OBJECTIFS DU MILLENAIRE POUR LE DEVELOPMENT ET GOUVERNANCE MONDIALE : QUELLES LUTTES CONTRE LA PAUVRETE?

Abstract: 

This reflection centers on the issue of what should be the foundation for those attempting to eradicate Third World poverty? The Millennium Development Goals (MDG) are popular, serving in 2005 to motivate the British Make Poverty History movement, the Live8 consciousness-raising rock concerts and the Johannesburg-based Global Call to Action Against Poverty (GCAAP). Yet, upon closer inspection, the implementation processes associated with the MDGs have serious weaknesses. They were generated non-transparently by the United Nations, itself moving since the early 2000s to embrace the Washington  Consensus and co-operate with the World Bank, to ‘bluewash’ the world’s largest corporations with its Global Compact, to endorse ‘Type 2’ public – private partnership privatization strategies, to condone US militarism, and to reject even elementary democratic reform. The main decisions at the Monterrey and Doha finance and trade summits were biased against poor people, workers, women and the environment. Aspirational targets like the MDGs are, in any case, far less important than the actual social struggles underway across the world for basic needs and democracy. As shown in the 2005 campaigns, work on MDGs distracts us from solidarity with the real agents of progressive social and environmental history, in progressive civil society.

  1. Introduction

Le rôle des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) reste largement controversé au sein du mouvement pour une justice globale. Les militants anti-pauvreté objectent aux défenseurs des OMD, que ceux-ci légitimentvoire renforcent – les rapports inégaux, confortent le rôle des organismes internationaux, en évitant par une véritable réforme en profondeur de ces institutions, et encouragent le processus d’accumulation du capital aux dépens des populations les plus pauvres et de l’environnement. Pour eux, plutôt que de militer pour les Objectifs, il s’agirait d’abord et avant tout d’adopter une approche qui reprenne les solutions formulées et proposées par et à la base, l’histoire progressiste s’est toujours écrite.

Ces militants ne remettent pas pour autant en question les Objectifs, qui en eux-mêmes restent louables, à savoir : Eradiquer l’extrême pauvreté et la faim ; Assurer l’éducation primaire pour tous ; Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes ; Réduire la mortalité infantile;  Améliorer la santé maternelle ; Combattre le sida, le paludisme et d’autres maladies ;  Assurer un environnement durable ;  Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Au-delà de ces Objectifs généraux, la résolution 55/2 de l’Assemblée générale des Nations Unies a fixé sept « cibles » plus concrètes à atteindre d’ici à 2015 : Réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté entre 1990 et 2015 ; Assurer la scolarisation primaire de tous les enfants scolarisables en 2015 ; Faire des progrès vers l’égalité entre les sexes et renforcer les capacités des femmes, en éliminant les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire d’ici à 2005 ; Réduire le taux de mortalité infantile des 2/3 entre 1990 et 2015 ; Réduire des 3/4 la mortalité maternelle entre 1990 et 2015 ; Assurer à tous l’accès aux services de santé génésique en 2015 ;  et Mettre en oeuvre des stratégies de développement durable en 2005 de manière à renverser la tendance à la déperdition des ressources naturelles en 2015.

Ce qui fait problème aux militants, c’est le processus lui-même ainsi que les stratégies concrètes mises en œuvre pour atteindre ces Objectifs – dont la privatisation des services de base tels que l’eau et l’électricité –, car ceux-ci pourraient selon eux causer à terme plus de tort que de bien. Mes propres critiques à l’égard des OMD rejoignent et entendent renforcer les points de vue critiques de certains représentants de la société civile et de certains intellectuels, voire même les critiques formulées par les Nations Unies elles-mêmes.

Assurément, certains bénéfices pourraient résultés de l’adoption d’objectifs universels et globalisés, comme le dit clairement Peggy Antrobus de DAWN :

Dans le contexte du ″nouveau programme d’aide au développement″, les OMD fournissent un cadre de travail commun, des Objectifs et des indicateurs de progrès mesurables autour desquels peuvent se rallier les gouvernements, les agences de l’ONU, les institutions financières internationales et la société civile (Antrobus, 2003).

En d’autres termes, les OMD, devraient en principe permettre de mieux responsabiliser – accountability – les organismes donateurs et les Etats, jusqu’à présent largement pointés du doigt par la société civile. Mais en même temps, empruntant le discours de nombreux féministes et activistes pour la justice sociale, Antrobus ajoute : « Je ne crois pas aux OMD. Ils ne sont pour moi qu’un ‘gigantesque gadget’ » :

Leurs limites sont en effet patentes : leurs objectifs et leurs indicateurs sont inadaptés, car purement quantitatifs, alors que ce qui importe surtout – comme par exemple l’égalité et l’autonomisation effectives des femmes – n’est que difficilement quantifiable ; ils omettent d’importants enjeux tels le combat contre la violence à l’égard les femmes et la défense des droits sexuels et des genres ; ils passent sous silence le contexte et l’environnement institutionnel dans lequel ces objectifs doivent être atteints.[1] En fait, l’une des principales limites des OMD est qu’ils font abstraction du contexte social, politique et économique dans lequel ils doivent être réalisés. Dans la mesure où les objectifs dans leur ensemble renvoient au rôle de l’Etat, on peut en effet légitimement se demander comment ces Etats, affaiblis par les exigences néolibérales et les privatisations, seront capables d’atteindre les buts et les objectifs fixés par les OMD. »

N’oublions pas que l’économie politique des OMD doit compter avec le rôle central jouer par les institutions de Bretton Woods et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Or ces institutions, qui agissent principalement pour les gouvernements du G8 et pour les multinationales, n’ont d’autres but que de soumettre davantage d’aspects de la vie au règne de la marchandise, c’est-à-dire d’appliquer les principes du marché à la société et à la nature. L’ONU admettait d’ailleurs elle-même que : « en élaborant ses programmes, le Fonds Monétaire International n’a pratiquement pas tenu compte des Objectifs, quand il s’est agi d’évaluer les budgets ou les contextes macroéconomiques nationaux. »

Dans le même sens, un rapport de l’ONU daté de 2005 déplore que « dans de très nombreux programmes nationaux soutenus par le FMI et mis en pratique depuis l’adoption des OMD, rien n’a été entrepris au préalable pour évaluer l’adéquation de ces programmes au regard des Objectifs ». Ce rapport montre, du reste, que les contraintes budgétaires empêchent certains pays d’appliquer des stratégies sectorielles en vue d’atteindre certains OMD, et que dans quelques cas, les institutions de Bretton Woods conseillent d’éviter de mettre en oeuvre de tels programmes élargis (Waruru, 2005).

