la suppression de ladotaunomdelamodernisationetdudéveloppement économique,bonnombredelégislateursafricains, tels que le Togo, le Mali, le Sénégal etc.,ontchoisilemaintiendeladotmais avec une place mitigée dans les tractations matrimoniales. Ladotestcertesmaintenuedanslecadrestrict descérémoniestraditionnelles,mais elleestprivéed’effetsjuridiquessurlemariage essentiellement civil : c'est-à-dire queladotn’estpasuneconditiondevaliditédumariage,elleest ravaléeàunesimpleconditiondeforme parfois facultative et enplus,cesEtatss’emploientà combattretouteslesdérives de la dotenfixantunmontantmaximum.
S’agissant d’abord du problème de la reconversiondela dot en une condition de forme : la question est de savoir si cedéracinementde la dot en tant quefondementdumariagecoutumier pourenfaireune greffed’un droit moderne, hérité des anciennes métropoles, et qui obéit à sa logique propre peut marcher sans heurts? Si l’article 70 de l’ordonnancecamerounaise de 1981 préconise que : leversementoulenonversementtotalou partiel,l’exécutionetlanonexécutiontotaleoupartielledeladotmatrimonialesont sanseffetsurlavaliditédumariage(Mélone 1982 :177), certainslégislateursn’arriventpasàpriver la dot,mêmeravaléeauniveaudesformalités deses effetssurlemariage.Destels paradoxestransparaissentdanslesCodesmalienettogolaiscarendépitdecetteplace secondaire,lenonversementdeladotpeutêtreévoquécommemotifdeladissolution dumariage.Aceteffet,lecodemalienreconnaîtàlafemmelapossibilitédedemander ledivorcepournonversementdedottandisqueceluiduTogopousseplusloincette contradictioneninventoriantladotparmilescausesdelanullitérelativedumariageà lachargedel’épouse(Art.87al.3 code togolais).
Quant aux dispositions législatives tendantà laréductiondeladotdanslebutdefreinerleséventuelles spéculations,lesEtatsquiontétablilemaximum de la dot à versersesontfondéssurl’idéeselon laquelleladotn’estpasunachat : ilfautfixeruntarifbaspourdonner àcetteinstitutionunevaleurpurementsymbolique.Ainsiau Togo,letauxest fixéà10.000 Fcfa,auSénégal à 15.000 Fcfa etauMali,20.000 Fcfapourunejeunefilleet à 10.000 Fcfapourunefemmequiseremarie.
La question est de savoir ce qu’on entend par symbole ? Quand on avance l’idée selon laquelle la dot était symbolique dans les sociétés traditionnelles situées hors de la monétarisation, cela ne peut se justifier car même alors, les prestations dotales n’étaient pas de moindre valeur. Dans certaines contrées, on donnait comme dot des croisettes de cuivre, de cauris, dans d’autres des vaches, des chèvres, etc. Et c’étaient des objets de grande valeur à l’époque. Laroche-Gisserot écrit à ce propos :
Cetteflambéedes«dots»estprobable dans différentes régions d’Afrique francophone, mais on paraît avoir exagéré le caractèremodesteousymboliquedesanciennes «dots»;certainesétaient,c’estbien connu,payableenbétail:lesexemplesabondentdansdessociétés(WolofauSénégal, NuerauSoudan)oùilfallaitréunirde15à30têtesdebétail,alorsquelenombredes vachespossédéesétaitàpeinesupérieuràuneunitéparhabitant.ChezlesBetedeCôte d’Ivoire,lavaleurdes« dots »enobjetdécoratifs(manilles)ou utilitaires(fusils) obligeaitlemariàs’endetteroutravaillerindéfinimentpoursesbeaux-parents(Laroche-Gisserot 1999: 73-74).
Alorscommentpeut-onpasser,aunomde larecherchedelasymboliqueperdue,des valeursprécieusesauxmodiquestarificationsd’aujourd’hui ?Ils’avèredoncqu’ilya delapartdeslégislateursafricainsuneconfusionentrelesymboliqueetlamodicité.
L’on voit donc que malgrélesbonnesintentionsquiontmotivé la tarification, les législateurs s’écartent de l’espritetde la symbolique à l’origine de l’institution dotale apparue dans un contexteprincipalement régiparuneéconomiedesubsistance et qui, de ce fait, mêmes’ilyavaitremisedebiens,laissaitpeu deplaceauxspéculations. Costa-Lascoux résumebiencet état de fait quand elle écrit:
Dansuneéconomiequiseveutmonétaire, conférervaleurdesymbole(àladot),n’estpas déjàunecondamnation?Parailleurs limiteràunniveaupurementéconomique,n’est-ilpasavouélepeudecasfaitàdes justificationsphilosophiques,religieusesoumoralesdecesinstitutionsnéesdansune économiepré-capitaliste?Ladotestdevenue«prix»,sousprétextedeluirendresa«valeur»,onnelaconsidèreautrementenlasoumettantàlatarificationqu’àl’égal d’unemarchandise. Enintervenantpourimposerlecritèreéconomique,lelégislateur viole un univers dont il n’accepte plus la cohérence interne; les motivations des comportementstraditionnelssontnégligéesouretenuesdansleursseulesconséquences néfastes pour le développement économique (Costa-Lascoux 1980 : 188).
Cettepenséemetenlumièrelesdifficultésmajeures auxquelles sont confrontés les législateursafricains car dans des sociétés oùtoutestarrimésurla monétarisation,ladotn’a faitquesuivrela même voie audétrimentdesa significationoriginelle ; c’estcequidonnelieuauxsurenchèresdécriéesicietlà.Mais laréponsequedonnentleslégislateurs à cette difficultén’estpasnonplusadéquate.Envoulantprévenirles éventuellesdérives par les tarifications,ilsvidentladotdesonsensenneluireconnaissantpluslerôlequiétait lesienjadis.Tarifiées à l’égal des marchandises, onpeutseposerla questiondeladignitéqu’on reconnait aux femmes qui se marient, qui se trouvent précipitées dans le sens inverse alors qu’on veutles sauver des spéculationsàladot.Si on considèreladistinctiondetarificationdeladot faiteparlelégislateurmalienentreunejeunefille(20.000 Fcfa)etunefemme (10.000 Fcfa), cela ne porterait-il pas à croire qu’à l’instar d’une marchandise neuve plus chère
que celle d’occasion, on fait des stratifications dans la dignité en laissant penser que la jeune filleaurait une dignité supérieureà celle d’une femme qui se remarie.
Conclusion
Même si l’Afrique est entrée de plein pied dans la modernité, elle n’était pas une tabula rasa avant sa rencontre avec l’Occident et, par conséquent, elle n’entend ni occulter, ni aliéner sa culture propre au profit d’une culture étrangère dont la logique se trouve quelquefois aux antipodes de la sienne. Il n’est donc pas étonnant que le droit de la famille, dont le mariage constitue le fondement, soit écartelé entre la modernité et la tradition. La dot, cette institution coutumière mal comprise de part les interprétations qu’on en fait, la décision de ne pas intégrer dans le droit positif relève de la souveraineté de chaque Etat. Toutefois, il est demandé à ceux qui en ont fait une condition de fond ou de forme du mariage de pouvoir encadrer les débordements de la spéculation sans pour autant tomber dans les travers de la tarification.
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