UN Habitat reprend également sur son site web la

critique fréquemment admise, selon laquelle les OMD sont un processus ‘descendant’, qui exclut toute participation et implication des autorité locales et d’autres acteurs sociétaux… D’où le danger bien réel que les inégalités nationales persistent, ce quand bien même les cibles auraient été atteintes (UN Habitat, 2005).

Le Minority Rights Group International abonde aussi dans ce sens. Selon l’organisation, « les stratégies adoptées pour réaliser les OMD ne bénéficieront pas aux minorités ; elles augmenteront au contraire les inégalités et sont susceptibles de porter à terme préjudice aux groupes minoritaires» (Minority Rights Group International, 2003). Le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Millennium Development Goals, fait référence explicitement à ce risque. On peut y lire :

Les femmes, les populations rurales, les minorités ethniques et plus généralement les populations les plus pauvres progressent traditionnellement moins vite que la moyenne nationale – voire ne manifestent aucun progrès – même dans les pays qui se rapprochent de la plupart des Objectifs »(PNUD, 2003, 3).

Parfois, les OMD sont moqués pour leur manque d’ambition. Kumi Naidoo de l’ONG Civicus – qui a énergiquement plaidé en faveur des OMD dans le cadre de « l’Action mondiale contre la pauvreté » (AMCP)– estiment ainsi que :

Ceux qui utilisent le cadre de travail des OMD le font le plus souvent dans un but stratégique ; ils font pression pour atteindre d’autres types d’objectifs dont la portée dépasse les OMD stricto sensu.Le Vietnam par exemple parle ainsi des ‘OMD Plus’ et d’autres parlentd’un ‘au-delà aux OMD’ (Naidoo, 2005).

La direction de Civicus parle elle d’« Objectifs minimalistes pour le développement », même si ces derniers constituent l’un des principaux chevaux de bataille de l’organisation.

En dépit donc de ces critiques, l’AMCP, Make Poverty History et Live8, qui ont notamment mené une importante campagne au G8 de Gleneagles en juillet 2005, montrent encore de trop fortes attentes vis-à-vis des puissants, et cela les amène à délaisser les grande luttes historiques contre la pauvreté et pour la justice qui pourtant seules font l’histoire. Ils présupposent encore que le G8, l’OMC, les institutions de Bretton Woods ou encore les élites du tiers-monde apporteront la solution, alors qu’ils sont, au contraire, la principale source du problème.

Certains bureaucrates des Nations Unies affirment que le nouveau « partenariat mondial » pour l’aide au développement, le commerce et la dette promue par les OMD, correspond

aux engagements contenus dans le consensus de Monterrey sur le financement du développement, les accords de Doha et l’Initiative pour les pays pauvres très endettés(PPTE). Les progrès qui seront réalisés, dans la foulée de ces engagements globaux, en matière d’aide au développement, de commerce plus juste et d’allégement de la dette, détermineront, dans une large mesure, le succès des sept premiers OMD d’ici à 2015, dans la plupart, si pas dans tous les pays en voie de développement » (Vandemoortele, Malhotra et Lim, 2003)

Or, contrairement aux dires des représentants de l’ONU, nous avons de fortes raisons de penser que ces accords aggraveront plus la pauvreté qu’ils ne la réduiront. Les bureaucrates des Nations Unies admettent d’ailleurs eux-mêmes que même si « Monterrey, Doha et l’initiative PPTE contribueront de manière significative à la réalisation des OMD, jusqu’à présent les progrès enregistrés sont extrêmement ténus ».Est-il en effet possible que trois mécanismes si clairement néolibéraux puissent déboucher sur des progrès significatifs ?

  1. Consensus de Monterrey

Que s’est-il passé à Monterrey, au Mexique, en mars 2002 ?La Conférence internationale sur le financement du développement qui y eut lieu a représenté la première grande opportunité pour un rééquilibrage du marché mondial des capitaux depuis la spectaculaire crise qui a affecté les marchés émergents à la fin des années 1990[2]. A l’époque le ministre sud-africain des finances, Trevor Manuel, et l’ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, étaient les représentants spéciaux du secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. Le montant insuffisant de l’aide et la dette extérieure étaient alors perçus comme les principaux obstacles à la réalisation des OMD. A aucun moment, la volatilité des marchés financiers, bien que reconnue comme problématique, n’a été explicitement évoquée au regard des objectifs du développement. D’après les estimations du FMI et de la Banque mondiale, les OMD devaient coûter environ 54 milliards de dollars par an (United Nations, 2002).[3]

Selon les représentants critiques de la société civile, cette Conférence sur le financement du développement était viciée depuis le début, dès lors que l’ex-président mexicain Ernesto Zedillo supervisait le processus de Monterrey. Le quinquennat mexicain de cet économiste néolibéral formé à Yale a, en effet, été marqué par la répression, une gestion chaotique de la crise économique, et la fin de près de 75 années du règne de son parti, le PRI, du reste bien connu pour ses pratiques de corruption.De plus, Zedillo avait fait du très controversé John Williamson de l’Institute for International Financebasé à Washington, un think thank financé principalement par les plus grandes banques commerciales du monde, son principal conseiller (et auteur du document final).

Or, ce dernier était considéré comme l’un des plus ardents défenseurs de l’idéologie néolibérale au sein de l’establishment. On lui attribue notamment la création du terme « Washington Consensus » en 1990. C’est pourquoi, pour beaucoup, les termes de la Conférence internationale sur le financement du développement étaient d’avance fixés : insertion des pays en voie de développement dans le système financier mondial ; et combinaison des pouvoirs de la Banque mondiale, du FMI, de l’OMC et des gouvernements donateurs, pour mieux faire pression sur les pays du tiers-monde.

Au cours des débats, Trevor Manuel, le ministre sud-africain des finances, a largement avalisé le principe de la privatisation : « les partenariats entre les secteurs privé et public sont des outils win-win importants pour les gouvernements et le secteur privé, car ils constituent un moyen tout à fait novateur de rentabiliser les services publics » (Manuel, 2002). Ce alors même qu’en Afrique du Sud, les divers partenariats conclus entre les secteurs privé et public avaient presque tous débouché sur un constat d’échec, tant pour l’employé que pour le consommateur, et ce dans des secteurs aussi divers que le commerce, l’eau, les soins de santé, l’énergie, les télécommunications, la poste, les forêts, les transports aériens et routiers, la construction portuaire et routière (Bond, 2005).En août 2001 et octobre 2002, les principaux syndicats avaient d’ailleurs organisé deux jours de grève générale contre la privatisation des services publics. Mais Trevor Manuel, à aucun moment, ne mentionna ces problèmes, même à titre d’avertissement. Jamais au cours de la Conférence, il n’évoqua les échecs répétés de son gouvernement à atteindre ses revenus cibles par la vente de biens publics.

En réalité, les objectifs non avoués de ceux qui donnèrent naissance au « consensus de Monterrey » étaient de renforcer le rôle et le pouvoir de la Banque, du Fonds et de l’OMC. L’OMS, l’OIT, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement apparaissaient sans doute trop centristes pour être intégrés à l’architecture néolibérale de Monterrey. De fait, quand Monterrey a exigé des Etats qu’ils « soutiennent les politiques et les programmes de coordination des institutions internationales et œuvrent pour une plus grande cohérence aux niveaux opérationnel et international », il avait surtout en vue certaines institutions considérées comme plus cohérentes que d’autres. La cohérence exigée visait d’abord et surtout les institutions de Brettons Woods et l’OMC, avec le risque que cela comportait d’introduire de nouvelles conditionnalités croisées.

Les représentants des principaux think tanks progressistes et critiques en matière d’agriculture déclaraient encore en mai 2003 :

 Au cours des dernières décennies, les conditionnalités exigées par le FMI et la Banque mondiale ont forcé les pays en voie de développement à baisser leurs barrières commerciales, à réduire leurs subsides aux producteurs locaux et à éliminer les programmes gouvernementaux destinés à mettre en valeur l’agriculture rurale. Aucune condition semblable n’est imposée aux riches pays industrialisés.

Au contraire !

L’OMC permet explicitement le dumping sur les « surplus agroalimentaires à des prix inférieurs aux coûts de production, en excluant les pays en voie de développement de la production rurale et en ouvrant les marchés aux multinationales exportatrices. De plus, elle interdit aux pays en voie de développement d’introduire de nouveaux programmes susceptibles d’aider les producteurs agricoles locaux. C’est la raison pour laquelle les secteurs agricoles des pays en voie de développement, clé pour la réduction de la pauvreté rurale, se retrouvent aujourd’hui dans un tel état de délabrement ». Des arguments similaires ont à l’époque été formulés par des ONG contre les « programmes de cohérence » sur la privatisation de l’eau, la régulation des investissements étrangers et la gouvernance des institutions multilatérales (Center of Concern, 2003).

Les défenseurs des OMD et de Monterrey répondraient, sans doute, que les problèmes auxquels sont confrontés les marchés agricoles émergents, en l’occurrence le dumping sur les prix et les subsides par le Nord à ses politiques agricoles, pourraient être surmontés à terme. La condition serait l’existence, au sein de la communauté internationale, d’une plus grande volonté de réformer les institutions, en vue de refléter plus démocratiquement les besoins et aspirations des pays du Sud, en lieu et place du vote des pays du Nord. A ceux-là, il faut dire que le « consensus de Monterrey » ne propose que de timides avancées en matière de réforme de la gouvernance mondiale.

La Banque Mondiale et le FMI ont attendu près d’un an pour présenter un premier plan, qui s’avéra être une insulte au principe démocratique de la gouvernance mondiale. Le rapport final de Monterrey ne présenta d’ailleurs que l’option suivante :

[Dans le but de répondre au] besoin d’élargir et de renforcer la participation des pays en voie de développement dans le processus de décision et de création de normes économiques internationales... Nous préconisons les actions suivantes [du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale]: pour accroître la participation de tous les pays développés et des pays aux économies de transition aux processus décisionnels (Nations unies, 2002).

Au vrai sens, le déficit démocratique s’est aggravé après Monterrey, comme en témoigne la nomination du conservateur espagnol Rodrigo Rato et du conservateur américain Paul Wolfowitz en 2004-05, à la tête respectivement du FMI et de la Banque mondiale. Au sein des institutions de Bretton Woods, environ cinquante pays d’Afrique subsaharienne ne sont représentés que par deux directeurs, tandis que huit pays riches disposent chacun d’un directeur. Ajoutons à cela que les Etats-Unis maintiennent leur droit de veto en détenant plus de 15% des votes. Par ailleurs, il n’existe  aucune transparence quant à quel membre du conseil d’administration prend quelles décisions lors des votes clés. Les dirigeants de la Banque et du FMI sont élus respectivement par les Etats-Unis et l’Union européenne, et le secrétaire d’Etat américain détient le pouvoir d’engager et de démettre.

Le Financial Times rapportait que dans la foulée des accords de Monterrey, la stratégie de la Banque et du Fonds en 2003, décidée par leurs comités pour le développement et rapportée par Trevor Manuel, n’offrait qu’un « maigre changement technocratique », en ajoutant par exemple un représentant pour le Sud au comité composé de 24 membres (Financial Times, 13 février 2003). Plus de détails sur cette affaire ont été dévoilés mi-2003 dans un document de la Banque mondiale rendu public, qui proposait d’augmenter le pouvoir électoral des pays en développement de 39% à 44% et d’engager un nouveau directeur général africain. Mais les sujets qui irritent, en l’occurrence la question de la gouvernance du FMI, celle la transparence du comité de la Banque/FMI et de la section « senior management » de la Banque/FMI ont tous été évacués par les propositions de juin 2003 (Banque mondiale, 2003).

Pour les Etats-Unis, ces réformes, bien que modestes, étaient déjà trop importantes, si bien que le directeur général de la Banque, Carol Brooking, s’y opposa vigoureusement, se contentant tout au plus de suggérer la création d’un nouveau fonds destinés à accroire les capacités de recherche des directeurs des deux institutions issus du tiers-monde (http://www.brettonwoodsproject.org).Après plusieurs années de lobbying au sommet en faveur d’une réforme de la gouvernance et de nombreuses tentatives avortées pour modifier les positions les plus influentes, Manuel finit par jeter l’éponge en acceptant de bonne grâce ce déficit démocratique. Lors d’une conférence de presse tenue à la réunion annuelle du FMI/Banque en 2003 à Dubaï, quand il lui a été demandé pourquoi aucun progrès n’avait été fait en matière de réforme de la gouvernance des institutions de Bretton Woods, il se contenta de répondre « Je ne pense pas qu’on puisse faire mûrir une tomate en la comprimant » (World Bank, 2003).

Les tentatives de réformes de la Banque et du FMI ont de manière générale toutes échoué. Rien de ce qui fut dit à Monterrey n’a empêché la Banque de multiplier ses efforts en vue de privatiser les services publics, comme en témoigne son rapport World Development Report de 2004. Selon le professeur Robert Wade de la London  School of Economics,

Les Etats-Unis ont manœuvré la Banque mondiale– en imposant notamment leur conditions sur le remise à flot de l’Association internationale pour le développement (IDA) et sur lespossibilités de prêt à conditions préférentielles – pour qu’elle lance son plus grand recentrage de la décennie, via un programme de ‘développement du secteur privé’, dans le but d’étendre – sur une base commerciale – le  contrôle de ce secteur (mais aussi des organisations non gouvernementales) sur les services de base. Jamais pourtant la Banque mondiale n’avait évalué l’impact de ses efforts antérieurs visant à encourager la participation privée aux secteurs sociaux. Sa nouvelle stratégie visant à développer la participation du secteur privé – en particulier dans le social – n’est en réalité que le résultat des nombreuses pressions américaines (Wade, 2003).

Ces quelques exemples suffisent à montrer combien le mandat qui avait été donné à Monterrey pour réformer les institutions de Bretton Woods n’était qu’une coquille vide. Comme l’a dit très justement Neville Gabriel de Jubilée Sud Afrique,

Monterrey a entériné de fait le statu quo dans les relations internationales en dissimulant le besoin d’instaurer un dispositif de gouvernance mondiale plus représentatif ». Et ce même si « à mi-chemin de la conférence, les représentants du gouvernement allemand, du FMI et de la Banque mondiale ont annoncé l’avènement d’une nouvelle ère pour le développement mondial, marquée par le remplacement du consensus de Washington par le nouveau consensus de Monterrey (Gabriel, 2002).

En fait, le bloc de pouvoir sous-jacent – que Neville Gabriel a judicieusement décrit comme une « dictature de technocrates sans nom, sans visage, déresponsabilisés et obsédés par la croissance des marchés privés qui ne voient dans les masses appauvries qu’une réalité négligeable par rapport à la création de richesses » - a campé sur ses positions (Gabriel, 2002).

Et de conclure avec Robin Round (de l’initiative Halifax), activiste canadien pour la démocratie financière :

 A l’issue de cinq longues années de travail préparatoire, la Conférence internationale sur le financement du développement des Nations Unies a été un désastre diplomatique. La conférence devait trouver de nouveaux moyens pour lutter efficacement contre la pauvreté et réduire l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Mais les fortes pressions exercées sur la Conférence par les Etats-Unis ont fait capoter le processus, réduisant la déclaration finale à un assemblage de principes vagues et de généralités abstraites… Les gouvernements ont revu à la baisse leurs ambitions premières qui auraient pu mener à une vraie réforme du financement mondial et des systèmes commerciaux, dont la nature même maintient les pauvres dans la pauvreté(Round, 2002).

  1. Processus de Doha

De la même manière, à Doha, le processus de négociations était si déséquilibré que le dénommé « Programme pour le développement »(euphémisme pour un nouveau round commercial) ne fit qu’aggraver la situation (Wade, 2004). En bref, l’agenda néolibéral fut réaffirmé et consolidé au sommet ministériel de l’OMC de novembre 2001, après l’échec de Seattle de 1999et dans le sillage des attaques terroristes du 11 septembre sur les Etats-Unis, qui jouèrent en faveur de ces derniers.

Au cours d’un sommet entouré de mesures de sécurité exceptionnelles, des délégations dissidentes furent menacées de voir leur préférence commerciale retirée à leur pays si elles ne signaient pas l’accord final. Un microphone resté allumé permit même de surprendre une conversation entre le directeur de l’OMC de l’époque, Michael Moore, et le ministre du commerce du Qatar, sur la meilleure manière d’empêcher la délégation indienne d’atteindre le pupitre pour prendre la parole. Comme le note l’analyste du commerce international de l’ONG Save the Children, John Hilary :

 L’intimidation et le chantage font partie intégrante du mode de fonctionnement de l’OMC, comme nous l’a montré très clairement la conférence ministérielle de Doha. Les pays en voie de développement ont été à nouveau forcés d’abandonner leurs positions en cours de négociations étant donné les menaces économiques, politiques et même personnelles proférées à leurs délégués(Lynas 2003).

La délégation africaine a été un terrain propice de conflit.Aileen Kwa de l’ONG Focus on the Global Southl’explique :

Ce qui divisa l’Afrique, ce sont les contacts pris, pendant les deux derniers jours, par les Etats-Unis et l’Union européenne avec plusieurs chefs d’Etat et leaders africains, dont le président nigérian Obasanjo, au terme desquels, ces pays donnèrent de nouvelles instructions, par téléphone, à leur délégation. Aussi, le Nigeria qui jusque-là avait été assez ferme dans ses positions, s’est soudainement fait discret lors de la dernière réunion le 13 novembre  (Kwa 2002 : 24).

Les suspicions qui planaient sur l’existence d’un compromis forcé se sont par la suite trouvées renforcées au terme d’une rencontre entre le ministre du commerce sud-africain Alec Erwin et les délégués des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) les moins qui ont suivi le dernier jour des négociations de Doha. Ainsi Dot Keet relates qu’Alec Erwin conseilla vivement à ces pays d’accepter le texte, prétextant qu’il s’agissait là de « la meilleure issue possible pour eux au vu des circonstances ». D’après certains participants et autres témoins oculaires, les propos du ministre sud-africain ont déclenché une forte polémique, certains demandant – pour la forme – qui il représentait et quels intérêts il servait... et la réunion s’est ensuite dissoute dans la confusion. Mais cette dernière manœuvre a fini par briser la résistance d’un important groupement de pays en développement et avec elle, l’espoir qu’ils répètent à Doha le rôle qu’ils avaient joué à Seattle. En fin de compte, le front unifié de résistance tant attendu n’a pas vu le jour. Toutes ces pressions, intimidations, manipulations et manœuvres parvinrent à assurer ce qu’un membre du Parlement européen a qualifié d’« assentiment amer » (Keet, 2002).

Les propres intentions d’Alec Erwin à Doha ont été divulguées dans le journal Mail & Guardian qui rapporta que même si l’Afrique avait reçu un os à ronger sous forme de promesses faites à ces pays de les aider à développer leur capacité, l’issue générale fut somme toute négative.Et d’ajouter :

L’Afrique du Sud a été à l’origine d’un véritable schisme au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) en cassant le consensus des pays africains clés à la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce à Doha au Qatar cette semaine. On craint que cette fracture entre l’Afrique du Sud et les nombreux partenaires de la CDAA d’une part,  et les autres pays africains d’autre part ait fortement affaibli le front unifié de négociation du continent. La stratégie de départ de la plupart des pays africains, et d’une bonne partie du tiers-monde, visait à bloquer tout nouveau round de négociations à l’OMC jusqu’à ce que ces questions – mise en suspens après l’Uruguay Round de 1986-1994 et perçues comme essentielles pour stimuler l’intégration despays en voie de développement au système économique mondial – soit abordées. Or, à la veille de la quatrième conférence de l’OMC du 9 au 13 novembre à Doha, le gouvernement sud-africain s’est lancé dans une campagne pour encourager les pays africains à participer à ce nouveau round de négociation commerciale (Mail & Guardian, 2001).

Alec Erwin a amplement commenté le programme de développement de Doha – le «nouveau round » de l’OMC dénoncé par la société civile africaine –, disant qu’il s’agissait là d’une « réalisation fantastique » (Business Report, 2001). Et pourtant, il est bien vite apparu que le programme de réforme ne pouvait qu’échouer. Confronté à un assaut protectionniste des Etats-Unis après Doha –d’énormes droits de douane sur l’acier, sur les vêtements, les chaussures et des subsides agricoles qui niaient les progrès réalisés en la matière au sommet de l’OMC – Alec Erwin annonça alors une alliance avec le Brésil, l’Australie et les dix-huit pays exportateurs agricoles du groupe de Cairns. Plus tard, il avouera lui-même sa défaite : « Notre position n’est pas très favorable... Je pense que nous allons au devant de grandes difficultés à Cancun » (Business Day, 2003).

En 2002, plusieurs rendez-vous proposés à Doha, concernant notamment l’application du « traitement spécial et différentiel » exigé par le tiers-monde et des exonérations aux dispositions du commerce des brevets pharmaceutiques soumis au droit de propriété intellectuelle, ont été manqués.En septembre 2003, aucune procédure en la matière n’existait encore et la stratégie du groupe Cairns fut définitivement déjouée. Au sommet ministériel de l’OMC de Cancun, malgré les efforts d’Alec Erwin et du groupe du G20 en vue de poursuivre les négociations, les pays ACP quittèrent soudainement les négociations en signe de protestation comme ils l’avaient fait à Seattle. La défiance vis-à-vis des Etats-Unis est ainsi apparue au grand jour après Doha.

Avant le sommet du G8 à Evian en juin 2003, George Bush et Tony Blair avaient annoncé qu’ils s’opposeraient au plan du président Jacques Chirac visant à mettre fin au dumping des produits agroalimentaires occidentaux en Afrique (The Guardian, 2003). George Bush proposa plutôt d’augmenter l’aide de son gouvernement sous forme de subsides aux exportations agricoles, estimant que : « les gouvernements européens devraient se joindre – au lieu de l’entraver – à la grande cause que constitue la lutte contre la faim en Afrique », en ajustant leurs subsides agricoles et en permettant la commercialisation des aliments génétiquement modifiés (The Guardian, 2003). En réalité, malgré sa rhétorique concernant une réduction – plus apparente que réelle – des subsides agricoles, la nouvelle architecture de l’OMC définie à Genève mi-2004 a surtout introduit de nouvelles formes de marchandisation (Khor, 2004).

  1. Initiative « Pays pauvres très endettés » (PPTE)

Pour terminer, essayons de voir quels ont été les progrès réalisés ces dernières années en matière de réduction de la dette – probablement la principale contrainte budgétaire qui empêche les pays du tiers-monde d’atteindre les Objectifs de développement. Pour les représentants de l’ONU cités précédemment, l’initiative PPTE – la stratégie d’allègement de la dette initiée par la Banque mondiale et le FMI en 1996 – constitue la dernière composante censée permettre la réalisation optimaledes OMD en matière de gouvernance mondiale. En juin 2005, les ministres des finances du G8 ont dans ce sens renforcé l’initiative PPTE en votant un allègement supplémentaire de la dette pour dix-huit pays.

Toutefois, l’initiative PPTE reste très largement controversée du fait que lui sont attachées un ensemble de conditionnalités très libérales – la plupart des programmes nationaux (et les Documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté, DSRP) exigent en autres la privatisation des services. Pour certains, ce programme n’est donc qu’un leurre. Dans l’année qui suivit Monterrey, la Banque mondiale a elle-même admis que l’initiative PPTE n’était pas exempte de critique : son staff « avait été trop optimiste » quant à la capacité de certains pays à rembourser sous le régime PPTE, et les incitants mis en place pour stimuler les exportations n’étaient pas adaptés, empêchant près de la moitié des pays PPTEà atteindre leur « complention point », l’ensemble des résultats économiques fixés par le programme (Financial Times, 2003).

Si l’initiative PPTE reçut au départ l’appui de militants d’ONG modérées telle Jubilee Plus, elle s’avéra bien vite illusoire.Comme le déclara le groupe de pression londonien,

Selon le calendrier original de l’initiative PPTE, 21 pays auraient dû en bénéficier et obtenir l’annulation d’une partie de leurs dettes, soit l’équivalent actuel de presque 34,7 milliards de dollars. Or, dans les faits, seulshuit paysont atteint leur « completion point », totalisant ensemble une annulation de dette de 11,8 milliards de dollars »(Jubilee Plus, 2003).

En tout, il reste l’équivalent de plus de 2000 milliards de dollars de dette à annuler, montant incluant non seulement la dette des paysPPTEmais aussi celles du Nigeria, de l’Argentine, du Brésil, de l’Afrique du Sud et d’autres débiteurs non considérés comme fortement endettés ou pauvres au sens le plus large. Le réseau plus radical Jubilée Sud, mené par de puissants groupes de pression en Argentine, au Nicaragua, aux Philippines et en Afrique du Sud,rejette les idées de Jubilee Plus sur les critères de « supportabilité » et de « remboursabilité » de la dette, et milite pour l’annulation totale, la répudiation par le tiers-monde de ses dettes, et le versement de réparations par les pays du G8.

Le manque de provisions financières et le peu de capitaux occidentaux investis dans l’initiative PPTE montraient en fait la forte résistance quant à l’allègement de la dette et, probablement, l’intérêt à utiliser la dette comme un outil de contrôle sur les économies du tiers-monde.Tout en simulant l’inquiétude, un « PPTE amélioré » a d’ailleurs été proposé pour maintenir ce contrôle. A Evian en 2003, le G8 répondit à l’appel du président sud-africain Thabo Mbeki en acceptant de revoir le programme, mais aucun changement sur le fond ne fut apporté.

L’offre d’allègement annoncée avant le sommet du G8 de Gleneagles en juin 2005 ne représentait en fait qu’une petite partie du problème. Selon GreenLeft Weekly :

Les énormes sommes souvent annoncées par la presse, soit 50 à 55 milliards de dollars, englobent les dettes dues au FMI, à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement, par une vingtaine d’autres pays parmi les plus pauvres du tiers-monde, tous éligibles pour une future annulation de leurs dettes ; neuf pourraient s’ajouter dans 12 à 18 mois, et dix autres à une date indéterminée.S’il est vrai que le milliard et demi de dollars annuels disponibles sera utile pour les 18 pays très pauvres retenus à ce jour, il n’allégera leur budget que d’environ 6,5% par an. Cette aide modeste montre que les grandes démonstrations de sympathie des médias occidentaux envers la générosité de leurs gouvernements sont pour le moins exagérées ou à tout le moins assez prématurées. Ces 18 pays représentent à peine 5% de la population du tiers-monde, et si tous les 38 pays devenaient éligibles à l’avenir, elle n’en affecterait que 11%...

Washington ne devra trouver que 130 à 175 millions de dollars par an, soit trois fois moins que le budget destiné à l’entretien de son ambassade à Bagdad. Le coût décennal total pour les Etats-Unis avoisine ce que Washington compte investir dans la construction d’une nouvelle ambassade dans la capitale irakienne. A eux seuls, les Etats-Unis dépensent environ 2 milliards de dollars par an en Irak. Enfin, le budget annuel de la défense américaine dépassera à lui seul les 441 milliards de dollars en 2006… Ces chiffres suffisent à remettre en question la soi-disant bienfaisance occidentale envers l’Afrique et le tiers-monde.

Notons également que les dettes dues à la Banque interaméricaine de développement et à la Banque asiatique de développement ne sont pas comprises dans la transaction, de même que l’énorme fardeau que représente la dette bilatérale des pays du tiers-monde (c’est-à-dire, la dette due séparément à différents pays riches). Même si les 38 pays finissent par être soulagés de leur dette multilatérale, cette dernière ne représentent en fait que 18% de la dette externe totale de l’Afrique, qui s’élève actuellement à 300 milliards de dollars, soit encore une infime partie de la dette totale du tiers-monde estimée à 2400 milliards de dollars !

Est-ce donc un réel progrès ? Pas si sûr. En tout cas, pas pour ceux qui luttent pour l’annulation de la dette africaine. Jubilée Sud Afrique a ainsi fait remarquer le 14 juin 2005 que pour bénéficier de telles mesures, les 18 premiers pays sont sommés d’atteindre le fameux « completion point » de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés. L’initiative PPTE de 1996 a été dans un premier temps largement applaudie par les gouvernements des pays riches, mais par la suite, ce plan global de « remise de la dette » semble être tombé dans l’oubli. Le sommet du G8 de 1999à Cologne promettait qu’il mènerait à l’annulation de 100 milliards de dollars de dette. Mais à peine un quart de cette somme a effectivement été débloqué et les pays pauvres très endettés (PPTE)sont aujourd’hui plus pauvres qu’avant le programme » (GreenLeft Weekly, 2005).

  1. Objectifs du millénaire pour le développement, contestations et alternatives

Pour l’Action mondiale contre la pauvreté (AMCP), les OMD sont considérés comme un bon point de départ qui a au moins le mérite de faire consensus : « un agenda mondial unique pour la mobilisation est nécessaire afin de disposer d’un point de convergence, de cohésion, et pour maximiser l’impact de notre activité ». Pour répondre à ce besoin de convergence et de cohésion bien réel, certains suggèrent que le Forum social mondial devienne un point d’appui pour le développement d’un programme idéologique et d’un plan d’action susceptible de combattre simultanément la pauvreté, le militarisme et les atteintes à l’environnement. Mais c’est oublier que si un tel programme mondial est mis au point comme le demandent les stratèges de l’AMCP, il pourrait y avoir des effets inverses à ceux recherchés, et entraîner une démobilisation organisationnelle sur fond d’analyses et de demandes du plus petit commun dénominateur.

A titre d’illustration, la première lettre d’information de l’AMCP, publiée le 14 juin 2005, un rapport de 3600 mots sur les diverses campagnes à travers le monde, ne mentionne à aucun moment l’activisme organique anti-pauvretéde Global South. Elle ne mentionne pas les grèves; les mobilisations populaires pour l’accès aux traitements anti-SIDA et aux autres services de santé; les connexions à l’eau et/ou à l’électricité ;les occupations de terre et de logement ; les campagnes contre les OGM et pour la sécurité alimentaire ;  l’organisation des femmes ; les campagnes sur les budgets municipaux, les mouvements estudiantins et de jeunes ; la résistance communautaire aux relocalisations dues à la construction de barrages et autres dispositifs semblables, les mouvements contre la dette et pour les réparations ; les luttes pour la justice environnementale ; les campagnes pour les droits des migrants ; et les mouvements politiques divers qui s’adressent à l’Etat, etc.

Il ne parle ni de la Bolivie, ni du Venezuela, où pourtant, des initiatives populaires ont sonné le glas de gouvernements. C’est comme si pour l’AMCP l’impressionnant bouillonnement populaire – les émeutes contre le FMI des années 1980 et 1990, les protestations très médiatisées des indigènes depuis l’insurrection zapatiste en 1994, l’activisme pour la justice mondiale depuis Seattle en 1999, les Forums sociaux depuis 2001, les manifestations contre la guerre depuis 2001,les protestations autonomistes et la résurgence de la gauche en Amérique latine – n’avaient jamais eu lieu.

Contrairement à ce que laissent entendre les discours consensuels sur les OMD, les nombreux activistes franchissent les frontières, les races, les classes, les traditions politiques et leurs secteurs particuliers d’activité. On pourrait mentionner entre autres : la terre(Via Campesina),les soins de santé(International Peoples Health Council), l’enseignement gratuit (Global Campaign for Education), l’eau (the People’s World Water Forum), l’énergie/le changement climatique (the Durban Declaration), la dette (Jubilée Sud), la finance du développement démocratique(IFIs-Out! and World Bank Bonds Boycott),le commerce(Our World is Not for Sale), etc.

Bien sûr il n’est pas aisé de rassembler et de faire convergerles bases et les forces vives de campagnes pour la justice.Les Sud-Africains qui font actuellement campagne pour un programme global de lutte contre le néolibéralisme marchand et militent pour les droits socioéconomiques en sont conscients, en raison des nombreux schismes politiques qui ont eu lieu chez eux.

Certains des aspects « verticalistes » (Top-down) des OMD s’expliquent dès lors que ceux-ci sont une pure création des Nations unies. L’abandon partiel par l’institution de sa mission consistant à servir les intérêts des pauvres, et son rapprochement du pouvoir mondial néolibéral, a fini par provoquer une réelle indignation, en particulier en Afrique du Sud. En septembre 2001 à la Conférence internationale contre le racisme, l’incapacité des Nations Unies à prendre à bras le corps la question des réparations pour l’esclavagisme/colonialisme et l’apartheid israélien a vu se rassembler près de

20 000 personnesà l’extérieur du centre de convention de Durban.

En août 2002, la volonté des délégués du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg de poursuivre le processus de privatisation des services de base et son incapacité à aborder les problèmes écologiques majeurs (tel que le réchauffement climatique) a également été à l’origine d’une marche d’environ 25 000 personnes issues des quartiers pauvres vers la luxueuse banlieue de Sandton. Ces manifestants exigeaient des Nations Unies qu’elles mettent fin au Sommet pour éviter d’occasionner d’avantage de dégâts.

Les sanctions des Nations unies de 1991 à 2003 contre l’Irak, suivies de son acceptation de l’occupation illégale américaine du 22 mai 2003, provoqua de fortes inquiétudes dans les milieux pacifistes.Les efforts visant à démocratiser le Conseil de sécurité des Nations unies semblaient de plus en plus vains. Vu l’architecture du pouvoir en place, le militarisme exacerbé et le renforcement des processus néolibéraux aux Nations unies, les pacifistes se demandèrent s’il ne valait pas mieux encourager un retour en arrière – en revenir à une « Ligue des Nations » comme le propose Tariq Ali (Ali, 2003).

Outre l’effort global qu’il s’agirait de fournir en vue de reconstruire la gouvernance mondiale quand les conditions seront plus favorables, deux approches devraient dès à présent être adoptées : la fin du « néolibéralisme marchand » et la « dé-mondialisation » (Bello, 2002). Inutile ici de spécifier qu’on ne cherche absolument pas à restaurer d’antiques expériences autarciques (l’Albanie du siècle dernier, la Birmanie ou encore la Corée du Nord), de nouveaux régimes chaotiques et corrompus dans le tiers-monde (le Zimbabwe actuel), ou encore des gouvernements autoritaires (Malaisie). L’option stratégique choisie par les progressistes d’Afrique du Sud, avec d’autres mouvements – c’est-à-dire l’internationalisme combiné à une exigence d’un « affaiblissement du capitalisme » (Bond, 2003)–, pourrait à terme amorcer la fin de l’étranglement du tiers-monde par les institutions de Bretton Woods.

Le World Bank Bonds Boycott (http://www.worldbankboycott.org) remporte d’ores et déjà un succès remarquable dans ses efforts de délégitimer l’institution dont la répression néolibérale dans le Tiers-Monde est la face cachée. Les activistes sud-africains et d’autres activistes ont remporté d’autres victoires spectaculaires en s’attaquant au régime des droits de la propriété intellectuelle, en exigeant et enobtenant des médicaments anti-retro-viraux génériques au lieu de médicaments assujettis au monopole du brevet. D’autres luttes de ce type sont en cours. Elles visent en priorité le marché de l’agroalimentaire, et plus précisément les OGM, les multinationales, la fin de bio-piraterie ou encore de la privatisation de l’eau et de l’énergie.Ces réformes - typiquement non réformistes - cherchent à atteindre des objectifs concrets et relient simultanément des mouvements, sensibilisent, suscitent des questionnements, et développent de nouvelles dynamiques et formes d’organisations démocratiques.

Le principal problème auquel sont confrontées ces luttes réside dans le principe de « subsidiarité » : déterminer quelle communauté locale, intra-nationale, nationale ou régionale pourrait s’opposer à la tyrannie économique mondiale et selon quelle forme. L’enjeu principal de la « dé-mondialisation » est la lutte contre la marchandisation néolibérale.Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, ce programme vise à transformer les besoins de base en droits humains fondamentaux. Il s’agit notamment, de l’accès gratuit aux traitements contre le SIDA ;avoir 50 litres d’eau gratuits par personne et par jour;  avoir un kilowatt gratuit d’électricité par heure par personne chaque jour ;réformer l’agriculture extensive; interdire les interruptions de services et les expulsions; l’éducation gratuite; etc.

L’allocation d’un « revenu de base » de 15 dollars par mois est même préconisée par les églises, les ONG et les syndicats.Tous ces services devraient être universels (ouverts à tous, indépendamment des revenus)et même réalisables si on augmente le prix des produits de luxe.Ce programme fédérateur en puissance – de loin supérieur aux OMD, notamment parce qu’il reflète les luttes des forces vives à travers le monde –pourrait enclencher un changement social de plus grande envergure, comme l’expliquait Gosta Esping-Andersen à propos de la politique sociale scandinave (Esping-Andersen, 1991).

Pour conclure, tournons-nous vers Antrobus, qui rappelle que les mouvements qui militent pour la justice sociale, tout comme le mouvement féministe, ont leurs propres priorités que les OMD menacent de faire échouer:

 Tous les OMD sont des enjeux politiques, tout comme le sont l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes, et ils ne seront jamais atteints si nous continuons à les considérer comme des enjeux purement techniques. Quelle que soit la qualité des indicateurs, quelle que soit la précision des statistiques, rien ne pourra être réalisé sans qu’existe une réelle volonté politique… Les défenseurs de la cause des femmes feraient mieux de songer à s’investir dans les stratégies d’aide au développement pour suivre et évaluer les progrès réalisés par la Beijing Platform of Action (BPA), plutôt que de s’abandonner aux OMD. Après tout, la BPAest théoriquement plus cohérente, englobe tous les OMD et bénéficie déjà du soutien politique de nombreuses organisations et réseaux de défense de la femme, de centres de recherche et d’enseignement, de programmes médiatiques et de communication, de campagnes internationales, sans oublier de mécanismesà tous les niveaux de démocratie qui travaillent déjà au suivi de la BPAEn outre,tout ceci doit être fait en parfaite connaissance des moyens par lesquels l’expansion du néolibéralisme, le fondamentalisme religieux et le retour en force machiste peuvent mettre en péril les Objectifs (2003).

En appuyant les OMD, pur produit des institutions néolibérales mondiales – et de la plupart des institutions des Nations Unies – les militants font fausse route. Travailler avec et à partir de la base pour faire remonter les aspirations, avec les mouvements anti-pauvreté et pro-justice mondiale existants, aboutirait à une utilisation plus sage des ressources, de l’énergie et de l’engagement politique.

Traduction de l’anglais : Anne-Christine Weets et Laurent Delcourt

 

 


[1]. Selon Peggy Antrobus, « L’exclusion délibérée des indicateurs fondamentaux ‘droits de la femme’ et ‘autonomisation’ dans les OMD symbolise tout autant le manque de sincérité de ceux qui les ont votés que la lutte de ceux qui poursuivent l’égalité, l’équité et l’autonomisation des femmes. »

[2]Trouvant son origine au Mexique (1995), cette crise s’est étendue à l’ensemble de l’Amérique latine (1995) pour toucher ensuite l’Europe de l’Est, l’Afrique du Sud (1996), la Thaïlande, l’Indonésie et laMalaisie (1997), la Corée du Sud, la Russie et encore l’Afrique du Sud (1998), le Brésil (1999), la Turquie et l’Argentine (2000), et à nouveau l’Argentine et l’Afrique du Sud (2001).

[3]Le FMI et la Banque tendent à sous-estimer les coûts récurrents associés aux produits de première nécessité les plus élémentaires, parce que les institutions insistent généralement sur le couvrement des coûts et l’autofinancement.

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